Date: 14 novembre 2016 Auteur: Catherine Rousseau

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Date: 14 novembre 2016 Auteur: Catherine Rousseau
Date: 14 novembre 2016
Auteur: Catherine Rousseau, candidate à la maîtrise en sexologie, profil rechercheintervention
Titre : La culture du viol en milieu universitaire
L’actualité des dernières semaines dévoile l’augmentation de la médiatisation des cas de
violences sexuelles. Du côté des États-Unis, les médias recensent les propos sexistes tenus par
Donald Trump, de même que les allégations d’agressions sexuelles portées à son endroit. Dans
le milieu universitaire, c’est plutôt la sortie de prison de Brock Turner – étudiant de Standford
ayant agressé sexuellement une étudiante alors qu’ils étaient à une fête – qui fut médiatisé. Au
Québec, nous pouvons penser à la dénonciation des initiations de diverses universités
québécoises, à la vague d’agressions sexuelles survenues à l’Université Laval, sans parler des
cas de violences sexuelles survenant hors du cadre universitaire comme, par exemple, la
poursuite intentée par les policiers de la Sûreté du Québec de Val-d’Or envers Radio-Canada
pour avoir rendu publique la situation des femmes autochtones et des violences sexuelles
qu’elles subissent, et qui sont notamment perpétrées par le corps policier.
La culture du viol
Cette couverture médiatique, bien qu’accablante pour nombre de personnes, permet non
seulement une meilleure visibilité de cette forme de violence en contexte universitaire,
majoritairement commise à l’égard des femmes, mais également la mise de l’avant du terme «
culture du viol ». La rape culture, telle que nommée aux États-Unis, a été introduite par le
mouvement féministe dans les années 1970 (Sills et al., 2016). Il s’agit d’un concept critique à
l’égard de certains postulats, couramment admis, stipulant que le viol est un acte aberrant
commis par une personne déviante.
Or, les tenants et tenantes du concept de la culture du viol suggèrent que le viol renvoie à
une myriade de pratiques sociales et culturelles quotidiennes (Gavey, 2005).
Il s’agirait notamment de minimiser et de normaliser les comportements sexuels agressifs des
hommes et de blâmer les femmes pour le viol subi. Bien que le viol soit ostensiblement
condamné, certaines de ces manifestations demeureraient largement tolérées dans plusieurs
sociétés (Gavey, 2005). Or, les études démontrent que la culture du viol s’exprime également
chez les étudiant.es universitaires. Cela aurait pour incidence de maintenir les idées renvoyant
notamment à la responsabilisation de la victime pour l’événement subi (Whatley, 1996).
Prévalence et manifestations
La prévalence de la violence sexuelle survenant en milieu universitaire est pourtant notable. Le
Groupe de travail sur le respect et l’égalité de l’Université d’Ottawa (2014) dévoile que 26% des
femmes auraient vécu de la violence sexuelle à l’université, 67% auraient vécu une forme de
harcèlement sexuel en ligne, 75% auraient fait l’objet de blagues ou commentaires sexuels
suggestifs et 50% auraient été regardées ou dévisagées d’une façon qui les aurait mises mal à
l’aise ou qui les aurait apeurées.
Les études empiriques recensent certains contextes qui favoriseraient l’avènement de violence
sexuelle. Les contextes festifs (p. ex. party, 5 à 7 ou autre activité sociale) et les rendez-vous
romantiques seraient plus propices aux violences sexuelles (Flack et al., 2007; Franklin et al.,
2012). Dans ces deux figures de cas, la consommation d’alcool et/ou de drogues serait
également présente (Fedina, Holmes et Backes, 2016; Flack et al., 2007; Rennison et
Addington, 2014).
Facteurs influençant la culture du viol
Depuis maintenant quelques années, les études s’intéressent au concept de victim blaming et
au contexte social qui soutiendrait cette culture (Whatley, 1996). Plusieurs facteurs, ayant une
forte prévalence dans les recherches empiriques, contribueraient à perpétuer un contexte social
dénigrant et blâmant les victimes pour l’agression sexuelle vécue (Grubb et Turner, 2012). Ces
facteurs sont l’adhérence aux mythes liés au viol, les attitudes liées aux rôles de genre et le
niveau de consommation d’alcool de la victime (Grubb et Turner, 2012).
Les mythes liés au viol seraient prépondérants chez les universitaires (Hockett, Saucier et
Badke, 2016; Peterson et Muehlenhard, 2004). Ces mythes sont compris comme étant des
idéologies culturellement situées et socialement apprises qui excusent la violence sexuelle
(Lonsway et Fitzgerald, 1994). Burt (1980) définit les mythes liés au viol comme étant des
croyances erronées à propos du viol, de la victime et de l’agresseur. Les deux mythes les plus
communs sont : la perception que l’agression sexuelle implique nécessairement l’usage de
violence physique et la croyance que la victime est responsable de l’agression sexuelle
(Peterson et Muehlenhard, 2004). Il est possible d’avancer que ces mythes soutiennent la
culture du viol, en ce sens où les paroles des victimes ne sont pas entendues, retenues et
crues.
Les rôles de genre, quant à eux, sont établis par l’entremise d’un processus de socialisation par
lequel des comportements différents sont encouragés chez les femmes et les hommes (Grubb
et Turner, 2012).
La construction sociale des genres encouragerait l’initiation
des activités sexuelles chez les hommes et la passivité
sexuelle chez les femmes (Burt, 1980).
En effet, cela suppose une certaine rigidité dans la façon de performer ou de penser le genre au
quotidien. Il s’agit d’associer différents comportements aux genres selon les stéréotypes
véhiculés imposant une ligne de conduite sexuelle aux femmes. Ces rôles de genre traditionnels
s’imbriqueraient, par ailleurs, dans une culture sexiste. Ainsi, le fait d’adhérer à ces rôles aurait
pour impact de concevoir le genre féminin comme étant (toujours) sexuellement en
représentation pour le genre masculin et donc, responsable des effets produits. Cela suppose
par conséquent que le genre masculin, quant à lui, serait aux prises avec des pulsions sexuelles
incontrôlables. De cette façon, pour Burt (1980), l’adoption de rôles de genre traditionnels serait
significativement liée à l’adhésion aux mythes concernant le viol. Cela dit, la culture du viol ne
serait pas exclusive à un genre: tous et toutes contribueraient, consciemment ou non, à son
maintien par les discours tenus.
La consommation d’alcool, quant à elle, serait utilisée pour justifier le viol. Une récente étude
canadienne, qui a questionné 899 étudiantes universitaires de première année, rapporte que
plus du trois quarts (79,6%) des femmes rapportant avoir vécu une agression sexuelle étaient
intoxiquées lors de l'événement (Senn et al., 2014).
Abbey et collaborateurs (2001) observent un rapport différent à l’alcool selon les genres dans ce
type de situation. Ils indiquent que les agresseurs jetteraient la faute sur leur niveau
d’intoxication à l’alcool afin d’expliquer la perpétration de l’agression sexuelle. À l’inverse, les
femmes se responsabiliseraient ou se blâmeraient parce qu’elles seraient plus susceptibles de
croire que l’alcool a facilité ou causé l’agression sexuelle (Fisher, Daigle et Cullen, 2008). Ce
type de double discours prend place dans une culture du viol qui enjoint aux femmes de
s’autosurveiller puisqu’elles seraient à tout moment à risque de subir de la violence sexuelle.
Toutefois, le lien entre l’alcool et l’agression sexuelle n’est ni simple ni direct. Les résultats de
l’étude menée par Senn et collaborateurs (2014) ne supportent pas la prémisse selon laquelle
les agressions sexuelles impliquant de l’alcool résulteraient d’une mauvaise compréhension
entre les parties.
Par ailleurs, il serait faux de croire que la problématique des agressions sexuelles
disparaîtrait si les femmes buvaient moins, puisqu’il s’agirait de nier la culture actuelle
qui responsabilise les femmes pour les crimes subis.
Ainsi, prescrire aux femmes les comportements à adopter pour se protéger d’une agression
sexuelle s’avère être une stratégie d’intervention peu efficace qui ne tient pas compte des
enjeux sous-jacents à cette problématique.
Intervention et pistes d’action
Des études nous informent sur les meilleures pratiques en matière d’intervention. Les bystander
programs, davantage implantés aux États-Unis, se traduisent par une approche communautaire
à la prévention de la violence (Banyard et al., 2004). Plutôt que de viser les personnes
individuellement comme potentielles victimes ou agresseurs et agresseuses, ces programmes
encouragent les membres de la communauté à devenir plus sensibles aux questions des
violences sexuelles. Les bystander programs leur enseignent les compétences nécessaires pour
prévenir la violence sexuelle ou pour soutenir les personnes survivantes. Cette stratégie
d’éducation a pour incidence de réduire la résistance que peuvent éprouver certaines personnes
à l’éducation abordant les violences sexuelles, en plus d'accroître la motivation de tous à
intervenir pour prévenir cette problématique (Banyard et al., 2007).
Au Québec, plusieurs initiatives militantes ont vu le jour depuis quelques années (p. ex. Je suis
indestructible), des campagnes de prévention sont maintenant largement diffusées (p. ex. la
campagne Sans oui, c’est non ainsi que les conférences Sexe, égalité et consentement) et des
mouvements de dénonciation surgissent, comme Québec contre les violences sexuelles, qui a
d’ailleurs été lancé le 21 octobre dernier. Cette couverture médiatique des violences sexuelles
permet de lever le voile sur une problématique bien présente qui doit être traitée. Il est à espérer
que les récents événements contribueront à la réflexion sur ce type de violence et permettront
de nous doter, collectivement, de stratégies d’éducation, de prévention et d’intervention
adéquates.
*L’auteure de ce texte emploie le mot « survivante ». Toutefois, afin de rapporter fidèlement les
résultats de recherche des diverses études, le mot « victime » est parfois employé.
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Image : https://unsplash.com/search/college?photo=lTxKlwdrJTE