Développer des compétences d`action et de réflexion chez les jeunes
Transcription
Développer des compétences d`action et de réflexion chez les jeunes
Développer des compétences d'action et de réflexion chez les jeunes Diane Pruneau, Joanne Langis, Jackie Kerry, Mathieu Lang et Guillaume Fortin, Université de Moncton, Canada Résumé : Des leaders environnementaux (agriculteurs s'adaptant aux changements climatiques, constructeurs de villes durables et aménageurs forestiers) ont été interrogés ou observés pour identifier les compétences ayant contribué à la réussite de leur projet. Certaines compétences ressorties (pensées prospective et connective, prévision des risques, pensée de design, planification souple) diffèrent des objectifs de compétences en ERE, tels que définis par l’UNESCO, en 1977. Une fois que sera compris le raisonnement se rattachant à chacune de ces nouvelles compétences, ces dernières pourraient avantageusement être développées chez les élèves durant leur participation à des projets locaux. Abstract : Environmental leaders (farmers adapting to climate change, sustainable neighborhood developers and sustainable forest managers) were questioned or observed to identify the competences that contributed to the success of their project. Some of the identified competences (futures and connective thinking, risk prediction, design thinking, soft planning) differ from the objectives of competences in EE as defined by UNESCO in 1977. Once the reasoning required by each of these new competences is understood, they could be developed in students while they participate in local projects. Au fur et à mesure que se matérialisent les solutions aux problèmes environnementaux et les projets d'aménagement écologique, une compréhension du mieux vivre avec le territoire est en émergence. Idéalement, un citoyen éduqué à l’environnement vivrait une relation significative et consciente avec les entités physiques et biologiques avec lesquelles il partage un espace. Il s’impliquerait de plus dans des actions communautaires tels la défense de lieux ou d’espèces, la résolution de problèmes locaux, l’aménagement d’espaces de vie, l’économie des ressources et l'adaptation aux changements environnementaux nocifs. Pour parvenir à ses fins, il apprendrait le 1 fonctionnement des institutions sociales qui favorisent ou limitent ces actions communautaires. Ainsi, l’éducation relative à l’environnement viserait «à induire une prise en charge autonome et créative des problèmes qui se posent et des projets qui émergent» (Sauvé, 2002, p. 1). Elle permettrait également de considérer les problèmes et les projets comme un ensemble de possibilités et d’opportunités offertes à tous de construire un dialogue social entre les intérêts de chacun et diverses conceptions opposées du bien-être (Innerarity, 2006). Comment préparer les élèves à s'engager efficacement dans divers types d'action environnementale (défense de lieux, résolution de problèmes, aménagement d'espaces, adaptation aux changements...)? Adhérant aux théories de l'apprentissage expérientiel de Kolb (1984) et de la réflexion durant l'action de Schon (1983), nous considérons que les compétences d'action environnementale se développent, de façon optimale, dans le cadre d'actions tangibles dans le milieu de vie, actions nourries par une réflexion continue et appropriée. C'est la nature de cette réflexion environnementale qui fait l'objet de notre programme de recherche. Comment et selon quels processus doit-on inviter les élèves à réfléchir, durant leur implication dans divers types d'action environnementale? Comment les aider à développer, à long terme, cette capacité d'action (action competence) proposée par Jensen et Schnack, (1997) et Breiting et coll. (2009)? En 1977, quand l'UNESCO et le PNUE ont publié la première liste des objectifs de l'éducation relative à l'environnement (ERE), l'action environnementale était principalement conçue comme la résolution communautaire de problèmes locaux. Des compétences associées à la résolution de problèmes étaient donc sous-jacentes au quatrième objectif de l'ERE: définir et analyser un problème, proposer, choisir, implanter et évaluer des solutions. De nos jours, toutefois, les types d'action pouvant être réalisées pour favoriser des lieux et des ressources sains se sont multipliés, exigeant probablement l'apport de compétences autres que celles liées à la résolution de problèmes. Il est possible de penser que, pour construire des espaces de vie, pour défendre des lieux par le biais des médias sociaux ou pour s'adapter aux changements climatiques, des compétences nouvelles doivent être développées chez les élèves. 2 Les questions posées dans notre programme de recherche sont les suivantes: Quelles sont les compétences démontrées et mobilisées par des leaders qui réussissent divers types d'actions environnementales? Comment pourrait-on développer des compétences similaires chez les élèves? Cet article a pour but principal de répondre à la première question et par la suite d'esquisser des éléments de réponse à la seconde question. Nous y faisons une synthèse générale des recherches que nous avons menées pour identifier les compétences de divers leaders qui ont réussi un ou des projets dans plusieurs domaines du développement durable: adaptation communautaire aux changements climatiques; foresterie et urbanisme durables. Nos résultats démontrent que les leaders interrogés ou observés mettent à profit certaines compétences qui ne faisaient pas partie des objectifs de l'ERE, tels que définis par l'UNESCO, en 1977: pensées connective, prospective et de design, prévision des risques et planification souple et collaborative. Dans cet article, certaines des nouvelles compétences environnementales issues de nos études de cas sont définies et expliquées pour en améliorer la compréhension et examinées sous l'angle de leur utilité en formation des élèves à l'action. Les compétences d'action environnementale Le concept de compétence se définit ici comme un ensemble de ressources cognitives et métacognitives (savoirs, savoirs faire, savoirs agir ; savoirs observer, contrôler et améliorer ses stratégies cognitives…), conatives (motivation à agir), physiques, sociales (recourir à un expert), spatiales (utilisation efficace de l’espace), temporelles (organisation pertinente du temps), matérielles (utilisation d’un livre, d’un outil) et affectives (Joannert et al., 2004). Démontrer une compétence signifie non seulement posséder les ressources sous-jacentes mais aussi mobiliser ces ressources et les orchestrer au moment approprié, dans une situation complexe (Le Boterf, 1997). Dans les écrits en ERE, le concept de capacité d'action est proposé (Jensen & Schnack, 1997). La capacité d'action, définie de façon large et centrée sur la résolution de problèmes environnementaux, comprend des dimensions cognitives (connaître le problème et les actions possibles), sociales (être familier avec le contexte où l'action doit se produire), éthiques (considérer et débattre différentes opinions au sujet de la 3 controverse) et personnelles (avoir délibérément l'intention d'agir et se sentir autoefficace) (Mogensen & Schnack, 2010). Les compétences liées à des types d'action environnementale autres que la résolution de problèmes sont toutefois encore peu évoquées dans les recherches. Les compétences des leaders en développement durable Notre étude multi-cas visait à identifier les compétences de leaders engagés dans deux types d'action environnementale: adaptation communautaire aux changements climatiques et aménagement durable du territoire. L’idée était d’observer les compétences nécessaires à la réalisation de ces deux types d’action dans le but ultérieur de développer, en ERE, des compétences similaires chez les élèves. Les leaders choisis étaient conscients de l'importance de la qualité de l'environnement et leur projet s'était mérité un prix ou d'autres signes de reconnaissance. Les compétences des leaders en adaptation au changement climatique L’adaptation consiste en l'accommodation aux impacts actuels et futurs des changements climatiques et/ou dans la préparation à ces impacts (Intergovernmental Panel on Climate Change, 2005). Notre premier cas était constitué de cinq maraîchers (trois femmes et deux hommes) d'une association agricole canadienne. Ces agriculteurs, travaillant dans une région où l'intensité des précipitations et des ondes de tempêtes causent de plus en plus d'inondations, avaient volontairement accepté de participer à un projet d'adaptation aux changements climatiques. Au début, les agriculteurs ont reçu de l’information sur les causes et signes des changements climatiques. Après avoir analysé les impacts possibles des changements climatiques sur leurs cultures, ils ont choisi d’améliorer la qualité de leur sol pour le rendre plus résilient à l’érosion, aux précipitations abondantes et aux sécheresses. Avec l’aide d’experts invités, ils ont ensuite analysé en profondeur leur problème de sol. À la fin du projet, ils ont planté du radis fourrager, comme culture de couverture, pour décompacter le sol et en améliorer l'aération. 4 Afin de relever les compétences qu'ils manifestaient en situation d'adaptation, les participants ont été observés pendant qu’ils cheminaient dans la proposition de mesures d’adaptation pour rendre leur sol moins vulnérable aux variations climatiques. L’observation directe et l'enregistrement vidéo des six ateliers vécus avec les agriculteurs ont été mis à profit pendant toute la durée du projet (six mois). Pour identifier des compétences, Évéquoz (2004) suggère d'observer les personnes à la tâche dans un contexte où les compétences se manifestent. Afin d’éviter la subjectivité, l'observation s'effectue à l'aide d'indicateurs précis. Dans notre cas, des fiches descriptives de compétences ont été préparées (voir exemple du Tableau 1). Ces fiches ont été créées en référence à une recension des écrits sur plusieurs compétences de vie ou sur des compétences associées au domaine de l'environnement (Peterson & Seligman, 2004; Évéquoz, 2004; Inayatullah, 2007; Pruneau, Utzschneider et Langis, 2008; Kerry, 2010; Adejumo, Duimering et Zhong, 2008). Les fiches consistaient en une liste d’indicateurs pour des compétences multidisciplinaires qui nous apparaissaient susceptibles d'être démontrées par les participants. Tableau 1. Indicateurs de la pensée prospective Indicateurs - Formuler des hypothèses et des scénarios représentant ce qui pourrait arriver à l’avenir - Construire un futur désirable en suggérant des moyens d'y parvenir - Extrapoler les tendances du présent vers le futur Pensée prospective - Se préparer pour les changements envisagés Le verbatim des ateliers a d'abord été soumis à une analyse thématique individuelle par trois chercheuses, selon un modèle semi-ouvert, en utilisant les fiches descriptives pour faciliter l'identification des compétences et de leurs indicateurs. Les propos des participants aux ateliers ont été consignés dans un tableau comprenant quatre colonnes, 5 la première étant consacrée à chaque intervention verbale des participants, la deuxième à l'identification d'une ou de plusieurs compétences, la troisième à la liste des indicateurs démontrant la ou les compétences et la dernière à des commentaires descriptifs sur la ou les compétences identifiées. Les trois analystes ont ensuite comparé leur travail et calculé un pourcentage d'accord inter-codeurs de 95 % (selon le Kappa de Cohen, 1960). Certaines compétences initialement présentes dans les fiches descriptives sont ressorties de l'analyse, d'autres se sont avérées moins présentes et de nouvelles compétences ont émergé. Pour plus de détails sur la méthodologie de cette étude de cas et pour des résultats plus spécifiques, voir Pruneau et coll. (2012). Résultats du cas 1 L'étude du cas des agriculteurs a permis l’observation d’un groupe d’entrepreneurs motivés, (dont le revenu dépend de la disponibilité et de la qualité des ressources), conscients de la menace des changements globaux et habitués à s’adapter à des variations météorologiques (Pruneau et coll., 2012). Le tableau 2 présente les principales compétences environnementales observées chez le cas 1, c'est-à-dire les compétences qui semblent avoir facilité le processus d’adaptation des agriculteurs. Dans ce tableau, on retrouve également une interprétation de l'utilité de ces compétences dans leur processus d’adaptation. Tableau 2. Principales compétences démontrées par les agriculteurs et utilité de ces compétences en adaptation au changement climatique (Pruneau et coll., 2012). Compétences Utilité dans le processus d’adaptation des démontrées agriculteurs Pensée prospective Pour prédire plusieurs impacts possibles du changement climatique. Connaissances Pour déterminer ce qui se produit avec les variations endogènes du milieu climatiques, comment cela se produit et les éléments vulnérables. 6 Connaissances et Pour trouver plusieurs idées d’adaptation et évaluer ces expérience en adaptation idées. Prévision des risques Pour déterminer les zones et éléments à risque, cibler les principaux risques, en évaluer la probabilité. Pensée rétrospective Pour se rappeler des détails d’événements climatiques passés et en tirer des leçons pour l’avenir. Pensée connective Pour prédire les risques en prenant en compte diverses variables : éléments agricoles et efforts d’adaptation. Collaboration Pour mieux analyser les situations. Pour s’encourager durant les essais de nouvelles pratiques agricoles. Optimisme et auto- Pour avoir le courage d’entamer de nouvelles pratiques efficacité et ne pas se laisser décourager par les obstacles. Ouverture à la nouveauté Pour désirer apprendre et essayer de nouvelles pratiques agricoles. Résolution de problèmes Pour définir et solutionner le problème de déperdition des sols. Pensée critique Pour évaluer les solutions des pairs et des experts. Pour évaluer les processus de prise de décisions. Pour s’engager dans un processus d’auto-examen et d’autocorrection. C'est ainsi que les agriculteurs se montrent aptes à prédire plusieurs impacts du changement climatique (pensée prospective, prévision des risques), en mettant à profit leur compétence d'observation détaillée du milieu et leurs connaissances de celui-ci. Ils infèrent ces impacts en tenant compte de plusieurs variables météorologiques et agricoles (pensée connective) et en comparant leur réalité à celle des pays où la situation est plus grave. Conscients des effets actuels du changement climatique, ils tirent habilement profit de leur vécu sur leurs terres (pensée rétrospective) pour proposer (résolution de problèmes) et évaluer des solutions d'adaptation possibles, à partir de critères et en tenant compte des divers contextes (pensée critique). Ils se 7 montrent ouverts à la nouveauté (intérêt pour l’apprentissage), se disent prêts à entamer de nouvelles pratiques agricoles et se sentent capables de réussir un processus d'adaptation (optimisme, auto-efficacité). Les nouvelles pratiques agricoles sont expérimentées en collaboration avec les pairs, dans le cadre du partage de graines de radis fourrager et de l'équipement, et du monitorage conjoint des rendements du nouveau cultivar. Les compétences des leaders en aménagement écologique Le deuxième cas était constitué de leaders reconnus par leurs pairs, participant soit à trois initiatives d'écoquartiers, à un projet de ville durable ou à un programme d'aménagement forestier écologique. Les écoquartiers retenus, considérés comme exemplaires par leur gouvernement, étaient plus ou moins complétés, selon le cas. Au Village en haut du ruisseau (Dieppe, Canada), 80% du milieu naturel a été conservé et l'on a implanté des mesures éco-énergétiques et la gestion naturelle des eaux de pluie. Le développeur du Village en haut du ruisseau et l'urbaniste accompagnant le projet, ont participé aux entretiens individuels. À Bonne (Grenoble, France), une ancienne caserne militaire a été transformée en quartier mixte (résidentiel, commercial, culturel), avec des sols perméables, des toits végétalisés, des refuges d'insectes, des bassins d’épuration d’eau et des techniques éco-énergétiques. À Bonne, un urbaniste, une citoyenne et une directrice d'école ont été questionnés en entrevue. De plus, le document intitulé De Bonne, un écoquartier dans la ville (Société d'aménagement Grenoble Espace Sud, SAGES, 2011), rassemblant les témoignages de 26 autres acteurs ayant contribué au succès de l'écoquartier grenoblois, a fait l'objet d'une analyse. Dans l'écoquartier d'Hall's Creek (Moncton, Canada), on fait appel à diverses pratiques du design de conservation (Arendt, 1996), dont la conservation de 70% du milieu naturel, un système de chauffage centralisé, le transfert de plantes indigènes sur les terrains résidentiels, etc. À Hall's Creek, le développeur a participé à l'entretien. Toujours au Canada, un jeune entrepreneur dirigeant une compagnie d'aménagement forestier durable a également participé à l'entrevue ainsi que le coordonnateur en environnement de la Ville d’Edmundston. L'entrepreneur a initié une compagnie où l'on évalue les ressources des boisés privés pour ensuite pratiquer une coupe sélective visant à conserver des 8 éléments naturels et à améliorer la qualité des ressources forestières. La Municipalité d'Edmundston, quant à elle, implante actuellement son Plan vert qui oriente les actions durables de la municipalité et de ses citoyens dans cinq axes : l’eau, l’air, le territoire, l’énergie et les matières et matériaux. Plusieurs projets sont en cours: remplacement des feux de circulation, audit énergétique des installations municipales, plantation de forêts urbaines, mise en place d’un programme de triage des déchets par les citoyens, etc. Des entrevues semi-dirigées individuelles ont donc invité huit leaders (deux urbanistes, une directrice d'école, un architecte, une citoyenne, un aménagiste forestier et deux développeurs domiciliaires) à discuter de leur projet, des obstacles rencontrés, des solutions appliquées et des facteurs de réussite, dont les compétences favorisantes. Le document Grenoble, De Bonne, un écoquartier dans la ville (SAGES, 2011), rassemblant les témoignages de 26 leaders de l'écoquartier a également fait l'objet d'une analyse thématique. Les analyses du verbatim des entrevues et du document se sont déroulées selon les mêmes étapes que dans le cas des agriculteurs: lecture du corpus, analyse thématique du discours par deux chercheuses (dans un tableau et à l'aide des fiches descriptives) et calcul du degré d'accord intercodeurs (89%, selon le Kappa de Cohen, 1960). Pour plus de détails sur la méthodologie de cette étude de cas et pour des résultats plus spécifiques, voir Pruneau et coll. (soumis). Résultats du cas 2 L'étude du cas des leaders en aménagement durable a permis d'observer des personnes motivées, fières de leurs réussites et capables de travailler en collaboration pour réaliser un rêve commun. Le tableau 3 présente les compétences observées chez le cas 2, c'est-à-dire les compétences qui peuvent avoir facilité la planification et le succès des écoquartiers et des aménagements urbains et forestiers durables. Dans le tableau 3, on retrouve également une interprétation de l'utilité de ces capacités dans le processus d’aménagement de lieux durables. Tableau 3. Compétences démontrées par les leaders en aménagement écologique et utilité de ces compétences en aménagement de lieux durables 9 Compétences Utilité dans la réalisation des projets démontrées Résolution créative de Pour trouver plusieurs façons de résoudre les problèmes problèmes causés par un aménagement différent. Pensée critique Pour évaluer les solutions possibles. Prise de décision Pour fixer des buts, des priorités. Courage, audace, Pour réaliser un projet nouveau, controversé et difficile. optimisme Persévérance Pour continuer le projet sans se laisser décourager par les obstacles humains et matériels. Communication, Pour motiver tous les participants à réaliser le projet. persuasion, éducation Planification souple Pour s'adapter aux contraintes du terrain, pour ixer des (préparer plusieurs priorités, des objectifs. plans) Pensée de design Pour prendre en compte les besoins des utilisateurs (créer un produit humains et des espèces sauvages. novateur à partir de Pour créer des espaces novateurs. critères de réussite) Visualisation mentale, Pour imaginer les résultats des aménagements proposés. précise et concrète des Pour envisager ceux-ci de différents points de vue. Pour espaces que l'on veut avoir une vue d'ensemble. aménager Séquencer Pour entrevoir les étapes de la planification et de l'aménagement dans le temps. 10 Concertation, Pour s'entendre sur les objectifs et les actions. réseautage Pensée prospective, Pour penser à long terme, pour envisager clairement les prudence obstacles. Connaissance des Pour implanter ces mesures dans les nouveaux mesures de aménagements développement durable Comme on le constate à la lecture du tableau 3, plusieurs compétences complémentaires ont favorisé la réalisation des projets d'aménagement urbain ou forestier étudiés. Pour atteindre les objectifs écologiques et éco-énergétiques d'un écoquartier ou d'un aménagement forestier durable, les leaders ont fait appel à de nouvelles techniques de construction ou d'aménagement. Ils ont eu à trouver sans cesse de nouvelles façons de faire les choses (résolution créative de problèmes). C'est en équipe (collaboration) qu'ils ont proposé plusieurs solutions à des problèmes techniques et évalué ces solutions, à partir de critères liés à la pérennité et en tenant compte des contextes, avant de les implanter (pensée critique, prise de décision). Les compétences de communication, de persuasion, de persévérance, de courage et d'audace ont été nécessaires pour convaincre la population et les maîtres d'œuvre de la légitimité et de la valeur des projets. La planification a été souple et les plans ont été faits et refaits au fur et à mesure que les leaders visualisaient les paysages à modeler et les obstacles écologiques, sociaux, économiques et techniques à surmonter. Les activités et actions de planification et d'aménagement ont été séquencées à plusieurs reprises, démontrant l'importance de cette compétence en planification souple. La pensée de design a permis de créer des espaces uniques, prenant en compte les besoins des utilisateurs humains et biophysiques. La pensée prospective a enfin constitué un atout important dans ce projet où l'on voulait que les bâtiments, mesures de gestion ou espèces forestières perdurent à long terme, aient moins d’impacts négatifs sur l’environnement et soient résilients au changement climatique. 11 Développement chez les élèves des nouvelles compétences ressortant de l'étude de cas multiples L’étude de cas multiples menée auprès de leaders impliqués dans des actions autres que la résolution de problèmes environnementaux fait ressortir une vaste panoplie de savoirs faire que des citoyens mobilisent pour réussir des projets de durabilité. La compétence de résolution de problèmes, les connaissances du domaine et du milieu de vie ainsi que la pensée critique se manifestent toujours dans les leaders observés, mais de nouvelles compétences intéressantes s'ajoutent : la pensée de design, la pensée prospective, la pensée connective, la planification souple et collaborative, ainsi que la prévision des risques. Des compétences de type savoir être ressortent aussi : l’ouverture à la nouveauté, la communication, la collaboration, la persévérance, l’optimisme, l’auto-efficacité, etc. En éducation relative à l’environnement, serait-il fécond de développer ces nouvelles compétences chez les élèves durant leur implication dans l’action environnementale et, en particulier, durant le raisonnement qui facilite cette action? Une compréhension du raisonnement favorisé par ces nouvelles compétences aiderait à mieux comprendre celles-ci, tout en inspirant les rudiments d’une pédagogie favorable à leur développement. De cette compréhension pourrait surgir de meilleures pratiques pédagogiques et un plus grand respect des conditions de réalisation et de développement des compétences liées à l’action environnementale durable. À titre d’exemple, si l'on considère la pensée prospective. Celle-ci, considérée comme très importante en environnement, se définit comme une capacité d'anticiper avant d’agir, d'estimer le futur avec un certain degré de certitude, d'extrapoler les tendances du présent vers l'avenir, de tenir compte des turbulences de l’environnement (pour adapter ses buts en conséquence) et de maintenir une vision de l’avenir cohérente et fonctionnelle (Slaughter, 2002). Le raisonnement lié à la pensée prospective consiste à construire des scénarios (probables, possibles, préférables) au sujet de ce qui pourrait 12 se produire dans l’avenir puis à analyser et à évaluer ces scénarios, en collaboration avec les pairs (Godet, 2001). Ainsi, pour développer la pensée prospective chez les élèves, ceux-ci pourraient être invités à penser à long terme et à envisager et évaluer plusieurs scénarios alors qu'ils observent un problème local, choisissent des solutions, aménagent un espace sain ou aident des citoyens exposés à des nuisances environnementales. En visualisant des hypothèses et des images représentant ce qui pourrait advenir plus tard, les élèves apprendraient à construire des espaces et des solutions désirables et durables, en suggérant des moyens de parvenir à ces objectifs. En environnement, la prévision des risques se définit comme un processus évaluatif dans lequel on mesure la probabilité, le moment d'apparition et la dimension d’effets environnementaux néfastes à la suite d’exposition à des facteurs de stress (Environmental Protection Agency, 1992). Le raisonnement optimal lié à la prévision des risques consiste à identifier plusieurs dangers et leurs impacts (gains et pertes), à calculer la probabilité des risques, à évaluer leur gravité, à identifier les lieux et les personnes menacés, à prédire le moment où les dangers se produiront et à analyser la vulnérabilité de la communauté (ou de l'objet) aux risques (Morgan et coll., 2002). En ERE, les élèves pourraient apprendre à considérer toutes ces dimensions du risque en analysant un problème ou en planifiant ou restaurant un lieu. La pensée connective se définit comme une réflexion sur les liens entre divers éléments d’une situation et sur les conséquences de ces liens (Sterling & Maiteny, 2005). La pensée connective est aussi appelée systémique, relationnelle ou holistique. Pour aider les élèves à développer leur pensée connective, on pourrait inviter ceux-ci à identifier des variables et des liens entre les variables, à comparer des éléments, à prévoir des conséquences en chaîne ou à faire des analogies alors qu'ils analysent une situation ou participent à un projet d’aménagement écologique. La pensée de design, distincte de la résolution de problèmes et étroitement associé à l'innovation, a été créée en observant divers designers (ingénieurs et artistes) pendant la création de leurs produits. Il s'agit d'une façon créative et collaborative de travailler 13 ayant pour but de créer un produit novateur qui répond aux besoins des utilisateurs et aux intérêts des concepteurs (Lockwood, 2010). Durant le design, l'intuition est mise à profit, l'expérimentation de prototypes est rapide, les échecs sont perçus comme des facteurs d'apprentissage et le nombre de solutions générées est large, pour se terminer souvent par la production d'un seul objet. La pensée de design prend avantage des deux hémisphères du cerveau. Le processus de design consiste d'abord à rechercher les besoins des utilisateurs du produit que l'on veut créer (Cross, 2011). Le designer emploie une démarche ethnographique pour regarder et écouter les besoins des futurs utilisateurs de son produit. Par la suite, il visualise et dessine des prototypes, les expérimente rapidement (pour explorer leurs possibilités) ou les soumet à la critique des pairs et des utilisateurs (pour obtenir une rétroaction). Il prend des pauses pour laisser naître de nouvelles idées et redéfinir le but de sa création. Le produit doit réconcilier les intérêts techniques, sociaux, financiers et esthétiques des utilisateurs et des concepteurs. La pensée de design est abductive (imaginer ce qui pourrait exister) et non déductive ou inductive comme la résolution traditionnelle de problèmes. En ERE, alors qu’ils créent des structures pour abriter la faune, des modes d’utilisation durable des ressources, des outils de protection contre les nuisances environnementales ou lieux viables, les élèves pourraient être invités à faire appel à un processus de design. On les inviterait à définir longuement le problème, les objectifs du produit à créer et les intérêts et besoins des utilisateurs. Ils travailleraient en groupe pour envisager et dessiner divers concepts. Ils essayeraient immédiatement des prototypes. Ils pourraient prendre une distance afin de laisser venir d’autres solutions ou de raffiner les solutions en fonction des objectifs. L’innovation, tant technique que comportementale, est essentielle en environnement. En effet, dans ce domaine, il est primordial de trouver de nouvelles façons de vivre, de construire, utiliser et distribuer les produits et les lieux. Quant à elle, la planification est l’orchestration de processus cognitifs et motivationnels interdépendants, influencés par le contexte et réunis pour atteindre un but (Friedman & Scholnick, 1997). Un plan est une représentation d'une série d'actions orchestrées pour produire un résultat donné, après sa mise en pratique (Pea & Hawkins, 1987). Le planificateur anticipe une réalité qui n’existe pas encore (Scholnick & Friedman, 1987). Il doit être capable de visualiser, dans l'espace et le temps, les actions qui seront 14 réalisées, les moments, la durée, la fréquence, les lieux, les fonctions, les conséquences et les circonstances (Kreitler & Kreitler, 1987). Planifier consiste ainsi à pré-évaluer les actions possibles, à l’aide de critères tels l’efficacité, la concordance avec le contexte et certaines considérations mathématiques : grandeur, nombre et proximité spatiale (Zhang & Norman, 1994). Planifier, c’est construire une séquence ordonnée des actions et pré-actions que l’on veut réaliser, tout en tenant compte des contraintes et des situations (Gauvin & Rogoff, 1989). Parfois, l'on planifie toutes les actions à l’avance puis on exécute et parfois, un flot constant d’informations circule entre la création de la stratégie, l’exécution et sa révision au fur et à mesure que des imprévus surgissent (Sacerdoti, 1977). Planifier, c'est enfin surveiller les progrès des actions et réparer les insuccès (Friedman & Scholnick, 1997). La planification souple et collaborative pourrait être encouragée chez les élèves dans le cadre de projets d’action tels la préparation d’outils de sensibilisation du public, ou la planification de mesures d’adaptation aux changements climatiques, de mini-lieux de biodiversité ou de modes de vie écologiques. En suivant l’exemple des leaders que nous avons interrogés, les élèves pourraient être invités, en collaboration avec leurs pairs et avec les acteurs du projet, à choisir les actions à réaliser (en fonction de critères), les moments de leur réalisation, la durée, la fréquence, les lieux et les impacts, tout en tenant compte du contexte du projet. Ce faisant, ils prépareraient plusieurs plans qu'ils soumettraient à leurs partenaires. Les actions possibles seraient évaluées ainsi que les résultats après la mise en place des actions. Conclusion L’étude fournit des suggestions de nouvelles compétences à développer chez les apprenants en ERE. En effet, l’être humain modifie constamment l'environnement, de manière favorable ou non. Il serait fécond que les élèves apprennent non seulement à résoudre les problèmes environnementaux, mais aussi à planifier des environnements sains et à adapter ceux qui le sont moins. Les stratégies pédagogiques facilitant le développement de ces nouvelles compétences pourraient faire l’objet de recherches théoriques (recension des écrits pour mieux comprendre les dites compétences) et pratiques (essais de stratégies pour accroître les compétences des élèves). De plus, au 15 fur et à mesure que se multiplient les solutions aux problèmes et les aménagements sains du milieu, il y aurait lieu de poursuivre la compréhension des talents et des ressources que déploient les leaders qui assurent la création de milieux de vie mieux articulés et plus réfléchis quant à leurs impacts sur la santé humaine, végétale et animale. Il y aurait lieu aussi d’explorer la possibilité de mettre en place des espaces de discussion et de réflexion pour réfléchir en classe aux différentes composantes de la société et aux comportements de ses membres. L’ERE représente une pédagogie idéale pour rendre les élèves aptes à évaluer l’information, à comprendre leur monde et à y considérer les valeurs impliquées. Ainsi, les élèves pourraient examiner les différentes institutions et leurs rôles dans la gestion et la conservation durable de l’environnement. En effet, chaque société dispose de moyens pour régir le vivreensemble. Chaque citoyen doit alors recevoir une éducation le rendant capable de mieux comprendre les problèmes complexes et d’examiner les présupposés généralement admis. Il ne s’agit donc pas de réfléchir uniquement à ce à quoi on pense généralement, mais aussi à la manière dont on pense. Il ne s’agit pas non plus de réfléchir uniquement à ce qu’on souhaite faire, mais aussi à la manière et aux conditions dans lesquelles les actions seront faites. Conséquemment, comme le font les leaders environnementaux interrogés dans cette étude, les élèves pourraient être conduits à devenir des citoyens créatifs, capables d’identifier et de modifier s’il le faut, les conditions personnelles et publiques de réalisation des projets environnementaux. Références : Adejumo, G., Duimering, P. R. & Zhong, Z. (2008). A balance theory approach to group problem solving. Social Networks,30, 83-99. Arendt, R. (1996). Conservation design for subdivision: A practical guide for creating open space networks. Washington: Island Press. Breiting, S., Hedegaard, K., Mogensen, F., Nielsen, K. & Schnack, K. (2009). Action competence,conflicting interests and environmental education. Copenhagen, Denmark: Aarhus University. 16 Cohen, J. (1960). A coefficient of agreement for nominal scales, Educational Psychology Measures, 20, 27-46. Cross, N. (2011). Design thinking. Oxford, UK: Berg. Environmental Protection Agency. (1992). Framework for Ecological Risk Assessment. Risk Assessment Forum. Washington : EPA. Évéquoz, G. (2004). Les compétences clés. Paris : Liaisons. Friedman, S.L. & Scholnick, E.L. (1997). The developmental psychology of planning: why, how, and when do we plan? Mahwah, New Jersey: Lawrence Erlbaum. Gauvin, M., & Rogoff, B. (1989). Collaborative problem-solving and children’s planning skills. Developmental psychology, 25, 139-151. Godet, M. (2001). Creating futures. Scenario planning as a strategic management tool. Washington, DC : Brookings Institutions. Inayatullah, S. (2007). Questioning the future: Methods and tools for organizational and societal transformation. Tamsui and Taipei: Tamkang University Press. Innerarity, D. (2006). La démocratie sans l'État: essai sur le Gouvernement des sociétés complexes. Paris: Flammarion-Climats. Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). (2005). Report of the Joint IPCC WG II & III Expert meeting on the integration of Adaptation, Mitigation and Sustainable. Reunion Island, France. Jensen, B.B. & Schnack, K. (1997). The Action Competence Approach in Environmental Education. Environmental Education Research, 3 (2), 163-178. Joannert, P., Barrette, J., Boufrahi, S. & Masciotra, D. (2004). Contribution critique au développement des programmes d’études : compétences, constructivisme et interdisciplinarité. Revue des sciences de l’éducation, 30(3), 667−696. Kerry, J. (2010). Les compétences démontrées par des employés municipaux impliqués dans un processus d'adaptation aux changements climatiques, Thèse de maîtrise, Moncton, Université de Moncton, Canada. Kolb, D. A. (1984). Experiential Learning. Englewood Cliffs, NJ.: Prentice Hall. Kreitler, S. & Kreitler, H. (1987). Conceptions and processes of planning: The developmental perspective. In S. L. Friedman, E. K. Sholnick, & R. R. Cocking (Eds.), Blueprints for thinking: The role of planning in cognitive development (pp. 205-272). Cambridge, England: Cambridge University Press. 17 Le Boterf, G. (1997). De la compétence à la navigation personnelle. Paris: Les Éditions d’Organisation. Lockwood, T. (2010). Design thinking. New York: Allworth Communications. Mogensen, F. & Schnack, K. (2010). The action competence approach and the new discourses of education for sustainable development, competence and quality criteria. Environmental Education Research, 16 (1), 59-74. Morgan, M. G.., Fischhoff, B., Bostrom, A., & Atman, C. J. (2002). Risk communication: A mental models approach. New York: Cambridge University Press. Pea, R. D., & Hawkins, J. (1987). Planning in a chore-scheduling task. In S. L. Friedman, E.K. Scholnick, & R.R. Cocking (Eds.), Blueprints for thinking: The role of planning in cognitive development (pp. 227, 273-302). Cambridge, England: Cambridge University Press. Peterson, C. & Seligman, M. (2004). Character strengths and virtues : A handbook classification. New York : Oxford University Press. Pruneau, D., Lang, M., Kerry, J. & Fortin, G. (soumis). Les ressources déployées par des leaders en écodéveloppement. Quelles leçons pour l'éducation relative à l'environnement? Éducation relative à l’environnement : regards, recherches, réflexions. Pruneau, D., Kerry, J., Laroche, A.-M., Mallet, M.A.; Freiman, V. Evichnevetski,E., Therrien,J., Lang, M., Barbier, P.-Y. & Langis, J. (2012). The competencies demonstrated by farmers while adapting to climate change. International Research in Geographical and Environmental Education, 21 (3), 247-260. Pruneau, D., Utzschneider, A. & Langis, M. (2008). The decision-making process of students involved in a sustainable residential development project, Proceedings of the 2nd International Sustainability Conference, Bales, Suisse, August 2008, CD-Rom: ISBN 978-3-906129-48-8. Sacerdoti, E. D. (1977). A structure for plans and behavior. Amsterdam: Elsevier. Société d'aménagement Grenoble Espace Sud (SAGES). (2011). Grenoble, De Bonne, un écoquartier dans la ville. Grenoble, France: SAGES. Schön, D. (1983) The Reflective Practitioner. How professionals think in action, London: Temple Smith. Sauvé, L. (2002). L’éducation relative à l’environnement : possibilités et contraintes. Connexion, La revue d’éducation scientifique, technologique et environnementale de l’UNESCO, 27 (1/2), 1-4. 18 Scholnick, E. K., & Friedman, S. L. (1987). The planning construct in the psychological literature. In S. L. Friedman, E.K. Scholnick, & R.R. Cocking (Eds.), Blueprints for thinking: The role of planning in cognitive development (pp. 3-38). Cambridge, England: Cambridge University Press. Slaughter, R. A. (2005). Futures thinking for social foresight. Tamsui, Taiwan: Tamkang University Press. Sterling, S. & Maiteny, P. (2005). Linking thinking. Scotland: World Wildlife Fund. Zhang, J., & Norman, D. A. (1994). Representations in distributed cognitive tasks. Cognitive Science, 18, 87-122. 19