PORTRAIT : Marie-Thérèse allard

Transcription

PORTRAIT : Marie-Thérèse allard
GAZETTE
PORTRAIT : Marie-Thérèse Allard
Ce qui ne tue pas rend plus fort,
écrivait Nietzsche… Ce sont ces mots
qui ont traversé mon esprit lorsque que
j’ai refermé le portillon du jardin bien ordonné de la maison du lotissement des
Platanes, prenant congé de Marie-Thérèse Allard, après ce moment passé à
ses côtés, moment qu’elle a eu la gentillesse de bien vouloir m’accorder.
Il est des êtres que la vie éprouve particulièrement et Marie-Thérèse Allard est
de ceux-là. L’exil, la maladie, la perte
de ceux qui vous sont les plus chers
et l’ordre révoltant des départs, rien
ne l’a épargnée et pourtant du haut de
ses quatre-vingts ans, elle trouve toujours la force de consacrer sa vie aux
autres, à ceux qui ont besoin d’aide, de
soins, d’humanité, de reconnaissance
et d’amour. Aider l’autre est devenu sa
raison d’être, de vivre et ce au-delà de
toute considération, de toute conviction
religieuse, car ce qui la meut avant tout,
dit-elle en souriant, "C’est l’amour de la
vie".
Marie-Thérèse Allard est née en Algérie en 1933. Depuis trois générations
sa famille était établie à Sidi Bel Abbès
près d’Oran et elle aime se rappeler les
années de son enfance, de sa jeunesse
et la lumière de ce pays magnifique. A
18 ans elle est institutrice. Contrainte de
quitter l’Algérie et sa famille pour trouver
du travail, elle part alors au Maroc où le
protectorat tout neuf accueille à bras ouverts les enseignants. Premier départ,
première déchirure et pour une toute
jeune femme, la vie n’est pas simple et
facile au Maroc, en ce début des années
50. Ses parents et sa sœur la rejoignent
et puis sa vie prend son envol. Rencontre avec Jean, mariage, naissance
de sa fille Françoise, bonheur …
1956, fin du protectorat, indépendance
du Maroc, exil, la famille quitte la méditerranée, départ pour la France, Paris. Événements d’Algérie, douleur…
Pendant près de vingt ans, Marie-Thérèse Allard sera institutrice en région
parisienne, un métier merveilleux,
une passion. La famille, les enfants,
les amis, les collègues, elle noue,
elle tisse et reconstruit sa vie dans ce
nouveau pays. Reprise des études,
elle devient alors conseillère d’éducation puis chef d’établissement…
1980, mutation de son mari dans le Sud
de la France : elle le suit et abandonne
à nouveau l’ouvrage patiemment tissé,
départ douloureux et difficile. Toulouse,
le soleil, Pechabou, construction de la
maison, lycée du Mirail, lycée Bellevue.
6
GAZETTE
Fin d’une belle carrière professionnelle consacrée à éduquer et construire
les adultes de demain.
"Je sais ce que le mot déraciné veut
dire, la perte des repères qui vous ont
construits, de ce et ceux qui vous rassurent, alors c’est peut-être aussi pour
cela que je n’ai pas hésité lorsque ma
fille, qui était elle aussi enseignante,
m’ a proposé de recueillir à la maison
une de ses élèves, adolescente d’origine
maghrébine, orpheline et malheureuse
dans sa famille d’accueil. Mon mari m’a
approuvée et elle a vécu parmi nous
quelques années, jusqu’à ce qu’elle soit
prête à voler de ses propres ailes. Je
la considère aujourd’hui comme faisant
partie à part entière de la famille.Je ne
me suis pas posé de question, l’idée de
faire une "bonne action" ne m’a même
pas effleurée, le hasard l’a mise sur ma
route et il était normal pour moi d’agir
ainsi. Petite, j’ai été élevée avec mes
cousins qui étaient orphelins et que ma
mère a recueillis à la maison, une tradition familiale en quelque sorte !, souritelle. Dans la vie, c’est important d’oser,
d’agir, de s’engager et de respecter ses
engagements. C’est avec ces convictions que j’ai été élue conseillère municipale en 1989 au côté de Madame Beauville, maire de Pechabou à l’époque. Et
puis, aujourd’hui, il y a l’Association… Lorsque ma sœur qui était atteinte d’un
cancer est revenue de sa consultation
avec le Dr Pierre Tubéry, elle était enchantée. Ce médecin avait pris le temps,
le temps de l’écouter, de parler, elle
avait ressenti tant de chaleur, tant d’humanité, c’était un médecin si "différent"
des autres. Nous nous sommes donc
rapprochées de lui et avons adhéré à
son projet. Médecin occidental responsable d’un hôpital de brousse dans sa
jeunesse, il avait découvert auprès des
tradi-praticiens africains tout un monde
de connaissances ancestrales, il avait
décrypté scientifiquement les résultats
des expériences constatées et transformé ses recherches en produits afin de
faire profiter ses malades des pouvoirs
thérapeutiques de la pharmacopée africaine. Les traitements étaient complémentaires de nos médecines occidentales conventionnelles pour soigner les
"longues maladies".
Créée en 1982 autour de ce médecin,
l’Association Solidarité pour le Soutien
aux Malades apporte écoute, soutien et
conseils aux malades ou leurs familles.
Elle renseigne sur les produits issus de
par D.S.
la phytothérapie africaine ainsi
que sur d’autres thérapies complémentaires. J’ai été secrétaire de
l’Association pendant 10 ans et malgré mon âge, ma fatigue et ma maladie, j’y apporte toujours aujourd’hui
mon aide active et mon soutien. J’ai
malheureusement eu dans ma vie
à aider des proches dans leur souffrance et je sais à quel point le soutien est utile et indispensable. Nous
avons voulu également, et c’est une
idée qui m’est chère, permettre à
tous les malades de pouvoir bénéficier des produits phytothérapeutiques, même les plus démunis et
nous avons à cet effet crée en 2003
un fonds de solidarité. C’est bien sûr
grâce aux dons, aux adhésions et à
la valorisation du travail des bénévoles que nous arrivons à alimenter
ce fonds."
Depuis des années maintenant,
Marie-Thérèse Allard se rend régulièrement à l’association où l’attendent ses amis de longue date.
Elle continue d’aider pour que
l’Association perdure, convaincue comme au premier jour de
son bien fondé et de sa nécessité.
Lorsque je lui ai demandé ce qui
lui donnait cette volonté, cette
incroyable force alors que tant
d’autres à sa place auraient sombré,
anéantis par les épreuves extrêmes
et douloureuses qu’elle a connues
dans sa vie, elle m’a répondu simplement : "C’est ma nature, je ne
peux pas m’empêcher d’aider ceux
qui ont besoin de moi… " Et puis,
d’un trait, elle m’a déclamé ces
quelques vers :
"Fais énergiquement ta longue et
lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu
t’appeler
Puis après, comme moi, souffre et
meurs sans parler."
"Ce n’est pas un psaume, c’est La
Mort du Loup d’Alfred de Vigny" at-elle conclu, un petit sourire aux
lèvres.