QUEL AVENIR POUR LES COMMERCES DE CENTRE
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QUEL AVENIR POUR LES COMMERCES DE CENTRE
52 4 QUEL AVENIR POUR LES COMMERCES DE CENTRE-VILLE ? Un essai de prospective… Par Emmanuel Ducasse, Directeur des Études, Crédit Foncier Immobilier. 4.1 / INTRODUCTION L a question de l’avenir des boutiques peut effectivement se poser, à une époque où nous assistons à un changement de paradigme dans les modes de consommation, marqué par la percée spectaculaire du commerce sur Internet. DAVID CONTRE GOLIATH L’e-commerce a en effet progressé de 80 % en trois ans, avec un chiffre d’affaires estimé de 60 Md€ en 2012. Cette exceptionnelle percée est directement corrélée à la floraison des sites marchands, qui seraient 120 000 en France, toutes catégories confondues, pour seulement cinq cents « enseignes » physiques (1). L’offre a continué de s’accroître, avec notamment 19 000 sites supplémentaires en un an, en progression de 18 %. Ces chiffres sont néanmoins à rapprocher du nombre des acheteurs sur le web, qui s’est encore accru de 5 %, pour atteindre 32,6 millions d’e-consommateurs français (2), traduisant une pénétration inédite de l’e-commerce sur le segment des seniors, jusque-là réticents à sortir du commerce physique. Cette progression ne s’est pas interrompue au premier trimestre 2013, pour lequel on annonce une hausse de 14 % des ventes sur Internet, et un montant de 12,1 Md€, supérieur de 20 % aux chiffres du premier trimestre 2012. LE VOLUME DES VENTES STAGNE Dans la distribution physique, la baisse du pouvoir d’achat (3), accompagnée d’un recul de la consommation des ménages (1) Source Fevad (Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance) – 16 mai 2013. (2) Source : Médiamétrie – Observatoire des usages d’Internet – mars 2013. (3) – 0,9 % sur douze mois, source Insee. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 53 études Figure 1. Volume des ventes dans le commerce de détail, hors ventes et réparation d’automobiles et motocycles (volume CVS-CJO base et référence 100 en 2010) (Source : Insee.) 105 104 103 102 101 100 99 98 97 96 01/ 20 03/ 07 20 05/ 07 20 07/ 07 20 09/ 07 200 11/ 7 200 01/ 7 200 03/ 8 200 05/ 8 20 07/ 08 20 09/ 08 200 11/ 8 200 01/ 8 200 03/ 9 200 05/ 9 200 07/ 9 200 09/ 9 200 11/ 9 200 01/ 9 201 03/ 0 201 05/ 0 201 07/ 0 201 09/ 0 201 0 11/ 201 0 01/ 201 03/ 1 201 05/ 1 201 07/ 1 201 09/ 1 201 1 11/ 201 1 01/ 201 03/ 2 201 05/ 2 201 07/ 2 201 09/ 2 201 2 11/ 201 2 01/ 201 03/ 3 201 3 95 (– 0,4 %, selon la même source), se fait nettement sentir. Sur le net, et contrairement à ce que l’on observe dans le commerce physique, la chute du panier moyen n’est pas une mauvaise nouvelle : elle traduit la banalisation de l’acte d’achat électronique. Les derniers chiffres publiés (4) accusent une nouvelle baisse de 4 %, à 85 e, contre 92 e il y a deux ans. en un an, passant de 4 % à 10 % du chiffre d’affaires des grands sites marchands ; ◗ la structuration de l’offre par les sites « places de marché », ou market places a permis à ce canal un bond de 50 % en termes de chiffre d’affaires au cours des douze derniers mois. QUE FAUT-IL EN INDUIRE ? En réalité, les internautes achètent plus souvent, et n’hésitent plus à faire des petites commandes plus nombreuses (de 4,8 à 5,5 achats par trimestre). Leur dépense globale s’est ainsi accrue pour atteindre 467 € par an (contre 427 € il y a un an). LES NOUVELLES « COMMERCIALITÉS ÉLÉCTRONIQUES » GAGNENT DU TERRAIN Les derniers mois ont vu se dégager deux tendances majeures, de nature à relancer, s’il en était besoin, la pénétration de l’e-commerce : ◗ les ventes réalisées en mobilité, c’est-à-dire depuis des terminaux portables (smartphones, tablettes), ont doublé (4) Source Fevad, dito. L’offre de produits sur Internet tend à se généraliser, voire s’universaliser : les sites market places déploient un référencement inédit de produits. Ces sites jumbos attirent le consommateur en lui donnant l’assurance d’y trouver à chaque fois ce qu’il cherche, et au meilleur prix, puisque plusieurs commerçants vont y entrer en concurrence sur les mêmes articles. Pour le commerce physique, c’est un nouveau coup dur : impossible de lutter, en termes d’offre ou de prix, contre une telle puissance commerciale, qui tend à rendre captif le client par des suggestions d’achat liées aux articles consultés. 54 quel avenir pour les commerces… Les ventes sur mobile (5) semblent constituer une variante portable de l’e-commerce, sans lui apporter en réalité une différence notable dans l’expérience d’achat. Le croire serait une erreur : l’achat en mobilité reste en fait moins commode que l’achat fait à domicile, devant un terminal plus ergonomique et plus lisible. Car le smartphone (pourvu qu’il ait un écran de bonne taille) ou la tablette peuvent désormais flasher les QR codes ou les codes barres des articles présentés dans les boutiques physiques : la comparaison des prix avec les sites marchands est immédiate et déclenchera un acte d’achat, le plus souvent au détriment du commerçant physique. LE COMMERCE DE DÉTAIL EST UN JEU À SOMME NULLE En période de crise économique et de contraction du budget des ménages, lorsque le commerce en ligne progresse, c’est nécessairement au détriment de la distribution physique. Que reste-t-il donc à la commercialité des boutiques de pied d’immeuble ? Suffira-t-elle face aux assauts du monde virtuel ? Quittons les e-shops pour les échoppes, et retournons dans le monde réel observer ce qui fait et conditionne l’intérêt commercial d’un local physique. 4.2 / LA COMMERCIALITÉ, cette inconnue UNE NOTION COMPLEXE La plus complète définition de la commercialité se trouve dans la loi, qui nous enseigne qu’un local commercial est celui où est exploitée une activité… commerciale. Le tout premier article (6) du livre premier du titre premier du code du commerce dresse la liste des actes de commerce « par nature ». On y trouve, entre autres choses : ◗ les achats de biens meubles ou immeubles pour les revendre ; ◗ les opérations d’intermédiaire dans la vente de différents types de biens ; ◗ les entreprises de location de meubles ; ◗ les entreprises de production, de commission, et de transport ; ◗ les agences, bureaux d’affaires, ventes à l’encan et entreprises de spectacles ; ◗les changeurs, les courtiers et les banquiers ; ◗ les opérations entre marchands et banquiers ; ◗ et, enfin, les lettres de change, effets de commerce dont la circulation est intimement commerciale… Sauf à les exercer sur les places publiques, les foires ou les marchés forains, toutes ces activités à but essentiellement lucratif s’abriteront à l’intérieur d’immeubles plus ou moins adaptés à cet usage. LE FONDS DE COMMERCE La notion de fonds de commerce est ici à l’œuvre : l’article L. 145-1 du code du commerce étend le champ d’application et le bénéfice des dispositions relatives au bail commercial aux « immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité ». Le lien entre l’activité commerciale exercée dans les murs et leur localisation semble aller de soi pour tout professionnel spécialiste de l’immobilier commercial. À un premier degré d’analyse, une bonne situation commerciale, propice au développement d’affaires florissantes, ne peut que favoriser la croissance de l’entreprise qui y a trouvé son gîte. C’est ce lien que remet aujourd’hui en question le développement de l’e-commerce qui, dans sa forme la plus dématérialisée, n’a nul besoin d’un local doté d’une bonne commer- (5) Pompeusement dénommées « m(obile)-commerce ! (6) Il s’agit de l’article L. 110-1 du code du commerce. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 55 études Il est bon de s’interroger SUR LA manière DONT la géographie peut avoir un effet économique sur les murs de commerce. Un local adapté à l’activité commerciale Cette qualité s’exprime dans la surface et la distribution du local, qui seront plus ou moins propices ou adaptées à l’exploitation d’une activité marchande (7). Pour des raisons pratiques évidentes, cet aspect de la commercialité n’est pas le principal : la plupart des locaux situés en pied d’immeuble peuvent être transformés en commerces, dès lors que l’ouverture de vitrines est techniquement possible. cialité, et se satisfait d’entrepôts quelconques, situés dans des zones d’activités excentrées qu’aucun client ne viendra jamais visiter. Une situation et un emplacement favorables Le plus important de la commercialité des murs de boutique réside bien dans l’emplacement, qui sera à jamais intangible, à défaut de pouvoir déplacer l’immeuble après sa construction… Il est bon de s’interroger, non pas sur ce qui favorise l’activité commerciale, mais sur la manière dont la géographie peut avoir un effet économique sur l’immeuble : à l’évidence, un bon emplacement améliorera le chiffre d’affaires ou les marges (ou les deux à la fois) de l’exploitant commercial, en même temps que les loyers, et donc la valeur du bien. La qualité de l’emplacement commercial remise en cause Si l’on peut développer un business lucratif dans un simple entrepôt, la commercialité géographique, qui fonde la valeur des murs commerciaux, est nécessairement mise à mal. Nous avons vu que la commercialité des murs de boutique était directement liée à leurs qualités propres, relativement à l’exploitation d’une activité commerciale. La relation entre ces éléments est simple, mais se comprend encore mieux avec le schéma suivant. Chiffre d’affaires Marge commerciale Taux d’effort locataire Loyer supportable charges incluses Valeur des murs Taux investisseur Loyer effectif pratiqué (7) Nous ne développerons pas ce point, qui éloignerait de notre sujet. On peut toutefois remarquer que le format des murs de boutique se révèle extrêmement variable, à partir de la structure de base du local standard. Celui-ci comprend une surface principale de vente en rez-de-chaussée, ouverte au public et éclairée par une vitrine sur rue. S’y accolent des surfaces secondaires de plus petite taille, inaccessibles à la clientèle, et affectées à usage de réserves, bureaux ou locaux réservés à l’exploitant. La distribution intérieure offrira ensuite une plus ou moins grande commodité pour présenter la marchandise, organiser le parcours des clients entre les rayons, faciliter l’essayage ou le passage en caisse. Dans une certaine mesure, cette distribution pourra être revue et corrigée en fonction des besoins, si toutefois la structure de l’immeuble le permet. 56 quel avenir pour les commerces… C’est la réalisation d’un chiffre d’affaires à l’intérieur de la boutique (8) qui va être au début de la chaîne de valeur. Plus le commerçant prospère, et plus il peut « partager » son profit avec le propriétaire des murs. Ce partage, entendu au sens économique, n’est évidemment pas volontaire, mais s’effectue par le jeu du marché : lors de la conclusion du premier bail, c’est le locataire qui offrira le plus fort loyer (9) qui s’assurera l’exclusivité du site, au détriment des autres candidats moins offrants. Par la suite, les preneurs à l’activité moins rentable pourront valoriser leur droit au bail à l’occasion d’une cession de leur fonds (10). Dès l’origine, et dans la vie de l’immeuble, ce sont les activités commerciales générant les plus fortes marges qui pourront supporter les loyers les plus élevés, et monopoliseront les meilleures situations commerciales de centre-ville. 4.3 / QU’EST-CE QU’UNE « BONNE » COMMERCIALITÉ ? EN QUELQUES MOTS Il nous reste à expliquer par quelle alchimie un emplacement géographique peut se transmuter en chiffre d’affaires. C’est la formule magique : tout le monde, ou presque, sait que les meilleurs chiffres d’affaires se réalisent en cœur de ville, dans des environnements urbains denses, marqués par des accès piétonniers et automobiles commodes, une des- serte facilitée par les transports en commun, le tout déterminant une densité (et souvent une diversité) commerciale maximale. C’est ici la « recette du succès » qui appellerait de plus amples développements sur le subtil dosage des ingrédients de l’aménagement commercial (11). Car la commercialité se cristallise et ne se décrète pas, comme le croient encore certains politiques ou certains promoteurs. En vérité, même cette recette ne garantit pas la réussite commerciale. Pour la comprendre, nous devons expliciter et comparer entre elles des notions usuelles, mais mal connues : la commercialité de flux, la commercialité de proximité et la commercialité de destination. LA COMMERCIALITÉ DE FLUX : COMMENT ÇA MARCHE ? Si le flux peut être défini comme un mouvement ou un déplacement de chalands, la commercialité de flux existe dès lors que l’emplacement des murs commerciaux bénéficie d’une circulation plus élevée que la moyenne. Ce flux caractérise toute artère un tant soit peu commerçante, mais aussi la proximité des gares, les passages commerciaux qui relient une rue à une autre, le voisinage de services publics fréquentés (12) ou de lieux de culte, les places publiques, et notamment les places de marché. Mieux encore, lorsque le flux est canalisé et forcé, n’importe quel hydraulicien saura que le débit est accéléré : c’est exactement ce qui se passe sur les lieux où des foules importantes se déplacent de façon cohérente, parce qu’elles n’ont (8) Voire à l’extérieur, lorsque le commerçant exploite une terrasse ouverte ou fermée sur la voie publique, en vertu d’une convention d’occupation précaire du domaine public. (9) Le loyer nominal est accru par le versement d’un « pas de porte » ou encore « droit au bail » au propriétaire des murs. Ce capital représente la contrepartie de l’indisponibilité juridique du bien pour le propriétaire, résultant du régime des baux commerciaux instauré par le décret de 1953, qui fait bénéficier le locataire d’un droit au renouvellement de son bail, assorti d’un plafonnement du loyer. Au sens économique, le « pas de porte » peut également être conçu comme le prix de la perte locative que subira le propriétaire bailleur du fait du plafonnement du loyer. Si l’on décapitalise le « pas de porte » sur une durée proche de celle du bail, on peut en effet calculer au moyen d’un taux d’actualisation financier son équivalent en supplément de loyer. (10) C’est ainsi que la valeur du droit au bail peut représenter l’essentiel de la valeur du fonds de commerce, si les autres éléments de ce dernier ne peuvent se valoriser. (11) Étant observé que l’aménagement commercial n’est guère possible que dans les centres commerciaux et retail parks, mais peu envisageable dans la rue, où c’est la « main invisible » du marché qui façonne les zones de commercialité. (12) Tels que La Poste, les bureaux de Sécurité sociale ou les centres des impôts, les mairies, les centres de loisirs, les écoles, etc. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 57 études pas d’autres voies de passage. Le succès récent du commerce en gare (13), que l’on a enfin pris la peine de développer 180 ans après la création des premiers chemins de fer, ne doit rien au hasard. Le métier du commerçant est de transformer un flux en chiffre d’affaires, ce qui ne va pas de soi, quoi qu’on en pense. Car, d’une part, seule une infime partie du flux va entrer dans la boutique et, d’autre part, certains des chalands qui seront entrés ressortiront sans rien acheter. La dernière phase de ce cycle est à la fois la plus importante et la plus brève, du moins si l’attente en caisse ou au retrait des achats n’est pas excessive ! Le chaland est devenu un client et en principe, il a payé ses emplettes et ce faisant contribué pour une part modeste au résultat du commerçant, ainsi qu’au loyer versé au bailleur. Décomposé en étapes simples, le processus est le suivant. Intérêt du client retenu Arrêt sur vitrine Entrée dans la boutique Paiement et sortie Expérience d’achat Expérience shopping (13) Les 80 boutiques de la galerie « Cœur Saint-Lazare », quelques mois après leur ouverture, affichaient déjà une fréquentation record, et un chiffre d’affaires de près de 14 000 € le m2. 58 quel avenir pour les commerces… 4.4 / LES PHASES DE LA VENTE EN MAGASIN PHYSIQUE 1. Retenir l’attention du chaland Il ne suffit pas, en effet, que des chalands passent et repassent devant un local pour qu’ils y entrent et y fassent des achats. Le local doit encore être visible, grâce à une signalétique appropriée (bandeau, vitrine, enseigne lumineuse…), et surtout il doit proposer des biens ou des services en rapport avec la clientèle de flux. Un centre commercial de banlieue, à vocation principalement alimentaire, risque fort d’offrir un emplacement décevant pour un commerce de luxe. À l’inverse, un hard-discounter trouverait peut-être des difficultés à prospérer rue de la Paix. Ce n’est pas pour rien que les gestionnaires de centres commerciaux, professionnels aguerris du marketing, sélectionnent des enseignes complémentaires les unes des autres et cohérentes avec le niveau social de la clientèle visée. 2. Le faire entrer dans le point de vente À ce stade, c’est le type de produits ou services proposés, leur marque ou la force de l’enseigne qui déclenche l’impulsion du futur client. La mise en valeur de la marchandise, notamment par les vitrines extérieures ou toute autre forme de communication (affiche, sticker, panneautage, bannière, promotion…), permet de « ferrer » le prospect qui n’était jusque-là que vaguement intéressé. Tout cela relève de l’industrie et de l’habileté du commerçant, occupant des lieux. Le propriétaire des murs ne saurait s’immiscer dans sa gestion (sous peine de se voir appliquer par le juge commercial la solidarité des gestionnaires de fait). 3. Lui offrir une « expérience shopping » On utilise de plus en plus ce terme pour qualifier l’attitude du prospect qui examine les produits qu’on lui propose, les essaie, discute avec le commerçant, recherche un conseil, compare les prix, etc. Pour autant, on est encore loin de la réalisation de la vente, d’autant plus loin, même, qu’à cette étape, le client aura acquis des informations qui le pousseront peut-être à aller voir ailleurs. C’est alors le rôle du vendeur, depuis des temps immémoriaux, que de convaincre le client de passer à l’acte. 4. déclencher l’expérience d’achat L’intérêt de la caractériser est aujourd’hui de bien séparer « expérience shopping » et expérience d’achat, de comprendre qu’un client qui évolue dans un environnement agréable, avec un choix important de références et des prix modérés ne sera pas forcément acheteur (14). Les tablettes et smartphones lui permettent aujourd’hui de scanner les codes barres et de découvrir un autre magasin ou un site Internet proposant le même article à un prix inférieur, en solde, voire en promotion. À tel point qu’un magasin australien imposait il y a quelques semaines un droit d’entrée de 5 $AU à tout client ressortant du magasin sans achat ; l’exploitant, excédé par le « tourisme commercial », expliquait qu’il ne pouvait indéfiniment financer un showroom pour ses concurrents, et permettre à la clientèle de choisir et toucher sa marchandise, afin de mieux la commander en ligne (15). Faciliter l’achat est désormais une condition nécessaire pour réaliser le chiffre d’affaires dans la boutique, et éviter sa perte au profit d’un concurrent physique ou d’un e-commerçant. (14) Il faut observer qu’à l’inverse de l’« expérience shopping », souvent vécue de façon agréable et positive par le consommateur, l’expérience d’achat est un épisode désagréable : au plan économique, l’achat est un échange entre un bien ou un service et sa contrepartie monétaire ; au plan juridique comme sociologique, le client se dépossède d’une somme d’argent, réalise un « sacrifice » financier pour se procurer le produit, en éprouvant parfois quelques regrets. La décision d’achat et le passage en caisse sont ainsi une difficulté à surmonter, à laquelle tout commerçant se doit de prêter la plus grande attention. (15) On est loin des panneaux « entrée libre » que les petits commerçants mettaient autrefois sur leur porte pour convaincre leurs clients qu’ils pouvaient entrer et demander des renseignements sans devoir nécessairement ouvrir leur porte-monnaie ! l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 59 études 4.5 / DES CERTITUDES ET DES QUESTIONS SUR L’E-COMMERCE DES CERTITUDES La boutique reste le lieu privilégié de l’« expérience shopping ». Ses arguments sont la présentation et la mise en valeur des produits à vendre par l’aménagement des vitrines, des étals et des rayons (16), les conseils et informations que dispensent les vendeurs. Face à cela, l’e-commerce propose des informations techniques complètes, des comparatifs, des avis de consommateurs et, une mise en scène qui reste limitée à des pages web. L’e-commerce est désormais en mesure de capitaliser sur le shopping en magasin. Cela l’aidera encore plus à récupérer du chiffre d’affaires. Son développement passe, ainsi, par une forme de parasitisme des concurrents physiques, auquel le monde du commerce répond par le cross-canal, ensemble de pratiques qui combinent vente en ligne et magasin physique. DES QUESTIONS Quel est le rôle du magasin physique sur une commercialité de flux ? Comme toute boutique, lieu où se réalisent des échanges monétaires, le magasin en situation de flux est destiné à la présentation de biens ou de services, et à leur vente au public. Par leur positionnement proche d’un flux, les murs commerciaux permettent d’espérer en capter une fraction, même infime, comme le font ces bivalves qui filtrent des mètres cubes d’eau de mer juste pour récupérer quelques milligrammes de substance nutritive ! La commercialité de flux est-elle menacée par le commerce sur Internet ? Forcément, oui, et dans la mesure où la qualité de la commercialité a une incidence indirecte mais forte sur la valeur des murs, il est évident que l’e-commerce affectera la valeur du patrimoine commercial. Il convient, toutefois, de décliner la commercialité de flux, selon la source du flux, qui sera généré par un avantage de situation, lié à une commercialité de destination ou de proximité. 4.6 / DESTINATION OU PROXIMITÉ : LA RÉSISTANCE S’ORGANISE L’E-COMMERCE, À LA CROISÉE DES CHEMINS L’e-commerce est à la fois lointain, dans son organisation logistique complexe, et proche du consommateur, en entrant dans tous les ménages équipés d’une connexion Internet. Son éloignement matériel (on n’imagine guère par quels serveurs transite la commande) demeure transparent pour l’e-consommateur, dès lors que les délais de livraison sont courts, réduits, et même, à un ou deux jours ouvrés pour les sites les plus performants. En outre, l’e-commerce offre une facilité d’achat de plus en plus grande, grâce aux progrès techniques des sites et du paiement en ligne (17). L’immédiateté de la transaction électronique et la réduction à presque rien du délai de livraison risquent d’être des atouts décisifs face au commerce physique de proximité, qui n’existe que par la facilité qu’il offre au consommateur. Voyons donc comment les boutiques physiques pourront résister. (16) Les « marketeux » nous parlent d’« univers », terme recouvrant une charte de couleurs (voire d’odeurs) et des slogans et supports photo ou vidéo véhiculant une image de marque idéalisée. (17) L’expérience d’achat sur Internet est grandement facilitée par la sécurisation des moyens de paiement, la mise à disposition de serveurs « https » sécurisés, de liens directs vers la banque du client ou encore de moyens de règlement déportés comme Paypal. Les achats faits en mobilité sur des tablettes ou des smartphones sont également facilités par l’édition « d’applis » spécialisées, adaptées à la petite taille des écrans. 60 quel avenir pour les commerces… LA COMMERCIALITÉ DE DESTINATION... on y revient ! Souvent, la commercialité de destination (bien à tort opposée à la commercialité de flux) attire le chaland par ses qualités propres, fonctionnant à la manière d’un « aspirateur à pouvoir d’achat ». Les commerces qui en bénéficient craignent moins la concurrence que les autres, assurés qu’ils sont de voir venir à eux, naturellement et de façon récurrente, un flux de clientèle déjà captif. La commercialité de destination est le principe de fonctionnement même du centre commercial, dont la taille, surtout s’il est organisé autour d’une grande surface alimentaire/ généraliste servant de « locomotive », garantit aux boutiques du mail un flux canalisé de chalands. On la retrouve avec la même efficacité dans les galeries commerciales, attrayantes par elles-mêmes, dès lors qu’elles sont considérées comme des « destinations shopping », faisant partie d’un circuit de courses déjà établi. On la trouve, en fait, à chaque fois que des boutiques profitent d’un environnement qui attire le consommateur. Depuis la paillote de plage (18) jusqu’au très sélect magasin de bronzes du Louvre des Antiquaires en passant par les boutiques qui fleurissent au voisinage des cimetières ou des monuments célèbres, la commercialité de destination s’autogénère par le seul attrait d’une offre commerciale unique, ou du voisinage d’un site fréquenté. Les meilleures adresses du luxe parisien, que ce soient les Champs-Élysées, la rue Saint-Honoré ou la rue de la Paix, constituent en soi des commercialités de destination, et attirent des foules de touristes et de badauds qui, venus pour la promenade ou le shopping sans but précis, finiront bien par acheter quelque chose… On peut ainsi prétendre, non sans cultiver le paradoxe, qu’une excellente commercialité de flux, de par l’attractivité commerciale qu’elle génère, forme aussi une commercialité de destination, et qu’une excellente commercialité de destination est toujours génératrice d’un flux. On retrouve sans surprise un schéma classique. Attractivité du lieu Flux de chalands Captation d’une part du flux Valeur des murs Loyer versé au bailleur Supplément de chiffre d’affaires (18) On l’oublie souvent, la paillotte est l’ancêtre combustible du store éphémère. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 61 études Notons, toutefois, que certaines activités commerciales un peu rares, car très spécialisées, génèrent leur propre commercialité de destination. Ces commerces peuvent vivre sur des emplacements secondaires dépourvus de flux, puisqu’ils capitalisent sur le bouche-à-oreille ou leurs marchés de niche : c’est le cas, en général, des fournitures techniques et des consommables pour professionnels, de certains articles de sport très « pointus » ou destinés aux arts graphiques, des services et prestations à caractère artistique (reliure, ébénisterie, travail du cuir ou du métal, encadrement, restauration d’antiquités, etc.). Depuis la nuit des temps, la commercialité de destination prospère à proximité de lieux fréquentés, générant parfois des nuisances ou des controverses, l’une des plus célèbres figurant même dans le Nouveau Testament, dans l’épisode bien connu des marchands du temple (19). LA COMMERCIALITÉ DE DESTINATION VS LES NOUVEAUX MODES DE DISTRIBUTION Deux millénaires plus tard, la commercialité de destination serait-elle menacée par les nouveaux modes de distribution ? Probablement pas, dans la mesure où elle favorise l’« expérience shopping » et l’expérience d’achat, sur un lieu précis et privilégié, chose que l’e-commerce ne peut concurrencer : aucun vendeur d’articles pieux à Lourdes ne s’est jamais plaint de la concurrence d’Internet, pas plus qu’aucun marchand de galettes au Mont-Saint-Michel n’a jamais redouté les ventes en ligne. Les très grandes artères commerciales de nos cœurs de ville bénéficient à la fois du flux et de la destination ; il est donc peu probable qu’elles soient affectées par une perte de flux, mais elles subissent déjà les effets de la dissociation entre (19) Jean II, 13 - La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem. 14 - Il trouva dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis. 15 - Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables; 16 - et il dit aux vendeurs de pigeons : « Ôtez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ». La cour du temple était envahie de marchands forains, pratiquant le change et la vente d’animaux destinés aux sacrifices. Ce lieu de prière, hautement symbolique pour les Juifs, avait été au fil du temps transformé en foire aux bestiaux avec l’accord du Sanhédrin, qui puisait dans cette commercialité de destination une source de revenus substantiels. Les prêtres sadducéens et pharisiens n’avaient fait là que reproduire ce que l’on trouvait déjà dans d’autres lieux de culte et de pèlerinage du monde antique, où la vente d’objets religieux et de victimes sacrificielles était couramment pratiquée, que ce soit dans les temples et nécropoles d’Égypte, à Delphes (la ville avait d’ailleurs prospéré autour du sanctuaire d’Apollon Pythien), ou encore à Délos. Il faut croire que l’enjeu commercial était bien trop important pour que le Sanhédrin ne réagisse pas. On connaît la suite : quelques jours plus tard avaient lieu le procès et la condamnation à mort du perturbateur. 62 quel avenir pour les commerces… le shopping et l’acte d’achat, qui peut être différé et qui sera de plus en plus délocalisé sur le net. Mais surtout, l’arrivée à maturité des sites marchands et le développement de plates-formes de plus en plus puissantes les a conduits à ouvrir des stores physiques pour améliorer leur image (20) et compléter les services offerts à leurs clients (21). Les enseignes du prêt-à-porter qui se lancent à leur tour dans la distribution sur Internet ont compris l’intérêt de la combiner avec l’expérience que procure à leurs e-clients la visite de leurs magasins : à l’occasion d’un retrait ou d’un échange de produits achetés en ligne, leurs vendeurs peuvent encore « améliorer » le panier moyen de la marque en proposant sous couvert de conseils une offre commerciale complémentaire (22). Il en résulte que ces nouvelles pratiques sont déjà et seront à l’avenir consommatrices de surfaces commerciales en zones de flux ou de destination, tant l’image de marque est aujourd’hui un élément discriminant et la condition du maintien des marges commerciales, qu’elles se trouvent dans la rue ou sur le web. LA COMMERCIALITÉ DE QUARTIER : UN RENOUVEAU DE L’ESPRIT DE CLOCHER Souvent délaissée, elle représente pourtant une part majoritaire des surfaces commerciales, et souffre aujourd’hui terriblement à la fois de la réduction du pouvoir d’achat et des nouveaux modes de consommation. Autrefois vivace et offrant l’essentiel des produits et services nécessaires au quotidien, la petite commercialité de quartier est laminée, depuis une trentaine d’années, par le développement continu de la grande distribution périphérique, lui-même favorisé par la motorisation des ménages. Petit à petit, elle s’est étiolée, perdant d’abord les commerces spécialisés entrant en concurrence frontale avec les grandes surfaces généralistes : drogueries, crèmeries, magasins de meubles, jardinage, magasins de décoration ou de bricolage, commerces de vins et spiritueux, librairies, magasins de jouets, et d’électroménager. Puis, elle a subi l’effet de la montée en puissance des marques et d’enseignes : dans le prêt-à-porter, avec la disparition progressive des habilleurs, couturières et retoucheurs, puis dans d’autres secteurs d’activités où le recul des indépendants est encore d’actualité : opticiens-lunettiers, coiffeurs, garagistes, etc. La commercialité de proximité s’est ainsi repliée sur les produits alimentaires de première nécessité, les buralistes et les débits de boissons. Elle a connu récemment un renouveau relatif avec les travaux entrepris par certaines municipalités pour réhabiliter les centres-ville anciens, et surtout a bénéficié d’un renouveau d’image avec le retour de la préférence des consommateurs pour la proximité. Pour qu’il y ait « proximité », cette commercialité de faible rayonnement suppose la présence immédiate d’une zone d’habitation dense, et l’absence d’une zone de commercialité plus importante dans un rayon proche, susceptible de détourner l’attractivité. Le client, cet infidèle, ne visite ces boutiques que par commodité, sûr qu’il est de trouver mieux et moins cher, mais plus loin. La prolifération des supérettes de ville depuis une vingtaine d’années a su exploiter sa lassitude des grands centres commerciaux, où l’« expérience shopping » est devenue une corvée répétitive, et l’« expérience d’achat » un mal nécessaire. La commercialité de proximité est interdépendante du ou des blocs d’habitation qu’elle irrigue : par manque de notoriété, elle ne peut compter sur aucune visite en provenance de l’extérieur de son étroite zone de chalandise. Que le quartier se dégrade, et c’est la fin ; qu’il s’améliore, et elle se développe. (20) à l’heure du web 2.0, rien ne vaut le « pignon sur » ! (21) Il s’agit principalement des ventes privées, du retrait des achats, des facilités d’échange, du SAV, des pièces détachées et des consommables. (22) Les sites marchands procèdent de même en affichant de façon personnalisée, et au moyen de cookies, des produits complémentaires de ceux consultés volontairement, dénommés « suggestions », et destinés à remplir un peu plus le panier de l’internaute consommateur. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 63 études Le commerce de proximité fonctionne sur le schéma suivant. Proximité de la clientèle Accessibilité immédiate Offre de produits basiques Loyer et valeur des murs Stabilité du CA Clientèle captive Là encore, peu de crainte à avoir face à l’e-commerce : il se passera encore un peu de temps avant que les géants du net ne trouvent une alternative crédible au pressing de quartier ou à la boulangerie de la gare. 4.7 / QUEL SERA donc L’IMPACT DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE SUR CES DIVERSES COMMERCIALITÉS ? « ILS NE MOURaieNT PAS TOUS, MAIS TOUS étaienT FRAPPÉS » (23) Dans un jeu à somme nulle, ce que gagnent les uns est perdu par les autres. Il n’est donc pas sérieusement contestable que, dans un contexte de stagnation, voire de récession des dépenses des ménages, l’inéluctable progression de l’e-commerce ronge en même proportion le chiffre d’affaires réalisé dans les boutiques physiques. Nous avons vu que la valeur des murs était liée directement à leur capacité intrinsèque (c’est-à-dire en dehors même des efforts de développement des exploitants commerciaux) à générer un flux entrant de chalands, flux transformé avec un taux de perte variable en chiffre d’affaires. Or, un chiffre d’affaires plus faible réalisé dans les murs commerciaux, c’est aussi une moindre valeur valeur pour l’ensemble du parc commercial, tous types confondus : boutiques de pied d’immeuble, centres commerciaux et retail parks. Mais cela, de façon inégale. Des jours sombres pour la grande distribution Avec une baisse de chiffre d’affaires contenue à – 0,7 % entre le premier trimestre 2013 et le quatrième trimestre 2012, les grandes surfaces alimentaires contiennent leur repli (24). Mais l’observation du marché montre que les centres commerciaux et les retail parks sont directement frappés par la concurrence d’Internet, qui offre un référencement sans égal et des prix au plus bas de ce qu’il est possible de trouver. L’ironie est que ces formes de distribution se sont développées pendant trente ans, avec ces mêmes atouts, utilisés pour écraser le commerce traditionnel, qui était alors tout aussi impuissant à proposer un choix égal qu’à lutter sur les marges. Aujourd’hui, pour tout ce qui est non alimentaire – essentiellement l’équipement de la personne et celui de la maison –, l’e-commerce offre à domicile une expérience d’achat bien plus confortable que le roulage de chariot et l’attente aux caisses. Il permet aussi de contracter les marges des distri- (23) Jean de la Fontaine – Les Animaux malades de la peste. (24) Source : Insee – Enquête mensuelle sur les grandes surfaces alimentaires (Emagsa). 64 quel avenir pour les commerces… buteurs et les prix au détail, au-delà même du surcoût des frais de port, et réussit à comprimer les délais de livraison à moins d’une journée pour les clients les plus pressés. On comprend que les hypermarchés et retail parks devront s’adapter à cette nouvelle donne, et s’attendent à abandonner des parts de marché importantes aux e-commerçants, sur les lignes de produits où les marges sont les plus fortes. Le même constat peut être dressé pour l’ensemble des grandes surfaces spécialisées, qui entrent en concurrence frontale avec les produits phares de l’e-commerce : les difficultés actuelles de la Fnac, de Darty ou de Virgin, en liquidation judiciaire, sont des signes qui ne trompent pas. Toutes les boutiques ne sont pas logées à la même enseigne Le phénomène du moment, c’est que les boutiques de pied d’immeuble subissent deux évolutions contradictoires : tandis que les grandes enseignes font flamber les loyers commerciaux sur les axes de commercialité majeure, les commercialités secondaires et de petite proximité connaissent chaque jour des fermetures de magasin et une chute des loyers de relocation (25). Ces tendances ne sont pas encore liées à l’e-commerce, mais s’inscrivent dans le prolongement des dernières années, marquées par l’émergence des marques à forte marge commerciale (surtout de prêt-à-porter, accessoires de mode et parfums), en lutte acharnée pour les meilleurs emplacements. Et l’anémie du petit commerce généraliste résulte davantage de l’aboutissement d’une tendance de long terme, qui a largement évincé les boutiquiers du tissu urbain. Il n’est pas certain que le modèle de la grande distribution, qui cherche en vain son renouveau depuis quelques années, s’en tire sans dommages. Il est même probable que nous assisterons, dans les années à venir, à une réduction dans nos hypermarchés des surfaces de vente consacrées aux produits d’équipement de la maison, de plus en plus concurrencées par le commerce en ligne. La proximité fait de la résistance Tout à l’opposé, le commerce de proximité ne sera guère affecté par l’e-commerce, simplement parce qu’il propose d’autres produits et services que ce dernier, et ne trouve guère de concurrence immédiate. Notons, tout de même, le développement des drives, points de retrait créés par la grande distribution, centrés sur les produits alimentaires lourds et de première nécessité (eaux minérales, boissons diverses, lessives et produits d’entretien ménager, conserves, féculents, etc.), pour accélérer une « expérience shopping » dont l’attrait se discute. En parallèle, la grande distribution propose fréquemment la livraison à domicile, et dans les deux cas, le consommateur commande et paie sur le site du magasin, va chercher sa commande ou se la fait livrer. En quelque sorte, c’est la variante triviale du cross-canal, appliquée aux grandes surfaces. Pour autant, ces facilités nouvelles offertes au consommateur n’ont encore qu’une portée limitée, et semblent davantage s’inscrire dans la concurrence entre grandes surfaces que dans un schéma de conquête de parts de marché : d’une part, outre son coût, la livraison à domicile suppose que le consommateur soit présent lors de la livraison, et se limite aux milieux les plus urbains ; d’autre part, le drive , plus adapté aux banlieues et périphéries urbaines, implique l’utilisation d’un véhicule personnel et les frais en carburant du trajet. Pas sûr, donc, que le commerce de proximité – qui pratique lui aussi la livraison à domicile, et s’adresse à tous les publics, même non motorisés – en soit réellement affecté. (25) Le jeu de l’article L. 145-39, initialement prévu pour protéger le preneur commerçant, a causé des ravages insoupçonnés dans le petit commerce : « en outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ». On se souvient que l’indice Insee du coût de la construction, qui était couramment pris pour référence d’indexation par les baux commerciaux, a augmenté de plus de 50 % depuis l’année 2000. De nombreux propriétaires ont usé de cette faculté pour revenir à la valeur locative de marché, par fixation judiciaire du loyer, valeur locative qui était souvent plus élevée encore que le loyer « ancien », même fortement réévalué par le jeu de l’indexation. Il en est résulté un important contentieux judiciaire, et le départ forcé de nombre de petits commerçants, qui vivotaient auparavant sur une rente de situation. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 86 65 études On observe aussi que nombreux sont les petits commerçants qui relaient les colis de la vente en ligne, s’assurant ainsi des recettes minimes, et trouvent ainsi un moyen d’accroître la fréquentation de leur boutique. Ce phénomène prend une telle ampleur, à en juger par la politique des grands sites marchands qui proposent des réseaux de point de retrait dans le petit commerce, qu’une coopération fructueuse et bien plus structurée pourrait, à terme, rendre partenaires les pure players et les petits commerçants. Une prime pour le prime Restent les meilleures commercialités de flux, qui commencent à intéresser les e-commerçants, seuls capables, aujourd’hui, par leur puissance financière de damer le pion aux enseignes de prêt-à-porter à forte marge. Les sites marchands les plus importants ont compris, ou comprendront, que la poursuite de leur développement dans un monde foisonnant et de plus en plus concurrentiel nécessitera de gros investissements sur la notoriété. Ils arrivent aujourd’hui à peu près à armes égales sur le plan technique et sur le plan de l’offre aux consommateurs, avec le risque d’une banalisation, à terme, de leur image. Derrière le poids lourd Amazon, quelques sites market place se battent pour conserver leur rang et éviter la montée en puissance de concurrents plus astucieux ou plus agressifs sur les prix. On ne doit pas oublier que l’effet des « comparateurs de prix » rend le commerce Internet particulièrement transparent, et favorise peut-être à l’excès les discounteurs, au détriment du maintien des marges. Le cross-canal n’est donc qu’une réaction logique : ◗ des pure-players, qui souhaitent élargir leur offre et toucher d’autres clientèles ; ◗ des commerçants physiques, obligés de sauter le pas vers la vente en ligne. Pour les premiers, la notoriété devra tôt ou tard passer par des implantations physiques spectaculaires, qui serviront de vitrine et de support d’image, et non plus de simples points de retrait des commandes. Il est donc à parier que les plus belles artères, ainsi que la plupart des commercialités dites « numéro 1 », seront dans un avenir proche un enjeu pour les sites web les plus puissants, et resteront longtemps le champ de bataille privilégié de luttes épiques pour une place au soleil. Ce monde est décidément bien injuste…