Belgique La fièvre flamande
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829 UNE gauche OK-2 19/09/06 18:25 Page 1 D O S S I E R Belgique La fièvre flamande MÉDIAS La bataille des quotidiens MEXIQUE Jusqu’où ira Lopez Obrador ? SUPPLÉMENT Courrier in English (2) www.courrierinternational.com N° 829 du 21 au 27 septembre 2006 - 3 € VIOLENCE ET ISLAM Le débat après le discours de Benoît XVI AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 829 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@i@m@j@k; 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829_p05bis 19/09/06 19:32 Page 5 s o m m a i re ● 34 ■ moyen-orient e n c o u ve r t u re ● VIOLENCE ET ISLAM Atta Kenare/AFP La conférence prononcée le 12 septembre par Benoît XVI en Allemagne n’a pas fini de produire ses effets. Le pape y faisait notamment référence aux rapports entre islam et violence, avant de montrer les failles d’une raison occidentale qui serait livrée à ellemême. Dans le monde musulman, beaucoup de journaux n’ont retenu que le premier point. En Europe, certains commentateurs apportent leur soutien au souverain pontife. pp. 40 à 44 I S R A Ë L Qu’auraient décidé les enfants exterminés à Auschwitz ? ARABIE SAOUDITE Moins dépendre des recettes pétrolières YÉMEN “Je cède à vos pressions et je reste président” Q ATA R On ne joue pas impunément avec le feu 38 ■ afrique ALGÉRIE Le GSPC est-il encore capable de frapper ? R É P U B L I Q U E D É M O C R AT I Q U E D U C O N G O Arrêtons de parler français ! A F R I Q U E D U S U D Les quarante vierges et le chef zoulou MADAGASCAR Rêve d’or noir à Antananarivo IN ENGLISH 45 ■ Courrier international en v.o. E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 40 ■ en couverture Islam-Occident : histoires de violence Des religieux iraniens se sont réunis le 17 septembre pour protester contre les attaques de Benoît XVI. 50 ■ portrait Indien, sociologue et insoumis Le pionnier de la sociologie indienne André Béteille a consacré sa carrière à étudier le système des castes. RUBRIQUES 52 ■ enquête Quand la Chine inventait l’égalité des chances Abandonné il y a un siècle, le système des concours suscite de la nostalgie. 6 ■ l’éditorial A micro et tombeau ouverts, par Philippe Thureau-Dangin 6 6 8 11 11 70 73 73 ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ 54 ■ dossier Belgique : la fièvre flamande l’invité Maung Zarni, New Statesman, Londres le dessin de la semaine les sources de cette semaine à l’affiche ils et elles ont dit voyage Nowa Huta et ses lieux branchés le livre Die Arbeit der Nacht, de T. Glavinic épices et saveurs Elections municipales le 8 octobre prochain, législatives au printemps 2007 : en Belgique, le ton du débat électoral ne cesse de monter. INTELLIGENCES 61 ■ économie MONDIALISATION La Chine commence à exporter son inflation MARCHÉS “Des pays riches peuplés de pauvres” C R I T I Q U E Stiglitz : un artiste de l’impossible ■ la vie en boîte Le changement, c’est épuisant Etats-Unis : agapes en orbite Stiglitz et la mondialisation 74 ■ insolites p. 62 presse n’est pas écrit Les quotidiens papier bientôt au musée • A Londres, une sanglante bataille a commencé • Nouvelle expérience au Danemark Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Hervé Guillemot. Cette semaine, “Nowa Huta, son aciérie, ses lieux branchés”, avec Iwona Ostapkowicz, de CI, et Maya Szymanowska, correspondante RFI à Varsovie. Cette émission sera diffusée sur 89 FM samedi 23 septembre à 19 h 40 et dimanche 24 septembre à 0 h 10, puis disponible sur <www.rfi.fr>. 68 ■ écologie D É F O R E S TAT I O N Au Brésil, l’ennemi numéro un s’appelle “soja” D’UN CONTINENT À L’AUTRE 14 ■ france POLITIQUE Sarkozy, l’homme qui voulait ressembler à Bush R É A C T I O N La “sale politique” du chef de l’UMP contre la Turquie SOCIÉTÉ Le Tout-Deauville tremble devant l’invasion britannique DIPLOMATIE Dialogue de sourds sous les ors élyséens 24 ■ amériques M E X I Q U E Obrador, accroche-toi, le peuple est avec toi ! URUGUAY La justice s’attaque enfin aux militaires C A N A DA Pourquoi faire la guerre en Afghanistan ? S O M M E T D E S PAY S N O N A L I G N É S Une autre mondialisation est possible ÉTATS - UNIS La culture de l’échec des Noirs américains MÉDIAS Crack, meufs et gros calibres 30 ■ asie TAÏWAN Le président Chen met l’île en émoi Pourparlers avec les insurgés INDE La jeunesse découvre la “Ghandi attitude” JAPON Le nouveau Premier ministre dans la tourmente ■ le mot de la semaine in’netsu, une passion néfaste CORÉE DU SUD Séoul veut son indépendance militaire C H AT Venez dialoguer avec Eric Maurice autour de la question Les Flamands veulent-ils l’indépendance ? 17 ■ europe S U È D E La continuité dans le changement A L L E M A G N E Comment combattre l’extrême droite POLOGNE - ALLEMAGNE La réconciliation n’est plus qu’un lointain souvenir KO S OV O Belgrade serait prêt à jouer la partition IRLANDE Dans les pubs de Dublin, la Guinness ne fait plus saliver RUSSIE Avertissement aux fonctionnaires honnêtes G É O R G I E Coup de balai avant les élections B I É L O R U S S I E Et maintenant, l’orthographe 64 ■ multimédia dossier L’avenir de la L’autre Cracovie p. 70 Rendez-vous jeudi 21 septembre à 15 heures sur courrierinternational.com LA SEMAINE PROCHAINE dossier Le Brésil de Lula écosse Rona, paradis des oiseaux THAÏLANDE ET AUSSI COURRIER INTERNATIONAL N° 829 Courrier in English (3) 5 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 19/09/06 18:16 Page 6 l’invité ÉDITORIAL A micro et tombeau ouvert Philippe Thureau-Dangin L E D E S S I N D E Maung Zarni, ● New Statesman (extraits), Londres es tatmadaw, les forces armées birmanes, qui de santé publique, d’éducation, d’économie, de déveavaient chassé – avec d’autres progressistes – les loppement des ressources humaines, de gestion des resoccupants japonais fascistes [le Japon a occupé la sources naturelles, de développement rural ou d’intéBirmanie pendant la Seconde Guerre mondiale], gration ethnique, le bilan des gouvernements militaires se voient accusées aujourd’hui des mêmes méfaits qui se sont succédé depuis 1962 est catastrophique. Il que ces derniers. Mais ne sombrons pas dans la ne faut pas s’attendre à une amélioration tant que les diabolisation. Ce n’est pas la solution. Elle n’a pas généraux auront pour seule priorité la sécurité, la sécuservi notre pays. Que cela nous plaise ou non, l’arrité et la sécurité. mée est devenue un acteur incontournable de notre corps L’armée est pourtant capable de changer de l’intérieur, politique. Elle est tellement enracinée dans la vie politique, pour le meilleur et pour le pire. Les changements sont économique et administrative du pays qu’il faut négocier toutefois lents et coûtent cher à ceux qui les lancent. avec le régime militaire si on veut que les malheurs et l’isoEn 1976, le capitaine Ohn Kyaw Myint, qui était l’aide lement de la Birmanie prennent fin un jour [les opposants de camp du chef d’état-major adjoint de l’époque, a refusent d’utiliser l’appellation de Myanmar pour leur pays]. tenté un coup d’Etat pour instaurer un gouvernement Les généraux viennent en réformiste. Le jeune meneur grande majorité de l’élite ura été pendu et ses complices, baine, mais des centaines de dont le chef d’état-major, milliers de familles de toutes chassés de l’armée. En 1983, les ethnies comptent des mile général Tin Oo, qui était à litaires en leur sein. Quelque l’époque conseiller à la sécudésagréable que puisse être rité nationale, a été limogé et cette idée, les chefs comme la tout son réseau de renseipiétaille sont faits du même gnement dissous, car la hiébois que nous. Ils soutiennent rarchie avait l’impression que ■ Chercheur invité au département des un nationalisme xénophobe. ce maître espion commençait études sur le développement d’Oxford, Ce sont tous des pères de faà devenir trop puissant. En le Dr Maung Zarni a fondé le mouvement mille qui vénèrent le Bouddha 2004, le général Khin Nyunt, d’opposition à la junte Free Burma Coaet croient en l’astrologie et qui était à la fois Premier lition (FBC). Après avoir réclamé des meaux miracles. Ils connaissent ministre et chef des renseisures d’embargo et d’isolement, la FBC tous les angoisses et le sentignements militaires, a tendu prône désormais la négociation. ment d’insécurité qui naît la main à l’opposition birlorsqu’on est au centre des conflits, avec ses concitoyens mane et à l’Occident. Cette ouverture a été sabordée par et désormais le monde extérieur, qui agitent le pays les durs du régime. Le général, qui était alors le troisièdepuis l’indépendance. me homme de la junte, a été chassé et son soutien déDepuis la fin de la guerre froide, l’Occident a redécoumantelé. Les durs se sont retirés de la communauté invert les droits de l’homme : il ne voit plus d’un bon œil ternationale et ont fermé la porte à l’opposition. les successeurs de Ne Win, le général qui a régné sans parL’armée, qui est contrôlée par les durs, n’est absolument tage sur le pays jusqu’en 1988, et ne tolère plus leur mode pas prête à voir à la tête du pays une personnalité qui ne de gouvernement autoritaire. L’attention pratiquement soit pas un général expérimenté, a fiortiori un civil. Dans exclusive apportée à l’opposante Aung San Suu Kyi et ces conditions, où va la Birmanie ? Si malheureux que à son épopée n’a toutefois servi à rien. Quoique bien intence soit, l’armée est la seule institution qui permettra des tionné, le soutien de celle-ci au boycott du tourisme, aux réformes. Nous n’avons pas d’autre choix que de discuter sanctions économiques et à l’isolation politique n’a pas avec les généraux. Si l’Occident et l’opposition ne se déciréussi et bloque même toute possibilité de réforme. dent pas à œuvrer pour la constitution d’une classe capiL’armée procède en politique comme à la guerre, elle taliste ou à trouver et à soutenir des militaires réformarecherche l’unité à la pointe du fusil. Elle a l’impression teurs, l’avenir de la Birmanie sera sombre. Mais, pour le d’être assiégée par l’Occident. C’est la population qui moment, il est aussi difficile de trouver des réformateurs supporte le coût énorme du conflit. Que ce soit en matière qu’une aiguille dans une meule de foin. ■ L Parlons avec la junte birmane DR Attention, les murs écoutent ! On se souvient, en juillet dernier, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, de la conversation entre Tony Blair et George Bush. Le premier proposait au second d’aller au Proche-Orient pour préparer la venue de Condoleezza Rice : “Si elle y va, elle doit réussir ; moi je peux y aller comme ça, pour parler”… De même, en 2005, lors du 750e anniversaire de la fondation de Kaliningrad, Chirac n’hésita pas à plaisanter devant Schröder et Poutine, sans se douter que des journalistes écoutaient : “La seule chose que les Anglais aient apportée à l’Europe, c’est la vache folle. On ne peut pas faire confiance à des gens qui ont une si mauvaise cuisine. Après la Finlande, c’est le pays où on mange le plus mal.” Cette semaine, c’est au tour du Premier ministre hongrois, Ferenc Gyurcsány, de se faire piéger par un enregistrement pirate d’une de ses sorties au langage châtié : “En Europe, il n’y a pas un pays qui ait fait une connerie aussi colossale que nous. Cela s’explique. Evidemment, nous avons menti pendant douze à dix-huit mois. Il était parfaitement clair que ce que nous disions n’était pas vrai. […] La divine Providence, l’abondance de l’économie mondiale et les centaines de combines, dont je ne dois évidemment rien savoir, nous ont aidés à survivre.” Résultat de la diffusion de ce morceau de bravoure : des émeutes à Budapest et une centaine de blessés dans la nuit du 18 au 19 septembre. (Avant de revenir la semaine prochaine à cette actualité hongroise, je vous renvoie à notre site : <courrierinternational.com>.) La politique devient donc un sport dangereux. Non seulement on n’est pas à l’abri d’un micro, mais toutes les déclarations off sortent désormais vite au grand jour, dans un blog ou un autre. Avec une circulation de l’information de plus en plus répétitive et dénuée de contexte, façon Google News, on en arrive à une distorsion de plus en plus évidente qui nourrit en fait l’ignorance. La conférence de Benoît XVI est à cet égard exemplaire, car se télescopent ici deux ordres qui n’ont plus rien à voir : la réflexion philosophique et la machine médiatique. On aurait pu penser que le pape savait qu’il ne lui était plus permis d’être un théologien, du moins devant les micros. Benjamin Kanarek 829p06 L A S E M A I N E ■ Sommet des non-alignés à La Havane. Fidel Castro, convalescent, aura été le grand absent du quatorzième sommet des pays non alignés, qui s’est tenu à Cuba du 11 au 15 septembre (voir aussi p. 26). Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres. www.courrierinternational.com Un nouveau dessin d’actualité chaque jour, et près de 2 000 dessins en consultation libre COURRIER INTERNATIONAL N° 829 6 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 19/09/06 19:16 Page 8 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. BANGKOK POST 55 000 ex., Thaïlande, quotidien. Fondé en 1946, ce journal indépendant, en anglais, réalisé par une équipe internationale, s’adresse à l’élite urbaine et aux expatriés. BRUSSEL DEZE WEEK 68 000 ex., Belgique hebdomadaire. Distribué gratuitement par la poste à la minorité néerlandophone de la Région bruxelloise, “Bruxelles cette semaine” couvre avec une certaine indépendance journalistique les débats politiques se rapportant aux Flamands de la capitale belge. Son supplément culturel paraît également en français et en anglais. THE DAILY STAR 15 000 ex., Liban, quotidien. “L’Etoile quotidienne” est le premier quotidien en langue étrangère au Liban. Indépendant et bien documenté, il publie régulièrement des articles de la presse anglo-saxonne. DAILY TIMES 43 000 ex., Pakistan, quotidien. “Une nouvelle voix pour un nouveau Pakistan”, lancé en 2002 par Najam Sethi, propriétaire de l’hebdomadaire Friday Times, entend défendre la liberté de parole dans un pays où elle n’est pas toujours respectée. THE ECONOMIST 1 009 760 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Véritable institution de la presse britannique, le titre, fondé en 1843 par un chapelier écossais, est la bible de tous ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale. Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrême centre”. Imprimé dans six pays, il réalise 83 % de ses ventes à l’extérieur du Royaume-Uni. ELAPH <www.elaph.com>, Royaume-Uni. Créé en 2001, à Londres, ce site arabe publie quotidiennement en langues arabe et anglaise des articles politiques, sociaux, culturels et économiques sur le monde arabe, ainsi qu’une revue de presse et des articles publiés dans les médias arabes ou occidentaux. FINANCIAL TIMES 432 500 ex., Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. IL FOGLIO 40 000 ex., Italie, quotidien. Créé en 1996 par Giuliano Ferrara, ancien porte-parole du gouvernement Berlusconi, et animé par une équipe de conservateurs et de transfuges de l’extrême gauche, Il Foglio se veut le quotidien de l’intelligentsia de la droite italienne. FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG 377 000 ex., Allemagne, quotidien. Fondée en 1949 et menée par une équipe de 5 directeurs, la FAZ, grand quotidien conservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires et intellectuels allemands. GAZETA WYBORCZA 500 000 ex. en semaine et 1 000 000 ex. le week-end, Pologne, quotidien. “La Gazette électorale”, fondée par Adam Michnik en mai 1989, est devenue un grand journal malgré de faibles moyens. Et avec une immense ambition journalistique : celle d’être laïque, informative, concise. Son supplément culturel du vendredi, Magazyn-Gazeta Wyborcza, est devenu un rendez-vous incontournable. GRANI.RU <http://grani.ru>, Russie. Ce site, apparu en décembre 2000, est généraliste et ouvre ses fenêtres à des signatures aussi variées que celles d’Elena Bonner ou Edouard Limonov. HANKYOREH 21 100 000 ex., Corée du Sud, hebdomadaire. Créé en 1994, ce journal appartient à Hankyoreh, le principal quotidien d’opposition du pays, fondé en 1988 par des journalistes victimes de la purge militaire.Tous deux se caractérisent par leur rigueur et leur austérité et utilisent exclusivement l’alphabet coréen, refusant les caractères chinois. en 1999, ce site est le principal média d’information indépendant du pays. Il recense 100 000 visiteurs par jour. Sa couverture journalistique, dans un pays où les médias sont contrôlés par des proches du pouvoir, lui a valu d’être récompensé par de nombreux prix internationaux dont l’International Press Freedom Award en 2000. MILENIO 80 000 ex., Mexique, quotidien. Né en 2000 à Monterrey, la grande ville du Nord, “Millénaire” possède aussi des rédactions à Mexico et dans d’autres villes de province. Son ton irrévérencieux traduit une approche incisive de l’actualité politique mexicaine. Il appartient au puissant groupe Multimedios. THE MILLI GAZETTE 500 000 ex., Inde, bimensuel. Fondée en 2000, “La Gazette nationale” est l’une des principales publications musulmanes du pays. Elle traite de sujets sociaux et politiques, plus particulièrement s’ils concernent l’islam, et s’adresse à une élite cultivée. AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie MING PAO 140 000 ex., Chine (Hong Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public. Kong), quotidien. “Clarté” est populaire tout en étant un lieu d’analyses et de réflexions sans position déterminée vis-à-vis de Pékin. Créé en 1958 par Louis Cha (Jing Yong), Chinois francophone et connu pour être l’un des auteurs de romans de chevalerie les plus populaires de Chine. AL-HAYAT AL-JADIDA 6 000 ex., Israël (Territoires palestiniens), quotidien. Créé en 1995 à la suite des accords de paix israélopalestiniens, “La Vie nouvelle” se voulait le journal indépendant de l’entité palestinienne naissante. En dépit d’aides diverses de la part de l’Autorité palestinienne, le journal a maintenu une indépendance rédactionnelle vis-à-vis du pouvoir. quotidien. Fondé en 1992, ce journal célèbre en Kabylie a, comme actionnaire majoritaire, Issad Rebrab, un industriel proche du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Avec son hebdomadaire Economie, le groupe Liberté s’est diversifié et s’est aussi lancé dans l’édition. DE MORGEN 69 000 ex., Belgique, LA LIBRE BELGIQUE 60 900 ex., LA NACIÓN 185 000 ex., Argentine, <http://www.malaysiakini.com>, Malaisie, quotidien en ligne. Lancé Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : OUTLOOK 250 000 ex., Inde, hebdomadaire. Créé en octobre 1995, le titre est très vite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde. Sa diffusion suit de près celle d’India Today, l’autre grand hebdo indien, dont il se démarque par ses positions nettement libérales. L’édition en hindi a été lancée en octobre 2002. POLITIKA 100 000 ex., Serbie-etMonténégro (Serbie), quotidien. Doyen des journaux serbes, “La Politique” était l’organe du pouvoir de Slobodan Milosevic jusqu’à l’évincement de ce dernier en l’an 2000. Racheté par le groupe allemand WAZ en 2002, il reprend sa place de quotidien de référence. AL-QUDS AL-ARABI 50 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. “La Jérusalem arabe” est l’un des trois grands quotidiens panarabes édités à Londres.Toutefois, contrairement à ses confrères Al-Hayat et Asharq Al-Awsat, il n’est pas détenu par des capitaux saoudiens. LE QUOTIDIEN D’ORAN 190 000 ex., Algérie, quotidien. Quotidien régional fondé en 1994 à Oran, devenu national en 1997, c’est désormais le premier quotidien francophone du pays. Sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble les meilleures signatures de journalistes et d’intellectuels d’Algérie dans son édition du jeudi. quotidien. Lancé par le groupe Milliyet en 1996 pour devenir le quotidien des intellectuels. Certains l’appellent “Cumhuriyet light”, en référence au grand journal kémaliste qu’il veut concurrencer. LIBERTÉ 80 000 ex., Algérie, MALAYSIAKINI Nouvelle-Zélande, hebdomadaire. Seul hebdomadaire d’actualité du pays, The New Zealand Listener est né en 1939 comme une publication officielle de la radio NZ Broadcasting Service, dans le but de traiter les sujets en rapport avec la radiodiffusion. RADIKAL 65 000 ex.,Turquie, LA JORNADA 75 000 ex., Mexique, quotidien. Né en 1984, avec l’ambition de casser l’uniformité de la presse mexicaine, “La Journée” déclare exercer un journalisme critique mais responsable. Il est très pointu sur toutes les questions qui touchent les catégories les plus marginalisées de la population, à commencer par les Indiens. Belgique, quotidien. Ce titre de qualité des francophones s’est ouvert à de nouvelles thématiques sans renier ses origines catholiques. Edité par Informations et productions multimédias (IPM), qui détiennent également La Dernière Heure-Les Sports, la “Libre” a modifié l’organisation de ses rubriques, en 1999, puis son format, en 2002. THE NEW ZEALAND LISTENER 73 400 ex., quotidien. Créé en 1978 sur le modèle français de Libération, le quotidien progressiste flamand a bousculé la presse belge par une ligne éditoriale agressive. Spécialiste du scoop, “Le Matin” se distingue également par la qualité de ses photographies. quotidien. Fondé en 1870, le titre est une institution de la presse argentine. Quotidien conservateur, il est destiné aux élites. Une rubrique internationale de qualité contribue à sa réputation. NEW STATESMAN 26 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis sa création, en 1913, cette revue politique, aussi réputée pour le sérieux de ses analyses que pour la férocité de ses commentaires, est le forum de la gauche indépendante. LE SOIR 125 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1887, le titre s’adresse à l’ensemble des francophones de Belgique. Riche en suppléments et pionnier sur le web, le premier journal de Bruxelles et de la Wallonie voit néanmoins ses ventes s’éroder d’année en année. DER SPIEGEL 1 076 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Un grand, très grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, agressivement indépendant et à l’origine de plusieurs scandales politiques. SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex., Allemagne, quotidien. Né à Munich, en 1945, le “journal intellectuel du libéralisme de gauche allemand” est l’autre grand quotidien de référence du pays, avec la FAZ. SVENSKA DAGBLADET 190 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1884, “Le Quotidien de Suède”, conservateur, a été racheté Courrier international en l’an 2000 par le groupe norvégien Schibstedt. En grande difficulté financière, il est passé en 2001 en format tabloïd. Il offre de bonnes pages culturelles. DE STANDAARD 95 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1918, le journal de référence de l’establishment flamand a pris ses distances, ces dernières années, avec le monde catholique tout en conservant sa foi dans le combat linguistique. Grâce à la qualité de ses analyses et de ses suppléments, le quotidien affiche son ambition : devenir un “journal de qualité de niveau européen”. RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) SVOBODANEWS.RU <www.svobodanews.ru>, Russie. C’est le webzine de Radio Svoboda, dont le siège est à Moscou et qui est la version russe de Radio Free Europe/Radio Liberty, financée depuis la guerre froide par le Congrès américain pour promouvoir la démocratie en Europe de l’Est. Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassis (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) TEHELKA 100 000 ex., Inde, hebdomadaire. Créé en 2000, Tehelka était à l’origine un journal en ligne connu pour son indépendance. Devenu magazine en 2004, il a bâti sa réputation grâce à ses enquêtes sur la corruption et est devenu une référence en révélant les scandales liés au trucage des matchs de cricket. EL UNIVERSAL 100 000 ex., Mexique, quotidien. Fondé en 1916 par Félix Palavicini, ce quotidien est très proche du Parti révolutionnaire institutionnel. La nouvelle Constitution de 1917 fut retranscrite dans ses pages dès sa promulgation. El Universal fut le premier journal mexicain à fonctionner avec des agences de presse et à avoir des correspondants. La figure emblématique du journal est son propriétaire et directeur général, Juan Francisco Ealy Ortiz. Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) VRIJ NEDERLAND 50 000 ex., PaysBas, hebdomadaire. Créé en 1940, journal de la Résistance puis figure de proue de la gauche pendant les années 1970, “Les Pays-Bas libres” se distingue par la richesse de sa rubrique culturelle, son engagement vis-à-vis des minorités, du tiers-monde et de l’environnement. De plus, il joue un rôle important dans le discours social. Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) AL-WATAN 40 000 ex., Arabie Saoudite, quotidien. Fondé en 2000. Comme la majorité des médias saoudiens, “La Patrie” exprime les positions officielles du royaume. Depuis le 11 septembre 2001 et ses retombées négatives sur la monarchie saoudienne, le journal participe aux débats politiques qui secouent le pays. Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Chloé Baker, Edwige Benoit, Marc-Olivier Bherer, Marianne Bonneau, Jean-Baptiste Bor, Olivier Bras, Gaëlle Charrier, Valérie Defert, Valéria Dias de Abreu, Marc Fernandez, Martin Gauthier, Lola Gruber, Lionel Guyader, Natacha Haut, Magali Lagrange, Légendes Cartographie, Rivière Lelaurin, Françoise Liffran, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Marina Niggli, Anne Proenza, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Anne Thiaville, Aïssata Inna Touré, Emmanuel Tronquart, Marion Vigreux, Janine de Waard, Zaplangues ZHONGGUO XINWEN ZHOUKAN 100 000 ex., Chine, hebdomadaire. Magazine d’information créé à Pékin le 1er janvier 2000. Papier glacé, photos en couleurs, style direct, sujets variés. Son éditeur, l’agence Nouvelles de Chine, fait des efforts évidents pour fournir un magazine “ouvert sur le monde, dans un esprit créatif et original”. ADMINISTRATION - COMMERCIAL Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine Bergström (16 73) Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40 Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ; Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78 Modifications de services ventes au numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146 Courrier international Libre réponse 41094 Voici mes coordonnées : Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60731 SAINTE-GENEVIÈVE CEDEX Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour joindre le service abonnements, téléphonez au 0 825 000 778 E-mail : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal : . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je choisis mon moyen de paiement : Date et signature obligatoires : ❑ Par chèque à l’ordre de Courrier international ❑ Par carte bancaire N° Expire fin : ✂ Offre valable jusqu’au 31-12-2006. En application de la loi du 6-1-1978, le droit d’accès et de rectification concernant les abonnés peut s’exercer auprès du service abonnements. 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Sa langue maternelle est le yiddish et, même s’il a appris le polonais à l’école (il le lit encore), il ne comprend plus le sens des mots. Il se sent argentin, même s’il est avant tout citoyen de l’Hôpital israélite, où il réside depuis trente ans. Plus qu’un patient hospitalisé, c’est un pensionnaire. Dans sa chambre, il passe en revue les bilans cliniques, les bulletins de sortie, les constats de décès. Les deux fois où je lui ai rendu visite, je l’ai trouvé plié en deux sur une chaise, le journal ouvert sur son lit. Il ne lisait pas, il étudiait les caractères avec une précision de linotypiste et, quand il s’est levé de sa chaise, il n’a pas eu l’air tellement plus grand. S’il n’était pas le vieillard souriant et bienveillant qu’il est, on pourrait l’imaginer comme le mystérieux personnage du roman de Gustav Meyrink Le Golem, la créature façonnée par un rabbin, qui hantait le cimetière juif de Prague. Le père de Bekman est arrivé en Argentine en 1931 ; quelques années plus tard, sa femme et León, son fils unique, qui avait alors 8 ans, venaient le rejoindre. Les six premiers mois, ils ont survécu dans la capitale comme marchands ambulants, puis le père a ouvert une boutique de vêtements, “Carmel”, en l’honneur du mont d’où provient le meilleur vin d’Israël. Dans les Clarín L LEÓN BERNARDO BEKMAN, 74 ans, rési- dent permanent de l’hôpital israélite de Buenos Aires. Issu d’une famille originaire d’Europe centrale qui a émigré en Argentine dans les années 1930, cet expert-comptable atteint d’une sclérose en plaques est entré à l’hôpital au milieu des années 1970. Il en est devenu indissociable. années 1940, l’Argentine permettait une grande mobilité sociale, et León a fait des études pour devenir expert-comptable. Mais, en 1962, sa sclérose en plaques s’est déclarée. Quelques mois plus tard, sa mère mourait et, en 1968, ce fut le tour de son père. León n’a pas pu rembourser les dettes accumulées, si bien que l’entreprise familiale a périclité. Au milieu des années 1970, grâce à l’intervention de la communauté juive, à laquelle il a toujours été très attaché, il a obtenu un lit à l’hôpital israélite. Dans les années 1980, ce qui avait commencé comme une hospitalisation devient un hébergement. Avec le temps, León fait figure de patient indispensable, et peut- être a-t-il dit un jour, à la manière de Bartleby, le personnage de Herman Melville : “Je préférerais ne pas [m’en aller].” L’hôpital est sa ville. Il y vit, il y travaille. Il parle des différents services comme de quartiers où il aurait emménagé successivement depuis trente ans. A une époque, il a habité au deuxième étage ; plus tard, il a été transféré dans une chambre de la maternité, et ainsi de suite. “Je peux vous faire lire mon CV”, dit-il en montrant un dossier où l’on apprend qu’il a commencé à travailler comme secrétaire administratif au service de médecine interne et qu’ensuite il est passé au centre hospitalier universitaire. De cette période il a conservé l’outil acquis avec le métier, l’Olivetti en métal de couleur olive, dont il continue à se servir quotidiennement. Depuis plus d’un an, il est au n° 709, une chambre dont la situation permet aux infirmiers de garder un œil sur lui, précaution utile car il lui arrive souvent de faire des chutes. Il y a longtemps qu’il ne se promène plus dans les couloirs en s’aidant de sa canne. Sa nièce, qui vient toujours lui rendre visite, voit qu’aujourd’hui même le lit est devenu trop haut pour lui. Par lucidité face à sa déchéance physique – ou par coquetterie, ce qui revient presque au même –, il n’aime pas qu’on le prenne en photo. “Ça m’énerve de voir mon visage, et de voir ce qu’est devenu mon corps.” Cette peau qui n’a pas vu le soleil depuis trente ans devient transparente aux oreilles, quand on regarde à contre-jour. Plus qu’un vieillard, on dirait un enfant qui a cessé de grandir quand il a décidé de s’exiler du monde. Matilde Sánchez, PERSONNALITÉS DE DEMAIN CHANDLER BURR Par l’odeur attiré KAROLINE HERFURTH Femme au parfum Venu prononcer un discours au Congrès des syndicats, il a aperçu plusieurs délé- Dessin de Springs, Londres. gués brandir des pancar tes réclamant son départ : “Merci beaucoup… pour ce genre d’accueil. Enfin, plus ou moins.” (The Guardian, Londres) PIOTR TYMOCHOWICZ, conseiller en image polonais ■ Expert “Une personne saine d’esprit ment deux fois par jour. Les malades ne mentent pas, mais ceux-là restent enfermés dans les hôpitaux psychiatriques.” Parmi ses anciens clients figure Andrzej Lepper, le leader de la formation populiste Auto(Przekrój, Varsovie) défense. TONY CURTIS, acteur américain ■ Juvénile “Je refuse de vieillir à l’écran. Je ne vais pas jouer les grands-pères, les oncles et les juges. J’ai encore de beaux restes et les femmes se retournent sur mon passage.” L’année dernière encore, à 80 ans, il a posé nu pour le magazine Vanity Fair. (The Observer, Londres) MARK REGEV, porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien ■ Navré “Une erreur malheureuse s’est produite dans la duplication des cartes : le poste de l’ONU n’y était pas indiqué comme il aurait dû l’être, et cela a provoqué la tragédie.” Telle est la conclusion de la commission d’enquête sur le bombardement du poste de l’ONU de Khiyam, au Sud-Liban, effectué par l’armée israélienne le 25 juillet dernier. Quatre soldats de la FINUL, dont un Autrichien, y ont perdu la vie. (Österreich, Vienne) ALOU ALKHANOV, président de Tchétchénie ■ Positif “L’appellation ‘Tchétchénie’ a une connotation péjorative, elle est interprétée de façon négative et ne repose sur aucune base juridique.” Il vient de charger le ministre de l’Information d’étudier la question d’un éventuel changement de nom pour son pays. “Une des variantes possible pourrait être ‘république de Nokhtchine’.” (Agence rosbalt.ru, Saint-Pétersbourg) HUGO CHÁVEZ, président du Venezuela ■ Optimiste “Il marche, il chante et il est même prêt à jouer au base-ball.” COURRIER INTERNATIONAL N° 829 11 Il assure que Fidel Castro, absent du quatorzième sommet des pays non alignés qui s’est déroulé à La Havane la semaine dernière, se remet vite de son opération des intestins. (Newsweek, New York) COLIN POWELL, ancien secrétaire d’Etat américain ■ Dessillé “Le monde commence à douter du fondement moral de notre lutte contre le terrorisme.” Extrait d’une lettre adressée au sénateur John McCain, où il s’oppose à la proposition de la Maison-Blanche de durcir le traitement réservé aux personnes suspectées de terrorisme. (The Washington Post, Dessin de Cajas, Washington) Quito. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 ’est le personnage clé dans le roman et dans le film. L’incarnation de l’amour. C’est ce que comprend le protagoniste du Parfum – quand il est trop tard.” Elle est pour le moins enthousiaste – et “reconnaissante”, confie-t-elle au quotidien berlinois Die Welt, à Tom Tykwer, le metteur en scène, et Bernd Eichinger, le producteur, de lui avoir confié le rôle du grand amour de Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum : histoire d’un meurtrier, l’adaptation du roman de Patrick Süskind, sortie sur les écrans allemands le 14 septembre [en France le 4 octobre]. Au côté de l’acteur londonien Ben Whishaw, qui interprète le héros né dans la puanteur d’un étal de poissons dans le Paris du XVIIIe siècle, Karoline Herfurth fait sa grande entrée au cinéma. Née en 1984, précisément l’année de parution du roman de Süskind, que 30 millions de lecteurs ont dévoré dans le monde entier, elle a passé son enfance à Berlin-Est, et se définit comme “berlinoise à 100 %”. Après une première apparition dans un téléfilm, à l’âge de 11 ans, elle passe au cinéma dans une comédie pour jeune public, Crazy (2000), puis dans Mädchen, Mädchen (2001). Très sportive, Karoline s’occupe aussi d’un cirque. Et elle poursuit sa formation d’actrice à l’Ecole d’art dramatique Ernst Busch de Berlin. Elle l’aura terminée dans un an. C Clarín, Buenos Aires ILS ET ELLES ONT DIT TONY BLAIR, Premier ministre britannique ■ Stoïque ’aucuns écrivent sur les vins. Evoquent couleurs, épaisseurs, assemblages, fragrances. Lui aussi. A ceci près que les jus dont il parle ne se jettent pas derrière la cravate, mais se glissent derrière l’oreille. Cet homme est critique en parfums. Le premier du genre, affirme le New York Times, qui vient de l’embaucher. Burr s’en explique longuement dans les colonnes de The Independent. “Je suis diplômé en économie internationale et en économie politique japonaise, et rien ne me prédisposait à écrire sur les parfums.” Rien, jusqu’à ce jour de 1998 où un retard de train amène ce journaliste à parler avec son voisin de quai, chercheur en senteurs. “Il m’a semblé que j’étais tombé sur quelque chose.” Il en fait un livre (The Emperor of Scent, éd. Arrow Books, non traduit en français). The New Yorker, par l’odeur alléché, l’embauche. Objectif : montrer aux lecteurs que derrière les effluves existe un monde bien réel de création, de recherche, d’usines, de chaînes de production… “Quand je pense à tous les endroits où j’ai vécu – Tokyo, Manille, Paris, Pékin, Rio, etc. –, ce sont les odeurs dont je me souviens le plus, explique le nouveau critique en parfums du New York Times. Si elles pouvaient être fixées comme le sont les images, si on pouvait acheter un souvenir durablement odorant aussi facilement qu’une carte postale…” Là encore, Chandler Burr flaire un bon filon. D DR 19/09/06 DR 829p11 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p14-16 19/09/06 17:53 Page 14 f ra n c e ● P O L I T I QU E Sarkozy, l’homme qui voulait ressembler à Bush Similarités dans le discours, même gestuelle triomphante… Le ministre de l’Intérieur français a mis à profit son séjour américain pour se rapprocher encore de son modèle, estime le chroniqueur américain Roger Cohen. INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE en finir avec cette répugnance bien française pour le libéralisme économique “anglo-saxon”, c’est-à-dire américain. Sarkozy s’est même révélé assez drôle en parlant de cette aversion des Français pour le capitalisme américain, notant que sa présence à New York faisait grincer des dents en France. Pourquoi, a-t-il souligné, alors que son objectif est de ramener le taux de chômage français à 5 %, se priver d’aller chercher l’“inspiration” dans un pays où la proportion de chômeurs tourne justement autour de ce taux ? Et, étant donné qu’il souhaite un système démocratique apportant à la fois “stabilité et mouvement”, pourquoi ne pas passer un peu de temps dans un pays dont la vie politique semble correspondre à cette description ? Paris n homme politique infatigable est venu à New York pour la commémoration des attentats du 11 septembre 2001. Ami fidèle d’Israël, il est fermement convaincu de la vitalité de l’économie américaine et ne mâche pas ses mots, même s’il arrive parfois à sa langue de fourcher. Il a félicité les pompiers de New York, remis quelques médailles, participé à une cérémonie religieuse et fendu la foule d’un pas alerte. Non, cet homme n’est pas George W. Bush, c’est Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur français et l’homme qui veut révolutionner le pays le plus conservateur d’Europe en accédant au palais de l’Elysée lors de la prochaine élection présidentielle. Révolutionner la France avec une bonne dose d’américanisme, s’entend. Choisir de marcher sur les traces de George W. Bush, l’homme que la France adore haïr, à l’occasion d’une journée solennelle du souvenir pour les Américains, n’est pas à la portée de tout le monde. Mais Sarkozy a peut-être mis là le doigt sur quelque chose. Il comprend l’hypocrisie de la société française, où ce qui se dit à haute voix ne reflète pas toujours ce qu’on pense au fond de soi. Il est conscient de la colère contenue des Français, qui sont ravis de voir enfin un homme politique bousculer le politiquement correct et se tenir fermement aux côtés de quelqu’un. Une admiration secrète pour George W. Bush se cache-t-elle quelque part dans l’Hexagone ? Je le crois. En tout cas, l’échiquier politique présente de troublantes similitudes des deux côtés de l’Atlantique. A ma droite, un homme pugnace un peu hargneux qui aime asséner ses opinions – entendez George W. Bush ou Nicolas Sarkozy. A ma gauche, une femme intelligente qui s’exprime avec aisance et se rapproche du centre aussi vite que le lui permettent les convenances et un parti plus ou moins fossilisé – comprenez Hillary Rodham Clinton ou Ségolène Royal. Qui a dit qu’une des raisons pour lesquelles la France et les Etats-Unis ont tant de mal à s’entendre est que ces deux pays se ressemblent plus que ne le laissent croire les apparences ? Personne. C’est pourtant la vérité. Une chose est sûre, Nicolas Sarkozy a clairement fait des emprunts à Bush. Son discours devant les fidèles de l’UMP cet été avait clairement des accents bushiens, à la seule différence qu’il visait les soixantehuitards français et non les crânes d’œuf progressistes qui sillonnent en Volvo la côte Est des Etats-Unis. Les U UN IMPROVISATEUR, UN VENDEUR, UN HOMME DE SPECTACLE Dessin d’Ulises paru dans El Mundo, Madrid. deux hommes se plaisent également à répéter le même mot qui endort le cerveau mais se révèle politiquement efficace. Dans le cas de Bush, c’est évidemment le terme de “liberté”. Pour Sarkozy, c’est celui de “rupture”. Ce dont la France a besoin, at-il martelé, c’est d’une rupture dans notre comportement, une rupture dans nos méthodes, une rupture dans notre façon de débattre des idées, afin de créer un “nouveau modèle français”. Pour cela, estime-t-il, il faut d’abord J’ai dit un peu plus haut que la France est le pays le plus conservateur d’Europe. Un pays où aucune alternance n’est possible – à cause de l’énorme chevauchement idéologique entre les deux grandes familles politiques – est un pays intrinsèquement conservateur. Un pays, qui plus est, englué dans le statu quo d’un Etat dominé par les fonctionnaires. Mais, à l’évidence, Sarkozy reste français. Lorsqu’il était ministre des Finances, il a affirmé qu’une déréglementation massive à la Margaret Thatcher n’avait pas ses faveurs. Néanmoins, il apporte une bouffée d’air frais. Les terroristes, a-t-il affirmé à New York, sont des assassins, des barbares sans foi ni loi, et rien – ni la misère ni la situation des Palestiniens, rien – ne peut expliquer ce qui est arrivé le 11 septembre. Le danger, a-t-il ajouté, est qu’un début d’explication risque de s’apparenter à des excuses. On peut être d’accord ou non avec cela. Mais, au moins, on sait d’où vient le bonhomme. La langue de bois, ce n’est pas son genre. Parce qu’il n’a jamais étudié dans les grandes écoles, Nicolas Sarkozy n’a pas appris comment élaborer un argument en sept points, puis à passer péniblement ceux-ci en revue un par un. Non, c’est un fils d’immigrés arrivés dans ce pays d’immigrés, un improvisateur, un vendeur, un homme de spectacle, un puissant missile pointé vers le cœur d’une France pompeuse. Tony Blair, qui a révolutionné le Parti travailliste en Grande-Bretagne, va quitter la scène politique dans les mois à venir. Nicolas Sarkozy, qui est en mesure d’imposer une réinvention du gaullisme non moins radicale que ne l’a été le bouleversement travailliste pour les Britanniques, pourrait bien être sur le point de se faire élire. Les sondages le donnent favori à droite et le placent au coude-àcoude avec Ségolène Royal au second tour. Il tiendra sans doute des propos gaffeurs avant l’élection, mais les admirateurs secrets de Bush en France ne lui en tiendront pas rigueur. Le président américain pourrait alors terminer son second mandat avec Paris comme plus fidèle allié européen. Ce qui, si l’on en croit le mythe franco-américain, serait dans l’ordre des choses. Roger Cohen RÉACTION La “sale politique” du chef de l’UMP contre la Turquie Pour le quotidien Radikal d’Istanbul, les déclarations de Nicolas Sarkozy contre l’adhésion turque relèvent du calcul politicien. Une manière bien commode pour le candidat à la présidentielle de jouer la carte antimusulmane. ors de son discours du 8 septembre devant le groupe de réflexion Les Amis de l’Europe, Nicolas Sarkozy a demandé que l’on délimite clairement les frontières de l’Europe. Selon le politicien français à l’ascension irrésistible, l’Union européenne doit intégrer le reste des pays balkaniques, ainsi que la Norvège et la Suisse, mais la Turquie doit en être exclue. Il estime même qu’à cause de la question chypriote les négociations en cours doivent cesser. Ce faisant, Sarkozy a franchi un pas que personne n’avait osé franchir jusqu’à présent : il dessine une frontière précise pour l’Europe, L que l’on pourrait qualifier de ligne de défense. En même temps, il annonce clairement la couleur de sa campagne électorale – de toute évidence, il veut jouer la car te antimusulmane en se ser vant de la Turquie. C’est une sale politique. A la fin de la réunion, Bahadir Kaleagasi, le représentant de l’Association des industries et des entreprises de Turquie [TUSIAD, la puissante association des hommes d’af faires turcs], s’est approché du chef de l’UMP pour lui dire : “Si vous visitiez la Turquie, vous connaîtriez mieux les Turcs et vous comprendriez que ce pays, par ses racines et par son développement économique, a son avenir ancré dans l’UE.” Sarkozy lui a répondu qu’il gagnerait, cer tes, à avoir une meilleure connaissance du peuple turc, mais que les Turcs devraient, pour leur par t, mieux expliquer et démontrer leur appar tenance européenne. Kaleagasi lui a alors rappelé que COURRIER INTERNATIONAL N° 829 14 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 c’étaient les pères fondateurs de l’UE, comme de Gaulle, Adenauer ou Schuman, qui avaient ouvert la voie de l’adhésion de la Turquie. Ce court entretien a été peu diffusé dans la presse, mais il est essentiel dans la mesure où l’on y entend Sarkozy admettre qu’il ignore tout de la Turquie. Il est important, de plus, parce qu’il souligne le poids des pères fondateurs de l’UE aux côtés des Turcs et rappelle à Sarkozy qu’il doit mieux apprendre ses leçons. Mais les propos échangés entre les deux hommes sont sur tout lourds de sens pour la Turquie, car ils montrent ce que nous devons faire : abandonner notre attitude timide, notre susceptibilité et notre tendance à nous replier sur nous-mêmes pour nous ouvrir à l’extérieur avec plus d’intrépidité et de confiance. La Turquie doit dépasser son mutisme traditionnel pour s’expliquer, sans intermédiaire, au monde et à l’Europe, dont elle fait partie. Haluk Sahin, Radikal, Istanbul 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p14-16 19/09/06 17:53 Page 16 f ra n c e SOCIÉTÉ Le Tout-Deauville tremble devant l’invasion britannique Le projet de liaison aérienne entre Londres et la station balnéaire ne fait pas que des heureux. Notamment chez les Deauvillais les plus aisés, inquiets de voir leur ville se transformer en vulgaire banlieue londonienne. THE GUARDIAN Londres epuis le club-house à colombages où elle déjeune, Christiane Célice contemple le terrain de golf qui s’étend vers la Manche. “N’estce pas magnifique ? soupire-t-elle. Maintenant, imaginez le même paysage avec le vacarme assourdissant d’un Boeing 737. Tout le charme serait rompu. Nous devons nous battre jusqu’au bout.” Du fond de sa propr iété du XIXe siècle, cette ancienne antiquaire lutte contre l’arrivée imminente de Ryanair à Deauville, la station balnéaire la plus chic de la Riviera normande. En vertu d’un accord signé avec le maire de la ville, la compagnie aérienne irlandaise à bas prix doit assurer, dans les mois à venir, trois liaisons hebdomadaires avec l’aéroport londonien de Stansted. A l’instar d’autres petites villes désireuses d’attirer des vols à bas coût, la municipalité a annoncé qu’elle prendrait elle-même en charge les frais publicitaires de la compagnie, soit 170 000 euros par an. Comme les membres de plus en plus nombreux de son association, Mme Célice juge inadmissible que l’argent du contribuable soit ainsi dépensé. Elle craint que cette nouvelle liaison ne sape la tranquillité d’une région qui fut chère à Gustave Flaubert et à Marcel Proust, et, par contrecoup, qu’elle ne fasse baisser les prix de l’immobilier et n’encombre un peu plus les routes. “Nous pensons intenter une action en justice, indique-t-elle. Pas contre Ryanair, mais contre nos élus locaux. Il n’y a eu aucune consultation.” Dessin de Matt Kenyon paru dans The Guardian, Londres. D ■ Deauville est sur nommée le 21e arrondissement de Paris, en raison de la fréquentation assidue des Parisiens, qui, l’été, font passer la population locale de 4 500 à 30 000 habitants. Coco Chanel y a ouvert sa première boutique, et Yves Saint Laurent possède une propriété Livre Dans son dernier ouvrage, Au secours, les Anglais nous envahissent !, publié en mars 2006 aux éditions Michalon, le journaliste José-Alain Fralon “met le doigt sur un paradoxe bien français”, souligne The Guardian. “Il explique, en effet, qu’il existe six liaisons aériennes régulières entre le Royaume-Uni et Bergerac, mais aucune entre le chef-lieu de la Dordogne et Paris. C’est un peu comme si les Anglais contribuaient à la décentralisation du pays contre l’avis des Français”, conclut le quotidien britannique. dans les environs. Il n’est pas rare que des célébrités et des visiteurs étrangers utilisent des jets privés pour se rendre au Festival du cinéma américain de la ville, à son casino, à ses matchs de polo et à ses courses de pur-sang, mais de là à créer une ligne aérienne régulière, “c’est un peu exagéré”, juge Mme Célice. Certains craignent le pire, en particulier le propriétaire de l’élégant restaurant situé au deuxième étage du minuscule aéroport de Deauville-Saint-Gatien, qui redoute de devoir céder sa place à un vulgaire snack. “LES DEAUVILLAIS N’ONT RIEN CONTRE LES ANGLAIS” “Nous n’avons rien contre les Anglais, précise Mme Célice. Depuis Guillaume le Conquérant jusqu’au débarquement de Normandie, nous avons toujours entretenu des liens étroits avec la Grande-Bretagne. Nous nous entendons extraordinairement bien avec les Anglais. Mais on ne peut construire des aéroports dans toutes les localités où résident des Britanniques, des Allemands ou des Italiens.” Ce débat renvoie au réseau grandissant de liaisons aériennes à bas coût entre la Grande-Bretagne et la France. Ces six dernières années, plusieurs dizaines de petites villes françaises, conscientes des effets bénéfiques qu’une liaison régionale avec la Grande-Bretagne peut avoir sur le tourisme, ont signé des accords avec des compagnies aériennes à bas coût. Jusqu’à maintenant, la Normandie, où l’on recense plus de 9 000 résidents britanniques, était la seule région de l’Hexagone à ne pas en avoir. La ville de Bergerac offre un bon exemple des bouleversements qu’une liaison aérienne avec Londres peut entraîner à l’échelle d’une région : alors qu’en 2001 son aéropor t accueillait 16 000 passagers, en 2005, l’ouverture de nouvelles lignes à bas coût a porté ce chiffre à 250 000 personnes. Un livre publié récemment en France analyse d’ailleurs les effets des compagnies aériennes à bas prix sur les régions françaises [voir ci-contre]. Sur la plage de Deauville, Christian Fougeray, président de la chambre de commerce et d’industrie du pays d’Auge et du syndicat mixte de gestion de l’aéroport, soutient que les opposants à l’implantation de Ryanair ne représentent qu’une minorité. Il rappelle que les 600 000 euros prévus pour l’aménagement de l’aéroport auraient de toute façon été investis et que le transport de 40 000 passagers par an créera des emplois. “Ce projet est formidable pour le tourisme, pour les affaires, et il se justifie pleinement”, assure-t-il. De même, dans la pittoresque mairie néonormande de Deauville, le maire, Philippe Augier, rejette l’idée que les vols à bas coût en provenance de Grande-Bretagne puissent nuire à l’image de la station. “Oui, Deauville est une ville chic, affirme-til, mais elle est ouverte à tout le monde.” Angelique Chrisafis W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com D I P L O M AT I E Dialogue de sourds sous les ors élyséens De l’atelier culturel Europe-MéditerranéeGolfe organisé par Jacques Chirac du 13 au 15 septembre dernier, la presse saoudienne n’a retenu que deux choses : le faste de l’Elysée et l’impossible dialogue entre les cultures. our un quidam comme moi, pénétrer dans le palais de l’Elysée est une expérience inoubliable. Sous les stucs des salons élyséens, j’ai même eu la chance d’apercevoir la haute silhouette de Jacques Chirac, le dernier ami des Arabes sur le Vieux Continent, le dernier dirigeant sur lequel nous pouvons compter et le dernier président auquel nous ne refuserons jamais d’accorder notre soutien. Il nous a tenu un discours magnifique, laissant croire que trente personnes issues de vingt pays arabes et européens pourraient rapprocher les cultures entre les deux rives d’une mer Méditerranée qui divise notre monde entre un Nord qui accapare richesses et puis- P sance et un Sud dont la misère pouvait se lire jusque sur les visages des invités, malgré les beaux costumes qu’ils avaient revêtus pour l’occasion. Dans le couloir, avant de se lancer dans cet ambitieux dialogue, les délégations arabes se sont tout de même adonnées à leur sport favori : insulter leurs propres régimes et leur suivisme à l’égard de l’Occident impérialiste. Les Proche-Orientaux ont multiplié les invectives, les Egyptiens ont préféré en rire et les Maghrébins se sont laissé, comme à leur habitude, emporter par la fougue de leur rhétorique. Mais tout cela était déjà oublié à l’heure du thé. A ce moment-là, tous les par ticipants du Sud n’avaient plus qu’une seule idée en tête : se faire prendre en photo avec ceux qu’ils avaient copieusement dénigrés dans l’antichambre. Une grappe s’est alors formée autour de Jacques Chirac, d’autres invités se sont agglutinés près des dirigeants italiens et espagnols. Même le COURRIER INTERNATIONAL N° 829 ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, aussi à l’aise avec ses voisins du Sud qu’avec les représentants du Nord impérialiste, s’est appliqué à ressembler à une vedette de Hollywood en affichant un sourire jusqu’aux oreilles. Tous ces braves gens, éblouis par les ors du palais de l’Elysée et séduits par la perspective d’être pris en photo aux côtés des grands de ce monde, ont bien voulu croire l’espace d’un instant qu’ils allaient être capables de répandre dans leurs sociétés respectives la culture du dialogue. Mais, le problème, c’est qu’avant de pouvoir œuvrer au rapprochement entre les peuples, ils devraient d’abord essayer de rapprocher les deux aspects de leur personnalité qui font qu’ils n’agissent pas de la même manière dans les grands moments que dans leur vie de tous les jours. Dans son discours, Suzanne Moubarak [l’épouse du président égyptien] a repris le thème du dialogue cher à Jacques Chirac 16 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 et a souligné qu’il fallait laisser de côté les polémiques pour se concentrer sur ce qui peut faire consensus. Or quelle est la seule chose que nous ayons véritablement en commun ? Notre incompréhension mutuelle. Malheureusement, toutes les interventions ont démontré la profonde méconnaissance et mis en lumière les stéréotypes que chacun entretient à propos de l’autre. Ainsi, j’ai entendu une professeure de la Sorbonne proférer des inepties absolues sur les mariages de Mahomet. J’aurais pu accepter des opinions aussi ridicules si elles n’avaient pas émané de quelqu’un qui enseigne les sciences religieuses à l’université mondialement reconnue qu’est la Sorbonne. Au final, la conférence fut interrompue par la nouvelle des déclarations stupides du pape Benoît XVI à l’encontre de l’islam. C’est alors que je me suis rendu compte qu’établir un dialogue entre les cultures était bien plus ardu encore que ce que j’imaginais. Ali Saad Al-Moussa, Al-Watan (extraits), Abha 829p17 18/09/06 20:56 Page 17 e u ro p e ● SUÈDE La continuité dans le changement Le 17 septembre, les électeurs ont donné la majorité à la coalition de droite menée par Fredrik Reinfeldt. Pour autant, l’extrême stabilité de la société suédoise devrait garantir la pérennité du consensus social. SVENSKA DAGBLADET Stockholm our un étranger, un Finlandais en tout cas, il a été difficile de comprendre le climat conflictuel et idéologique de la campagne électorale suédoise. Mais peut-être a-t-il été le reflet de la réalité du pays, où les grandes décisions sont prises pour des motifs idéologiques ou émotionnels, qu’il s’agisse de la sortie du nucléaire [décidée par référendum en 1980] (les centrales produisent plus que jamais) ou du rejet de l’euro [par référendum en 2003] (pour que la couronne suédoise demeure un symbole national). Pour un étranger, la dichotomie gauche-droite ne veut pas non plus dire g rand-chose en Suède, puisque la grande majorité des partis proposent un éventail de progrès sociaux. La social-démocratie revendique bien évidemment la paternité du modèle suédois, une affirmation qu’auraient pu aussi bien soutenir le secteur commercial, les industriels ou les patrons de PME. Plusieurs pays ont déjà fait l’expérience d’une coalition gauche-droite, y compris la Finlande. La formule permet d’éliminer les partis extrémistes, qui monnaient leur coopération à prix d’or. Je sais qu’une telle coalition semble impossible en Suède, mais j’ignore pourquoi. P Le futur Premier ministre conservateur Fredrik Reinfeldt et la Suède. Dessin de Finn Gruff, Norvège. Si j’affirme que la Suède est une société foncièrement conservatrice et bourgeoise, je ne vais probablement pas me faire des amis. Mais quel a été le but des réformes de ces dernières décennies, si ce n’est de créer une société égalitaire et (petite-)bourgeoise, où rien, hormis quelques détails, ne différencie Per Albin Hansson [le père de l’Etat-providence, plusieurs fois Premier ministre dans les années 1930 et 1940] de Göran Persson ? Beaucoup de gens n’appartiennent pas à ce courant dominant. Les nombreux Finlandais qui ont autrefois immigré en Suède étaient originaires d’une société similaire et ont pu s’intégrer peu à peu. Mais la deuxième grande vague d’immigration a créé dans le paysage suédois des îlots ethniques et linguistiques où le goût du partage est relativement peu répandu. La direction de la société est l’affaire des vrais Suédois. La politique suédoise ne va pas connaître de g rand changement de cap, étant donné le faible écart qui sépare les deux camps. Les biens, les idées et l’argent passent les frontières. Notre foi en l’Europe, plus profonde que celle de la Suède, se fonde sur nos expériences douloureuses du passé : nous devons éviter de nous retrouver seuls quand quelque chose arrive. Ce qui me manque parfois, dans la Suède patriote que j’ai longtemps admirée, est l’idée que “personne n’est isolé”. Je ne veux pas dire par là que la Suède est fermée à toutes les influences. Mais, que ses raisons soient égoïstes (l’importation de maind’œuvre pendant les années fastes) ou désintéressées (le bon accueil – quoique faiblissant – réservé aux réfugiés politiques), elle a au moins partiellement réussi l’exploit de rester très suédoise alors que l’arrivée d’immigrants impliquait la reprise d’une grande partie des métiers dits “ingrats” par des étrangers. LA VIE REPREND SON COURS COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT En tant qu’observateur des campagnes électorales suédoises, j’ai pu relever à plusieur s repr ises un contraste étonnant : la propagande martèle que l’avenir de la Suède dépend des élections, mais dès le lendemain du scrutin la vie reprend son cours comme si de rien n’était. La stabilité de la société, fondée sur un effort de près de deux cents ans qui devait faire de la Suède un pays à part en Europe – à l’instar de la Suisse –, est presque aussi robuste que les murs de tous ces châteaux et manoirs qui ont survécu aux guerres et à la destruction. Jörn Donner* * Ecrivain et metteur en scène finlandais, ancien directeur de l’Institut cinématographique de Stockholm. R É S U LTAT S Une première ■ Avec 48,1 % des voix contre 46,2 % pour le bloc de gauche, “c’est la première fois dans l’histoire moderne de la Suède que la droite parvient à remporter des élections alors que le pays n’est pas en crise économique”, constate le Dagens Nyheter. A la tête du Parti modéré depuis trois ans seulement, le futur Premier ministre Fredrik Reinfeldt “a fait évoluer les conservateurs de la droite vers le centre grâce à une stratégie minutieusement planifiée”, explique le quotidien libéral. Quant à Göran Persson, il s’est tant impliqué dans la coopération avec le Parti de la gauche et les Verts qu’il n’avait aucune chance de se rapprocher du centre. Plus grave peut-être, ajoute le Dagens Nyheter, “les sociaux-démocrates ont commis une erreur stratégique en refusant pour la première fois de faire de l’emploi le cheval de bataille du parti.” “La jeune génération féminine, pourtant très qualifiée, a dû mener sa campagne dans l’ombre du Premier ministre, regrette Aftonbladet. Göran Persson a concentré sur lui les critiques adressées à la social-démocratie : dépour vu de vision, fatigué, usé par les longues années de pouvoir.” Quant au futur gouvernement, ses premières réformes consisteront, selon le Svenska Dagbladet, “à créer des emplois pour les jeunes en réduisant les charges, à simplifier les règles pour les entreprises et à instaurer une politique éducative qui responsabilisera les étudiants”. ALLEMAGNE Comment combattre l’extrême droite Le 17 septembre, les néonazis ont fait leur entrée au Parlement régional de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Les moyens manquent pour les contrer. illeurs aussi, il y a des néonazis, sauf qu’ils ne por tent pas ce nom-là. Ailleurs aussi en Europe, ils ont des élus au Parlement, et ils ne sont pas meilleurs qu’ici. Ailleurs aussi, ils visent les étrangers et se posent en vengeurs des chômeurs et des petites gens. Peut-on alors se rassurer, à l’heure où les bruns renouent avec le succès électoral en Allemagne [7,3 % des voix à Schwerin], en se disant que la per version politique n’est pas une spécialité allemande et que la lie, comme on dit, se trouve par tout ? Une telle banalisation serait dangereuse. C’est un fait que, dans de nombreux Etats membres de l’Union européenne, des par- A tis d’extrême droite réalisent des scores de 10 % à 20 % au niveau régional mais aussi au niveau national. Peut-être pourrait-on se consoler ainsi si l’Allemagne démocratique, après les crimes nazis, n’était pas dans la situation d’un ancien alcoolique. Ici, se contenter d’attendre que l’extrême droite succombe à sa bêtise est problématique. Depuis le milieu des années 1980, depuis que le Front national de Jean-Marie Le Pen a enregistré ses premiers succès, la droite populiste et l’extrême droite se sont établies en Europe. Les frontières entre l’une et l’autre sont devenues floues. Leurs partis ont le vent en poupe, même si leurs caractéristiques varient selon les pays. Certains sont antimodernes, d’autres plutôt libertaires. Tous attisent la crainte de l’invasion étrangère. La plupart ne parlent pas, comme l’extrême droite classique, de COURRIER INTERNATIONAL N° 829 protéger la race, mais l’identité culturelle et nationale. Leurs chefs se posent en Monsieur Propre au balai d’acier. Mais, si les par tis puisent allègrement dans l’argumentaire d’extrême droite, ils évitent d’adopter des postures excessives. Le NPD [Nationaldemokratische Par tei Deutschlands], qui enregistre des succès dans l’est de l’Allemagne, est militant – sauf qu’il le dissimule lorsque cela lui semble oppor tun. Il a un discours ouver tement national-socialiste. Il est jeune, bien organisé, et ses rares leaders présentables savent habilement se présenter aux gens comme des responsables qui se soucient des problèmes du quotidien : on commence par protester contre l’augmentation du prix de l’électricité, la sauce brune vient derrière. Les néonazis ont ainsi réussi à gagner le respect de la province. Combien y a-t-il de nazis ici ? Une telle question 17 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 déclenche l’hilarité dans certains endroits. Le chanteur de hip-hop Xavier Naidoo l’a posée récemment dans une école, la classe a éclaté de rire : “On peut pas les compter par ici. Y en a partout !” Du coup, on ne va pas aux fêtes municipales ni dans cer tains quar tiers qui “appar tiennent” aux nazis. Le quotidien se déroule sur fond de néonazisme. Le NPD siège au conseil municipal, les cliques d’extrême droite se retrouvent dans les bars et dans toute la vie sociale locale. Pour combattre l’extrême droite, la morale ne suf fit pas. Il faut des gens qui travaillent au jour le jour sur le terrain, et de l’argent. Il y a cinq ans, le gouvernement avait réagi en créant l’Alliance pour la démocratie, qui finançait ce travail. Les projets arrivent à leur terme et sont mis Heribert Prantl, au rancar t. Pourquoi ? Süddeutsche Zeitung (extraits), Munich 829p18 18/09/06 19:42 Page 18 e u ro p e POLOGNE-ALLEMAGNE La réconciliation n’est plus qu’un lointain souvenir En instrumentalisant les sentiments antiallemands, les frères Kaczynski réduisent à néant des années d’efforts pour rapprocher les deux pays. GAZETA WYBORCZA Varsovie e premier résultat visible de la diplomatie menée par le parti Droit et justice (PiS) des frères Kaczynski a été d’attiser la crise avec notre voisin allemand. La myopie d’une telle politique est étonnante si l’on sait que l’Allemagne est un allié important des EtatsUnis en Europe et un pilier de l’Union européenne. Sans la sympathie et l’appui de l’Allemagne, la Pologne ne pourrait pas faire grand-chose au sein l’Union européenne (UE). La crédibilité de la Pologne en tant qu’alliée des Etats-Unis dépend aussi de ses bonnes relations avec l’Allemagne. Mais, comme l’a rappelé Adam Krzeminski, spécialiste de l’Allemagne à l’hebdomadaire Polityka, notre dialogue avec ce pays est revenu au stade des imprécations et des gesticulations de l’époque communiste. Que s’est-il passé ? Chaque famille polonaise est marquée par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi, du point de vue des intérêts électoraux du PiS, il a été plus bénéfique de brandir à nouveau le spectre du revanchisme plutôt que de tenter d’instaurer un climat de confiance entre les deux pays. Mais cela donne une sensation de déjà-vu. Les dirigeants de la Pologne communiste polémiquaient, eux aussi, de façon hystérique avec la Fédération des expulsés [regroupant des Allemands chassés d’Europe orientale et centrale au lendemain de 1945] et le fameux duo Hupka-Czaja [Herbert Hupka et Herbert Czaja, deux figures emblématiques de cette organisation dans les années 1960 et 1970, épouvantails de la propagande polonaise de l’époque]. Cela aurait pu se passer autrement si le PiS Lech et Jaroslaw Kaczynski, respectivement Président et Premier ministre polonais. Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. L ■ s’était tourné vers les pouvoirs constitutionnels allemands et était un peu plus sensible aux gestes de réconciliation du président Köhler et de la chancelière Merkel. Il y a à peine un an, cette dernière rappelait l’importance exceptionnelle des relations germano-polonaises, ses propos étant symboliquement renforcés par sa décision, lors des négociations budgétaires de l’UE, de céder à la Pologne plusieurs centaines de millions d’euros initialement affectés au développement des nouveaux Länder [ex-RDA]. Kazimierz Marcinkiewicz, alors Premier ministre, l’avait remerciée à sa façon – en boycottant une visite à Berlin. PRIVER LA MINORITÉ ALLEMANDE DE REPRÉSENTATION De son côté, Jaroslaw Kaczynski a considéré que la présence du président allemand à la Journée de la patrie [manifestation qui se tient toujours le premier dimanche de septembre, en présence du président allemand en exercice] “s’inscrivait dans la ligne des nouveaux phénomènes inquiétants en Allemagne”. En revanche, il n’a pas réagi au contenu du discours présidentiel, véritable geste d’ouverture en direction des Polonais. Köhler a rappelé que les expulsions avaient déjà commencé en 1939, soulignant un lien de cause à effet entre les crimes nazis et les expulsions. Il n’a en revanche pas dit un mot sur l’exposition controversée d’Erica Steinbach [qui se tient actuellement à Berlin et relate l’histoire des déportations de populations en Europe au XXe siècle]. Accueilli par cette dernière comme un expulsé, il a démenti appartenir à cette catégorie, préférant rappeler que Hitler l’avait forcé à quitter sa Moldavie natale pour s’installer en Pologne dans la région Solidarités Après avoir longtemps ignoré la “psychose antiallemande” de leurs voisins polonais, les Tchèques pourraient s’y rallier, selon le quotidien berlinois Die Welt. Le nouveau ministre des Affaires étrangères tchèque et ancien négociateur de la déclaration de réconciliation germano-tchèque de 1997, Alexandre Vondra, vient de qualifier de “contre-productive” l’éventuelle création du Centre contre les expulsions, auquel aspire la Fédération des expulsés, à Berlin. Le ministre a proposé de coordonner la démarche tchèque avec celle des Polonais. de Zamosc, puis à fuir vers l’Allemagne. Il s’agit d’un geste très significatif, car Köhler a plus de raisons de se considérer comme un expulsé qu’Erica Steinbach, fille d’un soldat allemand qui occupait la Pologne. On peut donc imaginer la consternation du président allemand lorsqu’il a reçu les nouvelles en provenance de Pologne. Une fois de plus, son geste de réconciliation est resté sans suite. Les députés de la Ligue des familles polonaises se sont joints à la psychose antiallemande. Sous prétexte du respect du principe d’égalité dans les relations internationales, ils ont proposé de priver la minorité allemande en Pologne de sa représentation au Parlement. Ils n’auraient pas pu choisir meilleur moment pour ternir nos relations, déjà suffisamment difficiles, avec Berlin. Mais l’intérêt du pays leur importe peu. Les élections municipales approchent [elles doivent avoir lieu le 12 novembre] et il ne faut pas laisser s’ancrer davantage l’antigermanisme des frères Kaczynski. Il est navrant de voir le principal parti d’opposition, la Plate-Forme civique [parti de droite libérale, dirigé par Donald Tusk], réduire le débat public à une surenchère avec Droit et justice à coups de spots télévisés. Que fait leur fameux “cabinet fantôme” ? Où est leur “ministre des Affaires étrangères” ? La Plate-Forme propose-t-elle une alternative à ce que fait la ministre des Affaires étrangères, Anna Fatyga ? Apparemment non. Au début du mois, le vice-ministre des Affaires étrangères a assuré que la politique extérieure de la Pologne était entre de bonnes mains et que septembre serait le mois d’une offensive polonaise sur la scène internationale. On peut craindre le pire. Jaroslaw Kurski VU D’ALLEMAGNE LE 17e FESTIVAL EST-OUEST DU 15-24 SEPTEMBRE 2006, À DIE (DRÔME) Les dégâts du repli national polonais Les Polonais ont des raisons de s’inquiéter de leurs grands voisins, l’Allemagne et la Russie. Mais leur seule issue est de rester diplomates et de s’ouvrir sur l’Europe. es tonalités très inhabituelles nous parviennent de Varsovie. Les membres de l’Union européenne en restent souvent stupéfaits qu’il s’agisse de la peine de mort, du rôle de l’Etat-nation ou de l’intégration européenne, voire du projet de Constitution, qui, selon le président polonais, arriverait “une génération trop tôt”. D’autres sujets concernent plus particulièrement les relations germano-polonaises. Le projet de gazoduc germano-russe de la Baltique, contournant la Pologne, et celui du Centre contre les expulsions, à Berlin, sont les principales pierres d’achoppement. En Pologne, dans les conversations, y compris avec l’homme de la rue, perce une inquiétude : nos voisins D [allemands], avec lesquels tout allait pourtant si bien, ne veulent-ils pas une fois de plus nous enfoncer ? Ce qui détonne le plus, c’est le style des frères Kaczynski, sans concession pour le politiquement correct. “Ils sont francs et directs”, commente un diplomate allemand, “ils balancent ouver tement ce qu’ils pensent.” Mais il y a aussi le contenu. Il règne en Pologne un large consensus sur le gazoduc et le Centre contre les expulsions. Le président Kwasniewski avait déjà exprimé clairement ses critiques sur ces deux points. La différence est que les Kaczynski boudent, pétris de colère, quand ils ne parviennent pas à imposer leurs vues surle-champ. La Pologne craint que le gazoduc de la Baltique ne renforce le monopole de la Russie sur le marché du gaz. Voilà qui est justifié. Mais, comme l’idée d’une OTAN de l’énergie au niveau européen n’a pas trouvé d’écho, les COURRIER INTERNATIONAL N° 829 18 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 frères Kaczynski semblent avoir perdu tout espoir de parvenir à une politique européenne commune de l’énergie. Et la “politique de l’histoire” (polityka historyczna) que les jumeaux ont accrochée à leur bannière pourrait en être un autre exemple. Alors que plusieurs pays ont lancé, il y a deux ans, le grand projet de “réseau européen” [une alternative aux activités du Centre contre les expulsions, voir CI n° 665, du 1er août 2003], Varsovie semble désormais s’en retirer. Les projets de recherche et d’exposition transnationales ont déjà pris du retard. Varsovie veut-elle vraiment rester à l’écart du débat sur l’histoire du XXe siècle, qui est, qu’on le veuille ou non, européenne ? Les postcommunistes polonais (pour fuir leur passé ?) ont opté pour l’adhésion à l’OTAN et à l’UE. Jusqu’où ira le repli national qui semble avoir pris le pouvoir ? Gerhard Gnauck, Die Welt (extraits), Berlin 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 18/09/06 20:11 Page 20 e u ro p e KOSOVO Belgrade serait prêt à jouer la partition Selon le quotidien serbe, depuis 1998, l’idée d’un partage du Kosovo semble avoir fait son chemin dans les sphères du pouvoir. Mais les Albanais ne veulent pas en entendre parler. faire face à une autre forme de crise au Kosovo. Les forces militaires internationales y étaient déployées depuis un an déjà. La résolution 1244 disait expressément que le Kosovo demeurait au sein de la Serbie, tout en précisant que son statut final restait à déterminer. POLITIKA Belgrade SERBIE ’idée du partage du Kosovo semble être de nouveau une “option acceptable” pour Belgrade, d’autant que cette idée est évoquée depuis au moins huit ans au sommet du pouvoir serbe, y compris avec des représentants étrangers. Cela nous a été récemment confirmé par deux sources opposées sur l’échiquier politique mais néanmoins concordantes : Zoran Andjelkovic, ancien président par intérim du gouvernement du Kosovo et membre du comité central du Parti socialiste de Serbie (SPS) de Slobodan Milosevic, et Zoran Zivkovic, ancien Premier ministre et haut dirigeant du Parti démocratique (DS). C’est en 1998, bien avant les bombardements de l’OTAN, qu’on aurait évoqué pour la première fois un éventuel partage du Kosovo en territoires albanais et serbes et leur rattachement à la Serbie. Zoran Andjelkovic aurait personnellement mis sur la table cette option lors de pourparlers avec une délégation russe de haut niveau. “Il est tard, trop tard, pour cette solution”, lui auraient alors répondu les Russes. La question est revenue un peu plus tard lors d’une réunion de hauts fonctionnaires du SPS, en présence de Milan Milutinovic, le président serbe de l’époque. Andjelkovic aurait alors proposé deux solutions pour régler le MONTÉNÉGRO L Belgrade Kosovska Mitrovica Pec Decani Source : ministère des Affaires étrangères français 829p20 Srbica SERBIE Pristina LA “MOINS MAUVAISE” DES SOLUTIONS KOSOVO (sous mandat de l’ONU) Stlimje Gnjilane Kosovska Kamenica Prizren MACÉDOINE ALBANIE 0 40 km problème du Kosovo : l’envoi de forces de l’ONU ou une partition du territoire. Le président Milutinuvic se serait chargé de les transmettre à Milosevic, lors d’une promenade dans le parc de la villa de l’homme fort serbe à Dedinje, le quartier chic de Belgrade. Ce fut peine perdue, car “Milosevic ne [voulait] pas entendre parler du partage de Kosovo”, a confié le président à Zoran Andjelkovic. Après la chute du régime de Milosevic, le 5 octobre 2000, le nouveau président,Vojislav Kostunica, et le Premier ministre Zoran Djindjic ont dû Enclaves serbes Zones de peuplement serbe ■ Opposition Cité par Koha Ditore, Lütfi Haziri, vice-Premier ministre du Kosovo, estime que la communauté internationale ne permettrait jamais la partition, une option qu’il qualifie de “retour en arrière”. L’un des proches collaborateurs de Djindjic, Zoran Zivkovic, se souvient de cette période. “On a beaucoup discuté, alors, de trois possibilités d’issue à la crise : la première, le retour à la situation d’avant 1999, a été jugée peu réaliste et mauvaise à la fois pour les Serbes et pour les Albanais ; la deuxième, l’indépendance totale du Kosovo, fut considérée comme encore plus mauvaise pour les Serbes”, affirmet-il. Il ne restait que le partage. D’après Zoran Zivkovic, le chef du gouvernement était favorable à cette solution. “Les bonnes solutions pour le Kosovo ont toutes été gâchées avant 1999. Il ne reste désormais que de mauvaises solutions. Je trouve que la moins mauvaise est celle du par tage du Kosovo”, aurait-il déclaré en 2000, lors d’une réunion à huis clos du Parti démocratique. Zivkovic affirme qu’à l’époque les cartes de partage n’existaient pas encore, mais qu’il existait un consensus au sujet des territoires qui pourraient être rattachés à la Serbie. D’après lui, il s’agissait des régions du nord du Kosovo et d’une enclave autour de Gnjilane, peuplées de plusieurs dizaines de milliers de Serbes. Pendant les onze mois de son mandat de Premier ministre, Zoran Zivkovic a rencontré les plus importants acteurs internationaux de la crise du Kosovo. Il aurait alors plaidé à plusieurs reprises pour l’option du partage, une idée qu’Européens et Américains ne rejetaient pas a priori. “La solution du partage est toujours sur la table des négociations, mais elle doit être discutée de notre côté par des gens qui ont la confiance de l’Occident pour ne pas la faire capoter”, a-t-il notamment expliqué. Zoran Zivkovic a beau affirmer ne jamais avoir vu une quelconque carte de partage de Kosovo, l’existence de ce type de document est un secret de Polichinelle au sein de la communauté internationale. Un haut gradé britannique a ainsi montré, fin 2001, à l’auteur de ces lignes une carte de partage du Kosovo qui faisait, selon lui, l’objet d’“intenses négociations”. Quelques mois plus tard, l’ancien président du Centre de coordination pour le Kosovo [un organisme gouvernemental serbe chargé de suivre les affaires de la province depuis Belgrade], Nebojsa Covic, a confirmé l’existence de cette carte – mais il ne souhaite plus en parler aujourd’hui. Aljosa Milenkovic IRLANDE Dans les pubs de Dublin, la Guinness ne fait plus saliver La boisson emblématique de l’île est en crise. Les nouveaux modes de consommation ont eu raison de son succès. e groupe Diageo, propriétaire de Guinness, a révélé fin août que, ces huit dernières années, la consommation de “black stuff” [appellation courante de la célèbre bière brune] en Irlande a diminué de plus du quar t. Ce recul persistant se serait encore accentué en 2006, et on peut s’attendre à ce que Diageo soit à nouveau tenté de se défaire de sa marque de bière. Diageo a fait de l’Irlande sa vitrine pour promouvoir la Guinness auprès des visiteurs venus du monde entier. Le centre d’accueil du public du Storehouse, situé dans l’enceinte de la brasserie, sur les rives de la Liffey, est réputé être le site touristique le plus visité d’Irlande. La légende veut que ce soit l’eau du fleuve dublinois qui donne à la bière sa saveur et le Storehouse est devenu un lieu de pèlerinage traditionnel pour les hordes de touristes qui veulent remonter aux sources de la culture irlandaise. Tous les moyens sont bons pour mettre en valeur le passé glo- L rieux du stout. Sur la façade du Storehouse, des reproductions d’af fiches d’époque rappellent aux visiteurs que la Guinness était autrefois commercialisée comme une boisson nutritive, saine et agréable. A l’intérieur, les visiteurs trouvent un assortiment impressionnant d’objets estampillés Guinness : des tee-shirts, des vestes, des ballons de football et de rugby, des balles de golf, des réveils, des chaussettes, des maniques, des culottes (roses et blanches), des car tes à jouer, des boutons de manchette, des magnets. Les chaussons Guinness (en fausse fourrure noir et crème) voisinent avec les ensembles salière-poivrier en forme de toucans [la mascotte de la marque]. La musique est invariablement une gigue irlandaise. “Dix millions de verres de Guinness sont consommés tous les jours dans le monde”, est-il proclamé sur les murs. Dans les bars de Dublin, le climat est nettement moins euphorique. “Elle ne se vend pas aussi bien qu’avant”, explique le serveur de l’Auld Dubliner, dans une rue du quartier Temple Bar grouillant de touristes et de jeunes Dublinois. “Les gens disent que c’est une boisson de vieux. Par contre, COURRIER INTERNATIONAL N° 829 les ventes de Murphy’s [un stout concurrent, brassé à Cork] augmentent. Je me rappelle, il y a dix ans, la Guinness représentait 70 % de nos ventes à la pression Maintenant, ce n’est qu’environ 50 %.” Jimmy Foley, un habitué de l’heure du déjeuner, assure qu’il boit de la Guinness depuis l’âge de 14 ans. “Dans le temps, elle collait au comptoir, commente-t-il. Aujourd’hui, elle est un peu diluée. Ici la pinte est bonne, mais dans certains pubs c’est de la merde. C’est très variable. Je passe mon temps à demander aux patrons de pub comment ça se fait.” De l’autre côté de la rue, au Quays Bar, le propriétaire, John McSweeney, dit que c’est encore avec la Guinness qu’il réalise ses meilleures ventes, mais il ajoute : “La population a énormément changé. Les pubs de banlieue ont beaucoup souffer t de l’interdiction de fumer [entrée en vigueur en 2004]. Il y a peut-être plus de gens qui viennent habiter ici, mais il y en a moins qui sor tent boire un verre.” “Beaucoup de gens aiment le cidre, reprend-il. C’est la boisson à la mode. Et puis les clients deviennent plus exigeants sur le vin. Ils demandent du char- 20 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 donnay ou du sauvignon blanc.” La baisse des ventes d’alcool en général et dans les bars en particulier est attribuée à plusieurs facteurs : l’interdiction de fumer dans les pubs, la sévérité accrue contre la conduite en état d’ivresse, la hausse de la consommation de vin, une tolérance moindre envers les beuveries, et le fait que les gens achètent au supermarché ou dans les of f-licence [magasins autorisés à vendre des boissons alcoolisées] de la bière blonde en promotion pour la boire chez eux. La Guinness en a par ticulièrement souffert, car en Irlande elle est vendue à 90 % à la pression. A l’extérieur du Guinness Storehouse, un jeune Dublinois tente de convaincre des touristes de faire un tour en carriole. Boitil de la Guinness ? “Non, je bois de la Budweiser, répond-il. La Guinness fait peutêtre un bien fou, mais c’est ringard.” Owen Bowcott et Simon Bowers, The Guardian (extraits), Londres Retrouvez cet article en v.o. page 46 dans Courrier in English 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p22 18/09/06 19:43 Page 22 e u ro p e RUSSIE BIÉLORUSSIE Avertissement aux fonctionnaires honnêtes Et maintenant, l’orthographe L’assassinat du vice-président de la banque centrale, qui s’était attaqué au blanchiment des capitaux, montre que corrupteurs et corrompus n’ont pas l’intention de changer de mœurs. GRANI.RU (extraits) Moscou vec le meurtre [le 13 septembre] d’Andreï Kozlov, premier vice-président de la banque centrale de Russie, une importante barrière psychologique a été franchie. Auparavant, il était impensable d’assassiner un haut fonctionnaire, surtout d’un rang aussi élevé. On n’aurait jamais osé. Notre Etat est ce qu’il est, mais il a établi certaines règles. On pouvait toujours les contourner, corrompre le “menu fretin” qui applique les décisions venues d’en haut, organiser en sous-main des campagnes de dénigrement contre un haut responsable. Mais en tuer un par vengeance, cela n’était pas possible. C’était une limite éthique tacite, si l’on peut parler d’éthique dans cet univers impitoyable situé au croisement du pouvoir d’Etat et du monde des affaires. Mais quelqu’un a franchi le pas. Un haut fonctionnaire honnête a été tué. Cela signifie que tout est désormais permis. Anatoli Tchoubaïs a dès lors eu raison de déclarer que ce meurtre était un défi au pouvoir russe. Mais le pouvoir russe est à géométrie variable. Il n’est pas là quand on en aurait besoin et, quand il ne faudrait pas, il s’impose et s’occupe de ce qui ne le regarde pas. En outre, il s’allie volontiers au monde des affaires. Or, avec Kozlov, l’autorité de régulation bancaire n’était pas aux ordres, et la greffe avec le business ne prenait pas. Sinon, on ne l’aurait pas assassiné. Sa mort va forcément effrayer les hommes de l’appareil d’Etat. C’est un avertissement : si vous ne voulez pas vous laisser corrompre et obéir à nos règles du jeu, nous vous abattrons ; regardez ce qui arrive à ceux qui res- A Dessin d’Evgueni Vassiliev paru dans Novoïé Vremia, Moscou. ■ tent en dehors des activités commerciales dans un Etat où tout se négocie. Rappelons qu’Andreï Kozlov était un brillant serviteur de l’Etat, mais un homme d’affaires exécrable : il n’a jamais eu de succès dans le secteur privé, malgré son professionnalisme et sa créativité. La corruption n’est pas simplement devenue notre problème numéro un. Les règles sont ainsi faites que, sans elles, on ne peut rien résoudre. Pour que la moindre chose bouge, il faut graisser des pattes. Les fonctionnaires qui prennent des décisions de peu d’envergure mais très importantes pour un particulier ou une entreprise vivent de leur rente de situation. N’importe qui aura plus vite fait de verser un potde-vin que d’attendre des années que son problème se dénoue et, d’ailleurs, sans corruption, mieux vaut ne pas compter sur une issue favorable. Contrairement à beaucoup de règles établies par l’Etat, celles qu’Andreï Kozlov avait imposées dans son administration étaient peut-être trop strictes, mais elles étaient rationnelles. Elles n’avaient rien d’absurde et visaient un but bien précis : rendre le système bancaire russe plus transparent et moins criminel. Il devait devenir stable, fiable, mettre les clients, privés et professionnels, en confiance. Kozlov était détesté même par les banquiers qu’on ne peut qualifier de corrupteurs, mais qui savaient qu’il existait des règlements et qu’ils ne pourraient pas les changer, pas plus qu’ils ne pourraient changer le caractère du premier vice-président de la banque centrale. L’assassinat de Kozlov dévoile aussi les dessous peu reluisants de ce qui est généralement appelé “stabilité”. Cette fameuse “stabilité” repose en fait sur un fragile équilibre entre les élites, le monde des affaires et l’Etat, ces différents clans qui s’affrontent. L’équilibre tient parce qu’il n’y a pas de vainqueur. Pour l’instant. Mais, si un clan arrive à l’emporter nettement sur un autre, cette “stabilité” implosera. Andreï Kolesnikov GÉORGIE Coup de balai avant les élections l’issue d’une vaste opération menée du 6 au 9 septembre à travers tout le pays, le ministère de l’Intérieur a fait arrêter une trentaine de membres du parti d’opposition prorusse Samartlianoba [Equité], qui est dirigé par Igor Guiorgadzé, actuellement réfugié à Moscou. Cet ancien ministre de la Sécurité est recherché par Interpol pour la tentative d’assassinat, en 1995, du président de l’époque, Edouard Chevardnadzé. Farouche adversaire de l’actuel président Mikhaïl Saakachvili, il est à présent accusé dans son pays de tentative de coup d’Etat et de haute trahison. Parmi les autres personnalités arrêtées figurent celles qui ont rejoint Guiorgadzé après la “révolution des roses” de 2003, à savoir le leader du Parti monarchiste-conservateur, Temour Jorjoliani, la fondatrice du mouvement anti-Soros, Maïa Nikoleïchvili, la directrice de la Fondation Guiorgadzé, Irina Sarichvili et, enfin, la nièce du prin- A e président Loukachenko a ordonné au ministère de l’Education nationale de mettre à jour l’alphabet et la ponctuation de la langue biélorusse, rappelant que celle-ci est toujours régie par des règles édictées en 1957. Dans un monde où tout est voué à être amélioré, il est impensable que la langue soit une exception, a-t-il expliqué. Rappelons qu’Alexandre Loukachenko ne s’exprime que rarement dans la langue de son pays, parce qu’elle ne lui permet pas de “transmettre sa pensée dans toute sa profondeur et ses nuances”, il préfère le russe. Selon les spécialistes, la réforme envisagée consiste tout simplement à russiser la langue biélorusse, en gommant ses particularités. Mais la question de la langue dans ce pays est profondément politique. Les règles de la langue écrite biélorusse ont été définies, au début du siècle, par le philologue Bronislav Tarachkevitch, d’où son nom de tarachkevitsa (ou trachanka). Cette langue-là a été interdite par Staline en 1933, au profit du russe. Dans les années 1990, après la proclamation de l’indépendance de la République, la tarachkevitsa a été remise au goût du jour et un ambitieux programme de synthèse de la langue biélorusse, conciliant son passé et son présent, a été mis en place. En 1994, peu après son arrivée au pouvoir, Loukachenko a estimé qu’il y avait des choses plus importantes à faire dans le pays que s’occuper de la langue. Aujourd’hui, ce sont les partis, associations, personnalités d’opposition qui continuent d’utiliser la tarachkevitsa, ainsi que les rares médias non officiels. Cela n’a pas échappé au pouvoir. “Il ne s’agit pas d’une quelconque réforme de la langue, mais d’une interdiction pure et simple de la tarachkevitsa ainsi que des supports qui l’utilisent”, estime le linguiste Dmitri Savka. Le président de la Société de défense de la langue biélorusse, Oleg Troussov, n’attend, lui non plus, rien de bon de ces réformes. “En deux mots, il faudra mettre un ‘P’ majuscule au mot président, voilà l’essence de la réforme, ironise-t-il. En revanche, des journaux qui continuent à utiliser la trachanka, comme Nacha Niva (opposition), seront interdits.” Certains linguistes ont également trouvé curieux de ne pas avoir été consultés sur cette “révision” de la langue biélorusse, entièrement confiée aux fonctionnaires du ministère de l’Education nationale. Une fois établies, les nouvelles règles linguistiques seront soumises à Alexandre Loukachenko et validées par oukaze présidentiel. Igor Karneï, Svobodanews.ru (extraits), Minsk L L’auteur Andreï Kolesnikov est chroniqueur pour les Izvestia, Vedomosti et Ekspert. Il est l’auteur de “J’ai vu Poutine” (2005), “Vladimir Poutine. A la guerre comme à la guerre” (2005) et d’une biographie de l’ancien vicePremier ministre Anatoli Tchoubaïs, actuellement patron du monopole de l’électricité en Russie (2004). En réformant la langue biélorusse, le régime vise les médias et les groupes d’opposition qui l’utilisent. cipal coupable présumé. “La holding Guiorgadzé est dissoute”, titre le journal de Tbilissi Akhali Taoba, reprenant les propos tenus à Moscou par Guiorgadzé devant les caméras de la télévision russe. “Mon parti ne préparait aucun coup d’Etat en Géorgie. Le pouvoir utilise tous les moyens à sa disposition – y compris la répression – pour sauver sa cote de popularité à l’approche des élections locales du 5 octobre.” L’hebdomadaire Akhali Chvidi Dré s’interroge pour sa part sur les véritables raisons de cette opération spectaculaire : “Si les autorités cherchent à réprimer l’opposition, pourquoi s’en sont-elles prises au parti politique le moins populaire de Géorgie, qui ne présente aucun danger pour le Parti national au pouvoir ?” “Cette opération a été orchestrée par l’Occident, et le gouvernement en tirera probablement des bénéfices, observe le journal. De toute évidence, l’objectif de cette action COURRIER INTERNATIONAL N° 829 de ‘relations publiques’ était non pas de neutraliser des gens en train de fomenter un coup d’Etat, mais de frapper de façon détournée le Kremlin, qui ne cesse de provoquer la Géorgie, entre autres, dans la zone du conflit osséto-géorgien. Ainsi, la par ticipation de 450 policiers cagoulés et armés de façon hollywoodienne a-t-elle permis d’égratigner à la fois l’amour-propre de la Russie et d’amadouer l’Occident”, analyse Akhali Chvidi Dré. Le quotidien Sakartvelos Respoublika note la réaction “modérée et retenue” des autres partis d’opposition géorgiens. “Plus personne ne s’étonne que Samartlianoba [financé par la Russie] ait autant de moyens. La population n’est absolument pas attachée à ce parti. Cet événement marque probablement le début d’un important remue-ménage en Géorgie. Vous avez dit ‘du pain et des jeux’ ? En Géorgie, les choses sont plus compliquées que ça.” 22 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829_pp24-26-28 19/09/06 14:46 Page 24 amériques ● M E X I QU E Obrador, accroche-toi, le peuple est avec toi ! Le traditionnel défilé militaire du 16 septembre a bien eu lieu. Mais les militaires et les officiels ont vite plié bagage pour laisser la place aux partisans d’AMLO. Le récit du reporter de Milenio. MILENIO Andrés Manuel Mexico López Obrador. Dessin de Naranjo paru dans El Universal, Mexico. amedi matin [16 septembre], des centaines de familles endimanchées occupaient dès 9 heures les trottoirs des principales avenues qui mènent au Zócalo [la grande place centrale de Mexico]. A 10 heures, ils étaient des milliers, formant d’interminables cortèges humains. Ceux qui s’étaient levés le plus tôt avaient déjà marqué leur territoire avec des chaises pliantes, des glacières ou des caisses sur lesquelles ils allaient s’asseoir pour regarder passer les contingents militaires. Le défilé a commencé à 10 h 20. Le respect, l’admiration des badauds au passage des militaires étaient évidents : les visages souriants, les bouches ouvertes (surtout chez les enfants) et les regards émus témoignaient de la fascination envers les vaillants militaires mexicains. Vingt mille hommes des forces armées défilaient bien droits, le pas assuré, les traits impassibles, au milieu des applaudissements et des bravos sonores de la foule. Les membres des forces spéciales forçaient l’admiration avec leurs visages enduits de peinture de camouflage de la même couleur que leur uniforme – noir, vert et sable –, suivis par les plongeurs dans leurs Zodiac, les équipages de chars et de blindés, les élégants cadets. Un défilé admirable… J’avais l’intention de traverser le Zócalo, d’aller jusqu’au pied de la grille située à cent mètres du balcon présidentiel, où deux ou trois contestataires S auraient pu s’être glissés. Après avoir franchi quelques obstacles (en particulier la garde présidentielle), je suis arrivé sans encombre. Mais à peine me suis-je retrouvé devant la grille, parmi les dizaines de personnes qui s’y amassaient, que les premiers cris de protestation contre le président [Vicente Fox, qui achève son mandat le 1er décembre prochain] ont commencé à s’élever. “Traître !”“Vendu !” “Lâche !” “Voleur !” “Enflure !”“Lopette !”Tout y est passé. Et on s’en est pris aussi à sa femme [Marta Sahagún], qui se tenait debout sur le balcon à côté de lui. Le couple présidentiel n’a cependant pratiquement rien en- tendu : un énorme orchestre militaire installé devant le palais n’a pas cessé de jouer. Les cris n’étaient perceptibles depuis le balcon que lorsque l’orchestre marquait des pauses. “Obrador président !”“Fox dehors ! Dehors ! Dehors !” [Andrés Manuel López Obrador, le candidat de gauche, conteste le résultat de l’élection du 2 juillet.] UNE IMPRUDENCE AURAIT MIS LE FEU AUX POUDRES La tension montait. La première ligne de défense derrière la grille était composée de 40 militaires à bonnets noirs qui apparemment n’étaient pas armés. En deuxième ligne, 20 soldats casqués étaient déployés, en uniforme de campagne vert, le pistolet à la ceinture. En troisième ligne, une trentaine d’hommes en costume-cravate sombre, agents de la sécurité présidentielle, munis d’oreillettes et sans doute armés. En outre, on pouvait voir 10 civils vêtus comme bon leur semblait. Minute après minute, la tension continuait de monter. Il y avait déjà plusieurs centaines de manifestants. Les effectifs de chacune des lignes de protection augmentaient à mesure qu’arrivaient de nouveaux contestataires : la garde rapprochée du président comptait déjà près de 200 hommes. La distance entre la première file de manifestants hurlants et les premiers militaires était d’à peine deux mètres. Deux mètres qui paraissaient se réduire de plus en plus, tandis que les vociférations allaient crois- sant : “Obrador, accroche-toi, le peuple est avec toi !” “Soldat mexicain, n’agresse pas ton frère !”“Le peuple en uniforme lui aussi est exploité !” Il aurait suffi d’un imprudent pour mettre le feu aux poudres. Mais avec des si… A 11 h 52, juste après qu’on eut entonné l’hymne national, Fox s’est retiré du balcon. Quelques minutes plus tard, neuf autocars de luxe, mais militaires, sans doute blindés, ainsi qu’un groupe de berlines Chevrolet, elles aussi blindées, ont fait sortir le président et ses invités du palais. A ce moment-là, les militaires ont ouvert les grilles métalliques et se sont repliés en marchant à reculons. La foule a envahi l’espace laissé libre. Il y a bien eu des bousculades, des échanges verbaux, mais rien de plus. Les militaires sont partis rapidement et ont laissé place à la police municipale et à la police fédérale préventive. Les partisans d’Obrador sont ensuite restés quelques minutes à s’égosiller sous le balcon, dont la fenêtre était déjà fermée, comme si Fox était resté à l’intérieur. Ou comme s’il s’agissait de se mettre en voix pour le nouveau sexennat, car ils criaient déjà : “Felipe, le peuple ne veut pas de toi !” [Felipe Calderón, le président élu le 2 juillet dernier, doit être intronisé le 1er décembre], “Imposition [de Calderón par le tribunal électoral qui l’a désigné président le 6 septembre dernier après un recomptage partiel des votes lui donnant à peine 0, 61 % de voix d’avance], révolution ! Imposition, révolution !” Juan Pablo Becerra-Acosta M. V E R B AT I M “Vive la nouvelle République !” Des centaines de milliers de personnes, rassemblées samedi dernier à Mexico, ont proclamé à main levée Andrés Manuel López Obrador “président légitime”. Extraits de son discours. mies, amis, déléguées, délégués de tous les peuples, de toutes les régions, municipalités et Etats de notre pays. C’est un jour historique. La Convention nationale démocratique a proclamé l’abolition de l’actuel régime de corruption et de privilèges, et posé les bases de la construction et de l’établissement d’une nouvelle République. Avant tout, il convient de bien comprendre pourquoi nous avons choisi cette voie. Il est évident que nous n’agissons pas par caprice ni par intérêt personnel. Notre décision et celle des millions de Mexicains représentés ici est la réponse ferme et digne à ceux qui ont transformé la volonté électorale en trompe-l’œil et les institutions politiques en farce grotesque. […] Nous sommes ici pour dire aux hommes du régime antérieur que A nous ne fléchirons pas, que nous ne nous rendrons jamais. […] Comment voyons-nous la nouvelle République ? La nouvelle République aura pour objectif majeur de promouvoir le bien-être, le bonheur et la culture de tous les Mexicains. Nous aspirons à une société véritablement juste, fondée sur la démocratie et sur la défense de la souveraineté nationale. Nous souhaitons dialoguer avec tous les secteurs faisant preuve de bonne volonté, mais nous devons imposer l’idée que, pour le bien de tous, les pauvres doivent passer d’abord. […] Tout au long du processus de construction de la nouvelle République, nous nous attacherons à suivre trois principes fondamentaux : Premièrement, ne pas tomber dans la violence, éviter le harcèlement et toujours maintenir notre mouvement sur la voie de la résistance civile pacifique. Deuxièmement, ne pas se vendre, ne pas tomber dans l’éternel piège qui consiste à acheter les fidélités et les consciences sous couvert de négociation. Troisièmement, lutter avec imagination et talent COURRIER INTERNATIONAL N° 829 pour rompre le cercle de l’information et créer des mécanismes de communication alternatifs. Il faut permettre à la vérité de percer et d’arriver jusqu’aux confins de notre patrie. […] Cette convention a décidé de créer un nouveau gouvernement, institué pour faire valoir et défendre les droits du peuple. Le gouvernement qui en émane sera obligatoirement national. Son siège se situera dans la capitale de la République et, en même temps, il sera itinérant pour obser ver, écouter et recueillir l’opinion de tous les secteurs et de toutes les régions du pays. Il aura un cabinet, autrement dit, une équipe de travail qui centralisera les diagnostics, proposera des solutions et examinera les possibilités pour chaque cas. Evidemment, les ressources sont peu abondantes, mais le travail d’équipe, l’honneur et l’interaction avec la société pourront transformer ce manque en efficacité. Pourquoi j’accepte le rôle de président du Mexique ? […] Parce que nous refusons la contrainte et la rupture de l’ordre constitutionnel. Accepter la fraude électorale et recon- 24 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 naître un gouvernement d’usurpateurs, ce serait retarder indéfiniment l’évolution démocratique du pays. […] De plus, dans les circonstances actuelles, accepter ce rôle est un acte de résistance civile pacifique, et c’est ce qui convient le mieux à notre mouvement. C’est une leçon, une leçon pour leur apprendre à respecter la volonté populaire. Amies, amis, compagnons, je vous parle avec sentiment, avec le cœur. C’est une fierté, c’est un honneur que de vous représenter. Soyez certains que je le ferai avec humilité et conviction. Je ne vous trahirai pas, je ne trahirai pas le peuple du Mexique. C’est un honneur d’être avec vous et je serai toujours votre serviteur. Je réaffirme mon engagement auprès de vous, auprès de ceux qui nous ont accordé leur confiance le 2 juillet, auprès d’autres aussi, et surtout auprès des pauvres et des humiliés de notre patrie. Vive la Convention nationale démocratique ! Vive la nouvelle république ! Vive le Mexique, vive le Mexique, vive le Mexique !” Discours transcrit par El Universal, Mexico 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829_pp24-26-28 19/09/06 14:47 Page 26 amériques U R U G U AY CANADA La justice s’attaque enfin aux militaires Pourquoi faire la guerre en Afghanistan ? Le premier procès de la dictature militaire vient de s’ouvrir à Montevideo. Une étape importante pour les familles des victimes, qui attendent d’autres inculpations. en collaboration avec des militaires argentins, afin de ramener à Montevideo des militants de gauche enlevés à Buenos Aires. Lors de ses funérailles, le 11 septembre, d’autres figures de la dictature uruguayenne ont réapparu. “[Antonio Rodríguez Buratti] est le premier mort de cette guerre psychopolitique”, a notamment déclaré l’ex-chef des services secrets de l’armée, le général en retraite Iván Paulos, lors de la cérémonie. LA NACIÓN Buenos Aires n inculpant pour la première fois des militaires à la retraite, accusés d’enlèvements et d’assassinats commis pendant la dictature qui a suivi le coup d’Etat de 1973, la justice uruguayenne a fait un pas décisif. Cette avancée, attendue depuis longtemps par les familles des victimes, survient vingt-deux ans après l’accord politique signé entre les partis d’opposition et les généraux afin d’instaurer des élections et de mettre fin à la dictature militaire. Jusqu’à présent, un seul procès avait eu lieu. Juan Carlos Blanco, l’ancien chancelier du gouvernement dictatorial, avait été jugé tout simplement parce que le tribunal, sous la présidence de Jorge Battle (2000-2005), avait fait valoir que Blanco, en tant que civil, ne bénéficiait pas de la loi d’amnistie de 1986 encore en vigueur. L’arrivée de la gauche au pouvoir, en 2004, a modifié la situation. Ainsi, sans déroger à la loi d’amnistie, appelée aussi “loi de la caducité de la vocation punitive de l’Etat”, le nouveau gouvernement a adopté une lecture différente concernant sa portée. Cette décision vaut aujourd’hui à six militaires à la retraite – José Gavazzo, Gilberto Vázquez, Jorge Silveira, Ricardo Arab, Ernesto Ramas, Luis Maurente – et à deux ex-policiers, Ricardo Medina et Pedro Sande, de se retrouver sur le banc des accusés. Le processus judiciaire leur permet, du moins pour le moment, d’échapper à l’extradition vers Buenos Aires, où ils sont réclamés par la justice argentine dans le cadre du plan Cóndor [programme de coopération des services de renseignements de toutes les dictatures latino-américaines destiné à faciliter les arrestations et les assassinats des opposants politiques quel que soit le pays]. Les accusés ont été E C’EST UN BON DÉBUT MAIS ÇA NE SUFFIT PAS mis en examen pour association de malfaiteurs et privation de liberté. Ils risquent la prison. L’affaire porte sur la disparition à Buenos Aires, en 1976, des militants de gauche Adalberto Soba et Alberto Mechoso dans une opération menée conjointement avec des militaires argentins. Le colonel en retraite Juan Antonio Rodríguez Buratti, qui fut l’un des principaux agents de la répression et est impliqué dans la même affaire, a choisi d’échapper à la justice en se tirant une balle dans la tête au moment où la police s’apprêtait à le conduire au tribunal. Il a emporté dans la tombe de nombreux secrets militaires, dont celui du lieu où a été enterrée l’Argentine María Claudia García, la belle-fille de l’écrivain Juan Gelman [enlevée à l’âge de 19 ans, enceinte, avec son compagnon, Marcelo Ariel, lui aussi torturé et assassiné]. Buratti avait également commandé des opérations, Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid. ■ Opération Carotte Gilberto Vázquez, l’un des militaires inculpés, a confirmé l’existence en 1984-1985 de l’opération Carotte, qui visait à éliminer les traces des cadavres des opposants assassinés. Les restes d’opposants enterrés dans des fosses situées dans deux casernes ont été exhumés et brûlés. (El País, Montevideo) Les organisations de gauche et les parents des disparus se félicitent pour leur part de l’ouverture du procès. Des dizaines de manifestants ont jeté des œufs sur les militaires et ont applaudi le passage des véhicules des juges, tandis que d’autres pleuraient d’émotion. “C’est le minimum qu’on pouvait faire. C’est un bon début, mais ça ne me suffit pas”, a déclaré le fils d’Alberto Mechoso, qui porte le même nom que son père. Le président Tabaré Vázquez a même évoqué l’affaire au cours du Conseil des ministres. Personnalité du Parti communiste et ministre du Développement social, Marina Arismendi a rapporté que le gouvernement souhaite que soit respecté un principe “de vérité et de justice, et non de vérité et de vengeance, ni de revanche”. La justice instruit actuellement plusieurs dossiers dont le gouvernement de Tabaré Vázquez a estimé qu’ils ne pouvaient pas bénéficier de la loi de caducité de 1986, qui fut ratifiée par référendum en 1989. Ceux qui ont assassiné les députés Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz en 1976, à Buenos Aires, ne sauraient ainsi être protégés par la loi d’amnistie. L’enlèvement et l’assassinat de María Claudia García et les arrestations de militants anarchistes qui organisaient des rapts en Argentine sont également exclus de l’amnistie. Nelson Fernández S O M M E T D E S PAY S N O N A L I G N É S Une autre mondialisation est possible Les 56 chefs d’Etat rassemblés à La Havane pour le quatorzième sommet des pays non alignés ont rejeté en bloc la politique américaine, se réjouit le quotidien de gauche mexicain La Jornada. l y aura un avant- et un après-sommet” : telle a été la conclusion du ministre des Af faires étrangères cubain, Felipe PérezRoque, au terme du Sommet des pays non alignés, qui s’est tenu à La Havane entre le 11 et le 16 septembre. Créé en 1956, le Mouvement des non-alignés avait au départ pour objectif de soutenir les principes de souveraineté et de lutte contre l’impérialisme I dans le contexte de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Depuis, les objectifs n’ont pas changé, mais se sont adaptés aux circonstances actuelles. Cette année, à La Havane, les 56 chefs d’Etat et de gouvernement réunis ont rejeté en bloc la politique des Etats-Unis sur plusieurs points, blocus contre Cuba et campagnes contre les gouvernements vénézuélien et bolivien en tête de liste. Dans la déclaration finale, les pays se sont prononcés en faveur du respect des “décisions prises par les Etats concernant l’usage de la technologie nucléaire” ; ils répondent ainsi à l’opposition farouche des Etats-Unis et de leurs alliés au développement du nucléaire par COURRIER INTERNATIONAL N° 829 l’Iran. Les non-alignés ont par ailleurs souligné “qu’il n’existe pas de modèle unique de démocratie et que celle-ci n’est pas l’apanage d’un pays ou d’une région”, faisant clairement allusion à la volonté des Etats-Unis d’imposer leur modèle de démocratie, comme en Irak. Mais, sur tout, le sommet a permis de montrer qu’une autre mondialisation est possible – une mondialisation fondée sur la solidarité, et non sur le capitalisme sauvage, comme celle imposée par Washington et les puissances occidentales. Les non-alignés se sont placés en retrait d’un modèle qui accentue le cruel déséquilibre entre les grandes puissances et les La Jornada, Mexico pays en développement. 26 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 a mort de cinq soldats, au cours du premier week-end de septembre, a porté à trente le nombre de décès depuis le début de la mission canadienne, dont la moitié au cours des trois derniers mois. Le retour des cercueils à la base militaire de Trenton, dans l’Ontario, fait de plus en plus souvent l’ouverture des journaux télévisés alors que les combats entre troupes de l’OTAN et talibans font rage dans le sud de l’Afghanistan. L’armée canadienne mène aujourd’hui sa plus grande offensive militaire depuis sa participation à la guerre de Corée, au début des années 1950. D’abord déployée en 2002, la mission avait été présentée comme une occasion de soutenir les Etats-Unis sans s’engager en Irak et en restant dans le rôle traditionnel de gardien de la paix, explique le magazine Maclean’s. Mais le transfert des troupes canadiennes, fin 2005, d’un Kaboul pacifié vers le fief taliban de Kandahar marque un basculement vers une implication plus offensive. Avec ses 2 300 soldats, engagés jusqu’à 2009, le Canada est la quatrième force dans un Sud afghan où les talibans se révèlent de plus en plus résistants. “Existe-t-il un objectif clair, une limite de temps précise à la mission des Canadiens ? Combien d’hommes sommes-nous disposés à perdre et dans quel but ?” s’interroge l’hebdomadaire Maclean’s.“Nos dirigeants politiques et militaires font bien peu pour répondre à ces questions fondamentales.” Selon plusieurs officiels, la présence militaire est avant tout un soutien aux véritables piliers de l’action canadienne : la diplomatie et le développement. Tout le contraire de la réalité, argue l’opposition parlementaire, qui exige le retrait des soldats canadiens.“On n’a qu’à regarder l’Irak pour se rendre compte que les missions mal conçues et axées sur le militaire ne sont pas favorables à une paix durable”, affirme Jack Layton, dirigeant du Parti néodémocrate (socialiste) dans le quotidien Globe and Mail. “Pourquoi suivons-nous aveuglément les prescriptions politiques de Bush ?” A en croire les sondages les plus récents, près d’un Canadien sur deux partage cette opinion. Si le maintien de bonnes relations avec l’allié américain est cher au gouvernement conservateur, l’intervention armée assure également au Canada voix au chapitre lors de négociations internationales à venir. “L’engagement militaire, initialement modeste, s’est transformé en une carte de visite dans une OTAN en pleine transformation, affirme Maclean’s. Pour la première fois depuis la guerre froide, le Canada joue gros jeu.” Pour autant, le gouvernement canadien doit convaincre sa population de l’intérêt d’une telle entreprise. Le président afghan Hamid Karzai a prévu de l’épauler. L’objectif de sa visite du 21 septembre est de persuader les Canadiens que leurs pertes servent une cause juste. ■ L 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829_pp24-26-28 19/09/06 14:48 Page 28 amériques É TAT S - U N I S La culture de l’échec des Noirs américains Délinquance, crime, meurtre : les jeunes Africains-Américains sont de plus en plus violents, surtout à l’égard des leurs. Une dérive qu’un chroniqueur noir du New York Times estime très alarmante. THE NEW YORK TIMES New York ’autre jour à Manhattan, je regardais un kiosque à journaux quand je suis tombé sur un magazine intitulé Felon [Criminel]. C’était le numéro “Halte aux balances”, et la première lettre à la rédaction commençait par “Yo, salut Felon !” Une autre lettre était signée “Ton nègre John-Jay”, lequel était par ailleurs assez aimable pour écrire : “A mes femelles ! j’vous aime toutes.” Je suis tombé par la suite sur un magazine intitulé FEDS, qui affiche au nombre de ses thèmes : “Taulards”, “Voyous des rues”. La couverture portait le titre “Halte aux balances”. Un autre titre proclamait : “Une dizaine de meurtres, des centaines de kilos de coke et personne ne dénonce”. Ce sont là les symptômes d’une maladie culturelle déprimante, voire mortelle, qui s’est répandue librement dans la majeure partie de l’Amérique noire. Les personnes atteintes ne dénoncent pas les délinquants, se marient rarement, abandonnent souvent leurs enfants, s’appliquent les qualificatifs les plus vils (“nègre”, “pute”, etc.), ne cessent de faire des allers et retours entre le monde extérieur et la prison, et tombent en général dans l’irresponsabilité et l’avilissement le plus profond. Dans son nouveau livre, Enough [Ça suffit !], le journaliste Juan Williams passe en revue tous les problèmes affectant les Noirs américains. Il donne un aperçu de l’obsession de la délation qu’ont ces gangs, dealers et autres racailles, sans parler des auteurs des magazines de gangsters qui s’adressent à eux [voir ci-dessous]. L Presse FELON [criminel] est aussi l’acronyme de From Every Level Of Neighborhood [De tous les coins du quartier]. Le titre FEDS fait allusion aux agents fédéraux du FBI, c’est également l’acronyme de Finally Every Dimension of the Streets [Enfin tous les aspects de la rue]. Quant au magazine Don Diva, son titre est une contraction de l’expression argotique “dons and divas”, où le terme dons fait référence aux gangsters et divas à leurs copines. “En octobre 2002, écrit Williams, l’enfer provoqué par la criminalité dans la communauté noire a craché ses flammes à Baltimore. Une femme noire mère de cinq enfants témoigne contre un dealer du nord-est de la ville. Le lendemain, on jette un cocktail Molotov dans sa maison. Elle réussit à éteindre le feu. Deux semaines plus tard, à 2 heures du matin, alors que la famille dort, la maison est à nouveau incendiée. Cette fois-ci, le dealer a enfoncé la porte d’entrée et a pris soin de verser de l’essence sur l’escalier, qui est la seule issue pour les gens endormis dans les chambres du premier et du deuxième étages.Angela Dawson, 36 ans, et ses cinq enfants, âgés de 9 à 14 ans, meurent dans les flammes. Carnell, son mari, 43 ans, saute du premier étage. Il est gravement brûlé et meurt quelques jours plus tard.” Si des Blancs faisaient aux Noirs ce que les Noirs se font entre eux, il y aurait des émeutes d’un bout à l’autre du pays. Comme l’écrit Williams, “il s’est passé quelque chose de terrible”. A quel moment la fière tradition des WEB DuBois [grand intellectuel mili- tant], Harriet Tubman [lmilitante abolitionniste], Mary McLeod Bethune [apôtre de l’éducation], Louis Armstrong, Billie Holiday, Duke Ellington, Martin Luther King a-t-elle cédé la place aux magazines de gangsters et à leurs campagnes pour empêcher les citoyens de dénoncer les voyous ? LES GAMINS VOIENT LA PRISON COMME UN RITE DE PASSAGE Juan Williams explique lors d’un entretien : “Beaucoup de choses montrent qu’il y a une crise dans la communauté. Regardez le nombre énorme de jeunes – surtout de garçons – qui ne terminent pas leur scolarité ; ou le nombre de naissances hors mariage, qui est vraiment inquiétant ; ou le taux d’incarcération. Quand on entend des gamins affirmer que la prison est ‘un rite de passage’ ou qu’ils accusent les jeunes de travailler à l’école, de ‘frimer’ ou de vouloir ‘faire comme les Blancs’, on est devant une culture de l’échec. Ce genre de discours freine ceux qui essaient d’avancer. Ils entraînent les gens vers le fond.” Ça suffit ! clame Williams. Son livre appelle une nouvelle génération de leaders noirs à combler le vide laissé à tous les niveaux par ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont renoncé à lutter et à décider euxmêmes de leur vie. Ce vide a provoqué une épidémie de comportements autodestructeurs. Williams ne conteste pas un instant les effets dévastateurs du racisme, mais celui-ci n’est pas le même qu’il y a un demi-siècle. C’est désormais aux Noirs eux-mêmes de saisir leur chance, de profiter des possibilités qui leur sont offertes pour réussir leurs études et leur carrière, de former des familles fortes qui permettent aux enfants de se développer et de créer un environnement culturel qui rejette le crime, l’ignorance et l’autoabaissement. Les Noirs qui réussissent sont plus nombreux que jamais. Mais il y en a encore trop, en particulier chez les jeunes, qui sont coincés entre échec et déchéance. Il faut que ça change. Ça suffit ! Bob Herbert MÉDIAS Crack, meufs et gros calibres Créés par d’anciens détenus, plusieurs magazines visent l’audience des jeunes Noirs qui peuplent les prisons*. Avec plein d’histoires violentes. e magazine Don Diva (www.dondivamag.com) est vendu accompagné d’une mise en garde aux parents : “Attention : histoires de gangsters !” La mention se veut incitative – rien n’attire plus les ados que ce genre d’aver tissement – mais elle est justifiée. Car Don Diva est un magazine sur les gangsters destiné aux gangsters ainsi qu’à tous ceux qui rêvent de l’être, qui sont en prison ou qui ont envie de goûter aux sensations fortes que procure la vie de gangster sans pour autant se faire tirer dessus ou finir L en prison, comme c’est hélas le cas de la plupart des figures dont Don Diva raconte la vie. Fondé en 1999, ce trimestriel sur papier glacé se présente comme “la vraie Bible de la culture gang”. Chaque numéro a deux couvertures, la une et la quatrième de couver ture. La une “gang” présente une scène de la vie de gangster : des jeunes qui fabriquent du crack ou un cliché authentique de la dépouille d’un dealer de Chicago dans un cercueil capitonné comme l’intérieur de sa Cadillac El Dorado. La une “musique” met à l’honneur un rappeur, et c’est elle qu’affichent les marchands de journaux qui n’osent pas montrer l’autre. Don Diva s’articule autour de trois grandes rubriques : les reportages sur des gangsters, les articles sur des figures du gangsta rap et les photos de femmes dévêtues posant pour la plupart de dos. Dans son numéro “spécial cinquième anniversaire”, Don Diva se vantait d’être “un magazine né en prison grâce à un prisonnier”. Ce détenu, Kevin Chiles, purgeait une peine de dix ans d’emprisonnement pour trafic de cocaïne lorsqu’il donna à son épouse, Tiffany, l’idée de créer un magazine sur ce qu’elle appelle la “pègre noire”. Diplômée en marketing de l’université Fairley Dickinson, dans le New Jersey, Tiffany Chiles raconte qu’elle a lancé ce magazine grâce à l’argent gagné en faisant la promotion de groupes de rap ; elle l’a baptisé Don Diva pour souligner qu’il s’adresse aux COURRIER INTERNATIONAL N° 829 28 deux sexes, aussi bien aux “dons” [nom donné aux chefs mafieux] qu’aux “divas”. Aujourd’hui, Tiffany Chiles, 35 ans, dirige le magazine depuis ses bureaux de Harlem, à New York, et son mari, libéré en 2003, y écrit de temps en temps des ar ticles, le plus souvent pour dénoncer les “balances”. Il y a six ans, commente Tiffany Chiles, les abonnés étaient à 90 % des détenus ; aujourd’hui, ces derniers ne représentent plus que 10 % des 150 000 exemplaires vendus chaque trimestre. Jusqu’à il y a un an, Don Diva était surtout en vente dans des magasins de disques, des instituts de beauté et des petites épiceries dans les quartiers défavorisés. Depuis qu’il a un DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 nouveau distributeur, le magazine est désormais plus facile à trouver. Don Diva est souvent accusé de donner une image glamour du mode de vie gangster. Mais Mme Chiles plaide non coupable. “La plupart des délinquants dont nous parlons finissent morts ou en prison, remarque-t-elle. Dire que nous les glorifions, c’est prendre nos lecteurs pour des imbéciles. Nous devons attirer l’attention sur les choses qui se passent.” Peter Carlson, Los Angeles Times (extraits), Los Angeles * En 2004, 24 % des Africains-Américains entre 22 ans et 30 ans étaient en prison. Retrouvez cet article en v.o. page 47 dans Courrier in English 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p30-33 19/09/06 14:17 Page 30 asie ● TA Ï WA N THAÏLANDE Le président Chen met l’île en émoi Pourparlers avec les insurgés Les manifestations se multiplient contre le président taïwanais, accusé de corruption. Une campagne qui pourrait sérieusement affaiblir le mouvement indépendantiste. MING PAO n théorie, le mouvement anti-Chen qui a marqué Ta ï w a n c e s d e r n i è r e s semaines n’est pas un mouvement anti-indépendantiste. Mais certaines variables du jeu politique taïwanais pourraient tout de même infléchir le cours du mouvement et affaiblir de fait le camp indépendantiste. Le mouvement de protestation dirigé par l’ancien président du Parti démocrate progressiste (PDP), Shih Ming-teh, et réclamant le départ du président taïwanais Chen Shui-bian [PDP, indépendantiste], a rassemblé, le 9 septembre, 300 000 manifestants. Les jours suivants, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont spontanément afflué boulevard Kaidagelan pour exprimer leur opposition au président de la République, malgré une pluie torrentielle [le 15 septembre, une manifestation monstre a couronné la semaine]. On n’avait jamais vu à Taïwan une telle affluence de protestataires en l’absence de toute mobilisation d’un parti politique. [Le 16, les partisans de Chen ont à leur tour fait une démonstration de force à Taipei.] L’affluence s’explique naturellement par l’aversion générale suscitée dans l’opinion publique taïwanaise par les pratiques douteuses et les malversations de Chen Shuibian [il est mis en examen pour abus de biens publics, et son entourage est touché par plusieurs scandales]. Ce mouvement de protestation antiChen n’a pas pris l’allure d’une confrontation entre partis politiques, ni entre camp bleu, partisan de la réunification avec la Chine populaire, et camp vert, pro-indépendantiste. Grâce à l’intervention de Shih Mingteh, qui a toujours prôné la tolérance entre Taïwanais de différentes origines [locale ou continentale], pour fédérer les manifestants, le mouvement est resté axé sur la dénonciation des pratiques corrompues de Chen Shuibian. Des personnalités politiques des deux bords sont certes présentes aux postes clés de la direction du mouvement, mais tout signe politique ou électoral sur le lieu de manifestation a été banni. Comme tout le monde partageait le même but – renverser Chen –, très peu d’observateurs ont fait l’amalgame avec un mouvement de protestation contre l’indépendance de l’île. La manifestation a néanmoins été ternie par un couac, qui, de façon fortuite, a fait se superposer la question du renversement de Chen avec celle de la lutte contre les idées indépendantistes. L’incident a eu lieu lorsque Wang Li-ping, une des coordinatrices de la manifestation, a uti- E Dessin de Guy Billout paru dans The New Yorker, Etats-Unis. Révolution culturelle Ce mouvement anti-Chen rappelle la Révolution culturelle, notamment le sort du président chinois Liu Shaoqi, mort après plusieurs années de persécution, écrit le commentateur Lin Baohua dans le journal Taipei Times. Le mouvement pourrait bien être manipulé par la Chine communiste, dans le but de se débarrasser de Chen Shui-bian et du courant indépendantiste, affirme-t-il. ’explosion, le 16 septembre, de six bombes dans la ville touristique de Hat Yai [située à 30 kilomètres de la frontière avec la Malaisie, dans la province de Songkhla] n’a fait qu’élargir le fossé qui sépare les extrémistes des honnêtes citoyens des régions du Sud et du reste du pays. [Les explosions ont causé la mort de quatre personnes et en ont blessé plus de 70 autres.] La décision de frapper Hat Yai une deuxième fois a des implications majeures. La première série d’explosions, en avril 2005, avait pris pour cibles l’aéroport international, un hôtel et un hypermarché. Le récent attentat visait le centre-ville, en particulier les galeries marchandes où se pressent des milliers de touristes venus de Malaisie, de Singapour, de Bangkok et d’ailleurs. Les engins explosifs, de petite taille, étaient tous conçus pour faire le maximum de victimes dans un rayon de 20 mètres. Les auteurs des attentats ont en outre eu recours à un vieux stratagème : faire exploser une première bombe et attendre que les passants commencent à s’attrouper pour déclencher la seconde. Les pertes humaines et économiques du massacre du 16 septembre sont certes imputables aux activistes, mais cela ne réduit pas pour autant les responsabilités du gouvernement. Avec leurs discours rassurants, le Premier ministre Thaksin Shinawatra et ses responsables de la sécurité ont perdu toute crédibilité, car l’intensité, la fréquence et l’atrocité des attentats contre les civils ne font que progresser. Le gouvernement a répondu jusqu’ici aux actions des extrémistes en promettant davantage de soldats, des alertes plus efficaces et des mesures plus énergiques contre les suspects. Mais le commandant en chef de l’armée, le général Sonthi Boonyaratkalin, a déclaré récemment qu’il privilégiait une autre tactique et il mérite d’être écouté. Selon lui, il convient d’encourager le dialogue avec les habitants des provinces du Sud, qui ont des griefs parfaitement légitimes, puisqu’ils sont notamment victimes d’arrestations illégales et de disparitions. Le général Sonthi a opté pour un choix discutable mais réaliste : engager des pourparlers avec les rebelles, ce qui est l’unique moyen de faire diminuer la violence, voire d’y mettre fin. Il est clair que le gouvernement doit adopter une nouvelle politique vis-à-vis des provinces du Sud. Il n’est pas question d’être indulgent avec des poseurs de bombes et des assassins. Ni de céder du territoire ou des prérogatives. Mais il est nécessaire de prendre contact avec les chefs de la guérilla. Comme l’affirme le général Sonthi, c’est le seul moyen de bâtir une paix durable dans le sud du pays. Bangkok Post, Bangkok L Hong Kong lisé par lapsus l’expression “Etat taïwanais” en haranguant la foule, ce qui a suscité de vives réactions autour de la tribune, certains réclamant une rectification et des excuses immédiates. Résultat, non seulement l’intéressée a reconnu sa méprise et présenté ses excuses, mais, phénomène inhabituel, la cellule organisatrice a mis les points sur les i en indiquant que, pendant la manifestation, il convenait d’affirmer son identité nationale sur la base de l’appartenance à la “république de Chine” [nom de la première république chinoise, dont le gouvernement a fui à Taïwan en 1949, lors de la victoire communiste sur le continent]. VERS UNE RADICALISATION ANTI-INDÉPENDANTISTE Ainsi, l’accent mis sur la “république de Chine” a discrètement rejeté aux oubliettes l’un des choix possibles pour les Taïwanais : l’indépendance de Taïwan. On pourrait penser que c’est l’aboutissement d’une fine stratégie de l’équipe organisatrice de ce mouvement, mais il serait plus juste de considérer cela comme le résultat inéluctable de positions spontanément exprimées par les participants. De fait, un journaliste d’une agence de presse étrangère a récemment utilisé l’expression de “corps bleu à tête verte” pour désigner la structure de cette manifestation destinée à renverser Chen Shui-bian. Il serait aujourd’hui quelque peu exagéré de voir dans ces manifestations une offensive anti-indépendantiste. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 30 Mais deux facteurs importants peuvent entrer en ligne de compte pour leur faire prendre cette direction.Tout d’abord, la volonté de Chen Shui-bian de rester au pouvoir envers et contre tout risque de faire basculer dans un rejet total de ses positions politiques et idéologiques des citoyens qui ne souhaitaient initialement que sa chute personnelle. Ensuite, le PDP et les partisans de l’indépendance de Taïwan, en se plaçant de plus en plus du côté de Chen Shui-bian, risquent de faire assimiler leur indulgence à leurs positions politiques. Récemment, plusieurs “vétérans de l’indépendance de Taïwan” se sont empressés de tenter de réaliser l’unité du clan indépendantiste pour contrer la déferlante anti-Chen. Leurs efforts n’ont pas encore porté leurs fruits. Les anti-Chen, dont le noyau dur est constitué de membres de la classe moyenne et d’intellectuels, commencent à rejeter le groupe pro-indépendantiste. Cela ira-t-il jusqu’au refus de l’indépendance de l’île ? La question mérite d’être étudiée. Le Premier ministre chinois,Wen Jiabao, a déclaré le 11 septembre, pendant sa visite en Finlande, que le renversement de Chen Shui-bian était une affaire qui devrait être réglée par les Taïwanais eux-mêmes. Voilà une position dont il faudra se souvenir si jamais le mouvement anti-Chen évolue vers des sentiments anti-indépendance. Shaw Chong-hai* * Professeur de sciences politiques à l’Institut Sun Yat-sen de l’université Chengchi, à Taipei. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p31 19/09/06 12:47 Page 31 asie INDE La jeunesse découvre la “Gandhi attitude” Il y a un siècle, le grand homme lançait sa lutte non-violente contre l’oppression coloniale. Longtemps considéré comme un vestige du passé, son héritage est aujourd’hui remis au goût du jour par les jeunes. OUTLOOK (extraits) New Delhi e 11 septembre 1906, un jeune avocat passionné aux yeux flamboyants et répondant au nom de Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) réunissait 3 000 Indiens à l’Empire Theatre de Johannesburg, en Afrique du Sud, pour les appeler à résister de façon pacifique à l’oppresseur colonial blanc. Si le gouvernement indien ne semble pas décidé à célébrer comme il se doit le centenaire de cet appel, les organisations de jeunesse gandhiennes, qui se sont récemment multipliées dans le pays, ont pris l’initiative. On assiste ainsi à un regain d’intérêt pour un homme honoré jusqu’à présent uniquement dans les manuels scolaires et à travers des statues à son image couvertes de fleurs. La nouvelle génération de gandhiens organise des courses pour la paix, des pèlerinages à bicyclette pour l’harmonie entre les communautés religieuses, ou des rallyes moto pour la paix entre l’Inde et le Pakistan et contre l’avortement des fœtus féminins. Elle montre des films sur le Mahatma avec débat à la clé dans des établissements d’enseignement professionnel, diffuse des émissions de radio dans les bidonvilles et y font placarder des journaux muraux. Ces jeunes gens organisent aussi des ateliers de bandes dessinées et des tables rondes avec des leaders de toutes les tendances politiques, partisans du terrorisme inclus, “parce que tout le monde mérite d’être entendu”. L UN HOMME SPIRITUEL, DÉRANGEANT, CRITIQUE, GÊNANT Et ce phénomène ne se limite pas à l’Inde. Le monde s’enthousiasme en effet à nouveau pour les idéaux gandhiens, à la grande surprise des chercheurs et des enseignants, qui s’étaient résignés à considérer le grand homme comme un vestige du passé. “Les jeunes ont peut-être du mal à s’identifier aux représentations du Mahatma en habit traditionnel avec son rouet. Mais, quand on leur dit qu’il a étudié à Londres, qu’il était avocat, qu’il gagnait des millions et qu’il a tout envoyé promener pour lutter pour la justice et l’égalité, ils l’apprécient immédiatement”, confirme A. Annamalai, le directeur du Cercle d’études gandhiennes de Madras, une des 150 organisations indiennes de jeunes gandhiens. “Nous avons pu recruter des techniciens,des ingénieurs,des informaticiens. Ces volontaires apportent leur contribution dans plusieurs domaines, par exemple la création d’entreprises dans les villages, les produits bio, la sensibilisation des policiers et des fonctionnaires. Ils font aussi connaître Gandhi dans les écoles et les universités – à leur façon”, ajoute ce quadragénaire vêtu à l’occidentale qui, contrairement aux gandhiens de la vieille école, rit beaucoup. Une enquête réalisée au début du mois de septembre dans 19 Etats de l’Union par The Hindu-CNN-IBN auprès d’Indiens de moins de 30 ans va dans le même sens. Parmi les personnes interrogées, 76 % considèrent le père de la nation comme leur principal modèle. Nul n’en est plus surpris que la génération qui a vu le Mahatma se faire “déifier ou vandaliser”, selon les termes de Gopalkrishna Gandhi, son petit-fils [haut fonctionnaire, diplomate et actuellement gouverneur du Bihar]. La pire chose qu’on ait faite, c’est, selon lui, d’avoir transformé cet “homme énergique, spirituel, dérangeant, critique, gênant, cette pierre de touche” en “raseur”. Si certains cherchent à faire de Gandhi l’homme du XXIe siècle, c’est parce qu’ils sont convaincus qu’il peut enthousiasmer une nouvelle génération. “Nous devons viser les jeunes”, explique Santosh Kumar Dwivedi, le secrétaire national du Rashtriya Yuva Sangathan (RYS), l’Organisation nationale de la jeunesse, une association constituée il y a douze ans. “Si nous voulons mettre sur pied une société non-violente, quel autre choix avons-nous ?”ajoute-t-il. Mais les jeunes ne sont pas vraiment fous des vieux gandhiens poussiéreux, ce que Dwivedi est le premier à reconnaître. En fait, c’est l’ancienne génération qui a tué l’esprit du Mahatma, affirme Leeladhar Manik Gada, un ancien marchand de bois qui emploie désormais des jeunes dans des projets sociaux dans l’Etat du Gujarat, dans le nordouest du pays. Bien entendu, il y a eu des résistances de la part des anciens, mais “la toile de coton tissée à la main et le rouet sont des symboles dépassés, reconnaît Dwivedi. Nous devons à présent monter sur les épaules de Gandhi et regarder devant nous.” Cette nouvelle approche porte ses fruits. Le nouveau mouvement gandhien s’étend maintenant sur 10 des 28 Etats de l’Union. Ses volontaires travaillent à défendre l’harmonie entre les communautés religieuses, le droit des tribus à la terre, et à organiser des séminaires d’été et des ateliers destinés aux étudiants et aux jeunes actifs comme eux. Dwivedi concentre d’ailleurs ses efforts sur la jeunesse urbaine. “Les gens des villages n’ont jamais oublié Gandhi”, fait remarquer un militant de 36 ans. Le plus difficile, ce n’est pas vraiment de convaincre les jeunes d’étudier les doctrines gandhiennes, mais de dissiper les idées fausses qui se sont répandues pendant près de soixante ans après l’assassinat du grand homme. Le séminaire d’été que le secrétaire général du RYS a dirigé l’année dernière a attiré plus Le Mahatma Gandhi. Dessin de Cajas, Equateur. Cinéma de 550 étudiants, curieux de découvrir le style de vie alternatif prôné par le Mahatma. “Nous avons dû en refuser beaucoup, parce que nous n’avions pas assez d’enseignants qualifiés pour animer les ateliers.” Mais tous ces efforts en valent la peine. Selon Dwivedi, le RYS a probablement recruté plus de jeunes en douze ans que la plupart des organisations gandhiennes depuis l’indépendance, en 1947. Il n’est pas diffi- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 31 Le succès du film Lage Raho Munnabhai – dont le héros est un petit voyou converti aux idéaux gandhiens pour plaire à sa dulcinée – est interprété tantôt comme le signe d’un attachement profond des classes moyennes à la non-violence et à la justice sociale, tantôt comme le dévoiement consumériste du message du Mahatma. Sans doute s’agit-il des deux à la fois. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 cile de comprendre pourquoi. Beaucoup de gens, désireux d’être utiles et conscients que la mondialisation représente le “baiser de la mort” pour nombre de leurs idéaux, ne résistent pas à ce que proposent ces groupes, à savoir un autre mode de vie, la possibilité de servir la société, un apprentissage exigeant, et, plus important, l’absence d’une idéologie rigide. “Nous laissons chacun s’approprier Gandhi à sa façon”, explique Kumar Prashant, un des fondateurs du RYS.Tout le monde s’accorde cependant à dire que ces tentatives pour toucher les jeunes sont encore insuffisantes et trop dispersées. “C’est une voix encore faible, mais qu’on commence à entendre distinctement”, confie Prerna Desai, une jeune militante. Le journaliste suisse Bernard Imhasly confirme que le chemin est encore long. Il s’est rendu en Inde en 2005 à la recherche de l’esprit du Mahatma. Il l’a bien trouvé çà et là, mais il fait remarquer qu’“on ne le voit pas parce que l’Inde est obnubilée par sa réussite économique”. Sheela Reddy 829p30-33 19/09/06 14:20 Page 32 asie LE MOT DE LA SEMAINE “IN’NETSU” UNE PASSION NÉFASTE JAPON Le nouveau Premier ministre dans la tourmente Shinzo Abe, le successeur de Junichiro Koizumi, fait déjà l’objet de nombreuses critiques. Son principal adversaire, le chef de l’opposition Ichiro Ozawa, est en première ligne. ASAHI SHIMBUN Tokyo e 1er septembre au matin, j’ai pris le train à grande vitesse Shinkansen pour Hiroshima. Pendant le trajet, j’ai lu Ozawaizumu [L’ozawaïsme], le dernier ouvrage du président du Parti démocrate [la principale formation de l’opposition], Ichiro Ozawa, sorti en librairie le jour même. Comme il s’agit d’un livre relativement court, je l’ai fini avant d’arriver à destination. L’après-midi, j’ai assisté à une conférence de presse du secrétaire général du gouvernement sortant, Shinzo Abe [qui devait être élu le 20 septembre à la présidence du Parti libéral-démocrate, au pouvoir]. Il y a annoncé officiellement sa candidature pour succéder à Junichiro Koizumi et a rendu public son programme du gouvernement intitulé “Le Japon, un pays noble”. A présent, ces deux hommes vont se livrer à un face-à-face sur la scène politique. En découvrant le même jour, bien que par des moyens différents, leur programme, j’ai pu saisir l’étendue de leurs différences. L’un des messages de M. Ozawa est que la politique n’est pas une affaire de mentalité. Cela ressort clairement d’un passage où le président du Parti démocrate s’élève contre la volonté de M. Abe d’imposer l’enseignement du patriotisme dans l’école. “Avant de parler de la ‘mentalité’, écritil, les politiques doivent se demander concrètement quels sont les problèmes du ‘système’ en place et quelles réformes il convient de mettre en œuvre pour y remédier. Sans prendre de mesures dans ce sens, il est parfaitement absurde de vouloir que le peuple se montre patriote.” Cette thèse est étayée par la loi-cadre sur l’éducation proposée par le Parti démocrate. Le projet recommande notamment de supprimer les commissions d’éducation attachées aux collectivités locales, d’attribuer la responsabilité qu’elles ont actuellement aux chefs des collectivités locales, de créer des conseils de surveillance sur la politique éducative L n dit de lui – Shinzô Abe, 51 ans, le très probable successeur de Jun’ichirô Koizumi au poste de Premier ministre du gouvernement japonais – qu’il n’a pas de projets politiques arrêtés. Archifavori dans la course au pouvoir, il est vrai qu’il n’a pas eu à se dévoiler outre mesure. C’est que, pour le moment, il demeure intouchable : populaire, il l’est plus que quiconque, ayant réussi à trouver un subtil équilibre entre son image de dirigeant intransigeant, acquise dans sa gestion musclée de l’affaire des victimes des rapts organisés par Pyongyang, et l’élégance naturelle d’un homme bien né. Bien né, on ne saurait d’ailleurs l’être davantage : Shinzô Abe, qui entend gouverner le pays sans avoir jamais occupé de fonction ministérielle, incarne jusqu’à la caricature la figure de l’héritier. Appar tenant à la troisième génération d’une puissante dynastie de politiciens, il se forme en politique auprès des siens, pour ainsi dire en vase clos. Son nationalisme sentimental – comme saisi d’une “passion néfaste”, selon l’expression de l’écrivain Yô Hemm –, inconsistant sur le plan théorique mais potentiellement dangereux, en découle : son grand-père, qui est aussi son modèle en politique, n’est autre en effet que Nobusuke Kishi (18961987), artisan de la construction de l’Etat du Mandchoukouo, membre du cabinet Tôjô durant la guerre du Pacifique, arrêté par les Forces alliées en 1945 pour crimes de guerre (il ne sera curieusement pas inculpé), Premier ministre de 1956 à 1960 et pilier de l’aile dure du Par ti libéral-démocrate, anticommuniste et partisan de la réforme de la Constitution pacifiste. On l’a qualifié de “monstre de l’ère Shôwa (1926-1989)”. Shinzô Abe n’en a cer tainement pas l’étoffe – ce qui, paradoxalement, n’est pas pour rassurer. O Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Mori De gauche à droite, Kim Jong-il, Shinzo Abe et les parents d’une japonaise victime du rapt nord-coréen. La popularité de M. Abe a été acquise grâce à sa gestion soutenue du dossier des victimes de ces kidnappings. Dessin de No-río paru dans Aera, Tokyo. ■ Attentes Ce que les Japonais attendent le plus du prochain Premier ministre, ce sont les réformes des retraites et de la protection sociale (48 %), révèle un sondage réalisé par l’Asahi Shimbun les 8 et 9 septembre. Viennent ensuite par ordre d’importance “le redressement des finances de l’Etat (17 %)”, “la correction des disparités sociales (10 %)”, “l’essor économique des provinces (9 %)” et “l’amélioration des relations avec l’Asie (9 %)”. Seuls 2 % des Japonais placent la réforme de la Constitution, si chère à Shinzo Abe, en tête de leurs préoccupations. définie par ces derniers et d’accorder davantage d’autonomie à chaque établissement. En même temps, il préconise, sur le plan financier, de définir clairement “la responsabilité suprême de l’Etat”. Ces propositions suscitent sans doute des débats, mais du moins offrent-elles un plan concret de réorganisation du système, et non des idées en l’air. Le fondement du programme de M. Abe, quant à lui, peut être résumé par la formule fleurie “rompre avec le régime d’après guerre”. En d’autres termes, cela revient à adopter une nouvelle Constitution. Lors de sa conférence de presse, M. Abe est revenu à plusieurs reprises sur la même idée. “Réfléchissons ensemble à notre avenir, à nos idéaux. C’est par notre état d’esprit que nous ouvrirons la voie à une ère nouvelle”, a-t-il déclaré. Il n’est pas difficile de voir dans ces propos que le successeur de M. Koizumi s’intéresse davantage à l’idéologie qu’au système politique. Dans un précédent entretien, il avait déjà insisté sur “la détermination, l’état d’esprit, l’énergie et l’enthousiasme nécessaires pour modifier en profondeur toutes les lois-cadres du pays”. Bien sûr, il arrive aussi à M. Abe d’aborder le sujet des institutions poli- IDÉOLOGIE Nationaliste sans complexes ■ “J’appartiens à la génération née après la signature du traité de paix de San Francisco [mettant fin à l’occupation du Japon par les Etats-Unis, en 1951]. L’époque où l’on était persuadé qu’il ne fallait pas toucher à ce qui avait été décidé pendant toutes ces années est révolue”, a déclaré Shizo Abe le 11 septembre, lors d’un débat organisé entre les trois candidats à la présidence du Parti libéral-démocrate, rapporte le quotidien Tokyo Shimbun. Le prochain Premier ministre laisse souvent entendre qu’il pourrait remettre en question les politiques de ses prédécesseurs. Interrogé sur le fondement de la déclaration de l’ancien Premier ministre, Tomiichi Murayama, en 1995, à l’occa- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 sion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, exprimant les excuses de la nation au sujet de la colonisation de pays asiatiques par le Japon, M. Abe a évité de répondre directement. Il a simplement affirmé qu’il laissait aux historiens le soin de juger. Il fait partie d’un groupe de parlementaires extrêmement hostiles à l’encontre des politiciens et intellectuels qui admettent la responsabilité du Japon dans les exactions commises pendant la dernière guerre. Beaucoup s’inquiètent d’ores et déjà de l’avenir des relations avec les pays voisins, en particulier la Chine et la Corée du Sud, qui se sont déjà beaucoup dégradées durant le mandat de Junichiro Koizumi. 32 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 tiques. Ainsi, en ce qui concerne la réforme de l’enseignement, aussi importante à ses yeux que celle de la Constitution, il souhaite “l’introduction d’un système d’évaluation des écoles et des enseignants”. La différence entre les deux hommes est une question de priorité. Le problème est de savoir d’où vient cette différence. De la même manière que les citoyens ont des exigences vis-à-vis des politiques, ces derniers en ont vis-à-vis des citoyens. Les différences qui apparaissent dans le discours de MM. Ozawa et Abe reflètent leurs exigences vis-à-vis de la nation. M. Ozawa demande aux citoyens de se rendre aux urnes. “Ceux qui ne vont pas voter n’ont pas le droit de critiquer la classe politique”, proclame-t-il. Selon lui, il faut exploiter à fond le régime de la démocratie représentative, autrement dit l’idée que “ce sont les citoyens qui façonnent la politique”. Quant au futur Premier ministre, il demande aux citoyens de dépasser leurs propres intérêts. “Privilégier des valeurs qui dépassent les calculs personnels, améliorer la vie au sein des collectivités locales, servir le pays : autant de domaines où j’aimerais voir les citoyens aller plus loin”, affirme-t-il. Dans son livre Utsukushii kuni-he [Vers un noble pays], il écrit à propos des kamikazes de la Seconde Guerre mondiale : “La vie est précieuse. Mais n’existe-t-il pas des valeurs qu’il faut parfois défendre au prix de sa vie ?” M. Abe a des exigences lourdes, élevées, nobles. Mais est-il réellement possible de faire disparaître les calculs personnels du monde politique ? Que ce soit au sujet de la réforme des retraites ou de celle du système fiscal, les conflits d’intérêts sont légion. Dans la vie de tous les jours, les citoyens sont confrontés à de nombreuses questions vitales, même si elles ne sont pas aussi nobles que la rupture avec le régime d’après guerre ou l’amendement de la Constitution. Nous ne pouvons pas avoir une noblesse d’esprit aussi exceptionnelle, et nous n’en avons pas besoin. Seiki Nemoto 829p30-33 19/09/06 14:18 Page 33 asie CORÉE DU SUD Séoul veut son indépendance militaire Le gouvernement souhaite avoir le contrôle des opérations militaires, détenu par les Américains. Cette tentative se heurte à l’opposition des conservateurs. HANKYOREH 21 Séoul as question de récupérer le commandement opérationnel en cas de guerre !” crient à l’unisson tous ceux qui enragent à la suite de la décision du gouvernement [de restaurer sa pleine autorité dans ce domaine]. Il était sans doute difficile dès le départ d’espérer un débat constructif sur le sujet. “Cette récupération entraînerait la dissolution du commandement des forces alliées Corée du Sud-Etats-Unis, ainsi que le retrait des troupes américaines”, prétendent de façon absurde plusieurs anciens ministres de la Défense sud-coréens. La présence des troupes américaines [environ 30 000 soldats] au Sud, qui remonte au lendemain de la guerre de Corée, était devenue un sujet tabou. Evoquer l’éventualité de leur départ vous faisait immédiatement classer comme antiaméricain et donc comme partisan de Pyongyang, et à ce titre idéologiquement suspect. “C’est pour justifier la présence américaine que l’armée sudiste continue à déclarer que le Sud est militairement inférieur au Nord, explique un spécialiste de l’armée. C’est P ■ Réaction “Un deuxième round dans la discussion sur le transfert ?” s’interroge le Kyunghyang Sinmun, après le sommet entre Séoul et Washington du 15 septembre, au cours duquel le président Bush a mis en garde contre la politisation du sujet. Il a affirmé sa volonté d’agir en accord avec son homologue sudcoréen. En réponse, les conservateurs sud-coréens ont suspendu leurs actions destinées à empêcher le gouvernement d’agir dans ce domaine, ce qui illustre bien, pour le quotidien, leur “hésitation à s’opposer au président Bush”. un argument pour disposer d’un certain budget et couper court à tout débat sur la réduction de la structure militaire.” Dans un souci d’apaisement, le 13 août, le gouvernement et le parti Uri, au pouvoir, ont proposé quatre principes au sujet du transfert. Premièrement, le maintien de l’accord de défense mutuelle entre Séoul et Washington. Deuxièmement, le maintien des troupes américaines en Corée du Sud et l’envoi de renforts en cas de guerre.Troisièmement, le soutien des Etats-Unis dans le domaine du renseignement militaire. Enfin, le maintien d’une force de dissuasion et d’un état d’alerte communs. La Constitution sud-coréenne précise que “le président de la République assure le commandement de l’armée”. Actuellement, en cas de conflit, le commandement militaire est confié au chef du Commandement de la force mixte (Combined Force Command, CFC). Cela ne permet pas au chef de l’Etat d’exercer pleinement son droit, et c’est en ce sens que le président Roh Moohyun a déclaré, le 15 août, lors de la commémoration de la fin de la colonisation japonaise, qu’il s’agissait de “rectifier une situation qui n’est pas COURRIER INTERNATIONAL N° 829 33 conforme à l’esprit de la Constitution”. Plutôt que de mettre en cause la légitimité d’un tel transfert, il serait donc souhaitable de concentrer le débat sur le contenu d’un tel processus et sur les tâches à venir. Les spécialistes s’accordent à dire qu’il faut reprendre le contrôle de la totalité des attributions du commandant du CFC et aussi, pour certains d’entre eux, mettre en place un dispositif de concertation et de contrôle concernant les actions des troupes américaines stationnant dans le pays. POUR SÉOUL, PYONGYANG N’EST PLUS UNE MENACE Les grandes orientations à propos du transfert du commandement devraient être annoncées en octobre, à Washington, lors de la 38e Réunion consultative sur la sécurité entre les deux pays. Certains craignent déjà que le transfert ne soit pas réel.Tout le débat actuel rappelle le transfert du commandement militaire en cas de paix, survenu en 1994. Les politiciens américains qui souhaitaient le retrait progressif de leurs troupes de la péninsule étaient favorables au transfert, mais l’état-major de l’armée américaine sur place s’y DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 était violemment opposé, ce qui fut à l’origine des six articles de ce qu’on appelle Autorité déléguée jointe [Combined Delegated Authority, CODA], qui laissent une partie de l’autorité au chef du Commandement de la force mixte. C’est pourquoi la nouvelle opération est accusée de n’être qu’un leurre. A la présidence sud-coréenne, les choses sont claires. “Il va de soi que nous procéderons à l’annulation des CODA avant d’aller plus loin. Ce problème sera réglé au cours du premier semestre 2007, quand le plan de transfert du commandement sera décidé”, assure-t-on. Comment faire pour ne pas répéter les erreurs de 1994 ? “Un organe de concertation est provisoirement nécessaire pour faciliter la transition”, déclare un spécialiste de la défense. Pendant la guerre froide, tous les efforts de Séoul visaient à dissuader la Corée du Nord de lancer les hostilités. Sa stratégie s’appuyait sur la puissance de l’armée américaine stationnée dans le pays. Cette alliance, née d’une conscience commune de la menace nord-coréenne, se trouve aujourd’hui confrontée à la volonté de réconciliation des deux Corées. Chong In-hwan 829p34à36 19/09/06 14:23 Page 34 m oye n - o r i e n t ● ISRAËL Qu’auraient décidé les enfants exterminés à Auschwitz ? Ehoud Olmert vient de créer une commission d’enquête sur la guerre du Liban. Parmi ses membres figure l’universitaire Yehezkel Dror, qui juge toute action à l’aune des “enfants consumés”. HA’ARETZ Tel-Aviv J e ne sais plus quand j’ai pour la première fois vu Peter Sellers dans Docteur Folamour, mais je puis certifier que, lorsque j’ai entamé ma première semaine d’étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem, j’ai eu la furieuse impression que Stanley Kubrick s’était inspiré du Pr Yehezkel Dror. Dans les années 1960, l’administration publique était une matière académique assez récente et les modèles théoriques que Dror nous infligeait semblaient tout droit sortis de sa seule imagination. A cette époque, l’Université abritait de nombreux phénomènes à la Yehezkel Dror, comme la juriste Ruth Gavison. Ils sont désormais deux des quatre commissaires chargés d’évaluer la conduite du gouvernement dans la guerre du Liban. LIMITER LE DROIT DE VOTE DES DÉPUTÉS ARABES ISRAÉLIENS Dans un mémorandum qui fut adressé aux candidats israéliens au poste de Premier ministre et soutenu par Ruth Gavison, Dror proposa un jour de changer le drapeau israélien et d’ajouter un couplet à l’hymne national, cela dans le but de séduire les Arabes israéliens et, il faut s’en douter, d’atténuer l’impact d’une autre proposition, cruciale celle-ci : limiter le droit de vote des députés arabes israéliens aux seules Dessin de Faber, Luxembourg. matières qui ne concernent pas l’avenir d’Israël “comme Etat juif et sioniste”. Ces deux universitaires ont en commun d’être inquiets quant à l’avenir d’Israël comme Etat juif et démocratique. Mais le Pr Dror est allé très loin en proposant de soumettre toutes les décisions israéliennes à ce qu’il appelle “le test des yeladim boarim [enfants consumés]”, c’est-à-dire des enfants exterminés à Auschwitz. “La moralité de toute décision juive ou sioniste doit être mesurée à l’aune du test émotionnel et intellectuel qui passe par une discussion où l’on considère que les enfants consumés sont toujours en vie et où l’on se demande sans sentimentalisme inutile quelle décision serait la meilleure pour eux.” Dans son livre Hiddoush Ha’Tzionout [Renouveau du sionisme],Yehezkel Dror affirme sans ciller que les “enfants consumés” soutiendraient ardemment l’idée selon laquelle le peuple juif doit survivre. Les dangers qui guettent Israël ne les feraient pas reculer, au contraire, “car ils préféreraient certainement mourir comme Samson plutôt qu’être massacrés sans combat”. Et il poursuit : “C’est un devoir presque inconditionnel que de renforcer nos capacités opérationnelles et militaires dans la mesure nécessaire à la survie de l’Etat et à l’accomplissement de sa mission.” Pour Dror, le test des “enfants consumés” confirme que la sacralité de la vie est une valeur qui crée le devoir de tuer et d’être tué “pour des valeurs supérieures à la vie de l’individu, telles que la survie de notre peuple ou l’existence du judaïsme”. Bref, le test des “enfants consumés” ne justifie pas seulement une guerre contre le mal, il impose le devoir absolu de combattre le Mal absolu, qui menace notre impératif catégorique de survie. C’est une des raisons pour lesquelles Dror a toujours été un ardent défenseur de l’arme nucléaire israélienne. Pour autant, si la sacralité de la vie est une valeur qui doit nous interdire de considérer la guerre comme légitime en soi, le Pr Dror précise que “la guerre est légitime si son but est de protéger la survie de l’Etat juif et du peuple juif lorsqu’il n’y a pas d’autre choix”. Gageons que Dror convoquera les enfants consumés pour résoudre le cruel dilemme invoqué par le gouvernement voici deux mois : “Une guerre certaine aujourd’hui avec un faible nombre de victimes ou une guerre probable demain avec davantage de victimes.” Avec un critère aussi puissant que celui des enfants consumés, qui a encore besoin d’une commission d’enquête ? Tom Segev INDÉPENDANCE La commission ■ Pendant plus d’un mois, les pressions se sont multipliées pour qu’une commission indépendante instruise les “ratés” de la guerre du Liban. Le Premier ministre Ehoud Olmer t a rejeté l’idée d’une enquête parlementaire, nommant lui-même une commission qui n’aura de comptes à rendre qu’au gouvernement. Présidée par un juge retraité, Eliahou Winograd, elle est composée de deux universitaires proches d’Olmert, les très conservateurs Yehezkel Dror et Ruth Gavison, et deux généraux à la retraite, Menahem Einan et Haïm Nadel. SÉQUELLES 160 000 obus sur le Liban Au cours de la guerre, l’armée israélienne a utilisé des bombes à fragmentation, qui ont laissé des milliers de mines sur le sol libanais, écrit Ha’Aretz. est réserviste dans l’artillerie. Depuis la deuxième guerre du Liban, il ne dort pas en paix. Certaines nuits, lui et ses camarades ont tiré jusqu’à 200 obus en une nuit. Les autres nuits, ce n’était “que” 50 ou 80. Il ne sait pas quels dégâts ces obus ont causés, ni où ils sont tombés exactement. Il ne sait même pas quels villages étaient réellement visés. “Dites-moi, à quoi ressemblent ces villages aujourd’hui ? Sont-ils tous détruits ?”, me demande S. après que je lui ai dit que j’étais en contact avec plusieurs spécialistes des Nations unies. Ce qui le fait frémir, c’est qu’une nuit, son bataillon a reçu l’ordre de bombarder un village S. toute une nuit durant. Il croit qu’il s’agissait de Taibeh, dans le “secteur est”. Tout le village a été divisé en secteurs. Chaque unité d’artillerie a reçu l’ordre d’“arroser” le lopin qui lui avait été attribué, sans nommer de cibles. Selon les inspecteurs des Nations unies, S. a de quoi ne pas être en paix. Tsahal a ainsi tiré environ 160 000 obus sur le Liban. A titre de comparaison, lors de la guerre du Kippour, Tsahal en avait tiré moins de 100 000. Plus grave : outre des dizaines de milliers d’obus normaux, Israël aurait lancé des centaines de roquettes et d’obus à fragmentation. Ces munitions explosent avant de toucher le sol et libèrent des centaines de petites bombes dans un rayon de 100 mètres. Si la plupart d’entre elles explosent en touchant le sol, certaines ne le font pas et se transforment en mines. Une bonne partie des villes et villages du sud sont ainsi tout simplement devenus des champs de mines. Les démineurs de l’ONU ont à ce jour identifié 450 sites ayant reçu des bombes à fragmentation et il ne s’agit ici que des zones bâties, ce qui signifie que la situation est plus grave encore dans les espaces ouverts et dans les champs. Pas moins de 100 000 de ces petites mines seraient dispersées sur tout le territoire libanais. Pour le juriste international Youval Shani, de l’Université hébraïque de Jérusalem, si les conventions internationales interdisent explicitement l’usage d’armes chimiques ou biologiques, ce n’est pas le cas des bombes à fragmentation. Mais, précise-t-il, le paragraphe 57 du 1er protocole de la Convention de Genève (dont Israël est signataire) interdit l’usage d’armes “indiscriminées”. “En clair, dit Shani, les bombes à fragmentation ne peuvent être utilisées dans des zones civiles, sauf COURRIER INTERNATIONAL N° 829 34 si ces bombes sont les seules armes dont dispose l’armée. Ce qui, dans le cas de Tsahal, est assez difficile à admettre.” Un autre problème est le type d’obus tirés par Israël. Les batteries de 155 mm tirent des obus de fabrication américaine et d’autres de fabrication israélienne, ces derniers laissant sur le terrain moins d’obus non explosés. L’ennui, c’est que, apparemment, ce sont les lanceurs de fabrication américaine, les MRLS achetés à la fin des années 1990, qui ont essentiellement servi. Le plus troublant est que ce sont seulement dans les 72 dernières heures de la guerre qu’ont été tirées ces roquettes contenant chacune pas moins de 644 petites bombes, et ce dans des zones où allaient revenir des centaines de milliers de civils. En définitive, les démineurs de l’ONU estiment que le taux de DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 bombes israéliennes non explosées et transformées en mines terrestres est de 40 %. Si chaque munition à fragmentation a laissé sur le terrain 250 petites bombes non explosées, des dizaines de milliers de mines parsèment le sol libanais. Les démineurs de l’ONU proviennent tous du Kosovo, où ils ont déminé les zones arrosées de bombes à fragmentation par les forces de l’OTAN. Selon un officier onusien, leur tâche y a été facilitée par le fait que “les bombardements de l’OTAN avaient été plus ciblés et que les militaires leur avaient fourni des cartes précises et les coordonnées complètes des zones bombardées. Les militaires israéliens ne nous ont quant à eux fourni que des cartes générales et vagues. Et je crains qu’il nous faille nous en contenter.” Meron Rapoport Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv 829p34à36 19/09/06 14:24 Page 35 ARABIE SAOUDITE Moins dépendre des recettes pétrolières Depuis le 11 septembre 2001, le royaume saoudien a effectué une série de réformes économiques pour diversifier ses sources de revenus, constate le quotidien de Beyrouth. THE DAILY STAR Beyrouth ’introspection entamée depuis les événements du 11 septembre 2001, les inquiétudes soulevées par le chômage et la baisse attendue des cours du pétrole, combinées aux défis que pose l’islamisme, ont rendu l’Arabie Saoudite littéralement obsédée par la réforme. Et cela à propos de sujets très divers : changements institutionnels et structurels, privatisation, question du gaz, entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Selon Mohammad Ramady, économiste et éditorialiste de renom en Arabie Saoudite, professeur associé de finances et d’économie à l’Université Roi Fahd pour le pétrole et les minerais, “depuis le 11 septembre, le cours du pétrole s’est envolé, le niveau de la dette publique a baissé et de nouveaux partenaires ont été trouvés en Russie et en Chine pour effectuer des explorations pétrolières et gazières limitées via des partenariats avec la compagnie nationale, Saudi Aramco. L’Arabie Saoudite fractionne désormais les projets en plusieurs activités pouvant être confiées à de grandes sociétés internationales spécialisées, au lieu, comme avant, de confier un seul grand projet aux groupes pétroliers.” Nawaf Obaid, consultant en sécurité nationale et renseignements, et directeur du Saudi National Security Assessment Project [Projet d’évaluation de la sécurité nationale saoudienne], assure qu’“il y a eu, depuis le 11 septembre, une importante campagne en faveur des privatisations, en particulier dans le domaine des compagnies aériennes, de l’électricité et des télécommunications”. L LE VASTE ROYAUME S’EST OUVERT AU TOURISME Le 11 décembre 2005, le royaume saoudien a fait officiellement son entrée dans l’OMC. “Les négociations ont été difficiles pour le pays, raconte Mohammad Ramady, car, pour adhérer à l’organisation, l’Arabie Saoudite a dû prendre tout un éventail de mesures : réduction draconienne des subventions publiques et des droits de douane à l’importation, adoption d’un traitement sans discrimination des biens et des services, notamment pour les marchés publics, renforcement du droit de propriété intellectuelle, autorisation des participations étrangères majoritaires dans les projets d’investissement et ouverture aux étrangers des secteurs tertiaires tels que la banque, l’assurance et les services juridiques et financiers. Il a aussi fallu rationaliser le système judiciaire pour prendre en compte de nouvelles exigences.” Dessin d’Aguilar paru dans La Vanguardia, Barcelone. La loi sur les investissements étrangers, adoptée par l’Autorité générale des investissements (SAGIA), autorise désormais les investisseurs étrangers à acquérir des biens immobiliers, à transférer capitaux et bénéfices, à jouir de la pleine propriété de leurs projets et à bénéficier de taux d’imposition réduits. “Cela a été l’une des mesures les plus significatives, juge Mohammad Ramady : autoriser la SAGIA à promouvoir les investissements directs étrangers dans tous les grands secteurs de l’économie saoudienne.” La diversification est l’une des priorités de la réforme économique en Arabie Saoudite. Le royaume profite de ses revenus pétroliers pour encourager la croissance et la diversification de l’économie, et pour réduire sa dépendance à l’égard du pétrole, ce qui a permis une progression notable du secteur non pétrolier. Selon le rapport 2006 de l’ambassade royale d’Arabie Saoudite, le secteur industriel, hors pétrole, a enregistré en 2004 une croissance estimée à 6,4 %. “Le royaume déploie aujourd’hui des efforts considérables pour se diversifier, observe Nawaf Obaid. On se tourne vers l’industrie pétrochimique et minière, vers l’agroalimentaire ; et le pays s’est ouvert au tourisme. On a enfin autorisé les banques étrangères à s’implanter sur le territoire national.” Dana Halawi W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com 829p34à36 19/09/06 14:24 Page 36 m oye n - o r i e n t YÉMEN “Je cède à vos pressions et je reste président” Au pouvoir depuis vingt-huit ans, Ali Abdallah Saleh a provoqué des manifestations “spontanées” afin qu’on le supplie de rester à la tête du pays, révèle le quotidien panarabe. militaire, en 1978. Non seulement il avait organisé une mise en scène comparable lors des élections précédentes, en 1999, mais en plus il avait procédé à une réforme constitutionnelle, en 2003, visant à lui permettre de se faire élire une quatrième fois. Par ailleurs, les manifestations de soutien, toutes “spontanées” qu’elles fussent, avaient tout de même bénéficié de circonstances favorables : jours de congé dans les administrations, les universités et les écoles, appels répétés dans les mosquées [largement contrôlées par le gouvernement] et distribution d’eau fraîche le long des cortèges. AL-QUDS AL-ARABI Londres n juin dernier, on croyait que le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, allait créer un précédent historique dans le monde arabe, quand il avait annoncé qu’il ne voulait pas se présenter pour un nouveau mandat de sept ans, contre l’avis de son parti, le Congrès général du peuple, qui voulait l’investir. Saleh avait prononcé un discours ferme et intransigeant. “Je ne suis pas un chauffeur de taxi que vous pouvez louer pour le mettre au service de vos intérêts ! Je veille aux intérêts de notre nation, mais je ne veux pas servir de couverture à la corruption d’un parti politique !” Jamais avare de déclarations tonitruantes, il avait également affirmé qu’après des années de réformes les conditions politiques étaient réunies pour un fonctionnement démocratique plein et entier. “Cela est encore plus vrai compte tenu de mon annonce de ne pas me représenter”, avait-il précisé, ajoutant que “le Yémen doit être un modèle démocratique pour la région”. Et il avait expliqué que son refus n’était pas feint et qu’il ne s’agissait pas pour lui de fausse modestie afin de se faire prier, mais qu’il voulait mettre le peuple yéménite devant sa responsabilité historique, une responsabilité qu’il fallait assumer autrement que par des manifestations et des slogans. E NE PAS RESTER INSENSIBLE AUX LARMES DE SON PEUPLE Cela dit, le dernier mot n’en est pas moins revenu aux manifestations et aux slogans, grâce aux mégaphones qui ont parcouru de long en large la capitale, Sanaa, pour inciter les habitants à manifester leur soutien au président sortant. Et les masses ont fait ce qu’on leur a demandé de faire, tant et si bien que le président s’est laissé UN PAYS OÙ BEN LADEN POURRAIT SE RÉFUGIER Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. ■ Engagements Au cours de sa campagne électorale, le président Ali Abdallah Saleh s’est engagé à lutter contre le terrorisme, claironne la presse de Sanaa. Mais cela n’a pas empêché un double attentat suicide de se produire le 15 septembre contre deux installations pétrolières. émouvoir. Dans un entretien au quotidien yéménite Al-Thawra [“La Révolution”], il a déclaré qu’il ne pouvait pas rester insensible aux larmes de son peuple et qu’il avait entendu l’appel des millions de citoyens descendus dans les rues à travers tout le pays, sentant que l’heure était grave et que les ennemis de la révolution, de la République, de l’unité et de la démocratie fourbissaient leurs armes en attendant la fin de son règne. Oui, avait-il expliqué, il avait entendu les demandes pressantes du peuple et acceptait de se représenter pour un nouveau mandat. Il va sans dire que, toujours selon le président, ces manifestations populaires avaient été spontanées et n’avaient nullement été organisées par qui que ce soit. Seuls les imbéciles avaient pu croire qu’il renoncerait volontairement au pouvoir qu’il détient depuis vingt-huit ans, depuis un coup d’Etat Le moins qu’on puisse dire, c’est que les conditions avaient été moins favorables en 2005, quand les manifestants avaient protesté contre la hausse des prix des carburants. C’étaient alors les blindés de l’armée, et non les bouteilles d’eau fraîche, qui attendaient la foule, provoquant des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi le peuple yéménite si cher au président-maréchal Saleh, dont le pays compte, selon un récent rapport de la Fondation Carnegie pour la paix, parmi les douze les plus pauvres de la planète, en compagnie de Haïti, de l’Afghanistan et du Rwanda. Il faut dire que le Yémen est déchiré par les divisions internes, dont l’exemple le plus spectaculaire a été la guerre de sécession entre le Nord et le Sud, en 1994, mais aussi la révolte de la région de Saada sous la conduite du chef religieux Badreddine Al-Houthi, en 2004. Le régime est une autocratie militariste qui repose sur la corruption et les allégeances tribales. Bien que le journal Al-Mutammar [“Le Congrès”], organe officiel du parti au pouvoir, lance parfois des attaques verbales contre l’ambassade des Etats-Unis à Sanaa, l’accusant de se comporter comme si l’Amérique était une puissance mandataire qui n’admettait pas la souveraineté du Yémen, le régime est totalement aligné sur les Américains et leur “guerre contre le terrorisme”. L’influence américaine saute aux yeux dans la gestion sécuritaire du pays. L’épisode le plus marquant en a été la mort de six Yéménites en 2003, parmi lesquels deux hommes soupçonnés par les Américains de faire partie de la direction d’Al-Qaida, abattus par une roquette lancée à partir d’un drone américain volant audessus du territoire. Les pressions de Washington en faveur des réformes avaient touché le Yémen encore plus fortement que d’autres pays arabes. Saleh avait réagi en prononçant sa fameuse phrase sur la nécessité de “se couper les cheveux soi-même avant de se faire coiffer par les autres”. Cela avait été interprété comme un signe de sa volonté de se plier aux pressions afin d’obtenir le feu vert pour un nouveau mandat de la part des Américains. Il faut dire que ceux-ci considèrent le Yémen comme un chaînon essentiel de leur stratégie moyen-orientale et comme un des pays où Oussama Ben Laden pourrait se réfugier. Non seulement c’est le pays d’origine de la famille Ben Laden, mais on y trouve des montagnes où il est facile de se cacher, une forte influence des tribus sur des régions entières qui échappent au pouvoir central et des mouvements islamistes radicaux. Et, malgré la coopération sécuritaire avec les Américains, vingt-trois membres présumés d’Al-Qaida ont pu s’échapper des prisons yéménites en février dernier, ce qui a donné lieu à des purges au sein de l’appareil sécuritaire yéménite. Sobhi Hadidi Q ATA R On ne joue pas impunément avec le feu Accueillir une base militaire américaine et soutenir en même temps les islamistes les plus radicaux, c’est le double jeu dangereux que joue ce petit émirat aux ambitions démesurées, constate Al-Hayat. ris dans les contradictions entre sa petite taille et ses grandes ambitions, le Qatar a inventé la politique de la double entourloupe. Cela produit des contradictions étonnantes, entre la présence de la chaîne de télévision Al-Jazira [considérée comme proche des islamistes et qui émet du Qatar] et celle d’une très importante base militaire américaine ; ou entre son soutien aux chantres de la lutte contre Israël et les rela- P tions commerciales qu’il entretient avec ce même pays. Le 4 septembre, il en a fourni un nouvel exemple, quand les médias qatariens ont annoncé que Doha avait forcé le blocus aérien imposé au Liban et fait atterrir un avion de ses lignes à l’aéropor t de Beyrouth sans l’escale en Jordanie qu’Israël exige pour des fouilles de sécurité. Sauf que le tapage médiatique que le Qatar a fait autour de ce vol a étonné en Israël, où des sources diplomatiques ont rappelé que ce vol avait été coordonné avec Israël dans le cadre de l’“action humanitaire”. Une autre de ces contradictions a trait à Youssef Al-Qardaoui [le prédicateur fondamentaliste de la chaîne Al-Jazira], une des COURRIER INTERNATIONAL N° 829 armes de destruction mentale massive du Qatar, qui parle constamment de “nation” sans jamais dire s’il s’agit de la nation arabe ou musulmane, sachant que la différence entre les deux n’est que de 800 millions de personnes, et de “résistance” sans jamais s’interroger sur ce que cela signifie. L’essentiel, c’est que nous résistions, peu impor te en quel nom et contre qui – Dieu reconnaîtra les siens ! Youssef Al-Qardaoui donc a mis en garde contre l’infiltration de l’Egypte par les chiites et contre le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, le qualifiant de “fanatique chiite”. Venant à son aide, le chef de l’Union mondiale des savants 36 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 musulmans, Mohamed Salim Al-Awa, a expliqué par la suite que cette phrase sur Nasrallah ne faisait pas partie du discours préparé par Qardaoui, mais était un “lapsus” commis lors d’une réponse à une question du public. Comme disait Freud, un lapsus révèle la pensée profonde de celui qui le commet. Toujours selon Al-Awa, Qardaoui voulait simplement dire, en qualifiant Nasrallah de “fanatique chiite”, que ce dernier était “très attaché à ses convictions”, ce qui est “tout à fait honorable”… Le Qatar serait bien avisé de cesser de jouer avec le feu. Il doit savoir que, une fois l’incendie parti, celui-ci ne s’arrêtera pas à sa Al-Hayat, Londres frontière… 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p38_39 19/09/06 14:57 Page 38 afrique ● ALGÉRIE Le GSPC est-il encore capable de frapper ? Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat vient d’annoncer son ralliement à Al-Qaida, qui lui a demandé de s’attaquer à la France. Mais ces islamistes ont-ils encore les moyens de leurs ambitions ? rain d’action se limite au Sahara et au Sahel. Sa présence est reconnue par les experts sur les sept Etats sahélo-sahariens. Les actions terroristes imputées au GSPC ou revendiquées par lui à l’international sont celles de l’attaque de la caserne de Lemgheity en Mauritanie et les accrochages sporadiques avec les troupes antiterroristes maliennes, nigériennes ou tchadiennes à la frontière avec l’Algérie. LIBERTÉ Alger e Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) est-il réellement capable aujourd’hui de mener des opérations terroristes d’envergure en France ? La question mérite d’être posée. Car le groupe terroriste a du mal à imposer ses diktats en Algérie, où les forces de sécurité l’ont quasiment mis à genoux. Et la logique du tout sécuritaire imposée par les pays occidentaux depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, renforcée après ceux du 11 mars 2004 à Madrid, a par ailleurs largement contribué à démanteler les cellules dormantes et les réseaux de soutien aux organisations terroristes. Au-delà de la déclaration d’Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux de la nébuleuse terroriste, accordant le statut d’affidé d’Al-Qaida au GSPC, et de ses menaces à l’égard de la France, il faut rappeler que le rayon d’action du GSPC s’est limité, pour cause de lutte antiterroriste nationale, à la région sahélo-saharienne. En mal de “reconnaissance” interne, peinant à recruter de nouveaux membres en Algérie, le GSPC se cherche depuis quelques années un “rayonnement” international. D’où sa déclaration d’affiliation à Ben Laden après les attentats du 11 septembre 2001. Au plan national, le groupe terroriste est pourchassé, encerclé et laminé par le travail colossal des forces de L DES CELLULES DORMANTES EN EUROPE OCCIDENTALE Dessin de Daniel Zezelj paru dans The New York Times Book Review, Etats-Unis. sécurité. Ses opérations qui perdurent n’ont plus cependant l’envergure des années passées. Il se retrouve cantonné dans la périphérie de certaines villes, principalement celles du Centre ou du Sud algérien. Les dernières attaques perpétrées l’ont été dans les régions de Boumerdès, Bouira, Tipasa et Ghardaïa. Même si sa capacité de nuisance existe toujours, il n’en demeure pas moins que le groupe terroriste a du mal aujourd’hui à agir au plan interne. Son discours n’est plus porteur face à des populations qui ont subi ses exactions ou celles du Groupe islamique armé (GIA), dont il est issu. On retrouve aujourd’hui parmi ses éléments des individus de nationalités étrangères. D’où son besoin d’internationalisation. Au plan international, son ter- Les menaces du GSPC sur la France et ses intentions de perpétrer des actions d’envergure sur son territoire ne sont d’ailleurs pas nouvelles. Cela fait des années que le groupe terroriste profère régulièrement des menaces sans pour autant avoir réussi, heureusement, une seule fois à les traduire en actions concrètes. Les principales cellules dormantes affiliées au GSPC démantelées et éliminées en Europe ces dernières années ne se trouvaient pas forcément en France. Elles se répartissaient principalement sur l’Espagne, l’Italie et la Belgique. Telles celles démantelées à Alicante, en Espagne, ou à Varèse, dans la périphérie de Milan. Le label “Al-Qaida” largement galvaudé est une arme à double tranchant. D’abord parce que les “apprentis terroristes”, partisans des approches extrémistes et violentes d’Oussama Ben Laden, peuvent à tout moment le revendiquer pour justifier une action. Ensuite, parce que l’organisation ter- roriste elle-même s’approprie une opération qu’elle juge “réussie” ou s’inscrivant dans sa logique, même si aucune connexion directe n’est identifiée par les enquêteurs entre les exécutants et la nébuleuse. Une nouvelle forme de terrorisme a pris pied en Europe et dans les pays occidentaux, celle des éléments “satellites”. Inconnus des services de sécurité et de renseignements – et ce ne sont pas forcément les purs et durs du GSPC –, ils partagent néanmoins la vision extrémiste des terroristes de tous bords. Adeptes des “préceptes” des grands “muftis” du djihad islamiste version Al-Qaida ou des sites Internet faisant dans l’apologie des actes terroristes ou des formations paramilitaires, ils sont le plus grand danger notamment parce qu’ils ne sont pas identifiés. L’islam des caves et des banlieues, caractérisé par la propagation du prosélytisme salafiste et wahhabite dans les ghettos et les cités-dortoirs françaises, où la conjoncture internationale et le discours d’Oussama Ben Laden trouvent un écho dans une fibre identitaire malmenée de jeunes nés et élevés en Occident et qui ne se raccrochent qu’à l’idéologie religieuse extrémiste pour se retrouver, est principalement à l’origine de cette émergence inquiétante. Si la menace sur la France est montée d’un cran après la déclaration d’Al-Zawahiri, elle ne peut néanmoins être imputée au seul GSPC. D’autres paramètres internes sont également à prendre en considération. Samar Smati R É P U B L I Q U E D É M O C R AT I Q U E D U C O N G O Arrêtons de parler français, mettons-nous au francophonien ! En Afrique, la pratique du français classique recule. Il est temps que les professeurs enseignent aux enfants le français d’Afrique. ans les pays francophones d’Afrique centrale comme dans ceux d’Afrique de l’Ouest, le constat est saisissant : le français comme langue d’apprentissage et discipline à enseigner perd beaucoup de terrain. A l’origine du recul de la langue française, il y a une multitude de causes. Entre autres, la dégradation du système éducatif et l’échec du mariage entre le français et les réalités locales. Car la langue est copieusement malmenée dans les écoles et dans la vie courante. Dans certains Etats, la situation est beaucoup plus alarmante. Seulement 15 à 20 % des Gabonais savent parler ou écrire le français standard, en respectant les règles grammaticales, phonétiques, etc., selon certains experts. Le tableau est donc sombre. D La dégradation du système éducatif francophone – qui rencontre de sérieuses difficultés depuis plusieurs années – rend tout d’abord difficiles l’enseignement et l’apprentissage de la langue française. Dans de nombreux pays d’Afrique francophone, les professeurs de français sont souvent très mal formés. Plus grave, ils sont nombreux à ne pas parler correctement la langue de Molière. Si l’enseignant lui-même ne sait ni lire ni écrire correctement le français, comment peut-il enseigner cette langue aux élèves ? s’interrogent des linguistes dépités. Il se pose donc un sérieux problème de formation des formateurs dans ces pays. Autre cause des déficiences du système éducatif : les crises économiques et financières qui sévissent dans la plupar t des pays africains francophones. Cela fait un peu plus de trente ans que nombre de ces Etats croulent sous des dettes énormes. La politique d’austérité que les gouver- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 nements sont contraints d’appliquer a malheureusement des conséquences néfastes sur l’école. On ne construit plus de salles de classe, et dans le même temps la population augmente. Conséquence : des effectifs pléthoriques. En république démocratique du Congo, par exemple, une classe du primaire ou du secondaire compte 100 à 150 élèves en moyenne. Dans les salles de classe, de nombreux élèves suivent les cours debout, faute de bancs ; et bon nombre d’enseignants dispensent les cours sans manuels scolaires. L’on note aussi une certaine démotivation chez les enseignants. Celle-ci est due principalement à la baisse sévère de leurs salaires. Partout en Afrique francophone les enseignants affirment être clochardisés. Comment voulez-vous que des gens ainsi maltraités puissent donner le meilleur d’euxmêmes ? En outre, certains linguistes n’hésitent pas à lier le recul de la langue française au fait que son enseignement n’est 38 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 pas en phase avec les réalités des pays d’Afrique. Le français semble distant de ces réalités. De plus, les manuels d’apprentissage du français n’intègrent pas les caractéristiques du français d’Afrique. Faut-il continuer à enseigner le français standard en Afrique francophone alors que, dans le vécu quotidien, les normes de ce français ne sont pas respectées par plus de 70 % des locuteurs ? N’importe-t-il pas de concevoir de nouveaux manuels qui prendraient en compte, et dans une forme à déterminer, ce que l’écrivain camerounais Pabé Mongo appelle le “francophonien” ? Alphonse Mbuyamba Kankolongo, Le Potentiel (extraits), Kinshasa WEB+ Plus d’infos sur le site Interview d’Ariane Poissonnier, coauteur de l’Atlas mondial de la francophonie (éd.Autrement). 829p38_39 19/09/06 14:58 Page 39 afrique A F R I QU E D U S U D Les quarante vierges et le chef zoulou Au nom de la défense des traditions, l’ethnie zouloue réclame le droit à une grande liberté sexuelle. Mais pour les hommes seulement. Une pratique qui risque de coûter cher dans un pays dévasté par le sida. Les origines des tests ne sont pas claires. Certains spécialistes les font remonter aux années 1950. “Ma mère et la mère de ma mère en ont subi”, raconte Jabu Mdlalose, chargée de pratiquer les tests. Selon elle, la coutume date de l’époque de Shaka, chef guerrier du XIXe siècle connu pour avoir fondé l’Empire zoulou. MAIL & GUARDIAN Johannesburg ar une froide matinée d’hiver, peu avant l’aube, quarante vierges zouloues entièrement nues et pouffant de rire sautent par-dessus un feu de bois dans la province sud-africaine du KwazuluNatal. Il n’y a aucun doute sur leur virginité : si elles sont là, c’est pour la certifier. Quant à savoir pourquoi elles bondissent au-dessus de ce feu dans la pénombre, la responsable des tests de virginité, interrogée sur le rituel, explique que c’est la tradition. Les Zoulous d’Afrique du Sud se réclament une nouvelle fois de leur tradition. Si, dans les années 1990, ils l’invoquaient pour revendiquer le droit de porter des armes et de se livrer à la singulière coutume du sacrifice rituel, aujourd’hui la polémique porte sur des questions sexuelles. Mais, de même que le débat sur les armes était associé au nom du chef Mangosuthu Buthelezi, la polémique sur le sexe est centrée sur un autre Zoulou : Jacob Zuma. L’arrivée au pouvoir de M. Zuma, longtemps donné favori dans la course à la succession du président Thabo Mbeki, devait cimenter l’unité entre deux grandes tribus sud-africaines, les Xhosas et les Zoulous. Au lieu de cela, une simple relation sexuelle menace de replonger le pays dans les vieilles haines tribales. Accusé d’avoir violé une jeune amie de la famille qu’il hébergeait, M. Zuma a été acquitté en mai dernier par la Haute Cour de Johannesburg. Ce jugement, qui clôt l’affaire, est considéré par beaucoup comme le début P DES RELATIONS AVEC UNE VIERGE POUR GUÉRIR DU SIDA Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. d’une lutte pour le pouvoir entre les traditionalistes zoulous et les modernistes xhosas. L’indignation manifestée par les 40 vierges quand on leur demande quel aurait été leur verdict à propos de l’affaire Zuma témoigne de la force du sentiment traditionaliste chez ces jeunes qui participent à une cérémonie de la plus pure tradition zouloue. “C’est un homme très bien”, s’écrie l’une d’elles. “Zuma sortait avec cette femme”, lance une autre. “On l’a payée.Thabo Mbeki ne voulait pas qu’il devienne président.” Des youyous de protestation succèdent aux murmures, puis, une fois le calme revenu, les conversations se portent à nouveau sur la question du jour : la virginité. Quelles qu’en soient les origines, les femmes zouloues vivent ces tests comme un calvaire. Chez les Xhosas, ce sont les hommes qui subissent la circoncision. Les deux pratiques sont aussi contestables l’une que l’autre. La circoncision comporte des risques mortels d’infection. Quant aux tests de virginité, les organisations féministes les dénoncent comme peu fiables et traumatisants. Dans une société où beaucoup de gens sont convaincus qu’il suffit d’avoir des relations avec une vierge pour guérir du sida, ils constituent, selon elles, une véritable invitation au viol. Elles craignent également que la nécessité de préserver l’hymen ne favorise la sodomie, contribuant ainsi à la propagation du sida. L’an dernier, le Parlement a légiféré contre les tests de virginité, en les interdisant sur des jeunes filles de moins de 16 ans. La cérémonie qui a eu lieu début août pour des vierges de 5 à 26 ans était donc illégale. Bien que le rituel ait lieu normalement à l’occasion de la première menstruation, qui marque l’“entrée dans le monde adulte”, Nobuhle, fille de l’organisateur, était déjà âgée de 22 ans, car son père, Mbeki Vezi, chauffeur de taxi, MADAGASCAR Rêve d’or noir à Antananarivo Avec la hausse des cours du brut, l’exploitation des gisements offshore suscite de nombreuses convoitises. Elle permet aussi aux Malgaches de rêver de lendemains qui chantent. otivées par le prix du baril de pétrole, les sociétés pétrolières s’intéressent de près à Madagascar, où les réser ves d’or noir pourraient s’avérer prometteuses. Plusieurs compagnies ont déjà signé des permis de prospection et d’exploitation avec l’Of fice des mines nationales et des industries stratégiques (Ominis). C’est le cas du géant américain Exxon, qui va explorer 36 000 km2 en haute mer à 2 000 mètres de profondeur au large de Mahajanga, à l’ouest du pays. Trois autres compagnies vont prospecter sur ce même site : la chinoise Sunpec, l’américaine Vanco Energy et la nor végienne Norsk Hydro. Plus au sud, Madagascar Oil, filiale de Vuna Energy, a choisi Bemolanga et Tsimiroro, deux sites réputés pétrolifères depuis 1946. Pendant la IIe République (1975-1991), des com- M pagnies étrangères les ont déjà prospectés, mais, à l’époque, l’exploitation, jugée trop coûteuse, n’avait pas été entreprise. Avec la hausse des coûts du pétrole, les grès bitumeux de Bemolanga (des réser ves de 3 milliards de tonnes de bitume, dont 600 millions exploitables à ciel ouver t) et l’huile lourde de Tsimiroro (2,5 milliards de tonnes de réser ve) sont à présent rentables, en dépit d’une extraction complexe. Le gouvernement va lancer des appels d’offres sur les places for tes de l’or noir. Il est prévu que les sociétés pétrolières versent 65 % des bénéfices à l’Etat malgache. Une manne très attendue, car l’actuelle hausse du prix du pétrole pèse très lourdement sur l’économie nationale, qui impor te la totalité de son carburant (20 % du total des importations). Le démarrage de l’exploitation du pétrole est prévu vers 2010, mais la population est déjà enthousiaste. Ferdinand Ratsimbazafy, Syfia international, <www.syfia.com> COURRIER INTERNATIONAL N° 829 39 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 n’avait pas eu les moyens jusque-là de payer la cérémonie. Autre singularité, Nobuhle était persuadée que l’esprit de sa sœur, morte à l’âge de quelques mois, voulait qu’elle subisse le test et avait apparemment demandé à être elle-même testée. La famille a donc chargé un frère et un ami de Nobuhle de la représenter, comme s’ils étaient eux aussi de jeunes vierges. Dans cette région d’Afrique du Sud, la campagne est extraordinairement belle, avec ses collines onduleuses parsemées de huttes et ses vallées où les voix résonnent.Vezi a traité ses filles comme des reines en sacrifiant trois chèvres pour le festin du soir. Accompagné de chants et de danses, celuici s’est déroulé dans une immense hutte censée abriter les esprits des ancêtres. Pendant le sacrifice, c’est Nobuhle qui a tenu les chèvres par les cornes, tandis que son père consultait les esprits en prodiguant des conseils à sa fille sur la manière dont elle devrait se conduire au cours de sa vie adulte. Au lever du soleil, les vierges ont repris le chemin de la hutte de Vezi pour manger les tripes des chèvres sacrifiées. Vers midi, elles ont revêtu des habits traditionnels et se sont rangées devant la hutte ancestrale pour le test, que leur ont fait passer sept femmes.Toutes l’ont réussi. “Je suis fière du résultat, s’est exclamée Nompumelelo Ngobese. Pour moimême et pour personne d’autre.” Mais, malgré tout l’attrait qu’elles revêtent aux yeux des Zoulous, les traditions sur lesquelles repose cette fierté pourraient un jour coûter cher à l’Afrique du Sud. David Beresford 40-44 islam OK 19/09/06 15:43 Page 40 Warrick Page/Corbis e n c o u ve r t u re ● Manifestants musulmans à Islamabad (Pakistan). ISLAM-OCCIDENT Histoires de violence La conférence prononcée le 12 septembre par Benoît XVI à Ratisbonne, en Allemagne, n’a pas fini de produire ses effets (pour la lire, rendez-vous sur <lemonde.fr>). ■ Le pape y faisait explicitement référence aux rapports de l’islam et de la violence, avant de montrer les failles d’une raison occidentale qui serait livrée à elle-même. ■ Les télévisions arabes et beaucoup de journaux, jusqu’en Asie, n’ont retenu que le premier point, attisant la polémique entre les musulmans et l’Occident. ■ En Europe, certains commentateurs, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung et dans Il Foglio, apportent leur soutien au souverain pontife… Une défense de la religion… et des L On n’a retenu du discours de Benoît XVI que son attaque contre l’islam. En fait, ses propos visaient tout autant les Occidentaux, explique le quotidien de Francfort. FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG Francfort endant six jours, le pape Benoît XVI a arpenté la Bavière, sa terre d’origine. Il a prié dans les églises et en plein air, prêché devant des milliers de personnes et donné une conférence. Les images joyeuses de Munich, Altötting et Ratisbonne resteront dans les mémoires. Mais, avec ses paroles, Benoît XVI a écrit l’Histoire. Car ce n’est pas le retour au pays qui était le thème de ce voyage, mais la défense de l’Occident chrétien – contre les autres et contre lui-même. En avril 2005, des cardinaux venus du monde entier élisaient au trône de saint Pierre Joseph Ratzinger, un Allemand, un homme originaire d’un pays qui a initié la Réforme, les Lumières et la Seconde Guerre mondiale. L’histoire allemande a donné au nouveau pontife un regard pénétrant sur l’abîme de l’homme et les errements des peuples. Préfet P Dessin de Bertrams paru dans Het Parool, Amsterdam. de la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant de nombreuses années, il s’était montré attaché aux racines chrétiennes de l’Europe, s’était opposé à l’Eglise allemande sur les rapports qu’elle entretenait avec l’Etat et aux philosophes sur le pouvoir et le droit, et avait développé un profil théologique et politique qui en faisait le successeur naturel de Jean-Paul II. Comme son prédécesseur, Benoît XVI ne s’est pas adressé uniquement aux catholiques. Ses discours ont évoqué les questions fondamentales de la vie, de la foi et de la raison. Les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament qu’il a commentés parce qu’ils correspondaient au temps liturgique traduisent selon lui l’espoir de chacun que son histoire personnelle, comme celle du monde, ait un sens et un but. Les philosophes, de Platon à Kant, auxquels il a fait référence dans sa conférence, sont pour lui la preuve que les hommes sont des êtres “de raison” et peuvent donc s’entendre en dépit des frontières de la culture et de la religion. Les critères du bien et du mal et l’idée que la dignité de l’homme consiste à vivre selon cette “nature raisonnable” ne sont pas propres au catholicisme, ni d’ailleurs à la morale personnelle du pontife. Benoît XVI défend simplement l’héritage européen des Lumières – qui est menacé par la division manichéenne du monde entre croyants et COURRIER INTERNATIONAL N° 829 40 non-croyants, entre “pour nous” et “contre nous”. Ce n’est pas le paysage des Alpes bavaroises qui constitue la trame de ses interventions, mais les discours des puissants de ce monde, d’Ahmadinedjad à Bush. Pour Benoît XVI, la vocation universelle de la pensée chrétienne imprégnée des Lumières n’est pas uniquement menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Les propos de Kant, qui déclarait avoir dû mettre de côté la pensée pour faire une place à la foi, traduisent selon lui un dilemme. La raison “pure”, qui se définit et trouve sa liberté en excluant Dieu de son champ de réflexion, a tendance à ne se pencher que sur ce qu’on peut savoir objectivement. Elle risque ainsi de devenir un bon “instrument”, mais qui ne suffit pas pour bien vivre. Le pape a trouvé ces derniers jours plusieurs expressions percutantes pour qualifier cette autolimitation de la raison. Il a parlé de “surdité vis-à-vis de Dieu” et de “raccourcissement du rayon de la raison”, et a ainsi précisé, tantôt avec des mots simples, tantôt avec des mots complexes, ce qu’il qualifie depuis des années de “dictature du relativisme”. Les fondements de la civilisation sont en jeu si le désir de progrès scientifique et technique et de liberté individuelle touche également la sphère de ces valeurs dont l’homme DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 40-44 islam OK 19/09/06 15:44 Page 41 ■ Le perroquet de Bush s Lumières ne doit pas disposer librement, que ce soit au début ou à la fin de la vie. Ce risque n’est toutefois qu’un des aspects de la dialectique des Lumières. Comme si ce voyage et l’anniversaire des attentats du 11 septembre n’étaient pas une coïncidence, Benoît XVI a évoqué une “pathologie” qui se manifeste depuis longtemps dans les rapports entre l’Occident moderne et le reste du monde. Pour le pape, le rejet croissant des valeurs occidentales en Asie et en Afrique n’est pas dû à un refus de la modernité. Le pape voit dans l’antioccidentalisme qui se répand sur l’ensemble du globe une réaction à une conception de la raison qui considère la religion et la foi comme irrationnelles et antérieures à l’esprit scientifique et qui ouvre ainsi grand la porte au cynisme. Benoît XVI précise ainsi son diagnostic de la crise que connaît l’Occident. La faille qui apparaît entre les valeurs occidentales et la réalité politique n’est pas due à une double morale qui serait, depuis, retombée sur ses créateurs. Ce serait trop simple. Pour le pape, il existe dans ce qu’on appelle le monde chrétien, comme dans le monde de l’islam, des mouvements qui ne veulent rien savoir des critères raisonnables du bien et de la vraie vie, auxquels appartient également le respect du sacré. Daniel Deckers Les déclarations de Benoît XVI encouragent la poursuite des croisades, estime le journal en ligne Malaysiakini. “Serait-il possible que la détermination et les convictions du pape soient du même acabit que celles du président américain, dont l’intelligence, sans parler de sa sagesse, laisse dubitatif depuis qu’il a lancé sa campagne d’anéantissement de l’Irak en vue de s’approprier son pétrole ? De quelle sagesse Benoît XVI pourrait-il être doté en agissant comme il l’a fait, alors que la polémique sur les stupides caricatures danoises est encore dans les mémoires ? Les musulmans en ont assez de voir le mot ‘terrorisme’ ingénieusement associé à l’enseignement pacifique du prophète Mahomet. Qui terrorise qui ? En ce début du XXIe siècle, les musulmans sont persécutés, incarcérés et décimés par les véritables réseaux terroristes, ceux du ‘terrorisme d’Etat’ qui rasent leurs maisons, font sauter les mosquées, violent les femmes et les enfants, tuent les hommes, humilient leurs prisonniers et laissent leur peuple anéanti – au nom de ‘la guerre contre le terrorisme’. Tout dignitaire religieux doit être élu par une assemblée d’érudits bons et sages, capables de réfléchir avec leur cœur, et non avec le carcan de la paranoïa. Les excuses du pape ne sont pas suffisantes.” Azly Rahman, Malaysiakini, Kuala Lumpur Balayons d’abord devant nos mosquées Les télévisions du Moyen-Orient jettent de l’huile sur le feu. A tort, note le journal arabe Elaph. ELAPH Londres e brouhaha transmis via les ondes d’une des chaînes djihadistes bien connue [AlJazira] m’a tiré de ma torpeur alors que j’étais devant mon poste de télévision, comme tant d’autres créatures du TrèsHaut, pour suivre le journal et écouter ce qui se disait à propos des “déclarations du pape hostiles à l’islam”, qui sont une bonne occasion pour ces chaînes aussi sinistres que les cagoules des terroristes de titiller l’inconscient de leurs spectateurs et de réveiller les passions de la “crise des caricatures danoises du Prophète”. La présentatrice, qui ressemblait à une liseuse de cartes et manquait de pudeur autant sur le fond que dans la forme alors qu’elle est supposée représenter la voix et le visage de cette chaîne imprégnée de notre “vraie religion”, ne donnait, comme d’habitude, aucune nouvelle : un prêtre palestinien tentant d’expliquer la difficulté de bien interpréter les déclarations de Sa Sainteté et un théologien d’Al-Azhar estimant que ces explications ne suffisent pas à rétablir l’honneur des musulmans et demandant au pape de s’excuser personnellement. Ce que l’on demande au pape, personne ne l’a jamais demandé aux théologiens d’Al-Azhar. Son Excellence Mohammed Tantaoui, qui dirige cette instance suprême de l’islam [sunnite], ne s’est jamais excusé pour rien. Il a toujours gardé un silence honteux face au terrorisme qui s’en prend volontiers aux Occidentaux et aux chrétiens – y compris aux coptes en Egypte même, aux chrétiens d’Irak, du Soudan et d’autres pays arabes et musulmans. Quant à cette chaîne [AlJazira], elle feint d’oublier qu’il y a des musul- L mans qui feraient bien de s’excuser, elle qui a accrédité l’idée auprès de larges couches de la population que les chiites étaient des “mécréants”, selon l’expression de son fameux téléprédicateur Youssef Al-Qardaoui. Elle diffuse à longueur de journée des communiqués de groupes terroristes irakiens et transmet leurs exploits consistant à trier les Irakiens selon leur appartenance confessionnelle, à semer la terreur, à détruire des lieux de culte et à procéder à des épurations confessionnelles. La veille, j’avais regardé une autre chaîne arabe appelant à la ténacité, à l’abnégation et à la résistance, après un reportage sur les prêches qui avaient enflammé nos pays à la suite des déclarations du pape. La présentatrice, accrochée à son poste comme tous les responsables arabes et qui ressemble à une actrice pour films d’horreur, annonçait la bonne nouvelle, à savoir que le pape pourrait présenter des excuses, immédiatement après les protestations du grand mufti de Syrie, relayant ainsi la propagande abrutissante du régime baasiste de Damas. Cette même chaîne s’était déjà distinguée lors de la crise des caricatures en affirmant que Copenhague avait présenté des excuses [ce qui est totalement faux] au régime de Bachar El-Assad par l’intermédiaire de l’ambassade du Danemark à Damas. Par leur façon de couvrir l’événement, ces deux chaînes creusent le fossé entre les religions musulmane et chrétienne sans se soucier le moins du monde des répercussions néfastes que cela aura pour nous, musulmans. Nous apparaissons aux yeux du monde comme la nation de Dracula et non de Mahomet, comme la nation qui n’a rien d’autre à faire, à notre époque de progrès scientifique, que de s’inventer de toutes pièces des ennemis et des prétextes à querelles avec eux. Aucune blague ne peut égayer notre humeur détraquée, aucun débat sérieux ne peut nous détourner de notre colère aveugle. Et ce alors que notre histoire, notre culture et notre patrimoine n’ont rien à envier à ceux des autres en matière de blasphème. Dilor Miqri RÉACTION VU D’ALGÉRIE Une Sainte Ligue ■ Il est immoral, venant d’un pape, d’instrumentaliser les Ecritures en sortant un verset de son contexte. Il est dit dans le Coran : “Combattez dans la voie de Dieu, contre ceux qui vous combattent, mais ne commettez pas l’injustice d’attaquer les premiers, car Dieu n’aime pas les injustes” (Coran sourate II, verset 186). Il faut retourner au contexte : à l’époque du Prophète, les batailles ont été menées parce que Mahomet et les croyants ont été rejetés de La Mecque après avoir subi d’impitoyables persécutions. Les polythéistes tournaient en dérision le message divin. On constate que, dans la Bible, le combat pour la cause de Dieu est plus radical. On parle d’extermination. Il est regrettable que la plus haute COURRIER INTERNATIONAL N° 829 41 autorité de l’Eglise jette de l’huile sur le feu. Le terrorisme est un mal qui pourrit la vie de tout le monde ; mais tant que la terminologie occidentale ne plonge pas dans les raisons du terrorisme, on n’en sortira pas. Cette diabolisation et cette rhétorique du bien et du mal nous rappellent la stratégie américaine des années Reagan. Pour abattre l’empire du mal – l’Union soviétique –, il y eut une Sainte Ligue avec l’Eglise et Jean-Paul II, qui réussit à faire imploser le système communiste de l’intérieur. Allons-nous vers une nouvelle Sainte Ligue entre l’Eglise du “panzercardinal” et George Bush pour abattre l’islam ? L’avenir nous le dira. Chems Eddine Chitour, Le Quotidien d’Oran (extraits), Oran DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 40-44 islam OK 19/09/06 15:45 Page 42 e n c o u ve r t u re Pourquoi Dieu n’est pas Allah VU DE POLOGNE Moins fin politique que Jean-Paul II ■ Certains sont prêts à penser que le pape a commis une gaffe dans son discours. Qu’il est allé trop loin et que la mention sur le lien entre l’islam et la violence ne serait qu’un “accident de travail”. Ce serait trop simple. La première chose qui nous vient à l’esprit, ce sont les protestations de la communauté juive – il est vrai à une tout autre échelle – qu’avait provoquées son discours à Auschwitz. [Benoît XVI avait notamment attribué la montée du nazisme en Allemagne à un “groupe de criminels”.] La thèse selon laquelle, dans les deux cas, il s’agirait de paroles qui lui auraient échappé est erronée. Sinon, le pape ne sait plus ce qu’il dit. Or il a dit ce qu’il voulait dire. Selon sa vision de l’Eglise, il a toujours voulu renforcer et unifier le monde catholique. Mais ce qui serait resté inaperçu dit par Ratzinger le théologien provoque un tollé dit par Ratzinger le pape. C’est là où le bât blesse. Si Benoît XVI se montre très à l’aise sur les questions internes au catholicisme, s’il est dans son élément quand il aborde des questions purement doctrinales et ecclésiales, il a de gros problèmes avec la politique extérieure de l’Eglise, sur un terrain où il n’est plus seulement un docteur de la foi, mais se positionne en tant que diplomate et guide spirituel de tous les catholiques. Benoît XVI n’arrive pas à évoluer dans ce domaine avec la même aisance et la même force de persuasion qui avaient caractérisé Jean-Paul II. Il ne serait probablement pas capable de gestes d’une portée universelle comme l’initiative d’organiser des prières pour la paix réunissant des représentants de différentes religions. Ces rencontres œcuméniques, inaugurées par le pape polonais à Assise en 1986, continuent de se tenir vingt ans plus tard. La dernière en date vient d’avoir lieu. “La religion ne justifie jamais la violence”, peut-on lire dans le message rédigé par ses participants. “Ceux qui, au nom de Dieu, sèment la terreur, la mort et la violence pour détruire les autres doivent se rappeler que Son nom est paix.” Qui en a entendu parler ? Personne. Ce ne serait pas le cas si Benoît XVI y avait fait une apparition ; il s’est contenté d’envoyer un message. On ne comprend pas non plus pourquoi, à la suite d’une réforme de la curie, le pape a supprimé le Conseil papal pour le dialogue entre les religions. Il s’est débarrassé de son président, Mgr Michael Fitzgerald, le meilleur spécialiste du monde musulman parmi ses conseillers, qui occupe aujourd’hui la fonction, certes importante, de nonce apostolique en Egypte. Hans Küng, illustre théologien allemand et ami du pape, répète qu’il ne peut y avoir de paix entre les peuples sans paix entre les religions. Mais sans dialogue, il n’y a pas de paix possible. Je suis convaincu que Benoît XVI partage cette opinion. Il ne lui reste plus qu’à tenter de peser sur la logique actuelle qui nous mène vers un affrontement religieux. J’entends déjà ceux qui estimeront que tout compromis serait une faiblesse face aux islamistes radicaux. Non, ce serait un signe de sagesse et la réalisation d’un “rayonnement doux” de l’Eglise sur l’islam. Une religion qui regroupe tout de même un milliard de fidèles. Jaroslaw Makowski*, Rzeczpospolita (extraits), Varsovie * Membre de la rédaction de la revue Critique politique. Giuliano Ferrara, chef de file des “athées dévots”, proches du Vatican, défend Benoît XVI. ■ IL FOGLIO (extraits) Milan ans son colossal discours de Ratisbonne, Joseph Ratzinger revient, cette fois en tant que pape, sur le terrain de combat intellectuel et pastoral qui a toujours été le sien, l’université et la chaire de théologie. Et cela pour affirmer sans aucune équivoque : nous sommes juifs, grecs et chrétiens, et Mahomet et son Dieu sont une autre chose. Benoît XVI ajoute : pour dialoguer avec cet autre que nous, en ces temps tumultueux de violence religieuse et d’agression prosélyte contre notre civilisation occidentale, européenne, nous devons nous reconnaître pour ce que nous sommes, des hommes et des femmes dotés des deux sources du savoir D Croisade Rebondissant sur les propos du pape, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré à la télévision de son pays que, en Occident, “les caricatures [danoises] insultantes, les insinuations de certains politiciens contre l’islam, ainsi que les remarques du pape sont le dernier maillon d’une croisade américano-sioniste”. Dessin de Stephff, Thaïlande. et de l’amour, la raison et la foi. Dans leur relation, ces sources nous préservent des effets négatifs de la transcendance de Dieu, du monolithisme islamique, qui est tout à fait différent du monothéisme judéo-chrétien, et nous protègent du dieu de l’arbitraire. Benoît XVI dit ensuite que, pour nous reconnaître tels que nous sommes, nous devons nous débarrasser du réductionnisme et du relativisme modernes, de l’idée que la foi, l’amour et la raison ne seraient pas en étroite relation, de “vraie analogie”, avec la vérité, avec l’être, avec la métaphysique, avec l’expérience de foi du divin incarné. “Pour la doctrine musulmane, note le pape, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, pas même à celle du raisonnable.” Un grand pape n’aurait pu être plus clair et plus culturellement incorrect : le Dieu islamique est radicalement différent du nôtre. Seule une lecture simplificatrice peut parler d’une “attaque contre l’islam”. Le pape de la raison a un autre objectif, qu’il a explicité dans la suite de son discours : évangéliser l’Occident, corriger l’apostasie de la foi, la dérive agnostique et indifférente, mais le faire avec une grande ouverture rationnelle, à travers une nouvelle hellénisation du christianisme, qui redonnerait à la culture et à la praxis chrétiennes, à l’héritage du Christ, la dimension que leur ont donnée saint Paul, saint Augustin, saint Thomas, en une solide alliance avec la métaphysique et donc avec une pensée qui recherche la vérité de l’être, c’est-à-dire de la condition naturelle, humaine et mystérieuse ou divine du monde. Le pape théologien et philosophe conclut en abordant un point qui était prévisible : “Une raison qui face au divin est sourde et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est incapable de prendre part au dialogue entre les cultures.” C’est le manifeste de l’identité occidentale comme identité juive, grecque et chrétienne. Giuliano Ferrara S T R AT É G I E La rupture de Benoît XVI Jean-Paul II misait sur le dialogue interreligieux pour combattre la violence. Son successeur a pris une autre voie. a débâcle dans laquelle le Saint-Siège a été précipité après le discours de Ratisbonne est beaucoup plus qu’un incident de communication. Il a mis sous le feu des projecteurs la rupture que vient de marquer Benoît XVI dans la stratégie que Jean-Paul II avait menée avec succès pendant deux décennies. JeanPaul II ne se cachait pas la dangerosité du fondamentalisme renaissant, qui, avec l’avènement de Khomeyni, avait marqué le début de son pontificat. Mystique dans l’âme, mais aussi philosophe de l’Histoire, il avait construit sur une analyse dépassionnée de la réalité une stratégie de dialogue systématique et de concer- L COURRIER INTERNATIONAL N° 829 42 tation avec les élites islamiques du monde entier. Partout où une représentation musulmane significative était présente, Jean-Paul II a prêché la foi commune des fils d’Abraham dans le Dieu unique, leur prière commune et l’engagement commun des juifs, des chrétiens et des musulmans en faveur de la paix et de la justice. Ce n’était pas de la rhétorique. C’était une volonté de bâtir sous le signe de la fraternité spirituelle une plate-forme commune à partir de laquelle répudier la violence religieuse, le terrorisme religieusement motivé et toute manipulation du nom de Dieu visant à justifier des projets sanguinaires. Sur cette base, Jean-Paul II est devenu dans le monde musulman un leader spirituel respecté, en tout cas jamais considéré comme un “ennemi occidental”. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 Tout cela s’est brisé avec le discours de Ratisbonne. Au lieu de partir du Dieu commun, Ratzinger est tourmenté par les préoccupations qui naissent des messages de violence contenus dans le Coran ; il est plein de doutes quant aux capacités réelles de la religiosité islamique de se mesurer avec le problème de la laïcité ; il est assailli par les questionnements sur une foi qui pendant longtemps a réduit les possibilités d’une interprétation souple du texte sacré et qui aujourd’hui, dans de nombreuses parties du monde, est astreinte à une dérive fondamentaliste. Mais le monde n’est pas un amphi et les changements dans d’autres sociétés religieuses ne se proclament pas ex cathedra comme Benoît XVI, consciemment ou non, semble porté à le croire. Marco Politi, La Repubblica (extraits), Rome 40-44 islam OK 19/09/06 15:46 Page 43 ISLAM-OCCIDENT HISTOIRES DE VIOLENCE ● Dessin de Hassan Bleibel, Liban. VU DE PALESTINE Pardon à nos frères chrétiens ■ Pour le journal turc Zaman, proche des islamistes modérés, l’islamophobie actuelle n’empêche pas l’islam d’être attirant partout dans le monde. Le quotidien se demande par ailleurs si le pape aurait osé faire des remarques sur le judaïsme. Ne pas faire le jeu de Ben Laden Le pape oublie une chose : la rationalité s’est imposée à l’Eglise au prix de guerres sanglantes, rappelle un laïc palestinien. AMIN Ramallah vant de me mettre à écrire, je me suis demandé si la meilleure chose à faire n’était pas de se taire pour ne pas alimenter la polémique. Je suis un laïc de culture musulmane et me sens aussi loin d’une religion que d’une autre. Je n’accomplis pas mes obligations religieuses et ne souhaite pas le faire. J’écris quand même, simplement parce que l’ignorance m’insupporte et me tape sur les nerfs. Il ne manquait plus que le souverain pontife se mette à proférer des discours à la George Bush pour avoir tous les ingrédients d’un choc des civilisations et faire triompher Oussama Ben Laden. Lorsque le pape répète des inepties à propos de l’islam, il fournit des armes à Ben Laden.Vraiment, j’en suis atterré. Je suis atterré également du fait que l’insensibilité ait gagné le Vatican et le pape luimême. Je me demande quel prix les habitants de nos pays devront payer pour cette imprudence de Sa Sainteté. Le pape s’est vanté du fait que le christianisme, contrairement à l’islam, était imprégné de rationalité et de philosophie grecque. Cela est bien vrai. Ce qu’il a oublié de dire, c’est que cette rationalité s’est imposée à l’Eglise malgré elle, au prix de guerres sanglantes. Plus que cela, le christianisme a combattu la pensée grecque et a failli l’anéantir. Ce sont des chrétiens qui ont brûlé la bibliothèque d’Alexandrie en 390 et qui ont assassiné la grande mathématicienne grecque Hypatia en 415 avec la bénédiction des ecclésiastiques chrétiens d’Egypte. Ces deux événements sanglants ont marqué la fin de la culture grecque païenne et rationaliste sur les bords du Nil. Je suis sûr que Ben Laden serait ravi de l’apprendre. Cela ne A ■ Chrétiens d’Orient prouve-t-il pas que les prêtres chrétiens d’Alexandrie et les talibans mènent la même guerre, eux qui ont détruit les statues des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan ? Le triomphe du christianisme sur la pensée grecque a signifié le début du Moyen Age et d’un obscurantisme dont l’humanité allait mettre plusieurs siècles à se défaire, là encore au prix de sang et de larmes. Le Vatican a longtemps refusé d’admettre que la Terre était ronde et tournait autour du Soleil et refuse toujours l’explication scientifique de l’évolution des espèces d’après Darwin. C’est l’héritage grec qui a permis à la bourgeoisie européenne de venir à bout de ces entêtements du Vatican contre la rationalité. Oui, le christianisme n’a pas adopté la rationalité de gaîté de cœur, mais sous le coup du feu et de l’épée. L’islam, en revanche, l’islam des califes Haroun Al-Rachid [calife abbasside de 786 à 809] et de son successeur Abou Jaafar AlMamoun [calife de 813 à 833 à Bagdad, capitale de l’Empire abbasside, alors fortement imprégné de philosophie grecque et de pensée rationaliste, connu sous le nom de moutazilite] avait remis à l’honneur les ouvrages qui avaient alimenté la pensée scientifique de la mathématicienne Hypatia. Cet islam était d’une audace intellectuelle qui lui permettait, avec la contribution des chrétiens d’Orient, de faire renaître la philosophie et la science grecques. Or Sa Sainteté le pape croit que l’islam, c’est Ben Laden. Ce faisant, il oublie que l’islam de ce dernier est de fabrication américaine, conçu du temps du président Ronald Reagan [qui a soutenu les talibans afin qu’ils s’opposent aux troupes d’occupation soviétiques en Afghanistan]. Je ne sais pas vraiment si j’ai bien fait d’écrire cet article et s’il servira à réduire l’ignorance que je déteste tant ou à alimenter la polémique des ignorances. Avant de finir, je voudrais redire que je ne me sens lié à aucune religion, vivante ou morte, ni à l’islam, ni au christianisme, ni au judaïsme, au bouddhisme, au taoïsme ou à celle des pharaons ou des Babyloniens. Zakaria Mohamad COURRIER INTERNATIONAL N° 829 Islamophobie 43 “La maladresse [de Benoît XVI] décrédibilise et fragilise les musulmans modérés qui répudient le prosélytisme violent ; c’est de ces mêmes modérés, pourtant, que l’on attend une contribution active à l’éradication du terrorisme. Cette affaire peut mettre en posture délicate les chrétiens de cette partie du monde, qui tiennent autant à leur appartenance arabe, exercée dans la dignité, qu’à leur spécificité culturelle et spirituelle. Le Liban, tout particulièrement, a déjà bien assez de soucis comme cela avec ses affaires et ses partis de Dieu”, écrit L’Orient-Le Jour. Les attentats contre les églises chrétiennes en Palestine à la suite des déclarations du pape ont été unanimement condamnés. ertaines attitudes vexatoires, certains actes contre des lieux de prière ont révélé la fragilité des valeurs que nous avions cru, un peu vite, acquises dans la société palestinienne. Les chrétiens palestiniens ne sont pas simplement les protégés de leurs compatriotes musulmans, mais sont nos frères, chers à notre cœur, habitants notre terre de père en fils tout au long d’une histoire qui, à chaque épreuve patriotique, leur a demandé plus de sacrifices encore qu’aux musulmans. Dans l’histoire récente, les Palestiniens se sont rassemblés autour de leurs dirigeants patriotiques, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, qu’il s’agisse du prêtre Gregorius Hajjar ou du cheikh Azzeddine Al-Qassam [militant du nationalisme palestinien], tous deux morts en martyrs de notre président Yasser Arafat ou de son compagnon d’armes Georges Habache [chrétien de Haïfa], de Ghassan Kanafani ou de Kamal Nasser [poètes palestiniens chrétiens proches de l’OLP] que nous avons enterrés dans une seule et même sépulture. Aucun Palestinien et aucune Palestinienne n’avaient jamais évoqué l’appartenance confessionnelle des uns ou des autres pour se positionner dans nos débats politiques. A la lumière de tout cela, nous devons présenter des excuses non seulement aux églises de Palestine qui restent un symbole de notre peuple tout entier, mais à nous-mêmes pour ce qu’ont fait certains de nos jeunes trop influençables et trop agités. Nous sommes un seul peuple vivant, et nous partageons une seule maison. Ahmed Dahbour, C Al-Hayat Al-Jadida (extraits), Ramallah VU DU LIBAN Le pape et la fille du pasteur Une charge non dénuée d’humour du quotidien francophone de Beyrouth contre le pape et contre la chancelière Angela Merkel. e qui est d’autant plus désolant quand un Allemand dérape, c’est que ces Allemands, outre l’amitié et le respect que les Libanais leur portent, se sont érigés, depuis plus d’un demisiècle, en modèles de contrôle de soi, de pondération, de je tourne quarante-sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler ; c’est qu’ils se sont réconciliés avec Hegel et Kant. Aussi cousins que soient les Polonais et les Allemands, n’est pas Jean-Paul II qui veut. Parce que, et même s’il n’a jamais su/voulu/pu ancrer l’Eglise catholique dans le siècle (notamment celui du préservatif, seul à même, pour l’instant, au-delà de cette bêtise d’abstinence, d’endiguer le sida), JeanPaul II restera, lui, comme l’un des plus remarquables souverains pontifes, ne serait-ce que par sa phénoménale maîtrise de l’homme politique qu’un pape doit être, par sa compréhension immanente de l’absolue nécessité d’instaurer sur terre, plus loin et plus haut que le dialogue et autres coexistences infécondes, l’urgente convivialité entre les religions. La benoîteté n’excuse pas C DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 40-44 islam OK 19/09/06 15:47 Page 44 e n c o u ve r t u re tout : Joseph Ratzinger pensait peut-être faire avancer le débat, c’est la tempête qu’il a récoltée ; fruit un peu avarié d’une maladresse inconcevable pour le chef d’Etat-conscience du monde catholique qu’il se doit d’être. Pour comprendre le IIIe millénaire, pour faire cohabiter le temporel avec le spirituel, Benoît XVI serait bien inspiré de faire un voyage au plus tôt dans ce miraculeux (malgré tout) laboratoire que reste ce Liban cher à son prédécesseur Karol Wojtyla. Le pape allemand n’a pas été le seul, cette semaine, à mettre, volontairement ou non, les pieds dans le plat. Sa compatriote chancelière a fait montre il y a quelques jours d’une gaucherie peut-être moins grave pour le cours du monde, un impair et une inexpérience pardonnables, certes, mais sacrément monumentaux ; une gaucherie wagnérienne. So-sotte jusqu’au bout de sa manucure, Angela Merkel a jugé bon de rassurer les Juifs en général et l’Etat hébreu en particulier : elle a claironné que l’Allemagne s’en vient (au sein de la Finul renforcée) protéger le droit d’exister d’Israël… Et toc. Cet excès de zèle, ce poids de la culpabilité que la quasi-totalité des Allemands semble vouloir porter à vie, ce besoin de toujours rassurer le Juif lorsqu’on est allemand sont compréhensibles, peut-être louables, mais à condition de ne pas oublier que le Liban a éminemment besoin, avant Israël, de la sollicitude allemande. Qu’il la mérite davantage. Comme beaucoup de chefs d’Etat, Angela Merkel serait bien inspirée de déjeuner avec Jacques Chirac et de l’écouter expliquer le Liban et le Proche-Orient (oui, c’est vrai, Royal, Sarkozy et les 458 autres candidats à l’Elysée devraient faire de même). Ziyad Makhoul, L’Orient-Le Jour (extraits), Beyrouth VU D’INDE Politique de fermeture a pique gratuite de Benoît XVI contre l’islam n’a rien d’un lapsus. Par-delà sa rhétorique universitaire, il semble considérer que notre religion est dangereuse et impie, bien que beaucoup aient tendance à croire que ce débat n’est qu’une manœuvre de plus pour obliger les musulmans à s’engager dans la controverse. Manuel II (1348-1425) fut l’avantdernier empereur de l’Empire byzantin. Enfant, il avait été captif des Turcs, et les phrases citées par le pape datent d’une époque où son domaine était sous la menace ottomane, et sa capitale, assiégée. Les déclarations papales depuis la Bavière paraissent d’autant plus brutales que Munich et les villes environnantes abritent des milliers de travailleurs immigrés, dont beaucoup sont originaires de Turquie et sont régulièrement victimes du racisme, comme le souligne Giles Fraser, qui enseigne la philosophie au Wadham College d’Oxford. “Ils ne manqueront pas de noter que Manuel II gouvernait son empire chrétien depuis ce qui est aujourd’hui la ville turque d’Istanbul. Les références à cette époque, dans de tels contextes, fleurent clairement le triomphalisme chrétien”, conclut-il. Quand Benoît XVI était cardinal au Saint-Siège, il était connu pour exprimer des doutes quant à la volonté de Jean-Paul II de poursuivre sa L politique d’ouverture. A en croire Renzo Guolo, professeur de sociologie des religions à Padoue, ses récentes critiques comptent parmi les plus virulentes, car il ne parle pas de l’islam fondamentaliste, mais de la religion musulmane dans son ensemble. Cette attaque a provoqué de vives réactions. Tout en condamnant les réflexions du pape, les 57 Etats membres de l’Organisation de la conférence islamique ont exprimé “l’espoir que ces commentaires pour le moins surprenants ne s’inscrivent pas dans une nouvelle campagne déclenchée par le Vatican contre l’islam, sur tout après des décennies de dialogue qui ont rapproché les universitaires du monde musulman de ceux du Vatican”. Abdus-Sattar Ghazali*, The Milli Gazette (extraits), New Delhi * Rédacteur en chef du webzine American Muslim Perspective (www.amperspective.com). VU DU PAKISTAN “L’affaire devrait en rester là” Les propos du pape ne sont pas si choquants, si on les replace dans leur contexte. D’ailleurs, la violence fait partie de l’islam. Il n’y a donc pas de quoi s’offusquer. a question qu’il faut se poser est la suivante : le pape a-t-il vraiment dit quelque chose de scandaleux justifiant le tollé qui s’est ensuivi ? Une autre question s’y rapporte étroitement, celle de savoir combien de ceux qui le traitent d’ignorant et lui reprochent l’incongruité de ses remarques ont lu son discours ou sont au fait de son arrière-plan universitaire, théologique et philosophique. Pour commencer, le pape ne s’en est pas pris principalement à l’islam, mais à la dialectique entre la raison et la foi et à la laïcisation de l’Europe. En regard de l’orientation de son discours, ses réflexions sur l’islam, le djihad et le concept de violence sont marginales. En fait, on ne relève qu’une unique référence à l’islam, une citation de deux phrases d’un empereur byzantin d’antan. Ce qui a vraiment outré le monde musulman, ce sont ses déclarations supposées sur le lien entre le djihad et la violence. Là encore, Benoît XVI ne se livrait pas à des considérations personnelles. Il citait les paroles d’un empereur byzantin du XVe siècle, proférées alors qu’il était assiégé et qu’il sentait sur sa nuque l’haleine des armées de l’islam. Par ailleurs nous ferions preuve de négligence si nous ne nous attachions pas à un autre point. Les islamistes ont en effet clairement démontré que le djihad, outre ses autres connotations, contient un élément de qitaal (violence), et que les musulmans n’ont pas à en avoir honte. La même idée ressort d’ailleurs également de traités rédigés par d’éminents penseurs comme Sayyid Abul A’la Maududi [1903-1979, théologien, fondateur de la Jamaat-e-Islami et inspirateur des Frères musulmans]. La violence ne saurait être gratuite, mais on ne saurait non plus s’en abstenir quand il s’agit de défendre les intérêts des plus faibles. Le recours à la violence est un fait admis, non seulement dans la théorie politique, mais aussi dans la jurisprudence islamique. Donc, qu’importe si le pape y fait référence dans un discours plus général L COURRIER INTERNATIONAL N° 829 44 ■ ● A la une “Le pape contre Mahomet. Bataille de croyants sur l’islam, la raison et la violence”, titre Der Spiegel. L’hebdomadaire donne notamment la parole au ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, qui organise le 27 septembre, à Berlin, la première conférence sur l’islam avec les représentants des organisations musulmanes en Allemagne. “Mon idéal serait que les imams soient formés en Allemagne et qu’ils parlent notre langue, comme l’Eglise catholique romaine dit la messe en allemand, et non plus en latin”, affirme le ministre chrétien-démocrate. ■ Vu d’Israël Dans Yediot Aharonot, Yoel Bin Noun, l’un des pionniers du Goush Emounim [extrême droite religieuse israélienne], écrit : “Si la Croix et le Croissant devaient à nouveau s’affronter, cela signifierait un retour mille ans en arrière. Juifs et musulmans devraient alors se ressourcer auprès du modèle andalou et formuler une alternative à la violence religieuse.” sur le dialogue entre les cultures. Au lieu d’exploiter ses déclarations à des fins politiques, les oulémas musulmans auraient plutôt intérêt à formuler une réponse intellectuelle dans l’esprit de son discours. Il s’est efforcé de montrer que, dans le christianisme, raison et foi sont synthétisées. Et si nous lui prouvions qu’elles le sont encore plus dans l’islam ? Répondant aux réactions du monde musulman, le pape a assuré que ses déclarations avaient été mal interprétées, ou mal comprises, et le Vatican a fait savoir qu’il était profondément désolé. L’affaire devrait en rester là. Daily Times (extraits), Lahore VU DU MONDE ARABE Le pape n’est pas un télévangéliste Le Vatican avait habitué le monde musulman à plus d’ouverture, fait remarquer l’un des principaux quotidiens arabes. l y a une différence énorme entre, d’un côté, des dessinateurs de presse et, de l’autre, le chef de l’Eglise catholique. Les premiers dessinent des caricatures parmi des dizaines de milliers d’autres, le second dirige la principale organisation chrétienne au monde. De même, il y a une différence entre le pape et les dirigeants des autres Eglises, grecque orthodoxe, jacobite, protestantes de diverses obédiences. Aussi ne faut-il pas confondre Benoît XVI et certains télévangélistes américains qui n’hésitent pas à inciter à la haine contre l’islam chaque fois que l’occasion s’en présente. Si la colère suscitée par ses déclarations est aussi grande, c’est probablement parce que les musulmans s’étaient habitués à trouver au Vatican une oreille ouverte au dialogue et une main prête à soutenir leurs causes. Jean-Paul II s’était en effet clairement rangé à leurs côtés dans leur affrontement avec Israël et l’administration américaine. Oui, le pape a voulu critiquer la propension guerrière dans l’islam d’aujourd’hui. Or, dans l’espace musulman aussi, de nombreux théologiens se montrent critiques envers la violence qui se réclame du Coran. Selon eux, les extrémistes ont pris en otage le mot djihad pour le détourner de son sens défensif et pour en faire un appel au meurtre. Le pape aurait dû savoir que ce djihad dévoyé tue plus de musulmans que de chrétiens, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Algérie, au Yémen, au Pakistan et ailleurs. On a dit qu’Oussama Ben Laden donnerait tout ce qu’il reste de sa fortune si le pape pouvait lâcher une autre bombe verbale du même acabit, pour que tous les musulmans aux quatre coins du monde se rallient à Al-Qaida et apportent leur soutien à ceux qui souhaitent davantage de guerres de religion et de conflits confessionnels et ethniques. Aussi, les déclarations du pape sonnent comme s’il voulait donner raison aux cassettes vidéo sur lesquelles les terroristes se vantent de leurs crimes. Les dernières déclarations d’Ayman Al-Zawahiri [bras droit de Ben Laden] sont donc compatibles avec celles du pape : le premier promeut sa vision extrémiste de l’islam, le second confirme que cela correspond à la nature profonde de cette religion. I DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 Abderrahman Al-Rashed, Asharq Al-Awsat, Londres 45-48 courrier english 19/09/06 14:38 Page 45 Pendant cinq semaines, Courrier international se met à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents. Un voyage en v.o. dans les presses anglophones. in For five weeks, practise your English with us! Discover articles by English-speaking journalists from all five continents – in their own words. English We have become rich countries of poor people Joseph Stiglitz* Dessin paru dans FINANCIAL TIMES London here were once hopes that globalisation would benefit all, both in advanced industrial countries and the developing world.Today, the downside/1 of globalisation is increasingly apparent. Not only do good things go more easily across borders, so do bad – including terrorism. We see an unfair global trade regime that impedes development and an unstable global financial system in which poor countries repeatedly find themselves with unmanageable debt burdens. Money should flow from the rich to the poor countries, but increasingly, it goes in the opposite direction. What is remarkable about globalisation is the disparity between the promise and the reality. Globalisation seems to have unified so much of the world against it, perhaps because there appear to be so many losers and so few winners. The Panglossian/2 view of globalisation, that it would automatically benefit all, has impeded the ability to address/3 its failures. Young French workers ask how globalisation is going to make them better off/4 – if, as they are told, they must accept the resulting lower wages and weakened job protection. Growing inequality in the advanced industrial countries was a long predicted but seldom advertised consequence: full economic integration implies the equalisation of unskilled wages throughout the The Economist, Londres. T 1/ Downside “Effet négatif, contrecoup”. 2/ Panglossian Référence au docteur Pangloss, précepteur de Candide, qui incarne dans le conte de Voltaire l’optimisme béat et une totale confiance dans l’harmonie du monde. L’une des rares références littéraires françaises qui connaissent une plus grande postérité en anglais que dans leur langue d’origine. 3/ To address Verbe omniprésent dans le discours politico-journalistique anglo-saxon et qui tend à se propager en français, signifiant “s’attacher à résoudre (un problème), s’attaquer à, s’atteler à (une difficulté)”. Voir aussi la chronique p. 46. 4/ Better off Symétrique de worse off, qui apparaît plus loin dans le texte. Evoque l’amélioration de la situation financière d’une personne. L’un des trois éléments du triptyque well off (à l’aise financièrement), better off et worse off. Retrouvez la traduction de l’article page 62 ■ Remerciements world. Although this has not (yet) happened, the downward pressure on those at the bottom is evident. Unfettered globalisation actually has the potential to make many people in advanced industrial countries worse off, even if economic growth increases. While economic theory predicted there would be losers from globalisation, it also said that the winners could compensate the losers. Well-managed globalisation can make everyone, or at least most, better off. This has not happened. Instead, conservatives have argued that globalisation requires countries to become more competitive by cutting taxes and rolling back/5 the welfare state. In the US, tax policies have become less progressive; the bulk of recent tax cuts went to the winners, those who had already benefited both from globalisation and changes in technology. Increasingly, we are becoming rich countries with poor people. The Scandinavian countries have shown there is another way. Investment in education and research and a strong safety net/6 can lead to a more productive and competitive economy. At the core of many of globalisation’s failures is a simple fact : economic globalisation has outpaced the globalisation of politics and mindsets/7. We have become more inter- 5/ Rolling back L’image est celle du tapis qu’on enroule. Margaret Thatcher ne cessait de proclamer sa volonté de “réduire le périmètre de l’action de l’Etat” (rolling back the frontiers of the state). 6/ Safety net Au sens propre, “filet de sécurité”. 7/ Mindsets “Etats d’esprit, mentalités”. dependent; greater interdependence increases the need for co-ordinated action. But we still lack the institutional frameworks to do this effectively and democratically. Perhaps not surprisingly, more attention is often placed on the concerns of developed countries and their special interests than those in the developing world. It is good news that we are finally doing something about the crushing/8 debt burdens of the poorest countries but we have done little to ensure the debt problem does not arise again, and nothing to create a systematic mechanism for debt restructuring. The fact that so many countries end up with unmanageable debt burdens suggests that the problem is systemic. Global markets are highly volatile and too often the poor bear the brunt/9 of exchange rate and interest rate changes. Yet nothing has been done about these underlying problems. There are already numerous solutions on the table: some that could be adopted overnight, some that would take years but would at least make globalisation work better. If developing countries could borrow in their own currencies (or in baskets of correlated currencies), fewer countries would find themselves with massive debt burdens. Other reforms in debt management strategies could help further stabilise the global financial system. Consider, as another example of globalisation’s failure, the diseases that plague so many of the 8/ Crushing Le poids de la dette est “écrasant”. 9/ To bear the brunt “Supporter le plus gros (d’une offensive), l’essentiel (d’une charge)” ; par extension, “être en première ligne”. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 45 poor countries. The global intellectual property regime denies access to affordable life-saving drugs, even as the Aids epidemic ravishes so much of the developing world. Advocates of the current system say this is the price for providing incentives for research. But for those concerned about health in developing countries, the intellectual property regime has not worked.There is an alternative: a medical prize fund, financed by industrialised countries, could reward those who discover cures for diseases of the poor, provide incentives for research and award bigger prizes for key drugs. The medicines could then be provided to the poor at cost. Such a system would be both far more efficient and equitable than the current system. Globalisation can be changed; indeed/10 it is clear it will be changed. The question is: will change be forced on us as the result of a crisis, or will we take control of the globalisation process? The former risks a backlash/11 against globalisation or a haphazard/12 reshaping in a way that only sets the stage for more problems. The latter holds out the possibility of remaking globalisation so that it can live up to its potential to improve living standards throughout the world. Pour réaliser ce supplément, nous avons bénéficié de la précieuse collaboration de Jean-Claude Sergeant, professeur de civilisation britannique à l’université Paris III. Spécialiste de la politique et des médias britanniques, il a notamment publié L’Angleterre à travers sa presse (Presses Pocket, 1991) et Les Médias britanniques (Ophrys-Ploton, 2004). Directeur de la Maison française d’Oxford de 2000 à 2003, Jean-Claude Sergeant dirige à Paris III le master Langues, civilisations étrangères et médias, qui a succédé en 2005 au DESS de journalisme bilingue français-anglais. * The writer was awarded the Nobel Prize in economics in 2001. His latest book, Making Globalization Work (W.W. Norton/Penguin), is published this month. FINANCIAL TIMES 10/ Indeed Souvent traduit mécaniquement par “en effet”, expression qui n’est pas toujours appropriée. On lui préférera le plus souvent “de fait, manifestement”. 11/ Backlash “Réaction en retour”. 12/ Haphazard “Au hasard, de façon aléatoire”. 432 500 ex., Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 45-48 courrier english in 19/09/06 14:39 Page 46 English Dark days/1 for Guinness Owner could face calls to sell as Irish sales plummet Owen Bowcott and Simon Bowers THE GUARDIAN (excerpts) London Dessin d’Angel Córdoba paru dans ABC, Madrid. Retrouvez la traduction de l’article page 20 THE GUARDIAN 375 200 ex., Royaume-Uni, quotidien. La qualité, l’indépendance et l’engagement à gauche caractérisent ce titre de très haute tenue qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays, tels que Jonathan Freedland et Polly Toynbee. he drinks company behind Guinness revealed last month that the tally/2 of pints of “the black stuff ” drunk in Ireland has fallen by more than a quarter over the past eight years. The persistent decline, believed to have steepened this year, is expected to resurrect calls for Diageo to put its beer business up for sale. Ireland is the shop window where Diageo promotes Guinness to visitors from around the world. Diageo’s Storehouse visitor centre in the Guinness brewery, on the banks of the Liffey/3 in Dublin, is said to be Ireland’s most popular tourist attraction.Tales about the role of the river waters in creating the Guinness flavour have passed into folklore and hordes of tourists seeking the essence of Irish culture pursue a traditional pilgrimage to the place. Few opportunities are missed to trade on the stout’s/4 glorious past. On the wall outside the Guinness Sto- T 1/ Dark days Allusion transparente à la couleur de la Guinness, d’un noir profond. 2/ Tally Le terme désignait à l’origine une entaille dans un morceau de bois marquant une reconnaissance de dette ; par extension, “nombre, quantité”. 3/ The Liffey Le fleuve qui coule à Dublin, associé à l’écrivain James Joyce. rehouse, there are reproductions of classic posters reminding visitors how it was once marketed as nutritious, wholesome/5 and pleasurable. Inside the Storehouse visitors find a bewildering array/6 of Guinness merchandise. There are Guinnessemblazoned T-shirts, jackets, footballs, rugby balls, golf balls, clocks, socks, oven gloves, pants (in pink and white), playing cards, cufflinks and fridge magnets.There are Guinness slippers (in black and cream fake fur) and Toucan/7-shaped salt and pepper sets. The piped music is invariably an Irish jig. “Ten million glasses of Guinness are enjoyed every day worldwide,” the walls proclaim. But in the bars of Dublin there is rather less euphoria. “It’s not selling as well as it used to years ago,” says the barman at the Auld Dubliner in Temple Bar, a street buzzing with tourists and young Dubliners. “People say it’s an old man’s drink. Sales of 4/ Stout Bière brune produite à partir d’orge germée (malt) ; il existe une variante plus légère connue sous le nom de porter dont les “porteurs”, ou plus exactement les portefaix, étaient grands amateurs. 5/ Wholesome Caractère de ce qui est sain et a un effet bénéfique sur la santé. 6/ Array Dérivé du vieux français arroi, “alignement” ; désigne par extension un ensemble, un assortiment d’objets. 7/ Toucan C’est l’emblème de la Guinness depuis 1935. Murphy’s [a rival stout from Cork] are up. I remember 10 years ago, 70% of our draught/8 sales were Guinness. Now it’s about 50%.” One veteran lunchtime customer, Jimmy Foley, says he has been drinking Guinness since he was 14. “It used to stick to the counter years ago,” he says. “It’s thinned down a bit.You get a good pint here, but in some pubs it’s muck/9. It’s so variable. I keep asking publicans/10 why that is.” Across the street at the Quays Bar, the owner, John McSweeney, says Guinness is still his best seller, but adds: “The population has changed so much. Pubs in the suburbs have been badly affected by the smoking ban. There may be more people coming to live here but there are fewer going out drinking.” “A lot of people like cider. It’s become very popular. Customers are also beco- 8/ Draught Il s’agit de la bière à la pression. 9/ Muck Au sens premier, “fumier” ; plus familièrement, désigne tout qui est de mauvaise qualité. “C’est de la m…” pourrait faire ici l’affaire. 10/ Publican Propriétaire ou gérant d’un pub. ming more demanding about wine. People ask for chardonnay or sauvignon blanc.” Declining bar and overall alcohol sales are blamed on a series of changes : the smoking ban in pubs, stricter drink-driving laws, greater consumption of wine, condemnation of binge drinking/11 and people taking home cut-price lager/12 from supermarkets and off-licences/13.The effect on Guinness has been particularly severe because 90% is sold in Ireland as draught. Back outside the Guinness Storehouse, a young Dubliner tries to tempt departing tourists into a horsedrawn trap/14. Does he drink Guinness? “No, I drink Budweiser,” he says. “Guinness may do you a power of good/15, but it’s old-fashioned.” 11/ Binge drinking Beuverie collective à laquelle s’adonnent les jeunes en fin de semaine. 12/ Lager Bière blonde venue d’Europe continentale, type Stella Artois, très prisée par les jeunes Britanniques, au point que a lager lout désigne un vandale agissant sous l’emprise de ce type de bière. 13/ Off-licence Magasin autorisé (licensed) à vendre pendant certaines heures du vin, de la bière et des spiritueux. 14/ Trap “Carriole” ; en milieu urbain, “cabriolet”. 15/ Guinness may do you a power of good Référence au célèbre slogan “Guinness is good for you”. CHRONIQUE Ces expressions qui flottent dans l’air du temps Les journalistes empruntent souvent les formules du moment aux politiques. A moins que ce ne soit l’inverse. ’anglais de la presse est à la fois prévisible parce que formaté dans sa structure, et souvent novateur sur le plan lexical. La plasticité de la langue lui permet de tirer par ti des potentialités quasi illimitées qu’of fre la construction d’adjectifs composés ou d’éléments à valeur adjectivale. On peut lire dans The Independent (du 26 septembre 2005) cet extraordinaire portrait du journalisme : “I knew I did not want to be a foot-in-the-door-sorryto-hear-your-child-has died type of journalist.” (Je savais que je ne voulais pas devenir l’un des ces journalistes qui essaient d’inter viewer les parents d’un enfant qui vient de mourir en coinçant la por te avec son pied). Cette phrase, au style original, pourrait tout aussi bien se rencontrer au détour d’une page de Tom Wolfe ou de l’auteur écossais de romans policiers Ian Rankin, mais on peut également y voir une tentative pour inscrire l’écriture de presse dans la modernité. Il en va de même du L recours par la presse aux termes qui flottent dans le discours ambiant. n recensera ici quelques formules qui ont marqué le discours de presse et le discours politique de ces dernière années, les journalistes empruntant souvent aux responsables politiques les formules du moment, à moins que ce ne soit l’inverse. Cer tains termes, normalement promis à un déclin précoce, font preuve d’une belle longévité. Ainsi, massive apparaît à trois reprises en moins de dix lignes dans l’ar ticle consacré par le Daily Telegraph du 7 septembre 2006 à l’arrivée d’un nouveau PDG à la tête de Ford : massive strides, massive cost-cutting plan, massive over-capacity. Les préparatifs de la guerre en Irak ont fait surgir l’expression smoking gun. Héritée d’un pays où les westerns faisaient “parler la poudre”, elle signifie “indice”, la sagesse populaire attestant qu’il n’y a pas de fumée sans feu. On recherchait à l’époque les moindres éléments permettant de prouver que l’Irak disposait de capacités de fabrication d’armes de destruction massive O COURRIER INTERNATIONAL N° 829 (mass destruction weapons ou MDW). Dans le même temps, en Grande-Bretagne, le renouvellement de la charte de la BBC suscitait un large débat sur la moindre qualité des programmes de l’audiovisuel public, qui s’est polarisé autour de l’expression dumbing down, qui évoque la popularisation, sinon l’abêtissement. e consumérisme – bel emprunt à l’anglais – s’est également invité dans le discours de presse : il est aujourd’hui souvent question, notamment à propos de la longévité politique de Tony Blair, de sellby dates, ces dates de péremption des produits de consommation. On a entendu lors de l’émission Any Question (du 8 septembre 2006, sur BBC Radio 4) : “Blair is reluctant to leave office after his sell-by date” (Blair n’a guère envie de se retirer alors qu’il est périmé). Mais l’expression n’est pas confinée à la politique. Evoquant, le 4 septembre 2006, le peu d’intérêt rencontré par une manifestation hippique – le St Leger Stakes –, le journaliste du Guardian intitulait son repor tage : “St Leger classic case of a product well past its sell- L 46 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 by date.” Dit en français, une rencontre “ringarde”. Smoking guns et sell-by date ne vont vraissemblablement pas s’enraciner dans le lexique, car ils appartiennent trop à l’air du temps. On ne peut pas en dire autant du verbe to address (a problem), qui est en passe de se substituer à to tackle. C’est aujourd’hui le terme favori des politiques pour rendre compte de leurs efforts. Ainsi, dans la bouche d’un commentateur de la BBC (le 12 septembre 2006, sur BBC Radio 4), le problème de trésorerie auquel doit faire face le Par ti travailliste a été présenté comme “a problem that needs addressing”, c’est-à-dire un problème réclamant une solution urgente. La technologie est aussi mise à contribution. Ainsi meltdown désigne, à proprement parler, la fonte du cœur d’un réacteur et se retrouve fréquemment en titre : “Afghanistan in meltdown” (dans The Economist du 9 septembre 2006). Le terme a été largement utilisé ces dernières semaines pour évoquer la per te de crédibilité, sinon l’implosion, de l’équipe de Jean-Claude Sergeant Tony Blair. 45-48 courrier english 19/09/06 14:39 Page 47 in English A magazine for gangsters? At least they’re reading Inmates/1 used to be the bulk of Don Diva’s fans, but the slick/2 quarterly is now breaking out. Peter Carlson LOS ANGELES TIMES (excerpts) Los Angeles on Diva is a magazine that comes with a warning label – “Parental Advisory: Gangsta/3 Content.”The warning is partly a come-on/4 – nothing attracts kids like a parental-advisory warning – but it’s also accurate. Don Diva is a magazine about gangsters that is published for gangsters – and for wannabe/5 gangsters, imprisoned gangsters and folks who just want to experience the excitement of gangster life without getting shot or going to prison, which is, alas, D 1/ Inmates Détenus. 2/ Slick Equivalent américain de glossy, l’adjectif évoque les magazines sur papier glacé faisant une large place aux photos. 3/ Gangsta Renvoie à la culture des gangsters des années de la Prohibition, que les bandes urbaines se sont réappropriée. 4/ Come-on Substantif créé à partir de la locution verbale come on, destinée à encourager quelqu’un à faire quelque chose. 5/ Wannabe Déformation de want to be. Le terme dénote la volonté ou l’ambition de deve- the fate of most of the gangsters Don Diva profiles/6. Founded in 1999, Don Diva is a slick quarterly that bills itself/7 as “The Original Street Bible.” Each issue has two covers, one in front, one in back.The “street cover” features a scene of gangster life: a staged/8 shot of kids cooking up crack cocaine, for example, or an authentic photo of a dead Chicago dope dealer laid out in a coffin built to resemble his Cadillac El Dorado.The “entertainment cover” features a rapper and is used mainly by newsstands/9 too squeamish/10 to display the street cover. Inside, Don Diva has three main editorial features: stories about gangsters, stories about gangsta rappers, and photos of scantily clad women/11, most of them shot from behind. nir l’égal(e) d’une personnalité admirée. 6/ Profiles To profile : retracer le parcours, raconter la vie. 7/ That bills itself Qui se décrit, qui se présente. 8/ Staged Allusion à la scène du théâtre où la réalité est représentée. Dans le contexte présent, la photo (shot) a été mise en scène. In its fifth anniversary issue, Don Diva bragged/12 that it is “a magazine that got its origin inside a prison by a prisoner.” That prisoner was Kevin Chiles, who was serving a 10-year sentence for dealing cocaine when he suggested to his wife,Tiffany, that she publish a magazine about what she calls “the black underworld.” Tiffany Chiles, who has a marketing degree from Fairleigh Dickinson University in New Jersey, says she started the magazine with money earned as a rap music promoter and named it Don Diva to show that it was for both sexes – dons/13 and divas. Now Chiles, 35, runs the magazine out of offices in Harlem, N.Y., 9/ Newsstands Points de vente de presse. 10/ Squeamish Fait référence à l’excessive sensibilité d’une personne facilement choquée. 11/ Scantily clad women Femmes en tenue légère ; euphémisme classique et un peu désuet pour désigner les photos très déshabillées. 12/ Bragged To brag signifie “se vanter, se targuer de (faire quelque chose)”. 13/ Dons A l’origine, un seigneur espagnol. Aujourd’hui, le mot désigne le titulaire d’une chaire, dans le contexte universitaire britannique, mais aussi un chef de la mafia. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 47 and her husband, who was released from prison in 2003, occasionally writes for the magazine, generally on an anti-snitching/14 theme. Six years ago, nearly 90% of subscribers were inmates in prisons across the country, Chiles says, but now only 10% of the roughly 150,000 copies are read by the captive audience. Until recently, Don Diva has been sold mainly in inner-city record stores, beauty parlors and bodegas/15. But Don Diva has a new distributor and therefore should be more widely available. The mag is frequently accused of glamorizing the gangsta lifestyle, Chiles says, but she pleads not guilty to that charge. “Most of the criminals we write about end up dead or in prison,” she says. “To say that’s glorifying is to say my readers are stupid.We have to shed light on things that are happening.” 14/ Anti-snitching To snitch signifie “moucharder”. 15/ Bodegas Bodega signifie “cave” en espagnol. Aux Etats-Unis, le mot désigne les épiceries de quartier, souvent tenues par des Hispaniques. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., Etats-Unis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c'est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. Retrouvez la traduction de l’article page 28 45-48 courrier english in 19/09/06 14:40 Page 48 English San Francisco T R AV E L San Francisco’s Mission District: Eclectic, Eccentric, Electric Gregory Dicum ■ If you go Where to Eat and Drink Limón, 524 Valencia Street at 16th, (415) 252-0918. Nouveau Peruvian hot spot known for astounding ceviche. Medjool, 2522 Mission Street at 21st, (415) 5509055. This tasteful entertainment complex is a decidedly new thing for the Mission. What to See Galeria de la Raza, 2857 24th Street at Bryant. Providing a place for cuttingedge art with Chicano and Latino themes, this is the touchstone for the multifaceted Mission arts scene. Precita Eyes Muralists, 2981 24th Street at Harrison. A 28-year-old organization that maintains some of the Mission’s murals and is its curator. Retrouvez la traduction de l’article sur le site courrierinternational.com THE NEW YORK TIMES (excerpts) New York rom the rooftop patio of Medjool, a restaurant in the Mission district of San Francisco, the entire neighborhood is laid out like a flamboyant mosaic. Ranks of painted ladies – San Francisco’s ornate wooden Victorians – rise to Twin Peaks in the west, the hills that block the city’s infamous fog and make the Mission one of the city’s warmest and sunniest neighborhoods. This terrace is the perfect spot for watching the cottony wave of evening fog roll into downtown, for the sky in the Mission remains crystalline. At the intersection below, an animated scene of daily life unfolds: sidewalk vendors sell yucca flowers and avocados, blue-haired anarchist daddies push strollers/1, young men loiter/2 at the corner, Central American housewives and vegan/3 lesbian tattoo artists shop for fresh handmade tortillas. “I try to get anybody coming to San Francisco to come to the Mission,” said Dave Eggers, the best-selling author who set up the first of his community writing schools here, at 826 Valencia. “Not to misuse the word ‘authentic’ – I think that’s such a troubling word – but the Mission really does have all the best parts of San Francisco intersecting here.” With six of these writing schools around the country, 826 Valencia remains the flagship/4, forming the core of the Mission’s literary scene. “I don’t think there’s a neighborhood where more writers live,” Mr. Eggers said. “There is no neighborhood in the world – and I’ve looked – with more independent bookstores in such a small area.” The district grew up around the oldest building in San Francisco: the Mission Dolores, built in 1776 as part of the network of West Coast Spanish missions. In the 20th century, the Mission was a solidly working-class immigrant neighborhood until the early 1970’s, when construction of the Bay F 1/ Strollers Equivalent américain de push THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le New York Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). chair, “poussette”. 2/ Loiter To loiter signifie “traîner sans but précis”. 3/ Vegan Terme désignant les végétariens de stricte obédience, autrement dit les végétaliens. 4/ Flagship Au sens premier, “navire amiral” ; au sens figuré, élément le plus important d’un ensemble, “joyau”. 5/ Coming into its own again L’endroit retrouve son attrait, se régénère. 6/ Is unfolding To unfold signifie “(se) déplier”, “(se) dérouler”. 7/ Throbbing Norteño Le terme Norteño (“du nord”, en espagnol) désigne un genre musical mexicain originaire du nord du pays et très prisé par la communauté mexicaine-américaine. Le terme throbbing évoque les battements du cœur et, dans ce contexte, la rythmique assourdis- Dauwe/Planet Repor ters-REA San Francisco, 2002. L’ambiance du quartier Mission vue par un muraliste. Area Rapid Transit system tore up Mission Street for three years, killing the vibrant Latino neighborhood and turning the area into an urban wasteland. Only now is it coming into its own again/5. A dynamic culture combining the best of many influences is unfolding/6: the jingling bells of Mexican ice cream vendors’ carts blend with the sounds of anarchic marching bands; strange electronic music flies out of open windows to mingle with throbbing Norteño/7 in the sunshine. “The history of the Mission has a lot to do with waves of radicals who came here to escape failed revolutions elsewhere,” says Chris Carlsson, a historian whose San Francisco work can be seen at shapingsf.org. Along with the rest of the Bay Area, the Mission was thrown on its ear/8 five years ago when oceans of dot-com money threatened to turn the place into a heedless/9 boomtown. But a long tradition of tenant activism helped the area retain its character even as property values headed for escape velocity/10. sante de la musique. On appelle aussi Norteños les Mexicains installés dans le nord de la Californie, dont certains jeunes sont organisés en bandes qui s’affrontent à celles des Mexicains du sud de la Californie, les Sureños. 8/ Was thrown on its ear Expression qui évoque la perte de repères, la désorganisation. 9/ Heedless Au sens propre, “insouciant, irréfléchi”. A prendre ici davantage au sens de “anarchique, improvisé”. 10/ Headed for escape velocity Les prix de l’immobilier se sont “envolés”. 11/ Paeans Etymologiquement, hymnes à la gloire d’Apollon (péans, en français). Au sens figuré, expression de glorification d’une personne ou d’un événement. 12/ Rub shoulders To rub shoulders signifie littéralement se frotter les épaules contre celles d’une autre personne ; par extension, “côtoyer”. 13/ Tipsy “Eméché”. 14/ Bridge-and-tunnel crowd La foule de banlieusards qui emprunte les transports en commun pour venir s’amuser le week-end dans le centre de San Francisco. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 48 This continuing tension is told on the neighborhood’s walls, in a mural tradition that goes back to Diego Rivera’s San Francisco work. “This is the most flourishing mural scene in the country,” said Andrew Schoultz, an artist identified with the Mission School – the colorful, graphic-inflected and street art-inspired sensation of the last decade. Mr. Schoultz has five murals here, including one each on Balmy Alley and Clarion Alley, the form’s twin epicenters. His flying birdhouses, evocative of the housing anxiety that underlies every Mission resident’s daily life, share the walls with paeans/11 to Latino pride, bicycle activism, idealized farm workers and revolutionary movements. Galeria de la Raza, on 24th Street, has nurtured this artistic vitality for 35 years. Arising from the Chicano civil rights movement, Galeria de la Raza is a grandparent to the small galleries that come and go here with only slightly less turnover than the street art. On weekends, gallery openings blend into a nighttime party scene, especially along Mission and Valencia Streets. Mariachi bands rub shoul- ders/12 with a tipsy/13 bridge-andtunnel crowd/14 on the teeming sidewalks/15, eclipsing the neighborhood’s more subtle qualities – events like the annual Day of the Dead procession in early November. This evening parade of haunting, skull-faced locals riffs on/16 Mexican village traditions, but as befits the Mission, participants – who are as likely to hail from/17 Michigan as Michoacán – incorporate social commentary, surging percussion and a spirituality that obscures cultural boundaries beneath layers/18 of face paint. The same kind of eclectic appropriation is embodied in the Mission’s signature dish/19, the burrito.This field worker’s lunch of beans, rice and meat rolled in a flour tortilla first became part of the urban smorgasbord/20 in the 1960’s, when El Faro on Folsom Street put the first super burrito on its menu. Fierce loyalty to a favorite taqueria/21 is a point of pride and a subtle indicator of where one falls in the neighborhood’s protean/22 social landscape. The unsectarian burrito orthodoxy underlies a culinary aesthetic that prizes inventiveness and tradition in equal measure. Thus, the Mission is host to inspired restaurants like Delfina on 18th Street, Osha on Valencia Street and Limón, on Valencia Street. If food is, so far, the most upscale/23 element in the Mission (a corollary of the fact that virtually every two-bedroom apartment here now costs substantially more than half a million dollars), other cultural elements are catching up/24. Growing out of the concentration of junk stores that once lined Valencia Street, a new wave of design and fashion is doing for the eclectic “Mission Thrift” look what the Mission School did for the area’s graphic arts: bringing it to a wider audience, but also codifying an informal aesthetic. 15/ Teeming sidewalks Les trottoirs grouillent de monde. 16/ Riffs on Le verbe to riff est, dans cette acception, une variante de to riffle, qui évoque la propagation des ondes dans l’eau. 17/ To hail from “Venir de, être originaire de”. 18/ Layers “Couches, strates”. 19/ Signature dish La spécialité de l’endroit. 20/ Smorgasbord Terme d’origine suédoise désignant un buffet où chacun choisit ce que bon lui semble. Le terme indique ici la diversité de l’offre gastronomique du quartier. 21/ Taqueria Boutique proposant des tacos, galettes de maïs garnies au choix. 22/ Protean Protéiforme. 23/ Upscale Littéralement, “situé en haut de l’échelle” ; ici, “haut de gamme”. 24/ Catching up To catch up (with) signifie “rattraper”, comme dans l’expression to catch up with lost time, “rattraper le temps perdu”. Au sens voisin visé ici, “se mettre au diapason”. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 in English Discover Los Angeles raw and untranslated in the Sept. 28th issue 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p50-51 SA 19/09/06 12:47 Page 50 p o r t ra i t André Béteille Indien, sociologue et insoumis TEHELKA New Delhi Un jour, le quotidien The Hindu a publié un article d’André Béteille qui commençait par une anecdote éloquente. Les Anglais n’étaient pas des gens “particulièrement civilisés”, avait-il expliqué à un professeur de Cambridge au cours d’une conversation à bâtons rompus. “Une personne civilisée, c’est tout simplement quelqu’un qui se sent à l’aise dans deux langues. Connaître une langue nous rend humains, se sentir à l’aise dans deux nous rend civilisés”, avait-il ajouté lorsque l’homme lui avait demandé ce qu’il entendait par là. Pour Béteille, les langues sont des passeports permettant de découvrir des traditions intellectuelles différentes et d’accéder à de nouveaux modes de sensibilité. Cette remarque s’applique parfaitement à lui-même. Non seulement ce grand sociologue maîtrise plusieurs langues, mais ses travaux les plus connus portent sur les structures sociales qui ne sont pas uniquement locales. “La sociologie est comparative ou n’est pas de la sociologie.” L’historien Ramchandra Guha lui attribue cette devise dans l’introduction de Ideology and Social Science [Idéologie et science sociale], le plus récent ouvrage d’André Béteille. Ce dernier a en effet souvent reproché à ses collègues indiens de répugner à comparer l’immense masse de leurs données de terrain à des phénomènes similaires dans d’autres sociétés et de ne pas analyser leurs découvertes à partir de concepts sociologiques universels. Lui-même a toujours refusé cet esprit de clocher. Profondément influencé par Mysore Narasimhachar Srinivas [1916-1999], le professeur fondateur du département de sociologie de la School of Economy de Delhi, Béteille a choisi un village du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, pour préparer son doctorat. Cette expérience lui rappela son enfance passée dans une petite ville du Bengale, ce qui lui permit de noter les différences frappantes qui existaient entre celle-ci et la vie dans ce village méridional. Caste, Class and Power [Caste, classe et pouvoir], sa thèse de doctorat qui a fait école, étudie les castes non en tant que catégories uniquement indiennes, voire exotiques, mais en tant que variantes du phénomène plus large de la stratification et de l’inégalité sociale. “Béteille fait de la sociologie indienne un élément de la sociologie en général et pas uniquement un sujet réservé aux spécialistes”, explique l’universitaire Dipankar Gupta, qui a édité et présenté Anti-Utopia : Essential Writings of André Béteille [Anti-Utopie : les écrits essentiels d’André Béteille]. “Il a été l’un des premiers à étudier l’influence de la politique sur le système des castes en refusant de tout centrer sur le seul niveau local ; il a aussi été l’un des premiers à constater que ce système est en plein changement et qu’il continuerait à évoluer”, poursuit-il. Béteille est consterné par les nouveaux quotas annoncés par le gouvernement [pour les basses castes dans le secteur de l’éducation]. “J’ai toujours été scep- tique vis-à-vis de la discrimination positive. Pas opposé, mais sceptique”, dit-il. D’après lui, le sujet ne peut pas se limiter à un jeu à somme nulle entre les intérêts des hautes castes et ceux des basses castes. Le débat comprend un troisième élément : l’institution elle-même et son caractère. Bien qu’il reste convaincu que le gouvernement a “l’obligation de concevoir des politiques qui forceront les étudiants et les professeurs à être socialement plus ouverts”, le sociologue estime que ce serait une erreur que de définir cette question en termes de droits. “Nous persistons à créer des droits qu’on ne peut pas faire respecter et qui sont probablement impossibles à faire respecter. J’appelle cela la solution à la Marie-Antoinette.Ils n’ont pas d’écoles ■ Biographie où aller, alors donnons-leur des droits. C’est en 1934, On donne à un enfant une éducation à Chandernagor, calamiteuse et on pense ensuite pouvoir qu’André Béteille compenser avec des quotas dans l’un voit le jour d’un père des prestigieux Instituts indiens de tech- français et d’une mère bengalie. nologie”, affirme-t-il. Jeune homme, On peut dire que Béteille a beau- il part à Calcutta coup appris sur la hiérarchie sociale étudier la physique grâce aux réactions que suscita le avant de se tourner mariage de ses parents. Sa mère était vers l’anthropologie, une brahmane bengalie et son père puis vers un Français. Qu’ils soient hindous la sociologie. ou européens, la vie n’était pas fa- Pionnier de sa cile pour ceux qui faisaient des ma- discipline en Inde, riages mixtes. Né en 1934, Béteille il fonde le premier a passé son enfance avec sa grand- département de sociologie du pays mère maternelle à Chandernagor. à l’université Sa famille n’était pas aisée et, bien de Delhi en 1959. qu’elle fût liée, disait-on, à Suren- Aujourd’hui retraité, dranath Banerjea [leader indépen- il vient dantiste qui présida le Parti du de démissionner congrès en 1895 et en 1902], d’une prestigieuse Béteille ne doit sa carrière qu’à lui- commission même. Arrivé à Calcutta à l’âge de scientifique 11 ans, il a fait ensuite ses études nationale où il avait été nommé un an supérieures à St. Xavier. Il a complus tôt, en raison mencé par la physique avant de d’un désaccord choisir l’anthropologie à mi-par- sur la politique cours. Il parle de ses années d’études de discrimination avec chaleur. Ses amis marxistes lui positive. donnèrent ses moments les plus stimulants, même si la révolution le laissa complètement indifférent. A cette époque, il a également impressionné Nirmal Kumar Bose [1901-1972], l’éminent anthropologue et interprète de Gandhi. En 1959, Béteille fut nommé professeur au département de sociologie qui venait de se créer à la School of Economy de Delhi. Il y enseigna pendant quarante ans. Demandez-lui de parler de ses années là-bas : son visage s’illumine. Il a adoré l’atmosphère de progressisme, de laïcité et de bouillonnement intellectuel de l’université. Le jeune département ne comptait que trois professeurs, et Béteille se souvient avec amusement que les sociologues étaient les parents pauvres de ce campus où les économistes avaient la vedette. Parmi eux, il se souvient avec beaucoup de respect d’Amartya Sen [Prix Nobel d’économie 1998] et de Manmohan Singh [l’actuel COURRIER INTERNATIONAL N° 829 50 Premier ministre]. “[Ce dernier] était très patient et ne se montrait jamais intolérant envers les étudiants qui n’étaient pas doués”, assure André Béteille. Jeune homme, il adorait enseigner. Ses anciens élèves et collègues se souviennent qu’il n’était ni tyrannique, ni froid, ni condescendant. Abhijit Dasgupta, confrère et ami de longue date, confie que le sociologue est une source inépuisable de petites histoires méconnues et passionnantes. Quand on discute avec lui, on a droit à un flot de généalogies et de vies entières riches en rebondissements. Sa rigueur fait encore l’admiration de tous aujourd’hui. Il était dans son bureau de 8 heures à 12 h 30, reprenait à 14 heures et ne s’arrêtait que tard dans la soirée. Il refusait les séminaires et les conférences si leurs horaires empiétaient sur ses cours. Surinder Jodhka, qui enseigne la sociologie à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, raconte qu’André Béteille aurait même fait cours le jour de son mariage. Ceux qui veulent savoir pourquoi il n’a jamais accepté les propositions, parfois fabuleuses, de certaines universités étrangères, ont droit à une réponse toute simple : “Parce que je suis bien ici.” Pas de rhétorique, pas de discours patriotique. La polémique sur ce sujet n’a jamais été son style. Fervent défenseur de la qualité des établissements d’enseignement, Béteille s’est pourtant fait toute une série d’ennemis, notamment parce qu’il était totalement opposé aux syndicats. Selon lui, en organisant les professeurs sur le même modèle que les travailleurs, on les empêche de prendre pleinement part à la vie de leur université. Il ne souhaitait pas non plus que la sociologie soit enseignée en premier cycle, car ce n’est pas un sujet “léger” et il faut avoir une certaine maturité pour pouvoir l’aborder. Ses positions sur les castes ont aussi provoqué des controverses dans les années 1960 et 1970, une époque où la majorité des gens appelaient de leurs vœux la fin rapide de ce système. Pour le sociologue, les castes étaient non seulement impossibles à éliminer, mais leur disparition n’était pas totalement souhaitable. Il soutenait qu’il fallait plutôt favoriser l’égalité des chances – créer des conditions qui permettent à chacun de mener sa vie comme il l’entend – et non faire croire à chacun qu’il pouvait avoir la même chose que son voisin. Quoi qu’il en soit, André Béteille a toujours été prêt à réconcilier des gens ayant des opinions divergentes. Dipankar Gupta raconte qu’un collègue avait été arrêté pendant l’état d’urgence (1975-1977). Détenu quelque temps au Fort rouge de Delhi, il fut traduit devant le tribunal les yeux bandés. Quand on lui a enlevé le bandeau, il a eu les larmes aux yeux. En effet, Béteille, avec qui il avait eu de nombreuses divergences idéologiques qui avaient presque tourné à l’hostilité, était là, à la tête d’une délégation d’enseignants venus le défendre. Cette histoire est, bien sûr, un parfait exemple de l’engagement de Béteille en faveur de la société civile. L’intéressé démythifierait peut-être tout cela, comme à son habitude. “C’est une erreur de croire qu’on ne peut avoir des affinités qu’avec ceux qui nous ressemblent. Je pense que l’on peut avoir des affinités encore plus fortes avec ceux qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu’ils sont différents”, dit-il tout simplement. Shyama Haldar DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p50-51 SA 19/09/06 12:48 Page 51 Photos Johann Rousselot/L’Œil Public pour Courrier international ● ■ Petit aperçu de la bibliothèque de l’universitaire. On y trouve ses propres ouvrages, bien sûr, mais aussi ceux de certains de ses collègues sociologues, comme Mysore Narasimhachar Srinivas et Ramachandra Guha. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 ■ André Béteille dans son jardin à Delhi. ■ En bonne place devant les rayonnages de la bibliothèque de Béteille, les portraits de ses parents. 51 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 828 p54-55 19/09/06 11:53 Page 52 enquête ● LES CONCOURS MANDARINAUX EN QUESTION Quand la Chine inventait l’égalité des chances Pékin n considère souvent que Hong Xiuquan (18131864) a choisi le chemin de l’opposition à la dynastie Qing (1644-1911) en prenant la tête du mouvement rebelle des Taiping, après son quadruple échec aux concours mandarinaux. Le système des examens officiels avait fini par faire de ce jeune adolescent plein d’ambition un homme d’âge mûr, sans avenir – en dehors d’un emploi de précepteur, l’un des rares “débouchés” possibles pour les recalés aux concours mandarinaux. Ce système, alors en vigueur en Chine depuis plus de mille ans, sélectionnait année après année l’élite dont les gouvernants avaient besoin. Mais il a produit un nombre plus important encore d’êtres comme Hong Xiuquan, rejetés par le système, sans que, bien souvent, personne se souciât de leur sort. Quoi qu’il en soit, les concours mandarinaux ont toujours été, depuis leur apparition jusqu’à l’époque où vivait Hong Xiuquan, le meilleur moyen d’ascension sociale pour les enfants issus de familles ordinaires qui voulaient accéder aux sphères dirigeantes (et, pour cela, ils furent vantés par bien des visiteurs européens). En étudiant les classiques confucéens et en participant aux concours successifs organisés de manière unifiée par l’administration, ceux-ci pouvaient même espérer surpasser largement les personnes héritières de hautes fonctions du simple fait de leur naissance. En 1947, dans le cadre d’une étude statistique assez renommée sur les concours mandarinaux et la mobilité sociale, les sociologues Pan Guangdan et Fei Xiaotong ont analysé 915 copies vermillon – c’est-à-dire des copies recopiées à l’encre rouge par des tiers pour éviter que les examinateurs ne reconnaissent l’écriture des candidats – de l’époque des Qing. Grâce aux inscriptions portées sur les copies à la rubrique “lieu de résidence”, ils ont pu déterminer que 52,5 % des candidats admis étaient originaires de grandes agglomérations, 6,34 % de petites villes et 41,16 % de communes rurales. A l’époque, 90 % de la population chinoise habitait en zone rurale. La proportion de 41,16 % de reçus au concours issus de zones rurales leur semblait assez élevée. Au milieu du XXe siècle, aux Etats-Unis, la population rurale représentait 44,1 % de l’ensemble, mais ne donnait que 21,2 % des scientifiques et 13,9 % des hommes de lettres. Aussi les sociologues en ont-ils conclu que “la mobilité sociale, en apparence forte aux Etats-Unis, est en réalité assez faible, alors qu’en Chine, à l’époque des concours mandarinaux, la mobilité sociale était beaucoup plus élevée qu’elle ne le paraissait. En d’autres termes,l’ascenseur social incarné par les concours semblait en panne alors qu’il ne l’était pas.” En quelque mille trois cents ans d’existence, le système chinois des examens officiels n’a cessé d’inspirer confiance au simple quidam. “La régularité du système des concours mandarinaux était telle que celui-ci a réussi à se perpétuer de dynastie en dynastie. Même les empereurs n’osaient pas ou ne pouvaient pas le modifier à leur gré. O Abandonné il y a un siècle par la cour impériale des Qing, le système des concours mandarinaux suscite un peu de nostalgie. Malgré ses défauts, il demeure pour beaucoup de Chinois un symbole d’équité. C’était un phénomène qui s’apparentait au rythme naturel des mois et des saisons”, affirme Liu Haifeng, directeur de l’Institut de recherches sur l’éducation à l’université de Xiamen. Cette stabilité quasi immuable avait pour fondement le principe de l’égalité des chances. Tout au long de l’histoire du concours, les différentes modifications ont toujours visé à renforcer son caractère équitable. Sous les dynasties Sui (589-618) et Tang (618-907), le système en était encore à ses balbutiements. La nature et les modalités des épreuves étaient très diversifiées : les examens ne portaient pas seulement sur l’étude des classiques, mais comportaient aussi des sujets tels que l’arithmétique ou le droit. Cela avait certes l’avantage de sélectionner des hommes de talent ayant plusieurs cordes à leur arc, mais, comme les critères de jugement étaient en grande partie subjectifs, les cas d’injustice étaient assez fréquents. Il fallut attendre le règne de l’empereur Shenzong (10671085), sous la dynastie Song (960-1279), pour que soient réformés les sujets d’examen. De l’ancien sys- Zhang Yongzhe/Imaginechina ZHONGGUO XINWEN ZHOUKAN (extraits) En toge de diplômée devant la porte de l’université de Pékin. Les examens revenaient au rythme naturel des mois et des saisons COURRIER INTERNATIONAL N° 829 52 tème il ne subsista que les épreuves pour le titre de jinshi [docteur]. De nouvelles règles imposèrent de répondre aux questions uniquement en conformité avec les annales officielles des concours. Sous les Ming (1368-1644) et les Qing, non seulement il devint nécessaire de s’en tenir strictement aux interprétations des textes confucéens données par les deux frères Cheng [Cheng Hao (1032-1085) et Cheng Yi (1033-1108)] et par Zhu Xi (1130-1200), de l’école du principe d’ordre [connue en Occident sous le nom de néoconfucianisme], mais de sévères contraintes de style et de nombre de caractères furent désormais imposées pour les dissertations. Tout cela visait à rendre plus objectifs les sujets d’examen et les critères de notation, autrement dit à réduire au minimum les éléments subjectifs au moment de la correction. On assista également à une amélioration du système sur le plan technique. Sous la dynastie Song, les feuilles d’examen devinrent anonymes : le haut des cahiers d’épreuve, où étaient mentionnées des informations personnelles telles que le nom et l’adresse, était découpé ou scellé. Par la suite, on vit aussi apparaître le système du “recopiage”, destiné à éviter que les examinateurs ne reconnaissent une écriture. Il était alors demandé à des copistes d’établir des doubles des cahiers d’épreuve des candidats, et c’étaient ces copies qui étaient corrigées par les membres du jury. Malgré tout, l’histoire des concours mandarinaux est émaillée de controverses sur l’égalité devant les examens selon l’origine géographique des candidats. La première remonte à l’époque des Song du Nord (960-1127). Face au nombre de plus en plus important de lettrés originaires du sud du pays qui s’illustraient dans les concours mandarinaux, le clan du Nord, représenté par Sima Guang (1019-1086), proposa d’instaurer des quotas de sélection selon les régions, lesquelles pourraient proposer des candidats dans des proportions fixées, cela afin de rétablir l’équilibre entre le Nord et le Sud. Le clan du Sud, avec à sa tête l’historien Ouyang Xiu (10071072), défendait, quant à lui, un recrutement fondé sur le seul mérite, sans faire de distinction selon l’origine géographique des candidats. Pour finir, ce fut l’opinion de Ouyang Xiu qui prévalut, accentuant la domination des lettrés du Sud. Cette tendance atteignit son apogée au début de la dynastie Ming. En 1397, lors de la session de la deuxième lune, l’ensemble des cinquantedeux candidats admis étaient originaires du sud du pays, ce qui provoqua la colère des lettrés du Nord. Ceux-ci envoyèrent une lettre de doléances à l’empereur de l’époque, Zhu Yuanzhang (1328-1398), dans laquelle ils estimaient que les examinateurs avaient avantagé les candidats méridionaux et réclamaient une seconde correction des épreuves. Finalement, l’empereur lui-même s’acquitta de cette tâche, et les soixante et un nouveaux admis provenaient tous du nord du pays. Après cette affaire, le déséquilibre de recrutement entre les candidats du Nord et du Sud s’améliora quelque peu.Vers le milieu de la dynastie Ming fut mis en place un nouveau système d’examens, divisant le pays en trois zones : nord, centre et sud, avec des quo- DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 828 p54-55 19/09/06 11:54 Page 53 Bridgeman/Giraudon Le concours de mandarinat au temps de l’empereur Shenzong (1023) sous la dynastie Song. Peinture datant des Qing (1644-1911). L’enseignement de base est orienté vers la préparation aux épreuves He Zi/Imaginechina tas d’admission différents. Ce système fut à son tour remplacé à l’initiative de l’empereur Kangxi (16621722), de la dynastie Qing, par un recrutement au niveau provincial. Le nombre de reçus était proportionnel à celui des candidats de chaque province. C’est un principe qui est resté en vigueur dans le système des examens officiels et dont on retrouve même des traces dans le concours actuel d’entrée à l’université (gaokao). Thomas H. C. Lee, historien de l’éducation et professeur à l’université de New York, estime que le caractère égalitaire des concours mandarinaux est au cœur du système. Depuis sa création, les différentes mesures adoptées ont toujours cherché à développer davantage l’égalité des chances. Pour lui, les fondateurs des concours mandarinaux ont cependant négligé une question essentielle : si l’on ne fournit à l’ensemble du pays qu’une seule échelle de valeurs et qu’un seul mode de pensée, toute action visant à promouvoir l’égalité finit par entraîner une sclérose idéologique et une perte de puissance créatrice. Ce fut effectivement le plus gros défaut du système des examens officiels dans la dernière période de leur existence. Yuan Weishi, professeur à la faculté d’histoire de l’université Sun Yat-sen, à Canton, estime tout à fait rationnel ce système qui sélectionnait les talents d’une façon plus équitable que l’ancien système aristocratique en vigueur sous les Sui. Pourtant, après la dynastie Ming, en raison du rétrécissement des canaux de mobilité offerts aux hommes de mérite et aussi à cause du contenu des épreuves, limité strictement au cadre du bagu wen [dissertation sur les textes canoniques rédigée selon les huit périodes successives de la rhétorique chinoise classique], les examens officiels dégénérèrent en un système réactionnaire et arriéré, affirme-t-il. Dans un amphithéâtre de l’université de Pékin. Sous les Ming et les Qing, les gouvernants intégrèrent complètement le système des examens officiels dans le cursus des établissements scolaires. Les matières qui n’étaient pas des épreuves du concours furent abandonnées, et les cours se focalisèrent sur la réussite au concours, avec, au cœur de l’enseignement, les dissertations types du style bagu wen. On peut se demander si les candidats aux concours impériaux “en bavaient” vraiment plus qu’un étudiant d’aujourd’hui pour réussir le concours d’entrée à l’université. Selon les estimations du chercheur japonais Miyaki Chisadu, un can- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 53 didat aux concours impériaux devait connaître par cœur plus de 400 000 caractères anciens pour comprendre parfaitement les classiques confucéens tels que les Quatre Livres et les Cinq Ouvrages canoniques. Aujourd’hui, un étudiant ordinaire, pour réussir le concours d’entrée à l’université, doit passer, outre les évaluations habituelles de milieu et de fin de semestre, une multitude d’épreuves se succédant à un rythme infernal, remplir des milliers de copies et s’astreindre à un temps d’étude quotidien de plus de dix heures. Pour finir, son avenir se joue sur une seule épreuve, ce qui est encore plus cruel que les concours mandarinaux trisannuels… Par une étrange analogie, l’importance du concours d’entrée à l’université dans les études actuelles est telle que l’enseignement de base en est devenu un simple appendice. Mais il faut bien avouer que le concours a si bien fait la preuve de son impartialité et de son équité qu’il serait difficile de le remplacer par un autre mode d’évaluation des acquis de l’enseignement. En 1989, la Chine a amorcé une première véritable réforme dans le mode de recrutement de ses fonctionnaires [remplaçant le système d’affectation des étudiants diplômés, en déshérence]. Sous l’égide conjointe du département de l’organisation du Parti communiste et du ministère des Affaires du personnel a été instauré un examen de recrutement d’agents pour les organismes publics relevant de l’autorité centrale. Mais c’est seulement en 1994 qu’un examen pour le recrutement des fonctionnaires a véritablement été mis en place sur une grande échelle. Cette année-là, le ministère des Affaires du personnel a publié des “dispositions provisoires concernant le recrutement des employés de l’Etat”, c’est-à-dire un règlement qui marquait officiellement l’instauration d’un examen à ces fins spécifiques. Une enquête statistique montre que, fin 2003, 700 000 fonctionnaires avaient été recrutés ainsi, soit presque l’équivalent du nombre de reçus à chaque session des concours mandarinaux de second grade. De nos jours, les défauts d’un système éducatif obnubilé par la préparation des examens font l’objet de nombreuses critiques. Malgré cela, le 25 octobre 2005, une enquête publiée par le Centre de recherches sur la jeunesse chinoise (CRJC) et intitulée “Situation et espoirs des élèves chinois du primaire et du collège concernant leurs études et leur vie quotidienne” montrait qu’à Pékin 58 % des écoliers étaient favorables à un examen d’entrée au collège, tandis qu’au niveau national le pourcentage dépassait les 63 %. Ainsi, alors que la suppression de l’examen d’entrée au collège visait au départ à alléger la charge de travail des écoliers, ceux-ci semblent pourtant préférer cette formule. Pour le directeur adjoint du CRJC, Sun Yunxiao, cet état d’esprit s’explique principalement par le fait que la plupart des élèves pensent qu’un examen d’entrée au collège leur donne l’occasion de concourir à chances égales. On voit donc que, malgré leur abandon il y a un siècle environ, les concours mandarinaux sont toujours présents dans le cœur des Chinois et servent aujourd’hui d’argument à tous les défenseurs du système d’examens actuel, au nom d’un recrutement fondé sur le mérite et de l’égalité des chances. Cependant, les maux du système de jadis tourmentent toujours les gens d’aujourd’hui. Il s’agit notamment des obstacles que dressent sur leur route le principe simpliste et figé de l’“égalité des chances” et l’étouffement des personnalités induit par la quête de l’objectivité à tout prix. Si l’on ne parvient pas à s’affranchir de ces maux, le système actuel des examens risque fort de manquer de points d’appui. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 Sun Zhan et Zheng Chu 829p54-59* 18/09/06 20:49 Page 54 dossier ● BELGIQUE La fièvre flamande ■ Elections municipales le 8 octobre prochain, législatives au printemps 2007 : le ton du débat électoral ne cesse de monter en Belgique avec, en toile de fond, un regain des tensions entre Wallons et Flamands. ■ L’agitation est surtout forte en Flandre, où le Vlaams Belang, le parti de l’extrême droite nationaliste, accroît régulièrement son audience et espère conquérir la municipalité d’Anvers. ■ Une fièvre qui manifeste une demande d’autonomie accrue, voire d’indépendance, dans une grande partie de la population néerlandophone. Au risque de casser l’unité toujours fragile du royaume. Une rhétorique politique Le ministre-président de Flandre a affirmé que “la Belgique n’est pas une valeur en soi”. Cette attitude légitime le nationalisme ambiant. DE MORGEN Bruxelles uc Van den Brande jeta un jour un coq wallon en caoutchouc à son chien, qui le déchiqueta devant les yeux des caméras de télévision. L’ancien ministre-président flamand n’arrivait pas à cacher sa délectation. Et, lorsque les francophones ne prirent pas cela à la rigolade, il décréta que ceuxci n’avaient aucun sens de l’humour. A présent, c’est son successeur,Yves Leterme, qui ne comprend pas pourquoi les Belges francophones s’excitent à propos de son interview à Libération [le 17 août dernier]. Le fait qu’ils ne soient pas en “état intellectuel” d’apprendre le néerlandais n’était qu’ironie. Et c’est le journaliste français qui a compris, à tort, que le roi parlait mal le néerlandais. Personne, en Flandre, n’a l’air choqué que le ministre-président offense nos compatriotes francophones par des clichés populistes qui ne dépassent pas le niveau des conversations de café, L ■ Identité “C’est peut-être bien ça, le charme de la Belgique : nous refusons majoritairement l’identité belge mais nous indiquons justement ce refus comme première caractéristique”, écrit le rédacteur en chef du Morgen, Yves Desmet. A l’étranger, on n’hésite pas à affirmer : ‘Je suis belge ! Et fier de l’être.’ Même 3si on ne sait pas vraiment pourquoi.” à l’exemple de : “La Belgique est un accident de l’Histoire.” Comme si la Flandre n’en était pas un : l’Histoire est un enchaînement d’accidents auxquels seuls les mythes peuvent donner un sens. Que la Flandre soit prédestinée à devenir un Etat est l’un de ces mythes. La Flandre n’a jamais été une entité politique, et les Flamands ont toujours vécu dans un creuset de cultures différentes. Mais ce genre de “grande vérité” passe facilement chez les Flamands qui n’ont jamais rencontré de francophones et ne comprennent pas que qui que ce soit veuille vivre à Bruxelles. Ce qui est agaçant, c’est que Leterme confirme par ses propos des préjugés tels que : les francophones continuent à prendre les Flamands de haut et leur volonté d’apprendre le néerlandais est inexistante. A Bruxelles, les écoles néerlandophones sont remplies de francophones, parce que leurs parents se rendent compte de l’importance du bilinguisme. Mais cette réalité est probablement trop nuancée pour marquer des points électoraux auprès la base flamingante. N’y a-t-il donc personne en Flandre qui comprenne que les francophones se posent des questions lorsque le ministre-président flamand ne va pas plus loin que la bière et le football lorsqu’on lui demande ce qui nous lie encore dans ce pays ? Cela ne dénote vraiment pas le moindre intérêt pour la culture de ce pays. Mais COURRIER INTERNATIONAL N° 829 54 la double identité, dont Leterme est, avec un père wallon et une mère flamande, assez ironiquement l’un des produits, ne l’intéresse plus. “La Belgique n’est pas une valeur en soi”, philosophe encore Leterme dans son interview. Pour un homme qui ambitionne de prendre la tête du pays en question, ce sont là des paroles qui peuvent compter. Et, pour faire entièrement plaisir aux durs flamands, Leterme veut éliminer les facilités [dispositions permettant aux francophones d’utiliser leur langue dans certaines zones flamandes] de la périphérie, puisque les francophones ne veulent de toute façon pas apprendre le néerlandais. La suppression des facilités est pourtant, d’un point de vue flamand, aussi bête que la demande de scission de Bruxelles-HalVilvorde. Mais ces exigences dépassées ont une grande valeur symbolique pour une partie du mouvement flamand, parce qu’elles doivent compenser l’injustice faite aux Flamands lorsque la francisation de la Flandre était réelle et que le néerlandais était méprisé. Il ne fait aucun doute que tel était le cas il y a une cinquantaine d’années. Mais ce danger n’existe plus dans la Flandre de 2006. Les Flamands ont pris trop d’assurance pour cela, et plus personne ne croit que le français soit supérieur au néerlandais. Oser proclamer cette réalité à haute voix reste un grand tabou pour de nombreux flamingants. La périphérie DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p54-59 18/09/06 20:32 Page 55 CHRONOLOGIE Escalade verbale revancharde de Bruxelles reste pour eux aussi inviolable que la Terre sainte et doit à tout prix être reconquise sur les francophones. “Aanpassen of verzuihen” (“S’adapter ou déménager”) et “Waalse ratten,rol uw matten” (“Rats wallons, pliez bagages”) sont des slogans qui ont déjà été peints par des commandos du TAK [comité d’action linguistique – flamingant] sur Le lion flamand et le coq wallon. Dessin de Clou paru dans La Libre Belgique, Bruxelles. POLÉMIQUE Les Wallons contre-attaquent ■ “Revoilà l’Etat francophone”, titrait Le Soir le 18 septembre, au lendemain du discours – qualifié de “musclé” par le quotidien bruxellois – qu’a prononcé le ministre-président de la Région wallonne, Elio Di Rupo. En réponse à son homologue flamand, Yves Leterme, qui souhaite remettre en question les “facilités” – qui permettent aux francophones d’utiliser leur langue dans certaines zones de Flandre –, Rupo prévient : “Remettre en question les facilités, c’est accepter la renégociation de la frontière linguistique. […] C’est créer un ensemble territorial continu entre la Wallonie et l’autre Région francophone du pays”, c’est-à-dire la Région BruxellesCapitale. Encore plus explicite, le chef de l’exécutif wallon remarque que “Wallonie et Bruxelles côte à côte, c’est près de 4 millions et demi d’habitants ; l’équivalent de l’Irlande”. “De là à parler de ‘nation’ou d’‘Etat’ francophone, il n’y a qu’un pas, que Di Rupo ne franchira pas”, estime Le Soir. “Il le laissera sous-entendre à ceux qui préfèrent le lire entre les lignes.” des maisons francophones de la périphérie bruxelloise. Il semblerait que le ministre-président flamand relaie aujourd’hui ces idées. C’est un trait flamand désagréable que de devenir de moins en moins tolérant envers les étrangers et les allochtones, dans la quête d’une autonomie toujours plus grande. Partant d’un vieux complexe d’infériorité flamand, l’obsession d’une Flandre en tant que territoire linguistique homogène conduit à une impossibilité de vivre en communauté avec des non-Flamands. Leterme ne veut pas construire des ponts avec les francophones, il veut juste les enquiquiner, par exemple en qualifiant finement les 80 % de Bruxellois “francophones” de “non néerlandophones”. Si nous voulons que les francophones respectent notre langue, nous devons nous garder de prononcer des paroles dénigrantes à propos de la majorité des Bruxellois. Le ministre-président légitime ainsi de manière tacite l’insupportable nationalisme flamand. Le N-VA [formation nationaliste issue de l’ex-parti régionaliste Volksunie] hoche la tête d’un air approbateur, le Vlaams Belang voit son propre agenda mis à exécution par d’autres. Leterme tirera de ses propos musclés des profits électoraux, mais il est à craindre que, avec ce genre d’éructations, la Flandre ne se replie de plus en plus sur elle-même. Luckas Vander Taelen COURRIER INTERNATIONAL N° 829 55 ■ 10 mai 2005 Echec des négociations de la majorité gouvernementale sur le sort de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV). Cette entité hybride, à cheval sur la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale, garantit l’accès à un appareil judiciaire bilingue aux habitants de la périphérie bruxelloise (qui vivent en Région flamande) de même que la possibilité de voter pour des candidats francophones bruxellois lors des élections législatives et européennes. Les partis flamands introduisent une proposition de loi visant à scinder la circonscription électorale de BHV, les francophones estiment de leur côté que cette scission mettrait fin aux droits dont ils jouissent actuellement. L’échec des négociations est perçu comme une défaite pour la Flandre et une première victoire linguistique des partis francophones. Les discussions sur ce sujet sont reportées après les prochaines élections législatives de 2007. ■ 29 novembre 2005 Le groupe de réflexion flamand In de Warande publie un “Manifeste pour une Flandre indépendante en Europe”, qui prône l’indépendance de la Flandre et, en corollaire, la disparition de l’Etat belge. Ce groupe d’hommes d’affaires et de professeurs d’université réunis autour de l’ancien patron de la banque KBC, Remi Vermeiren, estime que l’avenir de la Flandre exige une sécession immédiate. ■ 8 février 2006 L’ex-ministre-président de la Région wallonne, Jean-Claude Van Cauwenberghe, rédige une “Proposition de Constitution wallonne” en opposition au projet flamand de Constitution flamande présenté en 1997 par son ex-homologue flamand. ■ 1er juin 2006 La Chambre des représentants accepte de débattre d’un texte de l’extrême droite flamande appelant à la partition du pays. Tous les députés flamands ont voté pour, tandis que tous les Wallons s’y ont opposés. ■ 30 juin 2006 Une enquête de l’hebdomadaire Le Vif-L’Express menée auprès de 509 élus belges à l’occasion des 175 ans du royaume montre que trois quarts des parlementaires flamands réclament au minimum une monarchie réduite à un rôle simplement protocolaire ou cérémoniel. Et deux tiers des députés et sénateurs flamands se disent républicains, tandis que la majorité des francophones semblent rester royalistes. C’est exactement l’inverse de l’après-guerre lorsque la Flandre souhaitait le retour de Léopold III et que les francophones s’y opposaient. ■ 17 août 2006 Le ministre-président flamand, Yves Leterme, déclare au quotidien français Libération que les francophones ne sont pas en “état intellectuel d’apprendre le néerlandais” et évoque “les difficultés des leaders politiques francophones, et même du roi de ce pays, à parler couramment le néerlandais”. ■ 29 août 2006 Le conseil communal de Merchtem décide de n’admettre que le néerlandais dans quatre de ses écoles communales. Le bourgmestre de la commune interdit l’usage de toute autre langue que le néerlandais à l’école, dans les relations, écrites ou orales, entre parents et enseignants ainsi qu’entre enfants. ■ 14 septembre 2006 Le ministre-président flamand, Yves Leterme, déclare vouloir un nouveau statut pour Bruxelles et annonce que le sort de la Région bruxelloise fera partie des négociations pour former un gouvernement après les législatives de 2007. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p54-59 18/09/06 20:38 Page 56 dossier La richesse, facteur de division Les inégalités économiques et sociales entre les deux Régions incitent certains dirigeants flamands à réclamer plus d’autonomie pour la Wallonie … et donc pour eux-mêmes. DE MORGEN Bruxelles e nord et le sud du pays naviguent de plus en plus loin l’un de l’autre. Les indicateurs économiques indiquent un gouffre grandissant entre la Flandre et la Wallonie. Le revenu d’un Flamand est en moyenne supérieur d’un quart à celui d’un Wallon. Un Flamand paie donc plus d’impôts et de contributions sociales que son compatriote habitant au sud de la frontière linguistique. C’est ce qui ressort des derniers chiffres publiés [au printemps dernier] par l’Institut des comptes nationaux (ICN). Les différences ont fortement augmenté ces dernières années. Alors que, en 1995, la différence de revenu entre un Flamand et un Wallon ne s’élevait qu’à 3 038 euros, ce chiffre a atteint 4 188 euros en 2003. C’est une hausse de presque 38 %. En 1995, un Flamand payait en moyenne 484 euros d’impôts de plus qu’un Wallon. En 2003, la différence est de 734 euros, en hausse de 51 %. Il existe également de L grandes différences dans d’autres domaines. Le taux de chômage en Wallonie (16,5 %) est le double du taux en Flandre (7,6 %). Alors que, au début de la crise pétrolière, en 1973, il y avait autant de Flamands que de Wallons sans emploi (3 %). “Quand on voit de si grandes différences, on ne peut qu’admettre clairement que quelque chose va mal”, déclare Herman Van Rompuy, ancien ministre [fédéral] du Budget et actuel membre de l’opposition chrétienne-démocrate. “Les statistiques belges sont bonnes pour la Flandre, mais le rapport de l’ICN est une mauvaise nouvelle pour la Wallonie et surtout pour ses dirigeants.” Si la Wallonie veut rattraper la Flandre, son économie devra croître de 1,4 % plus rapidement que l’économie flamande lors des prochaines années, a ainsi calculé Ludwig Caluwé, chef du groupe des chrétiens-démocrates (CD&V) au Parlement flamand. Caluwé, qui appartient à la frange flamande radicale au sein de son parti, espère que ces sombres chiffres amèneront la Wallonie à faire un pas vers une nouvelle réforme des institutions afin qu’elle puisse avoir entre les mains ses propres leviers socioé-conomiques : “Par le passé, il y a eu beaucoup de tentatives pour remettre la Wallonie sur la bonne voie, mais sans aucun résultat. La seule possibilité non encore explorée est de rendre la Wallonie responsable de sa propre politique socio-économique.” Pour les chrétiens-démocrates flamands, cela signifie concrètement que la Wallonie doit être responsable en matière d’emploi, de prise en charge du chômage, d’impôt sur le revenu Dessin de Turcios, Colombie. et de conventions collectives. Ce dernier point est particulièrement important, car la Wallonie fait face à un problème de concurrence. Les coûts salariaux y sont plus élevés qu’en Flandre. En régionalisant les conventions collectives, le gouvernement wallon pourrait veiller à ce que les salaires augmentent plus lentement qu’en Flandre. Une telle politique pourrait donner plus d’oxygène au secteur privé wallon. “Les Wallons peuvent choisir : soit ils se dirigent vers l’enfer, soit ils décident de s’adapter”, ajoute Herman Van Rompuy. Johan Corthouts Les PME jouent la carte communautaire Huit petits patrons sur dix souhaiteraient davantage d’indépendance économique et sociale pour leur Région. LA LIBRE BELGIQUE Bruxelles écidément, le communautaire revient en force. Après Yves Leterme et ses déclarations tonitruantes sur les francophones, c’est au tour des PME flamandes de jeter de l’huile sur le feu en réclamant massivement davantage d’autonomie pour la Flandre. Une revendication qui suit celle d’autres patrons flamands : on se souvient qu’en novembre le Warande Groep – dans lequel on retrouve certains grands formats – avait suscité la polémique en publiant un manifeste pour “une Flandre indépendante en Europe”. Dans le cas des PME, les choses vont moins loin, mais la tendance est claire. D’après une enquête menée auprès de 700 entreprises fla- D mandes de 1 à 50 salariés par l’UNIZO, l’association des classes moyennes flamandes, plus de 80 % des PME du nord du pays considèrent qu’il faut régionaliser totalement la politique de l’emploi. Elles sont également entre 70 % et 80 % à vouloir davantage d’autonomie pour la Flandre en matière de salaires, de conditions de travail, de soins de santé, d’allocations familiales et d’impôt sur les sociétés. Enfin, elles sont entre 60 % et 70 % à considérer comme “importante” une régionalisation plus poussée de la formation, de l’énergie et de la mobilité. Loin de se désintéresser des questions communautaires, comme beaucoup le pensaient, les entrepreneurs flamands sont même plus de 50 % à réclamer qu’il n’y ait pas de nouveau gouvernement fédéral si une nouvelle réforme de l’Etat n’intervient pas après les élections législatives programmées en 2007. Ces résultats ont surpris les responsables de l’UNIZO, moins radicaux que leurs homologues du Vlaams Economisch Verbond (VOKA). Alors qu’ils disposaient des chiffres depuis le mois de juin, ils ont d’ailleurs attendu quelques semaines avant de les publier… “Nous n’avons aucun intérêt à créer une polémique entre les Régions. Bien au COURRIER INTERNATIONAL N° 829 56 ■ Sondages Parmi les chefs d’entreprise flamands, 68 % veulent mettre fin au cordon sanitaire autour du Vlaams Belang, mais 75 % d’entre eux estiment que le parti d’extrême droite ne doit pas gouverner le pays, rapporte le quotidien économique De Tijd. Alors que 8 entrepreneurs flamands sur 10 ont confiance dans le gouvernement flamand, seuls 22 % des chefs d’entreprise francophones se retrouvent dans la politique du gouvernement wallon. contraire”, affirme dans le Standaard Karel Van Eetvelt, l’administrateur délégué de l’UNIZO, en appelant à un dialogue avec les patrons et les politiciens wallons. “Nous voulons discuter sur la base de données économiques objectives, pas sur la base de slogans communautaires”, dit le patron de l’UNIZO. Il n’empêche : derrière ce discours apaisant, l’UNIZO précise tout de même que cette enquête prouve qu’il y a un “besoin urgent d’une négociation constructive en vue d’une régionalisation plus poussée”. “Les entrepreneurs veulent avant tout que les choses fonctionnent de manière plus efficace”, affirme le porte-parole de l’association, Ronny Lannoo. “Ils ont le sentiment que les précédentes régionalisations de compétences n’ont pas été suffisamment abouties et que, dès lors, la gestion de l’Etat est devenue moins transparente.” Mais, pour Ronny Lannoo, il faut davantage y voir une réaction “pragmatique” qu’un rejet pur et simple de la Belgique ou de la Wallonie, qui restera toujours le premier partenaire commercial de la Flandre. La preuve, dit-il : une majorité des patrons interrogés préfèrent la marque Belgique à la marque Vlaanderen lorsqu’il s’agit d’exportation. Mathieu Van Overstraeten DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p54-59* 18/09/06 20:42 Page 57 BELGIQUE LA FIÈVRE FLAMANDE ● Pour une nouvelle forme de fédéralisme Selon Philippe Van Parijs, Flamands et Wallons doivent s’entendre pour faire évoluer la structure du pays, avec Bruxelles comme dénominateur commun. M ER DU N ORD PAYS-BAS RÉGION FLAMANDE * Indice du Produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d’achat (données de 2003) Base : Union européenne (des 25) : 100 Belgique : 118,1 Source : Eurostat 6 043 161 hab. (2005) PIB-PPA* : 116,9 Anvers Bruges BRUSSEL DEZE WEEK (extraits) Bruxelles FLANDREOCCIDENTALE FLANDRE- Merchtem BRABANT FLAMAND ORIENTALE Bruxelles RÉGION BRUXELLESCAPITALE 1 006 749 hab. DR epuis que le philosophe et économiste de gauche Philippe Van Parijs est revenu vivre à Bruxelles, après plus de huit années de vagabondage universitaire d’Oxford à Florence, il regarde notre petit pays avec intérêt. Curieusement, en tant que Bruxellois francophone, il n’est pas du tout choqué par les déclarations du ministreprésident de la Flandre,Yves Leterme, membre du CD & V (parti démocrate flamand), selon lequel “la Belgique n’est pas une valeur en soi”. PHILIPPE VAN PARIJS Ce qu’Yves Leterme a dit ne m’a pas choqué. Ce que Guy Spitaels (chef de file du Parti socialiste francophone) disait il y a vingt ans était bien pire. Il avait mené sa campagne en utilisant de grandes affiches montrant son portrait, avec pour seul slogan : “Pourquoi croyez-vous qu’ils ne m’aiment pas ?” Les francophones devaient bien entendu comprendre que “ils” signifiait les Flamands, et que c’était une bonne raison de voter pour lui. C’est donc une sorte de retour de bâton. Ces excès verbaux s’expliquent par le système électoral actuel : si l’on défend sa propre communauté, on est récompensé par les urnes. Quelle que soit la direction dans laquelle nous souhaitons évoluer – y compris vers une plus grande autonomie –, un consensus est nécessaire. La seule manière d’avancer est de créer une dynamique politique qui s’oppose à la surenchère communautaire. Ne croyez-vous pas que le moment viendra où la Flandre dira : “Fini la chanson, nous allons faire cavalier seul” ? Si nous voulons scinder le pays, nous devons poser la question des frontières. Cela ne peut se faire qu’au moyen d’un référendum. Cela aura pour conséquence que la Flandre comme la Wallonie perdront une partie de leur territoire, car une scission en fonction des frontières linguistiques actuelles n’est pas réaliste. Il faudra des années pour que cette procédure soit terminée. Nous pouvons ainsi réfléchir à la fin de la Belgique. Il est intéressant de spéculer sur ce sujet, mais je pense que Bruxelles joue un rôle tellement central dans ce pays que les deux entités fédérées ne peuvent s’en passer. Cela ne veut pas dire que nous ne puissions pas continuer à rafistoler la structure de l’Etat. Parmi les compromis qui par le passé se sont révélés nécessaires pour permettre à un Etat multinational de fonctionner, certains étaient intéressants : la double majorité au Parlement fédéral, le principe de territorialité. Certains compromis ne sont pas bons. L’un d’entre eux concerne les facilités [dans les communes à facilités, chacun a la possibilité d’utiliser la langue de son choix dans ses relations avec les services publics]. Cette mauvaise partie de la réforme de l’Etat doit être supprimée, et la Flandre a le droit d’obliger les francophones de la zone frontalière à apprendre le néerlandais. D ANVERS Gand HAINAUT BRABANT WALLON Louvain Wavre LIMBOURG Hasselt Liège Eupen Namur Mons LIÈGE Malmedy (chiffre de 2005) ■ Idée Philippe Van Parijs fait partie, avec d’autres universitaires, du groupe Pavia. Ce groupe n’a qu’“une seule proposition concrète, rapporte Brussel Deze Week : la suppression du Sénat et la création d’une circonscription électorale fédérale en Belgique, où, en dehors des circonscriptions provinciales, les grandes pointures politiques pourraient s’affronter. Il n’y a que dans la circonscription de Bruxelles-HalVilvoorde (BHV) que les néerlandophones peuvent voter pour un francophone et vice versa. Pourquoi n’est-ce pas le cas dans l’ensemble du pays ? Cela enlève aussitôt des tensions et élimine le déficit démocratique car la politique du gouvernement fédéral peut au moins tenir compte de toute la population belge.” WEB+ Plus d’infos sur courrierinternational.com Retrouvez en ligne de plus larges extraits de cette interview PIB-PPA* : 237,6 NAMUR LUXEMBOURG L’ETAT FÉDÉRAL BELGE Limite des 3 Régions Région bilingue ALLEMAGNE FRANCE LUXEMB. Arlon Limite des 10 provinces Communauté flamande Communauté française de Belgique Communauté germanophone Saint-Vith RÉGION WALLONNE 3 395 942 hab. (2005) PIB-PPA * : 85,0 0 50 km Bruxelles : capitale fédérale, capitale de la Région Bruxelles-Capitale, capitale à la fois de la Région flamande et de la Communauté flamande, capitale de la Communauté française de Belgique. Eupen : capitale de la Communauté germanophone. Namur : capitale de la Région wallonne. Quelles sont, pour Bruxelles, les implications d’un tel raisonnement ? La cohabitation des deux langues se passe bien, mais c’est évidemment un processus d’assassinat pour la langue la plus faible. Il y a la loi de Jean Laponce, un professeur français qui enseigne au Canada. Selon lui, plus les gens sont gentils entre eux, plus les langues sont en violente opposition. On assiste toujours au triomphe de la langue dominante. A Bruxelles, c’est celui du français, face auquel le néerlandais disparaîtra peu à peu. Le processus de francisation de Bruxelles est ralenti, mais il se poursuit. Dans les milieux internationaux, le français passe luimême à l’arrière-plan au profit de l’anglais. Vous connaissez beaucoup de monde au sein de la communauté européenne à Bruxelles. Croyez-vous, comme Yves Leterme, à un modèle de type Washington DC ? Renvoyer à Washington DC est déconcertant. Cela voudrait dire que les Bruxellois n’auraient plus le droit d’élire des représentants au Parlement belge ou européen. Mais Bruxelles peut-elle devenir une sorte de principauté européenne ? Seulement si les Bruxellois ont des droits sur leur propre territoire. Même ceux qui n’ont pas la nationalité belge. Ensuite, l’Union européenne devrait exercer plus de pouvoir sur Bruxelles. De nos jours, l’UE ne donne pas un sou à la ville. Ce n’est pas logique. Il n’existe pas un seul Etat fédéral dans le monde qui n’investisse pas dans sa capitale. Cette situation n’est plus tenable. Pourtant, je ne crois pas que Bruxelles puisse devenir un territoire européen indépendant, avec des citoyens sans nationalité – ou avec une natio- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 57 nalité européenne. Les deux autres entités fédérées de ce pays n’en éprouveront que des inconvénients. Il est beaucoup plus simple de maintenir l’Etat actuel et de le peaufiner. Vous dites aussi : “Plus de région, moins de communauté”… Les communautés vont disparaître. Il s’agissait d’une phase de transition qui n’était pas inintelligente en vue de constituer un Etat multinational. La Belgique de papa, l’Etat unitaire, est devenue une Belgique de bon-papa, tribale, où l’on pense par exemple que Bruxelles est composée de deux communautés. C’est absurde et cela devient de plus en plus surréaliste. L’avenir de notre pays est celui de trois Régions qui diffèrent de plus en plus les unes des autres. Notre problème belge n’est pas un problème provincial de quelques groupes tribaux. Il est universel, et cela pour deux raisons : l’existence d’une diversité linguistique répartie sur une structure territoriale et l’existence d’une démocratie formelle. En fait, la diversité linguistique ne constitue pas un problème, comme l’écrivait déjà en 1861 John Stuart Mill, tant que l’on a un régime despotique. La Yougoslavie et l’URSS en étaient de parfaits exemples. Dès que le peuple a son mot à dire, un problème surgit parce qu’il n’existe pas de langue commune. La Belgique a pu fonctionner pendant très longtemps parce que l’élite flamande parlait le français. C’est encore le cas aujourd’hui : sur 100 Belges bilingues, il y a 80 Flamands. La Belgique se transforme en un Etat fédéral, et nous n’en sommes encore qu’au début. Le fédéralisme belge ne fait que commencer*. Propos recueillis par Steven Van Garsse * En français dans le texte. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p54-59 18/09/06 20:28 Page 58 dossier Anvers, ville en résistance La conquête de la métropole flamande est l’objectif principal de l’extrême droite aux élections du 8 octobre. Pour s’y opposer, le maire socialiste en exercice mène une politique urbaine ambitieuse. LE SOIR (extraits) Bruxelles ue connaît-on d’Anvers-Antwerpen, à Bruxelles ou en Wallonie ? Trois clichés et un préjugé. Le zoo, qu’on visite dès qu’on sort de la gare Centrale à la majestueuse verrière. Les boutiques du Meir, cette spacieuse et prestigieuse artère piétonne. Les gloires artistiques de la Grand-Place (littéralement “le Grand Marché”) et sa cathédrale à une seule tour. Au rayon politique, on pense, illico, au Vlaams Blok, qui s’est rebaptisé Vlaams Belang (VB, “Intérêt flamand”) sitôt après sa condamnation pour racisme par la cour d’appel de Gand [en novembre 2004]. A Anvers, où il est né, le parti raciste et néofasciste séduit un électeur sur trois. Montez dans un tram et comptez. Si l’on soustrait tous les passagers au teint peu ou prou bronzé, ça fait beaucoup de monde. De là le préjugé. Côté francophone, on jette l’opprobre sur Anvers, qualifiée vite fait de ville raciste. On subodore l’agenda caché du Vlaams Blok à chaque initiative que prennent les partis démocratiques. A la différence du Front national wallon, le Vlaams Blok-Belang est coaché par des Q hommes politiques aussi subtils que leur langage est primaire. Maîtres dans l’art de la victimisation, ils retournent à leur profit toutes les mesures qu’on prend à leur encontre. Les démocrates flamands rétorquent volontiers aux francophones : “Si vous avez une recette miracle contre le VB, donnez-la-nous. Nous, on a tout essayé.” Tout ? Non, pas encore. Patrick Janssens, bourgmestre (socialiste) d’Anvers depuis trois ans, tente une nouvelle stratégie, celle du Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. management. Il la gère comme une entreprise, sa ville de 460 000 habitants. Le maire veut rendre aux “Sinjoren” (surnom des habitants) leur fierté d’être Anversois. Il a lancé sa ville dans le chantier du siècle. Les avenues, le ring, les quais, les ponts se métamorphosent. L’ancienne gare du Nord, dans un quartier à problèmes, va être transformée en grand parc public. Les jeunes adorent vivre dans une grande ville (la seule de Flandre, disent-ils) qui est CULTURE La musique pour contrer l’intolérance Le 1er octobre, plusieurs concerts auront lieu en Belgique “contre le racisme, l’extrémisme et la violence gratuite”, à l’initiative du groupe de rock dEUS, originaire d’Anvers. Le chanteur, Tom Barman, explique ce qui l’inquiète dans sa ville. ’ai du mal à parler d’Anvers quand je pense à la tuerie qui y a eu lieu en mai [le 11 mai, un jeune skinhead a tué une fille au pair malienne et la petite fille qu’elle gardait et blessé une femme d’origine turque]. La fillette de 2 ans qui a été tuée par balle est la nièce d’un de mes meilleurs amis. Nous avons fêté le soixante-quinzième anniversaire de ma mère dans le restaurant de ses parents. Quand j’ai appris la nouvelle, nous étions à Leipzig pour le dernier concert de notre tournée. Le soir, j’écumais presque de rage sur la scène. Je n’ai pas cessé d’y penser une seule seconde. Et j’ai totale- J ment exorcisé l’horreur en jouant mieux, en chantant mieux, en chantant avec plus d’émotion, surtout. Il y a quelques années, j’ai envisagé de quitter Anvers. Cette option est plus que jamais exclue. Anvers est plus que jamais ma ville. Ce qui s’y passe m’angoisse. Il y a des fous partout, mais j’ai l’impression qu’en Belgique on est toujours un peu plus extrême. Un violeur d’enfant devient soudain chez nous un Dutroux. Un raciste flippé dirige son arme contre des femmes et des enfants. Les partis d’extrême droite ne sont jamais ambivalents ou équivoques, alors que la réaction face à eux l’est souvent : politiquement correcte et prudente. Cela a commencé à m’exaspérer. C’est pour cela que le 1er octobre nous organisons un concert contre l’intolérance. Nous l’avions déjà décidé l’an dernier, longtemps avant les meurtres à Anvers. De nouveau dEUS va COURRIER INTERNATIONAL N° 829 donner un concert dans sa ville natale, le premier depuis douze ans. Une semaine plus tard se tiendront les élections municipales et l’on attend avec inquiétude les résultats du Vlaams Belang (VB), notamment à Anvers. Le message adressé au VB sera sans ambiguïté : nous n’avons pas besoin d’idées racistes et intolérantes. Mais nous ferons passer ce message avec le sourire et avec la positivité qu’il y a dans une fête. Il n’y aura donc pas de discours des usual suspects. Nous nous sommes assis autour d’une table avec des gens comme Tom Lanoye [écrivain connu pour son engagement à gauche] et nous avons échangé des idées, mais nous leur avons dit : vous ne faites pas partie du plan. Ils n’ont pas eu d’objections. Il ne faut pas que l’on puisse réduire cette initiative à un comité ar tistique restreint d’intellectuels de gauche. Il faut qu’elle ait un impact, justement parce qu’elle vient d’un 58 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 milieu d’où cela n’est encore jamais venu. Je suis musicien, j’espère pouvoir tourner encore quelques films, mais je suis aussi un citoyen ordinaire qui vit et travaille à Anvers. Cela dépasse la politique. Il s’agit de valeurs humaines élémentaires en train de s’effriter. Je trouve encore pires, si tant est que cela soit possible, les réactions des grands partis politiques unis au sein du conseil municipal d’Anvers : cela ne sert à rien de prêcher pour sa paroisse, il ne faut pas polariser, cela ne fait qu’apporter de l’eau au moulin de l’adversaire. Premièrement : il n’y aura pas de prêche, encore moins pour une Eglise. Deuxièmement : peut-on polariser plus que ne le fait le VB ? Le consensus de la peur domine Anvers : personne n’ose plus dire ouvertement ce qu’il pense, de crainte que la situation ne s’aggrave. Propos recueillis par Danny Ilegems, Vrij Nederland (extraits), Amsterdam 829p54-59 18/09/06 20:39 Page 59 BELGIQUE LA FIÈVRE FLAMANDE ● “the place to be”. La ville qui bouge, qui festoie, qui innove – dans la culture, la mode, la musique, l’architecture. Les plus âgés sont satisfaits de voir enfin la ville prise en main. Ils ruminent les souvenirs du temps où cette ville était à eux. Un grand village, composé de quartiers. Qui était “propre et sûr”. Où l’on avait ses repères. Mais le monde s’est ouvert, les migrations sont arrivées, les frontières sont tombées. Les vieux Sinjoren ne se sentent plus chez eux. Ils ont peur. Faut-il les qualifier de racistes ? Patrick Janssens se garde bien de le faire, sous peine d’ouvrir un boulevard au VB. Il passe un temps infini à écouter les habitants, les commerçants et les dockers, les ouvriers et les chefs d’entreprise, les créateurs et les retraités. Braquages, cambriolages, vols de sac à main ? La Ville applique un plan très élaboré de lutte contre la criminalité. Sentiment d’insécurité ? La Ville enquête et découvre que les habitants trouvent la saleté des rues plus grave que les hold-up. Elle passe à la tolérance zéro : tags, dépôts d’ordures, tapage nocturne, tout est poursuivi. Difficultés de cohabitation ? On oblige les étrangers à suivre des cours d’“inburgering” (littéralement, “apprentissage de la citoyenneté”), surtout de langue néerlandaise. La méthode révolte les francophones. Elle est pourtant saluée par les Anversois d’origine étrangère que nous avons rencontrés. Ce qu’ils critiquent, c’est l’offre de cours, insuffisante pour la demande. Dans les quartiers, se plaint-on d’un afflux d’illégaux, de “marchands de sommeil”, louant des piaules insalubres à prix d’or ? A AnversNord, quartier difficile, on visite les maisons pour savoir qui y habite. La brigade associe des représentants des services de la population, de la sécurité, du CPAS. En raison de vives protestations à gauche, on n’y joint pas la police. Mais, si l’on découvre des illégaux, on leur envoie aussitôt le service des étrangers. UNE COURSE CONTRE LA MONTRE JUSQU’AU 8 OCTOBRE Sur la place du théâtre, un quartier sans histoires, le marchand de journaux raconte que son commerce a été attaqué douze fois en douze ans. “Le Belang, c’est le parti que j’aime le moins. Mais la majorité communale d’Anvers pratique une politique beaucoup trop douce. Les quelques fois où j’ai vu mes agresseurs, c’étaient des Marocains. Je ne pourrais pas le dire sans être taxé de raciste ? C’est pourtant la réalité. Pour faire diminuer l’influence du VB, je ne vois qu’une solution : le faire participer au pouvoir, comme en Autriche.” A Anvers, les différentes communautés cohabitent sans vivre ensemble, se côtoient sans se frôler. A l’exception de certains quartiers, comme Borgerhout, où autochtones et “allochtones” se brassent plus harmonieusement, la métropole reste à l’heure du développement séparé entre Flamands, Juifs, Marocains,Turcs, Polonais, et les 140 nationalités qui y ont convergé. Les électeurs du VB s’imaginent avoir dans les mains un bulletin de vote qui leur fera remonter le temps, jusqu’à l’époque où Anvers était purement flamande. Le Vlaams Blok-Belang va-t-il reculer à Anvers, au soir du 8 octobre ? Le bourgmestremanager Patrick Janssens est engagé dans une course contre la montre. Bénédicte Vaes Les espoirs du Vlaams Belang Le parti d’extrême droite présente plus de candidats que jamais aux prochaines élections municipales. Avec l’ambition de devenir incontournable. DE STANDAARD Bruxelles u cours des élections communales du 8 octobre, le Vlaams Belang compte “renforcer de manière phénoménale son épine dorsale organisationnelle”. Le président du parti, Frank Vanhecke, rêve même de doubler le nombre de ses conseillers municipaux et de passer la barre des 1 500 élus. Rompre le cordon sanitaire [nom donné à l’accord entre les partis démo- A M E N TA L I T É S Des compatriotes stéréotypés “Francophone paresseux, Flamand travailleur ? Les clichés ont la vie dure”, constate Le Soir, qui publie une enquête sur la manière dont les cadres flamands et wallons se voient euxmêmes et voient l’autre au travail. Les Flamands “ont une assez piètre image de leurs collègues francophones”, constate le quotidien. Ils se voient “plus rigoureux, mieux organisés, plus travailleurs, plus dynamiques”, et “considèrent que les francophones font peu d’effor ts pour apprendre leur langue”. “Les francophones font une tout autre analyse”, remarque aussi Le Soir. “Le jugement sur l’autre communauté est plus nuancé. Pour plus de la moitié des qualificatifs, ils donnent une meilleure note aux Flamands.” Et, en ce qui concerne l’ouver ture sur la langue, “ils s’attribuent presque la même (exécrable) note”. Pour le professeur de psychologie du travail Hans De Witte, cité par le quotidien, seul le rapport à la langue de l’autre ne tient pas du stéréotype dans ces visions croisées. “Le décalage est énorme entre les deux communautés : l’une est ouverte, l’autre pas, et les deux sont d’accord sur le constat. C’est plutôt inquiétant, car cela empêche la communication.” COURRIER INTERNATIONAL N° 829 59 Dessin de Carlos, Madrid. cratiques pour empêcher toute coalition avec l’extrême droite] ne semblerait alors plus être hors de portée pour le parti. La formation d’extrême droite se prépare donc à un treizième succès électoral d’affilée. Sur le papier, rien ne peut l’en empêcher. Le Vlaams Belang se présente dans 250 communes, avec environ 5 000 candidats, près de 50 % de plus qu’il y a six ans. “Environ 90 % de la population flamande peut désormais voter pour nous”, se réjouit Vanhecke. Le président de parti a parlé d’un “appétit organisationnel”. Le Vlaams Belang a toujours des difficultés pour recruter des candidats. Lors de sa conférence de presse,Vanhecke a mis en garde les employeurs – des administrations aux mutualités en passant par les syndicats – qui font pression sur les candidats potentiels du Vlaams Belang. UN GALOP D’ESSAI AVANT LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU PRINTEMPS 2007 Le parti a officiellement annoncé que la rupture du cordon sanitaire n’est plus un objectif. Ce désengagement stratégique est compréhensible. Car, pour y parvenir, le Vlaams Belang dépend des autres. Par crainte d’une défaite électorale, il se fixe donc un objectif réalisable. Pour la même raison, il a cessé de communiquer sur la possibilité de voir Filip Dewinter [la personnalité la plus médiatique du Vlaams Belang] décrocher la mairie d’Anvers. Frank Vanhecke estime en revanche que, après le 8 octobre, le “plus grand parti de Flandre” doit pouvoir faire partie des coalitions dans un certain nombre de municipalités. Si ce n’est pas le cas, le Vlaams Belang promet une campagne “ferme” au printemps de 2007, pour les élections législatives fédérales. Le parti a par ailleurs mis en place un site Internet – qui ne mentionne nulle part ses liens avec le parti – pour lancer une pétition contre le cordon et pour exiger “davantage de démocratie” dans la vie politique. Le Vlaams Belang entre dans la campagne nationale avec le slogan “Leefbaar Vlaanderen” [Flandre vivable, un slogan inspiré du nom du parti néerlandais rendu célèbre par le populiste Pim Fortuyn]. Des affiches portant ce slogan seront placardées partout en Flandre. Le parti tente de compenser son déficit en personnalités locales capables d’attirer les électeurs en utilisant des thématiques nationales connues, comme la sécurité, la propreté des quartiers et la nécessité que les étrangers s’adaptent. “Y a-t-il dans ce programme quelque chose qui rende légitime le cordon sanitaire ?” s’est demandé [Gerolf] Annemans [l’une des personnalités du Vlams Belang], qui déplore que personne ne veuille encore engager le débat sur le contenu de ce programme. Un coup d’œil dans le dictionnaire “De A à Z” que distribue le parti sous forme de gadget offre déjà une réponse à sa question. Il regorge de caricatures xénophobes. Bart Brinckman DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p61à63 SA 19/09/06 14:28 Page 61 économie ■ économie “Des pays riches peuplés de pauvres” p. 62 ■ multimédia L’avenir de la presse n’est pas écrit pp. 64 à 67 i n t e l l i g e n c e s ● La Chine commence à exporter son inflation MONDIALISATION La flambée des matières premières et les revendications salariales des ouvriers chinois aboutissent à une augmentation des coûts de production. ■ INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE (extraits) Paris P ■ écologie Au Brésil, l’ennemi numéro un s’appelle “soja” i n t e l l i ge n c e s p. 68 “Vous croyez que la Chine est une menace pour notre économie ?” Dessin de Chávez paru dans El Tiempo, Honduras. Car toonists & Writers Syndicate endant vingt ans, Anthony Temple, un professionnel du jouet, s’est réjoui de l’abondance d’animaux en peluche, de grandes tasses à café et autres figurines en résine disponibles à bas prix en Chine. Mais le récent voyage qu’il y a effectué pour le compte de son entreprise, Rainbow Designs, implantée à Londres, l’a fait déchanter. Dans le delta de la rivière des Perles, au nord de Hong Kong, l’alourdissement des coûts – des matières premières, mais surtout de la maind’œuvre – a dominé toutes les discussions avec ses fournisseurs. Loin de chercher à baisser leurs tarifs par rapport à la concurrence, les producteurs chinois parlaient de les augmenter de 5 % à 10 % avec tant de fermeté qu’Anthony Temple a compris qu’il ne s’agissait pas d’une simple ruse de négociateurs. “Lorsque je suis parti là-bas, j’étais persuadé que la Chine était un puits sans fond de produits bon marché, avoue-t-il. Quand je suis rentré, ce n’était plus le cas.” Alors que l’économie chinoise poursuit sa course effrénée, tout porte à croire que le géant asiatique commence à freiner l’exportation d’une denrée particulièrement appréciée des banques centrales du monde : les prix bas. Cette tendance, conjuguée au renchérissement des matières premières comme le pétrole, risque de placer celles-ci devant le même douloureux dilemme qu’au début des années 1980. A l’époque, elles se demandaient s’il fallait enrayer l’inflation en resserrant le crédit, au risque de brider la croissance et de fabriquer du chômage. La main-d’œuvre bon marché et l’accès facile à un port d’importance mondiale comme Hong Kong ont permis à la Chine d’inonder la planète de produits à bas prix. Mais, à présent, les travailleurs chinois commencent à réclamer de meilleurs salaires, créant ainsi les conditions classiques d’une hausse des prix à l’exportation. “Les matières premières flambent, le pétrole s’envole, les salaires augmentent”, résume Peter Keller, PDG de Merton, un fabricant de jouets en plastique installé à Hong Kong. “C’est vrai que les coûts s’alourdissent en Chine et que, dans la mesure du possible, nous les répercutons sur nos prix.” Merton est confronté à une hausse rapide des rémunérations dans son usine de la province du Guangdong. Le 1er septembre, le salaire minimum mensuel a été porté à 780 yuans [77 euros] ■ Pouvoir d’achat Le commerce de détail en Chine a augmenté de 13,8 % en août en glissement annuel, selon le Bureau national des statistiques. Cet indicateur est suivi avec attention par les autorités, qui s’efforcent de soutenir la consommation afin que la croissance dépende moins des exportations et des investissements. L’évolution des ventes au détail s’explique par la hausse du revenu disponible : sur les six premiers mois de l’année, il a progressé de 10,2 % dans les villes et de 11,9 % dans les zones rurales. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 61 dans la province, soit une hausse d’environ 20 %. La férocité de la concurrence amène à rogner sur les marges bénéficiaires, mais, selon Peter Keller, les produits fabriqués au titre des nouveaux contrats seront 5 % à 10 % plus chers en raison de l’alourdissement du coût de la main-d’œuvre et des matières premières. Heureusement pour les consommateurs occidentaux, cela ne se traduit pas encore par une valse des étiquettes dans les magasins. Ainsi, la chaîne suédoise de prêt-à-porter H&M essaie de maintenir ses prix alors que ses fournisseurs accroissent leurs exigences, assure Nils Vinge, directeur des relations avec les investisseurs.Transférer la production vers des pays à bas salaires comme le Bangladesh ou la Turquie, dont les coûts de transport vers l’Europe sont en outre moins élevés, pourra permettre d’atténuer les conséquences de l’augmentation des coûts en Chine, mais pas éternellement. “A terme, il faudra bien répercuter la hausse sur le consommateur”, reconnaît Nils Vinge. LA PRODUCTION PEUT MIGRER VERS LA CHINE DE L’INTÉRIEUR A l’instar de H&M, l’Europe et les Etats-Unis se situent quelque part entre le long terme et l’immédiat. L’inflation, qui n’a guère dépassé 2 % pendant la majeure partie de la dernière décennie dans les pays de la zone euro, commence à s’accélérer. Aux Etats-Unis, elle s’est établie en juillet à 4,8 % en moyenne annuelle. Outre-Atlantique, les prix des importations chinoises, qui ont chuté depuis 2003, se stabilisent. D’autres indicateurs permettent de brosser un tableau bien plus sombre. Le prix à la sortie d’usine des biens chinois a grimpé depuis quatre mois, d’après une enquête menée auprès de directeurs des achats par l’institut NTC Research, à Londres. Son indice, qui, en mars, était inférieur à 50 – niveau indiquant des prix stables –, se situe désormais à 56. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 Les économistes ne sont cependant pas tous persuadés que les prix chinois relanceront bientôt l’inflation dans les pays industrialisés. Les esprits sceptiques font valoir la capacité d’adaptation de la Chine et de ses clients. A mesure que les coûts chinois s’alourdissent, les investisseurs étrangers peuvent s’implanter dans des centres de production moins chers, comme l’Inde ou le Bangladesh. D’autres entreprises exploreront la Chine de l’intérieur pour échapper à la hausse des salaires dans les zones côtières. “L’arbitrage mondial en termes de main-d’œuvre fonctionne encore”, note Stephen Roach, économiste en chef à la banque Morgan Stanley. “Cela vaut toujours largement la peine de délocaliser la production et l’emploi vers la Chine pour réduire les coûts salariaux”, ajoute-t-il. ASDA, la filiale britannique du géant américain de la distribution Wal-Mart, vient d’investir 29 millions d’euros dans la construction de son propre port en eaux profondes sur la côte orientale de l’Angleterre, et 80 % des biens qui y transiteront proviendront probablement de Chine. La Chine est un si vaste réservoir de produits de grande qualité qu’ASDA est quasiment obligée de s’y approvisionner, explique Dominic Burch, porte–parole de l’entreprise. “Sur le plan commercial, nous n’irons nulle part ailleurs”, assure-t-il. Anthony Temple, l’acheteur de Rainbow Designs, affirme pour sa part avoir réussi à contenir la hausse des prix, en combinant une rude négociation avec les industriels et une baisse de ses marges. Mais bientôt ses clients, comme les magasins WH Smith, Harrods et Selfridges, se retrouveront eux-mêmes confrontés au problème, prédit-il. “L’an prochain, il faudra répercuter ces hausses jusqu’au niveau du consommateur. Les prix devront augmenter.” Carter Dougherty et Donald Greenlees 829p61à63 SA 19/09/06 14:29 Page 62 économie “Des pays riches peuplés de pauvres” MARCHÉS Une autre mondialisation, plus équitable, est possible, affirme le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. A condition de s’en donner les moyens politiques et financiers. ■ FINANCIAL TIMES Londres n a un temps espéré que la mondialisation profiterait à tous, dans les pays industrialisés comme dans le monde en développement. Aujourd’hui, ses effets négatifs sont de plus en plus visibles. Les bonnes choses franchissent plus facilement les frontières, mais les mauvaises aussi – y compris le terrorisme. Le monde est régi par un régime commercial injuste qui entrave le développement et par un système financier instable dans lequel les pays pauvres croulent sous le poids d’une dette ingérable. Les capitaux devraient aller des pays riches vers les pays pauvres, mais ils circulent de plus en plus dans le sens inverse. Ce qu’il y a de frappant avec la mondialisation, c’est l’écart entre ses promesses et la réalité. Si elle semble fédérer tant de gens contre elle, c’est sans doute parce qu’elle fait beaucoup de perdants et peu de gagnants. La vision panglossienne de la mondialisation, selon laquelle elle profiterait automatiquement à tous, a entravé notre capacité à corriger ses défaillances. Les jeunes travailleurs français se demandent comment elle peut améliorer leur sort si, comme on le leur dit, ils doivent accepter les baisses de salaire et la précarité qui en résultent. L’accroissement des inégalités dans les pays industrialisés était une conséquence prévue depuis longtemps mais rarement O Dessin de Daniel Pudles paru dans The Economist, Londres. ■ L’auteur Lauréat du prix Nobel d’économie en 2001 pour ses travaux relatifs à l’asymétrie d’information sur les marchés, Joseph Stiglitz a été conseiller économique à la Maison-Blanche auprès de Bill Clinton (19931995), puis viceprésident de la Banque mondiale (1997-2000), une institution qu’il a vivement critiquée. Dans La Grande Désillusion (éd. Fayard, 2002), l’économiste s’en prend aussi au FMI, accusé d’avoir aggravé la crise financière dans les pays émergents. Il vient de publier chez Fayard Un autre monde : contre le fanatisme du marché. mise en avant : une intégration économique totale implique le nivellement des salaires des travailleurs peu qualifiés à travers le monde. Cela ne s’est pas (encore) produit, mais la pression à la baisse exercée sur ces salaires est palpable. Une mondialisation non maîtrisée est en réalité susceptible d’appauvrir beaucoup de monde dans les pays industrialisés, même si la croissance économique s’accélère. L’ÉCONOMIE S’EST MONDIALISÉE PLUS VITE QUE LA POLITIQUE La théorie économique avait bien prédit qu’il y aurait des perdants, mais elle a également prétendu que les gagnants pourraient les dédommager. Une mondialisation bien gérée peut profiter à tout le monde, ou du moins à la plupart des gens. Ce n’est pas ce qui se passe actuellement. Au contraire, si l’on en croit les néolibéraux, elle exige des pays qu’ils accroissent leur compétitivité en baissant les impôts et en réduisant la protection sociale. Aux EtatsUnis, la fiscalité est devenue moins progressive et l’essentiel des récentes baisses d’impôt ont bénéficié aux gagnants, à ceux qui avaient déjà profité de la mondialisation et des changements technologiques. De plus en plus, nous devenons des pays riches peuplés de pauvres. Les pays scandinaves ont montré qu’il existe une autre voie. L’investissement dans l’éducation et la recherche ainsi qu’un solide filet de protection sociale peuvent déboucher sur une économie plus productive et plus compétitive. Nombre d’échecs de la mondialisation sont dus à une chose toute simple : la mondialisation est allée beaucoup plus vite dans le domaine économique que dans celui de la politique et des mentalités. Nous sommes devenus plus interdépendants ; or une interdépendance accrue exige une action mieux coordonnée. Mais il nous manque toujours les cadres institutionnels pour le faire efficacement et démocratiquement. Ce n’est sans doute pas surprenant que l’on prête davantage attention aux préoccupations des pays développés et à leurs intérêts particuliers qu’à ceux du monde en développement. Il est heureux que nous nous décidions enfin à alléger un peu le fardeau écrasant de la dette des pays les plus pauvres, mais nous n’avons pas fait grand-chose pour nous assurer que le problème de l’endettement ne se posera pas de nouveau, et nous n’avons rien fait du tout pour créer un mécanisme systématique de restructuration de la dette. Le fait que tant de pays se retrouvent avec une charge ingérable montre que le système lui-même est en cause. Les marchés mondiaux sont d’une extrême instabilité et, trop souvent, les pauvres sont ceux qui pâtissent le plus des fluctuations des taux de change et des taux d’intérêt. Pourtant, rien n’a été fait pour résoudre ces problèmes. L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS DOIT ÊTRE GÉNÉRALISÉ De nombreuses solutions ont déjà été proposées : certaines pourraient être adoptées immédiatement, d’autres prendraient des années à mettre en œuvre, mais elles permettraient un meilleur fonctionnement de la mondialisation. Si les pays en développement pouvaient contracter des emprunts libellés dans leur propre monnaie (ou dans un panier de devises liées entre elles), ils seraient moins nombreux à se retrouver lourdement endettés. D’autres réformes des stratégies de gestion de la dette permettraient de mieux stabiliser le système financier international. Les maladies qui touchent tant de pays pauvres sont un autre exemple d’échec de la mondialisation. Le régime international de la propriété intellectuelle interdit l’accès à des médicaments abordables CRITIQUE Un artiste de l’impossible Pour The Economist, farouche défenseur du libéralisme, les thèses de Joseph Stiglitz sont aussi sympathiques qu’utopistes. oseph E. Stiglitz croit toujours que les régisseurs de l’économie mondiale sont les esclaves intellectuels d’une métaphore du XVIIe siècle (la “main invisible”) et des mathématiciens du milieu du XXe siècle qui ont formalisé la théorie d’Adam Smith selon laquelle les marchés concurrentiels font coïncider intérêts privés et bien public. Il a obtenu le prix Nobel en 2001 pour avoir démontré que cette thèse ne tenait pas vraiment la route. Les économistes ont salué ses travaux, estimant qu’ils enrichissent leur théorie des marchés. Stiglitz pense J au contraire que ses recherches l’invalident en grande partie. Les économistes doivent beaucoup de leur aura à des théories abstraites que les non-initiés ne comprennent pas. Et ils jouent cette carte quand cela leur convient. Stiglitz nous rappelle heureusement que l’algèbre n’est pas toujours du même côté de la barricade de la mondialisation. Mais son dernier livre ne s’attarde pas longtemps sur la théorie. Chaque chapitre est égayé de portraits et d’anecdotes amusantes. Les drosophiles que les Américains imaginaient tapies dans les avocats impor tés du Mexique illustrent la très réelle menace protectionniste qui se profile derrière nombre de normes phytosanitaires. Le réchauffement cli- matique ne représente pas seulement un danger pour la “planète”, il menace également, de manière bien plus concrète, le parc national des Glaciers, dans le Montana. Mais, si le style est enlevé, les arguments sont un peu mous. Stiglitz soupçonne les marchés du pire et les gouvernements du meilleur – à l’exception du sien, bien entendu [il est américain]. Trop souvent, il veut tout et son contraire. Son dégoût pour le Fonds monétaire international (FMI) le rend méfiant envers tous les organismes technocratiques, au point qu’il en remet en question l’indépendance des banques centrales. Mais, en même temps, il appelle de ses vœux la création de tribunaux internationaux chargés de juger la concurrence COURRIER INTERNATIONAL N° 829 62 déloyale en matière fiscale ou les normes sanitaires. Il prétend que l’allégement de la dette des pays les plus pauvres n’est qu’“une simple question de comptabilité” puisque, de toute façon, ils ne peuvent pas rembourser. Mais il soutient que le poids du déficit les a lourdement handicapés. Malgré toutes les années passées dans les cercles du pouvoir, il reste un ar tiste de l’impossible. Selon l’une des solutions qu’il propose, chaque pays devrait ouvrir ses marchés à toutes les économies qui sont à la fois plus petites et plus pauvres que lui. Et tout pays qui ne lève pas une taxe sur les émissions de CO2 pour combattre le réchauffement climatique devrait s’acquitter de droits de douane mis en place DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 par les pays vertueux. Il affirme que le rôle de monnaie de réserve joué par le dollar confère aux Etats-Unis un privilège exorbitant, à savoir la possibilité d’emprunter à tout-va et à bon compte auprès du reste du monde, et que la volonté de l’Asie d’accumuler les dollars oblige les Américains à profiter de ce privilège. Sa proposition de “billets verts mondiaux”, une monnaie de réserve se substituant aux dollars américains émise non pas par un pays mais par un décret international, s’inspire d’une curieuse idée de l’économiste John Maynard Keynes [1883-1946], l’“union internationale de compensation”. Keynes n’a pas pu traduire son idée dans la réalité. Et ce n’est pas Stiglitz qui le fera. The Economist (extraits), Londres 829p61à63 SA 19/09/06 14:32 Page 63 économie permettant de sauver des vies, alors même que l’épidémie de sida ravage une grande partie du monde en développement. Les partisans du système actuel prétendent que c’est le prix à payer pour encourager la recherche. Mais, pour ceux qui se préoccupent de la santé dans les pays en développement, ce dispositif ne marche pas. La solution existe : un fonds, financé par les pays industrialisés, pourrait décerner des prix à ceux qui trouveraient des remèdes pour des maladies touchant les pauvres, four nir des aides à la recherche et récompenser très fortement la découverte de molécules impor tantes. Les médicaments seraient ensuite vendus à prix coûtant aux populations démunies. Cela serait bien plus efficace et équitable que le système actuel. Le cours de la mondialisation peut être modifié – et il est évident qu’il le sera. Reste à savoir si le changement nous sera imposé à la suite d’une crise, ou si nous le maîtriserons. Dans le premier cas, la mondialisation risque de susciter de violentes réactions de rejet ou d’être réformée n’importe comment, ce qui provoquera l’apparition de problèmes supplémentaires. La seconde option offre la possibilité de faire une autre mondialisation, qui tiendrait ses promesses d’amélioration du niveau de vie partout dans le monde. Joseph Stiglitz Retrouvez cet article en v.o. page 45 dans Courrier in English la vie en boîte Le changement, c’est épuisant ’autodéveloppement, ça marche pour les plus for ts. Mais le monde du travail compte énormément de perdants. Pour beaucoup, le r ythme rapide, les responsabilités de plus en plus nombreuses, la nécessité de s’adapter continuellement et l’obligation de collaborer, ça finit par faire trop. Au point de provoquer des problèmes psychiques tels que la dépression ou l’angoisse. “De plus en plus d’emplois exigent de passer d’une tâche à l’autre et de s’adapter constamment. Mais certains changements dépassent les limites du suppor table”, af firme Nicole Rosenberg, psychologue à l’hôpital psychiatrique d’Århus, au Danemark. “Par exemple, il est aujourd’hui très difficile pour une femme qui travaille d’être per fectionniste. Elle peut s’en sortir si elle est célibataire ; à la limite, si elle a un petit ami. Mais, si elle a un enfant, les symptômes se déclarent. Arrive le deuxième enfant, et c’est la goutte qui fait déborder le vase. Elle a maintenant tellement de choses à faire qu’elle n’arrive plus à se contrôler.” Niels Åkerstrøm Andersen, professeur à l’école de commerce de Copenhague, est très critique visà-vis de l’exigence constante d’autodéveloppement qui règne sur le marché du travail. “On parle de développement du moi, mais on pourrait tout aussi bien parler de rejet du moi. Actuellement, on nous demande de rejeter notre savoir et nos connaissances pour nous préparer à quelque chose de nouveau. L’expertise classique, l’expérience et la compétence ne comptent plus tellement. L’idéal, ce serait l’enfant, celui qui n’a pas encore pris forme. Les perdants sont les seniors, ceux qui ont de l’expé- L rience, mais aussi les consciencieux”, af firme-t-il. Aujourd’hui, l’employé se voit déléguer beaucoup plus de responsabilités qu’autrefois. Il doit trouver lui-même ce qu’il doit faire dans un environnement qui évolue constamment, sans règles claires ni objectifs à long terme – si ce n’est qu’il doit être prêt au changement. “Auparavant, on pouvait dire qu’on était stressé par son environnement. Aujourd’hui, il s’agit d’un stress autogénéré. La solution, c’est d’apprendre à dire non”, reprend l’enseignant, qui n’a pas de recette à donner. “La structure hiérarchique d’autrefois avait d’autres inconvénients, et personne ne veut y revenir, reconnaîtil. Peut-être faudrait-il être coaché à vie, cela nous aiderait à faire face. Mais ce serait sans doute une source de stress supplémentaire.” La psychologue Nicole Rosenberg conseille de s’aménager des espaces de détente. Elle a vu des enseignants sous pression prendre en charge la bibliothèque scolaire ou la prévention routière, pour se créer un espace récréatif. Il faut toujours se montrer vigilant et veiller à ce que les problèmes professionnels ne prennent pas le dessus. “Observez comment vous réagissez sur votre lieu de travail et si le stress – normal quand on change d’emploi – disparaît rapidement. Sinon, il se peut que vous n’arriviez jamais à vous habituer aux exigences spécifiques de ce poste. Si ça dure trop longtemps, ça peut finir en dépression ou en angoisse. Il ne faut pas devenir insomniaque à cause du travail. Quatre jours par an, d’accord, mais pas plus”, conclut-elle. Anne Korsholm, Kristeligt Dagblad (extraits), Copenhague COURRIER INTERNATIONAL N° 829 63 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 829p64-67 SA 19/09/06 11:57 Page 64 médias D O S S I E R PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE Q L’AVENIR DE LA PRESSE N’EST PAS ÉCRIT ■ Depuis quelques années, la presse quotidienne payante s’enfonce dans la crise. Une situation à laquelle le succès d’Internet et celui des journaux gratuits ne sont pas étrangers. Présents dans 41 pays, ces derniers constituent une menace importante pour les journaux traditionnels, qui doivent imaginer des solutions pour conserver et conquérir un lectorat, tout en séduisant les annonceurs. ■ Eléments essentiels dans la chaîne de production de l’information, les journaux ont leur carte à jouer pour s’imposer dans ce paysage médiatique en recomposition. Les quotidiens papier bientôt au musée THE ECONOMIST (extraits) Londres a première chose que voit le visiteur, lorsqu’il arrive au siège du groupe norvégien Schibsted, à Oslo, c’est une presse manuelle de 1856 si brillante qu’on pourrait la prendre pour une sculpture. Christian Schibsted, le fondateur du groupe, l’avait achetée pour imprimer le journal d’une autre entreprise, mais, quand il a perdu le contrat, il a décidé de créer son propre quotidien. Bien que la vieille machine occupe la place d’honneur, le groupe cherche à rompre avec son passé d’imprimeur et à explorer d’autres voies. En 2005, ses activités sur Internet ont représenté 35 % de ses bénéfices d’exploitation. La stratégie de Schibsted a consisté à utiliser ses titres les plus connus pour créer des sites qui se classent aux deux premiers rangs en Scandinavie pour le nombre de visiteurs. Il a également développé des activités comme Sesam, un moteur de recherche qui concurrence Google, et FINN.no, un portail d’annonces classées ; 2005 a été la meilleure année du groupe sur le plan tant du chiffre d’affaires que des bénéfices. Malheureusement, Schibsted est une exception. Pour la plupart des entreprises de presse des pays industrialisés, 2005 a été une catastrophe, car elles continuent à tirer la majeure partie de leurs revenus des éditions imprimées, secteur en perte de vitesse. Comme la recherche d’informations se fait essentiellement sur Internet et que les jeunes boudent les journaux, la diffusion payante décline d’année en année et les petites annonces, qui paraissaient jusqu’ici sur les journaux, migrent rapidement vers le Net. Même les patrons de presse les plus confiants admettent désormais qu’ils ne pourront survivre à long terme que si, comme Schibsted, ils parviennent L à se renouveler sur Internet et dans de nouveaux supports comme les téléphones cellulaires et les appareils électroniques portables. La plupart ont été lents à saisir la portée des changements survenus dans leur industrie, mais aujourd’hui ils déploient des efforts considérables pour rattraper le retard. Beaucoup se mettent notamment à la publicité en ligne, qui commence à compenser le déclin enregistré dans les éditions papier. De la fin des années 1990 à 2002, les journaux ont commencé à publier en ligne, mais en se contentant de reproduire leurs éditions imprimées. Ils ont également commis l’erreur de réserver leurs meilleurs journalistes à la version papier, si bien que la qualité des éditions électroniques laissait souvent à désirer. Mais, depuis deux ou trois ans, ils se montrent beaucoup plus audacieux, en diffusant notamment des reportages vidéo à côté des articles conventionnels [voir CI n° 822, du 3 août 2006]. Un plus grand nombre d’entre eux traitent en outre leur site comme une activité prioritaire. “Auparavant, les patrons affectaient des journalistes de second ordre à Internet. Désormais, nous savons que nous devons utiliser nos meilleurs éléments”, affirme Edward Roussel, rédacteur en chef en ligne du Daily Telegraph. Certains patrons rassemblent les journalistes des deux éditions dans la même salle, de façon que ceux de l’édition imprimée puissent travailler pour le site et vice-versa. Mais cette politique ne fait pas l’unanimité. “Je pense que l’on fait fausse route en ne séparant pas les opérations en ligne et celles sur papier”, estime Oscar Bronner, éditeur du quotidien autrichien Der Standard. Selon lui, les journalistes de l’édition papier n’ont pas suffisamment de temps à accorder à la réflexion et à l’analyse lorsqu’on leur demande de travailler également pour le site. Le danger, pour les entreprises de presse, est que tous les efforts déployés sur Internet ne fassent que ralentir leur déclin. De l’avis de certains consultants de groupes de presse, les journaux doivent ajuster leur production. Les enquêtes sur les goûts des lecteurs montrent depuis longtemps que le public préfère les reportages brefs et les informations qui les touchent de près : les nouvelles locales, le sport, les divertissements, la météo et la circulation. Sur Internet, ils cherchent plus particulièrement à améliorer leur mode de vie. Les longs reportages sur la politique étrangère les intéressent peu, surtout depuis qu’Internet leur permet de parcourir d’un rapide coup d’œil les titres de l’actualité internationale sur des sites liés à des moteurs de recherche. L’INFORMATION LOCALE, UN SILLON À CREUSER Dans ce domaine, les journaux ont du mal à se distinguer les uns des autres, en particulier quand ils cherchent à faire des économies en licenciant des journalistes et en recherchant l’information auprès d’agences comme Reuters. “Nos enquêtes montrent que les lecteurs souhaitent trouver davantage de renseignements pratiques dans les journaux”, indique Sammy Papert, directeur général de Belden Associates, une entreprise spécialisée dans la recherche sur les journaux américains. Comme ce constat est peu agréable à entendre – la plupart des journalistes préfèrent couvrir l’Afghanistan que le budget des ménages –, les entreprises de presse tendent à ignorer les enquêtes qu’elles ont financées. Cependant, certaines commencent à réagir. Ainsi, Gannett, le plus grand groupe de presse du monde, s’efforce de pratiquer un journalisme plus local en recourant à des mojos, des COURRIER INTERNATIONAL N° 829 64 ■ A la une “Qui a tué le journal ?” C’est en ces termes que The Economist pose la question du déclin de la presse payante dans le monde. “S’il fut un temps où les journaux pouvaient demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises, force est de constater qu’ils représentent aujourd’hui une espèce menacée, notamment dans les pays industrialisés”, constate l’hebdomadaire économique. Si certains estiment que les quotidiens pourraient disparaître définitivement en 2043, The Economist se montre moins pessimiste, tout en appelant les journaux traditionnels à s’adapter et à anticiper les changements d’habitude des lecteurs. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 journalistes mobiles implantés dans les quartiers où se déroule l’actualité et qui travaillent à l’aide d’ordinateurs portables. Cependant, le coup le plus dur porté aux journaux traditionnels a été le succès foudroyant des quotidiens gratuits, qui, comme Internet, ont particulièrement séduit le public jeune. Selon Metro International, la société suédoise qui a ouvert la voie à ce type de publication en 1995, leur tirage quotidien s’élève aujourd’hui à quelque 28 millions d’exemplaires dans le monde. En Europe, ils représentent même 16 % de la diffusion totale des quotidiens. La proportion des frais rédactionnels de Metro dans le montant de ses dépenses est moitié moins importante que pour les journaux payants. En pratique, cela signifie qu’un quotidien gratuit distribué à 100 000 exemplaires emploie une vingtaine de journalistes, alors qu’à diffusion égale un journal payant en compte 180. “Le plus grand ennemi des journaux payants est le temps”, estime Pelle Törnberg, directeur général de Metro. Selon lui, leur seule chance de prospérer est de se spécialiser davantage, d’augmenter leur prix de vente et d’investir dans de meilleures équipes rédactionnelles. Selon de nombreux observateurs, un grand nombre de journaux traditionnels vont ravaler leur fierté et publier des quotidiens gratuits. News International, qui appartient au groupe de Rupert Murdoch, vient de montrer l’exemple en lançant un quotidien gratuit à Londres (voir p. 65). Au cours des prochaines années, c’est toute la presse payante qui va se trouver confrontée à un choix d’avenir difficile : accepter de transiger sur le principe de “journalisme pur” et d’adopter une politique plus novatrice et pragmatique, ou risquer de devenir une belle pièce de musée. ■ 829p64-67 SA 19/09/06 11:57 Page 65 E QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE i n t e l l i g e n c e s ● A Londres, une sanglante bataille a commencé THE INDEPENDENT (extraits) Londres eux cent deux ans ont passé depuis que la Compagnie des docks de Londres a engagé Daniel Asher Alexander pour dessiner une série d’austères bâtiments en brique réservés au stockage du rhum, du coton et de médicaments rares comme la teinture d’iode. Aujourd’hui, ces entrepôts abritent Thelondonpaper, première incursion de Rupert Murdoch sur le marché de la presse britannique depuis son acquisition de Today, en 1987, un titre qu’il a fermé huit ans plus tard. Le premier numéro de Thelondonpaper a paru le 4 septembre. Ce lancement marque l’entrée très attendue de News International dans le secteur des journaux gratuits de la capitale britannique. Le nouveau titre s’annonce comme un concurrent redoutable pour The Evening Standard, le vénérable quotidien du soir, et pour son propriétaire, Associated Newspapers, qui a lui-même lancé, le 25 août, son propre gratuit de l’aprèsmidi, London Lite, venu s’ajouter à son gratuit du matin, Metro, qui est une belle réussite. Thelondonpaper dispose d’une équipe de 70 personnes, dont 40 journalistes. Il sera produit à moindre coût du point de vue rédactionnel. “Nous utilisons très bien la technologie”, assure Clive Milner, le directeur général de News International. “Les rédacteurs sont polyvalents, ils rédigent et montent eux-mêmes leurs pages, grâce à une technologie très intuitive.” Des méthodes que d’autres journaux, voire d’autres groupes médias, observeront avec intérêt. “Au Royaume-Uni, tous les directeurs de rédaction ont l’œil rivé sur les coûts, poursuit-il. Certains de ces coûts sont incompressibles, notamment ceux des matières premières, mais il y a des coûts liés aux effectifs [que l’on peut réduire]. Tout dépend de la manière dont on fait les choses et de la technologie qu’on utilise.” “Nous avons un mode de fonctionnement complètement différent de celui des journaux nationaux. Pour cela, il faut des moyens bien définis. Il ne s’agit pas, à mesure qu’on a du succès, d’investir de plus en plus sur le travail journalistique, les rachats d’autres titres, etc. Avec ce modèle, il s’agit uniquement de produire un journal de qualité, une prise en main agréable, parce qu’en définitive nous n’avons qu’une seule source de revenus, qui s’appelle la publicité. Je crois que parfois les journaux payants ont été perçus comme un peu intransigeants par les annonceurs. C’est peut-être un problème lié à leur histoire. Les rédactions et les services commerciaux sont un peu comme l’Eglise et l’Etat. Chez News International, vous avez sans doute pu le consta- D S T R AT É G I E Trouver la bonne formule ■ Pour les groupes de presse traditionnels, il est désormais indispensable d’expérimenter de nouvelles voies pour éviter de disparaître totalement. Chacun y va de son innovation, en espérant que les millions investis permettront à leurs titres de remonter la pente. “Ce que nous faisons actuellement, c’est ni plus ni moins qu’un renouvellement complet de la notion de journal”, explique avec emphase Murdoch MacLennan, l’un des artisans du nouveau système éditorial du Daily Telegraph, dans les colonnes de Press Gazette, le magazine des professionnels de la presse britannique. Pour mettre sur pied un journal plus réactif et plus près de ses lecteurs, la direction du quotidien londonien a imaginé la création d’un hub composé d’un centre – la rédaction en chef et les onze responsables de service – vers lequel les rédacteurs des onze rubriques répartis tout autour convergeront avec leur copie. Chacun sera responsable de la production de contenus aussi variés que des articles écrits, des contenus audio et vidéo. Une nouvelle méthode qui devrait révolutionner la façon de faire le journal, affirme la direction. Cette approche transversale n’est pas par tagée par tous les patrons de presse, qui tentent d’autres solutions pour attirer le chaland. En Autriche, par exemple, on explore le filon des journaux à bas prix avec le lancement, le 1er septembre, d’Österreich [Autriche], vendu en kiosque au prix de 50 centimes. Avec ses 64 pages et son format “tabloïd international”, il compte mordre sur le lectorat du plus grand tabloïd du pays, la Neue Kronen Zeitung, et du quotidien Kurier. Conscient du danger (quoiqu’il s’en défende), ce dernier a modifié sa maquette au moment de la sortie d’Österreich. Le nouveau quotidien prétend vouloir miser sur les jeunes, qui, selon ses fondateurs, sont moins attirés par les titres à consonance anglaise et feraient en quelque sorte un “retour au pays”, d’où son titre : Österreich. La nouveauté du concept tient au fait que le journal offre en réalité quatre journaux en un avec un cahier principal, généraliste et suprarégional, et trois autres cahiers consacrés respectivement à la région, au mode de vie sur papier glacé et à la télévision. Tiré à 250 000 exemplaires, le nouveau journal, qui fait travailler quelque 150 journalistes, indique avoir d’ores et déjà engrangé 55 000 abonnements d’essai. Ses confrères ont plutôt accueilli froidement le “néoquotidien”, comme le qualifie ironiquement l’hebdomadaire viennois Falter. Si les journaux à bas prix font école dans d’autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, une autre forme de Dessin de Loukiantchenko, Ukraine. quotidien connaît un certain succès, le journal électronique diffusé par Internet et imprimable. Composé en général de quelques pages à l’instar du Volkskrant 16:00 proposé par le quotidien néerlandais De Volkskrant, ce nouveau concept est un compromis qui permet à ceux qui veulent lire sur papier d’avoir les dernières informations et un avant-goût des articles à paraître le lendemain. COURRIER INTERNATIONAL N° 829 65 Dessin paru dans The Economist, Londres. ■ Nouveauté Le groupe Handelsblatt a lancé, le 7 août, un gratuit d’un nouveau genre. Business News, qui démarre en format tabloïd, sur 32 pages, avec un tirage de 80 000 exemplaires, est le premier généraliste allemand gratuit à être distribué exclusivement dans les entreprises (Office-Zeitung). Il est diffusé dans les grandes agglomérations du pays (Hambourg, Cologne, Düsseldorf, Berlin, Francfort, Stuttgart, Munich et Leipzig). Pour le groupe de presse allemand, il a un impact très positif sur les annonceurs. ■ Délit Si vous vivez en Californie et que vous souhaitez prendre quelques exemplaires de journaux gratuits pour les distribuer à vos collègues, attention à vous. Une nouvelle loi signée par le gouverneur Schwarzenegger considère comme un délit le fait de prendre plus de 25 exemplaires d’un gratuit, rapporte le San Francisco Chronicle. Le contrevenant est passible d’une amende de 250 dollars. En cas de récidive, il pourra être condamné à dix jours de prison ferme. DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 ter, nous ne nous limitons pas à des accords publicitaires classiques. Ce que nous proposons aux annonceurs, c’est plus de solutions intégrées; ce qui comprend, outre la publicité, des conférences pour des produits sur mesure, des communications sur les lecteurs-cibles, des solutions en ligne, des microsites. Des offres de ce type se développent aussi chez nos concurrents. Cela devient un élément de plus en plus important de notre travail. Je crois qu’il est simpliste de dire que les titres payants ont loupé un épisode ; il y a maintenant plus de créativité, plus de dynamisme dans ce qu’on propose aux clients”, assure Clive Milner. Il est convaincu que le moment est bien choisi pour lancer un gratuit à Londres. Non seulement les investissements y sont en hausse à cause des Jeux olympiques de 2012, mais le succès de Metro a révélé une soif de gratuits chez les jeunes lecteurs. A en croire Milner, ce phénomène vient s’ajouter à la baisse des ventes de The Evening Standard – moins 20 % d’une année sur l’autre, soit 300 000 exemplaires aujourd’hui. Mais Clive Milner reste prudent. “Nous sommes un nouvel acteur du marché londonien. Nous sommes de petite taille – malgré l’importance de News International – face à Associated Press, qui a dans son giron Metro, The Evening Standard et maintenant London Lite”, affirmet-il. Il peut paraître curieux d’entendre l’un des cadres dirigeants de Murdoch dire que son entreprise est malmenée par la concurrence. Cela ne l’empêche pas d’annoncer aussitôt, l’air très déterminé, que, quelle que soit l’issue de cette guerre des gratuits à Londres, l’un des belligérants est battu d’avance. Il s’agit de The Evening Standard, vieux de 179 ans. “Si j’étais salarié de The Evening Standard, conclut Milner, je chercherais rapidement une porte de sortie. Les gens qui le vendent ont, eux aussi, du souci à se faire.Toute l’infrastructure en place depuis tant d’années, qui a rapporté tant d’argent, ne va pas tarder à être démantelée.” Ian Burrell BFM et Courrier international présentent l’émission ”GOOD MORNING WEEKEND” animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 829p64-67 SA 19/09/06 11:59 Page 66 médias D O S S I E R PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE Q Nouvelle expérience dans le laboratoire danois foler outre mesure. “Ce ne sont pas des concurrents, affirme-t-il. Nos véritables concurrents, ce sont les quotidiens payants.” Pour les observateurs, les grandes maisons de presse n’ont créé leurs gratuits que pour se défendre. Si les Islandais échouent, il est probable que Dato et 24timer disparaîtront rapidement. SÜDDEUTSCHE ZEITUNG Munich orten Nielsen a installé ses rédacteurs sur un ancien site militaire, un entrepôt à la périphérie de Copenhague. Le lieu est tout indiqué, car pour beaucoup Nielsen vient de déclencher une guerre au Danemark. Dans l’ancien entrepôt, on est d’ailleurs d’humeur belliqueuse. Sur un pilier de l’élégant espace de bureaux, une feuille de papier proclame en grosses lettres : “La bataille sera sanglante.” Morten Nielsen dirige Nyhedsavisen, un nouveau journal gratuit dont le premier numéro doit paraître le 6 octobre. La nouvelle, tombée il y a quelques mois, a mis en émoi l’ensemble des publications établies. La “guerre des journaux gratuits” va redoubler d’intensité au Danemark. Nyhedsavisen appartient à la société 365 Media Scandinavia, une filiale du groupe islandais Dagsbrun. Celui-ci publie en Islande le Frettabladid, un journal gratuit qui est distribué dans les boîtes aux lettres pour le petit déjeuner et dont le succès est grand. C’est une nouveauté. Jusquelà, les lecteurs européens ne recevaient les gratuits qu’au moment où ils se rendaient à leur travail, dans le métro ou dans les zones piétonnes. Nyhedsavisen sera distribué au Danemark dans les mêmes conditions qu’en Islande, c’est-à-dire livré à domicile, du moins dans les agglomérations. Il devrait être tiré à 750 000 exemplaires. Cette offensive M LES QUOTIDIENS TRADITIONNELS FONT ÉVOLUER LEUR FORMAT Depuis que Metro s’est emparé des rues, la presse écrite du Danemark est en pleine mutation. Beaucoup s’attendent à ce que Nyhedsavisen accélère encore les choses. Le quotidien Berlingske Tidende, par exemple, a commencé, il y a quelques années, à moderniser son concept rédactionnel pour toucher les jeunes lecteurs et ne cesse de se transformer depuis. Le 28 août, il a ainsi renoncé à son grand format pour passer au format tabloïd. La date avait été fixée alors que Nyhedsavisen se préparait. Ce dernier sera en concurrence avec les grands journaux au niveau des lecteurs, mais aussi et surtout au niveau des annonceurs. L’augmenta- tion soudaine d’offre de supports imprimés a fait nettement baisser les tarifs publicitaires au cours des derniers mois. Désormais, la quantité ne sera plus le seul critère de choix pour les annonceurs, la qualité entrera en ligne de compte. Personne ne souhaite payer pour une annonce qui finit à la poubelle sans avoir été lue. Nielsen et sa rédaction doivent faire en sorte que les lecteurs lisent vraiment leur journal. Mais pourquoi les Danois choisiraient-ils de lire Nyhedsavisen plutôt que les autres quotidiens qu’ils trouvent dans leur boîte aux lettres ? Nielsen répond ce que répondent tous ceux qui s’apprêtent à lancer un nouveau titre : “Nous sommes plus proches des lecteurs.” Certains de ceux-ci aimeraient cependant un peu plus de distance. D’ailleurs, l’imprimé qui a le plus de succès au Danemark depuis quelques semaines, c’est l’autocollant “Journaux gratuits, non merci !”, distribué par les associations de consommateurs et que l’on colle sur les boîtes aux lettres. Les 5 000 adhésifs ont été épuisés en quelques jours. Gunnar Herrmann CONCURRENCE Dessin de Mix & Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne. sur la table du petit déjeuner, qui était auparavant la chasse gardée des journaux payants, a déclenché des réactions violentes. Les journaux établis ont commencé par affirmer que le système ne tiendrait pas la route sur le plan logistique, et serait bien trop cher et non rentable. Puis ils ont euxmêmes démenti leurs propos en lançant sur le marché leur propre gratuit du matin avant le groupe islandais. Pour les lecteurs, cette guerre des journaux signifie une avalanche de lecture du matin au soir. Depuis quelques semaines, les habitants des grandes villes reçoivent dans leur boîte aux lettres Dato, le gratuit du groupe Berlingske (Orkla Media), et 24timer, de son concurrent JP-Politiken, auxquels viendra s’ajouter Nyhedsavisen en octobre. Et le suédois Metro, qui depuis longtemps distribue gratuitement MetroXpress le matin dans les villes du Danemark, a lancé le 21 août un nouveau quotidien gratuit du soir pour contrer la concurrence. Chez Metro, il y a désormais bouclage deux fois par jour : à minuit et à midi. Le groupe entend faire la différence en étant à la pointe de l’actualité. Car c’est là le point faible de Dato et de 24timer. Dans les premiers numéros, les rédactions, constituées à la hâte, ne parvenaient même pas à publier les résultats sportifs de la veille. Mettant l’accent sur l’image au détriment du texte, ces nouveaux journaux se targuent de ne demander que dix minutes de leur temps aux lecteurs. Morten Nielsen, avec son Nyhedsavisen, qui emploie 100 journalistes, observe ces développements sans s’af- COURRIER INTERNATIONAL N° 829 66 En Bulgarie, la guerre n’a pas eu lieu ■ La Bulgarie cristallise actuellement le duel que se livrent les groupes de presse allemands pour la domination des marchés étrangers, provoquant dans ce pays un semblant de débat sur la liber té de la presse. Ikonomedia, le petit groupe que Handelsblatt, le groupe de presse économique de Düsseldorf, détient pour moitié depuis 2005, souhaitait conquérir de nouveaux lecteurs en lançant des journaux gratuits. Ceux-ci n’étaient pas encore sur le marché que le groupe allemand Westdeusche Allgemeine Zeitung (WAZ), qui domine le marché bulgare, passait à la contre-attaque. Sa filiale bulgare a annoncé qu’elle allait lui emboîter le pas, l’objectif n’étant pas de conquérir des parts de marché mais de “détruire ce type de produits. […] Dès que ce type de journal ne paraîtra plus, nous arrêterons de publier le nôtre.” Le groupe WAZ voulait ainsi dénoncer le pseudo-journalisme des gratuits qui, de son point de vue, menacerait la liberté de la presse. Ikonomedia a donc mis un terme à son projet. “Nous avons compris que nous ne pouvions pas gagner sur le marché dans ces conditions”, a expliqué Bisser Boev, son directeur exécutif. Le géant WAZ qui joue les sauveurs de la liber té de la presse dans la bataille contre le nain Ikonomedia, voilà qui laisse sceptique. Ses quotidiens 24 Tchassa et Troud, les journaux les plus lus du pays, sont des feuilles à scandale. Les personnes cultivées qui souhaitent analyses et commentaires lisent le quotidien progressiste Dnewnik et l’hebdomadaire Kapital, DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 tous deux publiés par Ikonomedia. Joachim Weidemann, son rédacteur en chef associé, qui dirigeait auparavant l’école de journalisme Georg von Holtzbrinck et qui est aujourd’hui directeur du groupe Handelsblatt chargé du secteur Europe centrale et orientale, ne tarit pas d’éloges sur ses collègues bulgares. “Certains d’entre eux pourraient écrire dans Die Zeit [hebdomadaire de Hambourg, réputé pour être lu dans l’intelligentsia]”, lance-t-il. Or ces journaux de haute tenue intellectuelle, qui tirent à environ 13 000 exemplaires, sont souvent introuvables dans les kiosques des quar tiers populaires. Le groupe WAZ, en revanche, avec un tirage total de plus de 300 000 exemplaires, est selon l’organisation de défense des droits civiques Freedom House en situation de quasi-monopole. Le style tabloïd relève souvent, dans la région, d’un choix tactique. L’Etat reste l’un des principaux annonceurs, mais un journal ne peut plus se montrer ouver tement favorable au gouvernement sans ennuyer ses lecteurs. Pour ne pas donner non plus dans la critique vis-à-vis du régime, on passe au boulevard. WAZ a pourtant raté son coup il y a deux ans en Roumanie. Les rédacteurs du journal conser vateur Romania libera sont entrés en rébellion contre cette orientation donnée à leur journal, qui visait selon eux à empêcher toute critique vis-à-vis du gouvernement socialiste de l’époque. WAZ a par la suite vendu ses par ts majoritaires à un investisseur roumain. Kathrin Lauer, Süddeutsche Zeitung, Munich 829p64-67 SA 19/09/06 12:00 Page 67 E QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE i n t e l l i g e n c e s ● Contrebande d’infos sur le Net THE NEW ZEALAND LISTENER Auckland epuis le début du XXe siècle, les journalistes font appel à des agences de presse, des structures mises en place par les groupes de médias pour collecter et redistribuer des informations afin que d’autres journaux, nationaux et étrangers, puissent les utiliser. Chris Paterson, un spécialiste des médias, du Centre for Media Research de l’université de l’Ulster, à Belfast, analyse les flux d’information mondiaux depuis sept ans et juge malsain le quasi-monopole des agences anglosaxonnes Associated Press (AP) et Reuters. Ses recherches ont d’abord porté sur la presse écrite et télévisée avant de s’intéresser, dans sa dernière publication, à l’étude de l’info en ligne. Cela lui a valu de faire des découvertes préoccupantes. Il y a une décennie, beaucoup espéraient que le Net deviendrait un facteur de démocratisation et qu’il remédierait ainsi à la “pauvreté de l’information”. Or, les travaux de Chris Paterson font apparaître que les informations internationales que nous lisons en ligne sont en fait pour l’essentiel un recyclage d’articles provenant des grandes agences de presse. Proposer des infos est une stratégie désormais courante des grands portails comme Yahoo! ou MSN, dont le but est d’attirer et de fidéliser les utilisateurs. Outre ces géants, la Toile a vu proliférer des sites qui proposent des liens vers des informations mises à jour minute par minute. Mais, à en croire Chris Paterson, cette expansion n’est qu’“un tour de passe-passe. On est dupés par une multiplication de marques qui proposent en fait les mêmes contenus éditoriaux.” Aujourd’hui, l’information en ligne se caractérise par trois types de fournisseurs de contenus. Le premier groupe est constitué par les médias traditionnels comme la BBC ou le NewYork Times, qui associent un travail journalistique original et des dépêches d’agence. En Nouvelle-Zélande, le New Zealand Herald en ligne relève de cette catégorie. Le deuxième groupe D est formé de producteurs de contenus éditoriaux originaux “sans intermédiaire”. On pourrait y inclure la New Zealand Press Association, et, pour le reste du monde, les sites d’AP et de Reuters, qui fournissent dépêches et articles aux consommateurs d’information du monde entier. Le troisième groupe se compose d’intermédiaires comme CNN Interactive et MSNBC. Ceux-ci, du moins en ce qui concerne les infos internationales, reproduisent des articles rédigés par les agences, avec peu ou pas de travail d’édition. Ce groupe comprend également des sites “agrégateurs d’infos” comme Yahoo!, Altavista et Google, auxquels les agences de presse fournissent le plus gros de l’information, alors même qu’ils “prétendent faire appel à des sources diverses”, rappelle Chris Paterson. Google a mis au point des algorithmes de recherche qui récupèrent, sélectionnent, classent et lient “4 500 sources d’informations en continu”. Les résultats sont parfois aberrants. “Pour une information de dernière minute sur la Chine, explique Paterson, les consommateurs de Google News peuvent se voir proposer des liens vers le quo- Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, Cuba. tidien américain Arizona Republic, le site de la chaîne de télé KRQE Television au Nouveau-Mexique ou le quotidien canadien The Calgary Sun. Or ces trois sites reprennent des articles fournis par des agences de presse, sans en changer une ligne.” En utilisant un logiciel de détection de plagiats, le chercheur a aussi cherché à déterminer la part de dépêches d’agence qu’on retrouve sur les sites Internet avec peu ou pas du tout de modifications. En 2001, 68 % des infos internationales provenaient de dépêches d’agence. En 2006, on est passé à 85 %, et tout porte à croire que les agrégateurs d’infos reproduisent de plus en plus d’articles d’agence mot pour mot. En 2006, seuls quatre groupes de médias, Reuters, AP, la BBC et l’AFP font encore un travail journalistique international d’envergure. Un petit nombre, tels CNN, MSN, le New York Times et le quotidien britannique The Guardian, en font un peu, mais la plupart s’en dispensent totalement. Résultat, pour l’information internationale, on pourrait se contenter d’aller sur le site des agences de presse, mais on n’aurait qu’une vision très étroite de ce qui se passe dans le monde. Les agences de presse doivent satisfaire les rédac- Tous les samedis retrouvez José-Manuel Lamarque, et Gian Paolo Accardo, de Courrier international, dans TRANSEUROPÉENNE à 19 h 32 sur France Inter. Un rendez-vous citoyen et solidaire pour mieux comprendre le quotidien des 25 Etats membres. Samedi 23 septembre Samedi 30 septembre Ecole libre ou écoles publiques ? L’avenir ds retraites et des retraités en Europe A l’heure où les écoles libres ont le vent en poupe en France et en Allemagne, qu’en est-il chez nos voisins européens ? Que seront les retraites des européens alors que la planète se mondialise et que les règles économiques se transforment COURRIER INTERNATIONAL N° 829 67 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 teurs du monde entier, d’où leur style fade qui donne l’apparence de l’objectivité et de la neutralité. Mais des visions du monde marquées par l’idéologie filtrent inévitablement dans la couverture des événements. Même le simple fait de choisir de couvrir tel ou tel événement tend à renforcer le statu quo.Tout ce qui tend à remettre en question les acteurs politiques dominants sur la scène internationale (Etats-Unis et Royaume-Uni aux yeux des agences) ne trouve guère grâce à leurs yeux. Mais est-ce si grave, après tout ? Avec l’essor de la blogosphère, la télévision, les agences de presse et les journaux traditionnels sont de plus en plus dépassés. On est entré dans l’ère du “chaos culturel”, pour reprendre la for mule de Br ian McNair, de la Glasgow Media Unit. Cela étant, Chris Paterson estime que ceux qu’il appelle les “anarcho-cyberjournalistes” ne devraient pas encore sabler le champagne. “Les études montrent que, malgré le déluge d’informations disponibles en ligne, les anciens médias restent les principaux fournisseurs de la plupart des articles qui circulent sur le monde. Et, pour la majorité des utilisateurs, Internet est un média de masse qui apporte une interactivité illusoire et une pseudo-diversité”, conclut l’universitaire britannique. Mic Dover 829 p68 SA 19/09/06 11:52 Page 68 écologie i n t e l l i g e n c e s ● Au Brésil, l’ennemi numéro un s’appelle “soja” DÉFORESTATION La culture intensive ■ de cet oléagineux progresse à toute allure en Amazonie. Elle est menée par des entreprises et des hommes aux méthodes de gangsters. LA VANGUARDIA Barcelone Antonio Ribeiro/Gamma grande échelle ont causé d’énormes dégâts dans la région du fleuve Araguaia, au Mato Grosso. “Les multinationales, encouragées par l’obsession exportatrice du gouvernement Lula, détruisent l’une des forêts les plus riches du monde ainsi que les cultures et modes de vie de peuples entiers”, s’indigne Raúl Vico. C’est désormais un paysage désolé qui entoure la paisible ville de Santarém.Terres desséchées, troncs abattus et steppes arides creusées par les sillons caractéristiques des cultures de soja. “Depuis l’ouverture du port, la déforestation a augmenté de 51 %. Avant, on devait lutter contre les exploitants de bois. Maintenant, c’est le soja qui dévore l’Amazonie”, déplore Cayetano Scannavino, de l’ONG locale Santé et bonheur. Le soja est arrivé à Santarém de l’Etat du Mato Grosso, au sud. Ce dernier détient le record de la déforestation amazonienne et son gouverneur, Blário Borges Maggi, est également l’un des plus grands producteurs de soja au monde. Son entreprise, Amaggi, possède 50 000 hectares de soja. D’ailleurs, Borges soutient publiquement le déplacement de la frontière agricole vers le nord de l’Amazonie. A tel point qu’il a été jusqu’à proposer de goudronner le tronçon final de la route qui mène de Cuiabá à Santarém, alors que celui-ci se trouve dans un autre Etat, celui de Pará. Le coopérant catalan Raúl Vico, de l’ONG Ansa, affirme que les cultures de soja à LA MAFIA DES NOTAIRES FALSIFIE LES TEXTES OCÉAN ATLANTIQUE Santarem AMAPÁ RORAIMA Brasília Macapá PARÁ M a 30 BR 2 a Parc National Tapajós X i ng u AMAZONAS ir de Belém Santarém Altamira Tocantins A Manaus zo n e ma Maraba São Luís MARANHÃO Araguaína Araguaína Pur us PARÁ jós Porto Velho Rio Branco Palmas ACRE TOCANTINS RONDÔNIA MATO La végétation naturelle Forêt Savane La déforestation Zones déboisées Cuiabá Routes Axes de pénétration du soja COURRIER INTERNATIONAL N° 829 GROSSO Brasília 0 68 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 500 km Sources : “Atlas du Brésil” (éd. CNRS-Libergéo-La Documentation française), M@ppemonde <mappemonde.mgm.fr>, <deforestation-amazonie.org> La BR 163 est devenue une zone de non-droit. Des centaines de milliers de personnes occupent illégalement des terrains publics de chaque côté de la route. La mafia des notaires falsifie des titres de propriété qu’elle vend ensuite comme s’ils étaient valables dans le monde entier. Même des multinationales comme le groupe américain Wood Resources sont installées sur des terrains avec de faux titres de propriété. C’est ce qui permet au soja de gagner du terrain. Pour couronner le tout, depuis que le gouvernement Lula a légalisé la culture de soja transgénique, les paysans sont tombés entre les mains d’entreprises comme Monsanto, BASF ou BR 153 Enquête “La vérité choquante sur le soja”, tel est le titre d’une grande enquête du Guardian. Selon le quotidien britannique, le soja serait présent dans près de 60 % des produits alimentaires transformés. Farine de soja, concentré de protéines, protéine végétale de texture, huile végétale, stérols végétaux, lécithine, émulsifiants : tous ces termes peuvent dissimuler l’utilisation de soja, dont les propriétés multiples intéressent au plus haut point l’industrie agroalimentaire. Mais ce risque de ne pas être sans conséquence : le soja pourrait perturber le métabolisme hormonal des animaux – voire des hommes – et d’induire des malformations sexuelles. Même si ce dernier point reste controversé, l’agence alimentaire britannique a recommandé que le soja ne soit donné aux enfants de moins de 12 mois qu’en des “circonstances exceptionnelles”. BR 158 ■ BR 163 L Les plantations de soja s’étendent souvent sur plusieurs milliers d’hectares d’un seul tenant. a Tap ’Amazonie a un grand ennemi. D’apparence inoffensive, minuscule et presque invisible. Il s’agit d’une plante à la taille bien timide pour un habitat forestier. Une plante qui produit de petites graines. Riche en protéines, elle est utilisée pour la fabrication d’huile, de beurre et autres produits alimentaires, mais avant tout pour la production d’aliments composés destinés aux animaux. Elle s’appelle Glycine max, plus connue sous le nom de soja. Elle est récemment devenue le principal responsable de la déforestation de l’Amazonie.Tandis que ces dernières années 70 000 km2 de forêt ont été détruits, le soja s’est répandu au rythme vertigineux de 1 million d’hectares par an [soit 10 000 km2]. D’après l’Institut de recherches appliquées [IPEA, organisme dépendant du ministère de l’Urbanisme brésilien], entre 2001 et 2004, la superficie des cultures de soja dans la partie brésilienne de la forêt a augmenté de 13,5 %. Le Brésil compte déjà 23 millions d’hectares de surfaces cultivées. Avec une récolte annuelle de 50 millions de tonnes, le pays est devenu le premier producteur mondial. Ce thriller amazonien qui mêle déforestation, destruction et déplacements de familles a connu un nouveau rebondissement, il y a trois ans, quand le géant américain Cargill a inauguré un port privé à Santarém, une ville située sur le cours moyen de l’Amazone. L’installation portuaire, qui a pris la place d’une plage autrefois utilisée par des pêcheurs, a été construite sans que les études d’impact écologique exigées par le ministère de l’Environnement aient été réalisées. C’est évidemment illégal, mais un bataillon de vigiles employés par Cargill surveille les quais grouillant d’activité. De mars 2005 à février 2006, Cargill a exporté plus de 220 000 tonnes de soja de Santarém à Liverpool, ce qui représente plus de 30 % des importations britanniques de soja. En mai 2006, Greenpeace a mis en place une campagne visant à dénoncer la face cachée du commerce du soja. A Santarém, l’Arctic Sunrise de l’organisation écologiste a été accueilli brutalement par les représentants de la société productrice de soja. La police fédérale a même fini par arrêter douze de ses militants. “Les entreprises comme Cargill sont en train de dévaster l’Amazonie pour cultiver le soja. La viande des bêtes nourries avec ce soja finit sur les rayons des supermarchés et des fast-foods d’Europe et d’ailleurs”, dénonce Paulo Adario, responsable de la campagne de Greenpeace en Amazonie. Syngenta. Ces sociétés offrent des conditions avantageuses lors des premières récoltes, mais en échange d’un fort pourcentage sur les bénéfices et d’une dépendance à vie envers les semences génétiquement modifiées. Cargill propose même aux agriculteurs un service de prêt de buldozer pour déforester facilement. Et, puisque les banques brésiliennes ne peuvent accorder de prêts qu’aux propriétaires, Cargill offre un système de prêt avantageux aux petits paysans. La pression de cette culture est telle que le soja a même envahi le parc national de Tapajós, près de Santarém. Le photographe Ricardo Beliel était à bord de l’Arctic Sunrise lors de son action à Santarém. Il a été frappé et menacé par les sbires de Cargill. Ses photos prises d’avion montrent des terrains dévastés et d’immenses champs de soja en plein milieu de la forêt. “Ils ne détruisent pas seulement la biodiversité amazonienne, ils provoquent aussi la migration des populations locales, qui sont obligées d’abandonner leurs terres, pour s’entasser dans les premiers bidonvilles de Santarém ou d’Altamira”, explique le photographe. L’industrie du soja, malgré ce qu’affirment les entreprises et les autorités, ne crée pas d’emplois. Le traitement est essentiellement mécanisé. De plus, la culture du soja transgénique utilise une grande quantité d’herbicides. Ce n’est pas pour rien que le Brésil est le troisième consommateur mondial de ces produits. Selon l’Agence nationale de surveillance sanitaire, la culture de soja absorbe 50 % des herbicides, ce qui représente un total de 4,5 milliards de dollars [3,5 milliards d’euros] par an. La campagne internationale et le rapport accusateur de Greenpeace, intitulé Eating Up the Amazone [L’Amazonie dévorée], ont donné leurs premiers résultats. Face à la réaction des consommateurs, des entreprises comme Cargill, la société française Louis Dreyfus Négoce [un des leaders mondiaux du commerce des céréales] et même le groupe brésilien Amaggi ont entrepris des négociations avec les écologistes. Le 24 juillet, ils ont signé une déclaration d’intention avec l’Association brésilienne de l’industrie des huiles végétales et l’Association nationale des exportateurs de céréales, en vertu de laquelle ils s’engagent, à partir d’octobre, à ne pas commercialiser le soja planté dans les zones déboisées. Cette déclaration prévoit également la création d’un groupe de travail chargé d’instaurer une garantie d’origine du soja (provenant de zones non déboisées). Le groupe sera constitué d’entreprises, d’ONG et d’autorités des échelons local et national. Le directeur général de Greenpeace Brésil, Frank Guggenheim, s’est déclaré satisfait, mais reste prudent, rappelant que “c’est un pas en avant important, mais nous allons continuer à faire pression en faveur de mesures plus efficaces pour protéger l’avenir de l’Amazonie et des peuples qui y vivent”. Bernardo Gutiérrez 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p70_71Ok 19/09/06 14:11 Page 70 voya ge ● UN HAUT LIEU DU SOCIALISME RÉEL “Il faudrait lancer une bombe atomique sur ce monstre social et architectural”, avait dit un conseiller municipal de Cracovie. Aujourd’hui, les charmes rétro du quartier attirent artistes et touristes. GAZETA WYBORCZA Varsovie endant l’été, un groupe d’Australiens sillonne le quartier de Nowa Huta en Trabant. Ils visitent des cités où habitent des milliers de personnes, s’arrêtent devant le combinat métallurgique (qui portait jadis le nom de Lénine), se prennent en photo devant des immeubles construits dans le style néo-Renaissance. De retour chez eux, ils envoient des e-mails à leurs nouveaux copains polonais. “Cracovie, écrit Mike, c’est de la merde ! Nowa Huta est trop cool !” Ce que confirme Pete : “C’est comme un Machu Picchu contemporain !” Cracovie n’a jamais cherché à faire la promotion du quartier de Nowa Huta [littéralement “Aciérie nouvelle”], préférant mettre en avant les restaurants branchés du quartier juif de Kazimierz, les clubs qui ont fait la réputation de sa vie nocturne, ses musées, son château royal du Wawel et la Grand-Place du marché… Nowa Huta a été découvert il y a peu de temps, par les artistes tout d’abord, qui ont investi les lieux en apportant dans leurs valises des projets sociaux qui allaient prendre forme avec la participation des habitants. Les sociologues étrangers accordent eux aussi un intérêt particulier à ce quartier cracovien. Ils étudient son potentiel social, et l’Union européenne s’apprête à financer des projets de “revitalisation de l’espace postindustriel”. “Je pense que si Nowa Huta est à la mode, c’est un peu par contraste avec Cracovie”, dit Bartosz Szydlowski, directeur du théâtre Nowa Laznia [Nou- P Adam Golec/Agencja Gazeta Michal organise des visites guidées en Trabant, la voiture symbole des années socialistes. veaux bains], un transfuge de Kazimierz installé depuis un an à Nowa Huta. “Cracovie est connue pour abriter tout un milieu artistique et intellectuel, où l’on débat de grandes idées en sirotant de la vodka cigarette au bec… Cette Cracovie-là commence à devenir ennuyeuse, poursuit-il. En revanche, Nowa Huta, c’est la fraîcheur, l’espace et le contact direct avec la réalité, et non toute cette daube artistique.” Le conseiller municipal qui avait publiquement suggéré, il y a quelques années, que l’on lance une bombe atomique sur Nowa Huta pour faire place nette doit maintenant être en état de choc : la mairie vient de déposer un dossier auprès de l’UNESCO pour que la partie la plus ancienne du quartier soit inscrite sur la liste des sites et monuments du Patrimoine mondial de l’humanité. Cela a d’ailleurs soulevé un vent d’indignation à Cracovie. Selon un architecte de renom, l’architecture de Nowa Huta n’a d’“exceptionnel” que la présence de postes de tir pour armes automatiques derrière les attiques de certains immeubles… Pour de nombreux autres architectes, Nowa Huta représente tout simplement un trésor d’architecture éclectique. Le quartier a été conçu sur un plan en étoile imitant celui de la Rome baroque. Et de nombreuses façades de bâtiments ont copié leur ornementation sur des monuments COURRIER INTERNATIONAL N° 829 70 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 célèbres. Il suffit par exemple d’observer comment sont agencés certains immeubles pour se rendre compte qu’ils renvoient à l’architecture de la Grand-Place de Cracovie. Il y a un tas de stéréotypes et de préjugés sur Nowa Huta. Il est vrai que la construction du nouveau quartier a été intimement liée à celle du combinat métallurgique – “un acte criminel en soi, qui menaçait et menace toujours la santé des habitants” –, et que Nowa Huta a été “conçue comme une muselière destinée à faire taire la Cracovie des intellectuels”. On a aussi souligné qu’en construisant la nouvelle ville ouvrière on a détruit un village et ses terres fertiles. Il n’en est pas moins vrai que le plan urbanistique de Nowa Huta est unique. Ce sont les spécialistes qui le disent. La partie ancienne de la ville, datant des années 1950, est désormais protégée de toute transformation intempestive. Nowa Huta est le seul endroit de Pologne où l’on est obligé, pour repeindre les bâtiments, d’utiliser les couleurs d’origine. Et l’on dit de plus en plus que c’est un lieu élégant. Un peu abandonné, certes, mais ayant un “grand potentiel esthétique”. Quand le théâtre de Nowa Laznia a déménagé à Nowa Huta, le milieu du spectacle a prédit sa fin, dans ce quartier où le public est si peu attiré par le théâtre. Mais Szydlowski a su trouver une formule adéquate : il y réalise surtout des projets à vocation sociale. Dans le cadre du projet “J’habite ici”, des habitants de Nowa Huta ont apporté des objets du quotidien pour raconter leur propre histoire. Il y a donc eu une radio achetée avec la première paie au combinat, un pot de fougères typique pour un bloc d’habitations de Nowa Huta, une lampe en fer coulée au temps du combinat Lénine… Les metteurs en scène ont créé des spectacles à partir des récits des habitants. L’un d’eux, l’écrivain Slawomir Shuty [pseudonyme signifiant “Celui qui vient de l’aciérie”], est considéré comme la personne qui a mis le quartier à la mode. “Nowa Huta ne sera jamais une galerie d’art. L’art et la réalité vont toujours s’y entremêler. Les artistes sont fascinés par l’histoire et le destin de ses habitants, liés à jamais”, explique Szydlowski. Il y a quatre De gauche à droite : Maciej Zienkiewicz/Agencja Gazeta - Tomasz Xiech/Agencja Gazeta - Serge Attal/REA Nowa Huta, son aciérie, s 829p70_71Ok 19/09/06 14:12 Page 71 carnet de route Y ALLER ■ Les compagnies Lot et Air France assurent des vols quotidiens entre Paris et Cracovie. On peut aussi voyager (moins cher) sur les lignes des compagnies à bas coût Sky Europe, qui dessert Orly (www.sky-europe.com), ou Wizz Air, qui dessert Beauvais (www.sky-europe.com). Une fois à Cracovie, on se déplace en tramway, en taxi ou en bus. SE LOGER ■ L’Hôtel J & B offre une vue imprenable sur le combinat métallurgique. Les balcons sont vitrés, ce qui permet d’échapper au bruit de fond des aciéries, qui se trouvent à proximité. Une chambre pour deux personnes, petit déjeuner inclus, coûte 55 euros la nuit (http://www.hoteljb.com.pl). SE RESTAURER ■ Le restaurant Stylowa vient de fêter ses 50 ans. A l’époque de son inauguration, on encourageait les stakhanovistes à consommer du café et des liqueurs sucrées de manière “digne et civilisée”. Aujourd’hui, c’est une cuisine internationale que l’on sert – escalope à la viennoise et bifteck argentin, entre autres –, mais le chef assure que la tradition de l’ancienne Pologne est toujours palpable. Entre les plats, on peut admirer le décor, tout en marbre. De gauche à droite : Maciej Zienkiewicz/Agencja Gazeta - Tomasz Xiech/Agencja Gazeta - Serge Attal/REA ses lieux branchés Le centre administratif, surnommé “Palais des Doges”. culturel. “Ces gens n’ont jamais eu honte d’être originaires d’ici. Ils n’ont jamais eu l’impression de se faire avoir, comme c’est le cas de la génération de leurs grands-parents, à qui le régime a promis un avenir radieux en faisant d’eux un symbole de propagande.” La ville a en préparation des centaines de projets financés par la mairie ou des fonds privés. Une BD consacrée à Nowa Huta existe déjà, ainsi qu’une radio et une télé sur la Toile, des dizaines de pages Internet consacrées à la ville et à ses différents quartiers, un panorama de tous les films qui y sont consacrés… Deux fois par mois, une chronique filmée sur la ville est même projetée au cinéma Sfinks de Cracovie – une initiative inédite en Pologne. “Même si les habitants ne sont pas trop branchés cinéma, ils y vont pour se voir à l’écran”, raconte le metteur en scène Jerzy Ridan. Que faire de Nowa Huta ? Le quartier est aujourd’hui l’objet d’un véritable engouement, qui ne pourra que grandir, selon les observateurs. Pour l’ancien dissident Stanislaw Handzlik, il est essentiel “que les autorités ne s’immiscent pas dans ses affaires. Si l’on compare Nowa Huta à Kazimierz, ce sont deux mondes. A Huta, les habitants s’identifient à leur quartier.A Kazimierz, il n’y a presque plus d’habitants ; il n’y a plus que des restos…” Renata Radlowska et Katarzyna Bik La Grand- Place, parfaite pour faire du vélo. L’entrée de l’usine sidérurgique Sendzimir, anciennement Lénine. Ce tumulus de l’époque celtique serait, selon la légende, la tombe de la princesse Wanda. 0 1 2 km RAKOWICE NOWA HUTA OLSZA Avenue Je an-Pau C R AC OV I E Grand-Place du marché l II DABIE GRZEGÓRZKI S TA R E M I A S TO Me r Baltiq ue Château royal du Wawel Vi st u le KAZIMIERZ 52°N COURRIER INTERNATIONAL N° 829 71 niques médiévales, qu’on tire le nom de ce lieudit, puisque Mogila veut dire “tombeau” en polonais. Pas loin du combinat métallurgique, on voit le ter tre de Wanda, datant du VIIIe siècle av. J.-C., qui faisait peut-être partie, avec un autre tertre, celui de Krak, d’un observatoire astronomique celte. Ils n’ont pas encore été systématiquement fouillés par les archéologues. L’église de Notre-Dame-Reine-de-Pologne, construite en forme de barque renversée, a été consacrée en 1977 par le cardinal Karol Wojtyla, le futur pape Jean-Paul II, qui était à l’époque archevêque de Cracovie. Le combinat métallurgique (qui portait jadis le nom de Lénine) est la seule aciérie en Europe ouverte aux visiteurs. Une escapade en Trabant (renseignements sur <www.crazyguides.com>) permet de découvrir le passé communiste de Nowa Huta et son caractère architectural éclectique : un plan baroque, d’imposants immeubles d’habitation, des édifices publics, de larges allées imaginées par les architectes pour les défilés, et de nombreux espaces verts. Varsovie POLOGNE Cracovie Source : “Atlas Samochodowy” (éd. Copernicus) de Mogila, le quartier cracovien de Nowa Huta (“Aciérie nouvelle”) a été conçu dans les années 1950 comme une cité d’habitations ouvrières “idéale”, dans le pur style du réalisme socialiste. Unique en son genre, elle offre un étonnant mélange de styles néo-Renaissance et classiques. A proximité se trouve une abbaye cistercienne, fondée au XIIIe siècle (les fresques datent du XIVe). Selon la légende, l’abbaye a été construite à l’endroit même où la princesse Wanda, devenue orpheline, s’est jetée dans la Vistule pour ne pas épouser un prince allemand. C’est de cette histoire, transmise dans les chro- Marivsz Makowski/Agencja GAzeta ans, Anna Maria Potocka, la directrice de la galerie Bunkier Sztuki [Bunker des arts], a proposé un projet intitulé “Monuments de Nowa Huta”. “Il s’agit de créer une collection de sculptures contemporaines située dans l’espace public, afin de reconstruire et de renforcer les liens sociaux et d’impliquer les habitants dans le projet”, explique-t-elle. A l’époque communiste, plusieurs monuments ont été érigés, en même temps qu’avançait la construction du quartier. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux ne sont plus visibles, envahis par la broussaille. Depuis un an, Nowa Huta a son musée. Dans un petit immeuble de la cité du Soleil, on a réuni des milliers de photographies prises à l’époque de la construction. Il y a aussi des plans d’architectes et les souvenirs de ceux qui y ont participé. Récemment, on y a exposé des projets jamais réalisés, comme celui de la mairie ou de l’hôtel, qui devait faire onze étages. Mais le quartier attend toujours son musée du communisme. Krystyna Zachwatowicz [comédienne et scénographe, épouse du cinéaste Andrzej Wajda] et l’association Socland ont cherché, il y a déjà quelques années, un site pour accueillir un tel musée. En vain. Les habitants de Nowa Huta ont protesté : nous ne voulons pas devenir un parc d’attractions reflétant une époque révolue, nous préférons montrer ce qui se passe ici aujourd’hui, disaient-ils alors en substance. A présent, le projet du musée du communisme ne suscite plus autant de controverses. L’Institut culturel de la région de Cracovie a conçu un projet artistique visible depuis peu sur Internet (nowa_huta.rtf). Des affiches faisant la promotion de Nowa Huta seront réalisées par les enseignants et les étudiants de l’école des beauxarts de Cracovie. Quand on leur a posé la question sur les symboles qu’ils comptaient mettre en avant, ils ont répondu : la verdure, les cheminées du combinat métallurgique, une belle architecture et le patriotisme local de ses habitants. “L’engouement pour Nowa Huta est le fait d’une génération qui n’est plus stigmatisée par l’époque communiste”, explique Anna Miodynska, de l’Institut À VOIR ■ Construit à l’emplacement du village V le i s tu 20°E DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 ■ Retrouvez tous nos Voyages sur courrierinternational.com 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 829p73 19/09/06 17:55 Page 73 l e l i v re épices & saveurs ● L’ENFER DE SARTRE REVISITÉ Seul au monde Se réveiller un matin dans une Vienne sans âme qui vive, une Autriche déserte et une Europe dépeuplée… Sous la plume de Thomas Glavinic, cette expérience épouvantable devient palpitante. ÉTATS-UNIS Agapes ■ en orbite S DER SPIEGEL (extraits) Hambourg U ■ Biographie Thomas Glavinic est né à Graz, en Autriche, en 1972. Depuis l’âge de 19 ans, il se consacre à l’écriture – romans, essais, récits tout autant que pièces radiophoniques et reportages. En 1998, il fait des débuts remarqués en littérature avec son roman Partie remise (Pauvert, 2001), qui traite de l’esprit de compétition par le biais de l’histoire d’un joueur d’échecs génial mais compatissant envers ses adversaires, dans la Vienne de 1900. Puis avec Herr Susi (2000), qui dépeint l’ascension et la chute d’un président de club de football, et le burlesque Wie man leben soll (2004), il déploie tout son art du récit sous des formes radicalement novatrices. Le Tueur à la caméra (Le Passeur, 2005), sulfureuse histoire d’infanticide adaptée au théâtre en 2005, lui a valu le prix Glauser, l’un des deux grands prix allemands décernés aux auteurs de romans policiers. Wolfgang Wesener/Focus/Cosmos n homme se réveille et s’aperçoit que tous les autres humains ont disparu : dans sa maison, dans la rue, dans la ville, oui, ça ne fait pas de doute – car la radio, la télé et Internet restent muets – et c’est pareil ailleurs, dans tout le pays, peut-être dans le monde entier. D’abord, il refuse d’y croire, et puis il lui faut bien se rendre à l’évidence : quelque chose s’est passé pendant qu’il dormait et, pour une raison inconnue, il est le seul à être encore là. Cette situation que chacun a pu vivre en cauchemar ou souhaiter en rêve, Thomas Glavinic l’explore de bout en bout dans son roman Die Arbeit der Nacht* [Le travail de la nuit]. Jonas, le protagoniste, commence par errer dans Vienne avant d’explorer la province autrichienne et les villes frontalières allemandes. Puis il entreprend de traverser l’Europe désertée et se fixe pour objectif le nord de l’Angleterre, où il espère retrouver la trace de sa femme disparue. Glavinic réussit quasiment l’impossible : à partir de cette situation simple, il nous propose un roman dont la force et le suspense nous tiennent en haleine tout au long de ses 400 pages. Car les choses ne sont bien sûr pas aussi simples qu’elles en ont l’air. Dans ce monde dépeuplé, Jonas trouve sans arrêt de nouvelles informations qui semblent avoir été disséminées exprès pour lui. Et, même si Glavinic ne tombe jamais dans la facilité pour expliquer ce mystère, une lecture attentive permet de repérer des indices ambigus qui, à bien des égards, donnent la chair de poule. Mais il s’agit avant tout d’un livre qui dépeint avec brio la peur et ses multiples déclinaisons. Au début, rien ne fait plus peur à Jonas que de savoir qu’il est parfaitement seul. Mais, rapidement, dès qu’il s’est habitué à sa situation, son état d’esprit change complètement. L’idée que quelqu’un surgisse soudain et qu’il ne soit pas aussi seul qu’il en a l’air semble bien plus effrayante à ses yeux et à ceux du lecteur. Jonas s’essaie à la caméra : il se filme en train de dormir, filme les rues désertes, enregistre le silence des pièces vides. Et c’est là que Glavinic atteint le sommet de son art, qu’il réussit des scènes d’épouvante aussi subtiles que celles des films de David Lynch. Car non seulement quelque chose (ou est-ce une illusion ?) semble se mouvoir dans les rues de Vienne, non seulement les voix audibles sur les cassettes ne sont peut-être pas le fruit de son imagination, non seulement les cris ne sont pas forcément dus à un problème technique, non seulement un animal surgit de plus en plus souvent dans ses rêves. Mais, de surcroît, sur les vidéos filmées pendant son sommeil, Jonas se voit fixer la caméra les yeux grands ouverts. Il se voit se lever et marcher à travers la chambre et s’entend prononcer des phrases incompréhensibles. Mais il n’en a pas le moindre souvenir et il comprend peu à peu que l’enfer, ce n’est pas les autres (comme l’affirmait Sartre), mais précisément leur absence et que la pire des trahisons est de se trahir soi-même. Alors que les actes destructeurs du “dormeur” pèsent de plus en plus lourd sur ses journées, il comprend qu’il doit agir. Il part à la recherche de sa femme qui, le jour où tout s’est arrêté, était en visite dans sa famille, outre-Manche. Ce livre, à la fois palpitant roman d’épouvante et œuvre littéraire complexe, n’est pas qu’un événement de cette rentrée. Die Arbeit der Nacht est, en fin de compte, un roman philosophique qui pose, sous des angles chaque fois différents, la question de l’absence. Celle des autres humains, celle des témoins et celle d’un dieu tout-puissant. Glavinic fait de son Jonas – la référence au Jonas de la Bible avalé par la baleine n’est pas due au hasard – quelque chose de paradoxal : il fait de lui le témoin d’un monde que personne ne voit, un monde foncièrement abandonné de Dieu. Et ce qu’il voit dans ce monde atteint peu à peu un degré d’épouvante qui se rencontre rarement dans la littérature contemporaine. Pourtant, c’est aussi un roman sur la nostalgie et la séparation. Il ne se passe pas un instant sans que Jonas pense à sa femme disparue. L’image du grand amour (disons les choses telles qu’elles sont) naît de la mosaïque de ses souvenirs et semble venir d’un autre monde et d’une autre réalité. Il n’y a donc aucune raison de supposer que le couple se reverra un jour. Le lecteur comprend vite qu’il ne peut espérer une fin heureuse. Mais Glavinic réussit une fois de plus à créer la surprise. Et tout se passe comme si le lecteur avait toujours attendu ce dénouement-là. Daniel Kehlmann** * Ed. Hanser, Munich, 2006. Pas encore traduit en français. ** Romancier, auteur des Arpenteurs du monde, à paraître début 2007 chez Actes Sud (voir CI n° 798, du 16 février 2006). COURRIER INTERNATIONAL N° 829 73 DU 21 AU 28 SEPTEMBRE 2006 ur les quelque 400 personnes qui ont voyagé dans l’espace depuis 1961, celles qui ont le mieux mangé sont assurément les habitants de la Station spatiale internationale, affirme Vickie Kloeris, qui travaille pour le programme spatial d’alimentation depuis vingt et un ans. “Il y a de plus en plus de variété. La plupart des astronautes sont amateurs de steak-frites, mais nous leur proposons aussi de la cuisine exotique”, explique-t-elle. Dans l’espace, le sens de l’odorat est atténué. En apesanteur, les voies nasales se bouchent. L’air ambiant, filtré et recyclé, a un drôle d’effet sur les odeurs. Manger à même les conserves et les poches plastique limite par ailleurs le plaisir olfactif qu’offre la nourriture chaude. Après quelques mois de ce régime, une bouteille de Tabasco ou une gousse d’ail semble le plus délicieux des mets, explique le colonel William S. McArthur Jr., rentré en avril dernier de la station spatiale. Le sel et le poivre peuvent également améliorer l’ordinaire, si ce n’est qu’ils sont sous forme liquide, car les grains pourraient endommager le matériel ou se loger dans l’œil ou les narines d’un astronaute. A bord de la station, il existe deux systèmes – l’un américain, l’autre russe – pour chauffer la nourriture. Le premier se résume à de l’eau chaude et à des poches plastique. Le russe fonctionne à partir de boîtes de conserve chauffées dans des compartiments intégrés dans la kitchenette. Mais tout le monde mange la même chose. Le colonel McArthur s’est ainsi découvert une passion pour le ragoût d’agneau à la russe. Les Américains, constatant que les Russes voulaient manger de la soupe tous les jours, en ont stocké davantage dans le gardemanger commun. Les astronautes n’aiment pas le gâchis, même lorsque le plat n’est pas à leur goût. “Nous nous efforçons de ne jamais jeter de nourriture : on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve”, remarque William McArthur. A la fin des années 1990, quand il est devenu évident que la station spatiale ne serait équipée ni de réfrigérateur ni de congélateur, la NASA s’est lancée dans l’élaboration de ses propres mets. Une bonne soixantaine de produits sont ainsi sortis des cuisines de Vickie Kloeris. L’experte en gastronomie de la NASA se trouve face à un nouveau défi : prévoir le mode de préparation et d’emballage de la nourriture pour les futures expéditions sur Mars. Tous les aliments, qui seront envoyés dans l’espace bien avant les astronautes, devront avoir une durée de conservation de cinq ans. La clé, explique Vickie Kloeris, consiste à trouver de nouveaux modes de conditionnement limitant le problème posé par l’“activité de l’eau”, qui favorise la prolifération bactérienne. “Dans l’espace, les bactéries, mieux vaut éviter”, résume Vickie Kloeris. Kim Severson, The New York Times, New York 19/09/06 16:07 Page 74 insolites ● Un peu de tenue racher dans sa chambre d’hôtel ? C’est indigne d’une grande civilisation. Sensible aux plaintes des hôteliers et des compagnies aériennes de Singapour, las du comportement des touristes chinois, Pékin lance une “Campagne pour promouvoir des touristes chinois civilisés”. L’initiative, promue par le Comité de pilotage de civilisation spirituelle du Comité central du Parti communiste, durera jusqu’en 2008, date des Jeux olympiques. Objectif : “corriger quelques coutumes embarrassantes” – cracher par terre, resquiller, brailler, enlever ses chaussures en public ou manger en aspirant bruyamment. “Dans beaucoup d’endroits d’Europe et des EtatsUnis, on trouve dégoûtant de manger la bouche ouverte ou en faisant claquer ses lèvres.Vos hôtes européens […] pourraient penser que les Chinois sont mal élevés”, écrit le China Daily. Un manuel de savoir-vivre devrait être distribué d’ici à la fin de l’année. L’an dernier, indique l’agence Xinhua, 31 millions de Chinois se sont rendus à l’étranger. Ils devraient être 100 millions par an d’ici à 2020. Or “le comportement des touristes chinois est incompatible avec le développement rapide de l’industrie touristique, et avec la stature internationale de la Chine”, déplore M. Zhai Weihua, directeur du comité. Stuar t Isett/The New York Times C Se Tirer son lait au bureau ? Un privilège de cadre lA hm et /S ip a Trop de passion L eur soirée d’anniversaire de mariage avait pourtant bien commencé. Mais, après un petit dîner en tête à tête, Michael et Patrica Watson visionnent La Passion du Christ – puis discutent théologie. Le débat tourne à l’aigre : M. Watson tente d’étrangler son épouse. “J’ai reçu la sainte onction, tu le sais, Michael”, trouve-t-elle la force de souffler. “Ne touche pas qui a reçu l’onction du Seigneur !” A ces mots, son époux relâche son étreinte. Après trois semaines de détention préventive et un mea culpa, M.Watson est de retour au foyer conjugal. (The Daily Telegraph, Londres) Jambes croisées es armes ou les parties de jambes en l’air, il faut choisir. A Pereira, en Colombie, les membres des bandes armées affrontent la grève du sexe. Leurs femmes ou leurs compagnes refusent tout rapport tant qu’ils n’auront pas renoncé à la violence. Pereira, 450 000 habitants, abrite une trentaine de bandes et affiche le taux d’homicide le plus élevé du pays – avec 97 assassinats par an pour 100 000 habitants, le double de la moyenne nationale. En 2005, on dénombrait 488 morts violentes. Objectif de cette “opération jambes croisées” : pousser délinquants et tueurs à signer un accord de paix et à rendre leurs armes aux autorités. “C’est notre façon à nous de dire à nos hommes que nous ne voulons pas rester veuves, et que nos enfants ne méritent pas de grandir sans père”, explique Ruth Macias, 18 ans et deux enfants. L’initiative est née lors d’une réunion organisée par la mairie dans le cadre de la campagne Pereira con vida, destinée à désarmer la ville. Omaira, leader de ce chantage sexuel, a composé avec son groupe rap une chanson devenue l’hymne de la campagne : “On ne veut plus tomber amoureuses d’hommes violents : on a trop à y perdre.” Les caïds privés du repos du guerrier ne risquentils pas de retourner leur violence contre leur partenaire ? “Ils ne nous feraient pas ça”, assure Jennifer Bayer, 18 ans, petite amie d’un pandillero. “On veut qu’ils comprennent que la violence, ce n’est pas sexy.” (El Nuevo Diario, Managua ; The Guardian, Londres) L Résultats garantis A u Zimbabwe, les guérisseurs peuvent désormais délivrer des arrêts maladie reconnus par les employeurs. Mais seuls les 1 500 membres du Conseil des praticiens traditionnels sont autorisés à le faire, indique le quotidien officiel The Herald. Sans doute par souci de professionnalisme. u siège de Starbucks, à Seattle, quand une femme rentre de son congé maternité, elle découvre enfin ce qui se cache derrière la porte du mystérieux “lactarium”. Dès qu’elle le souhaite, elle peut s’échapper de son bureau pour franchir cette porte. Là, installée dans un fauteuil, derrière des rideaux, elle feuillette un magazine pendant qu’un tire-lait, fourni par l’entreprise, remplit des biberons qu’elle pourra fourrer dans son sac et rapporter à la maison. En revanche, les jeunes mamans qui travaillent dans les cafés de la chaîne n’ont que leur temps de pause pour se barricader dans les toilettes des clients. Les médecins sont formels, le lait maternel est une sorte d’élixir magique pour les bébés : il réduit le nombre d’infections et très certainement les risques d’allergies, d’obésité et autres maladies chroniques. Mais, alors que l’on pousse de plus en plus les femmes à allaiter, celles qui travaillent sont confrontées à l’émergence d’un système à deux vitesses. Pour les cadres qui bénéficient d’une plus grande autonomie professionnelle, l’allaitement, et le tirage du lait qui va avec, est une question de choix. Ce qui n’empêche pas les situations embarrassantes – les biberons qui fuient dans le sac ou qu’il faut cacher dans le frigo du bureau. Mais, pour les femmes qui travaillent dans des restaurants, en usine ou dans des centres d’appels, tirer son lait au boulot est presque impossible. De ce fait, beaucoup n’allaitent pas du tout, et d’autres y renoncent rapidement. Presque la moitié des jeunes mamans reprennent le travail dans l’année qui suit la naissance de leur enfant. Mais la loi fédérale n’offre pas de protection aux mères qui tirent leur lait au travail, malgré les efforts de Carolyn B. Maloney, représentante démocrate de New York, qui a présenté une proposition de loi en ce sens. “Je ne comprends pas pourquoi les choses n’avancent pas, déplore-t-elle. C’est une mesure qui favorise la famille, la santé et l’économie.” En attendant, douze Etats ont voté des lois qui protègent les mères qui allaitent. La plus récente, votée en Oklahoma, prendra effet en novembre. Mais elle stipule seulement qu’un employeur “peut accor- A Rober t Harding/Alamy 829p74 COURRIER INTERNATIONAL N° 829 74 DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006 der un temps de pause proportionné” et qu’il “peut, dans la mesure du possible, faire en sorte” d’assurer à ses employées une certaine intimité. La législation en Oklahoma, comme dans la plupart des autres Etats, est surtout symbolique. Dans les entreprises américaines, l’aide aux femmes qui allaitent peut être un plus appréciable : tire-lait gratuits ou subventionnés, consultations de spécialistes de la lactation, pièces spécialement aménagées avec connexions téléphone et Internet pour les femmes qui travaillent tout en tirant leur lait, ou lecteurs CD et magazines pour les autres. D’après l’association à but non lucratif Families and Work Institute, un tiers des grandes entreprises sont équipées de lactariums. Les femmes qui en ont les moyens peuvent résoudre le dilemme “travail ou allaitement”. Elles peuvent ramener à la maison le lait qu’elles ont tiré pendant un voyage d’affaires et s’acheter des tire-lait super-rapides à 200 euros, ou des appareils qui leur permettent de tirer leur lait au volant. D’autres, en revanche, n’ont même pas de quoi se payer un tire-lait à 40 euros. C’est le cas des patientes du Dr Lori Feldman-Winter, professeur de pédiatrie à l’université de médecine et de dentisterie du New Jersey et membre du comité sur l’allaitement de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP). Pourtant, regrette-t-elle, cet investissement pourrait prévenir toutes sortes de maladies. L’AAP recommande fortement aux femmes de nourrir leur enfant uniquement au lait maternel pendant six mois, puis de continuer à allaiter périodiquement jusqu’à ses 12 mois. Les cadres les mieux payées peuvent tirer leur lait sans que personne le sache – ou au contraire au vu et au su de tous. Nina Wurster, qui travaille aux services RH d’Advisory Board, une société de conseil à Washington, fait passer des entretiens téléphoniques depuis le lactarium. “Je leur dis juste ‘désolée pour le bruit de fond’ et je commence l’entretien”, explique-t-elle. Aujourd’hui, l’allaitement est tellement banalisé parmi les employés de bureau que les femmes se sentent parfaitement à l’aise et tirent leur lait sans même bouger de leur siège. Jodi Kantor, The New York Times (extraits), New York