Cour de cassation de Belgique Arrêt
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Cour de cassation de Belgique Arrêt
16 NOVEMBRE 2015 C.13.0520.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N° C.13.0520.F H. G., demandeur en cassation, représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile, contre R. T., défenderesse en cassation. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 19 février 2013 par la cour d’appel de Liège. 16 NOVEMBRE 2015 C.13.0520.F/2 Par ordonnance du 29 octobre 2015, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre. Le conseiller Martine Regout a fait rapport. L’avocat général délégué Michel Palumbo a conclu. II. Le moyen de cassation Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen. III. La décision de la Cour En vertu de l'article 1278, alinéa 2, du Code judiciaire, le jugement ou l'arrêt qui prononce le divorce remonte, à l'égard des époux, en ce qui concerne leurs biens, au jour de la demande, et en cas de pluralité de demandes, au jour de la première d'entre elles, qu'elle ait abouti ou non. La dissolution du régime matrimonial donne naissance à une indivision post-communautaire entre les parties, qui porte tant sur les biens présents au moment auquel la dissolution du mariage rétroagit à l'égard des époux que sur les fruits ultérieurement produits par ces biens. En vertu de l'article 577-2, § 3, du Code civil, le copropriétaire participe aux droits et aux charges de la propriété en proportion de sa part. Il s'ensuit que l'indivisaire qui a bénéficié de la jouissance exclusive d'un bien indivis est tenu d'indemniser les autres indivisaires pour cette jouissance. Si le conjoint qui a été autorisé à se maintenir dans le logement familial est le débiteur d’aliments, et si les allocations provisoirement alimentaires qu’il a versées à l’autre conjoint excèdent la moitié des revenus indivis à partager entre parties, le conjoint débiteur d’aliments qui a joui seul du logement ne sera redevable d’aucune indemnité d’occupation, les allocations provisoirement 16 NOVEMBRE 2015 C.13.0520.F/3 alimentaires constituant une avance sur la part du créancier d’aliments dans les revenus indivis. L'arrêt considère que : - « si l’arrêt [du 15 juin 2004] ne précise pas le caractère alimentaire de l’occupation gratuite de l’ancienne résidence conjugale, les motifs de l’arrêt permettent cependant d’aller dans le sens de cette thèse ; c’est parce que [le demandeur] occupait l’immeuble, partiellement gratuitement, que le montant de 870 euros - puis de 450 euros - de secours alimentaire était maintenu à [la défenderesse] » ; - « cette qualification ne lie ni le notaire ni le juge liquidateur » ; - l’imputation est possible « aussi dans l’hypothèse où le juge du provisoire n’a pas qualifié les allocations et dans celle où il les a qualifiées de simples mesures de gestion » ; - « en l’espèce, c’est le calcul qui a été opéré, en pages 12 et 13 de l’état liquidatif, lorsque le notaire […] a imputé sur l’indemnité d’occupation due la moitié du loyer payé par [la défenderesse], ainsi que l’avait prévu l’arrêt du 15 juin 2004 » ; - « cet arrêt précisait également, à juste titre, que les demandes formulées par [le demandeur] (à savoir que le secours alimentaire accordé à [la défenderesse] soit une avance sur la liquidation de la communauté ou soit déductible de l’indemnité d’occupation) aboutiraient à ce qu’aucun secours ne soit versé puisque toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables ». Par ces considérations, qui ne comparent pas le montant des allocations provisoirement alimentaires versées par le demandeur à la défenderesse à la part de cette dernière dans les revenus indivis, l’arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision que le demandeur est redevable d’indemnités d’occupation pendant la procédure en divorce, sous la seule déduction d’un montant correspondant à la moitié du loyer payé par la défenderesse. Le moyen est fondé. Par ces motifs, 16 NOVEMBRE 2015 C.13.0520.F/4 La Cour Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur le contredit du demandeur quant aux indemnités d’occupation et qu’il statue sur les dépens ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ; Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ; Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons. Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en audience publique du seize novembre deux mille quinze par le président de section Albert Fettweis, en présence de l’avocat général délégué Michel Palumbo, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body. L. Body M. - Cl. Ernotte M. Lemal M. Delange M. Regout A. Fettweis REQUÊTE/1 REQUETE EN CASSATION ________________________ Pour : H. G., demandeur, assisté et représenté par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à 4020 Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile, Contre : R T, défenderesse. A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation, Messieurs, Mesdames, Le demandeur a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt rendu contradictoirement entre les parties par la dixième chambre de la cour d'appel de Liège le 19 février 2013 (n° 2012/RG/119). Les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, peuvent être ainsi brièvement résumés. REQUÊTE/2 Les parties se sont mariées le 8 août 1964, sous le régime légal à défaut de contrat de mariage. Trois enfants, majeurs, sont issus de cette union. En novembre 1998, les conjoints se sont séparés, le juge de paix du premier canton de Huy leur fixant des résidences séparées par ordonnance du 30 décembre 1998 et un secours alimentaire étant octroyé à la défenderesse par jugement du tribunal de première instance de Huy du 28 février 2001. Une première procédure en divorce fut introduite le 2 novembre 2000 et, par arrêt du 6 décembre 2006, la cour d'appel de Liège a débouté chacune des parties de sa demande. Dans le cadre de cette première procédure, la chambre des référés du tribunal de première instance de Huy a, par ordonnance du 11 mars 2003 organisant les mesures urgentes et provisoires durant l'instance en divorce, alloué à la défenderesse un secours alimentaire de 870 € par mois indexés à dater de l'ordonnance. Sur l'appel du demandeur, la première chambre de la cour d'appel de Liège, par arrêt du 15 juin 2004, a confirmé ce jugement sous les émendations que le secours alimentaire de 870 € prendra cours à partir du 1er janvier 2001, que le demandeur occupera gratuitement l'immeuble conjugal à partir de cette même date à concurrence d'une somme équivalant à la moitié du loyer payé par son épouse et que le notaire de Ville est désigné pour faire l'inventaire des biens des parties. Les parties ont comparu volontairement devant le tribunal de première instance de Huy le 26 février 2007, sollicitant le divorce pour séparation de fait de plus de deux ans. Un jugement du 26 mars 2007 a prononcé leur divorce et a commis les notaires de R. et C. pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage du patrimoine commun ayant existé entre parties. Les opérations se sont ouvertes le 26 août 2007. Un procès-verbal de dires et difficultés intermédiaire fut établi le 15 septembre 2008, REQUÊTE/3 donnant lieu à un jugement du tribunal de première instance de Huy du 23 mars 2009 et à un rapport de l'architecte S. du 15 septembre 2009. Le 16 février 2010, le notaire de R. a dressé l'état liquidatif. Il y estime que les effets du divorce doivent remonter à la date de la première citation, soit le 2 novembre 2000, et dresse les comptes en conséquence. Il conclut que la défenderesse a droit à une part nette de 90.097,91 € et le demandeur à une part nette de 179.902,09 €. Il attribue au demandeur la pleine propriété de l'ancien immeuble commun sis à Neupré, dans lequel le demandeur s'est maintenu après la séparation du couple. A l'état liquidatif est annexée une note de position partiellement discordante établie par le notaire C. Les parties ont chacune déposé une note de contredits, dont le contenu est reproduit dans le procès-verbal de dires et difficultés établi le 3 mai 2010, les notaires consignant leur avis à ce propos le 19 juillet 2010. Par jugement du 7 novembre 2011, la quatrième chambre du tribunal de première instance de Huy a tranché les contredits des parties. Le demandeur a interjeté appel par requête déposée le 24 janvier 2012 et la défenderesse a formé par conclusions un appel incident. Par un premier arrêt du 19 juin 2012, la dixième chambre de la cour d'appel a reçu les appels et a dit non fondée "la demande d'avance sur la part de communauté ou d'indivision formulée par (la défenderesse)", les débats ayant alors été limités à ce point. L'arrêt attaqué confirme le jugement entrepris, sous les émendations et les précisions reprises au dispositif, renvoie la cause aux notaires commis pour qu'ils poursuivent les opérations de liquidation-partage en fonction des décisions prises et délaisse à chacune des parties ses propres frais et dépens des deux instances. A l'encontre de cet arrêt, le demandeur croit pouvoir proposer le moyen suivant. REQUÊTE/4 MOYEN UNIQUE DE CASSATION Dispositions légales violées - les articles 213, 221, 223 et 577-2, § 3 et § 5, du Code civil, - les articles 1278, alinéa 2, et 1280, alinéa 1er, du Code judiciaire. Décision critiquée L'arrêt attaqué dit non fondés les contredits par lesquels le demandeur soutenait qu'il n'était redevable d'aucune indemnité d'occupation à la défenderesse et que le secours alimentaire versé à celle-ci en vertu de l'arrêt du 15 juin 2004 devait lui être remboursé, faisant ainsi valoir que les provisions alimentaires servies à la défenderesse devaient être imputées sur la part de celle-ci dans les revenus indivis. Il rejette cette prétention pour les motifs que : "3.9 Indemnités d'occupation (...) Ainsi que le mentionne le premier juge, l'article 577-2 § 3 du Code civil qui régit l'indivision post-communautaire jusqu'au jour du partage et constitue le fondement de la débition d'une indemnité d'occupation, prescrit que chaque propriétaire participe aux droits et aux charges de la propriété en proportion de sa part. S'agissant du logement familial, une indemnité est due pour son usage exclusif, en principe égale à sa valeur locative (...). Elle est due à la masse car, en vertu du droit commun de l'indivision, les revenus des biens indivis accroissent l'indivision. REQUÊTE/5 Durant l'instance en divorce, aux termes de son arrêt du 15 juin 2004, cette cour, autrement composée, a dit : «En fixant le secours alimentaire à 870 euros, le premier juge permettait à (la défenderesse) de disposer d'un montant de quelque 1.100 € tandis que (le demandeur) voyait son disponible net réduit entre 1.696 € et 1.240 (€) minimum. Cette proportion est correcte pour autant qu'il ne soit pas réclamé (au demandeur) une indemnité d'occupation. Celui-ci postule que ce secours soit une avance sur la liquidation de la communauté ou soit déductible de l'indemnité d'occupation. Les demandes telles que formulées par (le demandeur) aboutiraient à ce qu'in fine, aucun secours ne soit versé puisque toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables. Par ailleurs, le montant du secours a été calculé sans prendre en compte le coût du logement (du demandeur). Il convient dès lors de décider que l'occupation sera gratuite mais seulement à concurrence d'une somme équivalente à la moitié du loyer payé par (la défenderesse). Cette gratuité ne prendra cependant cours qu'à partir du 1er janvier 2001. En effet, après cette date, (le demandeur) n'a plus perçu de revenus professionnels mais une pension.». En l'espèce, si l'arrêt précité ne précise pas le caractère alimentaire de l'occupation gratuite de l'ancienne résidence conjugale, les motifs de l'arrêt permettent cependant d'aller dans le sens de cette thèse. C'est parce que (le demandeur) occupait l'immeuble, partiellement gratuitement, que le montant de 870 euros – puis de 450 euros – de secours alimentaire était maintenu à (la défenderesse). Quoi qu'il en soit, cette qualification ne lie ni le notaire ni le juge liquidateur qui peuvent, et doivent imputer le quantum des allocations provisoirement alimentaires sur les revenus indivis du créancier pour, selon les cas, déterminer si et dans quelle mesure elles ont constitué une provision alimentaire au sens strict ou n'ont été qu'une avance sur revenus indivis (YvesHenri LELEU, «L'imputation des provisions alimentaires sur les revenus de l'indivision post-communautaire : une clarification utile et attendue», R.T.D.F., 2010 (lire : 2011), p. 495). La Cour de cassation, dans un arrêt du 18 mai 2009, précise : «Dans l'hypothèse où elle a été octroyée à titre d'exécution en nature du devoir de secours entre époux, la mesure octroyant la jouissance exclusive du logement familial peut donner lieu, suivant les éléments pris en compte par le juge de paix, à l'imputation de la jouissance dont l'époux a bénéficié sur sa part dans les revenus des biens indivis et, au cas REQUÊTE/6 où la part de l'époux créancier des aliments dans les revenus indivis excède la jouissance précitée, celle-ci est censée constituer une avance sur cette part.» Selon la doctrine précitée, si l'imputation est possible même dans l'hypothèse où le juge du provisoire a qualifié les allocations «d'exécution en nature du devoir de secours», elle l'est aussi dans l'hypothèse où le juge du provisoire n'a pas qualifié les allocations et dans celle où il les a qualifiées de simples mesures de gestion (Ibidem, p. 496). En l'espèce, c'est le calcul qui a été opéré, en pages 12 et 13 de l'état liquidatif, lorsque le notaire de R. a imputé sur l'indemnité d'occupation due la moitié du loyer payé par (la défenderesse), ainsi que l'avait prévu l'arrêt du 15 juin 2004. Cet arrêt précisait également, à juste titre, que les demandes formulées par (le demandeur) (à savoir que le secours alimentaire accordé à (la défenderesse) soit une avance sur la liquidation de la communauté ou soit déductible de l'indemnité d'occupation) aboutiraient à ce qu'aucun secours ne soit versé puisque toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables. A partir du 16 juin 2007, date à laquelle le jugement du 26 mars 2007 ayant prononcé le divorce est passé en force de chose jugée (et non le 10 juillet 2007 comme l'indique l'état liquidatif), (le demandeur) doit donc une indemnité d'occupation au taux plein. Enfin, (la défenderesse) étant copropriétaire de l'immeuble litigieux, il n'y a a pas lieu de réduire l'indemnité d'occupation en raison de l'investissement fait dans celui-ci par (le demandeur), investissement dont il a, par ailleurs, été tenu compte au point 3.7. Le contredit (du demandeur) doit être déclaré non fondé et l'état liquidatif confirmé sur ce point sous la seule précision que c'est à dater du 16 juin 2007 (que le demandeur) doit une indemnité d'occupation au (taux) plein. (...) 3.11 Remboursement du secours alimentaire (...) Pour les excellents motifs que la cour fait siens, le tribunal a débouté (le demandeur) de son contredit. Il convient également de rappeler que l'arrêt du 15 juin REQUÊTE/7 2004 de cette cour avait déjà clairement précisé : «Celui-ci postule que ce secours soit une avance sur la liquidation de la communauté ou soit déductible de l'indemnité d'occupation. Les demandes telles que formulées par (le demandeur) aboutiraient à ce qu'in fine, aucun secours ne soit versé puisque toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables.»", et pour les motifs du premier juge, ainsi adoptés, selon lesquels : "Les époux étant sur pied d'égalité, chacun d'eux encaisse ses revenus propres. Si les revenus propres sont insuffisants pour assurer sa subsistance, un époux obtiendra l'octroi d'une pension. Celle-ci n'est pas provisionnelle puisqu'il a déjà été tenu compte des revenus et qu'elle n'est destinée qu'à porter ceux-ci à un montant suffisant. La pension doit dès lors être supportée entièrement et définitivement par l'époux débiteur. Une pension alimentaire versée par un époux pendant l'instance à son conjoint ne constitue en principe pas une avance sur la communauté. Une différence doit en effet être faite entre des droits alimentaires et des droits patrimoniaux". Grief Le demandeur soutenait qu'à tout le moins une partie des provisions alimentaires versées à la défenderesse devait être considérée comme une avance sur la part de celle-ci dans les revenus de l'indivision postcommunautaire, faisant valoir qu'"il paraît équitable de considérer qu'en l'espèce aucune indemnité d'occupation ne doit être mise à charge de M. G. A tout le moins, elle devra faire l'objet d'une compensation à concurrence des secours alimentaires versés ou, à tout le moins et à titre plus subsidiaire encore, dans la mesure qui avait été fixée par l'arrêt de la Cour d'appel du 15.6.2004". Il ajoutait que le versement d'un secours alimentaire de 870 € mensuels durant plusieurs années avait induit "un déséquilibre violent" entre les parties, justifiant que la part revenant à la défenderesse à la suite de la reprise de l'immeuble par le demandeur REQUÊTE/8 ou de la revente future de cet immeuble soit diminuée des aliments qui lui ont été versés durant cette période, la pension alimentaire constituant "une avance sur les reprises de la femme" et devant être comprise comme telle lors de la liquidation de la communauté lorsqu'elle "offre un caractère provisionnel prédominant". Il sollicitait, partant, le remboursement par la défenderesse des avances qui lui furent octroyées (concl. synth. app., pp. 17-19). Le devoir de secours entre époux et l'obligation de contribution aux charges du mariage, prescrits par les articles 213 et 221 du Code civil, sont susceptibles d'entraîner, au titre des mesures urgentes et provisoires adoptées par le juge de paix en vertu de l'article 223 du même code ou des mesures provisoires ordonnées en référé par le président du tribunal de première instance, au cours de la procédure en divorce et jusqu'à la dissolution du mariage, sur la base de l'article 1280, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'octroi de la jouissance exclusive de l'ancienne résidence conjugale à l'un des époux et l'octroi à l'autre époux d'une provision alimentaire. En vertu de l'article 577-2, §§ 3 et 5, du Code civil, le copropriétaire d'une chose qui appartient indivisément à plusieurs personnes participe aux droits et aux charges de la propriété en proportion de sa part. Il peut user et jouir de la chose commune conformément à sa destination et dans la mesure compatible avec le droit de ses consorts. Il s'en déduit que l'usager exclusif d'un bien indivis est redevable à l'indivision d'une indemnité d'occupation, équivalente en règle à la valeur locative de ce bien. En présence d'une indivision post-communautaire, l'indemnité d'occupation est, en application de l'article 1278, alinéa 2, du Code judiciaire, due à compter du jour de la demande, et en cas de pluralité de demandes, du jour de la première d'entre elles, qu'elle ait abouti ou non, jusqu'au jour du partage. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, si le conjoint qui a été autorisé à se maintenir dans le logement familial est le débiteur d'aliments, et si les allocations provisoirement alimentaires qu'il a versées à l'autre conjoint excèdent la moitié des revenus indivis à partager entre parties, le conjoint débiteur d'aliments qui a joui seul du logement ne sera pas redevable d'une REQUÊTE/9 indemnité d'occupation. La moitié de celle-ci, qui correspond à la part du conjoint créancier d'aliments dans les revenus indivis, lui aura en effet déjà été versée sous la forme d'une allocation alimentaire qui devra, lors de la liquidation, être requalifiée en avance sur les revenus indivis, ce dont il se déduit que ledit conjoint ne pourra plus prétendre percevoir ces revenus sous la forme d'une indemnité d'occupation et que seule la différence entre les allocations provisoirement alimentaires et la part du conjoint créancier d'aliments dans les revenus indivis devra être considérée comme définitivement alimentaire. En effet, dans l'hypothèse où la jouissance exclusive du logement familial a été accordée, non à titre de simple mesure de gestion, mais à titre d'exécution en nature du devoir de secours incombant aux époux, elle peut donner lieu, suivant les éléments pris en compte par le juge de paix ou le président du tribunal de première instance, à l'imputation de la jouissance dont le conjoint a bénéficié sur sa part dans les revenus des biens indivis et, au cas où la part de l'époux créancier d'aliments dans les revenus indivis excède cette jouissance, celle-ci est censée constituer une avance sur cette part. Le notaire et le juge liquidateurs sont dès lors tenus d'imputer le quantum des allocations provisoirement alimentaires accordées à l'un des époux pendant l'instance en divorce sur la part de celui-ci dans les revenus indivis, de manière à déterminer si et dans quelle mesure ces allocations ont constitué une provision alimentaire au sens strict ou n'ont été qu'une avance sur les revenus indivis. N'étant pas liés par la qualification alimentaire des mesures ordonnées en référé, ils doivent les imputer sur la part du créancier dans le total des revenus indivis qui, à ce stade, leur est connu. L'arrêt attaqué constate que "le notaire de R. a imputé sur l'indemnité d'occupation due la moitié du loyer payé par (la défenderesse), ainsi que l'avait prévu l'arrêt du 15 juin 2004", et décide "que les demandes formulées par (le demandeur) (à savoir que le secours alimentaire accordé à (la défenderesse) soit une avance sur la liquidation de la communauté ou soit déductible de l'indemnité d'occupation) aboutiraient à ce qu'aucun secours ne soit versé puisque toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables". REQUÊTE/10 Il s'abstient dès lors d'imputer le montant total des allocations provisoirement alimentaires versées par le demandeur à la défenderesse pendant l'instance en divorce sur la part de la défenderesse dans les revenus indivis, ce qui eût dû le conduire à relever, non pas que "toutes les sommes payées à ce titre seraient récupérables", mais que seule la différence entre les allocations provisoirement alimentaires et la part du conjoint créancier d'aliments dans les revenus indivis est à considérer comme définitivement alimentaire, tandis que la fraction des allocations provisoirement alimentaires correspondant à la part de la défenderesse dans les revenus indivis, qui lui a ainsi déjà été versée, doit être requalifiée en avance sur les revenus indivis, de sorte que la défenderesse ne peut plus prétendre percevoir ces revenus sous la forme d'une indemnité d'occupation. L'arrêt attaqué n'est, partant, pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen). Développements Le moyen porte sur la conciliation entre l'indemnité d'occupation dont l'usager exclusif d'un bien indivis est redevable à l'indivision lors du partage (voy. Cass., 4 mai 2001, Bull., n° 254, R.T.D.F., 2002, p. 714, note P. De Page, E.J., 2001, p. 122, note S. Mosselmans; J.-E. Beernaert, Les indemnités d'occupation, Rev. dr. ULB, 2003, p. 133), indemnité qui consiste en un partage des revenus produits par les biens indivis, et "l'allocation provisoirement alimentaire" octroyée à l'un des époux au cours de la procédure en divorce. S'il se conçoit que, lors de la liquidation, l'incidence des mesures provisoires édictées par le juge des référés soit examinée, il est acquis que ce juge ne peut, à ce stade, anticiper sur la liquidation et le partage (voy. Cass., 2 février 2012, Pas., n° 80; Y.-H. Leleu, Ex. jur. [1982-1996], Régimes matrimoniaux, R.C.J.B., 1998, pp. 264-269, n° 114-115; du même auteur, Six REQUÊTE/11 questions en quête de réponse à propos de l'indivision post-communautaire, Rev. not. b., 2001, pp. 667 et s.). Le juge des référés peut certes indiquer que l'occupation de l'ancienne résidence conjugale sera gratuite ou que l'indemnité sera réduite en raison du devoir de secours entre époux durant l'instance (P. De Page, Problèmes de liquidation et partage entre ex-époux, R.G.D.C., 1995, pp. 357-358), mais cette décision est alors dépourvue d'autorité de chose jugée à l'égard du juge de la liquidation, en raison du caractère essentiellement provisoire des mesures adoptées durant l'instance, lequel interdit au président du tribunal de prendre des décisions relatives aux biens qui anticiperaient sur les résultats de la liquidation. Il en résulte que c'est au moment de la liquidation que la conciliation de l'indemnité d'occupation due par l'un des ex-époux avec la créance "provisoirement alimentaire" reconnue à l'autre époux doit être examinée. Le notaire et le juge liquidateurs ne sont alors pas liés par ce qu'aura décidé, expressément ou tacitement, le juge des référés, et ils devront, étant complètement éclairés sur la consistance des patrimoines des époux et sur leurs revendications respectives, requalifier a posteriori les sommes versées par l'un des conjoints à l'autre et décider de la manière dont il sera tenu compte, lors de la répartition du patrimoine, de tous les flux financiers ayant existé entre eux. L'arrêt attaqué déduit des motifs de l'arrêt antérieur du 15 juin 2004 que l'occupation partiellement gratuite par le demandeur de l'ancienne résidence conjugale présente un "caractère alimentaire", en ce sens que "c'est parce que (le demandeur) occupait l'immeuble, partiellement gratuitement, que le montant de 870 euros – puis de 450 euros – de secours alimentaire était maintenu à (la défenderesse)". Il apparaît en effet que, dans cet arrêt, la cour d'appel a tenu compte de cette occupation partiellement gratuite au titre des revenus et charges respectifs des parties : la défenderesse ayant dû financer son relogement, tandis que le demandeur a vu ses charges réduites par l'effet de l'occupation du logement conjugal, il était justifié qu'il serve une "allocation provisoirement alimentaire" d'un montant élevé, contrebalancé par une occupation qui revêtait dès lors ellemême un caractère alimentaire (à concurrence de la moitié du loyer payé par la défenderesse). REQUÊTE/12 Mais il s'abstient ensuite d'imputer le montant total des allocations provisoirement alimentaires versées par le demandeur à la défenderesse pendant l'instance en divorce sur la part de la défenderesse dans les revenus indivis. Le demandeur se réfère à l'arrêt que votre Cour a rendu sur cette question le 18 mai 2009 (Pas., n° 325) et au commentaire approbatif qu'en a proposé le professeur Leleu (L'imputation des provisions alimentaires sur les revenus de l'indivision post-communautaire : une clarification attendue, Chron. not., Larcier, 2010, vol. 51, p. 311; L'imputation des provisions alimentaires sur les revenus de l'indivision post-communautaire : une clarification utile et attendue, Rev. trim. dr. fam., 2011, p. 490). Sans doute l'arrêt attaqué évoque-t-il tant cet arrêt que l'étude précitée, mais il en méconnaît l'enseignement. Dans l'espèce ayant conduit à cet arrêt, l'épouse avait obtenu, au titre des mesures urgentes et provisoires prononcées avant le divorce sur la base de l'article 223 du Code civil, la jouissance exclusive du logement familial indivis. Votre Cour pose que, dans l'hypothèse où cette mesure a été octroyée, non à titre de simple mesure de gestion mais à titre d'exécution en nature du devoir de secours incombant aux époux durant le mariage, elle peut donner lieu, suivant les éléments pris en compte par le juge de paix, à l'imputation de la jouissance dont l'époux a bénéficié sur sa part dans les revenus des biens indivis et, au cas où la part de l'époux créancier d'aliments dans les revenus indivis excède cette jouissance, celle-ci est censée constituer une avance sur cette part. Elle poursuit en observant qu'au stade de la liquidation de l'indivision postcommunautaire – laquelle implique que l'indivisaire qui a bénéficié de la jouissance exclusive d'un bien indivis soit tenu d'indemniser les autres indivisaires pour cette jouissance –, les effets de la mesure octroyant la jouissance exclusive du logement familial à l'un des époux, ordonnée en application de l'article 223 du Code civil, diffèrent selon que cette mesure constitue l'exécution en nature du devoir alimentaire ou qu'elle est une simple mesure de gestion, la seule REQUÊTE/13 introduction d'une demande en divorce n'en modifiant pas la nature. L'arrêt entrepris avait considéré que l'octroi de la jouissance du logement familial à l'épouse au cours de la période antérieure à la procédure en divorce, au titre de mesure urgente et provisoire ordonnée par le juge de paix, constituait une modalité d'exécution en nature du devoir de secours incombant aux époux durant le mariage. Il est cassé pour avoir décidé qu'il ne pouvait allouer une indemnité d'occupation au mari, en compensation de la jouissance du logement familial dont l'épouse avait bénéficié postérieurement à l'introduction de la procédure en divorce. Selon votre Cour, cette constatation que l'octroi de la jouissance du logement familial à l'épouse constituait une modalité d'exécution en nature du devoir de secours pouvait tout au plus amener le juge de la liquidation à procéder à l'imputation de cette jouissance sur la part de l'épouse dans les revenus des biens indivis et à constater, au cas où cette part excède ladite jouissance, que celle-ci est censée constituer une avance sur cette part. Dans un arrêt du 2 février 2012 (Pas., n° 80), votre Cour répète que si la jouissance exclusive du logement familial est accordée à titre d'exécution en nature de l'obligation de secours incombant aux époux, elle peut donner lieu, suivant les éléments pris en compte par le juge de paix ou le président du tribunal de première instance, à l'imputation de la jouissance dont le conjoint a bénéficié sur sa part dans les revenus des biens indivis et, au cas où la part du conjoint créancier des aliments dans les revenus indivis excède la jouissance précitée, celle-ci sera censée constituer une avance sur cette part. Dans ses études précitées, le professeur Leleu déduit de l'enseignement issu de votre arrêt du 18 mai 2009 que le notaire liquidateur a l'"obligation de qualifier les allocations accordées à un époux pendant l'instance en divorce en provisions alimentaires au sens strict, ou en simples avances sur revenus indivis" (Rev. trim. dr. fam., 2011, pp. 490-491) et que le notaire et le juge liquidateur "peuvent et doivent imputer le quantum des allocations provisoirement alimentaires sur les revenus indivis du créancier pour, selon les cas, déterminer si et dans quelle mesure elles ont constitué une provision alimentaire au sens strict ou n'ont été qu'une avance sur revenus indivis" (p. 495). REQUÊTE/14 N'étant pas liés par la qualification alimentaire des mesures ordonnées en référé, ils doivent obligatoirement les imputer sur la part du créancier dans les revenus indivis, a fortiori si le juge du provisoire n'a pas qualifié les allocations ordonnées, n'étant liés que par "le quantum et le mode de composition des allocations provisoirement alimentaires (total des provisions en argent versées, valeur locative cumulée du logement occupé, ...)" que le notaire "imputera sur la part du créancier dans le total, connu, des revenus indivis" (p. 496). En l'espèce, (i) le seul bien indivis productif de revenus est le logement familial, de sorte que chacune des parties peut prétendre, au titre des revenus indivis, à la moitié de l'indemnité d'occupation, laquelle correspond en règle à la valeur locative de l'immeuble; (ii) le demandeur a versé à la défenderesse, du 1er janvier 2001 au 16 juin 2007 (date d'extinction du devoir de secours), une provision alimentaire mensuelle de 870 €. Il appartenait dès lors au notaire puis au juge de la liquidation, complètement éclairés sur la consistance du patrimoine à liquider, de "compare(r) ces deux termes, total des allocations provisoirement alimentaires vs. moitié du total des revenus indivis". S'il apparaît que "les allocations provisoirement alimentaires excèdent la moitié des revenus indivis" : • "Le notaire et le juge liquidateur doivent considérer que le créancier avait besoin d'aliments à concurrence de la différence entre les allocations et sa part de revenus indivis, étant des ressources personnelles; cette partie des allocations peut être considérée comme définitivement alimentaire, payée à fonds perdu par le débiteur; l'autre partie était provisionnelle, une avance sur revenus indivis". • "Aucune indemnité d'occupation ne doit être payée par le créancier : il a perçu sa part de revenus indivis en occupant le bien, le surplus lui a été accordé à titre alimentaire". • "Dans la pratique, cette hypothèse se présente dans une majorité de cas, celle où le logement familial est le seul bien indivis productif de revenus substantiels". REQUÊTE/15 (Y.-H. Leleu, L'imputation des provisions alimentaires sur les revenus de l'indivision post-communautaire : une clarification utile et attendue, Rev. trim. dr. fam., 2011, p. 497). L'auteur envisage ici l'hypothèse rencontrée dans votre arrêt du 18 mai 2009, soit celle où l'ex-conjoint créancier d'aliments est aussi celui qui a été autorisé à se maintenir dans le logement familial. Mais le raisonnement est le même en sens inverse, soit dans l'hypothèse de l'espèce : si l'on procède à l'imputation en question, le débiteur d'aliments qui a joui seul du logement ne devra pas non plus payer une indemnité d'occupation, puisque la moitié de celleci, qui correspond à la part du conjoint créancier d'aliments dans les revenus indivis, lui aura déjà été versée sous la forme d'une allocation "provisoirement alimentaire" mais qui pourra – et devra – être requalifiée lors de la liquidation en avance sur revenus indivis. Il se déduit ainsi de vos arrêts précités des 18 mai 2009 et 2 février 2012 que le notaire et le juge de la liquidation sont tenus de procéder à l'imputation en question et de qualifier, s'ils constatent que les allocations provisoirement alimentaires servies au conjoint créancier d'aliments excèdent sa part dans les revenus indivis, ces allocations en avance sur ladite part. L'arrêt analysé, s'il reproduit en partie cet enseignement, constate de manière inexacte qu'"en l'espèce, c'est le calcul qui a été opéré, en pages 12 et 13 de l'état liquidatif, lorsque le notaire de R. a imputé sur l'indemnité d'occupation due la moitié du loyer payé par (la défenderesse), ainsi que l'avait prévu l'arrêt du 15 juin 2004". En effet, ce calcul, qui consiste à faire le total de l'indemnité d'occupation due par le demandeur sur la base de la valeur locative de l'immeuble depuis la date à laquelle la liquidation rétroagit, et à en déduire la moitié du loyer payé par la défenderesse entre cette date et celle où le devoir de secours entre époux a pris fin, n'équivaut nullement pas à imputer le total des allocations provisoirement alimentaires sur la moitié du total des revenus indivis. Si elle avait procédé à cette imputation, la cour d'appel aurait constaté que les allocations provisoirement alimentaires perçues par la REQUÊTE/16 défenderesse entre le 1er janvier 2001 et le 16 juin 2007 excèdent sa part dans les revenus indivis, laquelle équivaut à la moitié de la valeur locative de l'ancienne résidence conjugale depuis le 2 novembre 2000 jusqu'au jour du partage. Partant, elle aurait dû décider qu'à concurrence de la fraction des allocations provisoirement alimentaires ainsi requalifiée, la défenderesse a été remplie de ses droits dans les revenus indivis qui lui reviennent, de sorte qu'elle ne peut plus prétendre percevoir ces revenus sous la forme d'une indemnité d'occupation. En s'abstenant d'imputer les allocations provisoirement alimentaires servies par le demandeur à la défenderesse au cours de la procédure en divorce sur la moitié des revenus indivis revenant à celle-ci, et en s'abstenant par conséquent de constater que ces allocations excèdent la moitié des revenus indivis, l'arrêt ne décide pas légalement que le demandeur, débiteur d'aliments qui a joui seul du logement productif desdits revenus, est néanmoins redevable d'une indemnité d'occupation alors que la moitié de celle-ci, qui correspond à la part de la défenderesse dans les revenus indivis, lui a déjà été versée sous la forme d'une allocation "provisoirement alimentaire" qui, lors de la liquidation, devait être requalifiée en avance sur revenus indivis. PAR CES CONSIDERATIONS, l'avocate à la Cour de cassation soussignée, pour le demandeur, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel; statuer comme de droit quant aux dépens. Jacqueline Oosterbosch REQUÊTE/17 Le 9 octobre 2013 Pièce jointe n° 1 : pour l'information de la Cour : copie certifiée conforme de l'arrêt rendu entre parties le 15 juin 2004 par la première chambre de la cour d'appel de Liège