Contexte, fondements et persectives de la gratuité des services à la

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Contexte, fondements et persectives de la gratuité des services à la
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CONTEXTE ; FORME ; CONTENU ET PERSPECTIVES DES MESURES DE
GRATUITE DE SERVICES BANCAIRES POUR LA CLIENTELE DES BANQUES
DE L’UMOA.
Monsieur Cheickh Mbacké Diokhané
Secrétaire exécutif de l’Association Sénégalaise des
Usagers de Banques et des Services Financiers (ASUB/SF)
[email protected]
I.
UNE INTERVENTION DE LA BCEAO DANS LES CONDITIONS DE BANQUE
APRES UN MUTISME DE PLUS DE 20 ANS ET SOUS UNE FORME
INAPPROPRIEE
1.1 Une intervention de la BCEAO sur les conditions de banque dans un contexte
de libéralisation qui date de plus de 20 ans .
Le communiqué du Gouverneur de la BCEAO paru dans la presse courant août 2014
et intitulé « Liste des services bancaires offerts à titre gratuit par les établissements de
crédit de l’UMOA à compter sur 1er octobre 2014 » , nous invite à réfléchir sur son
contexte ainsi que son contenu et ses perspectives ; à travers une analyse de sa forme
qui laisse apparaitre un déséquilibre dans les relations entre banques et met à jour,
une véritable collusion entre la Banque Centrale censée surveiller et contrôler le
secteur bancaire et les banques primaires qui poussent la BCEAO à jouer, à travers ce
communiqué, le rôle de leur « porte voix ».
La revue du fond du communiqué laisse apparaitre une liste de 19 opérations ou
services subitement devenus gratuits alors qu’ ils n’auraient jamais dû être payants
par défaut de fondement légal et qui n’ont pu prospérer qu’à cause d’une politique
de libéralisation des conditions de Banque dans l’UEMOA, instituée en 1991 et basée
sur le seul principe de la libre négociation des conditions entre les Banques et leur
clientèle, sans aucun mécanisme de surveillance ou de régulation.
Depuis plus de 20 années , la BCEAO avait au nom de cette libéralisation , adopté
une position de neutralité bienveillante vis-à-vis des banques et de non intervention
sur la tarification qui ont permis aux Banques d’imposer aux usagers des
conditions de banque selon leurs intérêts propres ; sans pour autant respecter leurs
obligations vis-à-vis de la réglementation bancaire et de leur relation contractuelle
avec le Client.
Il convient de faire un bref rappel du cadre réglementaire er contractuel de la relation
entre les banques et les clients (I) ; d’analyser les principaux facteurs de déséquilibre
dans la relation qui favorisent le non respect des droits des usagers (II) ainsi que les
mesures de gratuité annoncées à l’aune des droits et obligations des parties (faveurs
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ou cessation de viols répétés de droits) (III) ; pour dessiner les contours d’un système
minimal d’inclusion financière (IV) ; et conclure sur les perspectives d’un système
financier inclusif.
1.2 Un cadre juridique, comptable et financier normé et non respecté
Les droits et obligations de la Banque et de la clientèle naissent de la volonté des
parties, matérialisée dans le cadre d’un contrat de compte bancaire qui est à la fois un
instrument d’identification des écritures des parties (types d’opérations, date,
montant, ..), de comptabilisation des opérations (crédit, débit,… et solde) ; et de
règlement entre les parties (créances et dettes). Ce contrat fait naitre les droits et
obligations des parties et, la cause de l’obligation de l’une des parties nait de
l’obligation de l’autre partie. En conséquence, tout paiement d’intérêts, de
commissions ou de frais de quelque nature qu’elle soit, résulte soit de l’utilisation
d’un service ou de l’acquisition d’un produit.
La relation entre le client et la banque doit ainsi être matérialisée par une convention
de compte bancaire qui offre à la clientèle, un ensemble de services et de produits
bancaires (sécurisation et la mise à disposition de avoirs, possibilité de satisfaction de
besoins de financements, accès à des produits ; information et conseils) en
contrepartie desquels , la Banque est rémunérée à travers un barème accepté des
parties , qui en dehors de la rémunération de l’Etat (TOB de 17%) , est composé de :
•
•
rémunérations fixes périodiques (frais de tenue de compte) qui naissent du
seul fait de l’existence de la relation. La rémunération fixe a pour contrepartie
un ensemble de services de base de tenue et d’information du compte bancaire
rémunération variable en fonction des utilisations du client.
Le cadre ci dessus décrit, détermine les droits et obligations des parties et étant
placés sous la surveillance de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
II.
UNE FORME DE COMMUNICATION QUI DENOTE UN DESEQUILIBRE
CRIARD ENTRE LES PARTIES A LA RELATION
Le déséquilibre longtemps décrié par les associations de consommateurs de services
financiers se traduit aussi par l’inadéquation du mode de communication des
mesures.
2.1 Une communication inappropriée des mesures annoncées
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La présentation de cette « généreuse offre » ainsi que l’annonce d’une « tarification
modérée d’autres services » devrait émaner des Etablissements de crédit censés les
appliquer. Ceci éviterait à la BCEAO, de se présenter au public comme « le porte
voix des Etablissements de crédit de l’UEMOA », alors qu’elle n’est en aucun cas,
garante de l’application de ces mesures.
2.2 Un retour de la BCEAO dans sa sphère de compétence
Le communiqué de la BCEAO consacre cependant une évolution positive de la
BCEAO qui, après plus de 20 ans de neutralité bienveillante, s’intéresse à la
tarification des services bancaires dont elle n’aurait jamais dû se départie
En attendant l’application effective des dix neuf (19) « services bancaires gratuits »
annoncés et portant sur l’ouverture, le fonctionnement, la clôture du compte (11) ,
des opérations et moyens de paiements (6) et la banque en ligne (2) l’association des
usagers de banques et se services financiers - ; l ’ASUB/SF qui ne cesse de lutter
contre les pratiques abusives bancaires se réjouit de cette initiative et réaffirme sa
détermination à poursuivre sa lutte contre les pratiques abusives des banques , parce
que convaincue que ces mesures ne sont pas nées d’un élan de générosité de la
BCEAO et des associations professionnelle de banques et de services financiers des
(APBEF) de l’UEMOA, mais de leur prise de conscience de devoir répondre de plus
en plus, à des organisations de consommateurs, mieux outillées techniquement qui
ont pris en charge les questions qui les concernent et sauront mener à terme les
batailles engagées.
Elle apprécie aussi cette démarche comme une volonté de la BCEAO de revenir à sa
sphère de compétence qu’elle n’aurait du quitter.
III.
LE CONTENU : DES DROITS DES USAGERS LONGTEMPS BAFOUES ET
AUJOURD’UI PRESENTES COMME DES FAVEURS ACCORDEES
En passant en revue les 19 gratuités annoncées , on se rend compte qu’elles ne
relèvent pas d’une générosité subite ou d’une quelconque politique d’inclusion
financière mais d’une prise de conscience par les Banques de perceptions indues
insupportables et sans aucun fondement juridique ; d’une volonté nouvelle des
banques de respecter des obligations envers la clientèle et/ou de corriger des
pratiques abusives ; ou d’un simple bol d’air apporté à la proie pour ne pas trop
l’asphyxier et finalement la perdre.
Au niveau des comptes d’épargne (ouverture, délivrance de livret et tenue de compte) :
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La perception de commissions et de frais sur un compte sur livret, qui, du fait de sa
vocation de compte d’épargne appelle un suivi et une confrontation des écritures par
la banque et le client à travers un livret de compte ne peut nullement être analysée
comme un service ou un produit bancaire ; mais uniquement comme une modalité
de fonctionnement et de traçabilité de compte bancaire.
Au niveau de la transmission de relevé de compte (une fois par mois) et d’un relevé récapitulatif des
frais annuels
L’une des obligations premières de la banque, gestionnaire de compte est d’informer
le client sous des formes non définies expressément. Ainsi, les banques avaient dans
leur quasi totalité opté pour la production de relevés de compte périodiques
(mensuels, trimestriels) qui étaient envoyés gratuitement aux clients et qui
retraçaient les écritures de la période. Au fur et à mesure de l’évolution et en
l’absence de surveillance du secteur, certaines banques se sont affranchies de cette
obligation en commençant, par faire payer ce droit des usagers à l’information.
Certaines banques qu’il serait inutile de citer ici, ne transmettent pas de relevé de
compte au Client et lui demandent de s’abonner à leurs services de banque en ligne
.Quant au « relève récapitulatif des frais annuels », bien qu’étant une obligation, la
quasi-totalité des banques l’ignore et aucune sanction ne leur a été appliqué. En lieu
et place d’annoncer leur gratuité, ne serait il pas plus judicieux de veiller à leur
effectivité ?.
Au niveau du dépôt d’espèces ou du retrait d’espèces dans un guichet autre de la banque du client
La banque doit assurer un service de caisse pour permettre les dépôts et retraits des
clients, le client ouvre son compte auprès d’une l’institution qui a une obligation de
restitution des dépôts de la clientèle à la demande en tout lieu d’exercice (siège,
guichet, agence) ; par tout moyen (cheque personnel, de guichet, carte) et aux heures
d’ouverture.
Pendant des années et sans aucun fondement juridique , les banques ont développé
une politique d’ouverture de guichets à travers la ville de Dakar et ont prélevé des
frais de 1000fcfa à 3000 fcfa/sur des opérations de retrait d’espèces effectuées dans
des guichets autres que ceux où le client a ouvert son compte mais la même banque.
Cette pratique a porté de graves préjudices à la clientèle devant le silence complice
des autorités. Il serait par ailleurs intéressant d’étudier le niveau du préjudice subi
par les clients du fait de cette pratique sachant que, des dizaines voire centaines de
milliers de chèques ont pu être concernés par jour, sur la place de Dakar.
Au niveau de la domiciliation de salaire, de la mise en place d’une autorisation de prélèvement
(ordre de prélèvement à partir du compte) ou de virement permanent (création du dossier)
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Ces opérations nous paraissent, dans toute la batterie des mesures annoncées, les
seules qui ont un fondement parce que constituant un service demandé par le client.
Les rendre gratuits permettra d’alléger les charges qui pèsent sur la clientèle.
Au niveau du changement d’éléments constitutifs du dossier du client (éléments
d’identification notamment),
Cette mesure caractérise le niveau des abus des banques qui frise l’absurdité dans la
mesure où c’est la banque qui a le plus intérêt à ce que les éléments constitutifs du
dossier de son client soient à jour. Cette gratuité devra être rangée au profit de la
banque et non du client.
Au niveau des frais de clôture de compte.
Cette pratique qui s’est développée ces dernières années démontre largement les
pratiques abusives des Banques qui ont voulu ignorer un principe de base du droit
des obligations qui est la liberté des parties de contracter ou d’y mettre un terme à
tout moment si les obligations des parties sont respectées . Cette pratique constitue
aussi un obstacle à la mobilité des usagers qui devrait leur permettre de bénéficier
des effets de la concurrence.
Au niveau des moyens et opérations de paiement, les 6 gratuités annoncées portent sur :
Le retrait auprès d’un guichet automatique (GAB/DAB) de la banque du client et le
paiement par carte bancaire au sein de l’UEMOA que les banques elles mêmes
avaient développé pour mettre à la disposition des usagers leurs avoirs à moindre
coût, tout en multipliant leurs opérations.
La consultation de solde et l’édition du relevé de solde au GAB/DAB) dans la
banque du client qui relève de l’obligation de fournir l’information par la banque
Le virement de compte à compte dans une même banque qui n’engendre aucun
mouvement de fonds
L’encaissement de cheque tirés sur une banque de l’Union
L’encaissement de virements nationaux, communautaires et internationaux
Au niveau de la banque en ligne deux gratuités ont été annoncées sur les avis de crédit et de
débit par voie électronique ainsi que la consultation et l’édition du solde et de l’historique du
compte à travers le GAB/DAB de la banque du client.
Ces gratuités annoncées relèvent simplement d’une intention des banques de
respecter leur obligation d’information et non d’une quelconque facilité accordée à
l’usager. La réception d’avis de crédit et de débit ou la consultation et l’édition du
solde et d l’historique du compte à travers le GAB /DAB de la Banque du client
constituent un droit du client ,non respecté par les Banques.
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IV.
DES MESURES ET RUPTURES NECESSAIRES A UNE VERITABLE INCLUSION
FINANCIERE DES POPULATIONS
L’atteinte de l’objectif d’inclusion financière des populations, d’accélération de la
bancarisation et du financement bancaire des Etats membres de l’Union Economique
et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) visés par la BCEAO à travers ce type de
mesures annoncées, ne saurait prospérer que si la réglementation bancaire actuelle
est respectée et surveillée . Il en est de même que l’application du principe qui veut
que chaque rémunération corresponde à un service ou à un produit demandé, en
dehors des services de base qui relèvent plus des conditions de fonctionnement des
comptes que de services ou produits bancaires. En dehors de ce qui précède un
système inclusif nécessite entre autres :
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La généralisation des conventions de compte qui permet au client de mieux
connaitre les conditions de sa relation avec la Banque au moment où cette
obligation est très peu respectée par les banques.
Le respect d’un droit au compte avec un minimum de services de base
gratuits. A l’instar des banques françaises qui, à compter du 1er octobre 2014 ,
et au profit des personnes en situation de fragilité financière, ont mis en place,
pour trois (3) euros maximum (moins de 2000 FCFA) , une offre qui devra
inclure entre autres, un compte de dépôt, une carte de paiement à autorisation
immédiate, quatre virements mensuels , l’accès à la banque en ligne et un
système d’alertes sur le solde du compte.
Les mesures qui favorisent la mobilité des clients pour leur permettre de
bénéficier des effets de la concurrence sur le marché.
L’amélioration de l’information des usagers sur les coûts des produits et
services qui leur sont proposés.
La transmission au client de relevés périodiques et d’un récapitulatif annuel
des frais qui constitue une obligation que pratiquement aucune banque ne
respecte.
La poursuite de la lutte contre certaines pratiques abusives et sans base légale
comme la réclamation de frais pour des attestations de non engagement de
clients auprès des banques ; et autres pratiques abusives.
Toutes ces mesures fondatrices d’un système financier inclusif ne se mettront en
place que dans le cadre d’une concertation tripartite (Banques - Association
d’usagers de Banque et Banque Centrale) au sein de laquelle chacune des parties
jouera pleinement et de manière responsable son rôle.
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V.
DES RUPTURES NECESSAIRES POUR
FINANCIERE DES POPULATIONS
UNE
VERITABLE
INCLUSION
Au total, la recherche annoncée par la BCEAO « du renforcement de l’inclusion
financière de la population, de l’accélération de la bancarisation et du financement
bancaire de notre économie », ne saurait se réaliser à travers ce type de « mesures de
gratuité » ou de « tarification modérée annoncée » mais devrait l’être à travers des
perspectives de ruptures fondamentales au niveau des autorités quant à leur
perception de la relation banque clientèle, à travers :
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Une nouvelle conception de la notion de libéralisation qui ne devrait pas se
limiter à une non intervention dans la relation banque client mais ; à inciter la
BCEAO à jouer un rôle de régulateur, en tant que garant de l’intérêt général,
parce que dépositaire de la délégation de pouvoirs de ses états membres et
non, comme jusqu’ici annoncé « dans le strict respect de la libéralisation des
conditions de banques en vigueur dans l’Union ».
Une plus grande considération et implication dans les processus de décision
de la clientèle qui constitue le socle et le principal bénéficiaire du système
financier et non « une bête à se partager, taillable et corvéable à jamais » qui
comme « l’oie, devra être plumée au maximum dans qu’elle pousse le moins
de cris possible ». Cette implication de la clientèle permettra un plus grand
respect des droits et obligations des parties et améliorera les prises de décision
dans l’intérêt du système financier et non en faveur d’intérêts corporatistes.
En dehors de ces deux (2) ruptures fondamentales ; l’inclusion financière des
populations passera par le respect par toutes les parties de la réglementation des
droits et obligations des parties, avec un système de surveillance efficace, ainsi que
par les mesures de base pour une véritable inclusion financière des populations cidessus énoncés.