A travers le miroir, de Mareva Absalon

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A travers le miroir, de Mareva Absalon
A TRAVERS LE MIROIR
Maintenant, il était là, seul, au milieu de cette pièce, sombre et froide, seulement
meublée d'un lit, d'une chaise, d'un petit bureau, d'une armoire et de ce fameux miroir
qu'il appelait « sa vie ». Désespéré, désorienté, affligé, épuisé ; il demeurait ainsi,
impassible, depuis plusieurs heures déjà, là où tout avait commencé et là où tout se
finirait sûrement.
Jean Clerc, un homme de quarante ans, solitaire,qui se contentait de vivre sa vie
sans se soucier des autres, n'avait pas d'amis. Pour lui, ce n'était pas un choix mais une
obligation.
Il y a trente années de cela, quand il était encore âgé de dix ans, un drame, dont il
souffrait encore aujourd'hui, s'était produit au sein même de sa famille. Il se souvient
encore de ce matin de printemps à priori ordinaire. Ce jour-là, il rentrait chez lui,
découvrant sa mère, au sol, lui lançant un dernier regard rempli de tendresse avant de
rendre l'âme. Ce jour-là, son père, bouleversé, les mains couvertes de sang, répétait sans
cesse qu'il était innocent, que ce n'était pas lui. Jean n'en doutait pas mais les habitants
du village ne voyaient pas les choses de la même façon. Pour eux, le père était coupable.
Une possibilité que son fils ne pouvait envisager. Le procès dura douze ans. Pendant
cette période, il avait tout mis en œuvre pour protéger celui qui l'avait élevé. En vain, à
vingt-deux ans, il voyait l'homme qui avait été son père condamné à mort.
En vingt ans, la plaie ne cicatrisait pas, elle ne cicatriserait plus. La haine qui
l'envahissait, il ne pouvait la contenir mais il y était obligé. Malgré cela, il avait réussi
de brillantes études de médecine et exerçait sa profession depuis quinze ans. Seulement,
il était tombé gravement malade suite à une infection rare du poumon. Il se croyait plus
fort que la vie, ce jeu infernal dont la règle, naître, survivre, espérer et mourir était et
restera à tout jamais inéluctable. L'espoir, peut-être, c'est ce qui lui restait à présent. Il
pensait qu'espérer était plus fort que tout, mais n'était-ce pas son esprit qui se jouait de
lui une fois encore ?
Suite à cette infection, il ne sortait plus de la modeste chambre qu'il louait à
l'année, ses revenus ne suffisant plus. Des maux de tête lui vinrent. Il supposa d'abord
que sa maladie empirait mais il avait tort. Il se sentait de plus en plus faible, maigrissant
à vue d'oeil mais son esprit semblait apaisé, se libérant petit à petit de toutes ses
souffrances.
Se sentant fiévreux, il prit un verre pour se rafraîchir. Lorsqu'il releva les yeux,
son regard ne put se détacher du miroir qui, à cet instant de la journée, était seulement
éclairé par la lumière que filtrait la fenêtre. Ce qu'il y vit, ce n'était pas lui, mais une
chose ; frêle et tremblante. Ses os venaient presque par endroit transpercer une peau
livide, couverte de tâches tantôt bleuâtres, tantôt violettes. Des cicatrices striaient son
corps çà et là, lui donnant l' air plus immonde encore.
Son visage avait quelque chose de terrifiant : ses yeux, noirs et profonds peutêtre... A moins que ce ne soient ses dents, pointues, jaunies par le temps, sur lesquelles
se refermaient des lèvres fines et gercées. Il y avait aussi son crâne, chauve, qui laissait
par endroit apparaître certains grains de beauté disgracieux.
A cette vision de l'horreur, les maux de tête de Jean furent de plus en plus violents.
Il se sentit défaillir quand un homme entra dans la pièce. Le vague souvenir qu'il en
avait fut qu'il lui ressemblait étrangement. Tout se troubla autour de lui, il s'effondra.
Lorsqu'il se réveilla, il ne put s'empêcher de pousser un cri d'effroi. Il découvrit le corps
d'une femme mutilé à l'arme blanche. Il ne savait pas où il se trouvait mais voulait
savoir ce qu'il s'était passé. Il décida de rentrer à la pension où il louait sa chambre, là il
serait au calme. Après quelques minutes de marche, Jean arriva devant cette imposante
bâtisse. Il allait pousser la porte mais s'arrêta net. La « chose » discutait avec Madame
Bouval, la concierge, comme si de rien n'était. Pire encore, elle lui confiait les clés de sa
chambre sous prétexte que l'homme les avait perdues. Il voulut intervenir mais de
nouveau, interrompit son action.
Sur le mur, face à la porte, demeurait un vieux miroir poussiéreux. Il ne
comprenait plus rien. Ce qui, à ses yeux semblait être la personne la plus horrible, avait
pour reflet son corps et lui, Jean, qu'était-il devenu ? En l'espace d'un instant, sa vie
avait été bouleversée. Qu'allait-il faire à présent ? Il n'en savait rien. Comment était-ce
possible ? Il l'ignorait. Sombrait-il dans la folie ? Sans doute.
Ces questions torturaient son esprit, sans relâche, sans que jamais, il ne soit
satisfait de la réponse. Il errait ainsi, dans la rue depuis que la chose l' avait délogé ;
depuis qu'elle lui avait pris ce qu'il y avait de plus cher à ses yeux; sa vie.
La nuit tombait, les rues devinrent désertes, il s'effondra en larmes sous le porche
d'une boutique où il avait élu domicile pour la nuit.
Le matin arrivait, les oiseaux chantaient, le soleil s'élevant dans le ciel. Jean allait
partir quand la propriétaire de la boutique tendit la main pour ouvrir la porte. Lorsqu'elle
vit l'homme, c'est à coups de pieds qu'elle le fit partir, lui criant les pires injures qui
puissent sortir de la bouche d'une si charmante jeune femme, le traitant également de
meurtrier et d'assassin. Il comprit qu'il n'était plus en sécurité.
Prenant la fuite à grands pas, il passa devant un kiosque et y acheta un journal. Il
stoppa sa course, ébahi, les yeux écarquillés. Il découvrit la une du journal :
« AVIS DE RECHERCHE : Jean Clerc 40 ans. Potentiellement dangereux. A déjà fait 3
victimes. Doit être arrêté au plus vite. »
Le journal lui échappa des mains. Il n'avait plus qu'une seule idée en tête, se
cacher. Mais où ? Chez lui. Il prit ses jambes à son cou, courant au plus vite qu'il le
pouvait, cherchant le chemin le plus rapide lorsqu'il bouscula une patrouille de police.
C'était fini, il était pris en chasse, accusé de crimes qu'il n'avait pas commis ; son double
assurément. Il s'engouffra violemment dans l'angle d'une rue qui menait directement à la
pension. Il en poussa la porte, monta promptement les escaliers et s'enferma dans sa
chambre.
Maintenant, il était là, seul, du moins c'est ce qu'il pensait, au milieu de cette
pièce, sombre et froide, seulement meublée d'un lit, d'une chaise, d'un petit bureau,
d'une armoire et de ce fameux miroir ; qu'il appelait « sa vie ». Désespéré, désorienté,
affligé, épuisé ; il demeurait ainsi, impassible, depuis plusieurs heures déjà, les policiers
menaçant d'enfoncer la porte ; là où tout avait commencé et là où tout se finirait, il en
était certain.
Un bruit se fit entendre, il provenait de l'armoire. Jean l'ouvrit précipitamment. A
sa grande surprise, celui qui avait gâché son existence en sortit.
A présent, chaque minute qui passait était plus pesante que la précédente. Les
gens, curieux pour la plupart, commençaient à affluer aux pieds de la pension.
Qu'allait-il faire ? Quel était l'intérêt de vivre si le temps est compté ; si l'on est obligé
de survivre ?
Les deux hommes se regardèrent longuement. D'un geste brusque, Jean se munit
d'une paire de ciseaux qu'il planta vivement dans le corps de son double. C'est à cet
instant que les policiers entrèrent. La scène qu'ils avaient sous les yeux se décomposait
de la façon suivante : un homme, à terre, agonisant et un autre, semblable, tenant des
ciseaux couverts de sang qu'il jeta aussitôt. Dans un dernier mouvement de désespoir,
Jean Clerc se défenestra. Les hommes en arme accoururent mais c'était trop tard, il était
mort.
En quittant la chambre, un jeune officier se retourna. Un détail avait retenu son
attention. Le premier cadavre avait disparu. Comment était-ce possible ? Deux morts
mais un seul corps...
Quelques jours après de vaines recherches, on lisait sur le dossier reprenant
l'enquête « AFFAIRE CLASSEE ! ».

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