Le patrimoine populaire des rocailles est en danger
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Le patrimoine populaire des rocailles est en danger
Exemplaire de chancellerie [Email:[email protected] - IP:109.223.107.7] MARSEILLE Dimanche 21 Juillet 2013 www.laprovence.com 5 Le patrimoine populaire des rocailles est en danger Ces remarquables compositions d’architecture rustique en ciment ouvragé ne sont pas protégées L a Villa Costa, elle, a eu de la chance. La vaste demeure de villégiature peut enfin couler des jours paisibles au fond du pittoresque vallon de l’Ortignes (7e). Ses deux majestueuses façades de rocailles (fausses plantes exotiques d’un côté, faux bardage de bois de l’autre) font désormais partie du patrimoine marseillais. Presque une exception dans la cité phocéenne où malheureusement, les rocailles - ces compositions d’architecture rustique en ciment ouvragé qui émaillent encore quelques quartiers - ne sont pas protégées. Avec le nouveau PLU (plan local d’urbanisme) la Villa Costa édifiée vers 1889 par les Gagliardone, une célèbre dynastie de rocailleurs, pour André Costa, un aconier marseillais, sera définitivement inscrite dans la catégorie "éléments bâtis remarquables". Et à ce titre, définitivement préservée. Pas comme son malchanceux voisin de la rue de la Capitale, un terrain en restanques avec ses incroyables fausses grottes et surtout son portail unique et remarquable (deux faux troncs d’arbres en guise de piliers dont les branches se rejoignent en ogive). Condamné pour les besoins de la construction de 3 villas il est voué à une démolition prochaine. "Les rocailles ont été sculptées dans mais aussi à l’extérieur des propriétés explique Gérard Faure, rocailleur à la retraite et heureux propriétaire de la Villa Costa. Sur les façades des maisons, comme ici chez moi, mais aussi dans les jardins. Sur les murs d’enceinte et les portails on peut facilement les voir de l’extérieur. Il suffit d’être attentif pour les découvrir." Un brin surréalistes elles confèrent à un ouvrage en ciment une dimension poétique, La Villa Costa est recouverte de rocailles sur deux de ses façades. Au sommet de la maison le bateau de l’armateur voguant entre les îles et le port de Marseille orne le fronton. / PHOTO GUILLAUME RUOPPOLO un petit grain de folie. Les rocailles font du faux sur du vrai. Elles créent l’illusion, se jouent du trompe l’œil en imitant les rochers, les pierres, les concrétions naturelles, le bois. Parfois elles reproduisent des éléments plus élaborés, par exemple une fausse fenêtre avec ses volets et une fausse tourelle incrustées sur un mur ouvragé au 325, corniche Kennedy ou, un peu plus loin, au 285, chemin du vallon de l’Oriol, une fausse tour de guet. Si les premiers exemples remontent à l’époque romaine, "les rocailles ont été particulièrement en vogue à la fin du XIXe et au début du XXe" poursuit Gérard Faure. À Marseille elles sont apparues avec la mode des maisons de villégiature où les nota- La rocaille orne juste pour le plaisir, pour faire beau, pour susciter la curiosité. bles de l’époque, Pierre Costa était armateur - décidaient de s’accorder quelques fantaisies. Ils demandaient aux maçons de concilier exubérance et construction pour agrémenter leurs villas et jardins. Pour les besoins de la cause, des maçons sont alors devenus artisans rocailleurs. Leur inspiration ils la trouvaient près de la nature. Bois, pierre, végétation, animaux, personnages, ils inventaient des aménagements paysagers, des scénettes et sont passés maîtres dans l’art de créer l’illusion. Chacun avec son petit brin de folie. Et avec un souci de recréer la nature là où le béton prenait le dessus. La rocaille orne juste pour le plaisir, pour faire beau, pour susciter la curiosité. Rien d’autre ! Pas de règle, de code, de charte. Maisons, portails, murs, escaliers, balustrades, cascades, grottes, frises, … Toute construction en ciment pouvait être prétexte à une rocaille. Pas répertoriées, pas estampillées "patrimoine institutionnel", l’officiel, les rocailles appartiennent à l’autre catégorie, le patrimoine dit populaire, apprécié du public mais non protégé. Leur sort est lié au bon vouloir des propriétaires. Libre à eux de Ici, au 285, chemin du vallon de l’Oriol une étonnante fausse tour de guet avec son mur est édifiée sur le rocher. / PHOTO C.D. les conserver, de les restaurer mais aussi de les détruire. Ou, comme à Saint-Marcel de les laisser se dégrader. Et aujourd’hui les nombreuses rocailles qui émaillent encore certains quartiers comme le Roucas-Blanc, Endoume, Saint-Julien, le 15e, etc. sont en danger. Au fil du temps, elles disparaissent au gré de travaux et constructions. S’ils ont marqué de leur empreinte les constructions de l’époque, la confrérie des rocailleurs qui a inventé un art figuratif nouveau, a quasiment disparu au milieu du XXe. Jusqu’à aujourd’hui où, c’est tant mieux, la rocaille suscite un nouvel élan d’enthousiasme. Quand le ciment fait rêver… Les rocailleurs, artisans reconnus "Le phénomène des rocailleurs a existé dans toute la France mais nous n’avons jamais trouvé la variété dans les thèmes et la liberté de les traiter que nous avons rencontrées dans et autour de Marseille" explique Joseph Méry dans son ouvrage Marseille et les Marseillais (1860). Gagliardone, Caillhol, Ughetto dit Philippe de Saint Julien, Amoletti, Mora, Jouve, Rebuffat… Les rocailleurs ont signé leurs œuvres. Souvent les signatures sont intactes et permettent d’attribuer telle réalisation à tel artisan. Clotilde DUQUESNEL LE TÉMOIGNAGE Nicolas Gilly signe le retour de cet art rustique 79411 Dans le parc Longchamp, Nicolas Gilly a restauré les volières mais également construit des rambardes en rocaille. / PHOTO C.D. Lui, son truc c’est "le mortier bâtard. Un matériau très malléable au départ mais une fois sec, résistant à toutes épreuves" explique Nicolas Gilly, qui a mis au point sa recette perso, savante mixture de ciment et de chaux dont il garde le secret. Nicolas Gilly est rocailleur. "Pour le plaisir avant tout" jure le quadra, glissant avec gourmandise "je me régale ; c’est la seule raison qui m’a fait choisir cette voie." Probablement le seul qui vit à Marseille et exerce son art et son talent d’abord ici mais aussi ailleurs. Ses chantiers il les choisit. Je prends ce que je veux et avec qui je veux. Quand ça ne me va pas je refuse." De la restauration de rocaille existante et de la création pure. Comme sur le chantier du parc Longchamp où d’une part il a conçu de toutes pièces des balustrades en faux bois "on n’a que les plans des barrières qui existaient auparavant donc j’ai quartier libre", et de l’autre il a restauré des éléments détériorés ou manquants de rocaille comme dans les deux volières. "Je reproduis dans le même esprit que celui qui m’a précédé". À bien l’observer en train de tapoter délicatement son pinceau sur un faux nœud en faux bois de la rambarde on devine son état d’esprit. Cheveux en bataille qui encadrent un sourire enjoué, son humeur badine ne laisse planer aucun doute. C’est un homme heureux. "Et je me fous de ce que je gagne", glisse-t-il au passage. Sa technique il l’adapte en fonction du lieu et de l’ouvrage à réaliser. Ses rocailles sont pleines. "Il faut que ce soit résistant, qu’on puisse s’appuyer dessus. Ce qui signifie des centaines de kilos de mortier à manipuler. Au départ de toute rocaille il faut un support. Une armature constituée d’un fer à béton entouré de grillage à poules fait parfaitement l’affaire - ensuite on l’enrobe de ciment. Plusieurs couches. Une opération effectuée parfois par des maçons qui précèdent Nicolas sur les gros chantiers. Le rocailleur applique la couche supérieure avant de la sculpter à la truelle, à la main ou avec des outils maison comme un peigne improbable pour dessiner en creux les nervures, les nœuds… de l’écorce. Il fait du faux sur du vrai. Nicolas Gilly crée et façonne ses rocailles selon son imagination et son humeur du moment. Enfin, ultime opération quand la sculpture est sèche, il applique une espèce de mixture de peinture très diluée "Je préfère dire lavis qui confère la patine, le vécu au bois. Plutôt que de la peinture c’est une superposition de jus". Une fois, deux fois, plus parfois, il repasse son pinceau, jusqu’à ce qu’il obtienne "l’effet qui respecte l’aspect de la matière. Ça fait vieilli, hyperréaliste. Plus c’est grossier mieux ça marche. Et je ne teins jamais dans la masse", raconte celui qui s’est formé "à Felletin dans la Creuse. J’y ai appris les rudiments. Ensuite je me suis lancé et j’ai pratiqué" parfois en suivant les conseils d’un autre rocailleur, Gérard Faure, aujourd’hui en retraite. Prochain chantier pour Nicolas, après le parc Longchamp, une restauration de rocaille chez un particulier à l’Escalette. Mais chut ! Il n’en dira pas plus, soucieux de préserver la confidentialité du lieu et l’intimité des propriétaires. Clotilde DUQUESNEL [email protected] Quand le ciment imite la nature La Villa Costa a décidé de son destin C’est l’apparition, au début du XXe, du ciment de Portland, mélange de chaux et d’argile, souple donc facile à façonner et le premier à adhérer sur le fer, qui a favorisé l’essor de la rocaille. En pleine période Art Nouveau la rencontre de bourgeois fortunés soucieux de faire construire une résidence d’été à la fois cossue mais originale - à la limite avec un petit brin de folie - et de maçons à l’âme d’artistes (souvent d’origine italienne) qui manient ce ciment, a tout naturellement lancé cette nouvelle mode de la rocaille. Rocaille qui obéit toujours au même principe : une armature en fer plus ou moins importante (du fer à béton à la sculpture en grillage) enrobé de ciment qui per- Toute sa vie professionnelle, il a été maçon. Et la Villa Costa, Gérard Faure la connaît bien. "J’habitais en face. Je la voyais tous les jours depuis les fenêtres de mon appartement. Avec toutes ses rocailles, la Villa Costa me faisait rêver." Jusqu’au jour où les propriétaires ont décidé de la vendre. Et, Gérard, illico, de l’acheter en 1980. "Quand je l’ai achetée j’ai commencé par observer les rocailles et comme il y avait des petits travaux de restauration j’ai essayé de les faire." Le matériau, il connaissait, la technique il l’a apprise sur le tas "en tatônnant". C’est ainsi qu’il est devenu rocailleur. Aujourd’hui il ne fait plus que des restaurations chez lui ou pour des amis. Et pour que le savoir faire se perpétue il donne volontiers des conseils à tous ceux qui souhaitent restaurer leurs rocailles. Avec met de donner la forme désirée : balustrade, portail, bassin, grotte, banc, marche, bordure. Autrefois sans formation artistique, l’artisan modelait à sa guise. Il façonnait, dessinait, gravait à la main ou avec des outils spécifiques (stylet, peigne, petite truelle pour reproduire là un arbre avec ses nœuds, un tronc, des branches, des feuilles, des écorces, des animaux, etc. Et parfois signait ses œuvres (Ughetto, Cailhol, Gagliardone, Jouve,…). Depuis quelques années une formation pour s’initier aux techniques de la rocaille - qui connaît un retour en grâce - est proposée par le lycée des métiers du bâtiment de Felletin dans C.D. la Creuse. d’autres passionnés comme Yves Gauthey, il essaie de répertorier toutes les rocailles encore existantes à Marseille ; "Il faut les sauver !" s’indigne Yves Gauthey qui milite pour la sauvegarde du portail de la rue de la Capitale "sans aucun doute, le plus majestueux, le plus abouti dans son genre". Vous en connaissez ? N’hésitez pas à contacter Gérard Faure, qui organise au passage des conférences et des expos à la Villa Costa. Dernière en date tout le mois de juillet : "Parcours découverte chez les rocailleurs". C.D. Villa Costa 9, traverse du vallon de l’Ortignes. Visites sur sur RV. Tel : 06 51 09 00 68