À l`écoute des Prophètes 1 INTRODUCTION : LE MOUVEMENT
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À l`écoute des Prophètes 1 INTRODUCTION : LE MOUVEMENT
À l'écoute des Prophètes 1 INTRODUCTION : LE MOUVEMENT PROPHÉTIQUE. (À donner à tous les participants le jour de la première rencontre, à conserver pour s’y référer lors de toutes les rencontres.) I - QU'EST CE QU'UN PROPHÈTE ? Des prophètes, il y en avait en Égypte, en Mésopotamie, en Phénicie (Liban), bien avant qu'il y en eût en Israël. Et pourtant, c'est en Israël que les prophètes sont devenus une grandeur religieuse hors-pair. Sans nous livrer à des comparaisons trop savantes, nous pouvons prendre acte de l’originalité des prophètes d'Israël sur ce fonds commun. 1. Sur un fonds commun de l'Ancien Orient... Dans l'ancien Orient, en Mésopotamie surtout, on trouve des prophètes au service d'un temple ou d'un palais. Ils soutiennent le pouvoir, ils sont à la rescousse de diverses entreprises religieuses, économiques, militaires ou politiques ; ils font l'opinion publique ; ils sont consultés par le roi, ils consultent la divinité, ils apportent leur soutien, beaucoup plus rarement leur opposition. Ils représentent une force religieuse au service d'une société, d'une cité, d'un royaume, pour en assurer la survie ; ce qui en fait à la fois l'intérêt et l’ambiguïté. En Phénicie (à Byblos) des prophètes cultuels, consultés par le pouvoir, rendent des oracles au cours d'une liturgie. 2. Les confréries religieuses C'est sur ce fonds culturel qu'apparaissent les prophètes en Israël. Au début de l'époque royale (9ème – 8ème s.) des confréries prophétiques assez exaltées font la promotion du culte de YHWH comme d'autres de celui de Baal. Gesticulation, danses, chants rythmés, taillades de sang... à en perdre conscience, impressionnent les gens : on les regarde avec une certaine crainte religieuse, mais aussi un certain dédain. (1 Samuel 19, 24). Mais ces bandes évoluent vers un mode de vie plus calme, plus sédentaire ; rassemblés autour d'un maître spirituel (Elie, Elisée) ils défendent la foi d'Israël contre la contamination des cultes païens. 3. Les prophètes de cour Comme en Mésopotamie, le roi d'Israël a ses prophètes de cour: il les consulte dans les moments décisifs ou périlleux. Au neuvième siècle, un roi d'Israël veut se lancer dans une guerre envers un royaume voisin de Transjordanie : une nombreuse corporation prophétique de Samarie, la capitale, le soutient ardemment en lui prophétisant plein succès..., jusqu'à ce que, sur l'instance du roi allié de Juda, on consulte individuellement un certain prophète Michée, qui délivre un tout autre À l'écoute des Prophètes 2 message, d'échec et de malheur celui-là...(1Rois 22, 5-28). Nous voyons apparaître en ce cas le courage de ces prophètes qui se démarquent d'un entraînement collectif, et qui ne se rallient pas, pieds et poings liés, au choix du pouvoir royal. 4. Les prophètes par vocation C'est dans cette ligne de distance critique qu'ont surgi les prophètes de forte personnalité et de haut niveau spirituel qui ont modelé l'histoire d'Israël, aussi bien sur le plan social et politique que sur le plan religieux. Ils se présentent expressément comme les envoyés de YHWH, le Dieu de l'Exode, le Dieu d'Israël ; plusieurs d'entre eux font état d'un appel personnel, d'une " vocation ". Ils doivent souvent lutter contre la corporation prophétique elle-même, trop alignée; ils veulent bien soutenir le pouvoir royal, mais ils n'hésitent pas à le critiquer ; ils entrent en conflit avec le roi, les fonctionnaires de la cour, le clergé du Temple (même quand ils en sont issus, comme Jérémie). On se souviendra de la liberté critique du prophète Elie contre les empiétements du pouvoir royal sur le droit des gens. Ils sont les défenseurs du droit et de la justice, spécialement quand les puissants profitent de leur situation pour opprimer un peu plus les pauvres. Le message social des prophètes d'Israël a traversé les siècles. II - LA PAROLE DES PROPHÈTES 1. Parole de messager Leur parole est une parole de messager ; la formule " Ainsi parle YHWH " constitue l'introduction habituelle de leurs oracles ; ils ne prétendent pas dire autre chose que ce que le Seigneur qui les envoie leur fait dire. Il faudra seulement du discernement à ceux qui les écoutent, car ils se présentent tous, vrais et faux prophètes, sous la même " étiquette ". Jérémie proposera des critères pour les distinguer (Jr 28, 3-9). Le prophète qui annonce " la paix " a besoin de la confirmation des événements ; celui qui met le peuple devant le Jugement et appelle à la conversion n'a pas besoin d'autre confirmation. 2. Parole sur l'événement Leur " prise de parole " surprend. C'est une parole sur l'événement, pour en donner le sens, pour y révéler la présence et l'action de Dieu ; et cette parole sur l'événement fait elle-même l'événement ; elle transforme l’histoire. C'est tout cela que charrie le mot hébreu (davar) qui caractérise la parole des prophètes. Si les prêtres délivrent une " torah ", une directive de vie ( une Loi) conforme aux stipulations de l'Alliance, si les sages cisèlent des conseils fondés sur l'expérience humaine universelle, les prophètes reçoivent la mission d'annoncer, de dévoiler, la présence de Dieu à l'histoire que l'on est en train de vivre ; de ce fait ils révèlent un Dieu qui se dit dans l’événement, dans une À l'écoute des Prophètes 3 communion de destin avec un peuple ; sa Parole est à la fois une parole de clarification, de dénonciation, de discernement, de jugement sur l’histoire en train de se dérouler (il faut dessiller les yeux, faire tomber les illusions : ne pas répéter " la paix, la paix " là où il n'y a pas de paix) - et une parole de réconfort : il faut ouvrir le chemin de l'espérance par la révélation de la fidélité de Dieu et par l'appel à la conversion, quand le plus noir pessimisme s’abattrait sur un peuple éprouvé . 3. Jugement et salut Jugement, conversion, salut sont les maîtres-mots de la prédication prophétique ; selon les circonstances, les uns mettront l'accent sur le Jugement, car il est urgent de crier " casse-cou " (ainsi Amos), les autres sur l’annonce d'un avenir encore possible (ainsi Osée, Jérémie). La rédaction finale des livres prophétiques s'est employée à faire apparaître ces deux dimensions (jugement, salut ; pas seulement le jugement mais aussi le salut) dans les oracles de chaque prophète. Pour donner une idée " historique " plus exacte de tel ou tel, il sera nécessaire parfois de revenir en deçà de cette présentation rédactionnelle uniformisante (ainsi la prophétie d'Amos a été d'abord " le rugissement du lion " ; laissait-t-elle augurer la survie d'un " reste " ? ce n'était sans doute pas son rôle, à lui, de le dire, mais les rédacteurs de son livre le lui ont fait dire). 4. Parole et écriture Les prophètes sont des " parleurs publics " en des textes rythmés, courts et percutants. Ils n'hésitent pas à s'exprimer aussi par des actions symboliques accomplies au vu et su de tous. Parfois c'est leur choix de vie lui-même qui deviendra parole de Dieu (ainsi Osée par son mariage avec une prostituée, Os 3, 1). Leur message a été délivré d'abord oralement. Il leur est arrivé cependant, par eux-mêmes ou par leurs disciples, de confier cette prédication à l'écriture. Cela s'est fait d’abord en contexte de crise ; c'est parce que leur prédication n'était pas reçue, qu'ils ont éprouvé le besoin de la consigner et de la sceller dans un écrit, afin que l'on puisse en vérifier la pertinence quand les événements leur auront donné raison. Lire ici Isaïe 8, 16-18. Le prophète ayant essuyé l'échec de sa prédication en scelle le contenu à la fois dans un document écrit sur une tablette d'argile et dans le cœur (dans l'intelligence) de ses disciples : 16 Enferme un témoignage, scelle une instruction au cœur de mes disciples. 17 J'espère en Yahvé qui cache sa face à la maison de Jacob, et je mets mon attente en lui. 18 Voici que moi et les enfants que Yahvé m'a donnés nous devenons signes et présages en Israël, de la part de Yahvé Sabaot qui habite sur la montagne de Sion. À l'écoute des Prophètes 4 III - L'ÉPOQUE DES PROPHÈTES L'existence / le surgissement / des prophètes a couvert principalement la grande époque royale (9ème - 6ème siècle), jusqu'au retour de l'Exil babylonien (586-538). Il y aura encore des prophètes à l'époque perse (538 -333). Mais alors ce sont les " sages " qui prendront le relais des prophètes pour maintenir et actualiser la foi d'Israël. Il y eut donc une certaine éclipse de la prophétie orale et vivante. Mais à la même époque (fin de l'époque perse, au 4ème s.) se constituent les grands recueils écrits de la prédication des prophètes, et ceux-ci vont constituer avec la Torah (la Loi) la figure fondamentale du canon des Écritures : " la Loi et les Prophètes " (Lc 24, 27). La prophétie refleurira à l'époque de Jésus : il n’y a plus de prophètes, mais des prophètes charismatiques qui se donnent des allures de libérateurs d'Israël contre la domination des païens (les Romains). Jésus devra se défendre d'une telle confusion, mais il sera reconnu aussi comme l'une des grandes figures du prophétisme d'autrefois, voire comme " LE " prophète, qui serait un nouveau Moïse pour révéler le dessein de Dieu. Dans le N.T. ce sont " les apôtres " qui joueront le rôle majeur "d'envoyés " de Dieu, envoyés par Jésus, à la manière des prophètes. Cependant en plus de la vocation " apostolique ", il y a place dans les communautés des origines pour des " prophètes ", qui font cause commune avec les apôtres, qui disent l'actualité de l’Évangile dans des situations inédites, souvent éprouvantes ; " fils de réconfort et de consolation ", ils entretiennent l'espérance en disant comme les apôtres Paul et Barnabé (qui était " prophète ") : " c'est par bien des épreuves qu'il nous faut passer pour entrer dans le royaume de Dieu " (Ac 14, 22). Le charisme prophétique s'est toujours manifesté au cours de l'histoire de l’Église, non sans conflit parfois avec " l'Institution ". La " prophétie " est une expression majeure des dons de l'Esprit, qu'il faut " éprouver ", mais non pas " éteindre " (1Th 5, 19-21). Le Concile Vatican II en remettant en honneur les dons de l'Esprit a contribué à la reviviscence de la prophétie, il en a même fait l'apanage de tout le peuple de Dieu. " Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et la puissance de sa parole a proclamé le royaume du Père, accomplit sa fonction prophétique jusqu'à la pleine manifestation de sa gloire, non seulement par la hiérarchie qui enseigne en son nom et avec son pouvoir, mais aussi par les laïcs dont il fait pour cela également des témoins en les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole ( Ac 2, 17-18 ; Ap 19, 10), afin que brille dans la vie quotidienne, familiale et sociale, la force de l’Évangile ". (Lumen Gentium, 35). Le prophétisme ne se manifeste pas seulement dans l’Église, mais aussi dans la société pour l'orienter vers plus de justice, de fraternité, À l'écoute des Prophètes 5 de paix. Voici quelques figures possibles de prophètes d'aujourd'hui : - Stéphane Hessel. - Aung San Suu Kyi. - Muhammad Yunus, (le fondateur de l'établissement de microcrédit). - Pierre Rabhi, le "Gandhi du terroir", conseiller des pays pauvres en matière d'agro-écologie. - Tawakkol Karmann, yéménite, prix Nobel de la paix 2011, militante de la liberté et des droits des femmes au Yemen. - Radhia Nasraoui, épouse d'un militant d'extrême gauche souvent emprisonné en Tunisie, avocate. - Andrea Riccardi, le fondateur de la communauté de sant' Egidio... et beaucoup d'autres. IV – LES PROPHÈTES AU MIROIR DE L' ÉVANGILE Il y a une manière insuffisante, et même fausse, d'exprimer le rapport des prophètes au Christ, comme s'ils étaient des " pré diseurs " à distance de la venue, de la figure et de l’œuvre du Christ. Cette présentation apologétique (le miracle de la prédiction) n'est plus tenable devant les résultats de la critique littéraire et historique. Le rôle des prophètes n'a pas été de " prédire ", mais de préparer le chemin comme le chante le Benedictus de Zacharie : " Et toi, mon enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu iras devant le Seigneur pour préparer ses chemins, pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés, grâce à la tendre compassion de notre Dieu " (Lc 1, 76-77). C'est pourquoi on peut dire que les prophètes d'Israël ont été le catéchuménat de l'humanité : ils l'ont conduite au Christ en l'éduquant au sens de la promesse, de l'alliance, de la grâce, de la foi, de la justice ; en l'appelant à la conversion et en soutenant son espérance à travers les crises. Les prophètes nous proposent le vocabulaire et la grammaire de l'Evangile. Mais l'Evangile à son tour nous les fait entendre avec l'accent nouveau de Jésus. C'est dans cette perspective que ce livret vous proposera d'écouter les prophètes. À l'écoute des Prophètes 6 IV - DIACONIE 2012 - 2013 Comme l'année pastorale 2012-2013 est sous le signe de "la diaconie", nous suggérons d'ouvrir, chaque fois si possible, l'actualisation de la parole des prophètes dans cette direction. De quoi s'agit-il ? Le mot "diaconie" fait un peu savant et technique ; nous avons entendu parler du "diaconat" comme ministère ordonné, chargé d'exprimer le "service" de l'Église, spécialement en direction des plus pauvres. Mais il ne s'agit pas d'un simple service d'assistance sociale comme beaucoup d'autres organismes ou associations civiles peuvent l'accomplir. Il s'agit d'exprimer tout le service de l'humain que le Christ est venu réaliser et qu'il continue par le ministère de toute l'Église, (pas seulement par le ministère des "diacres"). Rappelons-nous la parole de Jésus : "Le Fils de l'Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rédemption pour la multitude" (Mc 10, 45). Le mot "diaconie" veut faire entendre cette dimension plus large et plus profonde (enracinée en Dieumême) du service de l'humain, de tout l'humain, dont l'Église doit témoigner. Souvent les Prophètes d'Israël ont lutté pour la justice et pour la fraternité au sein de leur peuple, et même entre tous les peuples. Ils se sont fait les défenseurs des pauvres. Ils ont fait comprendre à Israël que son "élection" était en vue d'un "service": le service de la révélation de Dieu et de sa bénédiction envers toutes les familles de la terre.