Belgique La fièvre flamande

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Belgique La fièvre flamande
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D O S S I E R
Belgique La fièvre flamande
MÉDIAS La bataille des quotidiens
MEXIQUE Jusqu’où ira Lopez Obrador ?
SUPPLÉMENT Courrier in English (2)
www.courrierinternational.com
N° 829 du 21 au 27 septembre 2006 - 3
€
VIOLENCE
ET ISLAM
Le débat après le discours
de Benoît XVI
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
M 03183 - 829 - F: 3,00 E
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s o m m a i re
●
34 ■ moyen-orient
e n c o u ve r t u re
●
VIOLENCE ET ISLAM
Atta Kenare/AFP
La conférence prononcée le 12 septembre par
Benoît XVI en Allemagne n’a pas fini de produire ses
effets. Le pape y faisait notamment référence aux
rapports entre islam et violence, avant de montrer les
failles d’une raison occidentale qui serait livrée à ellemême. Dans le monde musulman, beaucoup de journaux
n’ont retenu que le premier point. En Europe, certains
commentateurs apportent leur soutien au souverain
pontife.
pp. 40 à 44
I S R A Ë L Qu’auraient décidé les enfants exterminés à Auschwitz ? ARABIE SAOUDITE
Moins dépendre des recettes pétrolières YÉMEN “Je cède
à vos pressions et je reste président” Q ATA R On ne joue
pas impunément avec le feu
38 ■ afrique ALGÉRIE Le GSPC est-il encore capable
de frapper ? R É P U B L I Q U E D É M O C R AT I Q U E D U C O N G O Arrêtons de
parler français ! A F R I Q U E D U S U D Les quarante vierges et
le chef zoulou MADAGASCAR Rêve d’or noir à Antananarivo
IN ENGLISH
45
■ Courrier international en v.o.
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
40 ■ en couverture Islam-Occident :
histoires de violence
Des religieux iraniens se sont réunis le 17 septembre pour protester
contre les attaques de Benoît XVI.
50 ■ portrait Indien, sociologue et insoumis
Le pionnier de la sociologie indienne André Béteille
a consacré sa carrière à étudier le système des castes.
RUBRIQUES
52 ■ enquête Quand la Chine inventait
l’égalité des chances Abandonné il y a un siècle,
le système des concours suscite de la nostalgie.
6 ■ l’éditorial A micro et tombeau ouverts,
par Philippe Thureau-Dangin
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54 ■ dossier Belgique : la fièvre flamande
l’invité Maung Zarni, New Statesman, Londres
le dessin de la semaine
les sources de cette semaine
à l’affiche
ils et elles ont dit
voyage Nowa Huta et ses lieux branchés
le livre Die Arbeit der Nacht, de T. Glavinic
épices et saveurs
Elections municipales le 8 octobre prochain, législatives
au printemps 2007 : en Belgique, le ton du débat
électoral ne cesse de monter.
INTELLIGENCES
61 ■ économie MONDIALISATION La Chine commence
à exporter son inflation MARCHÉS “Des pays riches peuplés
de pauvres” C R I T I Q U E Stiglitz : un artiste de l’impossible
■ la vie en boîte Le changement, c’est épuisant
Etats-Unis : agapes en orbite
Stiglitz et la mondialisation
74 ■ insolites
p. 62
presse n’est pas écrit Les quotidiens papier bientôt
au musée • A Londres, une sanglante bataille a commencé • Nouvelle expérience au Danemark
Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Hervé Guillemot.
Cette semaine, “Nowa Huta, son aciérie, ses lieux branchés”, avec Iwona
Ostapkowicz, de CI, et Maya Szymanowska, correspondante RFI à Varsovie.
Cette émission sera diffusée sur 89 FM samedi 23 septembre à 19 h 40 et
dimanche 24 septembre à 0 h 10, puis disponible sur <www.rfi.fr>.
68 ■ écologie D É F O R E S TAT I O N Au Brésil, l’ennemi
numéro un s’appelle “soja”
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
14 ■ france POLITIQUE Sarkozy, l’homme qui voulait
ressembler à Bush R É A C T I O N La “sale politique” du chef
de l’UMP contre la Turquie SOCIÉTÉ Le Tout-Deauville tremble
devant l’invasion britannique DIPLOMATIE Dialogue de sourds
sous les ors élyséens
24 ■ amériques M E X I Q U E Obrador, accroche-toi,
le peuple est avec toi ! URUGUAY La justice s’attaque enfin
aux militaires C A N A DA Pourquoi faire la guerre en Afghanistan ? S O M M E T D E S PAY S N O N A L I G N É S Une autre mondialisation est possible ÉTATS - UNIS La culture de l’échec des
Noirs américains MÉDIAS Crack, meufs et gros calibres
30 ■ asie TAÏWAN Le président Chen met l’île en émoi
Pourparlers avec les insurgés INDE La jeunesse
découvre la “Ghandi attitude” JAPON Le nouveau Premier
ministre dans la tourmente ■ le mot de la semaine
in’netsu, une passion néfaste CORÉE DU SUD Séoul veut son
indépendance militaire
C H AT
Venez dialoguer avec Eric Maurice autour de la question
Les Flamands veulent-ils
l’indépendance ?
17 ■ europe
S U È D E La continuité dans le changement A L L E M A G N E Comment combattre l’extrême droite
POLOGNE - ALLEMAGNE La réconciliation n’est plus qu’un lointain
souvenir KO S OV O Belgrade serait prêt à jouer la partition
IRLANDE Dans les pubs de Dublin, la Guinness ne fait plus
saliver RUSSIE Avertissement aux fonctionnaires honnêtes
G É O R G I E Coup de balai avant les élections B I É L O R U S S I E
Et maintenant, l’orthographe
64 ■ multimédia dossier L’avenir de la
L’autre Cracovie
p. 70
Rendez-vous jeudi 21 septembre à 15 heures
sur courrierinternational.com
LA SEMAINE PROCHAINE
dossier Le
Brésil de Lula
écosse Rona, paradis des oiseaux
THAÏLANDE
ET AUSSI
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
Courrier in English (3)
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DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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l’invité
ÉDITORIAL
A micro
et tombeau ouvert
Philippe Thureau-Dangin
L E
D E S S I N
D E
Maung Zarni,
●
New Statesman (extraits), Londres
es tatmadaw, les forces armées birmanes, qui
de santé publique, d’éducation, d’économie, de déveavaient chassé – avec d’autres progressistes – les
loppement des ressources humaines, de gestion des resoccupants japonais fascistes [le Japon a occupé la
sources naturelles, de développement rural ou d’intéBirmanie pendant la Seconde Guerre mondiale],
gration ethnique, le bilan des gouvernements militaires
se voient accusées aujourd’hui des mêmes méfaits
qui se sont succédé depuis 1962 est catastrophique. Il
que ces derniers. Mais ne sombrons pas dans la
ne faut pas s’attendre à une amélioration tant que les
diabolisation. Ce n’est pas la solution. Elle n’a pas
généraux auront pour seule priorité la sécurité, la sécuservi notre pays. Que cela nous plaise ou non, l’arrité et la sécurité.
mée est devenue un acteur incontournable de notre corps
L’armée est pourtant capable de changer de l’intérieur,
politique. Elle est tellement enracinée dans la vie politique,
pour le meilleur et pour le pire. Les changements sont
économique et administrative du pays qu’il faut négocier
toutefois lents et coûtent cher à ceux qui les lancent.
avec le régime militaire si on veut que les malheurs et l’isoEn 1976, le capitaine Ohn Kyaw Myint, qui était l’aide
lement de la Birmanie prennent fin un jour [les opposants
de camp du chef d’état-major adjoint de l’époque, a
refusent d’utiliser l’appellation de Myanmar pour leur pays].
tenté un coup d’Etat pour instaurer un gouvernement
Les généraux viennent en
réformiste. Le jeune meneur
grande majorité de l’élite ura été pendu et ses complices,
baine, mais des centaines de
dont le chef d’état-major,
milliers de familles de toutes
chassés de l’armée. En 1983,
les ethnies comptent des mile général Tin Oo, qui était à
litaires en leur sein. Quelque
l’époque conseiller à la sécudésagréable que puisse être
rité nationale, a été limogé et
cette idée, les chefs comme la
tout son réseau de renseipiétaille sont faits du même
gnement dissous, car la hiébois que nous. Ils soutiennent
rarchie avait l’impression que
■ Chercheur invité au département des
un nationalisme xénophobe.
ce maître espion commençait
études sur le développement d’Oxford,
Ce sont tous des pères de faà devenir trop puissant. En
le Dr Maung Zarni a fondé le mouvement
mille qui vénèrent le Bouddha
2004, le général Khin Nyunt,
d’opposition à la junte Free Burma Coaet croient en l’astrologie et
qui était à la fois Premier
lition (FBC). Après avoir réclamé des meaux miracles. Ils connaissent
ministre et chef des renseisures d’embargo et d’isolement, la FBC
tous les angoisses et le sentignements militaires, a tendu
prône désormais la négociation.
ment d’insécurité qui naît
la main à l’opposition birlorsqu’on est au centre des conflits, avec ses concitoyens
mane et à l’Occident. Cette ouverture a été sabordée par
et désormais le monde extérieur, qui agitent le pays
les durs du régime. Le général, qui était alors le troisièdepuis l’indépendance.
me homme de la junte, a été chassé et son soutien déDepuis la fin de la guerre froide, l’Occident a redécoumantelé. Les durs se sont retirés de la communauté invert les droits de l’homme : il ne voit plus d’un bon œil
ternationale et ont fermé la porte à l’opposition.
les successeurs de Ne Win, le général qui a régné sans parL’armée, qui est contrôlée par les durs, n’est absolument
tage sur le pays jusqu’en 1988, et ne tolère plus leur mode
pas prête à voir à la tête du pays une personnalité qui ne
de gouvernement autoritaire. L’attention pratiquement
soit pas un général expérimenté, a fiortiori un civil. Dans
exclusive apportée à l’opposante Aung San Suu Kyi et
ces conditions, où va la Birmanie ? Si malheureux que
à son épopée n’a toutefois servi à rien. Quoique bien intence soit, l’armée est la seule institution qui permettra des
tionné, le soutien de celle-ci au boycott du tourisme, aux
réformes. Nous n’avons pas d’autre choix que de discuter
sanctions économiques et à l’isolation politique n’a pas
avec les généraux. Si l’Occident et l’opposition ne se déciréussi et bloque même toute possibilité de réforme.
dent pas à œuvrer pour la constitution d’une classe capiL’armée procède en politique comme à la guerre, elle
taliste ou à trouver et à soutenir des militaires réformarecherche l’unité à la pointe du fusil. Elle a l’impression
teurs, l’avenir de la Birmanie sera sombre. Mais, pour le
d’être assiégée par l’Occident. C’est la population qui
moment, il est aussi difficile de trouver des réformateurs
supporte le coût énorme du conflit. Que ce soit en matière
qu’une aiguille dans une meule de foin.
■
L
Parlons avec la
junte birmane
DR
Attention, les murs écoutent ! On se
souvient, en juillet dernier, lors du
sommet de Saint-Pétersbourg, de la
conversation entre Tony Blair et
George Bush. Le premier proposait
au second d’aller au Proche-Orient
pour préparer la venue de Condoleezza Rice : “Si elle y va, elle doit réussir ; moi je peux
y aller comme ça, pour parler”… De même, en 2005,
lors du 750e anniversaire de la fondation de Kaliningrad, Chirac n’hésita pas à plaisanter devant Schröder et Poutine, sans se douter que des journalistes
écoutaient : “La seule chose que les Anglais aient apportée à l’Europe, c’est la vache folle. On ne peut pas faire
confiance à des gens qui ont une si mauvaise cuisine. Après
la Finlande, c’est le pays où on mange le plus mal.”
Cette semaine, c’est au tour du Premier ministre
hongrois, Ferenc Gyurcsány, de se faire piéger par
un enregistrement pirate d’une de ses sorties au langage châtié : “En Europe, il n’y a pas un pays qui
ait fait une connerie aussi colossale que nous. Cela s’explique. Evidemment, nous avons menti pendant douze
à dix-huit mois. Il était parfaitement clair que ce que
nous disions n’était pas vrai. […] La divine Providence,
l’abondance de l’économie mondiale et les centaines de
combines, dont je ne dois évidemment rien savoir, nous
ont aidés à survivre.”
Résultat de la diffusion de ce morceau de bravoure :
des émeutes à Budapest et une centaine de blessés
dans la nuit du 18 au 19 septembre. (Avant de revenir la semaine prochaine à cette actualité hongroise, je vous renvoie à notre site : <courrierinternational.com>.)
La politique devient donc un sport dangereux. Non
seulement on n’est pas à l’abri d’un micro, mais toutes
les déclarations off sortent désormais vite au grand
jour, dans un blog ou un autre. Avec une circulation
de l’information de plus en plus répétitive et dénuée
de contexte, façon Google News, on en arrive à une
distorsion de plus en plus évidente qui nourrit en fait
l’ignorance. La conférence de Benoît XVI est à cet
égard exemplaire, car se télescopent ici deux ordres
qui n’ont plus rien à voir : la réflexion philosophique
et la machine médiatique. On aurait pu penser que
le pape savait qu’il ne lui était plus permis d’être
un théologien, du moins devant les micros.
Benjamin Kanarek
829p06
L A
S E M A I N E
■ Sommet
des non-alignés
à La Havane.
Fidel Castro,
convalescent,
aura été le grand
absent du quatorzième
sommet des pays
non alignés,
qui s’est tenu
à Cuba du 11
au 15 septembre
(voir aussi p. 26).
Dessin de Haddad
paru dans Al-Hayat,
Londres.
www.courrierinternational.com Un nouveau dessin d’actualité chaque jour, et près de 2 000 dessins en consultation libre
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
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DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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l e s s o u rc e s
●
CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL
HA’ARETZ 80 000 ex., Israël,
quotidien. Premier journal publié
en hébreu sous le mandat
britannique, en 1919. “Le Pays”
est le journal de référence
chez les politiques
et les intellectuels israéliens.
BANGKOK POST 55 000 ex.,
Thaïlande, quotidien. Fondé
en 1946, ce journal indépendant,
en anglais, réalisé par une équipe
internationale, s’adresse
à l’élite urbaine et aux expatriés.
BRUSSEL DEZE WEEK 68 000 ex.,
Belgique hebdomadaire. Distribué
gratuitement par la poste à la
minorité néerlandophone de la
Région bruxelloise, “Bruxelles cette
semaine” couvre avec une certaine
indépendance journalistique
les débats politiques se rapportant
aux Flamands de la capitale belge.
Son supplément culturel paraît
également en français et en anglais.
THE DAILY STAR 15 000 ex., Liban,
quotidien. “L’Etoile quotidienne”
est le premier quotidien en langue
étrangère au Liban. Indépendant
et bien documenté, il publie
régulièrement des articles
de la presse anglo-saxonne.
DAILY TIMES 43 000 ex., Pakistan,
quotidien. “Une nouvelle voix pour
un nouveau Pakistan”, lancé en
2002 par Najam Sethi, propriétaire
de l’hebdomadaire Friday Times,
entend défendre la liberté
de parole dans un pays
où elle n’est pas toujours respectée.
THE ECONOMIST 1 009 760 ex.,
Royaume-Uni, hebdomadaire.
Véritable institution de la presse
britannique, le titre, fondé en 1843
par un chapelier écossais, est la bible
de tous ceux qui s’intéressent
à l’actualité internationale.
Ouvertement libéral, il se situe à
l’“extrême centre”. Imprimé dans
six pays, il réalise 83 % de ses ventes
à l’extérieur du Royaume-Uni.
ELAPH <www.elaph.com>,
Royaume-Uni. Créé en 2001, à
Londres, ce site arabe publie
quotidiennement en langues arabe
et anglaise des articles politiques,
sociaux, culturels et économiques
sur le monde arabe, ainsi qu’une
revue de presse et des articles
publiés dans les médias arabes
ou occidentaux.
FINANCIAL TIMES 432 500 ex.,
Royaume-Uni, quotidien. Le
journal de référence, couleur
saumon, de la City et du reste du
monde. Une couverture exhaustive
de la politique internationale,
de l’économie et du management.
IL FOGLIO 40 000 ex., Italie,
quotidien. Créé en 1996
par Giuliano Ferrara, ancien
porte-parole du gouvernement
Berlusconi, et animé par une
équipe de conservateurs et
de transfuges de l’extrême gauche,
Il Foglio se veut le quotidien de
l’intelligentsia de la droite italienne.
FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG
377 000 ex., Allemagne, quotidien.
Fondée en 1949 et menée par une
équipe de 5 directeurs, la FAZ,
grand quotidien conservateur
et libéral, est un outil de référence
dans les milieux d’affaires
et intellectuels allemands.
GAZETA WYBORCZA 500 000 ex.
en semaine et 1 000 000 ex.
le week-end, Pologne, quotidien.
“La Gazette électorale”, fondée par
Adam Michnik en mai 1989, est
devenue un grand journal malgré
de faibles moyens. Et avec une
immense ambition journalistique :
celle d’être laïque, informative,
concise. Son supplément culturel
du vendredi, Magazyn-Gazeta
Wyborcza, est devenu
un rendez-vous incontournable.
GRANI.RU <http://grani.ru>, Russie.
Ce site, apparu en décembre 2000,
est généraliste et ouvre ses fenêtres
à des signatures aussi variées
que celles d’Elena Bonner
ou Edouard Limonov.
HANKYOREH 21 100 000 ex., Corée du
Sud, hebdomadaire. Créé en 1994,
ce journal appartient à Hankyoreh,
le principal quotidien d’opposition
du pays, fondé en 1988 par des
journalistes victimes de la purge
militaire.Tous deux se caractérisent
par leur rigueur et leur austérité
et utilisent exclusivement
l’alphabet coréen, refusant
les caractères chinois.
en 1999, ce site est le principal
média d’information
indépendant du pays. Il recense
100 000 visiteurs par jour. Sa
couverture journalistique, dans un
pays où les médias sont contrôlés
par des proches du pouvoir, lui
a valu d’être récompensé par de
nombreux prix internationaux
dont l’International Press Freedom
Award en 2000.
MILENIO 80 000 ex., Mexique,
quotidien. Né en 2000
à Monterrey, la grande ville
du Nord, “Millénaire” possède
aussi des rédactions à Mexico
et dans d’autres villes de province.
Son ton irrévérencieux traduit une
approche incisive de l’actualité
politique mexicaine. Il appartient
au puissant groupe Multimedios.
THE MILLI GAZETTE 500 000 ex., Inde,
bimensuel. Fondée en 2000,
“La Gazette nationale” est
l’une des principales publications
musulmanes du pays. Elle traite
de sujets sociaux et politiques, plus
particulièrement s’ils concernent
l’islam, et s’adresse à une élite
cultivée.
AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie
MING PAO 140 000 ex., Chine (Hong
Saoudite (siège à Londres),
quotidien. “La Vie” est sans doute
le journal de référence de la
diaspora arabe et la tribune
préférée des intellectuels de gauche
ou des libéraux arabes qui veulent
s’adresser à un large public.
Kong), quotidien. “Clarté” est
populaire tout en étant un lieu
d’analyses et de réflexions sans
position déterminée vis-à-vis
de Pékin. Créé en 1958
par Louis Cha (Jing Yong), Chinois
francophone et connu pour être
l’un des auteurs de romans
de chevalerie les plus populaires
de Chine.
AL-HAYAT AL-JADIDA 6 000 ex., Israël
(Territoires palestiniens),
quotidien. Créé en 1995 à la suite
des accords de paix israélopalestiniens, “La Vie nouvelle” se
voulait le journal indépendant de
l’entité palestinienne naissante. En
dépit d’aides diverses de la part de
l’Autorité palestinienne, le journal
a maintenu une indépendance
rédactionnelle vis-à-vis du pouvoir.
quotidien. Fondé en 1992, ce
journal célèbre en Kabylie a,
comme actionnaire majoritaire,
Issad Rebrab, un industriel proche
du Rassemblement pour la culture
et la démocratie (RCD).
Avec son hebdomadaire Economie,
le groupe Liberté s’est diversifié
et s’est aussi lancé dans l’édition.
DE MORGEN 69 000 ex., Belgique,
LA LIBRE BELGIQUE 60 900 ex.,
LA NACIÓN 185 000 ex., Argentine,
<http://www.malaysiakini.com>,
Malaisie, quotidien en ligne. Lancé
Offre spéciale
d’abonnement
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
OUTLOOK 250 000 ex., Inde,
hebdomadaire. Créé en
octobre 1995, le titre est très vite
devenu l’un des hebdos de langue
anglaise les plus lus en Inde. Sa
diffusion suit de près celle d’India
Today, l’autre grand hebdo indien,
dont il se démarque par ses
positions nettement libérales.
L’édition en hindi a été lancée
en octobre 2002.
POLITIKA 100 000 ex., Serbie-etMonténégro (Serbie), quotidien.
Doyen des journaux serbes, “La
Politique” était l’organe du pouvoir
de Slobodan Milosevic jusqu’à
l’évincement de ce dernier en l’an
2000. Racheté par le groupe
allemand WAZ en 2002, il reprend
sa place de quotidien de référence.
AL-QUDS AL-ARABI 50 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien. “La
Jérusalem arabe” est l’un des trois
grands quotidiens panarabes
édités à Londres.Toutefois,
contrairement à ses confrères
Al-Hayat et Asharq Al-Awsat,
il n’est pas détenu
par des capitaux saoudiens.
LE QUOTIDIEN D’ORAN 190 000 ex.,
Algérie, quotidien. Quotidien
régional fondé en 1994 à Oran,
devenu national en 1997, c’est
désormais le premier quotidien
francophone du pays. Sérieux,
surtout lu par les cadres, il
rassemble les meilleures signatures
de journalistes et d’intellectuels
d’Algérie dans son édition
du jeudi.
quotidien. Lancé par le groupe
Milliyet en 1996 pour devenir le
quotidien des intellectuels.
Certains l’appellent “Cumhuriyet
light”, en référence
au grand journal kémaliste
qu’il veut concurrencer.
LIBERTÉ 80 000 ex., Algérie,
MALAYSIAKINI
Nouvelle-Zélande, hebdomadaire.
Seul hebdomadaire d’actualité
du pays, The New Zealand Listener
est né en 1939 comme une
publication officielle de la radio
NZ Broadcasting Service,
dans le but de traiter les sujets
en rapport avec la radiodiffusion.
RADIKAL 65 000 ex.,Turquie,
LA JORNADA 75 000 ex., Mexique,
quotidien. Né en 1984, avec
l’ambition de casser l’uniformité de
la presse mexicaine, “La Journée”
déclare exercer un journalisme
critique mais responsable. Il est
très pointu sur toutes les questions
qui touchent les catégories les plus
marginalisées de la population,
à commencer par les Indiens.
Belgique, quotidien. Ce titre de
qualité des francophones s’est
ouvert à de nouvelles thématiques
sans renier ses origines catholiques.
Edité par Informations et
productions multimédias (IPM),
qui détiennent également
La Dernière Heure-Les Sports,
la “Libre” a modifié l’organisation
de ses rubriques, en 1999,
puis son format, en 2002.
THE NEW ZEALAND LISTENER 73 400 ex.,
quotidien. Créé en 1978 sur le
modèle français de Libération,
le quotidien progressiste flamand
a bousculé la presse belge
par une ligne éditoriale agressive.
Spécialiste du scoop, “Le Matin”
se distingue également par la
qualité de ses photographies.
quotidien. Fondé en 1870, le titre
est une institution de la presse
argentine. Quotidien conservateur,
il est destiné aux élites. Une
rubrique internationale de qualité
contribue à sa réputation.
NEW STATESMAN 26 000 ex.,
Royaume-Uni, hebdomadaire.
Depuis sa création, en 1913, cette
revue politique, aussi réputée pour
le sérieux de ses analyses que pour
la férocité de ses commentaires,
est le forum de la gauche
indépendante.
LE SOIR 125 000 ex., Belgique,
quotidien. Lancé en 1887,
le titre s’adresse à l’ensemble
des francophones de Belgique.
Riche en suppléments et pionnier
sur le web, le premier journal
de Bruxelles et de la Wallonie
voit néanmoins ses ventes
s’éroder d’année en année.
DER SPIEGEL 1 076 000 ex.,
Allemagne, hebdomadaire.
Un grand, très grand magazine
d’enquêtes, lancé en 1947,
agressivement indépendant
et à l’origine de plusieurs scandales
politiques.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex.,
Allemagne, quotidien. Né
à Munich, en 1945, le “journal
intellectuel du libéralisme de
gauche allemand” est l’autre grand
quotidien de référence du pays,
avec la FAZ.
SVENSKA DAGBLADET 190 000 ex.,
Suède, quotidien. Fondé en 1884,
“Le Quotidien de Suède”,
conservateur, a été racheté
Courrier international
en l’an 2000 par le groupe
norvégien Schibstedt. En grande
difficulté financière, il est passé
en 2001 en format tabloïd. Il offre
de bonnes pages culturelles.
DE STANDAARD 95 000 ex., Belgique,
quotidien. Lancé en 1918, le
journal de référence de
l’establishment flamand a pris ses
distances, ces dernières années,
avec le monde catholique tout en
conservant sa foi dans le combat
linguistique. Grâce à la qualité de
ses analyses et de ses suppléments,
le quotidien affiche son ambition :
devenir un “journal de qualité
de niveau européen”.
RÉDACTION
64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected]
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
SVOBODANEWS.RU
<www.svobodanews.ru>, Russie.
C’est le webzine de Radio
Svoboda, dont le siège est à
Moscou et qui est la version russe
de Radio Free Europe/Radio
Liberty, financée depuis la guerre
froide par le Congrès américain
pour promouvoir la démocratie
en Europe de l’Est.
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron
(Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande),
Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist
(Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service,
16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona
Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea
(Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets
(Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassis
(Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela
Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime
(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),
Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient
Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie
centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe
Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre
Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot
(Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle
Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia
Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de
rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60)
Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
TEHELKA 100 000 ex., Inde,
hebdomadaire. Créé en 2000,
Tehelka était à l’origine un journal
en ligne connu pour son
indépendance. Devenu magazine
en 2004, il a bâti sa réputation
grâce à ses enquêtes sur la
corruption et est devenu une
référence en révélant les scandales
liés au trucage des matchs
de cricket.
EL UNIVERSAL 100 000 ex., Mexique,
quotidien. Fondé en 1916 par Félix
Palavicini, ce quotidien est très
proche du Parti révolutionnaire
institutionnel. La nouvelle
Constitution de 1917 fut
retranscrite dans ses pages
dès sa promulgation. El Universal
fut le premier journal mexicain
à fonctionner avec des agences
de presse et à avoir des
correspondants. La figure
emblématique du journal est son
propriétaire et directeur général,
Juan Francisco Ealy Ortiz.
Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,
16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661)
Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre,
16 82), Julien Didelet (chef de projet)
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise
Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),
Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
VRIJ NEDERLAND 50 000 ex., PaysBas, hebdomadaire. Créé en 1940,
journal de la Résistance puis figure
de proue de la gauche pendant les
années 1970, “Les Pays-Bas libres”
se distingue par la richesse
de sa rubrique culturelle, son
engagement vis-à-vis des minorités,
du tiers-monde et de
l’environnement. De plus, il joue
un rôle important dans le discours
social.
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine
Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry
Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil
(colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684)
AL-WATAN 40 000 ex., Arabie
Saoudite, quotidien. Fondé en
2000. Comme la majorité des
médias saoudiens, “La Patrie”
exprime les positions officielles du
royaume. Depuis le 11 septembre
2001 et ses retombées négatives
sur la monarchie saoudienne,
le journal participe aux débats
politiques qui secouent le pays.
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :
Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Chloé Baker, Edwige Benoit, Marc-Olivier Bherer,
Marianne Bonneau, Jean-Baptiste Bor, Olivier Bras, Gaëlle Charrier, Valérie Defert,
Valéria Dias de Abreu, Marc Fernandez, Martin Gauthier, Lola Gruber, Lionel Guyader,
Natacha Haut, Magali Lagrange, Légendes Cartographie, Rivière Lelaurin, Françoise
Liffran, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Marina Niggli, Anne Proenza, Jonnathan
Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Anne Thiaville, Aïssata Inna Touré, Emmanuel
Tronquart, Marion Vigreux, Janine de Waard, Zaplangues
ZHONGGUO XINWEN ZHOUKAN
100 000 ex., Chine, hebdomadaire.
Magazine d’information créé
à Pékin le 1er janvier 2000. Papier
glacé, photos en couleurs, style
direct, sujets variés. Son éditeur,
l’agence Nouvelles de Chine, fait
des efforts évidents pour fournir
un magazine “ouvert sur le monde,
dans un esprit créatif et original”.
ADMINISTRATION - COMMERCIAL
Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :
Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust
(16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88
Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine
Bergström (16 73)
Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur
commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard.
Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro :
Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40
Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13,
courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur
de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella
(14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ;
Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97).
Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris,
tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]>
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COURRIER INTERNATIONAL N° 829
8
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
n° 829
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire
et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.
Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
et directeur de la publication ; Chantal Fangier
Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : septembre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
60VZ1102
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Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by
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Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid
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information, call at 1 800 363-13-10.
Ce numéro comporte un encart CFE broché au centre pour une partie des abonnés,un encart Manières
de voir jeté pour une partie des abonnés, une enveloppe Manières de voir jetée pour une partie des
abonnés et un encart Hors-Série Courrier international jeté sur l’ensemble des abonnés.
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Page 11
à l ’ a ff i c h e
Argentine
●
Son pays s’appelle hôpital
eón Bernardo Bekman est né il
y a soixante-quatorze ans en Volhynie, “dans un village perdu,Wisniowiec : vous ne le trouverez pas sur
la carte”. C’était, à l’époque, en
Pologne. Depuis la conférence de
Yalta, la Volhynie fait partie de
l’Ukraine et porte un nouveau
nom [Volyn], mais Bekman s’en moque.
Sa langue maternelle est le yiddish et,
même s’il a appris le polonais à l’école
(il le lit encore), il ne comprend plus le
sens des mots. Il se sent argentin, même
s’il est avant tout citoyen de l’Hôpital israélite, où il réside depuis trente ans. Plus
qu’un patient hospitalisé, c’est un pensionnaire. Dans sa chambre, il passe en
revue les bilans cliniques, les bulletins de
sortie, les constats de décès.
Les deux fois où je lui ai rendu visite, je
l’ai trouvé plié en deux sur une chaise, le
journal ouvert sur son lit. Il ne lisait pas,
il étudiait les caractères avec une précision
de linotypiste et, quand il s’est levé de sa
chaise, il n’a pas eu l’air tellement plus
grand. S’il n’était pas le vieillard souriant
et bienveillant qu’il est, on pourrait l’imaginer comme le mystérieux personnage du
roman de Gustav Meyrink Le Golem, la
créature façonnée par un rabbin, qui hantait le cimetière juif de Prague.
Le père de Bekman est arrivé en Argentine
en 1931 ; quelques années plus tard, sa
femme et León, son fils unique, qui avait
alors 8 ans, venaient le rejoindre. Les six
premiers mois, ils ont survécu dans la capitale comme marchands ambulants, puis le
père a ouvert une boutique de vêtements,
“Carmel”, en l’honneur du mont d’où provient le meilleur vin d’Israël. Dans les
Clarín
L
LEÓN BERNARDO BEKMAN, 74 ans, rési-
dent permanent de l’hôpital israélite de Buenos
Aires. Issu d’une famille originaire d’Europe centrale qui a émigré en Argentine dans les années
1930, cet expert-comptable atteint d’une sclérose en plaques est entré à l’hôpital au milieu des
années 1970. Il en est devenu indissociable.
années 1940, l’Argentine permettait une
grande mobilité sociale, et León a fait des
études pour devenir expert-comptable.
Mais, en 1962, sa sclérose en plaques s’est
déclarée. Quelques mois plus tard, sa mère
mourait et, en 1968, ce fut le tour de son
père. León n’a pas pu rembourser les dettes
accumulées, si bien que l’entreprise familiale a périclité. Au milieu des années 1970,
grâce à l’intervention de la communauté
juive, à laquelle il a toujours été très attaché, il a obtenu un lit à l’hôpital israélite.
Dans les années 1980, ce qui avait commencé comme une hospitalisation devient
un hébergement. Avec le temps, León fait
figure de patient indispensable, et peut-
être a-t-il dit un jour, à la manière de Bartleby, le personnage de Herman Melville :
“Je préférerais ne pas [m’en aller].”
L’hôpital est sa ville. Il y vit, il y travaille. Il
parle des différents services comme de quartiers où il aurait emménagé successivement
depuis trente ans. A une époque, il a habité
au deuxième étage ; plus tard, il a été transféré dans une chambre de la maternité, et
ainsi de suite. “Je peux vous faire lire
mon CV”, dit-il en montrant un dossier où
l’on apprend qu’il a commencé à travailler
comme secrétaire administratif au service
de médecine interne et qu’ensuite il est
passé au centre hospitalier universitaire.
De cette période il a conservé l’outil acquis
avec le métier, l’Olivetti en métal de couleur olive, dont il continue à se servir quotidiennement.
Depuis plus d’un an, il est au n° 709, une
chambre dont la situation permet aux infirmiers de garder un œil sur lui, précaution
utile car il lui arrive souvent de faire des
chutes. Il y a longtemps qu’il ne se promène plus dans les couloirs en s’aidant de
sa canne. Sa nièce, qui vient toujours lui
rendre visite, voit qu’aujourd’hui même le
lit est devenu trop haut pour lui.
Par lucidité face à sa déchéance physique
– ou par coquetterie, ce qui revient presque
au même –, il n’aime pas qu’on le prenne
en photo. “Ça m’énerve de voir mon visage,
et de voir ce qu’est devenu mon corps.” Cette
peau qui n’a pas vu le soleil depuis trente
ans devient transparente aux oreilles,
quand on regarde à contre-jour. Plus
qu’un vieillard, on dirait un enfant qui a
cessé de grandir quand il a décidé de s’exiler du monde.
Matilde Sánchez,
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
CHANDLER BURR
Par l’odeur attiré
KAROLINE HERFURTH
Femme au parfum
Venu prononcer un discours
au Congrès
des syndicats,
il a aperçu
plusieurs délé- Dessin de Springs,
Londres.
gués brandir
des pancar tes réclamant son
départ : “Merci beaucoup… pour
ce genre d’accueil. Enfin, plus ou
moins.” (The Guardian, Londres)
PIOTR TYMOCHOWICZ, conseiller
en image polonais
■ Expert
“Une personne saine d’esprit ment
deux fois par jour. Les malades ne
mentent pas, mais ceux-là restent
enfermés dans les hôpitaux psychiatriques.” Parmi ses anciens
clients figure Andrzej Lepper, le leader de la formation populiste Auto(Przekrój, Varsovie)
défense.
TONY CURTIS, acteur américain
■ Juvénile
“Je refuse de vieillir à l’écran. Je
ne vais pas jouer les grands-pères,
les oncles et les juges. J’ai encore
de beaux restes et les femmes se
retournent sur mon passage.” L’année dernière encore, à 80 ans, il
a posé nu pour le magazine Vanity
Fair.
(The Observer, Londres)
MARK REGEV, porte-parole
du ministère des Affaires
étrangères israélien
■ Navré
“Une erreur malheureuse s’est
produite dans la duplication des
cartes : le poste de l’ONU n’y était
pas indiqué comme il aurait dû
l’être, et cela a provoqué la tragédie.” Telle est la conclusion de
la commission d’enquête sur le
bombardement du poste de l’ONU
de Khiyam, au Sud-Liban, effectué
par l’armée israélienne le 25 juillet
dernier. Quatre soldats de la
FINUL, dont un Autrichien, y ont
perdu la vie. (Österreich, Vienne)
ALOU ALKHANOV, président
de Tchétchénie
■ Positif
“L’appellation ‘Tchétchénie’ a une
connotation péjorative, elle est
interprétée de façon négative et ne
repose sur aucune base juridique.”
Il vient de charger le ministre de
l’Information d’étudier la question
d’un éventuel changement de nom
pour son pays. “Une des variantes
possible pourrait être ‘république
de Nokhtchine’.”
(Agence rosbalt.ru,
Saint-Pétersbourg)
HUGO CHÁVEZ, président
du Venezuela
■ Optimiste
“Il marche, il chante et il est
même prêt à jouer au base-ball.”
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
11
Il assure que Fidel Castro, absent
du quatorzième sommet des pays
non alignés qui s’est déroulé à La
Havane la semaine dernière, se
remet vite de son opération des
intestins. (Newsweek, New York)
COLIN POWELL, ancien secrétaire
d’Etat américain
■ Dessillé
“Le monde commence à douter
du fondement moral de notre lutte
contre le terrorisme.” Extrait d’une
lettre adressée au sénateur John
McCain, où il s’oppose à la proposition de la
Maison-Blanche
de durcir le traitement réservé
aux personnes
suspectées de
terrorisme.
(The
Washington
Post,
Dessin de Cajas,
Washington)
Quito.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
’est le personnage
clé dans le roman et
dans le film. L’incarnation
de l’amour. C’est ce que
comprend le protagoniste du Parfum – quand
il est trop tard.” Elle est
pour le moins enthousiaste – et “reconnaissante”, confie-t-elle au
quotidien berlinois Die Welt, à Tom Tykwer,
le metteur en scène, et Bernd Eichinger, le producteur, de lui avoir confié le rôle du grand
amour de Jean-Baptiste Grenouille dans Le
Parfum : histoire d’un meurtrier, l’adaptation
du roman de Patrick Süskind, sortie sur les
écrans allemands le 14 septembre [en France
le 4 octobre]. Au côté de l’acteur londonien
Ben Whishaw, qui interprète le héros né dans
la puanteur d’un étal de poissons dans le Paris
du XVIIIe siècle, Karoline Herfurth fait sa grande
entrée au cinéma. Née en 1984, précisément
l’année de parution du roman de Süskind, que
30 millions de lecteurs ont dévoré dans le
monde entier, elle a passé son enfance à Berlin-Est, et se définit comme “berlinoise à
100 %”. Après une première apparition dans
un téléfilm, à l’âge de 11 ans, elle passe au
cinéma dans une comédie pour jeune public,
Crazy (2000), puis dans Mädchen, Mädchen
(2001). Très sportive, Karoline s’occupe aussi
d’un cirque. Et elle poursuit sa formation d’actrice à l’Ecole d’art dramatique Ernst Busch
de Berlin. Elle l’aura terminée dans un an.
C
Clarín, Buenos Aires
ILS ET ELLES ONT DIT
TONY BLAIR, Premier ministre
britannique
■ Stoïque
’aucuns écrivent sur
les vins. Evoquent
couleurs, épaisseurs, assemblages, fragrances.
Lui aussi. A ceci près que
les jus dont il parle ne se
jettent pas derrière la cravate, mais se glissent derrière l’oreille. Cet homme est critique en parfums. Le premier du genre, affirme le New York
Times, qui vient de l’embaucher. Burr s’en
explique longuement dans les colonnes de The
Independent. “Je suis diplômé en économie
internationale et en économie politique japonaise, et rien ne me prédisposait à écrire sur
les parfums.” Rien, jusqu’à ce jour de 1998 où
un retard de train amène ce journaliste à parler avec son voisin de quai, chercheur en senteurs. “Il m’a semblé que j’étais tombé sur
quelque chose.” Il en fait un livre (The Emperor
of Scent, éd. Arrow Books, non traduit en français). The New Yorker, par l’odeur alléché, l’embauche. Objectif : montrer aux lecteurs que derrière les effluves existe un monde bien réel de
création, de recherche, d’usines, de chaînes de
production… “Quand je pense à tous les
endroits où j’ai vécu – Tokyo, Manille, Paris,
Pékin, Rio, etc. –, ce sont les odeurs dont je me
souviens le plus, explique le nouveau critique
en parfums du New York Times. Si elles pouvaient être fixées comme le sont les images,
si on pouvait acheter un souvenir durablement
odorant aussi facilement qu’une carte postale…”
Là encore, Chandler Burr flaire un bon filon.
D
DR
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f ra n c e
●
P O L I T I QU E
Sarkozy, l’homme qui voulait ressembler à Bush
Similarités dans le discours, même gestuelle triomphante… Le ministre de l’Intérieur français a mis à profit
son séjour américain pour se rapprocher encore de son modèle, estime le chroniqueur américain Roger Cohen.
INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE
en finir avec cette répugnance bien
française pour le libéralisme économique “anglo-saxon”, c’est-à-dire
américain. Sarkozy s’est même révélé
assez drôle en parlant de cette aversion des Français pour le capitalisme
américain, notant que sa présence à
New York faisait grincer des dents
en France. Pourquoi, a-t-il souligné,
alors que son objectif est de ramener
le taux de chômage français à 5 %, se
priver d’aller chercher l’“inspiration”
dans un pays où la proportion de
chômeurs tourne justement autour
de ce taux ? Et, étant donné qu’il
souhaite un système démocratique
apportant à la fois “stabilité et mouvement”, pourquoi ne pas passer un
peu de temps dans un pays dont la
vie politique semble correspondre à
cette description ?
Paris
n homme politique infatigable est venu à New
York pour la commémoration des attentats du
11 septembre 2001. Ami fidèle d’Israël, il est fermement convaincu de
la vitalité de l’économie américaine
et ne mâche pas ses mots, même s’il
arrive parfois à sa langue de fourcher.
Il a félicité les pompiers de New York,
remis quelques médailles, participé
à une cérémonie religieuse et fendu
la foule d’un pas alerte. Non, cet
homme n’est pas George W. Bush,
c’est Nicolas Sarkozy, le ministre de
l’Intérieur français et l’homme qui
veut révolutionner le pays le plus
conservateur d’Europe en accédant
au palais de l’Elysée lors de la prochaine élection présidentielle. Révolutionner la France avec une bonne
dose d’américanisme, s’entend.
Choisir de marcher sur les traces
de George W. Bush, l’homme que la
France adore haïr, à l’occasion d’une
journée solennelle du souvenir pour
les Américains, n’est pas à la portée
de tout le monde. Mais Sarkozy a
peut-être mis là le doigt sur quelque
chose. Il comprend l’hypocrisie de
la société française, où ce qui se dit
à haute voix ne reflète pas toujours
ce qu’on pense au fond de soi. Il est
conscient de la colère contenue des
Français, qui sont ravis de voir enfin
un homme politique bousculer le politiquement correct et se tenir fermement aux côtés de quelqu’un. Une
admiration secrète pour George
W. Bush se cache-t-elle quelque part
dans l’Hexagone ? Je le crois. En tout
cas, l’échiquier politique présente de
troublantes similitudes des deux côtés
de l’Atlantique. A ma droite, un
homme pugnace un peu hargneux qui
aime asséner ses opinions – entendez
George W. Bush ou Nicolas Sarkozy.
A ma gauche, une femme intelligente
qui s’exprime avec aisance et se rapproche du centre aussi vite que le lui
permettent les convenances et un
parti plus ou moins fossilisé – comprenez Hillary Rodham Clinton ou
Ségolène Royal. Qui a dit qu’une des
raisons pour lesquelles la France et
les Etats-Unis ont tant de mal à s’entendre est que ces deux pays se ressemblent plus que ne le laissent croire
les apparences ? Personne. C’est
pourtant la vérité.
Une chose est sûre, Nicolas Sarkozy a clairement fait des emprunts
à Bush. Son discours devant les
fidèles de l’UMP cet été avait clairement des accents bushiens, à la seule
différence qu’il visait les soixantehuitards français et non les crânes
d’œuf progressistes qui sillonnent en
Volvo la côte Est des Etats-Unis. Les
U
UN IMPROVISATEUR, UN VENDEUR,
UN HOMME DE SPECTACLE
Dessin d’Ulises
paru dans
El Mundo, Madrid.
deux hommes se plaisent également
à répéter le même mot qui endort le
cerveau mais se révèle politiquement
efficace. Dans le cas de Bush, c’est
évidemment le terme de “liberté”.
Pour Sarkozy, c’est celui de “rupture”. Ce dont la France a besoin, at-il martelé, c’est d’une rupture dans
notre comportement, une rupture
dans nos méthodes, une rupture dans
notre façon de débattre des idées, afin
de créer un “nouveau modèle français”.
Pour cela, estime-t-il, il faut d’abord
J’ai dit un peu plus haut que la France
est le pays le plus conservateur d’Europe. Un pays où aucune alternance
n’est possible – à cause de l’énorme
chevauchement idéologique entre les
deux grandes familles politiques – est
un pays intrinsèquement conservateur. Un pays, qui plus est, englué
dans le statu quo d’un Etat dominé
par les fonctionnaires.
Mais, à l’évidence, Sarkozy reste
français. Lorsqu’il était ministre des
Finances, il a affirmé qu’une déréglementation massive à la Margaret
Thatcher n’avait pas ses faveurs.
Néanmoins, il apporte une bouffée
d’air frais. Les terroristes, a-t-il affirmé
à New York, sont des assassins, des
barbares sans foi ni loi, et rien – ni
la misère ni la situation des Palestiniens, rien – ne peut expliquer ce qui
est arrivé le 11 septembre. Le danger,
a-t-il ajouté, est qu’un début d’explication risque de s’apparenter à des
excuses. On peut être d’accord ou
non avec cela. Mais, au moins, on sait
d’où vient le bonhomme. La langue
de bois, ce n’est pas son genre. Parce
qu’il n’a jamais étudié dans les
grandes écoles, Nicolas Sarkozy n’a
pas appris comment élaborer un argument en sept points, puis à passer
péniblement ceux-ci en revue un par
un. Non, c’est un fils d’immigrés
arrivés dans ce pays d’immigrés, un
improvisateur, un vendeur, un homme
de spectacle, un puissant missile
pointé vers le cœur d’une France
pompeuse.
Tony Blair, qui a révolutionné le
Parti travailliste en Grande-Bretagne,
va quitter la scène politique dans les
mois à venir. Nicolas Sarkozy, qui est
en mesure d’imposer une réinvention du gaullisme non moins radicale
que ne l’a été le bouleversement travailliste pour les Britanniques, pourrait bien être sur le point de se faire
élire. Les sondages le donnent favori
à droite et le placent au coude-àcoude avec Ségolène Royal au second
tour. Il tiendra sans doute des propos gaffeurs avant l’élection, mais
les admirateurs secrets de Bush en
France ne lui en tiendront pas
rigueur. Le président américain pourrait alors terminer son second mandat avec Paris comme plus fidèle allié
européen. Ce qui, si l’on en croit le
mythe franco-américain, serait dans
l’ordre des choses.
Roger Cohen
RÉACTION
La “sale politique” du chef de l’UMP contre la Turquie
Pour le quotidien Radikal d’Istanbul,
les déclarations de Nicolas Sarkozy
contre l’adhésion turque relèvent du calcul
politicien. Une manière bien commode
pour le candidat à la présidentielle
de jouer la carte antimusulmane.
ors de son discours du 8 septembre
devant le groupe de réflexion Les Amis de
l’Europe, Nicolas Sarkozy a demandé que l’on
délimite clairement les frontières de l’Europe.
Selon le politicien français à l’ascension irrésistible, l’Union européenne doit intégrer le
reste des pays balkaniques, ainsi que la Norvège et la Suisse, mais la Turquie doit en
être exclue. Il estime même qu’à cause de
la question chypriote les négociations en
cours doivent cesser.
Ce faisant, Sarkozy a franchi un pas que personne n’avait osé franchir jusqu’à présent : il
dessine une frontière précise pour l’Europe,
L
que l’on pourrait qualifier de ligne de défense.
En même temps, il annonce clairement la couleur de sa campagne électorale – de toute évidence, il veut jouer la car te antimusulmane
en se ser vant de la Turquie. C’est une sale
politique.
A la fin de la réunion, Bahadir Kaleagasi, le
représentant de l’Association des industries
et des entreprises de Turquie [TUSIAD, la puissante association des hommes d’af faires
turcs], s’est approché du chef de l’UMP pour
lui dire : “Si vous visitiez la Turquie, vous
connaîtriez mieux les Turcs et vous comprendriez que ce pays, par ses racines et par son
développement économique, a son avenir
ancré dans l’UE.” Sarkozy lui a répondu qu’il
gagnerait, cer tes, à avoir une meilleure
connaissance du peuple turc, mais que les
Turcs devraient, pour leur par t, mieux expliquer et démontrer leur appar tenance européenne. Kaleagasi lui a alors rappelé que
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
14
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
c’étaient les pères fondateurs de l’UE, comme
de Gaulle, Adenauer ou Schuman, qui avaient
ouvert la voie de l’adhésion de la Turquie.
Ce court entretien a été peu diffusé dans la
presse, mais il est essentiel dans la mesure
où l’on y entend Sarkozy admettre qu’il ignore
tout de la Turquie. Il est important, de plus,
parce qu’il souligne le poids des pères fondateurs de l’UE aux côtés des Turcs et rappelle à
Sarkozy qu’il doit mieux apprendre ses leçons.
Mais les propos échangés entre les deux
hommes sont sur tout lourds de sens pour
la Turquie, car ils montrent ce que nous devons
faire : abandonner notre attitude timide, notre
susceptibilité et notre tendance à nous replier
sur nous-mêmes pour nous ouvrir à l’extérieur
avec plus d’intrépidité et de confiance. La Turquie doit dépasser son mutisme traditionnel
pour s’expliquer, sans intermédiaire, au monde
et à l’Europe, dont elle fait partie.
Haluk Sahin, Radikal, Istanbul
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f ra n c e
SOCIÉTÉ
Le Tout-Deauville tremble devant l’invasion britannique
Le projet de liaison aérienne entre Londres et la station balnéaire ne fait pas que des heureux. Notamment
chez les Deauvillais les plus aisés, inquiets de voir leur ville se transformer en vulgaire banlieue londonienne.
THE GUARDIAN
Londres
epuis le club-house à
colombages où elle déjeune, Christiane Célice
contemple le terrain de
golf qui s’étend vers la Manche. “N’estce pas magnifique ? soupire-t-elle. Maintenant, imaginez le même paysage avec le
vacarme assourdissant d’un Boeing 737.
Tout le charme serait rompu. Nous devons
nous battre jusqu’au bout.”
Du fond de sa propr iété du
XIXe siècle, cette ancienne antiquaire
lutte contre l’arrivée imminente de
Ryanair à Deauville, la station balnéaire
la plus chic de la Riviera normande.
En vertu d’un accord signé avec le
maire de la ville, la compagnie aérienne
irlandaise à bas prix doit assurer, dans
les mois à venir, trois liaisons hebdomadaires avec l’aéroport londonien de
Stansted. A l’instar d’autres petites
villes désireuses d’attirer des vols à bas
coût, la municipalité a annoncé qu’elle
prendrait elle-même en charge les
frais publicitaires de la compagnie, soit
170 000 euros par an.
Comme les membres de plus en
plus nombreux de son association,
Mme Célice juge inadmissible que
l’argent du contribuable soit ainsi
dépensé. Elle craint que cette nouvelle
liaison ne sape la tranquillité d’une
région qui fut chère à Gustave Flaubert et à Marcel Proust, et, par contrecoup, qu’elle ne fasse baisser les prix
de l’immobilier et n’encombre un peu
plus les routes. “Nous pensons intenter
une action en justice, indique-t-elle. Pas
contre Ryanair, mais contre nos élus
locaux. Il n’y a eu aucune consultation.”
Dessin de Matt
Kenyon paru
dans The Guardian,
Londres.
D
■
Deauville est sur nommée le
21e arrondissement de Paris, en raison de la fréquentation assidue des
Parisiens, qui, l’été, font passer la
population locale de 4 500 à
30 000 habitants. Coco Chanel y a
ouvert sa première boutique, et Yves
Saint Laurent possède une propriété
Livre
Dans son dernier
ouvrage, Au secours,
les Anglais nous
envahissent !,
publié en
mars 2006 aux
éditions Michalon,
le journaliste
José-Alain Fralon
“met le doigt sur
un paradoxe bien
français”, souligne
The Guardian. “Il
explique, en effet,
qu’il existe six
liaisons aériennes
régulières entre
le Royaume-Uni
et Bergerac,
mais aucune entre
le chef-lieu de la
Dordogne et Paris.
C’est un peu comme
si les Anglais
contribuaient à la
décentralisation
du pays contre l’avis
des Français”,
conclut le quotidien
britannique.
dans les environs. Il n’est pas rare que
des célébrités et des visiteurs étrangers utilisent des jets privés pour se
rendre au Festival du cinéma américain de la ville, à son casino, à ses
matchs de polo et à ses courses de
pur-sang, mais de là à créer une ligne
aérienne régulière, “c’est un peu exagéré”, juge Mme Célice. Certains craignent le pire, en particulier le propriétaire de l’élégant restaurant situé
au deuxième étage du minuscule aéroport de Deauville-Saint-Gatien, qui
redoute de devoir céder sa place à un
vulgaire snack.
“LES DEAUVILLAIS N’ONT RIEN
CONTRE LES ANGLAIS”
“Nous n’avons rien contre les Anglais,
précise Mme Célice. Depuis Guillaume
le Conquérant jusqu’au débarquement de
Normandie, nous avons toujours entretenu des liens étroits avec la Grande-Bretagne. Nous nous entendons extraordinairement bien avec les Anglais. Mais on
ne peut construire des aéroports dans
toutes les localités où résident des Britanniques, des Allemands ou des Italiens.”
Ce débat renvoie au réseau grandissant de liaisons aériennes à bas
coût entre la Grande-Bretagne et la
France. Ces six dernières années, plusieurs dizaines de petites villes françaises, conscientes des effets bénéfiques qu’une liaison régionale avec la
Grande-Bretagne peut avoir sur le tourisme, ont signé des accords avec des
compagnies aériennes à bas coût. Jusqu’à maintenant, la Normandie, où
l’on recense plus de 9 000 résidents
britanniques, était la seule région de
l’Hexagone à ne pas en avoir. La ville
de Bergerac offre un bon exemple des
bouleversements qu’une liaison
aérienne avec Londres peut entraîner
à l’échelle d’une région : alors qu’en
2001 son aéropor t accueillait
16 000 passagers, en 2005, l’ouverture
de nouvelles lignes à bas coût a porté
ce chiffre à 250 000 personnes. Un
livre publié récemment en France analyse d’ailleurs les effets des compagnies
aériennes à bas prix sur les régions
françaises [voir ci-contre].
Sur la plage de Deauville, Christian Fougeray, président de la chambre
de commerce et d’industrie du pays
d’Auge et du syndicat mixte de gestion de l’aéroport, soutient que les
opposants à l’implantation de Ryanair
ne représentent qu’une minorité. Il
rappelle que les 600 000 euros prévus pour l’aménagement de l’aéroport
auraient de toute façon été investis et
que le transport de 40 000 passagers
par an créera des emplois. “Ce projet
est formidable pour le tourisme, pour les
affaires, et il se justifie pleinement”,
assure-t-il. De même, dans la pittoresque mairie néonormande de Deauville, le maire, Philippe Augier, rejette
l’idée que les vols à bas coût en provenance de Grande-Bretagne puissent
nuire à l’image de la station. “Oui,
Deauville est une ville chic, affirme-til, mais elle est ouverte à tout le monde.”
Angelique Chrisafis
W W W.
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D I P L O M AT I E
Dialogue de sourds sous les ors élyséens
De l’atelier culturel Europe-MéditerranéeGolfe organisé par Jacques Chirac
du 13 au 15 septembre dernier, la presse
saoudienne n’a retenu que deux choses :
le faste de l’Elysée et l’impossible
dialogue entre les cultures.
our un quidam comme moi, pénétrer
dans le palais de l’Elysée est une expérience inoubliable. Sous les stucs des
salons élyséens, j’ai même eu la chance
d’apercevoir la haute silhouette de Jacques
Chirac, le dernier ami des Arabes sur le
Vieux Continent, le dernier dirigeant sur
lequel nous pouvons compter et le dernier
président auquel nous ne refuserons jamais
d’accorder notre soutien. Il nous a tenu un
discours magnifique, laissant croire que
trente personnes issues de vingt pays
arabes et européens pourraient rapprocher
les cultures entre les deux rives d’une mer
Méditerranée qui divise notre monde entre
un Nord qui accapare richesses et puis-
P
sance et un Sud dont la misère pouvait se
lire jusque sur les visages des invités, malgré les beaux costumes qu’ils avaient revêtus pour l’occasion.
Dans le couloir, avant de se lancer dans
cet ambitieux dialogue, les délégations
arabes se sont tout de même adonnées
à leur sport favori : insulter leurs propres
régimes et leur suivisme à l’égard de l’Occident impérialiste. Les Proche-Orientaux
ont multiplié les invectives, les Egyptiens
ont préféré en rire et les Maghrébins se
sont laissé, comme à leur habitude, emporter par la fougue de leur rhétorique. Mais
tout cela était déjà oublié à l’heure du thé.
A ce moment-là, tous les par ticipants du
Sud n’avaient plus qu’une seule idée en
tête : se faire prendre en photo avec ceux
qu’ils avaient copieusement dénigrés dans
l’antichambre. Une grappe s’est alors formée autour de Jacques Chirac, d’autres
invités se sont agglutinés près des dirigeants italiens et espagnols. Même le
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, aussi à l’aise avec ses voisins du
Sud qu’avec les représentants du Nord
impérialiste, s’est appliqué à ressembler
à une vedette de Hollywood en affichant un
sourire jusqu’aux oreilles.
Tous ces braves gens, éblouis par les ors
du palais de l’Elysée et séduits par la perspective d’être pris en photo aux côtés des
grands de ce monde, ont bien voulu croire
l’espace d’un instant qu’ils allaient être
capables de répandre dans leurs sociétés respectives la culture du dialogue. Mais,
le problème, c’est qu’avant de pouvoir
œuvrer au rapprochement entre les
peuples, ils devraient d’abord essayer de
rapprocher les deux aspects de leur personnalité qui font qu’ils n’agissent pas de
la même manière dans les grands moments
que dans leur vie de tous les jours.
Dans son discours, Suzanne Moubarak
[l’épouse du président égyptien] a repris
le thème du dialogue cher à Jacques Chirac
16
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
et a souligné qu’il fallait laisser de côté les
polémiques pour se concentrer sur ce qui
peut faire consensus. Or quelle est la seule
chose que nous ayons véritablement en commun ? Notre incompréhension mutuelle. Malheureusement, toutes les interventions ont
démontré la profonde méconnaissance et
mis en lumière les stéréotypes que chacun
entretient à propos de l’autre. Ainsi, j’ai
entendu une professeure de la Sorbonne
proférer des inepties absolues sur les mariages de Mahomet. J’aurais pu accepter
des opinions aussi ridicules si elles n’avaient
pas émané de quelqu’un qui enseigne les
sciences religieuses à l’université mondialement reconnue qu’est la Sorbonne. Au
final, la conférence fut interrompue par la
nouvelle des déclarations stupides du pape
Benoît XVI à l’encontre de l’islam. C’est alors
que je me suis rendu compte qu’établir un
dialogue entre les cultures était bien plus
ardu encore que ce que j’imaginais.
Ali Saad Al-Moussa, Al-Watan (extraits), Abha
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e u ro p e
●
SUÈDE
La continuité dans le changement
Le 17 septembre, les électeurs ont donné la majorité à la coalition de droite menée par Fredrik Reinfeldt.
Pour autant, l’extrême stabilité de la société suédoise devrait garantir la pérennité du consensus social.
SVENSKA DAGBLADET
Stockholm
our un étranger, un Finlandais en tout cas, il a été
difficile de comprendre le
climat conflictuel et idéologique de la campagne électorale suédoise. Mais peut-être a-t-il été le reflet de la réalité du pays, où les
grandes décisions sont prises pour
des motifs idéologiques ou émotionnels, qu’il s’agisse de la sortie du
nucléaire [décidée par référendum
en 1980] (les centrales produisent
plus que jamais) ou du rejet de l’euro [par référendum en 2003] (pour
que la couronne suédoise demeure
un symbole national).
Pour un étranger, la dichotomie
gauche-droite ne veut pas non plus
dire g rand-chose en Suède,
puisque la grande majorité des
partis proposent un éventail de
progrès sociaux. La social-démocratie revendique bien
évidemment la paternité du
modèle suédois, une affirmation qu’auraient pu aussi bien soutenir le secteur
commercial, les industriels
ou les patrons de PME.
Plusieurs pays ont déjà
fait l’expérience d’une coalition gauche-droite, y compris la Finlande. La formule
permet d’éliminer les partis
extrémistes, qui monnaient
leur coopération à prix d’or. Je
sais qu’une telle coalition
semble impossible en Suède,
mais j’ignore pourquoi.
P
Le futur Premier
ministre conservateur
Fredrik Reinfeldt et
la Suède. Dessin de
Finn Gruff, Norvège.
Si j’affirme que la Suède est une
société foncièrement conservatrice et
bourgeoise, je ne vais probablement
pas me faire des amis. Mais quel a été
le but des réformes de ces dernières
décennies, si ce n’est de créer une société égalitaire et (petite-)bourgeoise,
où rien, hormis quelques détails, ne
différencie Per Albin Hansson [le père
de l’Etat-providence, plusieurs fois
Premier ministre dans les années 1930
et 1940] de Göran Persson ?
Beaucoup de gens n’appartiennent pas à ce courant dominant.
Les nombreux Finlandais qui
ont autrefois immigré en
Suède étaient originaires
d’une société similaire et
ont pu s’intégrer peu à
peu. Mais la deuxième
grande vague d’immigration a créé dans le paysage suédois des îlots ethniques et linguistiques où le
goût du partage est relativement peu répandu. La direction de la société est l’affaire
des vrais Suédois.
La politique suédoise ne va
pas connaître de g rand
changement de cap,
étant donné le faible
écart qui sépare les
deux camps. Les
biens, les idées et
l’argent passent les
frontières. Notre foi
en l’Europe, plus
profonde que celle
de la Suède, se fonde
sur nos expériences
douloureuses du passé :
nous devons éviter de nous retrouver
seuls quand quelque chose arrive. Ce
qui me manque parfois, dans la Suède
patriote que j’ai longtemps admirée, est
l’idée que “personne n’est isolé”.
Je ne veux pas dire par là que la
Suède est fermée à toutes les
influences. Mais, que ses raisons
soient égoïstes (l’importation de maind’œuvre pendant les années fastes) ou
désintéressées (le bon accueil
– quoique faiblissant – réservé aux
réfugiés politiques), elle a au moins
partiellement réussi l’exploit de rester très suédoise alors que l’arrivée
d’immigrants impliquait la reprise
d’une grande partie des métiers dits
“ingrats” par des étrangers.
LA VIE REPREND SON COURS
COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT
En tant qu’observateur des campagnes électorales suédoises, j’ai pu
relever à plusieur s repr ises un
contraste étonnant : la propagande
martèle que l’avenir de la Suède
dépend des élections, mais dès le lendemain du scrutin la vie reprend son
cours comme si de rien n’était.
La stabilité de la société, fondée
sur un effort de près de deux cents ans
qui devait faire de la Suède un pays
à part en Europe – à l’instar de la
Suisse –, est presque aussi robuste que
les murs de tous ces châteaux et
manoirs qui ont survécu aux guerres
et à la destruction.
Jörn Donner*
* Ecrivain et metteur en scène finlandais,
ancien directeur de l’Institut cinématographique de Stockholm.
R É S U LTAT S
Une première
■ Avec 48,1 % des voix contre 46,2 %
pour le bloc de gauche, “c’est la première
fois dans l’histoire moderne de la Suède
que la droite parvient à remporter des
élections alors que le pays n’est pas en
crise économique”, constate le Dagens
Nyheter. A la tête du Parti modéré depuis
trois ans seulement, le futur Premier
ministre Fredrik Reinfeldt “a fait évoluer
les conservateurs de la droite vers le
centre grâce à une stratégie minutieusement planifiée”, explique le quotidien
libéral. Quant à Göran Persson, il s’est
tant impliqué dans la coopération avec
le Parti de la gauche et les Verts qu’il
n’avait aucune chance de se rapprocher
du centre. Plus grave peut-être, ajoute le
Dagens Nyheter, “les sociaux-démocrates
ont commis une erreur stratégique en
refusant pour la première fois de faire
de l’emploi le cheval de bataille du parti.”
“La jeune génération féminine, pourtant
très qualifiée, a dû mener sa campagne
dans l’ombre du Premier ministre,
regrette Aftonbladet. Göran Persson a
concentré sur lui les critiques adressées
à la social-démocratie : dépour vu de
vision, fatigué, usé par les longues
années de pouvoir.”
Quant au futur gouvernement, ses premières réformes consisteront, selon le
Svenska Dagbladet, “à créer des emplois
pour les jeunes en réduisant les charges,
à simplifier les règles pour les entreprises
et à instaurer une politique éducative qui
responsabilisera les étudiants”.
ALLEMAGNE
Comment combattre l’extrême droite
Le 17 septembre, les néonazis ont fait
leur entrée au Parlement régional de
Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.
Les moyens manquent pour les contrer.
illeurs aussi, il y a des néonazis, sauf
qu’ils ne por tent pas ce nom-là.
Ailleurs aussi en Europe, ils ont des élus
au Parlement, et ils ne sont pas meilleurs
qu’ici. Ailleurs aussi, ils visent les étrangers et se posent en vengeurs des chômeurs et des petites gens. Peut-on alors
se rassurer, à l’heure où les bruns
renouent avec le succès électoral en Allemagne [7,3 % des voix à Schwerin], en se
disant que la per version politique n’est
pas une spécialité allemande et que la lie,
comme on dit, se trouve par tout ? Une
telle banalisation serait dangereuse. C’est
un fait que, dans de nombreux Etats
membres de l’Union européenne, des par-
A
tis d’extrême droite réalisent des scores
de 10 % à 20 % au niveau régional mais
aussi au niveau national. Peut-être pourrait-on se consoler ainsi si l’Allemagne
démocratique, après les crimes nazis,
n’était pas dans la situation d’un ancien
alcoolique. Ici, se contenter d’attendre
que l’extrême droite succombe à sa bêtise
est problématique.
Depuis le milieu des années 1980, depuis
que le Front national de Jean-Marie Le Pen
a enregistré ses premiers succès, la droite
populiste et l’extrême droite se sont établies en Europe. Les frontières entre l’une
et l’autre sont devenues floues. Leurs partis ont le vent en poupe, même si leurs
caractéristiques varient selon les pays.
Certains sont antimodernes, d’autres plutôt libertaires. Tous attisent la crainte de
l’invasion étrangère. La plupart ne parlent
pas, comme l’extrême droite classique, de
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
protéger la race, mais l’identité culturelle
et nationale. Leurs chefs se posent en
Monsieur Propre au balai d’acier. Mais, si
les par tis puisent allègrement dans l’argumentaire d’extrême droite, ils évitent
d’adopter des postures excessives. Le NPD
[Nationaldemokratische Par tei Deutschlands], qui enregistre des succès dans
l’est de l’Allemagne, est militant – sauf
qu’il le dissimule lorsque cela lui semble
oppor tun. Il a un discours ouver tement
national-socialiste. Il est jeune, bien organisé, et ses rares leaders présentables
savent habilement se présenter aux gens
comme des responsables qui se soucient
des problèmes du quotidien : on commence par protester contre l’augmentation
du prix de l’électricité, la sauce brune vient
derrière. Les néonazis ont ainsi réussi à
gagner le respect de la province. Combien
y a-t-il de nazis ici ? Une telle question
17
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
déclenche l’hilarité dans certains endroits.
Le chanteur de hip-hop Xavier Naidoo l’a
posée récemment dans une école, la
classe a éclaté de rire : “On peut pas les
compter par ici. Y en a partout !” Du coup,
on ne va pas aux fêtes municipales ni
dans cer tains quar tiers qui “appar tiennent” aux nazis. Le quotidien se déroule
sur fond de néonazisme. Le NPD siège au
conseil municipal, les cliques d’extrême
droite se retrouvent dans les bars et dans
toute la vie sociale locale.
Pour combattre l’extrême droite, la morale
ne suf fit pas. Il faut des gens qui travaillent au jour le jour sur le terrain, et de
l’argent. Il y a cinq ans, le gouvernement
avait réagi en créant l’Alliance pour la
démocratie, qui finançait ce travail. Les
projets arrivent à leur terme et sont mis
Heribert Prantl,
au rancar t. Pourquoi ?
Süddeutsche Zeitung (extraits), Munich
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e u ro p e
POLOGNE-ALLEMAGNE
La réconciliation n’est plus qu’un lointain souvenir
En instrumentalisant les sentiments antiallemands, les frères Kaczynski réduisent à néant des années d’efforts
pour rapprocher les deux pays.
GAZETA WYBORCZA
Varsovie
e premier résultat visible de
la diplomatie menée par le
parti Droit et justice (PiS)
des frères Kaczynski a été
d’attiser la crise avec notre voisin allemand. La myopie d’une telle politique
est étonnante si l’on sait que l’Allemagne est un allié important des EtatsUnis en Europe et un pilier de l’Union
européenne. Sans la sympathie et l’appui de l’Allemagne, la Pologne ne
pourrait pas faire grand-chose au sein
l’Union européenne (UE). La crédibilité de la Pologne en tant qu’alliée
des Etats-Unis dépend aussi de ses
bonnes relations avec l’Allemagne.
Mais, comme l’a rappelé Adam Krzeminski, spécialiste de l’Allemagne à
l’hebdomadaire Polityka, notre dialogue
avec ce pays est revenu au stade des
imprécations et des gesticulations de
l’époque communiste.
Que s’est-il passé ? Chaque famille
polonaise est marquée par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi, du point de vue
des intérêts électoraux du PiS, il a été
plus bénéfique de brandir à nouveau
le spectre du revanchisme plutôt que
de tenter d’instaurer un climat de
confiance entre les deux pays. Mais cela
donne une sensation de déjà-vu. Les
dirigeants de la Pologne communiste
polémiquaient, eux aussi, de façon hystérique avec la Fédération des expulsés [regroupant des Allemands chassés d’Europe orientale et centrale au
lendemain de 1945] et le fameux duo
Hupka-Czaja [Herbert Hupka et Herbert Czaja, deux figures emblématiques
de cette organisation dans les années
1960 et 1970, épouvantails de la propagande polonaise de l’époque]. Cela
aurait pu se passer autrement si le PiS
Lech et Jaroslaw
Kaczynski,
respectivement
Président et Premier
ministre polonais.
Dessin de Mayk paru
dans Sydsvenskan,
Malmö.
L
■
s’était tourné vers les pouvoirs constitutionnels allemands et était un peu
plus sensible aux gestes de réconciliation du président Köhler et de la
chancelière Merkel. Il y a à peine un
an, cette dernière rappelait l’importance exceptionnelle des relations germano-polonaises, ses propos étant
symboliquement renforcés par sa décision, lors des négociations budgétaires
de l’UE, de céder à la Pologne plusieurs centaines de millions d’euros initialement affectés au développement
des nouveaux Länder [ex-RDA]. Kazimierz Marcinkiewicz, alors Premier
ministre, l’avait remerciée à sa façon
– en boycottant une visite à Berlin.
PRIVER LA MINORITÉ
ALLEMANDE DE REPRÉSENTATION
De son côté, Jaroslaw Kaczynski a
considéré que la présence du président
allemand à la Journée de la patrie
[manifestation qui se tient toujours le
premier dimanche de septembre, en
présence du président allemand en
exercice] “s’inscrivait dans la ligne des
nouveaux phénomènes inquiétants en
Allemagne”. En revanche, il n’a pas
réagi au contenu du discours présidentiel, véritable geste d’ouverture en
direction des Polonais. Köhler a rappelé que les expulsions avaient déjà
commencé en 1939, soulignant un lien
de cause à effet entre les crimes nazis
et les expulsions. Il n’a en revanche
pas dit un mot sur l’exposition controversée d’Erica Steinbach [qui se tient
actuellement à Berlin et relate l’histoire des déportations de populations
en Europe au XXe siècle]. Accueilli par
cette dernière comme un expulsé, il a
démenti appartenir à cette catégorie,
préférant rappeler que Hitler l’avait
forcé à quitter sa Moldavie natale pour
s’installer en Pologne dans la région
Solidarités
Après avoir
longtemps ignoré
la “psychose
antiallemande”
de leurs voisins
polonais,
les Tchèques
pourraient s’y rallier,
selon le quotidien
berlinois Die Welt.
Le nouveau ministre
des Affaires
étrangères tchèque
et ancien
négociateur
de la déclaration
de réconciliation
germano-tchèque
de 1997, Alexandre
Vondra, vient
de qualifier de
“contre-productive”
l’éventuelle création
du Centre contre les
expulsions, auquel
aspire la Fédération
des expulsés,
à Berlin. Le ministre
a proposé
de coordonner
la démarche
tchèque avec celle
des Polonais.
de Zamosc, puis à fuir vers l’Allemagne. Il s’agit d’un geste très significatif, car Köhler a plus de raisons de
se considérer comme un expulsé
qu’Erica Steinbach, fille d’un soldat
allemand qui occupait la Pologne. On
peut donc imaginer la consternation
du président allemand lorsqu’il a reçu
les nouvelles en provenance de
Pologne. Une fois de plus, son geste
de réconciliation est resté sans suite.
Les députés de la Ligue des
familles polonaises se sont joints à la
psychose antiallemande. Sous prétexte
du respect du principe d’égalité dans
les relations internationales, ils ont
proposé de priver la minorité allemande en Pologne de sa représentation au Parlement. Ils n’auraient pas
pu choisir meilleur moment pour ternir nos relations, déjà suffisamment
difficiles, avec Berlin. Mais l’intérêt
du pays leur importe peu. Les élections municipales approchent [elles
doivent avoir lieu le 12 novembre]
et il ne faut pas laisser s’ancrer
davantage l’antigermanisme des
frères Kaczynski. Il est navrant de
voir le principal parti d’opposition,
la Plate-Forme civique [parti de droite
libérale, dirigé par Donald Tusk],
réduire le débat public à une surenchère avec Droit et justice à coups de
spots télévisés. Que fait leur fameux
“cabinet fantôme” ? Où est leur
“ministre des Affaires étrangères” ?
La Plate-Forme propose-t-elle une
alternative à ce que fait la ministre des
Affaires étrangères, Anna Fatyga ?
Apparemment non. Au début du
mois, le vice-ministre des Affaires
étrangères a assuré que la politique
extérieure de la Pologne était entre de
bonnes mains et que septembre serait
le mois d’une offensive polonaise sur
la scène internationale. On peut
craindre le pire.
Jaroslaw Kurski
VU D’ALLEMAGNE
LE 17e FESTIVAL EST-OUEST
DU 15-24 SEPTEMBRE 2006,
À DIE (DRÔME)
Les dégâts du repli national polonais
Les Polonais ont des raisons de s’inquiéter de
leurs grands voisins, l’Allemagne et la Russie.
Mais leur seule issue est de rester
diplomates et de s’ouvrir sur l’Europe.
es tonalités très inhabituelles nous parviennent de Varsovie. Les membres de
l’Union européenne en restent souvent stupéfaits qu’il s’agisse de la peine de mort, du
rôle de l’Etat-nation ou de l’intégration européenne, voire du projet de Constitution, qui,
selon le président polonais, arriverait “une génération trop tôt”. D’autres sujets concernent plus
particulièrement les relations germano-polonaises. Le projet de gazoduc germano-russe de
la Baltique, contournant la Pologne, et celui du
Centre contre les expulsions, à Berlin, sont les
principales pierres d’achoppement. En Pologne,
dans les conversations, y compris avec l’homme
de la rue, perce une inquiétude : nos voisins
D
[allemands], avec lesquels tout allait pourtant
si bien, ne veulent-ils pas une fois de plus nous
enfoncer ?
Ce qui détonne le plus, c’est le style des frères
Kaczynski, sans concession pour le politiquement correct. “Ils sont francs et directs”, commente un diplomate allemand, “ils balancent
ouver tement ce qu’ils pensent.” Mais il y a
aussi le contenu. Il règne en Pologne un large
consensus sur le gazoduc et le Centre contre
les expulsions. Le président Kwasniewski avait
déjà exprimé clairement ses critiques sur ces
deux points. La différence est que les Kaczynski boudent, pétris de colère, quand ils
ne parviennent pas à imposer leurs vues surle-champ. La Pologne craint que le gazoduc de
la Baltique ne renforce le monopole de la Russie sur le marché du gaz. Voilà qui est justifié.
Mais, comme l’idée d’une OTAN de l’énergie
au niveau européen n’a pas trouvé d’écho, les
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
18
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
frères Kaczynski semblent avoir perdu tout
espoir de parvenir à une politique européenne
commune de l’énergie. Et la “politique de l’histoire” (polityka historyczna) que les jumeaux
ont accrochée à leur bannière pourrait en être
un autre exemple. Alors que plusieurs pays ont
lancé, il y a deux ans, le grand projet de
“réseau européen” [une alternative aux activités du Centre contre les expulsions, voir CI
n° 665, du 1er août 2003], Varsovie semble
désormais s’en retirer. Les projets de recherche
et d’exposition transnationales ont déjà pris
du retard. Varsovie veut-elle vraiment rester
à l’écart du débat sur l’histoire du XXe siècle,
qui est, qu’on le veuille ou non, européenne ?
Les postcommunistes polonais (pour fuir leur
passé ?) ont opté pour l’adhésion à l’OTAN et
à l’UE. Jusqu’où ira le repli national qui semble
avoir pris le pouvoir ?
Gerhard Gnauck, Die Welt (extraits), Berlin
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e u ro p e
KOSOVO
Belgrade serait prêt à jouer la partition
Selon le quotidien serbe, depuis 1998, l’idée d’un partage du Kosovo semble avoir fait son chemin
dans les sphères du pouvoir. Mais les Albanais ne veulent pas en entendre parler.
faire face à une autre forme de crise
au Kosovo. Les forces militaires internationales y étaient déployées depuis
un an déjà. La résolution 1244 disait
expressément que le Kosovo demeurait au sein de la Serbie, tout en précisant que son statut final restait à
déterminer.
POLITIKA
Belgrade
SERBIE
’idée du partage du
Kosovo semble être de nouveau une “option acceptable”
pour Belgrade, d’autant que
cette idée est évoquée depuis au moins
huit ans au sommet du pouvoir serbe,
y compris avec des représentants
étrangers. Cela nous a été récemment
confirmé par deux sources opposées
sur l’échiquier politique mais néanmoins concordantes : Zoran Andjelkovic, ancien président par intérim du
gouvernement du Kosovo et membre
du comité central du Parti socialiste
de Serbie (SPS) de Slobodan Milosevic, et Zoran Zivkovic, ancien Premier
ministre et haut dirigeant du Parti
démocratique (DS).
C’est en 1998, bien avant les bombardements de l’OTAN, qu’on aurait
évoqué pour la première fois un éventuel partage du Kosovo en territoires
albanais et serbes et leur rattachement
à la Serbie. Zoran Andjelkovic aurait
personnellement mis sur la table cette
option lors de pourparlers avec une
délégation russe de haut niveau. “Il est
tard, trop tard, pour cette solution”, lui
auraient alors répondu les Russes. La
question est revenue un peu plus tard
lors d’une réunion de hauts fonctionnaires du SPS, en présence de Milan
Milutinovic, le président serbe de
l’époque. Andjelkovic aurait alors
proposé deux solutions pour régler le
MONTÉNÉGRO
L
Belgrade
Kosovska
Mitrovica
Pec
Decani
Source : ministère des Affaires étrangères français
829p20
Srbica
SERBIE
Pristina
LA “MOINS MAUVAISE”
DES SOLUTIONS
KOSOVO
(sous mandat
de l’ONU)
Stlimje
Gnjilane
Kosovska
Kamenica
Prizren
MACÉDOINE
ALBANIE
0
40 km
problème du Kosovo : l’envoi de forces
de l’ONU ou une partition du territoire. Le président Milutinuvic se serait
chargé de les transmettre à Milosevic,
lors d’une promenade dans le parc
de la villa de l’homme fort serbe à
Dedinje, le quartier chic de Belgrade.
Ce fut peine perdue, car “Milosevic ne
[voulait] pas entendre parler du partage
de Kosovo”, a confié le président à
Zoran Andjelkovic.
Après la chute du régime de Milosevic, le 5 octobre 2000, le nouveau
président,Vojislav Kostunica, et le Premier ministre Zoran Djindjic ont dû
Enclaves serbes
Zones de peuplement serbe
■
Opposition
Cité par Koha
Ditore, Lütfi Haziri,
vice-Premier
ministre du Kosovo,
estime que
la communauté
internationale
ne permettrait
jamais la partition,
une option
qu’il qualifie
de “retour
en arrière”.
L’un des proches collaborateurs de
Djindjic, Zoran Zivkovic, se souvient de cette période. “On a beaucoup discuté, alors, de trois possibilités
d’issue à la crise : la première, le retour
à la situation d’avant 1999, a été jugée
peu réaliste et mauvaise à la fois pour
les Serbes et pour les Albanais ; la
deuxième, l’indépendance totale du
Kosovo, fut considérée comme encore plus
mauvaise pour les Serbes”, affirmet-il. Il ne restait que le partage.
D’après Zoran Zivkovic, le chef du
gouvernement était favorable à cette
solution. “Les bonnes solutions pour le
Kosovo ont toutes été gâchées avant
1999. Il ne reste désormais que de mauvaises solutions. Je trouve que la moins
mauvaise est celle du par tage du
Kosovo”, aurait-il déclaré en 2000,
lors d’une réunion à huis clos du
Parti démocratique. Zivkovic affirme
qu’à l’époque les cartes de partage
n’existaient pas encore, mais qu’il
existait un consensus au sujet des territoires qui pourraient être rattachés
à la Serbie. D’après lui, il s’agissait
des régions du nord du Kosovo et
d’une enclave autour de Gnjilane,
peuplées de plusieurs dizaines de
milliers de Serbes.
Pendant les onze mois de son
mandat de Premier ministre, Zoran
Zivkovic a rencontré les plus importants acteurs internationaux de la
crise du Kosovo. Il aurait alors plaidé
à plusieurs reprises pour l’option du
partage, une idée qu’Européens et
Américains ne rejetaient pas a priori.
“La solution du partage est toujours sur
la table des négociations, mais elle doit
être discutée de notre côté par des gens
qui ont la confiance de l’Occident pour
ne pas la faire capoter”, a-t-il notamment expliqué.
Zoran Zivkovic a beau affirmer
ne jamais avoir vu une quelconque
carte de partage de Kosovo, l’existence de ce type de document est un
secret de Polichinelle au sein de la
communauté internationale. Un haut
gradé britannique a ainsi montré, fin
2001, à l’auteur de ces lignes une
carte de partage du Kosovo qui faisait, selon lui, l’objet d’“intenses négociations”. Quelques mois plus tard,
l’ancien président du Centre de coordination pour le Kosovo [un organisme gouvernemental serbe chargé
de suivre les affaires de la province
depuis Belgrade], Nebojsa Covic, a
confirmé l’existence de cette carte
– mais il ne souhaite plus en parler
aujourd’hui.
Aljosa Milenkovic
IRLANDE
Dans les pubs de Dublin, la Guinness ne fait plus saliver
La boisson emblématique de l’île
est en crise. Les nouveaux modes
de consommation ont eu raison
de son succès.
e groupe Diageo, propriétaire de Guinness, a révélé fin août que, ces huit dernières années, la consommation de “black
stuff” [appellation courante de la célèbre
bière brune] en Irlande a diminué de plus
du quar t. Ce recul persistant se serait
encore accentué en 2006, et on peut s’attendre à ce que Diageo soit à nouveau
tenté de se défaire de sa marque de bière.
Diageo a fait de l’Irlande sa vitrine pour
promouvoir la Guinness auprès des visiteurs venus du monde entier. Le centre
d’accueil du public du Storehouse, situé
dans l’enceinte de la brasserie, sur les
rives de la Liffey, est réputé être le site
touristique le plus visité d’Irlande. La
légende veut que ce soit l’eau du fleuve
dublinois qui donne à la bière sa saveur et
le Storehouse est devenu un lieu de pèlerinage traditionnel pour les hordes de touristes qui veulent remonter aux sources de
la culture irlandaise. Tous les moyens sont
bons pour mettre en valeur le passé glo-
L
rieux du stout. Sur la façade du Storehouse, des reproductions d’af fiches
d’époque rappellent aux visiteurs que la
Guinness était autrefois commercialisée
comme une boisson nutritive, saine et
agréable. A l’intérieur, les visiteurs trouvent un assortiment impressionnant d’objets estampillés Guinness : des tee-shirts,
des vestes, des ballons de football et de
rugby, des balles de golf, des réveils, des
chaussettes, des maniques, des culottes
(roses et blanches), des car tes à jouer,
des boutons de manchette, des magnets.
Les chaussons Guinness (en fausse fourrure noir et crème) voisinent avec les
ensembles salière-poivrier en forme de
toucans [la mascotte de la marque]. La
musique est invariablement une gigue irlandaise. “Dix millions de verres de Guinness
sont consommés tous les jours dans le
monde”, est-il proclamé sur les murs.
Dans les bars de Dublin, le climat est nettement moins euphorique. “Elle ne se vend
pas aussi bien qu’avant”, explique le serveur de l’Auld Dubliner, dans une rue du
quartier Temple Bar grouillant de touristes
et de jeunes Dublinois. “Les gens disent
que c’est une boisson de vieux. Par contre,
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
les ventes de Murphy’s [un stout concurrent, brassé à Cork] augmentent. Je me
rappelle, il y a dix ans, la Guinness représentait 70 % de nos ventes à la pression
Maintenant, ce n’est qu’environ 50 %.”
Jimmy Foley, un habitué de l’heure du
déjeuner, assure qu’il boit de la Guinness
depuis l’âge de 14 ans. “Dans le temps,
elle collait au comptoir, commente-t-il.
Aujourd’hui, elle est un peu diluée. Ici la
pinte est bonne, mais dans certains pubs
c’est de la merde. C’est très variable. Je
passe mon temps à demander aux patrons
de pub comment ça se fait.”
De l’autre côté de la rue, au Quays Bar,
le propriétaire, John McSweeney, dit que
c’est encore avec la Guinness qu’il réalise ses meilleures ventes, mais il ajoute :
“La population a énormément changé. Les
pubs de banlieue ont beaucoup souffer t
de l’interdiction de fumer [entrée en
vigueur en 2004]. Il y a peut-être plus de
gens qui viennent habiter ici, mais il y en
a moins qui sor tent boire un verre.”
“Beaucoup de gens aiment le cidre,
reprend-il. C’est la boisson à la mode.
Et puis les clients deviennent plus exigeants sur le vin. Ils demandent du char-
20
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
donnay ou du sauvignon blanc.” La baisse
des ventes d’alcool en général et dans les
bars en particulier est attribuée à plusieurs
facteurs : l’interdiction de fumer dans les
pubs, la sévérité accrue contre la conduite
en état d’ivresse, la hausse de la consommation de vin, une tolérance moindre
envers les beuveries, et le fait que les
gens achètent au supermarché ou dans
les of f-licence [magasins autorisés à
vendre des boissons alcoolisées] de la
bière blonde en promotion pour la boire
chez eux. La Guinness en a par ticulièrement souffert, car en Irlande elle est vendue à 90 % à la pression.
A l’extérieur du Guinness Storehouse, un
jeune Dublinois tente de convaincre des
touristes de faire un tour en carriole. Boitil de la Guinness ? “Non, je bois de la Budweiser, répond-il. La Guinness fait peutêtre un bien fou, mais c’est ringard.”
Owen Bowcott et Simon Bowers,
The Guardian (extraits), Londres
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e u ro p e
RUSSIE
BIÉLORUSSIE
Avertissement aux fonctionnaires honnêtes
Et maintenant,
l’orthographe
L’assassinat du vice-président de la banque centrale, qui s’était attaqué au blanchiment des
capitaux, montre que corrupteurs et corrompus n’ont pas l’intention de changer de mœurs.
GRANI.RU (extraits)
Moscou
vec le meurtre [le 13 septembre] d’Andreï Kozlov,
premier vice-président de la
banque centrale de Russie,
une importante barrière psychologique
a été franchie. Auparavant, il était
impensable d’assassiner un haut fonctionnaire, surtout d’un rang aussi élevé.
On n’aurait jamais osé. Notre Etat est
ce qu’il est, mais il a établi certaines
règles. On pouvait toujours les contourner, corrompre le “menu fretin” qui
applique les décisions venues d’en
haut, organiser en sous-main des campagnes de dénigrement contre un haut
responsable. Mais en tuer un par vengeance, cela n’était pas possible. C’était
une limite éthique tacite, si l’on peut
parler d’éthique dans cet univers impitoyable situé au croisement du pouvoir
d’Etat et du monde des affaires.
Mais quelqu’un a franchi le pas.
Un haut fonctionnaire honnête a été
tué. Cela signifie que tout est désormais permis. Anatoli Tchoubaïs a dès
lors eu raison de déclarer que ce
meurtre était un défi au pouvoir russe.
Mais le pouvoir russe est à géométrie
variable. Il n’est pas là quand on en
aurait besoin et, quand il ne faudrait
pas, il s’impose et s’occupe de ce qui
ne le regarde pas. En outre, il s’allie
volontiers au monde des affaires. Or,
avec Kozlov, l’autorité de régulation
bancaire n’était pas aux ordres, et la
greffe avec le business ne prenait pas.
Sinon, on ne l’aurait pas assassiné.
Sa mort va forcément effrayer les
hommes de l’appareil d’Etat. C’est un
avertissement : si vous ne voulez pas
vous laisser corrompre et obéir à nos
règles du jeu, nous vous abattrons ;
regardez ce qui arrive à ceux qui res-
A
Dessin d’Evgueni
Vassiliev paru
dans Novoïé
Vremia, Moscou.
■
tent en dehors des activités commerciales dans un Etat où tout se négocie.
Rappelons qu’Andreï Kozlov était
un brillant serviteur de l’Etat, mais un
homme d’affaires exécrable : il n’a
jamais eu de succès dans le secteur
privé, malgré son professionnalisme et
sa créativité.
La corruption n’est pas simplement devenue notre problème numéro
un. Les règles sont ainsi faites que, sans
elles, on ne peut rien résoudre. Pour
que la moindre chose bouge, il faut
graisser des pattes. Les fonctionnaires
qui prennent des décisions de peu
d’envergure mais très importantes pour
un particulier ou une entreprise vivent
de leur rente de situation. N’importe
qui aura plus vite fait de verser un potde-vin que d’attendre des années que
son problème se dénoue et, d’ailleurs,
sans corruption, mieux vaut ne pas
compter sur une issue favorable.
Contrairement à beaucoup de
règles établies par l’Etat, celles qu’Andreï Kozlov avait imposées dans son
administration étaient peut-être trop
strictes, mais elles étaient rationnelles.
Elles n’avaient rien d’absurde et
visaient un but bien précis : rendre le
système bancaire russe plus transparent et moins criminel. Il devait devenir stable, fiable, mettre les clients, privés et professionnels, en confiance.
Kozlov était détesté même par les
banquiers qu’on ne peut qualifier de
corrupteurs, mais qui savaient qu’il
existait des règlements et qu’ils ne
pourraient pas les changer, pas plus
qu’ils ne pourraient changer le caractère du premier vice-président de la
banque centrale.
L’assassinat de Kozlov dévoile aussi
les dessous peu reluisants de ce qui est
généralement appelé “stabilité”. Cette
fameuse “stabilité” repose en fait sur
un fragile équilibre entre les élites, le
monde des affaires et l’Etat, ces différents clans qui s’affrontent. L’équilibre tient parce qu’il n’y a pas de vainqueur. Pour l’instant. Mais, si un clan
arrive à l’emporter nettement sur un
autre, cette “stabilité” implosera.
Andreï Kolesnikov
GÉORGIE
Coup de balai avant les élections
l’issue d’une vaste opération menée du 6
au 9 septembre à travers tout le pays, le
ministère de l’Intérieur a fait arrêter une trentaine de membres du parti d’opposition prorusse Samartlianoba [Equité], qui est dirigé par
Igor Guiorgadzé, actuellement réfugié à Moscou. Cet ancien ministre de la Sécurité est
recherché par Interpol pour la tentative d’assassinat, en 1995, du président de l’époque,
Edouard Chevardnadzé. Farouche adversaire
de l’actuel président Mikhaïl Saakachvili, il est
à présent accusé dans son pays de tentative
de coup d’Etat et de haute trahison. Parmi les
autres personnalités arrêtées figurent celles
qui ont rejoint Guiorgadzé après la “révolution
des roses” de 2003, à savoir le leader du Parti
monarchiste-conservateur, Temour Jorjoliani,
la fondatrice du mouvement anti-Soros, Maïa
Nikoleïchvili, la directrice de la Fondation Guiorgadzé, Irina Sarichvili et, enfin, la nièce du prin-
A
e président Loukachenko a ordonné au ministère de l’Education nationale de mettre à
jour l’alphabet et la ponctuation de la
langue biélorusse, rappelant que celle-ci est toujours régie par des règles
édictées en 1957. Dans un monde où
tout est voué à être amélioré, il est impensable que la langue soit une exception, a-t-il expliqué. Rappelons
qu’Alexandre Loukachenko ne s’exprime que rarement dans la langue de
son pays, parce qu’elle ne lui permet
pas de “transmettre sa pensée dans toute sa profondeur et ses nuances”, il préfère le russe.
Selon les spécialistes, la réforme
envisagée consiste tout simplement
à russiser la langue biélorusse, en
gommant ses particularités. Mais la
question de la langue dans ce pays
est profondément politique. Les
règles de la langue écrite biélorusse
ont été définies, au début du siècle,
par le philologue Bronislav Tarachkevitch, d’où son nom de tarachkevitsa (ou trachanka). Cette langue-là
a été interdite par Staline en 1933,
au profit du russe. Dans les années
1990, après la proclamation de l’indépendance de la République, la
tarachkevitsa a été remise au goût du
jour et un ambitieux programme de
synthèse de la langue biélorusse,
conciliant son passé et son présent,
a été mis en place. En 1994, peu
après son arrivée au pouvoir, Loukachenko a estimé qu’il y avait des
choses plus importantes à faire dans
le pays que s’occuper de la langue.
Aujourd’hui, ce sont les partis, associations, personnalités d’opposition
qui continuent d’utiliser la tarachkevitsa, ainsi que les rares médias
non officiels. Cela n’a pas échappé
au pouvoir. “Il ne s’agit pas d’une quelconque réforme de la langue, mais d’une
interdiction pure et simple de la tarachkevitsa ainsi que des supports qui l’utilisent”, estime le linguiste Dmitri
Savka. Le président de la Société de
défense de la langue biélorusse, Oleg
Troussov, n’attend, lui non plus, rien
de bon de ces réformes. “En deux
mots, il faudra mettre un ‘P’ majuscule
au mot président, voilà l’essence de la
réforme, ironise-t-il. En revanche, des
journaux qui continuent à utiliser la trachanka, comme Nacha Niva (opposition), seront interdits.”
Certains linguistes ont également
trouvé curieux de ne pas avoir été
consultés sur cette “révision” de la
langue biélorusse, entièrement confiée
aux fonctionnaires du ministère de
l’Education nationale. Une fois établies, les nouvelles règles linguistiques
seront soumises à Alexandre Loukachenko et validées par oukaze présidentiel.
Igor Karneï,
Svobodanews.ru (extraits), Minsk
L
L’auteur
Andreï Kolesnikov
est chroniqueur
pour les Izvestia,
Vedomosti
et Ekspert.
Il est l’auteur
de “J’ai vu Poutine”
(2005),
“Vladimir Poutine.
A la guerre comme
à la guerre” (2005)
et d’une biographie
de l’ancien vicePremier ministre
Anatoli Tchoubaïs,
actuellement patron
du monopole
de l’électricité
en Russie (2004).
En réformant la langue
biélorusse, le régime vise
les médias et les groupes
d’opposition qui l’utilisent.
cipal coupable présumé. “La holding Guiorgadzé est dissoute”, titre le journal de Tbilissi
Akhali Taoba, reprenant les propos tenus à
Moscou par Guiorgadzé devant les caméras de
la télévision russe. “Mon parti ne préparait
aucun coup d’Etat en Géorgie. Le pouvoir utilise tous les moyens à sa disposition – y compris la répression – pour sauver sa cote de
popularité à l’approche des élections locales
du 5 octobre.” L’hebdomadaire Akhali Chvidi
Dré s’interroge pour sa part sur les véritables
raisons de cette opération spectaculaire : “Si
les autorités cherchent à réprimer l’opposition,
pourquoi s’en sont-elles prises au parti politique le moins populaire de Géorgie, qui ne présente aucun danger pour le Parti national au
pouvoir ?” “Cette opération a été orchestrée
par l’Occident, et le gouvernement en tirera
probablement des bénéfices, observe le journal. De toute évidence, l’objectif de cette action
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
de ‘relations publiques’ était non pas de neutraliser des gens en train de fomenter un coup
d’Etat, mais de frapper de façon détournée le
Kremlin, qui ne cesse de provoquer la Géorgie, entre autres, dans la zone du conflit
osséto-géorgien. Ainsi, la par ticipation de
450 policiers cagoulés et armés de façon hollywoodienne a-t-elle permis d’égratigner à la
fois l’amour-propre de la Russie et d’amadouer
l’Occident”, analyse Akhali Chvidi Dré.
Le quotidien Sakartvelos Respoublika note
la réaction “modérée et retenue” des autres
partis d’opposition géorgiens. “Plus personne
ne s’étonne que Samartlianoba [financé par la
Russie] ait autant de moyens. La population
n’est absolument pas attachée à ce parti. Cet
événement marque probablement le début d’un
important remue-ménage en Géorgie. Vous avez
dit ‘du pain et des jeux’ ? En Géorgie, les
choses sont plus compliquées que ça.”
22
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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amériques
●
M E X I QU E
Obrador, accroche-toi, le peuple est avec toi !
Le traditionnel défilé militaire du 16 septembre a bien eu lieu. Mais les militaires et les officiels ont vite plié
bagage pour laisser la place aux partisans d’AMLO. Le récit du reporter de Milenio.
MILENIO
Andrés Manuel
Mexico
López Obrador.
Dessin de Naranjo
paru dans
El Universal,
Mexico.
amedi matin [16 septembre],
des centaines de familles endimanchées occupaient dès
9 heures les trottoirs des principales avenues qui mènent au Zócalo
[la grande place centrale de Mexico].
A 10 heures, ils étaient des milliers, formant d’interminables cortèges humains. Ceux qui s’étaient levés le plus
tôt avaient déjà marqué leur territoire
avec des chaises pliantes, des glacières
ou des caisses sur lesquelles ils allaient
s’asseoir pour regarder passer les
contingents militaires. Le défilé a commencé à 10 h 20. Le respect, l’admiration des badauds au passage des militaires étaient évidents : les visages
souriants, les bouches ouvertes (surtout chez les enfants) et les regards
émus témoignaient de la fascination
envers les vaillants militaires mexicains.
Vingt mille hommes des forces armées
défilaient bien droits, le pas assuré, les
traits impassibles, au milieu des applaudissements et des bravos sonores de la
foule. Les membres des forces spéciales
forçaient l’admiration avec leurs visages
enduits de peinture de camouflage de
la même couleur que leur uniforme
– noir, vert et sable –, suivis par les
plongeurs dans leurs Zodiac, les équipages de chars et de blindés, les élégants cadets. Un défilé admirable…
J’avais l’intention de traverser le
Zócalo, d’aller jusqu’au pied de la grille
située à cent mètres du balcon présidentiel, où deux ou trois contestataires
S
auraient pu s’être glissés. Après avoir
franchi quelques obstacles (en particulier la garde présidentielle), je suis
arrivé sans encombre. Mais à peine me
suis-je retrouvé devant la grille, parmi
les dizaines de personnes qui s’y
amassaient, que les premiers cris de
protestation contre le président
[Vicente Fox, qui achève son
mandat le 1er décembre prochain] ont commencé à
s’élever. “Traître !”“Vendu !”
“Lâche !” “Voleur !” “Enflure !”“Lopette !”Tout y est
passé. Et on s’en est pris
aussi à sa femme [Marta
Sahagún], qui se tenait
debout sur le balcon à côté
de lui. Le couple présidentiel n’a cependant pratiquement rien en-
tendu : un énorme orchestre militaire
installé devant le palais n’a pas cessé
de jouer. Les cris n’étaient perceptibles
depuis le balcon que lorsque l’orchestre
marquait des pauses. “Obrador président !”“Fox dehors ! Dehors ! Dehors !”
[Andrés Manuel López Obrador, le
candidat de gauche, conteste le résultat de l’élection du 2 juillet.]
UNE IMPRUDENCE AURAIT MIS
LE FEU AUX POUDRES
La tension montait. La première
ligne de défense derrière la grille
était composée de 40 militaires à
bonnets noirs qui apparemment
n’étaient pas armés. En deuxième
ligne, 20 soldats casqués étaient déployés, en uniforme de campagne
vert, le pistolet à la ceinture. En troisième ligne, une trentaine d’hommes
en costume-cravate sombre, agents
de la sécurité présidentielle, munis
d’oreillettes et sans doute armés. En
outre, on pouvait voir 10 civils vêtus
comme bon leur semblait.
Minute après minute, la tension
continuait de monter. Il y avait déjà
plusieurs centaines de manifestants.
Les effectifs de chacune des lignes
de protection augmentaient à mesure qu’arrivaient de nouveaux
contestataires : la garde rapprochée
du président comptait déjà près de
200 hommes. La distance entre la première file de manifestants hurlants et
les premiers militaires était d’à peine
deux mètres. Deux mètres qui paraissaient se réduire de plus en plus, tandis que les vociférations allaient crois-
sant : “Obrador, accroche-toi, le peuple est
avec toi !” “Soldat mexicain, n’agresse
pas ton frère !”“Le peuple en uniforme lui
aussi est exploité !” Il aurait suffi d’un
imprudent pour mettre le feu aux
poudres. Mais avec des si…
A 11 h 52, juste après qu’on eut
entonné l’hymne national, Fox s’est
retiré du balcon. Quelques minutes
plus tard, neuf autocars de luxe, mais
militaires, sans doute blindés, ainsi
qu’un groupe de berlines Chevrolet,
elles aussi blindées, ont fait sortir le
président et ses invités du palais. A ce
moment-là, les militaires ont ouvert
les grilles métalliques et se sont repliés
en marchant à reculons. La foule a
envahi l’espace laissé libre. Il y a bien
eu des bousculades, des échanges verbaux, mais rien de plus. Les militaires sont partis rapidement et ont
laissé place à la police municipale et
à la police fédérale préventive. Les
partisans d’Obrador sont ensuite restés quelques minutes à s’égosiller
sous le balcon, dont la fenêtre était
déjà fermée, comme si Fox était resté
à l’intérieur. Ou comme s’il s’agissait de se mettre en voix pour le nouveau sexennat, car ils criaient déjà :
“Felipe, le peuple ne veut pas de toi !”
[Felipe Calderón, le président élu le
2 juillet dernier, doit être intronisé le
1er décembre], “Imposition [de Calderón
par le tribunal électoral qui l’a désigné
président le 6 septembre dernier après un
recomptage partiel des votes lui donnant
à peine 0, 61 % de voix d’avance], révolution ! Imposition, révolution !”
Juan Pablo Becerra-Acosta M.
V E R B AT I M
“Vive la nouvelle République !”
Des centaines de milliers de personnes,
rassemblées samedi dernier à Mexico,
ont proclamé à main levée Andrés
Manuel López Obrador “président légitime”.
Extraits de son discours.
mies, amis, déléguées, délégués de
tous les peuples, de toutes les régions,
municipalités et Etats de notre pays. C’est
un jour historique. La Convention nationale
démocratique a proclamé l’abolition de l’actuel régime de corruption et de privilèges,
et posé les bases de la construction et de
l’établissement d’une nouvelle République.
Avant tout, il convient de bien comprendre
pourquoi nous avons choisi cette voie. Il est
évident que nous n’agissons pas par caprice
ni par intérêt personnel. Notre décision et
celle des millions de Mexicains représentés
ici est la réponse ferme et digne à ceux qui
ont transformé la volonté électorale en
trompe-l’œil et les institutions politiques en
farce grotesque. […] Nous sommes ici pour
dire aux hommes du régime antérieur que
A
nous ne fléchirons pas, que nous ne nous
rendrons jamais. […]
Comment voyons-nous la nouvelle République ? La nouvelle République aura pour
objectif majeur de promouvoir le bien-être, le
bonheur et la culture de tous les Mexicains.
Nous aspirons à une société véritablement
juste, fondée sur la démocratie et sur la
défense de la souveraineté nationale. Nous
souhaitons dialoguer avec tous les secteurs
faisant preuve de bonne volonté, mais nous
devons imposer l’idée que, pour le bien de
tous, les pauvres doivent passer d’abord. […]
Tout au long du processus de construction de
la nouvelle République, nous nous attacherons à suivre trois principes fondamentaux :
Premièrement, ne pas tomber dans la violence,
éviter le harcèlement et toujours maintenir
notre mouvement sur la voie de la résistance
civile pacifique. Deuxièmement, ne pas se
vendre, ne pas tomber dans l’éternel piège
qui consiste à acheter les fidélités et les
consciences sous couvert de négociation. Troisièmement, lutter avec imagination et talent
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
pour rompre le cercle de l’information et créer
des mécanismes de communication alternatifs. Il faut permettre à la vérité de percer et
d’arriver jusqu’aux confins de notre patrie. […]
Cette convention a décidé de créer un nouveau gouvernement, institué pour faire valoir
et défendre les droits du peuple. Le gouvernement qui en émane sera obligatoirement
national. Son siège se situera dans la capitale de la République et, en même temps,
il sera itinérant pour obser ver, écouter et
recueillir l’opinion de tous les secteurs et de
toutes les régions du pays. Il aura un cabinet, autrement dit, une équipe de travail qui
centralisera les diagnostics, proposera des
solutions et examinera les possibilités pour
chaque cas. Evidemment, les ressources sont
peu abondantes, mais le travail d’équipe,
l’honneur et l’interaction avec la société pourront transformer ce manque en efficacité.
Pourquoi j’accepte le rôle de président du
Mexique ? […] Parce que nous refusons la
contrainte et la rupture de l’ordre constitutionnel. Accepter la fraude électorale et recon-
24
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
naître un gouvernement d’usurpateurs, ce
serait retarder indéfiniment l’évolution démocratique du pays. […] De plus, dans les circonstances actuelles, accepter ce rôle est un
acte de résistance civile pacifique, et c’est
ce qui convient le mieux à notre mouvement.
C’est une leçon, une leçon pour leur apprendre
à respecter la volonté populaire. Amies, amis,
compagnons, je vous parle avec sentiment,
avec le cœur. C’est une fierté, c’est un honneur que de vous représenter. Soyez certains
que je le ferai avec humilité et conviction.
Je ne vous trahirai pas, je ne trahirai pas le
peuple du Mexique. C’est un honneur d’être
avec vous et je serai toujours votre serviteur.
Je réaffirme mon engagement auprès de vous,
auprès de ceux qui nous ont accordé leur
confiance le 2 juillet, auprès d’autres aussi,
et surtout auprès des pauvres et des humiliés de notre patrie.
Vive la Convention nationale démocratique !
Vive la nouvelle république ! Vive le Mexique,
vive le Mexique, vive le Mexique !”
Discours transcrit par El Universal, Mexico
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amériques
U R U G U AY
CANADA
La justice s’attaque enfin aux militaires
Pourquoi faire
la guerre en
Afghanistan ?
Le premier procès de la dictature militaire vient de s’ouvrir à Montevideo. Une étape
importante pour les familles des victimes, qui attendent d’autres inculpations.
en collaboration avec des militaires
argentins, afin de ramener à Montevideo des militants de gauche enlevés à Buenos Aires. Lors de ses funérailles, le 11 septembre, d’autres
figures de la dictature uruguayenne
ont réapparu. “[Antonio Rodríguez
Buratti] est le premier mort de cette
guerre psychopolitique”, a notamment
déclaré l’ex-chef des services secrets
de l’armée, le général en retraite Iván
Paulos, lors de la cérémonie.
LA NACIÓN
Buenos Aires
n inculpant pour la première fois des militaires à
la retraite, accusés d’enlèvements et d’assassinats
commis pendant la dictature qui a
suivi le coup d’Etat de 1973, la justice uruguayenne a fait un pas décisif. Cette avancée, attendue depuis
longtemps par les familles des victimes, survient vingt-deux ans après
l’accord politique signé entre les partis d’opposition et les généraux afin
d’instaurer des élections et de mettre
fin à la dictature militaire. Jusqu’à
présent, un seul procès avait eu lieu.
Juan Carlos Blanco, l’ancien chancelier du gouvernement dictatorial,
avait été jugé tout simplement parce
que le tribunal, sous la présidence de
Jorge Battle (2000-2005), avait fait
valoir que Blanco, en tant que civil,
ne bénéficiait pas de la loi d’amnistie de 1986 encore en vigueur.
L’arrivée de la gauche au pouvoir,
en 2004, a modifié la situation. Ainsi,
sans déroger à la loi d’amnistie, appelée aussi “loi de la caducité de la vocation punitive de l’Etat”, le nouveau
gouvernement a adopté une lecture
différente concernant sa portée. Cette
décision vaut aujourd’hui à six militaires à la retraite – José Gavazzo, Gilberto Vázquez, Jorge Silveira, Ricardo
Arab, Ernesto Ramas, Luis Maurente – et à deux ex-policiers, Ricardo
Medina et Pedro Sande, de se retrouver sur le banc des accusés. Le processus judiciaire leur permet, du
moins pour le moment, d’échapper
à l’extradition vers Buenos Aires, où
ils sont réclamés par la justice argentine dans le cadre du plan Cóndor
[programme de coopération des services de renseignements de toutes les
dictatures latino-américaines destiné
à faciliter les arrestations et les assassinats des opposants politiques quel
que soit le pays]. Les accusés ont été
E
C’EST UN BON DÉBUT
MAIS ÇA NE SUFFIT PAS
mis en examen pour association de
malfaiteurs et privation de liberté. Ils
risquent la prison. L’affaire porte sur
la disparition à Buenos Aires, en
1976, des militants de gauche Adalberto Soba et Alberto Mechoso dans
une opération menée conjointement
avec des militaires argentins. Le colonel en retraite Juan Antonio Rodríguez Buratti, qui fut l’un des principaux agents de la répression et est
impliqué dans la même affaire, a
choisi d’échapper à la justice en se
tirant une balle dans la tête au
moment où la police s’apprêtait à le
conduire au tribunal. Il a emporté
dans la tombe de nombreux secrets
militaires, dont celui du lieu où a été
enterrée l’Argentine María Claudia
García, la belle-fille de l’écrivain
Juan Gelman [enlevée à l’âge de
19 ans, enceinte, avec son compagnon, Marcelo Ariel, lui aussi torturé et assassiné]. Buratti avait également commandé des opérations,
Dessin d’El Roto
paru dans El País,
Madrid.
■ Opération
Carotte
Gilberto Vázquez,
l’un des militaires
inculpés, a confirmé
l’existence
en 1984-1985 de
l’opération Carotte,
qui visait à éliminer
les traces
des cadavres
des opposants
assassinés. Les
restes d’opposants
enterrés dans
des fosses situées
dans deux casernes
ont été exhumés
et brûlés.
(El País, Montevideo)
Les organisations de gauche et les
parents des disparus se félicitent pour
leur part de l’ouverture du procès. Des
dizaines de manifestants ont jeté des
œufs sur les militaires et ont applaudi
le passage des véhicules des juges, tandis que d’autres pleuraient d’émotion.
“C’est le minimum qu’on pouvait faire.
C’est un bon début, mais ça ne me suffit pas”, a déclaré le fils d’Alberto
Mechoso, qui porte le même nom que
son père. Le président Tabaré Vázquez
a même évoqué l’affaire au cours du
Conseil des ministres. Personnalité du
Parti communiste et ministre du Développement social, Marina Arismendi
a rapporté que le gouvernement souhaite que soit respecté un principe “de
vérité et de justice, et non de vérité et de
vengeance, ni de revanche”.
La justice instruit actuellement
plusieurs dossiers dont le gouvernement de Tabaré Vázquez a estimé
qu’ils ne pouvaient pas bénéficier
de la loi de caducité de 1986, qui
fut ratifiée par référendum en 1989.
Ceux qui ont assassiné les députés
Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez Ruiz en 1976, à Buenos Aires,
ne sauraient ainsi être protégés par
la loi d’amnistie. L’enlèvement et
l’assassinat de María Claudia García
et les arrestations de militants anarchistes qui organisaient des rapts en
Argentine sont également exclus de
l’amnistie.
Nelson Fernández
S O M M E T D E S PAY S N O N A L I G N É S
Une autre mondialisation est possible
Les 56 chefs d’Etat rassemblés à La Havane
pour le quatorzième sommet des pays
non alignés ont rejeté en bloc la politique
américaine, se réjouit le quotidien de gauche
mexicain La Jornada.
l y aura un avant- et un après-sommet” :
telle a été la conclusion du ministre des
Af faires étrangères cubain, Felipe PérezRoque, au terme du Sommet des pays non
alignés, qui s’est tenu à La Havane entre
le 11 et le 16 septembre. Créé en 1956, le
Mouvement des non-alignés avait au départ
pour objectif de soutenir les principes de souveraineté et de lutte contre l’impérialisme
I
dans le contexte de la guerre froide entre les
Etats-Unis et l’Union soviétique. Depuis, les
objectifs n’ont pas changé, mais se sont
adaptés aux circonstances actuelles.
Cette année, à La Havane, les 56 chefs d’Etat
et de gouvernement réunis ont rejeté en bloc
la politique des Etats-Unis sur plusieurs points,
blocus contre Cuba et campagnes contre les
gouvernements vénézuélien et bolivien en tête
de liste. Dans la déclaration finale, les pays se
sont prononcés en faveur du respect des “décisions prises par les Etats concernant l’usage
de la technologie nucléaire” ; ils répondent ainsi
à l’opposition farouche des Etats-Unis et de
leurs alliés au développement du nucléaire par
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
l’Iran. Les non-alignés ont par ailleurs souligné
“qu’il n’existe pas de modèle unique de démocratie et que celle-ci n’est pas l’apanage d’un
pays ou d’une région”, faisant clairement allusion à la volonté des Etats-Unis d’imposer leur
modèle de démocratie, comme en Irak. Mais,
sur tout, le sommet a permis de montrer
qu’une autre mondialisation est possible – une
mondialisation fondée sur la solidarité, et non
sur le capitalisme sauvage, comme celle imposée par Washington et les puissances occidentales. Les non-alignés se sont placés en
retrait d’un modèle qui accentue le cruel déséquilibre entre les grandes puissances et les
La Jornada, Mexico
pays en développement.
26
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
a mort de cinq soldats, au
cours du premier week-end de
septembre, a porté à trente le
nombre de décès depuis le début de
la mission canadienne, dont la moitié
au cours des trois derniers mois. Le
retour des cercueils à la base militaire
de Trenton, dans l’Ontario, fait de plus
en plus souvent l’ouverture des journaux télévisés alors que les combats
entre troupes de l’OTAN et talibans
font rage dans le sud de l’Afghanistan.
L’armée canadienne mène aujourd’hui sa plus grande offensive militaire
depuis sa participation à la guerre de
Corée, au début des années 1950.
D’abord déployée en 2002, la mission
avait été présentée comme une occasion de soutenir les Etats-Unis sans
s’engager en Irak et en restant dans le
rôle traditionnel de gardien de la paix,
explique le magazine Maclean’s. Mais
le transfert des troupes canadiennes,
fin 2005, d’un Kaboul pacifié vers le
fief taliban de Kandahar marque un
basculement vers une implication plus
offensive. Avec ses 2 300 soldats, engagés jusqu’à 2009, le Canada est la quatrième force dans un Sud afghan où
les talibans se révèlent de plus en plus
résistants. “Existe-t-il un objectif clair,
une limite de temps précise à la mission
des Canadiens ? Combien d’hommes
sommes-nous disposés à perdre et dans
quel but ?” s’interroge l’hebdomadaire
Maclean’s.“Nos dirigeants politiques et
militaires font bien peu pour répondre à
ces questions fondamentales.” Selon plusieurs officiels, la présence militaire est
avant tout un soutien aux véritables
piliers de l’action canadienne : la diplomatie et le développement. Tout le
contraire de la réalité, argue l’opposition parlementaire, qui exige le retrait
des soldats canadiens.“On n’a qu’à
regarder l’Irak pour se rendre compte que
les missions mal conçues et axées sur le
militaire ne sont pas favorables à une paix
durable”, affirme Jack Layton, dirigeant
du Parti néodémocrate (socialiste)
dans le quotidien Globe and Mail.
“Pourquoi suivons-nous aveuglément les
prescriptions politiques de Bush ?” A en
croire les sondages les plus récents,
près d’un Canadien sur deux partage
cette opinion.
Si le maintien de bonnes relations
avec l’allié américain est cher au gouvernement conservateur, l’intervention
armée assure également au Canada
voix au chapitre lors de négociations
internationales à venir. “L’engagement
militaire, initialement modeste, s’est transformé en une carte de visite dans une
OTAN en pleine transformation, affirme
Maclean’s. Pour la première fois depuis la
guerre froide, le Canada joue gros jeu.”
Pour autant, le gouvernement canadien doit convaincre sa population de
l’intérêt d’une telle entreprise. Le président afghan Hamid Karzai a prévu
de l’épauler. L’objectif de sa visite du
21 septembre est de persuader les
Canadiens que leurs pertes servent
une cause juste.
■
L
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É TAT S - U N I S
La culture de l’échec des Noirs américains
Délinquance, crime, meurtre : les jeunes Africains-Américains sont de plus en plus violents, surtout à l’égard
des leurs. Une dérive qu’un chroniqueur noir du New York Times estime très alarmante.
THE NEW YORK TIMES
New York
’autre jour à Manhattan, je
regardais un kiosque à
journaux quand je suis
tombé sur un magazine
intitulé Felon [Criminel]. C’était le
numéro “Halte aux balances”, et la
première lettre à la rédaction commençait par “Yo, salut Felon !” Une
autre lettre était signée “Ton nègre
John-Jay”, lequel était par ailleurs
assez aimable pour écrire : “A mes
femelles ! j’vous aime toutes.”
Je suis tombé par la suite sur un
magazine intitulé FEDS, qui affiche
au nombre de ses thèmes : “Taulards”,
“Voyous des rues”. La couverture portait le titre “Halte aux balances”. Un
autre titre proclamait : “Une dizaine
de meurtres, des centaines de kilos de coke
et personne ne dénonce”.
Ce sont là les symptômes d’une
maladie culturelle déprimante, voire
mortelle, qui s’est répandue librement
dans la majeure partie de l’Amérique
noire. Les personnes atteintes ne
dénoncent pas les délinquants, se
marient rarement, abandonnent souvent leurs enfants, s’appliquent les
qualificatifs les plus vils (“nègre”,
“pute”, etc.), ne cessent de faire des
allers et retours entre le monde extérieur et la prison, et tombent en général dans l’irresponsabilité et l’avilissement le plus profond.
Dans son nouveau livre, Enough
[Ça suffit !], le journaliste Juan
Williams passe en revue tous les problèmes affectant les Noirs américains.
Il donne un aperçu de l’obsession de
la délation qu’ont ces gangs, dealers
et autres racailles, sans parler des
auteurs des magazines de gangsters
qui s’adressent à eux [voir ci-dessous].
L
Presse
FELON [criminel]
est aussi l’acronyme
de From Every Level
Of Neighborhood
[De tous les coins
du quartier].
Le titre FEDS
fait allusion
aux agents
fédéraux du FBI,
c’est également
l’acronyme
de Finally Every
Dimension
of the Streets
[Enfin tous les
aspects de la rue].
Quant au magazine
Don Diva, son titre
est une contraction
de l’expression
argotique “dons
and divas”,
où le terme dons
fait référence
aux gangsters
et divas
à leurs copines.
“En octobre 2002, écrit Williams,
l’enfer provoqué par la criminalité dans la
communauté noire a craché ses flammes
à Baltimore. Une femme noire mère de
cinq enfants témoigne contre un dealer du
nord-est de la ville. Le lendemain, on jette
un cocktail Molotov dans sa maison. Elle
réussit à éteindre le feu. Deux semaines
plus tard, à 2 heures du matin, alors que
la famille dort, la maison est à nouveau
incendiée. Cette fois-ci, le dealer a enfoncé
la porte d’entrée et a pris soin de verser de
l’essence sur l’escalier, qui est la seule issue
pour les gens endormis dans les chambres
du premier et du deuxième étages.Angela
Dawson, 36 ans, et ses cinq enfants, âgés
de 9 à 14 ans, meurent dans les flammes.
Carnell, son mari, 43 ans, saute du premier étage. Il est gravement brûlé et meurt
quelques jours plus tard.”
Si des Blancs faisaient aux Noirs
ce que les Noirs se font entre eux, il
y aurait des émeutes d’un bout à l’autre
du pays. Comme l’écrit Williams, “il
s’est passé quelque chose de terrible”. A
quel moment la fière tradition des
WEB DuBois [grand intellectuel mili-
tant], Harriet Tubman [lmilitante abolitionniste], Mary McLeod Bethune
[apôtre de l’éducation], Louis Armstrong, Billie Holiday, Duke Ellington,
Martin Luther King a-t-elle cédé la
place aux magazines de gangsters et
à leurs campagnes pour empêcher les
citoyens de dénoncer les voyous ?
LES GAMINS VOIENT LA PRISON
COMME UN RITE DE PASSAGE
Juan Williams explique lors d’un
entretien : “Beaucoup de choses montrent qu’il y a une crise dans la communauté. Regardez le nombre énorme de
jeunes – surtout de garçons – qui ne terminent pas leur scolarité ; ou le nombre
de naissances hors mariage, qui est vraiment inquiétant ; ou le taux d’incarcération. Quand on entend des gamins
affirmer que la prison est ‘un rite de passage’ ou qu’ils accusent les jeunes de travailler à l’école, de ‘frimer’ ou de vouloir ‘faire comme les Blancs’, on est devant
une culture de l’échec. Ce genre de discours freine ceux qui essaient d’avancer.
Ils entraînent les gens vers le fond.”
Ça suffit ! clame Williams. Son
livre appelle une nouvelle génération
de leaders noirs à combler le vide
laissé à tous les niveaux par ceux qui,
pour une raison ou pour une autre,
ont renoncé à lutter et à décider euxmêmes de leur vie. Ce vide a provoqué une épidémie de comportements
autodestructeurs.
Williams ne conteste pas un instant les effets dévastateurs du racisme,
mais celui-ci n’est pas le même qu’il y
a un demi-siècle. C’est désormais aux
Noirs eux-mêmes de saisir leur chance,
de profiter des possibilités qui leur sont
offertes pour réussir leurs études et leur
carrière, de former des familles fortes
qui permettent aux enfants de se développer et de créer un environnement
culturel qui rejette le crime, l’ignorance
et l’autoabaissement.
Les Noirs qui réussissent sont plus
nombreux que jamais. Mais il y en a
encore trop, en particulier chez les
jeunes, qui sont coincés entre échec
et déchéance. Il faut que ça change.
Ça suffit !
Bob Herbert
MÉDIAS
Crack, meufs et gros calibres
Créés par d’anciens détenus,
plusieurs magazines visent
l’audience des jeunes Noirs
qui peuplent les prisons*.
Avec plein d’histoires violentes.
e magazine Don Diva (www.dondivamag.com) est vendu accompagné d’une mise en garde aux
parents : “Attention : histoires de
gangsters !” La mention se veut incitative – rien n’attire plus les ados
que ce genre d’aver tissement –
mais elle est justifiée. Car Don Diva
est un magazine sur les gangsters
destiné aux gangsters ainsi qu’à
tous ceux qui rêvent de l’être, qui
sont en prison ou qui ont envie de
goûter aux sensations fortes que
procure la vie de gangster sans pour
autant se faire tirer dessus ou finir
L
en prison, comme c’est hélas le cas
de la plupart des figures dont Don
Diva raconte la vie.
Fondé en 1999, ce trimestriel sur
papier glacé se présente comme
“la vraie Bible de la culture gang”.
Chaque numéro a deux couvertures, la une et la quatrième de couver ture. La une “gang” présente
une scène de la vie de gangster :
des jeunes qui fabriquent du crack
ou un cliché authentique de la
dépouille d’un dealer de Chicago
dans un cercueil capitonné comme
l’intérieur de sa Cadillac El Dorado.
La une “musique” met à l’honneur
un rappeur, et c’est elle qu’affichent
les marchands de journaux qui
n’osent pas montrer l’autre.
Don Diva s’articule autour de trois
grandes rubriques : les reportages
sur des gangsters, les articles sur
des figures du gangsta rap et les
photos de femmes dévêtues posant
pour la plupart de dos.
Dans son numéro “spécial cinquième anniversaire”, Don Diva se
vantait d’être “un magazine né en
prison grâce à un prisonnier”. Ce
détenu, Kevin Chiles, purgeait une
peine de dix ans d’emprisonnement
pour trafic de cocaïne lorsqu’il
donna à son épouse, Tiffany, l’idée
de créer un magazine sur ce qu’elle
appelle la “pègre noire”. Diplômée
en marketing de l’université Fairley
Dickinson, dans le New Jersey, Tiffany Chiles raconte qu’elle a lancé
ce magazine grâce à l’argent gagné
en faisant la promotion de groupes
de rap ; elle l’a baptisé Don Diva
pour souligner qu’il s’adresse aux
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
28
deux sexes, aussi bien aux “dons”
[nom donné aux chefs mafieux]
qu’aux “divas”.
Aujourd’hui, Tiffany Chiles, 35 ans,
dirige le magazine depuis ses
bureaux de Harlem, à New York, et
son mari, libéré en 2003, y écrit de
temps en temps des ar ticles, le
plus souvent pour dénoncer les
“balances”.
Il y a six ans, commente Tiffany
Chiles, les abonnés étaient à 90 %
des détenus ; aujourd’hui, ces derniers ne représentent plus que
10 % des 150 000 exemplaires
vendus chaque trimestre. Jusqu’à
il y a un an, Don Diva était surtout
en vente dans des magasins de
disques, des instituts de beauté et
des petites épiceries dans les quartiers défavorisés. Depuis qu’il a un
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
nouveau distributeur, le magazine
est désormais plus facile à trouver.
Don Diva est souvent accusé de donner une image glamour du mode de
vie gangster. Mais Mme Chiles plaide
non coupable. “La plupart des délinquants dont nous parlons finissent
morts ou en prison, remarque-t-elle.
Dire que nous les glorifions, c’est
prendre nos lecteurs pour des imbéciles. Nous devons attirer l’attention
sur les choses qui se passent.”
Peter Carlson,
Los Angeles Times (extraits), Los Angeles
* En 2004, 24 % des Africains-Américains
entre 22 ans et 30 ans étaient en prison.
Retrouvez cet article en v.o.
page 47 dans Courrier in English
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asie
●
TA Ï WA N
THAÏLANDE
Le président Chen met l’île en émoi
Pourparlers
avec les
insurgés
Les manifestations se multiplient contre le président taïwanais, accusé de corruption.
Une campagne qui pourrait sérieusement affaiblir le mouvement indépendantiste.
MING PAO
n théorie, le mouvement
anti-Chen qui a marqué
Ta ï w a n c e s d e r n i è r e s
semaines n’est pas un mouvement anti-indépendantiste. Mais
certaines variables du jeu politique
taïwanais pourraient tout de même
infléchir le cours du mouvement et
affaiblir de fait le camp indépendantiste. Le mouvement de protestation
dirigé par l’ancien président du Parti
démocrate progressiste (PDP), Shih
Ming-teh, et réclamant le départ du
président taïwanais Chen Shui-bian
[PDP, indépendantiste], a rassemblé,
le 9 septembre, 300 000 manifestants.
Les jours suivants, plusieurs dizaines
de milliers de personnes ont spontanément afflué boulevard Kaidagelan
pour exprimer leur opposition au président de la République, malgré une
pluie torrentielle [le 15 septembre,
une manifestation monstre a couronné la semaine]. On n’avait jamais
vu à Taïwan une telle affluence de
protestataires en l’absence de toute
mobilisation d’un parti politique.
[Le 16, les partisans de Chen ont à
leur tour fait une démonstration de
force à Taipei.] L’affluence s’explique
naturellement par l’aversion générale
suscitée dans l’opinion publique taïwanaise par les pratiques douteuses
et les malversations de Chen Shuibian [il est mis en examen pour abus
de biens publics, et son entourage est
touché par plusieurs scandales]. Ce
mouvement de protestation antiChen n’a pas pris l’allure d’une
confrontation entre partis politiques,
ni entre camp bleu, partisan de la
réunification avec la Chine populaire,
et camp vert, pro-indépendantiste.
Grâce à l’intervention de Shih Mingteh, qui a toujours prôné la tolérance
entre Taïwanais de différentes origines
[locale ou continentale], pour fédérer les manifestants, le mouvement
est resté axé sur la dénonciation des
pratiques corrompues de Chen Shuibian. Des personnalités politiques des
deux bords sont certes présentes aux
postes clés de la direction du mouvement, mais tout signe politique ou
électoral sur le lieu de manifestation
a été banni. Comme tout le monde
partageait le même but – renverser
Chen –, très peu d’observateurs ont
fait l’amalgame avec un mouvement
de protestation contre l’indépendance
de l’île.
La manifestation a néanmoins été
ternie par un couac, qui, de façon
fortuite, a fait se superposer la question du renversement de Chen avec
celle de la lutte contre les idées indépendantistes. L’incident a eu lieu
lorsque Wang Li-ping, une des coordinatrices de la manifestation, a uti-
E
Dessin de Guy
Billout paru dans
The New Yorker,
Etats-Unis.
Révolution
culturelle
Ce mouvement
anti-Chen rappelle
la Révolution
culturelle,
notamment le sort
du président chinois
Liu Shaoqi, mort
après plusieurs
années
de persécution, écrit
le commentateur
Lin Baohua dans le
journal Taipei Times.
Le mouvement
pourrait bien être
manipulé par la
Chine communiste,
dans le but
de se débarrasser
de Chen Shui-bian
et du courant
indépendantiste,
affirme-t-il.
’explosion, le 16 septembre, de
six bombes dans la ville touristique de Hat Yai [située à 30 kilomètres de la frontière avec la Malaisie, dans la province de Songkhla] n’a
fait qu’élargir le fossé qui sépare les extrémistes des honnêtes citoyens des régions du Sud et du reste du pays. [Les
explosions ont causé la mort de quatre
personnes et en ont blessé plus de
70 autres.] La décision de frapper Hat
Yai une deuxième fois a des implications majeures. La première série d’explosions, en avril 2005, avait pris pour
cibles l’aéroport international, un hôtel et un hypermarché. Le récent attentat visait le centre-ville, en particulier les galeries marchandes où se pressent des milliers de touristes venus de
Malaisie, de Singapour, de Bangkok et
d’ailleurs. Les engins explosifs, de petite taille, étaient tous conçus pour faire le maximum de victimes dans un
rayon de 20 mètres. Les auteurs des
attentats ont en outre eu recours à un
vieux stratagème : faire exploser une
première bombe et attendre que les
passants commencent à s’attrouper
pour déclencher la seconde.
Les pertes humaines et économiques du massacre du 16 septembre
sont certes imputables aux activistes,
mais cela ne réduit pas pour autant les
responsabilités du gouvernement. Avec
leurs discours rassurants, le Premier
ministre Thaksin Shinawatra et ses responsables de la sécurité ont perdu
toute crédibilité, car l’intensité, la fréquence et l’atrocité des attentats contre
les civils ne font que progresser.
Le gouvernement a répondu jusqu’ici aux actions des extrémistes en
promettant davantage de soldats, des
alertes plus efficaces et des mesures
plus énergiques contre les suspects.
Mais le commandant en chef de l’armée, le général Sonthi Boonyaratkalin, a déclaré récemment qu’il privilégiait une autre tactique et il mérite
d’être écouté. Selon lui, il convient
d’encourager le dialogue avec les habitants des provinces du Sud, qui ont des
griefs parfaitement légitimes, puisqu’ils
sont notamment victimes d’arrestations illégales et de disparitions. Le
général Sonthi a opté pour un choix
discutable mais réaliste : engager des
pourparlers avec les rebelles, ce qui est
l’unique moyen de faire diminuer la
violence, voire d’y mettre fin. Il est clair
que le gouvernement doit adopter une
nouvelle politique vis-à-vis des provinces du Sud. Il n’est pas question
d’être indulgent avec des poseurs de
bombes et des assassins. Ni de céder
du territoire ou des prérogatives. Mais
il est nécessaire de prendre contact avec
les chefs de la guérilla. Comme l’affirme le général Sonthi, c’est le seul
moyen de bâtir une paix durable dans
le sud du pays.
Bangkok Post, Bangkok
L
Hong Kong
lisé par lapsus l’expression “Etat taïwanais” en haranguant la foule, ce
qui a suscité de vives réactions autour
de la tribune, certains réclamant une
rectification et des excuses immédiates. Résultat, non seulement l’intéressée a reconnu sa méprise et présenté ses excuses, mais, phénomène
inhabituel, la cellule organisatrice a
mis les points sur les i en indiquant
que, pendant la manifestation, il
convenait d’affirmer son identité
nationale sur la base de l’appartenance à la “république de Chine” [nom
de la première république chinoise,
dont le gouvernement a fui à Taïwan
en 1949, lors de la victoire communiste sur le continent].
VERS UNE RADICALISATION
ANTI-INDÉPENDANTISTE
Ainsi, l’accent mis sur la “république
de Chine” a discrètement rejeté aux
oubliettes l’un des choix possibles
pour les Taïwanais : l’indépendance
de Taïwan. On pourrait penser que
c’est l’aboutissement d’une fine stratégie de l’équipe organisatrice de ce
mouvement, mais il serait plus juste
de considérer cela comme le résultat inéluctable de positions spontanément exprimées par les participants. De fait, un journaliste d’une
agence de presse étrangère a récemment utilisé l’expression de “corps
bleu à tête verte” pour désigner la
structure de cette manifestation destinée à renverser Chen Shui-bian. Il
serait aujourd’hui quelque peu exagéré de voir dans ces manifestations
une offensive anti-indépendantiste.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
30
Mais deux facteurs importants peuvent entrer en ligne de compte pour
leur faire prendre cette direction.Tout
d’abord, la volonté de Chen Shui-bian
de rester au pouvoir envers et contre
tout risque de faire basculer dans un
rejet total de ses positions politiques
et idéologiques des citoyens qui ne
souhaitaient initialement que sa chute
personnelle. Ensuite, le PDP et les
partisans de l’indépendance de Taïwan, en se plaçant de plus en plus du
côté de Chen Shui-bian, risquent de
faire assimiler leur indulgence à leurs
positions politiques.
Récemment, plusieurs “vétérans
de l’indépendance de Taïwan” se sont
empressés de tenter de réaliser l’unité
du clan indépendantiste pour contrer
la déferlante anti-Chen. Leurs efforts
n’ont pas encore porté leurs fruits.
Les anti-Chen, dont le noyau dur est
constitué de membres de la classe
moyenne et d’intellectuels, commencent à rejeter le groupe pro-indépendantiste. Cela ira-t-il jusqu’au refus
de l’indépendance de l’île ? La question mérite d’être étudiée.
Le Premier ministre chinois,Wen
Jiabao, a déclaré le 11 septembre, pendant sa visite en Finlande, que le renversement de Chen Shui-bian était
une affaire qui devrait être réglée par
les Taïwanais eux-mêmes. Voilà une
position dont il faudra se souvenir si
jamais le mouvement anti-Chen évolue vers des sentiments anti-indépendance.
Shaw Chong-hai*
* Professeur de sciences politiques à l’Institut
Sun Yat-sen de l’université Chengchi, à Taipei.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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asie
INDE
La jeunesse découvre la “Gandhi attitude”
Il y a un siècle, le grand homme lançait sa lutte non-violente contre l’oppression coloniale. Longtemps considéré
comme un vestige du passé, son héritage est aujourd’hui remis au goût du jour par les jeunes.
OUTLOOK (extraits)
New Delhi
e 11 septembre 1906, un
jeune avocat passionné aux
yeux flamboyants et répondant au nom de Mohandas
Karamchand Gandhi (1869-1948)
réunissait 3 000 Indiens à l’Empire
Theatre de Johannesburg, en Afrique
du Sud, pour les appeler à résister de
façon pacifique à l’oppresseur colonial blanc. Si le gouvernement indien
ne semble pas décidé à célébrer
comme il se doit le centenaire de cet
appel, les organisations de jeunesse
gandhiennes, qui se sont récemment
multipliées dans le pays, ont pris l’initiative. On assiste ainsi à un regain
d’intérêt pour un homme honoré jusqu’à présent uniquement dans les
manuels scolaires et à travers des statues à son image couvertes de fleurs.
La nouvelle génération de gandhiens organise des courses pour la
paix, des pèlerinages à bicyclette pour
l’harmonie entre les communautés
religieuses, ou des rallyes moto pour
la paix entre l’Inde et le Pakistan et
contre l’avortement des fœtus féminins. Elle montre des films sur le
Mahatma avec débat à la clé dans des
établissements d’enseignement professionnel, diffuse des émissions de
radio dans les bidonvilles et y font placarder des journaux muraux. Ces
jeunes gens organisent aussi des ateliers de bandes dessinées et des tables
rondes avec des leaders de toutes les
tendances politiques, partisans du terrorisme inclus, “parce que tout le monde
mérite d’être entendu”.
L
UN HOMME SPIRITUEL,
DÉRANGEANT, CRITIQUE, GÊNANT
Et ce phénomène ne se limite pas à
l’Inde. Le monde s’enthousiasme en
effet à nouveau pour les idéaux gandhiens, à la grande surprise des chercheurs et des enseignants, qui s’étaient
résignés à considérer le grand homme
comme un vestige du passé. “Les
jeunes ont peut-être du mal à s’identifier
aux représentations du Mahatma en
habit traditionnel avec son rouet. Mais,
quand on leur dit qu’il a étudié à Londres,
qu’il était avocat, qu’il gagnait des millions et qu’il a tout envoyé promener pour
lutter pour la justice et l’égalité, ils l’apprécient immédiatement”, confirme
A. Annamalai, le directeur du Cercle
d’études gandhiennes de Madras, une
des 150 organisations indiennes de
jeunes gandhiens. “Nous avons pu recruter des techniciens,des ingénieurs,des informaticiens. Ces volontaires apportent leur
contribution dans plusieurs domaines, par
exemple la création d’entreprises dans les
villages, les produits bio, la sensibilisation
des policiers et des fonctionnaires. Ils font
aussi connaître Gandhi dans les écoles et
les universités – à leur façon”, ajoute ce
quadragénaire vêtu à l’occidentale qui,
contrairement aux gandhiens de la
vieille école, rit beaucoup.
Une enquête réalisée au début du
mois de septembre dans 19 Etats de
l’Union par The Hindu-CNN-IBN
auprès d’Indiens de moins de 30 ans
va dans le même sens. Parmi les personnes interrogées, 76 % considèrent
le père de la nation comme leur principal modèle. Nul n’en est plus surpris que la génération qui a vu le
Mahatma se faire “déifier ou vandaliser”, selon les termes de Gopalkrishna
Gandhi, son petit-fils [haut fonctionnaire, diplomate et actuellement gouverneur du Bihar]. La pire chose qu’on
ait faite, c’est, selon lui, d’avoir transformé cet “homme énergique, spirituel,
dérangeant, critique, gênant, cette pierre
de touche” en “raseur”. Si certains cherchent à faire de Gandhi l’homme du
XXIe siècle, c’est parce qu’ils sont convaincus qu’il peut enthousiasmer une
nouvelle génération. “Nous devons viser
les jeunes”, explique Santosh Kumar
Dwivedi, le secrétaire national du Rashtriya Yuva Sangathan (RYS), l’Organisation nationale de la jeunesse, une
association constituée il y a douze ans.
“Si nous voulons mettre sur pied une
société non-violente, quel autre choix
avons-nous ?”ajoute-t-il. Mais les jeunes
ne sont pas vraiment fous des vieux
gandhiens poussiéreux, ce que Dwivedi est le premier à reconnaître. En
fait, c’est l’ancienne génération qui a
tué l’esprit du Mahatma, affirme Leeladhar Manik Gada, un ancien marchand de bois qui emploie désormais
des jeunes dans des projets sociaux
dans l’Etat du Gujarat, dans le nordouest du pays. Bien entendu, il y a eu
des résistances de la part des anciens,
mais “la toile de coton tissée à la main et
le rouet sont des symboles dépassés, reconnaît Dwivedi. Nous devons à présent
monter sur les épaules de Gandhi et regarder devant nous.”
Cette nouvelle approche porte ses
fruits. Le nouveau mouvement gandhien s’étend maintenant sur 10 des
28 Etats de l’Union. Ses volontaires
travaillent à défendre l’harmonie
entre les communautés religieuses, le
droit des tribus à la terre, et à organiser des séminaires d’été et des ateliers destinés aux étudiants et aux
jeunes actifs comme eux. Dwivedi
concentre d’ailleurs ses efforts sur la
jeunesse urbaine. “Les gens des villages
n’ont jamais oublié Gandhi”, fait remarquer un militant de 36 ans.
Le plus difficile, ce n’est pas vraiment de convaincre les jeunes d’étudier les doctrines gandhiennes, mais
de dissiper les idées fausses qui se
sont répandues pendant près de
soixante ans après l’assassinat du
grand homme. Le séminaire d’été
que le secrétaire général du RYS a
dirigé l’année dernière a attiré plus
Le Mahatma
Gandhi. Dessin
de Cajas, Equateur.
Cinéma
de 550 étudiants, curieux de découvrir le style de vie alternatif prôné par
le Mahatma. “Nous avons dû en refuser beaucoup, parce que nous n’avions
pas assez d’enseignants qualifiés pour
animer les ateliers.”
Mais tous ces efforts en valent la
peine. Selon Dwivedi, le RYS a probablement recruté plus de jeunes en
douze ans que la plupart des organisations gandhiennes depuis l’indépendance, en 1947. Il n’est pas diffi-
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
31
Le succès du film
Lage Raho
Munnabhai – dont
le héros est un petit
voyou converti aux
idéaux gandhiens
pour plaire
à sa dulcinée – est
interprété tantôt
comme le signe
d’un attachement
profond des classes
moyennes
à la non-violence et
à la justice sociale,
tantôt comme
le dévoiement
consumériste
du message
du Mahatma.
Sans doute s’agit-il
des deux à la fois.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
cile de comprendre pourquoi. Beaucoup de gens, désireux d’être utiles
et conscients que la mondialisation
représente le “baiser de la mort” pour
nombre de leurs idéaux, ne résistent
pas à ce que proposent ces groupes,
à savoir un autre mode de vie, la possibilité de servir la société, un apprentissage exigeant, et, plus important,
l’absence d’une idéologie rigide. “Nous
laissons chacun s’approprier Gandhi à sa
façon”, explique Kumar Prashant, un
des fondateurs du RYS.Tout le monde
s’accorde cependant à dire que ces tentatives pour toucher les jeunes sont
encore insuffisantes et trop dispersées.
“C’est une voix encore faible, mais qu’on
commence à entendre distinctement”,
confie Prerna Desai, une jeune militante. Le journaliste suisse Bernard
Imhasly confirme que le chemin est
encore long. Il s’est rendu en Inde en
2005 à la recherche de l’esprit du
Mahatma. Il l’a bien trouvé çà et là,
mais il fait remarquer qu’“on ne le voit
pas parce que l’Inde est obnubilée par sa
réussite économique”.
Sheela Reddy
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asie
LE MOT DE LA SEMAINE
“IN’NETSU”
UNE PASSION
NÉFASTE
JAPON
Le nouveau Premier ministre dans la tourmente
Shinzo Abe, le successeur de Junichiro Koizumi, fait déjà l’objet de nombreuses critiques.
Son principal adversaire, le chef de l’opposition Ichiro Ozawa, est en première ligne.
ASAHI SHIMBUN
Tokyo
e 1er septembre au matin,
j’ai pris le train à grande
vitesse Shinkansen pour
Hiroshima. Pendant le trajet, j’ai lu Ozawaizumu [L’ozawaïsme],
le dernier ouvrage du président du
Parti démocrate [la principale formation de l’opposition], Ichiro Ozawa,
sorti en librairie le jour même.
Comme il s’agit d’un livre relativement court, je l’ai fini avant d’arriver
à destination. L’après-midi, j’ai assisté
à une conférence de presse du secrétaire général du gouvernement sortant, Shinzo Abe [qui devait être élu
le 20 septembre à la présidence du
Parti libéral-démocrate, au pouvoir].
Il y a annoncé officiellement sa candidature pour succéder à Junichiro
Koizumi et a rendu public son programme du gouvernement intitulé
“Le Japon, un pays noble”. A présent,
ces deux hommes vont se livrer à un
face-à-face sur la scène politique.
En découvrant le même jour, bien
que par des moyens différents, leur programme, j’ai pu saisir l’étendue de leurs
différences. L’un des messages de
M. Ozawa est que la politique n’est pas
une affaire de mentalité. Cela ressort
clairement d’un passage où le président du Parti démocrate s’élève contre
la volonté de M. Abe d’imposer l’enseignement du patriotisme dans l’école.
“Avant de parler de la ‘mentalité’, écritil, les politiques doivent se demander
concrètement quels sont les problèmes du
‘système’ en place et quelles réformes il
convient de mettre en œuvre pour y remédier. Sans prendre de mesures dans ce sens,
il est parfaitement absurde de vouloir que
le peuple se montre patriote.” Cette thèse
est étayée par la loi-cadre sur l’éducation proposée par le Parti démocrate.
Le projet recommande notamment de
supprimer les commissions d’éducation attachées aux collectivités locales,
d’attribuer la responsabilité qu’elles
ont actuellement aux chefs des collectivités locales, de créer des conseils de
surveillance sur la politique éducative
L
n dit de lui – Shinzô Abe,
51 ans, le très probable successeur de Jun’ichirô Koizumi au
poste de Premier ministre du gouvernement japonais – qu’il n’a pas
de projets politiques arrêtés. Archifavori dans la course au pouvoir,
il est vrai qu’il n’a pas eu à se
dévoiler outre mesure. C’est que,
pour le moment, il demeure intouchable : populaire, il l’est plus que
quiconque, ayant réussi à trouver
un subtil équilibre entre son image
de dirigeant intransigeant, acquise
dans sa gestion musclée de l’affaire des victimes des rapts organisés par Pyongyang, et l’élégance
naturelle d’un homme bien né. Bien
né, on ne saurait d’ailleurs l’être
davantage : Shinzô Abe, qui entend
gouverner le pays sans avoir jamais
occupé de fonction ministérielle,
incarne jusqu’à la caricature la
figure de l’héritier. Appar tenant
à la troisième génération d’une
puissante dynastie de politiciens,
il se forme en politique auprès des
siens, pour ainsi dire en vase clos.
Son nationalisme sentimental
– comme saisi d’une “passion
néfaste”, selon l’expression de
l’écrivain Yô Hemm –, inconsistant
sur le plan théorique mais potentiellement dangereux, en découle :
son grand-père, qui est aussi son
modèle en politique, n’est autre en
effet que Nobusuke Kishi (18961987), artisan de la construction
de l’Etat du Mandchoukouo, membre du cabinet Tôjô durant la guerre
du Pacifique, arrêté par les Forces
alliées en 1945 pour crimes de
guerre (il ne sera curieusement
pas inculpé), Premier ministre de
1956 à 1960 et pilier de l’aile
dure du Par ti libéral-démocrate,
anticommuniste et partisan de la
réforme de la Constitution pacifiste. On l’a qualifié de “monstre
de l’ère Shôwa (1926-1989)”.
Shinzô Abe n’en a cer tainement
pas l’étoffe – ce qui, paradoxalement, n’est pas pour rassurer.
O
Kazuhiko Yatabe
Calligraphie de Kyoko Mori
De gauche à
droite, Kim Jong-il,
Shinzo Abe et les
parents d’une
japonaise victime du
rapt nord-coréen. La
popularité de M. Abe
a été acquise grâce à
sa gestion soutenue
du dossier
des victimes
de ces kidnappings.
Dessin de No-río
paru dans Aera,
Tokyo.
■
Attentes
Ce que les Japonais
attendent le plus
du prochain Premier
ministre, ce sont
les réformes
des retraites et de
la protection sociale
(48 %), révèle un
sondage réalisé par
l’Asahi Shimbun les
8 et 9 septembre.
Viennent ensuite
par ordre
d’importance
“le redressement
des finances
de l’Etat (17 %)”, “la
correction des
disparités sociales
(10 %)”, “l’essor
économique des
provinces (9 %)” et
“l’amélioration des
relations avec l’Asie
(9 %)”. Seuls
2 % des Japonais
placent la réforme
de la Constitution,
si chère
à Shinzo Abe,
en tête de leurs
préoccupations.
définie par ces derniers et d’accorder
davantage d’autonomie à chaque établissement. En même temps, il préconise, sur le plan financier, de définir clairement “la responsabilité suprême
de l’Etat”. Ces propositions suscitent
sans doute des débats, mais du moins
offrent-elles un plan concret de réorganisation du système, et non des
idées en l’air.
Le fondement du programme de
M. Abe, quant à lui, peut être résumé
par la formule fleurie “rompre avec le
régime d’après guerre”. En d’autres
termes, cela revient à adopter une nouvelle Constitution. Lors de sa conférence de presse, M. Abe est revenu à
plusieurs reprises sur la même idée.
“Réfléchissons ensemble à notre avenir, à
nos idéaux. C’est par notre état d’esprit
que nous ouvrirons la voie à une ère nouvelle”, a-t-il déclaré. Il n’est pas difficile de voir dans ces propos que le successeur de M. Koizumi s’intéresse
davantage à l’idéologie qu’au système
politique. Dans un précédent entretien, il avait déjà insisté sur “la détermination, l’état d’esprit, l’énergie et l’enthousiasme nécessaires pour modifier en
profondeur toutes les lois-cadres du pays”.
Bien sûr, il arrive aussi à M. Abe
d’aborder le sujet des institutions poli-
IDÉOLOGIE
Nationaliste sans complexes
■ “J’appartiens à la génération née après la signature du traité de paix de San Francisco [mettant fin
à l’occupation du Japon par les Etats-Unis, en
1951]. L’époque où l’on était persuadé qu’il ne fallait pas toucher à ce qui avait été décidé pendant
toutes ces années est révolue”, a déclaré Shizo
Abe le 11 septembre, lors d’un débat organisé
entre les trois candidats à la présidence du Parti
libéral-démocrate, rapporte le quotidien Tokyo Shimbun. Le prochain Premier ministre laisse souvent
entendre qu’il pourrait remettre en question les
politiques de ses prédécesseurs. Interrogé sur le
fondement de la déclaration de l’ancien Premier
ministre, Tomiichi Murayama, en 1995, à l’occa-
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
sion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde
Guerre mondiale, exprimant les excuses de la nation
au sujet de la colonisation de pays asiatiques par
le Japon, M. Abe a évité de répondre directement.
Il a simplement affirmé qu’il laissait aux historiens
le soin de juger. Il fait partie d’un groupe de parlementaires extrêmement hostiles à l’encontre des
politiciens et intellectuels qui admettent la responsabilité du Japon dans les exactions commises
pendant la dernière guerre. Beaucoup s’inquiètent
d’ores et déjà de l’avenir des relations avec les
pays voisins, en particulier la Chine et la Corée du
Sud, qui se sont déjà beaucoup dégradées durant
le mandat de Junichiro Koizumi.
32
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
tiques. Ainsi, en ce qui concerne la
réforme de l’enseignement, aussi
importante à ses yeux que celle de la
Constitution, il souhaite “l’introduction
d’un système d’évaluation des écoles et
des enseignants”. La différence entre
les deux hommes est une question
de priorité. Le problème est de
savoir d’où vient cette différence. De
la même manière que les citoyens
ont des exigences vis-à-vis des politiques, ces derniers en ont vis-à-vis
des citoyens. Les différences qui
apparaissent dans le discours de
MM. Ozawa et Abe reflètent leurs exigences vis-à-vis de la nation. M. Ozawa
demande aux citoyens de se rendre
aux urnes. “Ceux qui ne vont pas voter
n’ont pas le droit de critiquer la classe politique”, proclame-t-il. Selon lui, il faut
exploiter à fond le régime de la démocratie représentative, autrement dit
l’idée que “ce sont les citoyens qui façonnent la politique”. Quant au futur Premier ministre, il demande aux citoyens
de dépasser leurs propres intérêts.
“Privilégier des valeurs qui dépassent les
calculs personnels, améliorer la vie au sein
des collectivités locales, servir le pays :
autant de domaines où j’aimerais voir les
citoyens aller plus loin”, affirme-t-il.
Dans son livre Utsukushii kuni-he [Vers
un noble pays], il écrit à propos des
kamikazes de la Seconde Guerre mondiale : “La vie est précieuse. Mais
n’existe-t-il pas des valeurs qu’il faut parfois défendre au prix de sa vie ?”
M. Abe a des exigences lourdes,
élevées, nobles. Mais est-il réellement
possible de faire disparaître les calculs
personnels du monde politique ? Que
ce soit au sujet de la réforme des
retraites ou de celle du système fiscal,
les conflits d’intérêts sont légion. Dans
la vie de tous les jours, les citoyens
sont confrontés à de nombreuses
questions vitales, même si elles ne sont
pas aussi nobles que la rupture avec
le régime d’après guerre ou l’amendement de la Constitution. Nous ne
pouvons pas avoir une noblesse d’esprit aussi exceptionnelle, et nous n’en
avons pas besoin.
Seiki Nemoto
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asie
CORÉE DU SUD
Séoul veut son indépendance militaire
Le gouvernement souhaite avoir le contrôle des opérations militaires, détenu par les Américains.
Cette tentative se heurte à l’opposition des conservateurs.
HANKYOREH 21
Séoul
as question de récupérer le commandement opérationnel en cas
de guerre !” crient à l’unisson
tous ceux qui enragent à la
suite de la décision du gouvernement
[de restaurer sa pleine autorité dans ce
domaine]. Il était sans doute difficile
dès le départ d’espérer un débat
constructif sur le sujet. “Cette récupération entraînerait la dissolution du commandement des forces alliées Corée du
Sud-Etats-Unis, ainsi que le retrait des
troupes américaines”, prétendent de
façon absurde plusieurs anciens
ministres de la Défense sud-coréens.
La présence des troupes américaines [environ 30 000 soldats] au Sud,
qui remonte au lendemain de la guerre
de Corée, était devenue un sujet tabou.
Evoquer l’éventualité de leur départ
vous faisait immédiatement classer
comme antiaméricain et donc comme
partisan de Pyongyang, et à ce titre
idéologiquement suspect. “C’est pour
justifier la présence américaine que l’armée sudiste continue à déclarer que le Sud
est militairement inférieur au Nord,
explique un spécialiste de l’armée. C’est
P
■
Réaction
“Un deuxième round
dans la discussion
sur le transfert ?”
s’interroge le
Kyunghyang Sinmun,
après le sommet
entre Séoul
et Washington
du 15 septembre,
au cours duquel
le président Bush a
mis en garde contre
la politisation
du sujet. Il a affirmé
sa volonté d’agir
en accord avec son
homologue sudcoréen. En réponse,
les conservateurs
sud-coréens ont
suspendu leurs
actions destinées
à empêcher le
gouvernement d’agir
dans ce domaine,
ce qui illustre bien,
pour le quotidien,
leur “hésitation
à s’opposer
au président Bush”.
un argument pour disposer d’un certain
budget et couper court à tout débat sur
la réduction de la structure militaire.”
Dans un souci d’apaisement, le
13 août, le gouvernement et le parti
Uri, au pouvoir, ont proposé quatre
principes au sujet du transfert. Premièrement, le maintien de l’accord
de défense mutuelle entre Séoul et
Washington. Deuxièmement, le maintien des troupes américaines en Corée
du Sud et l’envoi de renforts en cas de
guerre.Troisièmement, le soutien des
Etats-Unis dans le domaine du renseignement militaire. Enfin, le maintien d’une force de dissuasion et d’un
état d’alerte communs.
La Constitution sud-coréenne précise que “le président de la République
assure le commandement de l’armée”.
Actuellement, en cas de conflit, le commandement militaire est confié au chef
du Commandement de la force mixte
(Combined Force Command, CFC).
Cela ne permet pas au chef de l’Etat
d’exercer pleinement son droit, et c’est
en ce sens que le président Roh Moohyun a déclaré, le 15 août, lors de la
commémoration de la fin de la colonisation japonaise, qu’il s’agissait de
“rectifier une situation qui n’est pas
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
33
conforme à l’esprit de la Constitution”.
Plutôt que de mettre en cause la légitimité d’un tel transfert, il serait donc
souhaitable de concentrer le débat sur
le contenu d’un tel processus et sur les
tâches à venir. Les spécialistes s’accordent à dire qu’il faut reprendre le
contrôle de la totalité des attributions
du commandant du CFC et aussi,
pour certains d’entre eux, mettre en
place un dispositif de concertation et
de contrôle concernant les actions des
troupes américaines stationnant dans
le pays.
POUR SÉOUL, PYONGYANG
N’EST PLUS UNE MENACE
Les grandes orientations à propos du
transfert du commandement devraient
être annoncées en octobre, à Washington, lors de la 38e Réunion consultative sur la sécurité entre les deux pays.
Certains craignent déjà que le transfert ne soit pas réel.Tout le débat actuel
rappelle le transfert du commandement militaire en cas de paix, survenu
en 1994. Les politiciens américains qui
souhaitaient le retrait progressif de leurs
troupes de la péninsule étaient favorables au transfert, mais l’état-major
de l’armée américaine sur place s’y
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
était violemment opposé, ce qui fut à
l’origine des six articles de ce qu’on
appelle Autorité déléguée jointe [Combined Delegated Authority, CODA],
qui laissent une partie de l’autorité au
chef du Commandement de la force
mixte. C’est pourquoi la nouvelle opération est accusée de n’être qu’un
leurre.
A la présidence sud-coréenne, les
choses sont claires. “Il va de soi que nous
procéderons à l’annulation des CODA
avant d’aller plus loin. Ce problème sera
réglé au cours du premier semestre 2007,
quand le plan de transfert du commandement sera décidé”, assure-t-on. Comment faire pour ne pas répéter les
erreurs de 1994 ? “Un organe de concertation est provisoirement nécessaire pour
faciliter la transition”, déclare un spécialiste de la défense. Pendant la guerre
froide, tous les efforts de Séoul visaient
à dissuader la Corée du Nord de lancer les hostilités. Sa stratégie s’appuyait
sur la puissance de l’armée américaine
stationnée dans le pays. Cette alliance,
née d’une conscience commune de la
menace nord-coréenne, se trouve
aujourd’hui confrontée à la volonté de
réconciliation des deux Corées.
Chong In-hwan
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m oye n - o r i e n t
●
ISRAËL
Qu’auraient décidé les enfants exterminés à Auschwitz ?
Ehoud Olmert vient de créer une commission d’enquête sur la guerre du Liban. Parmi ses membres
figure l’universitaire Yehezkel Dror, qui juge toute action à l’aune des “enfants consumés”.
HA’ARETZ
Tel-Aviv
J
e ne sais plus quand j’ai pour la
première fois vu Peter Sellers dans
Docteur Folamour, mais je puis certifier que, lorsque j’ai entamé ma
première semaine d’étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem, j’ai eu
la furieuse impression que Stanley
Kubrick s’était inspiré du Pr Yehezkel
Dror. Dans les années 1960, l’administration publique était une matière
académique assez récente et les modèles théoriques que Dror nous infligeait semblaient tout droit sortis de
sa seule imagination. A cette époque,
l’Université abritait de nombreux phénomènes à la Yehezkel Dror, comme
la juriste Ruth Gavison. Ils sont désormais deux des quatre commissaires
chargés d’évaluer la conduite du gouvernement dans la guerre du Liban.
LIMITER LE DROIT DE VOTE DES
DÉPUTÉS ARABES ISRAÉLIENS
Dans un mémorandum qui fut adressé
aux candidats israéliens au poste de
Premier ministre et soutenu par Ruth
Gavison, Dror proposa un jour de
changer le drapeau israélien et d’ajouter un couplet à l’hymne national, cela
dans le but de séduire les Arabes israéliens et, il faut s’en douter, d’atténuer
l’impact d’une autre proposition, cruciale celle-ci : limiter le droit de vote
des députés arabes israéliens aux seules
Dessin de Faber,
Luxembourg.
matières qui ne concernent pas l’avenir d’Israël “comme Etat juif et sioniste”.
Ces deux universitaires ont en
commun d’être inquiets quant à l’avenir d’Israël comme Etat juif et démocratique. Mais le Pr Dror est allé très
loin en proposant de soumettre toutes
les décisions israéliennes à ce qu’il
appelle “le test des yeladim boarim
[enfants consumés]”, c’est-à-dire des
enfants exterminés à Auschwitz. “La
moralité de toute décision juive ou sioniste
doit être mesurée à l’aune du test émotionnel et intellectuel qui passe par une discussion où l’on considère que les enfants
consumés sont toujours en vie et où l’on se
demande sans sentimentalisme inutile
quelle décision serait la meilleure pour eux.”
Dans son livre Hiddoush Ha’Tzionout [Renouveau du sionisme],Yehezkel Dror affirme sans ciller que les
“enfants consumés” soutiendraient
ardemment l’idée selon laquelle le
peuple juif doit survivre. Les dangers
qui guettent Israël ne les feraient pas
reculer, au contraire, “car ils préféreraient certainement mourir comme Samson plutôt qu’être massacrés sans combat”.
Et il poursuit : “C’est un devoir presque
inconditionnel que de renforcer nos capacités opérationnelles et militaires dans la
mesure nécessaire à la survie de l’Etat et
à l’accomplissement de sa mission.”
Pour Dror, le test des “enfants
consumés” confirme que la sacralité
de la vie est une valeur qui crée le
devoir de tuer et d’être tué “pour des
valeurs supérieures à la vie de l’individu,
telles que la survie de notre peuple ou l’existence du judaïsme”. Bref, le test des
“enfants consumés” ne justifie pas seulement une guerre contre le mal, il
impose le devoir absolu de combattre
le Mal absolu, qui menace notre impératif catégorique de survie. C’est une
des raisons pour lesquelles Dror a toujours été un ardent défenseur de l’arme
nucléaire israélienne.
Pour autant, si la sacralité de la
vie est une valeur qui doit nous interdire de considérer la guerre comme
légitime en soi, le Pr Dror précise que
“la guerre est légitime si son but est de protéger la survie de l’Etat juif et du peuple
juif lorsqu’il n’y a pas d’autre choix”.
Gageons que Dror convoquera les
enfants consumés pour résoudre le
cruel dilemme invoqué par le gouvernement voici deux mois : “Une guerre
certaine aujourd’hui avec un faible nombre
de victimes ou une guerre probable demain
avec davantage de victimes.” Avec un critère aussi puissant que celui des enfants
consumés, qui a encore besoin d’une
commission d’enquête ? Tom Segev
INDÉPENDANCE
La commission
■ Pendant plus d’un mois, les pressions
se sont multipliées pour qu’une commission indépendante instruise les
“ratés” de la guerre du Liban. Le Premier ministre Ehoud Olmer t a rejeté
l’idée d’une enquête parlementaire,
nommant lui-même une commission qui
n’aura de comptes à rendre qu’au gouvernement. Présidée par un juge retraité,
Eliahou Winograd, elle est composée de
deux universitaires proches d’Olmert,
les très conservateurs Yehezkel Dror et
Ruth Gavison, et deux généraux à la
retraite, Menahem Einan et Haïm Nadel.
SÉQUELLES
160 000 obus sur le Liban
Au cours de la guerre, l’armée
israélienne a utilisé des bombes
à fragmentation, qui ont laissé
des milliers de mines sur le sol
libanais, écrit Ha’Aretz.
est réserviste dans l’artillerie.
Depuis la deuxième guerre
du Liban, il ne dort pas en paix. Certaines nuits, lui et ses camarades
ont tiré jusqu’à 200 obus en une
nuit. Les autres nuits, ce n’était
“que” 50 ou 80.
Il ne sait pas quels dégâts ces
obus ont causés, ni où ils sont
tombés exactement. Il ne sait
même pas quels villages étaient
réellement visés. “Dites-moi, à quoi
ressemblent ces villages aujourd’hui ? Sont-ils tous détruits ?”,
me demande S. après que je lui ai
dit que j’étais en contact avec plusieurs spécialistes des Nations
unies. Ce qui le fait frémir, c’est
qu’une nuit, son bataillon a reçu
l’ordre de bombarder un village
S.
toute une nuit durant. Il croit qu’il
s’agissait de Taibeh, dans le “secteur est”. Tout le village a été divisé
en secteurs. Chaque unité d’artillerie a reçu l’ordre d’“arroser” le
lopin qui lui avait été attribué, sans
nommer de cibles.
Selon les inspecteurs des Nations
unies, S. a de quoi ne pas être en
paix. Tsahal a ainsi tiré environ
160 000 obus sur le Liban. A titre
de comparaison, lors de la guerre
du Kippour, Tsahal en avait tiré
moins de 100 000. Plus grave :
outre des dizaines de milliers d’obus
normaux, Israël aurait lancé des
centaines de roquettes et d’obus à
fragmentation.
Ces munitions explosent avant de
toucher le sol et libèrent des centaines de petites bombes dans un
rayon de 100 mètres. Si la plupart
d’entre elles explosent en touchant
le sol, certaines ne le font pas et
se transforment en mines. Une
bonne partie des villes et villages
du sud sont ainsi tout simplement
devenus des champs de mines.
Les démineurs de l’ONU ont à ce
jour identifié 450 sites ayant reçu
des bombes à fragmentation et il
ne s’agit ici que des zones bâties,
ce qui signifie que la situation est
plus grave encore dans les espaces
ouverts et dans les champs. Pas
moins de 100 000 de ces petites
mines seraient dispersées sur tout
le territoire libanais.
Pour le juriste international Youval
Shani, de l’Université hébraïque de
Jérusalem, si les conventions internationales interdisent explicitement
l’usage d’armes chimiques ou biologiques, ce n’est pas le cas des
bombes à fragmentation. Mais, précise-t-il, le paragraphe 57 du 1er protocole de la Convention de Genève
(dont Israël est signataire) interdit
l’usage d’armes “indiscriminées”.
“En clair, dit Shani, les bombes à
fragmentation ne peuvent être utilisées dans des zones civiles, sauf
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
34
si ces bombes sont les seules
armes dont dispose l’armée. Ce
qui, dans le cas de Tsahal, est
assez difficile à admettre.”
Un autre problème est le type
d’obus tirés par Israël. Les batteries de 155 mm tirent des obus de
fabrication américaine et d’autres
de fabrication israélienne, ces derniers laissant sur le terrain moins
d’obus non explosés. L’ennui, c’est
que, apparemment, ce sont les lanceurs de fabrication américaine,
les MRLS achetés à la fin des
années 1990, qui ont essentiellement servi.
Le plus troublant est que ce sont
seulement dans les 72 dernières
heures de la guerre qu’ont été
tirées ces roquettes contenant
chacune pas moins de 644 petites
bombes, et ce dans des zones où
allaient revenir des centaines de
milliers de civils.
En définitive, les démineurs de
l’ONU estiment que le taux de
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
bombes israéliennes non explosées et transformées en mines
terrestres est de 40 %. Si chaque
munition à fragmentation a laissé
sur le terrain 250 petites bombes
non explosées, des dizaines de
milliers de mines parsèment le sol
libanais.
Les démineurs de l’ONU proviennent tous du Kosovo, où ils ont
déminé les zones arrosées de
bombes à fragmentation par les
forces de l’OTAN. Selon un officier
onusien, leur tâche y a été facilitée par le fait que “les bombardements de l’OTAN avaient été plus
ciblés et que les militaires leur
avaient fourni des cartes précises
et les coordonnées complètes des
zones bombardées. Les militaires
israéliens ne nous ont quant à eux
fourni que des cartes générales et
vagues. Et je crains qu’il nous faille
nous en contenter.”
Meron Rapoport
Ha’Aretz (extraits), Tel-Aviv
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ARABIE SAOUDITE
Moins dépendre
des recettes pétrolières
Depuis le 11 septembre 2001, le royaume
saoudien a effectué une série de réformes
économiques pour diversifier ses sources
de revenus, constate le quotidien de Beyrouth.
THE DAILY STAR
Beyrouth
’introspection entamée
depuis les événements du
11 septembre 2001, les
inquiétudes soulevées par
le chômage et la baisse attendue des
cours du pétrole, combinées aux défis
que pose l’islamisme, ont rendu l’Arabie Saoudite littéralement obsédée
par la réforme. Et cela à propos de
sujets très divers : changements institutionnels et structurels, privatisation, question du gaz, entrée dans
l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Selon Mohammad Ramady, économiste et éditorialiste de renom en
Arabie Saoudite, professeur associé de
finances et d’économie à l’Université
Roi Fahd pour le pétrole et les minerais, “depuis le 11 septembre, le cours du
pétrole s’est envolé, le niveau de la dette
publique a baissé et de nouveaux partenaires ont été trouvés en Russie et en
Chine pour effectuer des explorations
pétrolières et gazières limitées via des
partenariats avec la compagnie nationale, Saudi Aramco. L’Arabie Saoudite
fractionne désormais les projets en plusieurs activités pouvant être confiées à de
grandes sociétés internationales spécialisées, au lieu, comme avant, de confier un
seul grand projet aux groupes pétroliers.”
Nawaf Obaid, consultant en sécurité nationale et renseignements, et
directeur du Saudi National Security
Assessment Project [Projet d’évaluation de la sécurité nationale saoudienne], assure qu’“il y a eu, depuis le
11 septembre, une importante campagne
en faveur des privatisations, en particulier
dans le domaine des compagnies aériennes,
de l’électricité et des télécommunications”.
L
LE VASTE ROYAUME
S’EST OUVERT AU TOURISME
Le 11 décembre 2005, le royaume
saoudien a fait officiellement son
entrée dans l’OMC. “Les négociations
ont été difficiles pour le pays, raconte
Mohammad Ramady, car, pour adhérer à l’organisation, l’Arabie Saoudite a
dû prendre tout un éventail de mesures :
réduction draconienne des subventions
publiques et des droits de douane à l’importation, adoption d’un traitement sans
discrimination des biens et des services,
notamment pour les marchés publics, renforcement du droit de propriété intellectuelle, autorisation des participations
étrangères majoritaires dans les projets
d’investissement et ouverture aux étrangers des secteurs tertiaires tels que la
banque, l’assurance et les services juridiques et financiers. Il a aussi fallu rationaliser le système judiciaire pour prendre
en compte de nouvelles exigences.”
Dessin d’Aguilar paru dans La Vanguardia,
Barcelone.
La loi sur les investissements étrangers, adoptée par l’Autorité générale
des investissements (SAGIA), autorise désormais les investisseurs
étrangers à acquérir des biens immobiliers, à transférer capitaux et bénéfices, à jouir de la pleine propriété de
leurs projets et à bénéficier de taux
d’imposition réduits. “Cela a été l’une
des mesures les plus significatives, juge
Mohammad Ramady : autoriser la
SAGIA à promouvoir les investissements
directs étrangers dans tous les grands secteurs de l’économie saoudienne.”
La diversification est l’une des
priorités de la réforme économique
en Arabie Saoudite. Le royaume profite de ses revenus pétroliers pour
encourager la croissance et la diversification de l’économie, et pour
réduire sa dépendance à l’égard du
pétrole, ce qui a permis une progression notable du secteur non
pétrolier. Selon le rapport 2006 de
l’ambassade royale d’Arabie Saoudite, le secteur industriel, hors pétrole,
a enregistré en 2004 une croissance
estimée à 6,4 %.
“Le royaume déploie aujourd’hui
des efforts considérables pour se diversifier, observe Nawaf Obaid. On se
tourne vers l’industrie pétrochimique et
minière, vers l’agroalimentaire ; et le
pays s’est ouvert au tourisme. On a
enfin autorisé les banques étrangères à
s’implanter sur le territoire national.”
Dana Halawi
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
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m oye n - o r i e n t
YÉMEN
“Je cède à vos pressions et je reste président”
Au pouvoir depuis vingt-huit ans, Ali Abdallah Saleh a provoqué des manifestations “spontanées”
afin qu’on le supplie de rester à la tête du pays, révèle le quotidien panarabe.
militaire, en 1978. Non seulement il
avait organisé une mise en scène comparable lors des élections précédentes,
en 1999, mais en plus il avait procédé
à une réforme constitutionnelle, en
2003, visant à lui permettre de se faire
élire une quatrième fois. Par ailleurs,
les manifestations de soutien, toutes
“spontanées” qu’elles fussent, avaient
tout de même bénéficié de circonstances favorables : jours de congé dans
les administrations, les universités et
les écoles, appels répétés dans les mosquées [largement contrôlées par le
gouvernement] et distribution d’eau
fraîche le long des cortèges.
AL-QUDS AL-ARABI
Londres
n juin dernier, on croyait que
le président du Yémen, Ali
Abdallah Saleh, allait créer
un précédent historique dans
le monde arabe, quand il avait annoncé
qu’il ne voulait pas se présenter pour
un nouveau mandat de sept ans, contre
l’avis de son parti, le Congrès général du peuple, qui voulait l’investir.
Saleh avait prononcé un discours ferme
et intransigeant. “Je ne suis pas un
chauffeur de taxi que vous pouvez louer
pour le mettre au service de vos intérêts !
Je veille aux intérêts de notre nation, mais
je ne veux pas servir de couverture à la
corruption d’un parti politique !” Jamais
avare de déclarations tonitruantes, il
avait également affirmé qu’après des
années de réformes les conditions politiques étaient réunies pour un fonctionnement démocratique plein et
entier. “Cela est encore plus vrai compte
tenu de mon annonce de ne pas me représenter”, avait-il précisé, ajoutant que
“le Yémen doit être un modèle démocratique pour la région”. Et il avait expliqué que son refus n’était pas feint et
qu’il ne s’agissait pas pour lui de fausse
modestie afin de se faire prier, mais
qu’il voulait mettre le peuple yéménite
devant sa responsabilité historique, une
responsabilité qu’il fallait assumer
autrement que par des manifestations
et des slogans.
E
NE PAS RESTER INSENSIBLE
AUX LARMES DE SON PEUPLE
Cela dit, le dernier mot n’en est pas
moins revenu aux manifestations et
aux slogans, grâce aux mégaphones
qui ont parcouru de long en large la
capitale, Sanaa, pour inciter les habitants à manifester leur soutien au président sortant. Et les masses ont fait
ce qu’on leur a demandé de faire, tant
et si bien que le président s’est laissé
UN PAYS OÙ BEN LADEN
POURRAIT SE RÉFUGIER
Dessin d’Ajubel
paru dans
El Mundo, Madrid.
■
Engagements
Au cours
de sa campagne
électorale,
le président
Ali Abdallah Saleh
s’est engagé à lutter
contre le terrorisme,
claironne
la presse de Sanaa.
Mais cela n’a pas
empêché un double
attentat suicide
de se produire
le 15 septembre
contre deux
installations
pétrolières.
émouvoir. Dans un entretien au quotidien yéménite Al-Thawra [“La Révolution”], il a déclaré qu’il ne pouvait
pas rester insensible aux larmes de son
peuple et qu’il avait entendu l’appel
des millions de citoyens descendus
dans les rues à travers tout le pays,
sentant que l’heure était grave et que
les ennemis de la révolution, de la
République, de l’unité et de la démocratie fourbissaient leurs armes en
attendant la fin de son règne. Oui,
avait-il expliqué, il avait entendu les
demandes pressantes du peuple et
acceptait de se représenter pour un
nouveau mandat. Il va sans dire que,
toujours selon le président, ces manifestations populaires avaient été spontanées et n’avaient nullement été organisées par qui que ce soit.
Seuls les imbéciles avaient pu
croire qu’il renoncerait volontairement au pouvoir qu’il détient depuis
vingt-huit ans, depuis un coup d’Etat
Le moins qu’on puisse dire, c’est que
les conditions avaient été moins favorables en 2005, quand les manifestants avaient protesté contre la
hausse des prix des carburants.
C’étaient alors les blindés de l’armée,
et non les bouteilles d’eau fraîche,
qui attendaient la foule, provoquant
des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi le peuple
yéménite si cher au président-maréchal Saleh, dont le pays compte,
selon un récent rapport de la Fondation Carnegie pour la paix, parmi
les douze les plus pauvres de la planète, en compagnie de Haïti, de l’Afghanistan et du Rwanda.
Il faut dire que le Yémen est
déchiré par les divisions internes, dont
l’exemple le plus spectaculaire a été
la guerre de sécession entre le Nord
et le Sud, en 1994, mais aussi la
révolte de la région de Saada sous la
conduite du chef religieux Badreddine Al-Houthi, en 2004. Le régime
est une autocratie militariste qui
repose sur la corruption et les allégeances tribales. Bien que le journal
Al-Mutammar [“Le Congrès”],
organe officiel du parti au pouvoir,
lance parfois des attaques verbales
contre l’ambassade des Etats-Unis à
Sanaa, l’accusant de se comporter
comme si l’Amérique était une puissance mandataire qui n’admettait pas
la souveraineté du Yémen, le régime
est totalement aligné sur les Américains et leur “guerre contre le terrorisme”. L’influence américaine saute
aux yeux dans la gestion sécuritaire
du pays. L’épisode le plus marquant
en a été la mort de six Yéménites en
2003, parmi lesquels deux hommes
soupçonnés par les Américains de
faire partie de la direction d’Al-Qaida,
abattus par une roquette lancée à partir d’un drone américain volant audessus du territoire.
Les pressions de Washington en
faveur des réformes avaient touché le
Yémen encore plus fortement que
d’autres pays arabes. Saleh avait réagi
en prononçant sa fameuse phrase sur
la nécessité de “se couper les cheveux
soi-même avant de se faire coiffer par les
autres”. Cela avait été interprété
comme un signe de sa volonté de se
plier aux pressions afin d’obtenir le
feu vert pour un nouveau mandat de
la part des Américains. Il faut dire que
ceux-ci considèrent le Yémen comme
un chaînon essentiel de leur stratégie
moyen-orientale et comme un des
pays où Oussama Ben Laden pourrait se réfugier. Non seulement c’est
le pays d’origine de la famille Ben
Laden, mais on y trouve des montagnes où il est facile de se cacher, une
forte influence des tribus sur des
régions entières qui échappent au
pouvoir central et des mouvements
islamistes radicaux. Et, malgré la
coopération sécuritaire avec les Américains, vingt-trois membres présumés
d’Al-Qaida ont pu s’échapper des prisons yéménites en février dernier, ce
qui a donné lieu à des purges au sein
de l’appareil sécuritaire yéménite.
Sobhi Hadidi
Q ATA R
On ne joue pas impunément avec le feu
Accueillir une base militaire américaine
et soutenir en même temps les islamistes
les plus radicaux, c’est le double jeu
dangereux que joue ce petit émirat aux
ambitions démesurées, constate Al-Hayat.
ris dans les contradictions entre sa petite
taille et ses grandes ambitions, le Qatar
a inventé la politique de la double entourloupe. Cela produit des contradictions étonnantes, entre la présence de la chaîne de
télévision Al-Jazira [considérée comme
proche des islamistes et qui émet du Qatar]
et celle d’une très importante base militaire
américaine ; ou entre son soutien aux
chantres de la lutte contre Israël et les rela-
P
tions commerciales qu’il entretient avec ce
même pays. Le 4 septembre, il en a fourni
un nouvel exemple, quand les médias qatariens ont annoncé que Doha avait forcé le
blocus aérien imposé au Liban et fait atterrir un avion de ses lignes à l’aéropor t de
Beyrouth sans l’escale en Jordanie qu’Israël exige pour des fouilles de sécurité. Sauf
que le tapage médiatique que le Qatar a fait
autour de ce vol a étonné en Israël, où des
sources diplomatiques ont rappelé que ce
vol avait été coordonné avec Israël dans le
cadre de l’“action humanitaire”.
Une autre de ces contradictions a trait à
Youssef Al-Qardaoui [le prédicateur fondamentaliste de la chaîne Al-Jazira], une des
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
armes de destruction mentale massive du
Qatar, qui parle constamment de “nation”
sans jamais dire s’il s’agit de la nation arabe
ou musulmane, sachant que la différence
entre les deux n’est que de 800 millions de
personnes, et de “résistance” sans jamais
s’interroger sur ce que cela signifie. L’essentiel, c’est que nous résistions, peu
impor te en quel nom et contre qui – Dieu
reconnaîtra les siens !
Youssef Al-Qardaoui donc a mis en garde
contre l’infiltration de l’Egypte par les
chiites et contre le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, le qualifiant de
“fanatique chiite”. Venant à son aide, le
chef de l’Union mondiale des savants
36
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
musulmans, Mohamed Salim Al-Awa, a
expliqué par la suite que cette phrase sur
Nasrallah ne faisait pas partie du discours
préparé par Qardaoui, mais était un “lapsus” commis lors d’une réponse à une
question du public. Comme disait Freud,
un lapsus révèle la pensée profonde de
celui qui le commet. Toujours selon Al-Awa,
Qardaoui voulait simplement dire, en qualifiant Nasrallah de “fanatique chiite”, que
ce dernier était “très attaché à ses convictions”, ce qui est “tout à fait honorable”…
Le Qatar serait bien avisé de cesser de jouer
avec le feu. Il doit savoir que, une fois l’incendie parti, celui-ci ne s’arrêtera pas à sa
Al-Hayat, Londres
frontière…
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Page 38
afrique
●
ALGÉRIE
Le GSPC est-il encore capable de frapper ?
Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat vient d’annoncer son ralliement à Al-Qaida,
qui lui a demandé de s’attaquer à la France. Mais ces islamistes ont-ils encore les moyens de leurs ambitions ?
rain d’action se limite au Sahara et au
Sahel. Sa présence est reconnue par les
experts sur les sept Etats sahélo-sahariens. Les actions terroristes imputées
au GSPC ou revendiquées par lui à
l’international sont celles de l’attaque
de la caserne de Lemgheity en Mauritanie et les accrochages sporadiques
avec les troupes antiterroristes maliennes, nigériennes ou tchadiennes à
la frontière avec l’Algérie.
LIBERTÉ
Alger
e Groupe salafiste pour la
prédication et le combat
(GSPC) est-il réellement
capable aujourd’hui de
mener des opérations terroristes d’envergure en France ? La question mérite
d’être posée. Car le groupe terroriste
a du mal à imposer ses diktats en Algérie, où les forces de sécurité l’ont quasiment mis à genoux. Et la logique du
tout sécuritaire imposée par les pays
occidentaux depuis les attentats du
11 septembre 2001 à New York, renforcée après ceux du 11 mars 2004 à
Madrid, a par ailleurs largement contribué à démanteler les cellules dormantes et les réseaux de soutien aux
organisations terroristes.
Au-delà de la déclaration d’Ayman
Al-Zawahiri, le numéro deux de la
nébuleuse terroriste, accordant le statut d’affidé d’Al-Qaida au GSPC, et
de ses menaces à l’égard de la France,
il faut rappeler que le rayon d’action
du GSPC s’est limité, pour cause de
lutte antiterroriste nationale, à la région
sahélo-saharienne. En mal de “reconnaissance” interne, peinant à recruter de nouveaux membres en Algérie,
le GSPC se cherche depuis quelques
années un “rayonnement” international. D’où sa déclaration d’affiliation à
Ben Laden après les attentats du
11 septembre 2001.
Au plan national, le groupe terroriste est pourchassé, encerclé et laminé
par le travail colossal des forces de
L
DES CELLULES DORMANTES
EN EUROPE OCCIDENTALE
Dessin de Daniel
Zezelj paru dans
The New York Times
Book Review,
Etats-Unis.
sécurité. Ses opérations qui perdurent
n’ont plus cependant l’envergure des
années passées. Il se retrouve cantonné
dans la périphérie de certaines villes,
principalement celles du Centre ou du
Sud algérien. Les dernières attaques
perpétrées l’ont été dans les régions
de Boumerdès, Bouira, Tipasa et
Ghardaïa. Même si sa capacité de nuisance existe toujours, il n’en demeure
pas moins que le groupe terroriste a
du mal aujourd’hui à agir au plan
interne. Son discours n’est plus porteur face à des populations qui ont
subi ses exactions ou celles du Groupe
islamique armé (GIA), dont il est issu.
On retrouve aujourd’hui parmi ses éléments des individus de nationalités
étrangères.
D’où son besoin d’internationalisation. Au plan international, son ter-
Les menaces du GSPC sur la France
et ses intentions de perpétrer des
actions d’envergure sur son territoire
ne sont d’ailleurs pas nouvelles. Cela
fait des années que le groupe terroriste
profère régulièrement des menaces
sans pour autant avoir réussi, heureusement, une seule fois à les traduire en
actions concrètes. Les principales cellules dormantes affiliées au GSPC
démantelées et éliminées en Europe
ces dernières années ne se trouvaient
pas forcément en France. Elles se
répartissaient principalement sur l’Espagne, l’Italie et la Belgique. Telles
celles démantelées à Alicante, en
Espagne, ou à Varèse, dans la périphérie de Milan.
Le label “Al-Qaida” largement galvaudé est une arme à double tranchant.
D’abord parce que les “apprentis
terroristes”, partisans des approches
extrémistes et violentes d’Oussama Ben
Laden, peuvent à tout moment le
revendiquer pour justifier une action.
Ensuite, parce que l’organisation ter-
roriste elle-même s’approprie une opération qu’elle juge “réussie” ou s’inscrivant dans sa logique, même si
aucune connexion directe n’est identifiée par les enquêteurs entre les exécutants et la nébuleuse.
Une nouvelle forme de terrorisme
a pris pied en Europe et dans les pays
occidentaux, celle des éléments “satellites”. Inconnus des services de sécurité et de renseignements – et ce ne
sont pas forcément les purs et durs du
GSPC –, ils partagent néanmoins la
vision extrémiste des terroristes de tous
bords. Adeptes des “préceptes” des
grands “muftis” du djihad islamiste
version Al-Qaida ou des sites Internet
faisant dans l’apologie des actes terroristes ou des formations paramilitaires, ils sont le plus grand danger
notamment parce qu’ils ne sont pas
identifiés. L’islam des caves et des banlieues, caractérisé par la propagation
du prosélytisme salafiste et wahhabite
dans les ghettos et les cités-dortoirs
françaises, où la conjoncture internationale et le discours d’Oussama Ben
Laden trouvent un écho dans une
fibre identitaire malmenée de jeunes
nés et élevés en Occident et qui ne se
raccrochent qu’à l’idéologie religieuse
extrémiste pour se retrouver, est principalement à l’origine de cette émergence inquiétante. Si la menace sur
la France est montée d’un cran après
la déclaration d’Al-Zawahiri, elle ne
peut néanmoins être imputée au seul
GSPC. D’autres paramètres internes
sont également à prendre en considération.
Samar Smati
R É P U B L I Q U E D É M O C R AT I Q U E D U C O N G O
Arrêtons de parler français, mettons-nous au francophonien !
En Afrique, la pratique du français
classique recule. Il est temps
que les professeurs enseignent
aux enfants le français d’Afrique.
ans les pays francophones d’Afrique centrale comme dans ceux d’Afrique de
l’Ouest, le constat est saisissant : le français comme langue d’apprentissage et discipline à enseigner perd beaucoup de terrain. A l’origine du recul de la langue
française, il y a une multitude de causes.
Entre autres, la dégradation du système
éducatif et l’échec du mariage entre le français et les réalités locales. Car la langue
est copieusement malmenée dans les
écoles et dans la vie courante.
Dans certains Etats, la situation est beaucoup plus alarmante. Seulement 15 à 20 %
des Gabonais savent parler ou écrire le français standard, en respectant les règles
grammaticales, phonétiques, etc., selon certains experts. Le tableau est donc sombre.
D
La dégradation du système éducatif francophone – qui rencontre de sérieuses difficultés depuis plusieurs années – rend
tout d’abord difficiles l’enseignement et
l’apprentissage de la langue française.
Dans de nombreux pays d’Afrique francophone, les professeurs de français sont
souvent très mal formés. Plus grave, ils
sont nombreux à ne pas parler correctement la langue de Molière. Si l’enseignant
lui-même ne sait ni lire ni écrire correctement le français, comment peut-il enseigner cette langue aux élèves ? s’interrogent des linguistes dépités. Il se pose donc
un sérieux problème de formation des formateurs dans ces pays.
Autre cause des déficiences du système
éducatif : les crises économiques et financières qui sévissent dans la plupar t des
pays africains francophones. Cela fait un
peu plus de trente ans que nombre de ces
Etats croulent sous des dettes énormes.
La politique d’austérité que les gouver-
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
nements sont contraints d’appliquer a malheureusement des conséquences néfastes
sur l’école. On ne construit plus de salles
de classe, et dans le même temps la population augmente. Conséquence : des effectifs pléthoriques. En république démocratique du Congo, par exemple, une classe
du primaire ou du secondaire compte 100
à 150 élèves en moyenne. Dans les salles
de classe, de nombreux élèves suivent les
cours debout, faute de bancs ; et bon
nombre d’enseignants dispensent les
cours sans manuels scolaires.
L’on note aussi une certaine démotivation
chez les enseignants. Celle-ci est due principalement à la baisse sévère de leurs
salaires. Partout en Afrique francophone les
enseignants affirment être clochardisés.
Comment voulez-vous que des gens ainsi
maltraités puissent donner le meilleur d’euxmêmes ? En outre, certains linguistes n’hésitent pas à lier le recul de la langue française au fait que son enseignement n’est
38
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
pas en phase avec les réalités des pays
d’Afrique. Le français semble distant de ces
réalités. De plus, les manuels d’apprentissage du français n’intègrent pas les caractéristiques du français d’Afrique. Faut-il continuer à enseigner le français standard en
Afrique francophone alors que, dans le vécu
quotidien, les normes de ce français ne sont
pas respectées par plus de 70 % des locuteurs ? N’importe-t-il pas de concevoir de
nouveaux manuels qui prendraient en
compte, et dans une forme à déterminer,
ce que l’écrivain camerounais Pabé Mongo
appelle le “francophonien” ?
Alphonse Mbuyamba Kankolongo,
Le Potentiel (extraits), Kinshasa
WEB+
Plus d’infos sur le site
Interview d’Ariane Poissonnier, coauteur de l’Atlas
mondial de la francophonie (éd.Autrement).
829p38_39
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14:58
Page 39
afrique
A F R I QU E D U S U D
Les quarante vierges et le chef zoulou
Au nom de la défense des traditions, l’ethnie zouloue réclame le droit à une grande liberté sexuelle.
Mais pour les hommes seulement. Une pratique qui risque de coûter cher dans un pays dévasté par le sida.
Les origines des tests ne sont pas
claires. Certains spécialistes les font
remonter aux années 1950. “Ma mère
et la mère de ma mère en ont subi”,
raconte Jabu Mdlalose, chargée de pratiquer les tests. Selon elle, la coutume
date de l’époque de Shaka, chef guerrier du XIXe siècle connu pour avoir
fondé l’Empire zoulou.
MAIL & GUARDIAN
Johannesburg
ar une froide matinée d’hiver,
peu avant l’aube, quarante
vierges zouloues entièrement
nues et pouffant de rire sautent par-dessus un feu de bois dans
la province sud-africaine du KwazuluNatal. Il n’y a aucun doute sur leur virginité : si elles sont là, c’est pour la certifier. Quant à savoir pourquoi elles
bondissent au-dessus de ce feu dans la
pénombre, la responsable des tests de
virginité, interrogée sur le rituel,
explique que c’est la tradition.
Les Zoulous d’Afrique du Sud se
réclament une nouvelle fois de leur tradition. Si, dans les années 1990, ils l’invoquaient pour revendiquer le droit de
porter des armes et de se livrer à la singulière coutume du sacrifice rituel,
aujourd’hui la polémique porte sur des
questions sexuelles. Mais, de même
que le débat sur les armes était associé
au nom du chef Mangosuthu Buthelezi, la polémique sur le sexe est centrée sur un autre Zoulou : Jacob Zuma.
L’arrivée au pouvoir de M. Zuma,
longtemps donné favori dans la
course à la succession du président
Thabo Mbeki, devait cimenter l’unité
entre deux grandes tribus sud-africaines, les Xhosas et les Zoulous. Au
lieu de cela, une simple relation
sexuelle menace de replonger le pays
dans les vieilles haines tribales.
Accusé d’avoir violé une jeune amie
de la famille qu’il hébergeait, M. Zuma
a été acquitté en mai dernier par la
Haute Cour de Johannesburg. Ce
jugement, qui clôt l’affaire, est considéré par beaucoup comme le début
P
DES RELATIONS AVEC UNE
VIERGE POUR GUÉRIR DU SIDA
Dessin
de Kopelnitsky,
Etats-Unis.
d’une lutte pour le pouvoir entre les
traditionalistes zoulous et les modernistes xhosas.
L’indignation manifestée par les
40 vierges quand on leur demande
quel aurait été leur verdict à propos de
l’affaire Zuma témoigne de la force du
sentiment traditionaliste chez ces
jeunes qui participent à une cérémonie de la plus pure tradition zouloue.
“C’est un homme très bien”, s’écrie l’une
d’elles. “Zuma sortait avec cette femme”,
lance une autre. “On l’a payée.Thabo
Mbeki ne voulait pas qu’il devienne président.” Des youyous de protestation
succèdent aux murmures, puis, une
fois le calme revenu, les conversations
se portent à nouveau sur la question
du jour : la virginité.
Quelles qu’en soient les origines, les
femmes zouloues vivent ces tests
comme un calvaire. Chez les Xhosas,
ce sont les hommes qui subissent la circoncision. Les deux pratiques sont
aussi contestables l’une que l’autre. La
circoncision comporte des risques mortels d’infection. Quant aux tests de virginité, les organisations féministes les
dénoncent comme peu fiables et traumatisants. Dans une société où beaucoup de gens sont convaincus qu’il suffit d’avoir des relations avec une vierge
pour guérir du sida, ils constituent,
selon elles, une véritable invitation au
viol. Elles craignent également que la
nécessité de préserver l’hymen ne favorise la sodomie, contribuant ainsi à la
propagation du sida.
L’an dernier, le Parlement a légiféré
contre les tests de virginité, en les interdisant sur des jeunes filles de moins de
16 ans. La cérémonie qui a eu lieu
début août pour des vierges de 5 à
26 ans était donc illégale. Bien que le
rituel ait lieu normalement à l’occasion de la première menstruation, qui
marque l’“entrée dans le monde
adulte”, Nobuhle, fille de l’organisateur, était déjà âgée de 22 ans, car son
père, Mbeki Vezi, chauffeur de taxi,
MADAGASCAR
Rêve d’or noir à Antananarivo
Avec la hausse des cours du brut, l’exploitation
des gisements offshore suscite de nombreuses
convoitises. Elle permet aussi aux Malgaches
de rêver de lendemains qui chantent.
otivées par le prix du baril de pétrole, les
sociétés pétrolières s’intéressent de près
à Madagascar, où les réser ves d’or noir pourraient s’avérer prometteuses. Plusieurs compagnies ont déjà signé des permis de prospection et d’exploitation avec l’Of fice des
mines nationales et des industries stratégiques
(Ominis). C’est le cas du géant américain
Exxon, qui va explorer 36 000 km2 en haute
mer à 2 000 mètres de profondeur au large
de Mahajanga, à l’ouest du pays. Trois autres
compagnies vont prospecter sur ce même site :
la chinoise Sunpec, l’américaine Vanco Energy
et la nor végienne Norsk Hydro.
Plus au sud, Madagascar Oil, filiale de Vuna
Energy, a choisi Bemolanga et Tsimiroro, deux
sites réputés pétrolifères depuis 1946. Pendant la IIe République (1975-1991), des com-
M
pagnies étrangères les ont déjà prospectés,
mais, à l’époque, l’exploitation, jugée trop coûteuse, n’avait pas été entreprise. Avec la
hausse des coûts du pétrole, les grès bitumeux de Bemolanga (des réser ves de 3 milliards de tonnes de bitume, dont 600 millions
exploitables à ciel ouver t) et l’huile lourde
de Tsimiroro (2,5 milliards de tonnes de
réser ve) sont à présent rentables, en dépit
d’une extraction complexe. Le gouvernement
va lancer des appels d’offres sur les places
for tes de l’or noir. Il est prévu que les sociétés pétrolières versent 65 % des bénéfices
à l’Etat malgache.
Une manne très attendue, car l’actuelle hausse
du prix du pétrole pèse très lourdement sur
l’économie nationale, qui impor te la totalité
de son carburant (20 % du total des importations). Le démarrage de l’exploitation du
pétrole est prévu vers 2010, mais la population est déjà enthousiaste.
Ferdinand Ratsimbazafy,
Syfia international, <www.syfia.com>
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
39
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
n’avait pas eu les moyens jusque-là de
payer la cérémonie.
Autre singularité, Nobuhle était
persuadée que l’esprit de sa sœur,
morte à l’âge de quelques mois, voulait qu’elle subisse le test et avait apparemment demandé à être elle-même
testée. La famille a donc chargé un
frère et un ami de Nobuhle de la représenter, comme s’ils étaient eux aussi
de jeunes vierges.
Dans cette région d’Afrique du
Sud, la campagne est extraordinairement belle, avec ses collines onduleuses
parsemées de huttes et ses vallées où
les voix résonnent.Vezi a traité ses filles
comme des reines en sacrifiant trois
chèvres pour le festin du soir. Accompagné de chants et de danses, celuici s’est déroulé dans une immense
hutte censée abriter les esprits des
ancêtres. Pendant le sacrifice, c’est
Nobuhle qui a tenu les chèvres par les
cornes, tandis que son père consultait
les esprits en prodiguant des conseils
à sa fille sur la manière dont elle devrait
se conduire au cours de sa vie adulte.
Au lever du soleil, les vierges ont
repris le chemin de la hutte de Vezi
pour manger les tripes des chèvres
sacrifiées. Vers midi, elles ont revêtu
des habits traditionnels et se sont rangées devant la hutte ancestrale pour le
test, que leur ont fait passer sept
femmes.Toutes l’ont réussi.
“Je suis fière du résultat, s’est exclamée Nompumelelo Ngobese. Pour moimême et pour personne d’autre.” Mais,
malgré tout l’attrait qu’elles revêtent
aux yeux des Zoulous, les traditions
sur lesquelles repose cette fierté pourraient un jour coûter cher à l’Afrique
du Sud.
David Beresford
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e n c o u ve r t u re
●
Manifestants musulmans à Islamabad (Pakistan).
ISLAM-OCCIDENT
Histoires de violence
La conférence prononcée le 12 septembre par Benoît XVI à
Ratisbonne, en Allemagne, n’a pas fini de produire ses effets
(pour la lire, rendez-vous sur <lemonde.fr>). ■ Le pape y faisait
explicitement référence aux rapports de l’islam et de la violence,
avant de montrer les failles d’une raison occidentale qui serait
livrée à elle-même. ■ Les télévisions arabes et beaucoup de
journaux, jusqu’en Asie, n’ont retenu que le premier point, attisant
la polémique entre les musulmans et l’Occident. ■ En Europe,
certains commentateurs, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung
et dans Il Foglio, apportent leur soutien au souverain pontife…
Une défense de la religion… et des L
On n’a retenu du discours de Benoît XVI
que son attaque contre l’islam. En fait,
ses propos visaient tout autant les Occidentaux,
explique le quotidien de Francfort.
FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG
Francfort
endant six jours, le pape Benoît XVI a
arpenté la Bavière, sa terre d’origine.
Il a prié dans les églises et en plein air,
prêché devant des milliers de personnes
et donné une conférence. Les images
joyeuses de Munich, Altötting et Ratisbonne resteront dans les mémoires. Mais, avec
ses paroles, Benoît XVI a écrit l’Histoire. Car
ce n’est pas le retour au pays qui était le thème
de ce voyage, mais la défense de l’Occident
chrétien – contre les autres et contre lui-même.
En avril 2005, des cardinaux venus du
monde entier élisaient au trône de saint Pierre
Joseph Ratzinger, un Allemand, un homme originaire d’un pays qui a initié la Réforme, les
Lumières et la Seconde Guerre mondiale.
L’histoire allemande a donné au nouveau
pontife un regard pénétrant sur l’abîme de
l’homme et les errements des peuples. Préfet
P
Dessin
de Bertrams paru
dans Het Parool,
Amsterdam.
de la Congrégation pour la doctrine de la foi
pendant de nombreuses années, il s’était montré attaché aux racines chrétiennes de l’Europe,
s’était opposé à l’Eglise allemande sur les rapports qu’elle entretenait avec l’Etat et aux philosophes sur le pouvoir et le droit, et avait développé un profil théologique et politique qui
en faisait le successeur naturel de Jean-Paul II.
Comme son prédécesseur, Benoît XVI ne
s’est pas adressé uniquement aux catholiques.
Ses discours ont évoqué les questions fondamentales de la vie, de la foi et de la raison. Les
textes de l’Ancien et du Nouveau Testament
qu’il a commentés parce qu’ils correspondaient
au temps liturgique traduisent selon lui l’espoir
de chacun que son histoire personnelle, comme
celle du monde, ait un sens et un but. Les philosophes, de Platon à Kant, auxquels il a fait
référence dans sa conférence, sont pour lui la
preuve que les hommes sont des êtres “de raison” et peuvent donc s’entendre en dépit des
frontières de la culture et de la religion. Les critères du bien et du mal et l’idée que la dignité
de l’homme consiste à vivre selon cette “nature
raisonnable” ne sont pas propres au catholicisme,
ni d’ailleurs à la morale personnelle du pontife.
Benoît XVI défend simplement l’héritage européen des Lumières – qui est menacé par la division manichéenne du monde entre croyants et
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40
non-croyants, entre “pour nous” et “contre
nous”. Ce n’est pas le paysage des Alpes bavaroises qui constitue la trame de ses interventions, mais les discours des puissants de ce
monde, d’Ahmadinedjad à Bush.
Pour Benoît XVI, la vocation universelle de
la pensée chrétienne imprégnée des Lumières
n’est pas uniquement menacée de l’extérieur,
mais aussi de l’intérieur. Les propos de Kant,
qui déclarait avoir dû mettre de côté la pensée pour faire une place à la foi, traduisent selon
lui un dilemme. La raison “pure”, qui se définit et trouve sa liberté en excluant Dieu de son
champ de réflexion, a tendance à ne se pencher
que sur ce qu’on peut savoir objectivement. Elle
risque ainsi de devenir un bon “instrument”,
mais qui ne suffit pas pour bien vivre.
Le pape a trouvé ces derniers jours plusieurs
expressions percutantes pour qualifier cette
autolimitation de la raison. Il a parlé de “surdité
vis-à-vis de Dieu” et de “raccourcissement du rayon
de la raison”, et a ainsi précisé, tantôt avec des
mots simples, tantôt avec des mots complexes,
ce qu’il qualifie depuis des années de “dictature
du relativisme”.
Les fondements de la civilisation sont en
jeu si le désir de progrès scientifique et technique et de liberté individuelle touche également la sphère de ces valeurs dont l’homme
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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■ Le perroquet
de Bush
s Lumières
ne doit pas disposer librement, que ce soit au
début ou à la fin de la vie. Ce risque n’est toutefois qu’un des aspects de la dialectique des
Lumières. Comme si ce voyage et l’anniversaire des attentats du 11 septembre n’étaient
pas une coïncidence, Benoît XVI a évoqué une
“pathologie” qui se manifeste depuis longtemps
dans les rapports entre l’Occident moderne et
le reste du monde. Pour le pape, le rejet croissant des valeurs occidentales en Asie et en
Afrique n’est pas dû à un refus de la modernité. Le pape voit dans l’antioccidentalisme qui
se répand sur l’ensemble du globe une réaction à une conception de la raison qui considère la religion et la foi comme irrationnelles
et antérieures à l’esprit scientifique et qui ouvre
ainsi grand la porte au cynisme.
Benoît XVI précise ainsi son diagnostic de
la crise que connaît l’Occident. La faille qui
apparaît entre les valeurs occidentales et la réalité politique n’est pas due à une double morale
qui serait, depuis, retombée sur ses créateurs.
Ce serait trop simple. Pour le pape, il existe dans
ce qu’on appelle le monde chrétien, comme
dans le monde de l’islam, des mouvements qui
ne veulent rien savoir des critères raisonnables
du bien et de la vraie vie, auxquels appartient
également le respect du sacré.
Daniel Deckers
Les déclarations
de Benoît XVI
encouragent
la poursuite des
croisades, estime
le journal en ligne
Malaysiakini.
“Serait-il possible
que la détermination
et les convictions
du pape soient
du même acabit
que celles du
président américain,
dont l’intelligence,
sans parler
de sa sagesse,
laisse dubitatif
depuis qu’il a lancé
sa campagne
d’anéantissement
de l’Irak en vue
de s’approprier son
pétrole ? De quelle
sagesse Benoît XVI
pourrait-il être doté
en agissant comme
il l’a fait, alors que
la polémique sur les
stupides caricatures
danoises est encore
dans les mémoires ?
Les musulmans
en ont assez de voir
le mot ‘terrorisme’
ingénieusement
associé
à l’enseignement
pacifique du
prophète Mahomet.
Qui terrorise qui ?
En ce début
du XXIe siècle,
les musulmans
sont persécutés,
incarcérés
et décimés par les
véritables réseaux
terroristes, ceux du
‘terrorisme d’Etat’
qui rasent leurs
maisons, font sauter
les mosquées,
violent les femmes
et les enfants,
tuent les hommes,
humilient
leurs prisonniers et
laissent leur peuple
anéanti – au nom
de ‘la guerre contre
le terrorisme’. Tout
dignitaire religieux
doit être élu
par une assemblée
d’érudits bons
et sages, capables
de réfléchir
avec leur cœur, et
non avec le carcan
de la paranoïa.
Les excuses
du pape ne sont pas
suffisantes.”
Azly Rahman,
Malaysiakini,
Kuala Lumpur
Balayons d’abord
devant nos mosquées
Les télévisions du Moyen-Orient
jettent de l’huile sur le feu. A tort,
note le journal arabe Elaph.
ELAPH
Londres
e brouhaha transmis via les ondes d’une
des chaînes djihadistes bien connue [AlJazira] m’a tiré de ma torpeur alors que
j’étais devant mon poste de télévision,
comme tant d’autres créatures du TrèsHaut, pour suivre le journal et écouter ce
qui se disait à propos des “déclarations du pape
hostiles à l’islam”, qui sont une bonne occasion
pour ces chaînes aussi sinistres que les cagoules
des terroristes de titiller l’inconscient de leurs
spectateurs et de réveiller les passions de la “crise
des caricatures danoises du Prophète”. La présentatrice, qui ressemblait à une liseuse de cartes
et manquait de pudeur autant sur le fond que
dans la forme alors qu’elle est supposée représenter la voix et le visage de cette chaîne imprégnée de notre “vraie religion”, ne donnait, comme
d’habitude, aucune nouvelle : un prêtre palestinien tentant d’expliquer la difficulté de bien
interpréter les déclarations de Sa Sainteté et un
théologien d’Al-Azhar estimant que ces explications ne suffisent pas à rétablir l’honneur des
musulmans et demandant au pape de s’excuser personnellement.
Ce que l’on demande au pape, personne ne
l’a jamais demandé aux théologiens d’Al-Azhar.
Son Excellence Mohammed Tantaoui, qui dirige
cette instance suprême de l’islam [sunnite], ne
s’est jamais excusé pour rien. Il a toujours gardé
un silence honteux face au terrorisme qui s’en
prend volontiers aux Occidentaux et aux chrétiens – y compris aux coptes en Egypte même,
aux chrétiens d’Irak, du Soudan et d’autres pays
arabes et musulmans. Quant à cette chaîne [AlJazira], elle feint d’oublier qu’il y a des musul-
L
mans qui feraient bien de s’excuser, elle qui a
accrédité l’idée auprès de larges couches de la
population que les chiites étaient des “mécréants”,
selon l’expression de son fameux téléprédicateur
Youssef Al-Qardaoui. Elle diffuse à longueur de
journée des communiqués de groupes terroristes
irakiens et transmet leurs exploits consistant à
trier les Irakiens selon leur appartenance confessionnelle, à semer la terreur, à détruire des lieux
de culte et à procéder à des épurations confessionnelles.
La veille, j’avais regardé une autre chaîne
arabe appelant à la ténacité, à l’abnégation et à
la résistance, après un reportage sur les prêches
qui avaient enflammé nos pays à la suite des
déclarations du pape. La présentatrice, accrochée à son poste comme tous les responsables
arabes et qui ressemble à une actrice pour films
d’horreur, annonçait la bonne nouvelle, à savoir
que le pape pourrait présenter des excuses, immédiatement après les protestations du grand mufti
de Syrie, relayant ainsi la propagande abrutissante du régime baasiste de Damas. Cette même
chaîne s’était déjà distinguée lors de la crise des
caricatures en affirmant que Copenhague avait
présenté des excuses [ce qui est totalement faux]
au régime de Bachar El-Assad par l’intermédiaire
de l’ambassade du Danemark à Damas.
Par leur façon de couvrir l’événement, ces
deux chaînes creusent le fossé entre les religions
musulmane et chrétienne sans se soucier le moins
du monde des répercussions néfastes que cela
aura pour nous, musulmans. Nous apparaissons
aux yeux du monde comme la nation de Dracula et non de Mahomet, comme la nation qui
n’a rien d’autre à faire, à notre époque de progrès scientifique, que de s’inventer de toutes
pièces des ennemis et des prétextes à querelles
avec eux. Aucune blague ne peut égayer notre
humeur détraquée, aucun débat sérieux ne peut
nous détourner de notre colère aveugle. Et ce
alors que notre histoire, notre culture et notre
patrimoine n’ont rien à envier à ceux des autres
en matière de blasphème.
Dilor Miqri
RÉACTION
VU D’ALGÉRIE
Une Sainte Ligue
■ Il est immoral, venant d’un pape, d’instrumentaliser les Ecritures en sortant un verset de
son contexte. Il est dit dans le Coran : “Combattez dans la voie de Dieu, contre ceux qui vous
combattent, mais ne commettez pas l’injustice
d’attaquer les premiers, car Dieu n’aime pas les
injustes” (Coran sourate II, verset 186). Il faut
retourner au contexte : à l’époque du Prophète,
les batailles ont été menées parce que Mahomet
et les croyants ont été rejetés de La Mecque après
avoir subi d’impitoyables persécutions. Les polythéistes tournaient en dérision le message divin.
On constate que, dans la Bible, le combat pour
la cause de Dieu est plus radical. On parle d’extermination. Il est regrettable que la plus haute
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
41
autorité de l’Eglise jette de l’huile sur le feu. Le
terrorisme est un mal qui pourrit la vie de tout
le monde ; mais tant que la terminologie occidentale ne plonge pas dans les raisons du terrorisme, on n’en sortira pas. Cette diabolisation
et cette rhétorique du bien et du mal nous rappellent la stratégie américaine des années Reagan. Pour abattre l’empire du mal – l’Union soviétique –, il y eut une Sainte Ligue avec l’Eglise et
Jean-Paul II, qui réussit à faire imploser le système communiste de l’intérieur. Allons-nous vers
une nouvelle Sainte Ligue entre l’Eglise du “panzercardinal” et George Bush pour abattre l’islam ?
L’avenir nous le dira.
Chems Eddine Chitour, Le Quotidien d’Oran (extraits), Oran
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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e n c o u ve r t u re
Pourquoi Dieu n’est pas Allah
VU DE POLOGNE
Moins fin politique
que Jean-Paul II
■ Certains sont prêts à penser que le pape a commis une gaffe dans son discours. Qu’il est allé
trop loin et que la mention sur le lien entre l’islam et la violence ne serait qu’un “accident de
travail”. Ce serait trop simple. La première chose
qui nous vient à l’esprit, ce sont les protestations
de la communauté juive – il est vrai à une tout
autre échelle – qu’avait provoquées son discours
à Auschwitz. [Benoît XVI avait notamment attribué
la montée du nazisme en Allemagne à un “groupe
de criminels”.] La thèse selon laquelle, dans les
deux cas, il s’agirait de paroles qui lui auraient
échappé est erronée. Sinon, le pape ne sait plus
ce qu’il dit. Or il a dit ce qu’il voulait dire. Selon
sa vision de l’Eglise, il a toujours voulu renforcer et unifier le monde catholique.
Mais ce qui serait resté inaperçu dit par Ratzinger le théologien provoque un tollé dit par Ratzinger le pape. C’est là où le bât blesse. Si Benoît
XVI se montre très à l’aise sur les questions
internes au catholicisme, s’il est dans son élément quand il aborde des questions purement
doctrinales et ecclésiales, il a de gros problèmes
avec la politique extérieure de l’Eglise, sur un terrain où il n’est plus seulement un docteur de la
foi, mais se positionne en tant que diplomate
et guide spirituel de tous les catholiques.
Benoît XVI n’arrive pas à évoluer dans ce domaine
avec la même aisance et la même force de persuasion qui avaient caractérisé Jean-Paul II. Il ne
serait probablement pas capable de gestes d’une
portée universelle comme l’initiative d’organiser
des prières pour la paix réunissant des représentants de différentes religions. Ces rencontres
œcuméniques, inaugurées par le pape polonais à
Assise en 1986, continuent de se tenir vingt ans
plus tard. La dernière en date vient d’avoir lieu.
“La religion ne justifie jamais la violence”, peut-on
lire dans le message rédigé par ses participants.
“Ceux qui, au nom de Dieu, sèment la terreur, la
mort et la violence pour détruire les autres doivent se rappeler que Son nom est paix.” Qui en a
entendu parler ? Personne. Ce ne serait pas le cas
si Benoît XVI y avait fait une apparition ; il s’est
contenté d’envoyer un message. On ne comprend
pas non plus pourquoi, à la suite d’une réforme
de la curie, le pape a supprimé le Conseil papal
pour le dialogue entre les religions. Il s’est débarrassé de son président, Mgr Michael Fitzgerald,
le meilleur spécialiste du monde musulman parmi
ses conseillers, qui occupe aujourd’hui la fonction,
certes importante, de nonce apostolique en Egypte.
Hans Küng, illustre théologien allemand et ami du
pape, répète qu’il ne peut y avoir de paix entre les
peuples sans paix entre les religions. Mais sans
dialogue, il n’y a pas de paix possible. Je suis
convaincu que Benoît XVI partage cette opinion. Il
ne lui reste plus qu’à tenter de peser sur la logique
actuelle qui nous mène vers un affrontement religieux. J’entends déjà ceux qui estimeront que tout
compromis serait une faiblesse face aux islamistes
radicaux. Non, ce serait un signe de sagesse et
la réalisation d’un “rayonnement doux” de l’Eglise
sur l’islam. Une religion qui regroupe tout de même
un milliard de fidèles.
Jaroslaw Makowski*,
Rzeczpospolita (extraits), Varsovie
* Membre de la rédaction de la revue Critique politique.
Giuliano Ferrara, chef de file
des “athées dévots”, proches
du Vatican, défend Benoît XVI.
■
IL FOGLIO (extraits)
Milan
ans son colossal discours de Ratisbonne, Joseph Ratzinger revient, cette
fois en tant que pape, sur le terrain de
combat intellectuel et pastoral qui a
toujours été le sien, l’université et la
chaire de théologie. Et cela pour affirmer sans aucune équivoque : nous sommes juifs,
grecs et chrétiens, et Mahomet et son Dieu sont
une autre chose. Benoît XVI ajoute : pour dialoguer avec cet autre que nous, en ces temps
tumultueux de violence religieuse et d’agression prosélyte contre notre civilisation occidentale, européenne, nous devons nous reconnaître pour ce que nous sommes, des hommes
et des femmes dotés des deux sources du savoir
D
Croisade
Rebondissant
sur les propos
du pape, le guide
suprême iranien,
l’ayatollah Ali
Khamenei, a déclaré
à la télévision
de son pays que,
en Occident,
“les caricatures
[danoises]
insultantes,
les insinuations
de certains
politiciens contre
l’islam, ainsi que
les remarques
du pape sont
le dernier maillon
d’une croisade
américano-sioniste”.
Dessin de Stephff,
Thaïlande.
et de l’amour, la raison et la foi. Dans leur relation, ces sources nous préservent des effets négatifs de la transcendance de Dieu, du monolithisme islamique, qui est tout à fait différent du
monothéisme judéo-chrétien, et nous protègent
du dieu de l’arbitraire. Benoît XVI dit ensuite
que, pour nous reconnaître tels que nous
sommes, nous devons nous débarrasser du
réductionnisme et du relativisme modernes, de
l’idée que la foi, l’amour et la raison ne seraient
pas en étroite relation, de “vraie analogie”, avec
la vérité, avec l’être, avec la métaphysique, avec
l’expérience de foi du divin incarné. “Pour la
doctrine musulmane, note le pape, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune
de nos catégories, pas même à celle du raisonnable.”
Un grand pape n’aurait pu être plus clair
et plus culturellement incorrect : le Dieu islamique est radicalement différent du nôtre.
Seule une lecture simplificatrice peut parler
d’une “attaque contre l’islam”. Le pape de la
raison a un autre objectif, qu’il a explicité dans
la suite de son discours : évangéliser l’Occident, corriger l’apostasie de la foi, la dérive
agnostique et indifférente, mais le faire avec
une grande ouverture rationnelle, à travers une
nouvelle hellénisation du christianisme, qui
redonnerait à la culture et à la praxis chrétiennes, à l’héritage du Christ, la dimension
que leur ont donnée saint Paul, saint Augustin, saint Thomas, en une solide alliance avec
la métaphysique et donc avec une pensée qui
recherche la vérité de l’être, c’est-à-dire de la
condition naturelle, humaine et mystérieuse
ou divine du monde.
Le pape théologien et philosophe conclut
en abordant un point qui était prévisible : “Une
raison qui face au divin est sourde et repousse la
religion dans le domaine des sous-cultures est incapable de prendre part au dialogue entre les cultures.”
C’est le manifeste de l’identité occidentale
comme identité juive, grecque et chrétienne.
Giuliano Ferrara
S T R AT É G I E
La rupture de Benoît XVI
Jean-Paul II misait sur le dialogue
interreligieux pour combattre
la violence. Son successeur a pris
une autre voie.
a débâcle dans laquelle le Saint-Siège
a été précipité après le discours de
Ratisbonne est beaucoup plus qu’un incident de communication. Il a mis sous le
feu des projecteurs la rupture que vient
de marquer Benoît XVI dans la stratégie que Jean-Paul II avait menée avec
succès pendant deux décennies. JeanPaul II ne se cachait pas la dangerosité
du fondamentalisme renaissant, qui, avec
l’avènement de Khomeyni, avait marqué
le début de son pontificat. Mystique dans
l’âme, mais aussi philosophe de l’Histoire, il avait construit sur une analyse
dépassionnée de la réalité une stratégie
de dialogue systématique et de concer-
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
42
tation avec les élites islamiques du
monde entier. Partout où une représentation musulmane significative était présente, Jean-Paul II a prêché la foi commune des fils d’Abraham dans le Dieu
unique, leur prière commune et l’engagement commun des juifs, des chrétiens
et des musulmans en faveur de la paix
et de la justice. Ce n’était pas de la rhétorique. C’était une volonté de bâtir sous
le signe de la fraternité spirituelle une
plate-forme commune à partir de laquelle
répudier la violence religieuse, le terrorisme religieusement motivé et toute
manipulation du nom de Dieu visant à
justifier des projets sanguinaires. Sur
cette base, Jean-Paul II est devenu dans
le monde musulman un leader spirituel
respecté, en tout cas jamais considéré
comme un “ennemi occidental”.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
Tout cela s’est brisé avec le discours de
Ratisbonne. Au lieu de partir du Dieu commun, Ratzinger est tourmenté par les préoccupations qui naissent des messages
de violence contenus dans le Coran ; il
est plein de doutes quant aux capacités
réelles de la religiosité islamique de se
mesurer avec le problème de la laïcité ;
il est assailli par les questionnements sur
une foi qui pendant longtemps a réduit
les possibilités d’une interprétation souple
du texte sacré et qui aujourd’hui, dans
de nombreuses parties du monde, est
astreinte à une dérive fondamentaliste.
Mais le monde n’est pas un amphi et les
changements dans d’autres sociétés religieuses ne se proclament pas ex cathedra comme Benoît XVI, consciemment ou
non, semble porté à le croire.
Marco Politi, La Repubblica (extraits), Rome
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15:46
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ISLAM-OCCIDENT HISTOIRES DE VIOLENCE
●
Dessin de Hassan
Bleibel, Liban.
VU DE PALESTINE
Pardon à nos frères
chrétiens
■
Pour le journal turc
Zaman, proche
des islamistes
modérés,
l’islamophobie
actuelle n’empêche
pas l’islam d’être
attirant partout
dans le monde.
Le quotidien
se demande
par ailleurs
si le pape aurait osé
faire des remarques
sur le judaïsme.
Ne pas faire le jeu
de Ben Laden
Le pape oublie une chose : la
rationalité s’est imposée à l’Eglise
au prix de guerres sanglantes,
rappelle un laïc palestinien.
AMIN
Ramallah
vant de me mettre à écrire, je me suis
demandé si la meilleure chose à faire
n’était pas de se taire pour ne pas alimenter la polémique. Je suis un laïc de
culture musulmane et me sens aussi
loin d’une religion que d’une autre. Je
n’accomplis pas mes obligations religieuses et
ne souhaite pas le faire. J’écris quand même,
simplement parce que l’ignorance m’insupporte
et me tape sur les nerfs. Il ne manquait plus que
le souverain pontife se mette à proférer des discours à la George Bush pour avoir tous les
ingrédients d’un choc des civilisations et faire
triompher Oussama Ben Laden. Lorsque le
pape répète des inepties à propos de l’islam,
il fournit des armes à Ben Laden.Vraiment, j’en
suis atterré. Je suis atterré également du fait que
l’insensibilité ait gagné le Vatican et le pape luimême. Je me demande quel prix les habitants
de nos pays devront payer pour cette imprudence de Sa Sainteté.
Le pape s’est vanté du fait que le christianisme, contrairement à l’islam, était imprégné
de rationalité et de philosophie grecque. Cela
est bien vrai. Ce qu’il a oublié de dire, c’est que
cette rationalité s’est imposée à l’Eglise malgré elle, au prix de guerres sanglantes. Plus que
cela, le christianisme a combattu la pensée
grecque et a failli l’anéantir. Ce sont des chrétiens qui ont brûlé la bibliothèque d’Alexandrie en 390 et qui ont assassiné la grande
mathématicienne grecque Hypatia en 415 avec
la bénédiction des ecclésiastiques chrétiens
d’Egypte. Ces deux événements sanglants ont
marqué la fin de la culture grecque païenne et
rationaliste sur les bords du Nil. Je suis sûr que
Ben Laden serait ravi de l’apprendre. Cela ne
A
■ Chrétiens
d’Orient
prouve-t-il pas que les prêtres chrétiens
d’Alexandrie et les talibans mènent la même
guerre, eux qui ont détruit les statues des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan ?
Le triomphe du christianisme sur la pensée
grecque a signifié le début du Moyen Age et
d’un obscurantisme dont l’humanité allait
mettre plusieurs siècles à se défaire, là encore
au prix de sang et de larmes. Le Vatican a longtemps refusé d’admettre que la Terre était ronde
et tournait autour du Soleil et refuse toujours
l’explication scientifique de l’évolution des
espèces d’après Darwin. C’est l’héritage grec
qui a permis à la bourgeoisie européenne de
venir à bout de ces entêtements du Vatican
contre la rationalité. Oui, le christianisme n’a
pas adopté la rationalité de gaîté de cœur, mais
sous le coup du feu et de l’épée.
L’islam, en revanche, l’islam des califes
Haroun Al-Rachid [calife abbasside de 786 à
809] et de son successeur Abou Jaafar AlMamoun [calife de 813 à 833 à Bagdad, capitale de l’Empire abbasside, alors fortement
imprégné de philosophie grecque et de pensée
rationaliste, connu sous le nom de moutazilite]
avait remis à l’honneur les ouvrages qui avaient
alimenté la pensée scientifique de la mathématicienne Hypatia. Cet islam était d’une
audace intellectuelle qui lui permettait, avec la
contribution des chrétiens d’Orient, de faire
renaître la philosophie et la science grecques.
Or Sa Sainteté le pape croit que l’islam,
c’est Ben Laden. Ce faisant, il oublie que l’islam de ce dernier est de fabrication américaine,
conçu du temps du président Ronald Reagan
[qui a soutenu les talibans afin qu’ils s’opposent aux troupes d’occupation soviétiques en
Afghanistan]. Je ne sais pas vraiment si j’ai bien
fait d’écrire cet article et s’il servira à réduire
l’ignorance que je déteste tant ou à alimenter
la polémique des ignorances. Avant de finir, je
voudrais redire que je ne me sens lié à aucune
religion, vivante ou morte, ni à l’islam, ni au
christianisme, ni au judaïsme, au bouddhisme,
au taoïsme ou à celle des pharaons ou des
Babyloniens.
Zakaria Mohamad
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
Islamophobie
43
“La maladresse
[de Benoît XVI]
décrédibilise
et fragilise les
musulmans modérés
qui répudient
le prosélytisme
violent ; c’est
de ces mêmes
modérés, pourtant,
que l’on attend
une contribution
active
à l’éradication
du terrorisme.
Cette affaire peut
mettre en posture
délicate les
chrétiens de cette
partie du monde,
qui tiennent autant
à leur appartenance
arabe, exercée
dans la dignité,
qu’à leur spécificité
culturelle
et spirituelle.
Le Liban, tout
particulièrement,
a déjà bien assez
de soucis comme
cela avec ses
affaires et ses partis
de Dieu”, écrit
L’Orient-Le Jour.
Les attentats contre les églises chrétiennes
en Palestine à la suite des déclarations du pape
ont été unanimement condamnés.
ertaines attitudes vexatoires, certains actes
contre des lieux de prière ont révélé la fragilité des valeurs que nous avions cru, un peu
vite, acquises dans la société palestinienne. Les
chrétiens palestiniens ne sont pas simplement
les protégés de leurs compatriotes musulmans,
mais sont nos frères, chers à notre cœur, habitants notre terre de père en fils tout au long
d’une histoire qui, à chaque épreuve patriotique,
leur a demandé plus de sacrifices encore qu’aux
musulmans.
Dans l’histoire récente, les Palestiniens se sont
rassemblés autour de leurs dirigeants patriotiques,
qu’ils soient chrétiens ou musulmans, qu’il
s’agisse du prêtre Gregorius Hajjar ou du cheikh
Azzeddine Al-Qassam [militant du nationalisme
palestinien], tous deux morts en martyrs de notre
président Yasser Arafat ou de son compagnon
d’armes Georges Habache [chrétien de Haïfa], de
Ghassan Kanafani ou de Kamal Nasser [poètes
palestiniens chrétiens proches de l’OLP] que nous
avons enterrés dans une seule et même sépulture. Aucun Palestinien et aucune Palestinienne
n’avaient jamais évoqué l’appartenance confessionnelle des uns ou des autres pour se positionner dans nos débats politiques.
A la lumière de tout cela, nous devons présenter
des excuses non seulement aux églises de Palestine qui restent un symbole de notre peuple tout
entier, mais à nous-mêmes pour ce qu’ont fait certains de nos jeunes trop influençables et trop agités. Nous sommes un seul peuple vivant, et nous
partageons une seule maison.
Ahmed Dahbour,
C
Al-Hayat Al-Jadida (extraits), Ramallah
VU DU LIBAN
Le pape et la fille
du pasteur
Une charge non dénuée d’humour du quotidien
francophone de Beyrouth contre le pape
et contre la chancelière Angela Merkel.
e qui est d’autant plus désolant quand un
Allemand dérape, c’est que ces Allemands,
outre l’amitié et le respect que les Libanais leur
portent, se sont érigés, depuis plus d’un demisiècle, en modèles de contrôle de soi, de pondération, de je tourne quarante-sept fois ma langue
dans ma bouche avant de parler ; c’est qu’ils
se sont réconciliés avec Hegel et Kant. Aussi cousins que soient les Polonais et les Allemands,
n’est pas Jean-Paul II qui veut. Parce que, et même
s’il n’a jamais su/voulu/pu ancrer l’Eglise catholique dans le siècle (notamment celui du préservatif, seul à même, pour l’instant, au-delà de cette
bêtise d’abstinence, d’endiguer le sida), JeanPaul II restera, lui, comme l’un des plus remarquables souverains pontifes, ne serait-ce que par
sa phénoménale maîtrise de l’homme politique
qu’un pape doit être, par sa compréhension immanente de l’absolue nécessité d’instaurer sur terre,
plus loin et plus haut que le dialogue et autres
coexistences infécondes, l’urgente convivialité
entre les religions. La benoîteté n’excuse pas C
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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Page 44
e n c o u ve r t u re
tout : Joseph Ratzinger pensait peut-être
faire avancer le débat, c’est la tempête qu’il
a récoltée ; fruit un peu avarié d’une maladresse
inconcevable pour le chef d’Etat-conscience du
monde catholique qu’il se doit d’être. Pour comprendre le IIIe millénaire, pour faire cohabiter le
temporel avec le spirituel, Benoît XVI serait bien
inspiré de faire un voyage au plus tôt dans ce
miraculeux (malgré tout) laboratoire que reste
ce Liban cher à son prédécesseur Karol Wojtyla. Le pape allemand n’a pas été le seul, cette
semaine, à mettre, volontairement ou non, les
pieds dans le plat. Sa compatriote chancelière
a fait montre il y a quelques jours d’une gaucherie peut-être moins grave pour le cours du
monde, un impair et une inexpérience pardonnables, certes, mais sacrément monumentaux ;
une gaucherie wagnérienne. So-sotte jusqu’au
bout de sa manucure, Angela Merkel a jugé bon
de rassurer les Juifs en général et l’Etat hébreu
en particulier : elle a claironné que l’Allemagne
s’en vient (au sein de la Finul renforcée) protéger le droit d’exister d’Israël… Et toc. Cet
excès de zèle, ce poids de la culpabilité que la
quasi-totalité des Allemands semble vouloir porter à vie, ce besoin de toujours rassurer le Juif
lorsqu’on est allemand sont compréhensibles,
peut-être louables, mais à condition de ne pas
oublier que le Liban a éminemment besoin,
avant Israël, de la sollicitude allemande. Qu’il
la mérite davantage. Comme beaucoup de chefs
d’Etat, Angela Merkel serait bien inspirée de
déjeuner avec Jacques Chirac et de l’écouter
expliquer le Liban et le Proche-Orient (oui, c’est
vrai, Royal, Sarkozy et les 458 autres candidats
à l’Elysée devraient faire de même).
Ziyad Makhoul, L’Orient-Le Jour (extraits), Beyrouth
VU D’INDE
Politique
de fermeture
a pique gratuite de Benoît XVI contre l’islam n’a rien d’un lapsus. Par-delà sa rhétorique universitaire, il semble considérer que
notre religion est dangereuse et impie, bien
que beaucoup aient tendance à croire que ce
débat n’est qu’une manœuvre de plus pour
obliger les musulmans à s’engager dans la
controverse. Manuel II (1348-1425) fut l’avantdernier empereur de l’Empire byzantin. Enfant,
il avait été captif des Turcs, et les phrases
citées par le pape datent d’une époque où son
domaine était sous la menace ottomane, et sa
capitale, assiégée.
Les déclarations papales depuis la Bavière
paraissent d’autant plus brutales que Munich
et les villes environnantes abritent des milliers
de travailleurs immigrés, dont beaucoup sont
originaires de Turquie et sont régulièrement
victimes du racisme, comme le souligne Giles
Fraser, qui enseigne la philosophie au Wadham
College d’Oxford. “Ils ne manqueront pas de
noter que Manuel II gouvernait son empire chrétien depuis ce qui est aujourd’hui la ville turque
d’Istanbul. Les références à cette époque, dans
de tels contextes, fleurent clairement le triomphalisme chrétien”, conclut-il.
Quand Benoît XVI était cardinal au Saint-Siège,
il était connu pour exprimer des doutes quant
à la volonté de Jean-Paul II de poursuivre sa
L
politique d’ouverture. A en croire Renzo Guolo,
professeur de sociologie des religions à
Padoue, ses récentes critiques comptent parmi
les plus virulentes, car il ne parle pas de l’islam fondamentaliste, mais de la religion musulmane dans son ensemble.
Cette attaque a provoqué de vives réactions.
Tout en condamnant les réflexions du pape,
les 57 Etats membres de l’Organisation de
la conférence islamique ont exprimé “l’espoir
que ces commentaires pour le moins surprenants ne s’inscrivent pas dans une nouvelle
campagne déclenchée par le Vatican contre
l’islam, sur tout après des décennies de dialogue qui ont rapproché les universitaires du
monde musulman de ceux du Vatican”.
Abdus-Sattar Ghazali*,
The Milli Gazette (extraits), New Delhi
* Rédacteur en chef du webzine American Muslim Perspective (www.amperspective.com).
VU DU PAKISTAN
“L’affaire devrait
en rester là”
Les propos du pape ne sont pas si choquants,
si on les replace dans leur contexte.
D’ailleurs, la violence fait partie de l’islam.
Il n’y a donc pas de quoi s’offusquer.
a question qu’il faut se poser est la suivante : le pape a-t-il vraiment dit quelque
chose de scandaleux justifiant le tollé qui s’est
ensuivi ? Une autre question s’y rapporte étroitement, celle de savoir combien de ceux qui le
traitent d’ignorant et lui reprochent l’incongruité
de ses remarques ont lu son discours ou sont
au fait de son arrière-plan universitaire, théologique et philosophique. Pour commencer,
le pape ne s’en est pas pris principalement
à l’islam, mais à la dialectique entre la raison
et la foi et à la laïcisation de l’Europe. En regard
de l’orientation de son discours, ses réflexions
sur l’islam, le djihad et le concept de violence
sont marginales. En fait, on ne relève qu’une
unique référence à l’islam, une citation de deux
phrases d’un empereur byzantin d’antan. Ce
qui a vraiment outré le monde musulman, ce
sont ses déclarations supposées sur le lien
entre le djihad et la violence. Là encore,
Benoît XVI ne se livrait pas à des considérations personnelles. Il citait les paroles d’un
empereur byzantin du XVe siècle, proférées alors
qu’il était assiégé et qu’il sentait sur sa nuque
l’haleine des armées de l’islam.
Par ailleurs nous ferions preuve de négligence
si nous ne nous attachions pas à un autre point.
Les islamistes ont en effet clairement démontré que le djihad, outre ses autres connotations,
contient un élément de qitaal (violence), et que
les musulmans n’ont pas à en avoir honte. La
même idée ressort d’ailleurs également de traités rédigés par d’éminents penseurs comme
Sayyid Abul A’la Maududi [1903-1979, théologien, fondateur de la Jamaat-e-Islami et inspirateur des Frères musulmans]. La violence ne
saurait être gratuite, mais on ne saurait non
plus s’en abstenir quand il s’agit de défendre
les intérêts des plus faibles. Le recours à la violence est un fait admis, non seulement dans la
théorie politique, mais aussi dans la jurisprudence islamique. Donc, qu’importe si le pape
y fait référence dans un discours plus général
L
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
44
■
●
A la une
“Le pape contre
Mahomet. Bataille
de croyants
sur l’islam, la raison
et la violence”,
titre Der Spiegel.
L’hebdomadaire
donne notamment
la parole
au ministre
de l’Intérieur,
Wolfgang Schäuble,
qui organise
le 27 septembre,
à Berlin, la première
conférence
sur l’islam avec
les représentants
des organisations
musulmanes
en Allemagne.
“Mon idéal serait
que les imams
soient formés
en Allemagne
et qu’ils parlent
notre langue,
comme l’Eglise
catholique romaine
dit la messe
en allemand, et non
plus en latin”,
affirme le ministre
chrétien-démocrate.
■
Vu d’Israël
Dans Yediot
Aharonot, Yoel Bin
Noun, l’un des
pionniers du Goush
Emounim [extrême
droite religieuse
israélienne], écrit :
“Si la Croix
et le Croissant
devaient à nouveau
s’affronter,
cela signifierait
un retour mille ans
en arrière.
Juifs et musulmans
devraient alors
se ressourcer
auprès du modèle
andalou et formuler
une alternative
à la violence
religieuse.”
sur le dialogue entre les cultures. Au lieu d’exploiter ses déclarations à des fins politiques,
les oulémas musulmans auraient plutôt intérêt
à formuler une réponse intellectuelle dans l’esprit de son discours. Il s’est efforcé de montrer
que, dans le christianisme, raison et foi sont
synthétisées. Et si nous lui prouvions qu’elles
le sont encore plus dans l’islam ? Répondant
aux réactions du monde musulman, le pape
a assuré que ses déclarations avaient été mal
interprétées, ou mal comprises, et le Vatican a
fait savoir qu’il était profondément désolé. L’affaire devrait en rester là.
Daily Times (extraits), Lahore
VU DU MONDE ARABE
Le pape n’est pas
un télévangéliste
Le Vatican avait habitué le monde
musulman à plus d’ouverture, fait remarquer
l’un des principaux quotidiens arabes.
l y a une différence énorme entre, d’un côté,
des dessinateurs de presse et, de l’autre, le
chef de l’Eglise catholique. Les premiers dessinent des caricatures parmi des dizaines de
milliers d’autres, le second dirige la principale
organisation chrétienne au monde. De même,
il y a une différence entre le pape et les dirigeants des autres Eglises, grecque orthodoxe,
jacobite, protestantes de diverses obédiences.
Aussi ne faut-il pas confondre Benoît XVI et certains télévangélistes américains qui n’hésitent
pas à inciter à la haine contre l’islam chaque
fois que l’occasion s’en présente.
Si la colère suscitée par ses déclarations est
aussi grande, c’est probablement parce que
les musulmans s’étaient habitués à trouver au
Vatican une oreille ouverte au dialogue et une
main prête à soutenir leurs causes. Jean-Paul II
s’était en effet clairement rangé à leurs côtés
dans leur affrontement avec Israël et l’administration américaine. Oui, le pape a voulu critiquer la propension guerrière dans l’islam d’aujourd’hui. Or, dans l’espace musulman aussi,
de nombreux théologiens se montrent critiques
envers la violence qui se réclame du Coran.
Selon eux, les extrémistes ont pris en otage le
mot djihad pour le détourner de son sens défensif et pour en faire un appel au meurtre. Le pape
aurait dû savoir que ce djihad dévoyé tue plus
de musulmans que de chrétiens, en Irak, en
Egypte, en Arabie Saoudite, en Algérie, au
Yémen, au Pakistan et ailleurs.
On a dit qu’Oussama Ben Laden donnerait tout
ce qu’il reste de sa fortune si le pape pouvait
lâcher une autre bombe verbale du même acabit, pour que tous les musulmans aux quatre
coins du monde se rallient à Al-Qaida et apportent leur soutien à ceux qui souhaitent davantage de guerres de religion et de conflits confessionnels et ethniques. Aussi, les déclarations du
pape sonnent comme s’il voulait donner raison
aux cassettes vidéo sur lesquelles les terroristes
se vantent de leurs crimes. Les dernières déclarations d’Ayman Al-Zawahiri [bras droit de Ben
Laden] sont donc compatibles avec celles du
pape : le premier promeut sa vision extrémiste
de l’islam, le second confirme que cela correspond à la nature profonde de cette religion.
I
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
Abderrahman Al-Rashed, Asharq Al-Awsat, Londres
45-48 courrier english
19/09/06
14:38
Page 45
Pendant cinq semaines, Courrier international se met
à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents.
Un voyage en v.o. dans les presses anglophones.
in
For five weeks, practise your English with us!
Discover articles by English-speaking journalists
from all five continents – in their own words.
English
We have become rich countries of poor people
Joseph Stiglitz*
Dessin paru dans
FINANCIAL TIMES
London
here were once hopes
that globalisation would
benefit all, both in advanced industrial countries
and the developing world.Today, the
downside/1 of globalisation is increasingly apparent. Not only do good
things go more easily across borders,
so do bad – including terrorism. We
see an unfair global trade regime that
impedes development and an unstable global financial system in
which poor countries repeatedly find
themselves with unmanageable debt
burdens. Money should flow from
the rich to the poor countries, but
increasingly, it goes in the opposite
direction.
What is remarkable about globalisation is the disparity between
the promise and the reality. Globalisation seems to have unified so much
of the world against it, perhaps
because there appear to be so many
losers and so few winners. The Panglossian/2 view of globalisation, that
it would automatically benefit all, has
impeded the ability to address/3 its
failures. Young French workers ask
how globalisation is going to make
them better off/4 – if, as they are
told, they must accept the resulting
lower wages and weakened job protection. Growing inequality in the
advanced industrial countries was
a long predicted but seldom advertised consequence: full economic
integration implies the equalisation
of unskilled wages throughout the
The Economist,
Londres.
T
1/ Downside “Effet négatif, contrecoup”.
2/ Panglossian Référence au docteur Pangloss, précepteur de Candide, qui incarne dans
le conte de Voltaire l’optimisme béat et une
totale confiance dans l’harmonie du monde.
L’une des rares références littéraires françaises
qui connaissent une plus grande postérité en
anglais que dans leur langue d’origine.
3/ To address Verbe omniprésent dans le discours politico-journalistique anglo-saxon et qui
tend à se propager en français, signifiant “s’attacher à résoudre (un problème), s’attaquer à,
s’atteler à (une difficulté)”. Voir aussi la chronique p. 46.
4/ Better off Symétrique de worse off, qui
apparaît plus loin dans le texte. Evoque l’amélioration de la situation financière d’une personne. L’un des trois éléments du triptyque
well off (à l’aise financièrement), better off
et worse off.
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 62
■ Remerciements
world. Although this has not (yet)
happened, the downward pressure
on those at the bottom is evident.
Unfettered globalisation actually has
the potential to make many people
in advanced industrial countries
worse off, even if economic growth
increases.
While economic theory predicted there would be losers from globalisation, it also said that the winners could compensate the losers.
Well-managed globalisation can
make everyone, or at least most, better off. This has not happened. Instead, conservatives have argued that
globalisation requires countries to
become more competitive by cutting
taxes and rolling back/5 the welfare
state. In the US, tax policies have
become less progressive; the bulk of
recent tax cuts went to the winners,
those who had already benefited
both from globalisation and changes
in technology. Increasingly, we are
becoming rich countries with poor
people.
The Scandinavian countries have
shown there is another way. Investment in education and research and
a strong safety net/6 can lead to a
more productive and competitive
economy.
At the core of many of globalisation’s failures is a simple fact : economic globalisation has outpaced the
globalisation of politics and mindsets/7. We have become more inter-
5/ Rolling back L’image est celle du tapis
qu’on enroule. Margaret Thatcher ne cessait de
proclamer sa volonté de “réduire le périmètre
de l’action de l’Etat” (rolling back the frontiers
of the state).
6/ Safety net Au sens propre, “filet de sécurité”.
7/ Mindsets “Etats d’esprit, mentalités”.
dependent; greater interdependence
increases the need for co-ordinated
action. But we still lack the institutional frameworks to do this effectively and democratically.
Perhaps not surprisingly, more
attention is often placed on the
concerns of developed countries and
their special interests than those in
the developing world. It is good
news that we are finally doing something about the crushing/8 debt burdens of the poorest countries but we
have done little to ensure the debt
problem does not arise again, and
nothing to create a systematic
mechanism for debt restructuring.
The fact that so many countries end
up with unmanageable debt burdens
suggests that the problem is systemic. Global markets are highly volatile and too often the poor bear the
brunt/9 of exchange rate and interest rate changes. Yet nothing has
been done about these underlying
problems.
There are already numerous
solutions on the table: some that
could be adopted overnight, some
that would take years but would at
least make globalisation work better.
If developing countries could borrow
in their own currencies (or in baskets
of correlated currencies), fewer countries would find themselves with massive debt burdens. Other reforms in
debt management strategies could
help further stabilise the global financial system. Consider, as another
example of globalisation’s failure, the
diseases that plague so many of the
8/ Crushing Le poids de la dette est “écrasant”.
9/ To bear the brunt “Supporter le plus gros
(d’une offensive), l’essentiel (d’une charge)” ;
par extension, “être en première ligne”.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
45
poor countries. The global intellectual property regime denies access
to affordable life-saving drugs, even
as the Aids epidemic ravishes so
much of the developing world. Advocates of the current system say this
is the price for providing incentives
for research. But for those concerned about health in developing countries, the intellectual property regime
has not worked.There is an alternative: a medical prize fund, financed
by industrialised countries, could
reward those who discover cures for
diseases of the poor, provide incentives for research and award bigger
prizes for key drugs. The medicines
could then be provided to the poor
at cost. Such a system would be both
far more efficient and equitable than
the current system.
Globalisation can be changed;
indeed/10 it is clear it will be changed. The question is: will change be
forced on us as the result of a crisis, or will we take control of the globalisation process? The former risks
a backlash/11 against globalisation
or a haphazard/12 reshaping in a way
that only sets the stage for more problems. The latter holds out the possibility of remaking globalisation so
that it can live up to its potential to
improve living standards throughout
the world.
Pour réaliser
ce supplément,
nous avons bénéficié
de la précieuse
collaboration
de Jean-Claude
Sergeant, professeur
de civilisation
britannique
à l’université Paris III.
Spécialiste
de la politique
et des médias
britanniques, il
a notamment publié
L’Angleterre à travers
sa presse (Presses
Pocket, 1991) et Les
Médias britanniques
(Ophrys-Ploton,
2004). Directeur de
la Maison française
d’Oxford de 2000
à 2003, Jean-Claude
Sergeant dirige
à Paris III le master
Langues, civilisations
étrangères
et médias, qui
a succédé en 2005
au DESS de
journalisme bilingue
français-anglais.
* The writer was awarded the Nobel Prize in
economics in 2001. His latest book, Making
Globalization Work (W.W. Norton/Penguin),
is published this month.
FINANCIAL TIMES
10/ Indeed Souvent traduit mécaniquement
par “en effet”, expression qui n’est pas toujours
appropriée. On lui préférera le plus souvent “de
fait, manifestement”.
11/ Backlash “Réaction en retour”.
12/ Haphazard “Au hasard, de façon aléatoire”.
432 500 ex.,
Royaume-Uni,
quotidien. Le journal
de référence,
couleur saumon,
de la City
et du reste du monde.
Une couverture
exhaustive
de la politique
internationale,
de l’économie
et du management.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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English
Dark days/1 for Guinness
Owner could face calls to sell as Irish sales plummet
Owen Bowcott and Simon Bowers
THE GUARDIAN (excerpts)
London
Dessin d’Angel
Córdoba paru
dans ABC, Madrid.
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 20
THE GUARDIAN
375 200 ex.,
Royaume-Uni,
quotidien. La qualité,
l’indépendance et
l’engagement à gauche
caractérisent ce titre de
très haute tenue qui
abrite certains
des chroniqueurs les
plus respectés du pays,
tels que Jonathan
Freedland
et Polly Toynbee.
he drinks company behind
Guinness revealed last
month that the tally/2 of
pints of “the black stuff ”
drunk in Ireland has fallen by more
than a quarter over the past eight years.
The persistent decline, believed
to have steepened this year, is expected to resurrect calls for Diageo to put
its beer business up for sale.
Ireland is the shop window where
Diageo promotes Guinness to visitors from around the world. Diageo’s
Storehouse visitor centre in the Guinness brewery, on the banks of the Liffey/3 in Dublin, is said to be Ireland’s
most popular tourist attraction.Tales
about the role of the river waters in
creating the Guinness flavour have
passed into folklore and hordes of
tourists seeking the essence of Irish
culture pursue a traditional pilgrimage to the place.
Few opportunities are missed to
trade on the stout’s/4 glorious past.
On the wall outside the Guinness Sto-
T
1/ Dark days Allusion transparente à la couleur de la Guinness, d’un noir profond.
2/ Tally Le terme désignait à l’origine une
entaille dans un morceau de bois marquant une
reconnaissance de dette ; par extension,
“nombre, quantité”.
3/ The Liffey Le fleuve qui coule à Dublin, associé à l’écrivain James Joyce.
rehouse, there are reproductions of
classic posters reminding visitors how
it was once marketed as nutritious,
wholesome/5 and pleasurable.
Inside the Storehouse visitors find
a bewildering array/6 of Guinness
merchandise. There are Guinnessemblazoned T-shirts, jackets, footballs,
rugby balls, golf balls, clocks, socks,
oven gloves, pants (in pink and white),
playing cards, cufflinks and fridge
magnets.There are Guinness slippers
(in black and cream fake fur) and Toucan/7-shaped salt and pepper sets.
The piped music is invariably an Irish
jig. “Ten million glasses of Guinness are
enjoyed every day worldwide,” the walls
proclaim.
But in the bars of Dublin there is
rather less euphoria. “It’s not selling
as well as it used to years ago,” says the
barman at the Auld Dubliner in
Temple Bar, a street buzzing with
tourists and young Dubliners. “People
say it’s an old man’s drink. Sales of
4/ Stout Bière brune produite à partir d’orge
germée (malt) ; il existe une variante plus légère
connue sous le nom de porter dont les “porteurs”, ou plus exactement les portefaix, étaient
grands amateurs.
5/ Wholesome Caractère de ce qui est sain
et a un effet bénéfique sur la santé.
6/ Array Dérivé du vieux français arroi, “alignement” ; désigne par extension un ensemble,
un assortiment d’objets.
7/ Toucan C’est l’emblème de la Guinness
depuis 1935.
Murphy’s [a rival stout from Cork] are
up. I remember 10 years ago, 70% of our
draught/8 sales were Guinness. Now it’s
about 50%.”
One veteran lunchtime customer,
Jimmy Foley, says he has been drinking Guinness since he was 14. “It
used to stick to the counter years ago,” he
says. “It’s thinned down a bit.You get
a good pint here, but in some pubs it’s
muck/9. It’s so variable. I keep asking
publicans/10 why that is.”
Across the street at the Quays
Bar, the owner, John McSweeney,
says Guinness is still his best seller,
but adds: “The population has changed so much. Pubs in the suburbs have
been badly affected by the smoking ban.
There may be more people coming to
live here but there are fewer going out
drinking.”
“A lot of people like cider. It’s become
very popular. Customers are also beco-
8/ Draught Il s’agit de la bière à la pression.
9/ Muck Au sens premier, “fumier” ; plus familièrement, désigne tout qui est de mauvaise qualité. “C’est de la m…” pourrait faire ici l’affaire.
10/ Publican Propriétaire ou gérant d’un pub.
ming more demanding about wine. People
ask for chardonnay or sauvignon blanc.”
Declining bar and overall alcohol
sales are blamed on a series of
changes : the smoking ban in pubs,
stricter drink-driving laws, greater
consumption of wine, condemnation
of binge drinking/11 and people taking
home cut-price lager/12 from supermarkets and off-licences/13.The effect
on Guinness has been particularly
severe because 90% is sold in Ireland
as draught.
Back outside the Guinness Storehouse, a young Dubliner tries to
tempt departing tourists into a horsedrawn trap/14. Does he drink Guinness? “No, I drink Budweiser,” he says.
“Guinness may do you a power of
good/15, but it’s old-fashioned.”
11/ Binge drinking Beuverie collective à
laquelle s’adonnent les jeunes en fin de
semaine.
12/ Lager Bière blonde venue d’Europe continentale, type Stella Artois, très prisée par les
jeunes Britanniques, au point que a lager lout
désigne un vandale agissant sous l’emprise
de ce type de bière.
13/ Off-licence Magasin autorisé (licensed)
à vendre pendant certaines heures du vin, de la
bière et des spiritueux.
14/ Trap “Carriole” ; en milieu urbain, “cabriolet”.
15/ Guinness may do you a power of good
Référence au célèbre slogan “Guinness is good
for you”.
CHRONIQUE
Ces expressions qui flottent dans l’air du temps
Les journalistes empruntent souvent
les formules du moment aux politiques.
A moins que ce ne soit l’inverse.
’anglais de la presse est à la fois prévisible parce que formaté dans sa
structure, et souvent novateur sur le plan
lexical. La plasticité de la langue lui permet de tirer par ti des potentialités quasi
illimitées qu’of fre la construction d’adjectifs composés ou d’éléments à valeur
adjectivale. On peut lire dans The Independent (du 26 septembre 2005) cet extraordinaire portrait du journalisme : “I knew
I did not want to be a foot-in-the-door-sorryto-hear-your-child-has died type of journalist.” (Je savais que je ne voulais pas devenir l’un des ces journalistes qui essaient
d’inter viewer les parents d’un enfant qui
vient de mourir en coinçant la por te avec
son pied). Cette phrase, au style original,
pourrait tout aussi bien se rencontrer au
détour d’une page de Tom Wolfe ou de l’auteur écossais de romans policiers Ian Rankin, mais on peut également y voir une tentative pour inscrire l’écriture de presse
dans la modernité. Il en va de même du
L
recours par la presse aux termes qui flottent dans le discours ambiant.
n recensera ici quelques formules qui
ont marqué le discours de presse et
le discours politique de ces dernière
années, les journalistes empruntant souvent aux responsables politiques les formules du moment, à moins que ce ne soit
l’inverse. Cer tains termes, normalement
promis à un déclin précoce, font preuve
d’une belle longévité. Ainsi, massive apparaît à trois reprises en moins de dix lignes
dans l’ar ticle consacré par le Daily Telegraph du 7 septembre 2006 à l’arrivée d’un
nouveau PDG à la tête de Ford : massive
strides, massive cost-cutting plan, massive
over-capacity.
Les préparatifs de la guerre en Irak ont fait
surgir l’expression smoking gun. Héritée
d’un pays où les westerns faisaient “parler
la poudre”, elle signifie “indice”, la sagesse
populaire attestant qu’il n’y a pas de fumée
sans feu. On recherchait à l’époque les
moindres éléments permettant de prouver que l’Irak disposait de capacités de fabrication d’armes de destruction massive
O
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
(mass destruction weapons ou MDW). Dans
le même temps, en Grande-Bretagne, le
renouvellement de la charte de la BBC suscitait un large débat sur la moindre qualité
des programmes de l’audiovisuel public,
qui s’est polarisé autour de l’expression
dumbing down, qui évoque la popularisation, sinon l’abêtissement.
e consumérisme – bel emprunt à l’anglais – s’est également invité dans le
discours de presse : il est aujourd’hui souvent question, notamment à propos de
la longévité politique de Tony Blair, de sellby dates, ces dates de péremption des
produits de consommation. On a entendu
lors de l’émission Any Question (du 8 septembre 2006, sur BBC Radio 4) : “Blair is
reluctant to leave office after his sell-by
date” (Blair n’a guère envie de se retirer
alors qu’il est périmé). Mais l’expression
n’est pas confinée à la politique. Evoquant,
le 4 septembre 2006, le peu d’intérêt rencontré par une manifestation hippique – le
St Leger Stakes –, le journaliste du Guardian intitulait son repor tage : “St Leger
classic case of a product well past its sell-
L
46
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
by date.” Dit en français, une rencontre
“ringarde”.
Smoking guns et sell-by date ne vont vraissemblablement pas s’enraciner dans le
lexique, car ils appartiennent trop à l’air du
temps. On ne peut pas en dire autant du
verbe to address (a problem), qui est en
passe de se substituer à to tackle. C’est
aujourd’hui le terme favori des politiques
pour rendre compte de leurs efforts. Ainsi,
dans la bouche d’un commentateur de
la BBC (le 12 septembre 2006, sur BBC
Radio 4), le problème de trésorerie auquel
doit faire face le Par ti travailliste a été
présenté comme “a problem that needs
addressing”, c’est-à-dire un problème réclamant une solution urgente.
La technologie est aussi mise à contribution. Ainsi meltdown désigne, à proprement parler, la fonte du cœur d’un réacteur et se retrouve fréquemment en titre :
“Afghanistan in meltdown” (dans The Economist du 9 septembre 2006). Le terme
a été largement utilisé ces dernières
semaines pour évoquer la per te de crédibilité, sinon l’implosion, de l’équipe de
Jean-Claude Sergeant
Tony Blair.
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English
A magazine for gangsters? At least they’re reading
Inmates/1 used to be the bulk of Don Diva’s fans, but the slick/2 quarterly is now breaking out.
Peter Carlson
LOS ANGELES TIMES (excerpts)
Los Angeles
on Diva is a magazine that
comes with a warning
label – “Parental Advisory:
Gangsta/3 Content.”The
warning is partly a come-on/4
– nothing attracts kids like a parental-advisory warning – but it’s also
accurate. Don Diva is a magazine
about gangsters that is published for
gangsters – and for wannabe/5 gangsters, imprisoned gangsters and folks
who just want to experience the excitement of gangster life without getting
shot or going to prison, which is, alas,
D
1/ Inmates Détenus.
2/ Slick Equivalent américain de glossy, l’adjectif évoque les magazines sur papier glacé faisant une large place aux photos.
3/ Gangsta Renvoie à la culture des gangsters
des années de la Prohibition, que les bandes
urbaines se sont réappropriée.
4/ Come-on Substantif créé à partir de la locution verbale come on, destinée à encourager
quelqu’un à faire quelque chose.
5/ Wannabe Déformation de want to be. Le
terme dénote la volonté ou l’ambition de deve-
the fate of most of the gangsters Don
Diva profiles/6.
Founded in 1999, Don Diva is a
slick quarterly that bills itself/7 as
“The Original Street Bible.” Each
issue has two covers, one in front, one
in back.The “street cover” features a
scene of gangster life: a staged/8 shot
of kids cooking up crack cocaine, for
example, or an authentic photo of a
dead Chicago dope dealer laid out in
a coffin built to resemble his Cadillac
El Dorado.The “entertainment cover”
features a rapper and is used mainly
by newsstands/9 too squeamish/10 to
display the street cover.
Inside, Don Diva has three main
editorial features: stories about gangsters, stories about gangsta rappers,
and photos of scantily clad women/11,
most of them shot from behind.
nir l’égal(e) d’une personnalité admirée.
6/ Profiles To profile : retracer le parcours,
raconter la vie.
7/ That bills itself Qui se décrit, qui se présente.
8/ Staged Allusion à la scène du théâtre où
la réalité est représentée. Dans le contexte présent, la photo (shot) a été mise en scène.
In its fifth anniversary issue, Don
Diva bragged/12 that it is “a magazine
that got its origin inside a prison by a
prisoner.” That prisoner was Kevin
Chiles, who was serving a 10-year sentence for dealing cocaine when he
suggested to his wife,Tiffany, that she
publish a magazine about what she
calls “the black underworld.”
Tiffany Chiles, who has a marketing degree from Fairleigh Dickinson
University in New Jersey, says she started the magazine with money earned
as a rap music promoter and named
it Don Diva to show that it was for
both sexes – dons/13 and divas.
Now Chiles, 35, runs the magazine out of offices in Harlem, N.Y.,
9/ Newsstands Points de vente de presse.
10/ Squeamish Fait référence à l’excessive
sensibilité d’une personne facilement choquée.
11/ Scantily clad women Femmes en tenue
légère ; euphémisme classique et un peu désuet
pour désigner les photos très déshabillées.
12/ Bragged To brag signifie “se vanter, se
targuer de (faire quelque chose)”.
13/ Dons A l’origine, un seigneur espagnol.
Aujourd’hui, le mot désigne le titulaire d’une
chaire, dans le contexte universitaire britannique, mais aussi un chef de la mafia.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
47
and her husband, who was released
from prison in 2003, occasionally
writes for the magazine, generally on
an anti-snitching/14 theme.
Six years ago, nearly 90% of subscribers were inmates in prisons
across the country, Chiles says, but
now only 10% of the roughly 150,000
copies are read by the captive
audience. Until recently, Don Diva
has been sold mainly in inner-city
record stores, beauty parlors and
bodegas/15. But Don Diva has a new
distributor and therefore should be
more widely available.
The mag is frequently accused of
glamorizing the gangsta lifestyle,
Chiles says, but she pleads not guilty
to that charge. “Most of the criminals
we write about end up dead or in prison,”
she says. “To say that’s glorifying is to
say my readers are stupid.We have to shed
light on things that are happening.”
14/ Anti-snitching To snitch signifie “moucharder”.
15/ Bodegas
Bodega signifie “cave” en
espagnol. Aux Etats-Unis, le mot désigne les
épiceries de quartier, souvent tenues par des
Hispaniques.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
LOS ANGELES TIMES
851 500 ex.,
Etats-Unis, quotidien.
Cinq cents grammes
de papier par numéro,
2 kilos le dimanche,
une vingtaine de prix
Pulitzer : c'est le géant
de la côte Ouest. Créé
en 1881, il est le plus à
gauche des quotidiens
à fort tirage du pays.
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de l’article
page 28
45-48 courrier english
in
19/09/06
14:40
Page 48
English
San Francisco
T R AV E L
San Francisco’s Mission District:
Eclectic, Eccentric, Electric
Gregory Dicum
■
If you go
Where to Eat and Drink
Limón, 524 Valencia
Street at 16th,
(415) 252-0918.
Nouveau Peruvian
hot spot known for
astounding ceviche.
Medjool, 2522
Mission Street at
21st, (415) 5509055. This tasteful
entertainment
complex is a
decidedly new thing
for the Mission.
What to See
Galeria de la Raza,
2857 24th Street
at Bryant. Providing
a place for cuttingedge art with
Chicano and Latino
themes, this is
the touchstone for
the multifaceted
Mission arts scene.
Precita Eyes
Muralists, 2981
24th Street
at Harrison.
A 28-year-old
organization that
maintains some of
the Mission’s murals
and is its curator.
Retrouvez
la traduction
de l’article
sur le site
courrierinternational.com
THE NEW YORK TIMES (excerpts)
New York
rom the rooftop patio of
Medjool, a restaurant in
the Mission district of San
Francisco, the entire neighborhood is laid out like a flamboyant
mosaic. Ranks of painted ladies – San
Francisco’s ornate wooden Victorians – rise to Twin Peaks in the west,
the hills that block the city’s infamous
fog and make the Mission one of the
city’s warmest and sunniest neighborhoods. This terrace is the perfect
spot for watching the cottony wave of
evening fog roll into downtown, for the
sky in the Mission remains crystalline.
At the intersection below, an animated scene of daily life unfolds:
sidewalk vendors sell yucca flowers
and avocados, blue-haired anarchist
daddies push strollers/1, young men
loiter/2 at the corner, Central American housewives and vegan/3 lesbian
tattoo artists shop for fresh handmade
tortillas.
“I try to get anybody coming to San
Francisco to come to the Mission,” said
Dave Eggers, the best-selling author
who set up the first of his community
writing schools here, at 826 Valencia.
“Not to misuse the word ‘authentic’
– I think that’s such a troubling word –
but the Mission really does have all the best
parts of San Francisco intersecting here.”
With six of these writing schools
around the country, 826 Valencia
remains the flagship/4, forming the
core of the Mission’s literary scene.
“I don’t think there’s a neighborhood
where more writers live,” Mr. Eggers
said. “There is no neighborhood in the
world – and I’ve looked – with more independent bookstores in such a small area.”
The district grew up around the
oldest building in San Francisco: the
Mission Dolores, built in 1776 as part
of the network of West Coast Spanish
missions. In the 20th century, the Mission was a solidly working-class immigrant neighborhood until the early
1970’s, when construction of the Bay
F
1/ Strollers Equivalent américain de push
THE NEW YORK TIMES
1 160 000 ex.
(1 700 000 le
dimanche), Etats-Unis,
quotidien. Avec
1 000 journalistes,
29 bureaux à l’étranger
et plus de 80 prix
Pulitzer, le New York
Times est de loin le
premier quotidien du
pays, dans lequel on
peut lire “all the news
that’s fit to print”
(toute l’information
digne d’être publiée).
chair, “poussette”.
2/ Loiter To loiter signifie “traîner sans but
précis”.
3/ Vegan Terme désignant les végétariens de
stricte obédience, autrement dit les végétaliens.
4/ Flagship Au sens premier, “navire amiral” ;
au sens figuré, élément le plus important d’un
ensemble, “joyau”.
5/ Coming into its own again L’endroit
retrouve son attrait, se régénère.
6/ Is unfolding To unfold signifie “(se)
déplier”, “(se) dérouler”.
7/ Throbbing Norteño Le terme Norteño (“du
nord”, en espagnol) désigne un genre musical
mexicain originaire du nord du pays et très prisé
par la communauté mexicaine-américaine. Le
terme throbbing évoque les battements du cœur
et, dans ce contexte, la rythmique assourdis-
Dauwe/Planet Repor ters-REA
San Francisco,
2002. L’ambiance
du quartier Mission
vue par un muraliste.
Area Rapid Transit system tore up
Mission Street for three years, killing
the vibrant Latino neighborhood
and turning the area into an urban
wasteland.
Only now is it coming into its own
again/5. A dynamic culture combining
the best of many influences is unfolding/6: the jingling bells of Mexican
ice cream vendors’ carts blend with
the sounds of anarchic marching
bands; strange electronic music flies
out of open windows to mingle with
throbbing Norteño/7 in the sunshine.
“The history of the Mission has a lot
to do with waves of radicals who came
here to escape failed revolutions elsewhere,” says Chris Carlsson, a historian
whose San Francisco work can be seen
at shapingsf.org.
Along with the rest of the Bay
Area, the Mission was thrown on its
ear/8 five years ago when oceans of
dot-com money threatened to turn the
place into a heedless/9 boomtown. But
a long tradition of tenant activism helped the area retain its character even
as property values headed for escape
velocity/10.
sante de la musique. On appelle aussi Norteños
les Mexicains installés dans le nord de la Californie, dont certains jeunes sont organisés en
bandes qui s’affrontent à celles des Mexicains
du sud de la Californie, les Sureños.
8/ Was thrown on its ear Expression qui
évoque la perte de repères, la désorganisation.
9/ Heedless Au sens propre, “insouciant, irréfléchi”. A prendre ici davantage au sens de
“anarchique, improvisé”.
10/ Headed for escape velocity Les prix de
l’immobilier se sont “envolés”.
11/ Paeans Etymologiquement, hymnes à la
gloire d’Apollon (péans, en français). Au sens
figuré, expression de glorification d’une personne ou d’un événement.
12/ Rub shoulders To rub shoulders signifie
littéralement se frotter les épaules contre celles
d’une autre personne ; par extension, “côtoyer”.
13/ Tipsy “Eméché”.
14/ Bridge-and-tunnel crowd La foule de
banlieusards qui emprunte les transports en
commun pour venir s’amuser le week-end dans
le centre de San Francisco.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
48
This continuing tension is told on
the neighborhood’s walls, in a mural
tradition that goes back to Diego Rivera’s San Francisco work. “This is the
most flourishing mural scene in the country,” said Andrew Schoultz, an artist
identified with the Mission School
– the colorful, graphic-inflected and
street art-inspired sensation of the last
decade. Mr. Schoultz has five murals
here, including one each on Balmy
Alley and Clarion Alley, the form’s
twin epicenters.
His flying birdhouses, evocative of
the housing anxiety that underlies
every Mission resident’s daily life,
share the walls with paeans/11 to
Latino pride, bicycle activism, idealized farm workers and revolutionary
movements.
Galeria de la Raza, on 24th Street,
has nurtured this artistic vitality for
35 years. Arising from the Chicano
civil rights movement, Galeria de la
Raza is a grandparent to the small
galleries that come and go here with
only slightly less turnover than the
street art.
On weekends, gallery openings
blend into a nighttime party scene,
especially along Mission and Valencia
Streets. Mariachi bands rub shoul-
ders/12 with a tipsy/13 bridge-andtunnel crowd/14 on the teeming sidewalks/15, eclipsing the neighborhood’s
more subtle qualities – events like the
annual Day of the Dead procession in
early November.
This evening parade of haunting,
skull-faced locals riffs on/16 Mexican
village traditions, but as befits the
Mission, participants – who are as
likely to hail from/17 Michigan as
Michoacán – incorporate social commentary, surging percussion and a
spirituality that obscures cultural
boundaries beneath layers/18 of face
paint.
The same kind of eclectic appropriation is embodied in the Mission’s
signature dish/19, the burrito.This field
worker’s lunch of beans, rice and meat
rolled in a flour tortilla first became
part of the urban smorgasbord/20 in
the 1960’s, when El Faro on Folsom
Street put the first super burrito on its
menu. Fierce loyalty to a favorite
taqueria/21 is a point of pride and a
subtle indicator of where one falls in
the neighborhood’s protean/22 social
landscape.
The unsectarian burrito orthodoxy
underlies a culinary aesthetic that
prizes inventiveness and tradition in
equal measure. Thus, the Mission is
host to inspired restaurants like Delfina on 18th Street, Osha on Valencia Street and Limón, on Valencia
Street.
If food is, so far, the most
upscale/23 element in the Mission (a
corollary of the fact that virtually every
two-bedroom apartment here now
costs substantially more than half a
million dollars), other cultural elements are catching up/24. Growing
out of the concentration of junk stores
that once lined Valencia Street, a new
wave of design and fashion is doing
for the eclectic “Mission Thrift” look
what the Mission School did for the
area’s graphic arts: bringing it to a
wider audience, but also codifying an
informal aesthetic.
15/ Teeming sidewalks Les trottoirs grouillent
de monde.
16/ Riffs on Le verbe to riff est, dans cette
acception, une variante de to riffle, qui évoque
la propagation des ondes dans l’eau.
17/ To hail from “Venir de, être originaire de”.
18/ Layers “Couches, strates”.
19/ Signature dish La spécialité de l’endroit.
20/ Smorgasbord Terme d’origine suédoise
désignant un buffet où chacun choisit ce que
bon lui semble. Le terme indique ici la diversité
de l’offre gastronomique du quartier.
21/ Taqueria Boutique proposant des tacos,
galettes de maïs garnies au choix.
22/ Protean Protéiforme.
23/ Upscale Littéralement, “situé en haut
de l’échelle” ; ici, “haut de gamme”.
24/ Catching up To catch up (with) signifie
“rattraper”, comme dans l’expression to catch
up with lost time, “rattraper le temps perdu”.
Au sens voisin visé ici, “se mettre au diapason”.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
in English
Discover
Los Angeles raw
and untranslated
in the
Sept. 28th issue
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p o r t ra i t
André Béteille
Indien, sociologue et insoumis
TEHELKA
New Delhi
Un jour, le quotidien The
Hindu a publié un article
d’André Béteille qui commençait
par une anecdote éloquente. Les Anglais
n’étaient pas des gens “particulièrement civilisés”,
avait-il expliqué à un professeur de Cambridge au
cours d’une conversation à bâtons rompus. “Une personne civilisée, c’est tout simplement quelqu’un qui se sent
à l’aise dans deux langues. Connaître une langue nous
rend humains, se sentir à l’aise dans deux nous rend civilisés”, avait-il ajouté lorsque l’homme lui avait demandé
ce qu’il entendait par là.
Pour Béteille, les langues sont des passeports permettant de découvrir des traditions intellectuelles différentes et d’accéder à de nouveaux modes de sensibilité. Cette remarque s’applique parfaitement à
lui-même. Non seulement ce grand sociologue maîtrise plusieurs langues, mais ses travaux les plus
connus portent sur les structures sociales qui ne sont
pas uniquement locales.
“La sociologie est comparative ou n’est pas de la sociologie.” L’historien Ramchandra Guha lui attribue cette
devise dans l’introduction de Ideology and Social Science
[Idéologie et science sociale], le plus récent ouvrage
d’André Béteille. Ce dernier a en effet souvent reproché à ses collègues indiens de répugner à comparer
l’immense masse de leurs données de terrain à des
phénomènes similaires dans d’autres sociétés et de ne
pas analyser leurs découvertes à partir de concepts
sociologiques universels. Lui-même a toujours refusé
cet esprit de clocher.
Profondément influencé par Mysore Narasimhachar Srinivas [1916-1999], le professeur fondateur
du département de sociologie de la School of Economy de Delhi, Béteille a choisi un village du Tamil
Nadu, dans le sud de l’Inde, pour préparer son doctorat. Cette expérience lui rappela son enfance passée dans une petite ville du Bengale, ce qui lui permit
de noter les différences frappantes qui existaient entre
celle-ci et la vie dans ce village méridional. Caste, Class
and Power [Caste, classe et pouvoir], sa thèse de doctorat qui a fait école, étudie les castes non en tant que
catégories uniquement indiennes, voire exotiques,
mais en tant que variantes du phénomène plus large
de la stratification et de l’inégalité sociale. “Béteille fait
de la sociologie indienne un élément de la sociologie en général et pas uniquement un sujet réservé aux spécialistes”,
explique l’universitaire Dipankar Gupta, qui a édité
et présenté Anti-Utopia : Essential Writings of André
Béteille [Anti-Utopie : les écrits essentiels d’André
Béteille]. “Il a été l’un des premiers à étudier l’influence
de la politique sur le système des castes en refusant de tout
centrer sur le seul niveau local ; il a aussi été l’un des premiers à constater que ce système est en plein changement
et qu’il continuerait à évoluer”, poursuit-il.
Béteille est consterné par les nouveaux quotas
annoncés par le gouvernement [pour les basses castes
dans le secteur de l’éducation]. “J’ai toujours été scep-
tique vis-à-vis de la discrimination positive. Pas opposé,
mais sceptique”, dit-il. D’après lui, le sujet ne peut pas
se limiter à un jeu à somme nulle entre les intérêts
des hautes castes et ceux des basses castes. Le débat
comprend un troisième élément : l’institution elle-même
et son caractère. Bien qu’il reste convaincu que le gouvernement a “l’obligation de concevoir des politiques qui
forceront les étudiants et les professeurs à être socialement
plus ouverts”, le sociologue estime que ce serait une
erreur que de définir cette question en termes de droits.
“Nous persistons à créer des droits qu’on ne peut pas faire
respecter et qui sont probablement impossibles à faire respecter. J’appelle cela la solution à la
Marie-Antoinette.Ils n’ont pas d’écoles ■ Biographie
où aller, alors donnons-leur des droits. C’est en 1934,
On donne à un enfant une éducation à Chandernagor,
calamiteuse et on pense ensuite pouvoir qu’André Béteille
compenser avec des quotas dans l’un voit le jour d’un père
des prestigieux Instituts indiens de tech- français et
d’une mère bengalie.
nologie”, affirme-t-il.
Jeune homme,
On peut dire que Béteille a beau- il part à Calcutta
coup appris sur la hiérarchie sociale étudier la physique
grâce aux réactions que suscita le avant de se tourner
mariage de ses parents. Sa mère était vers l’anthropologie,
une brahmane bengalie et son père puis vers
un Français. Qu’ils soient hindous la sociologie.
ou européens, la vie n’était pas fa- Pionnier de sa
cile pour ceux qui faisaient des ma- discipline en Inde,
riages mixtes. Né en 1934, Béteille il fonde le premier
a passé son enfance avec sa grand- département de
sociologie du pays
mère maternelle à Chandernagor. à l’université
Sa famille n’était pas aisée et, bien de Delhi en 1959.
qu’elle fût liée, disait-on, à Suren- Aujourd’hui retraité,
dranath Banerjea [leader indépen- il vient
dantiste qui présida le Parti du de démissionner
congrès en 1895 et en 1902], d’une prestigieuse
Béteille ne doit sa carrière qu’à lui- commission
même. Arrivé à Calcutta à l’âge de scientifique
11 ans, il a fait ensuite ses études nationale où il avait
été nommé un an
supérieures à St. Xavier. Il a complus tôt, en raison
mencé par la physique avant de d’un désaccord
choisir l’anthropologie à mi-par- sur la politique
cours. Il parle de ses années d’études de discrimination
avec chaleur. Ses amis marxistes lui positive.
donnèrent ses moments les plus stimulants, même si la révolution le laissa complètement
indifférent. A cette époque, il a également impressionné
Nirmal Kumar Bose [1901-1972], l’éminent anthropologue et interprète de Gandhi. En 1959, Béteille fut
nommé professeur au département de sociologie qui
venait de se créer à la School of Economy de Delhi.
Il y enseigna pendant quarante ans. Demandez-lui de
parler de ses années là-bas : son visage s’illumine. Il a
adoré l’atmosphère de progressisme, de laïcité et de
bouillonnement intellectuel de l’université. Le jeune
département ne comptait que trois professeurs, et
Béteille se souvient avec amusement que les sociologues
étaient les parents pauvres de ce campus où les économistes avaient la vedette. Parmi eux, il se souvient
avec beaucoup de respect d’Amartya Sen [Prix Nobel
d’économie 1998] et de Manmohan Singh [l’actuel
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50
Premier ministre]. “[Ce dernier] était très patient et ne se
montrait jamais intolérant envers les étudiants qui n’étaient
pas doués”, assure André Béteille. Jeune homme, il adorait enseigner. Ses anciens élèves et collègues se souviennent qu’il n’était ni tyrannique, ni froid, ni condescendant. Abhijit Dasgupta, confrère et ami de longue
date, confie que le sociologue est une source inépuisable de petites histoires méconnues et passionnantes.
Quand on discute avec lui, on a droit à un flot de généalogies et de vies entières riches en rebondissements. Sa
rigueur fait encore l’admiration de tous aujourd’hui. Il
était dans son bureau de 8 heures à 12 h 30, reprenait à 14 heures et ne s’arrêtait que tard dans la soirée.
Il refusait les séminaires et les conférences si leurs
horaires empiétaient sur ses cours. Surinder Jodhka,
qui enseigne la sociologie à l’université Jawaharlal Nehru
de Delhi, raconte qu’André Béteille aurait même fait
cours le jour de son mariage. Ceux qui veulent savoir
pourquoi il n’a jamais accepté les propositions, parfois
fabuleuses, de certaines universités étrangères, ont droit
à une réponse toute simple : “Parce que je suis bien ici.”
Pas de rhétorique, pas de discours patriotique. La polémique sur ce sujet n’a jamais été son style.
Fervent défenseur de la qualité des établissements d’enseignement, Béteille s’est pourtant fait toute une série
d’ennemis, notamment parce qu’il était totalement
opposé aux syndicats. Selon lui, en organisant les professeurs sur le même modèle que les travailleurs, on les
empêche de prendre pleinement part à la vie de leur
université. Il ne souhaitait pas non plus que la sociologie soit enseignée en premier cycle, car ce n’est pas
un sujet “léger” et il faut avoir une certaine maturité
pour pouvoir l’aborder. Ses positions sur les castes ont
aussi provoqué des controverses dans les années 1960
et 1970, une époque où la majorité des gens appelaient
de leurs vœux la fin rapide de ce système. Pour le sociologue, les castes étaient non seulement impossibles à
éliminer, mais leur disparition n’était pas totalement
souhaitable. Il soutenait qu’il fallait plutôt favoriser
l’égalité des chances – créer des conditions qui permettent à chacun de mener sa vie comme il l’entend –
et non faire croire à chacun qu’il pouvait avoir la même
chose que son voisin.
Quoi qu’il en soit, André Béteille a toujours été prêt
à réconcilier des gens ayant des opinions divergentes.
Dipankar Gupta raconte qu’un collègue avait été arrêté
pendant l’état d’urgence (1975-1977). Détenu quelque
temps au Fort rouge de Delhi, il fut traduit devant le
tribunal les yeux bandés. Quand on lui a enlevé le bandeau, il a eu les larmes aux yeux. En effet, Béteille, avec
qui il avait eu de nombreuses divergences idéologiques
qui avaient presque tourné à l’hostilité, était là, à la tête
d’une délégation d’enseignants venus le défendre. Cette
histoire est, bien sûr, un parfait exemple de l’engagement de Béteille en faveur de la société civile. L’intéressé démythifierait peut-être tout cela, comme à son
habitude. “C’est une erreur de croire qu’on ne peut avoir
des affinités qu’avec ceux qui nous ressemblent. Je pense que
l’on peut avoir des affinités encore plus fortes avec ceux
qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu’ils sont
différents”, dit-il tout simplement.
Shyama Haldar
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Photos Johann Rousselot/L’Œil Public pour Courrier international
●
■ Petit aperçu
de la bibliothèque
de l’universitaire.
On y trouve
ses propres
ouvrages, bien sûr,
mais aussi
ceux de certains
de ses collègues
sociologues,
comme Mysore
Narasimhachar
Srinivas
et Ramachandra
Guha.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
■ André Béteille
dans son jardin
à Delhi.
■ En bonne
place devant
les rayonnages
de la bibliothèque
de Béteille,
les portraits
de ses parents.
51
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enquête
●
LES CONCOURS MANDARINAUX EN QUESTION
Quand la Chine inventait
l’égalité des chances
Pékin
n considère souvent que Hong Xiuquan (18131864) a choisi le chemin de l’opposition à la
dynastie Qing (1644-1911) en prenant la tête du
mouvement rebelle des Taiping, après son quadruple échec aux concours mandarinaux. Le système
des examens officiels avait fini par faire de ce jeune
adolescent plein d’ambition un homme d’âge mûr,
sans avenir – en dehors d’un emploi de précepteur,
l’un des rares “débouchés” possibles pour les recalés aux concours mandarinaux. Ce système, alors
en vigueur en Chine depuis plus de mille ans, sélectionnait année après année l’élite dont les gouvernants
avaient besoin. Mais il a produit un nombre plus
important encore d’êtres comme Hong Xiuquan, rejetés par le système, sans que, bien souvent, personne
se souciât de leur sort.
Quoi qu’il en soit, les concours mandarinaux ont
toujours été, depuis leur apparition jusqu’à l’époque
où vivait Hong Xiuquan, le meilleur moyen d’ascension sociale pour les enfants issus de familles ordinaires
qui voulaient accéder aux sphères dirigeantes (et, pour
cela, ils furent vantés par bien des visiteurs européens).
En étudiant les classiques confucéens et en participant
aux concours successifs organisés de manière unifiée
par l’administration, ceux-ci pouvaient même espérer
surpasser largement les personnes héritières de hautes
fonctions du simple fait de leur naissance.
En 1947, dans le cadre d’une étude statistique assez
renommée sur les concours mandarinaux et la mobilité sociale, les sociologues Pan Guangdan et Fei Xiaotong ont analysé 915 copies vermillon – c’est-à-dire
des copies recopiées à l’encre rouge par des tiers pour
éviter que les examinateurs ne reconnaissent l’écriture
des candidats – de l’époque des Qing. Grâce aux inscriptions portées sur les copies à la rubrique “lieu de
résidence”, ils ont pu déterminer que 52,5 % des candidats admis étaient originaires de grandes agglomérations, 6,34 % de petites villes et 41,16 % de communes rurales. A l’époque, 90 % de la population
chinoise habitait en zone rurale. La proportion de
41,16 % de reçus au concours issus de zones rurales
leur semblait assez élevée. Au milieu du XXe siècle, aux
Etats-Unis, la population rurale représentait 44,1 % de
l’ensemble, mais ne donnait que 21,2 % des scientifiques et 13,9 % des hommes de lettres. Aussi les sociologues en ont-ils conclu que “la mobilité sociale, en apparence forte aux Etats-Unis, est en réalité assez faible, alors
qu’en Chine, à l’époque des concours mandarinaux, la mobilité sociale était beaucoup plus élevée qu’elle ne le paraissait.
En d’autres termes,l’ascenseur social incarné par les concours
semblait en panne alors qu’il ne l’était pas.”
En quelque mille trois cents ans d’existence, le système chinois des examens officiels n’a cessé d’inspirer
confiance au simple quidam. “La régularité du système
des concours mandarinaux était telle que celui-ci a réussi
à se perpétuer de dynastie en dynastie. Même les empereurs
n’osaient pas ou ne pouvaient pas le modifier à leur gré.
O
Abandonné il y a un siècle
par la cour impériale des Qing,
le système des concours
mandarinaux suscite
un peu de nostalgie. Malgré
ses défauts, il demeure
pour beaucoup de Chinois
un symbole d’équité.
C’était un phénomène qui s’apparentait au rythme naturel des mois et des saisons”, affirme Liu Haifeng, directeur de l’Institut de recherches sur l’éducation à l’université de Xiamen. Cette stabilité quasi immuable avait
pour fondement le principe de l’égalité des chances.
Tout au long de l’histoire du concours, les différentes
modifications ont toujours visé à renforcer son caractère équitable. Sous les dynasties Sui (589-618) et Tang
(618-907), le système en était encore à ses balbutiements. La nature et les modalités des épreuves étaient
très diversifiées : les examens ne portaient pas seulement sur l’étude des classiques, mais comportaient
aussi des sujets tels que l’arithmétique ou le droit. Cela
avait certes l’avantage de sélectionner des hommes de
talent ayant plusieurs cordes à leur arc, mais, comme
les critères de jugement étaient en grande partie subjectifs, les cas d’injustice étaient assez fréquents. Il fallut attendre le règne de l’empereur Shenzong (10671085), sous la dynastie Song (960-1279), pour que
soient réformés les sujets d’examen. De l’ancien sys-
Zhang Yongzhe/Imaginechina
ZHONGGUO XINWEN ZHOUKAN (extraits)
En toge de
diplômée devant la
porte de l’université
de Pékin.
Les examens revenaient
au rythme naturel
des mois et des saisons
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
52
tème il ne subsista que les épreuves pour le titre de jinshi [docteur]. De nouvelles règles imposèrent de
répondre aux questions uniquement en conformité
avec les annales officielles des concours. Sous les Ming
(1368-1644) et les Qing, non seulement il devint nécessaire de s’en tenir strictement aux interprétations des
textes confucéens données par les deux frères Cheng
[Cheng Hao (1032-1085) et Cheng Yi (1033-1108)]
et par Zhu Xi (1130-1200), de l’école du principe
d’ordre [connue en Occident sous le nom de néoconfucianisme], mais de sévères contraintes de style
et de nombre de caractères furent désormais imposées
pour les dissertations. Tout cela visait à rendre plus
objectifs les sujets d’examen et les critères de notation,
autrement dit à réduire au minimum les éléments subjectifs au moment de la correction.
On assista également à une amélioration du système sur le plan technique. Sous la dynastie Song, les
feuilles d’examen devinrent anonymes : le haut des
cahiers d’épreuve, où étaient mentionnées des informations personnelles telles que le nom et l’adresse, était
découpé ou scellé. Par la suite, on vit aussi apparaître
le système du “recopiage”, destiné à éviter que les examinateurs ne reconnaissent une écriture. Il était alors
demandé à des copistes d’établir des doubles des cahiers
d’épreuve des candidats, et c’étaient ces copies qui
étaient corrigées par les membres du jury. Malgré tout,
l’histoire des concours mandarinaux est émaillée de
controverses sur l’égalité devant les examens selon l’origine géographique des candidats. La première remonte
à l’époque des Song du Nord (960-1127). Face au
nombre de plus en plus important de lettrés originaires
du sud du pays qui s’illustraient dans les concours mandarinaux, le clan du Nord, représenté par Sima Guang
(1019-1086), proposa d’instaurer des quotas de sélection selon les régions, lesquelles pourraient proposer
des candidats dans des proportions fixées, cela afin
de rétablir l’équilibre entre le Nord et le Sud. Le clan
du Sud, avec à sa tête l’historien Ouyang Xiu (10071072), défendait, quant à lui, un recrutement fondé sur
le seul mérite, sans faire de distinction selon l’origine
géographique des candidats. Pour finir, ce fut l’opinion
de Ouyang Xiu qui prévalut, accentuant la domination
des lettrés du Sud. Cette tendance atteignit son apogée au début de la dynastie Ming. En 1397, lors de la
session de la deuxième lune, l’ensemble des cinquantedeux candidats admis étaient originaires du sud du
pays, ce qui provoqua la colère des lettrés du Nord.
Ceux-ci envoyèrent une lettre de doléances à l’empereur de l’époque, Zhu Yuanzhang (1328-1398), dans
laquelle ils estimaient que les examinateurs avaient
avantagé les candidats méridionaux et réclamaient une
seconde correction des épreuves. Finalement, l’empereur lui-même s’acquitta de cette tâche, et les soixante
et un nouveaux admis provenaient tous du nord du
pays. Après cette affaire, le déséquilibre de recrutement
entre les candidats du Nord et du Sud s’améliora
quelque peu.Vers le milieu de la dynastie Ming fut mis
en place un nouveau système d’examens, divisant le
pays en trois zones : nord, centre et sud, avec des quo-
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Bridgeman/Giraudon
Le concours de
mandarinat au temps
de l’empereur
Shenzong (1023)
sous la dynastie
Song. Peinture
datant des Qing
(1644-1911).
L’enseignement de base
est orienté vers la
préparation aux épreuves
He Zi/Imaginechina
tas d’admission différents. Ce système fut à son tour
remplacé à l’initiative de l’empereur Kangxi (16621722), de la dynastie Qing, par un recrutement au
niveau provincial. Le nombre de reçus était proportionnel à celui des candidats de chaque province. C’est
un principe qui est resté en vigueur dans le système des
examens officiels et dont on retrouve même des traces
dans le concours actuel d’entrée à l’université (gaokao).
Thomas H. C. Lee, historien de l’éducation et professeur à l’université de New York, estime que le caractère égalitaire des concours mandarinaux est au cœur
du système. Depuis sa création, les différentes mesures
adoptées ont toujours cherché à développer davantage
l’égalité des chances. Pour lui, les fondateurs des
concours mandarinaux ont cependant négligé une question essentielle : si l’on ne fournit à l’ensemble du pays
qu’une seule échelle de valeurs et qu’un seul mode
de pensée, toute action visant à promouvoir l’égalité
finit par entraîner une sclérose idéologique et une perte
de puissance créatrice. Ce fut effectivement le plus gros
défaut du système des examens officiels dans la dernière période de leur existence.
Yuan Weishi, professeur à la faculté d’histoire de
l’université Sun Yat-sen, à Canton, estime tout à fait
rationnel ce système qui sélectionnait les talents d’une
façon plus équitable que l’ancien système aristocratique en vigueur sous les Sui. Pourtant, après la dynastie Ming, en raison du rétrécissement des canaux de
mobilité offerts aux hommes de mérite et aussi à cause
du contenu des épreuves, limité strictement au cadre
du bagu wen [dissertation sur les textes canoniques
rédigée selon les huit périodes successives de la rhétorique chinoise classique], les examens officiels dégénérèrent en un système réactionnaire et arriéré,
affirme-t-il.
Dans un
amphithéâtre de
l’université de Pékin.
Sous les Ming et les Qing, les gouvernants intégrèrent complètement le système des examens officiels dans
le cursus des établissements scolaires. Les matières qui
n’étaient pas des épreuves du concours furent abandonnées, et les cours se focalisèrent sur la réussite au
concours, avec, au cœur de l’enseignement, les dissertations types du style bagu wen. On peut se demander
si les candidats aux concours impériaux “en bavaient”
vraiment plus qu’un étudiant d’aujourd’hui pour réussir le concours d’entrée à l’université. Selon les estimations du chercheur japonais Miyaki Chisadu, un can-
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53
didat aux concours impériaux devait connaître par cœur
plus de 400 000 caractères anciens pour comprendre
parfaitement les classiques confucéens tels que les Quatre
Livres et les Cinq Ouvrages canoniques. Aujourd’hui,
un étudiant ordinaire, pour réussir le concours d’entrée
à l’université, doit passer, outre les évaluations habituelles de milieu et de fin de semestre, une multitude
d’épreuves se succédant à un rythme infernal, remplir
des milliers de copies et s’astreindre à un temps d’étude
quotidien de plus de dix heures. Pour finir, son avenir
se joue sur une seule épreuve, ce qui est encore plus
cruel que les concours mandarinaux trisannuels… Par
une étrange analogie, l’importance du concours d’entrée à l’université dans les études actuelles est telle que
l’enseignement de base en est devenu un simple appendice. Mais il faut bien avouer que le concours a si bien
fait la preuve de son impartialité et de son équité qu’il
serait difficile de le remplacer par un autre mode d’évaluation des acquis de l’enseignement.
En 1989, la Chine a amorcé une première véritable réforme dans le mode de recrutement de ses
fonctionnaires [remplaçant le système d’affectation
des étudiants diplômés, en déshérence]. Sous l’égide
conjointe du département de l’organisation du Parti
communiste et du ministère des Affaires du personnel a été instauré un examen de recrutement d’agents
pour les organismes publics relevant de l’autorité centrale. Mais c’est seulement en 1994 qu’un examen
pour le recrutement des fonctionnaires a véritablement été mis en place sur une grande échelle. Cette
année-là, le ministère des Affaires du personnel a
publié des “dispositions provisoires concernant le recrutement des employés de l’Etat”, c’est-à-dire un règlement qui marquait officiellement l’instauration d’un
examen à ces fins spécifiques. Une enquête statistique montre que, fin 2003, 700 000 fonctionnaires avaient été recrutés ainsi, soit presque l’équivalent du nombre de reçus à chaque session des
concours mandarinaux de second grade. De nos jours,
les défauts d’un système éducatif obnubilé par la préparation des examens font l’objet de nombreuses critiques. Malgré cela, le 25 octobre 2005, une enquête
publiée par le Centre de recherches sur la jeunesse
chinoise (CRJC) et intitulée “Situation et espoirs des
élèves chinois du primaire et du collège concernant
leurs études et leur vie quotidienne” montrait qu’à
Pékin 58 % des écoliers étaient favorables à un examen d’entrée au collège, tandis qu’au niveau national le pourcentage dépassait les 63 %.
Ainsi, alors que la suppression de l’examen d’entrée au collège visait au départ à alléger la charge de
travail des écoliers, ceux-ci semblent pourtant préférer cette formule. Pour le directeur adjoint du
CRJC, Sun Yunxiao, cet état d’esprit s’explique principalement par le fait que la plupart des élèves pensent qu’un examen d’entrée au collège leur donne
l’occasion de concourir à chances égales. On voit
donc que, malgré leur abandon il y a un siècle environ, les concours mandarinaux sont toujours présents dans le cœur des Chinois et servent aujourd’hui d’argument à tous les défenseurs du système
d’examens actuel, au nom d’un recrutement fondé
sur le mérite et de l’égalité des chances. Cependant,
les maux du système de jadis tourmentent toujours
les gens d’aujourd’hui. Il s’agit notamment des obstacles que dressent sur leur route le principe simpliste et figé de l’“égalité des chances” et l’étouffement des personnalités induit par la quête de
l’objectivité à tout prix. Si l’on ne parvient pas à s’affranchir de ces maux, le système actuel des examens
risque fort de manquer de points d’appui.
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Sun Zhan et Zheng Chu
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dossier
●
BELGIQUE
La fièvre flamande
■ Elections municipales le 8 octobre prochain, législatives au printemps 2007 :
le ton du débat électoral ne cesse de monter en Belgique avec, en toile de
fond, un regain des tensions entre Wallons et Flamands. ■ L’agitation est
surtout forte en Flandre, où le Vlaams Belang, le parti de l’extrême droite
nationaliste, accroît régulièrement son audience et espère conquérir la
municipalité d’Anvers. ■ Une fièvre qui manifeste une demande d’autonomie
accrue, voire d’indépendance, dans une grande partie de la population
néerlandophone. Au risque de casser l’unité toujours fragile du royaume.
Une rhétorique politique
Le ministre-président de Flandre a affirmé
que “la Belgique n’est pas une valeur en soi”.
Cette attitude légitime le nationalisme ambiant.
DE MORGEN
Bruxelles
uc Van den Brande jeta un jour un coq
wallon en caoutchouc à son chien, qui le
déchiqueta devant les yeux des caméras
de télévision. L’ancien ministre-président
flamand n’arrivait pas à cacher sa délectation. Et, lorsque les francophones ne
prirent pas cela à la rigolade, il décréta que ceuxci n’avaient aucun sens de l’humour. A présent,
c’est son successeur,Yves Leterme, qui ne comprend pas pourquoi les Belges francophones
s’excitent à propos de son interview à Libération [le 17 août dernier]. Le fait qu’ils ne soient
pas en “état intellectuel” d’apprendre le néerlandais n’était qu’ironie. Et c’est le journaliste
français qui a compris, à tort, que le roi parlait mal le néerlandais.
Personne, en Flandre, n’a l’air choqué que
le ministre-président offense nos compatriotes
francophones par des clichés populistes qui ne
dépassent pas le niveau des conversations de café,
L
■
Identité
“C’est peut-être
bien ça, le charme
de la Belgique :
nous refusons
majoritairement
l’identité belge mais
nous indiquons
justement ce refus
comme première
caractéristique”,
écrit le rédacteur
en chef du Morgen,
Yves Desmet.
A l’étranger,
on n’hésite pas
à affirmer : ‘Je suis
belge ! Et fier
de l’être.’ Même
3si on ne sait pas
vraiment pourquoi.”
à l’exemple de : “La Belgique est un accident de
l’Histoire.” Comme si la Flandre n’en était pas
un : l’Histoire est un enchaînement d’accidents
auxquels seuls les mythes peuvent donner un
sens. Que la Flandre soit prédestinée à devenir
un Etat est l’un de ces mythes. La Flandre n’a
jamais été une entité politique, et les Flamands
ont toujours vécu dans un creuset de cultures
différentes. Mais ce genre de “grande vérité”
passe facilement chez les Flamands qui n’ont
jamais rencontré de francophones et ne comprennent pas que qui que ce soit veuille vivre à
Bruxelles. Ce qui est agaçant, c’est que Leterme
confirme par ses propos des préjugés tels que :
les francophones continuent à prendre les Flamands de haut et leur volonté d’apprendre le
néerlandais est inexistante. A Bruxelles, les écoles
néerlandophones sont remplies de francophones,
parce que leurs parents se rendent compte de
l’importance du bilinguisme. Mais cette réalité
est probablement trop nuancée pour marquer
des points électoraux auprès la base flamingante.
N’y a-t-il donc personne en Flandre qui
comprenne que les francophones se posent des
questions lorsque le ministre-président flamand
ne va pas plus loin que la bière et le football
lorsqu’on lui demande ce qui nous lie encore
dans ce pays ? Cela ne dénote vraiment pas le
moindre intérêt pour la culture de ce pays. Mais
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
54
la double identité, dont Leterme est, avec un
père wallon et une mère flamande, assez ironiquement l’un des produits, ne l’intéresse plus.
“La Belgique n’est pas une valeur en soi”, philosophe encore Leterme dans son interview. Pour
un homme qui ambitionne de prendre la tête du
pays en question, ce sont là des paroles qui peuvent compter. Et, pour faire entièrement plaisir aux durs flamands, Leterme veut éliminer les
facilités [dispositions permettant aux francophones d’utiliser leur langue dans certaines zones
flamandes] de la périphérie, puisque les francophones ne veulent de toute façon pas apprendre
le néerlandais. La suppression des facilités est
pourtant, d’un point de vue flamand, aussi bête
que la demande de scission de Bruxelles-HalVilvorde. Mais ces exigences dépassées ont une
grande valeur symbolique pour une partie du
mouvement flamand, parce qu’elles doivent compenser l’injustice faite aux Flamands lorsque la
francisation de la Flandre était réelle et que le
néerlandais était méprisé. Il ne fait aucun doute
que tel était le cas il y a une cinquantaine d’années. Mais ce danger n’existe plus dans la Flandre
de 2006. Les Flamands ont pris trop d’assurance
pour cela, et plus personne ne croit que le français soit supérieur au néerlandais. Oser proclamer cette réalité à haute voix reste un grand tabou
pour de nombreux flamingants. La périphérie
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CHRONOLOGIE
Escalade verbale
revancharde
de Bruxelles reste pour eux aussi inviolable que
la Terre sainte et doit à tout prix être reconquise
sur les francophones.
“Aanpassen of verzuihen” (“S’adapter ou déménager”) et “Waalse ratten,rol uw matten” (“Rats
wallons, pliez bagages”) sont des slogans qui ont
déjà été peints par des commandos du TAK
[comité d’action linguistique – flamingant] sur
Le lion flamand
et le coq wallon.
Dessin de Clou
paru dans La Libre
Belgique, Bruxelles.
POLÉMIQUE
Les Wallons contre-attaquent
■ “Revoilà l’Etat francophone”, titrait Le Soir le 18 septembre, au lendemain du discours – qualifié de “musclé” par le quotidien bruxellois – qu’a
prononcé le ministre-président de la Région wallonne, Elio Di Rupo. En
réponse à son homologue flamand, Yves Leterme, qui souhaite remettre en
question les “facilités” – qui permettent aux francophones d’utiliser leur
langue dans certaines zones de Flandre –, Rupo prévient : “Remettre en
question les facilités, c’est accepter la renégociation de la frontière linguistique. […] C’est créer un ensemble territorial continu entre la Wallonie et l’autre Région francophone du pays”, c’est-à-dire la Région BruxellesCapitale. Encore plus explicite, le chef de l’exécutif wallon remarque que
“Wallonie et Bruxelles côte à côte, c’est près de 4 millions et demi d’habitants ; l’équivalent de l’Irlande”. “De là à parler de ‘nation’ou d’‘Etat’ francophone, il n’y a qu’un pas, que Di Rupo ne franchira pas”, estime Le Soir.
“Il le laissera sous-entendre à ceux qui préfèrent le lire entre les lignes.”
des maisons francophones de la périphérie
bruxelloise. Il semblerait que le ministre-président flamand relaie aujourd’hui ces idées.
C’est un trait flamand désagréable que de
devenir de moins en moins tolérant envers les
étrangers et les allochtones, dans la quête d’une
autonomie toujours plus grande. Partant d’un
vieux complexe d’infériorité flamand, l’obsession d’une Flandre en tant que territoire linguistique homogène conduit à une impossibilité
de vivre en communauté avec des non-Flamands.
Leterme ne veut pas construire des ponts
avec les francophones, il veut juste les enquiquiner, par exemple en qualifiant finement les
80 % de Bruxellois “francophones” de “non néerlandophones”. Si nous voulons que les francophones respectent notre langue, nous devons
nous garder de prononcer des paroles dénigrantes à propos de la majorité des Bruxellois.
Le ministre-président légitime ainsi de manière
tacite l’insupportable nationalisme flamand. Le
N-VA [formation nationaliste issue de l’ex-parti
régionaliste Volksunie] hoche la tête d’un air
approbateur, le Vlaams Belang voit son propre
agenda mis à exécution par d’autres. Leterme
tirera de ses propos musclés des profits électoraux, mais il est à craindre que, avec ce genre
d’éructations, la Flandre ne se replie de plus en
plus sur elle-même.
Luckas Vander Taelen
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55
■ 10 mai 2005 Echec des négociations de la majorité gouvernementale sur le sort de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV). Cette
entité hybride, à cheval sur la Région flamande
et la Région de Bruxelles-Capitale, garantit l’accès
à un appareil judiciaire bilingue aux habitants de la
périphérie bruxelloise (qui vivent en Région flamande) de même que la possibilité de voter pour
des candidats francophones bruxellois lors des
élections législatives et européennes. Les partis
flamands introduisent une proposition de loi visant
à scinder la circonscription électorale de BHV, les
francophones estiment de leur côté que cette scission mettrait fin aux droits dont ils jouissent actuellement. L’échec des négociations est perçu comme
une défaite pour la Flandre et une première victoire
linguistique des partis francophones. Les discussions sur ce sujet sont reportées après les prochaines élections législatives de 2007.
■ 29 novembre 2005 Le groupe de réflexion flamand In de Warande publie un “Manifeste pour une
Flandre indépendante en Europe”, qui prône l’indépendance de la Flandre et, en corollaire, la disparition de l’Etat belge. Ce groupe d’hommes d’affaires et de professeurs d’université réunis autour
de l’ancien patron de la banque KBC, Remi Vermeiren, estime que l’avenir de la Flandre exige une
sécession immédiate.
■ 8 février 2006 L’ex-ministre-président de la Région
wallonne, Jean-Claude Van Cauwenberghe, rédige
une “Proposition de Constitution wallonne” en opposition au projet flamand de Constitution flamande
présenté en 1997 par son ex-homologue flamand.
■ 1er juin 2006 La Chambre des représentants
accepte de débattre d’un texte de l’extrême droite
flamande appelant à la partition du pays. Tous les
députés flamands ont voté pour, tandis que tous
les Wallons s’y ont opposés.
■ 30 juin 2006 Une enquête de l’hebdomadaire Le
Vif-L’Express menée auprès de 509 élus belges
à l’occasion des 175 ans du royaume montre que
trois quarts des parlementaires flamands réclament au minimum une monarchie réduite à un rôle
simplement protocolaire ou cérémoniel. Et deux
tiers des députés et sénateurs flamands se disent
républicains, tandis que la majorité des francophones semblent rester royalistes. C’est exactement l’inverse de l’après-guerre lorsque la Flandre
souhaitait le retour de Léopold III et que les francophones s’y opposaient.
■ 17 août 2006 Le ministre-président flamand,
Yves Leterme, déclare au quotidien français Libération que les francophones ne sont pas en “état
intellectuel d’apprendre le néerlandais” et évoque
“les difficultés des leaders politiques francophones,
et même du roi de ce pays, à parler couramment
le néerlandais”.
■ 29 août 2006 Le conseil communal de Merchtem décide de n’admettre que le néerlandais dans
quatre de ses écoles communales. Le bourgmestre
de la commune interdit l’usage de toute autre
langue que le néerlandais à l’école, dans les relations, écrites ou orales, entre parents et enseignants ainsi qu’entre enfants.
■ 14 septembre 2006 Le ministre-président
flamand, Yves Leterme, déclare vouloir un nouveau statut pour Bruxelles et annonce que le sort
de la Région bruxelloise fera partie des négociations pour former un gouvernement après les législatives de 2007.
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dossier
La richesse, facteur
de division
Les inégalités économiques
et sociales entre les deux Régions
incitent certains dirigeants
flamands à réclamer plus
d’autonomie pour la Wallonie
… et donc pour eux-mêmes.
DE MORGEN
Bruxelles
e nord et le sud du pays naviguent de
plus en plus loin l’un de l’autre. Les indicateurs économiques indiquent un
gouffre grandissant entre la Flandre et
la Wallonie. Le revenu d’un Flamand est
en moyenne supérieur d’un quart à celui
d’un Wallon. Un Flamand paie donc plus d’impôts et de contributions sociales que son compatriote habitant au sud de la frontière linguistique. C’est ce qui ressort des derniers chiffres
publiés [au printemps dernier] par l’Institut
des comptes nationaux (ICN).
Les différences ont fortement augmenté
ces dernières années. Alors que, en 1995, la
différence de revenu entre un Flamand et un
Wallon ne s’élevait qu’à 3 038 euros, ce chiffre
a atteint 4 188 euros en 2003. C’est une hausse
de presque 38 %. En 1995, un Flamand payait
en moyenne 484 euros d’impôts de plus qu’un
Wallon. En 2003, la différence est de 734 euros,
en hausse de 51 %. Il existe également de
L
grandes différences dans d’autres domaines.
Le taux de chômage en Wallonie (16,5 %) est
le double du taux en Flandre (7,6 %). Alors
que, au début de la crise pétrolière, en 1973,
il y avait autant de Flamands que de Wallons
sans emploi (3 %).
“Quand on voit de si grandes différences, on ne
peut qu’admettre clairement que quelque chose va
mal”, déclare Herman Van Rompuy, ancien
ministre [fédéral] du Budget et actuel membre
de l’opposition chrétienne-démocrate. “Les statistiques belges sont bonnes pour la Flandre, mais le
rapport de l’ICN est une mauvaise nouvelle pour
la Wallonie et surtout pour ses dirigeants.”
Si la Wallonie veut rattraper la Flandre, son
économie devra croître de 1,4 % plus rapidement que l’économie flamande lors des prochaines années, a ainsi calculé Ludwig Caluwé,
chef du groupe des chrétiens-démocrates
(CD&V) au Parlement flamand. Caluwé, qui
appartient à la frange flamande radicale au sein
de son parti, espère que ces sombres chiffres
amèneront la Wallonie à faire un pas vers une
nouvelle réforme des institutions afin qu’elle
puisse avoir entre les mains ses propres leviers
socioé-conomiques : “Par le passé, il y a eu beaucoup de tentatives pour remettre la Wallonie sur la
bonne voie, mais sans aucun résultat. La seule possibilité non encore explorée est de rendre la Wallonie
responsable de sa propre politique socio-économique.”
Pour les chrétiens-démocrates flamands,
cela signifie concrètement que la Wallonie doit
être responsable en matière d’emploi, de prise
en charge du chômage, d’impôt sur le revenu
Dessin de Turcios,
Colombie.
et de conventions collectives. Ce dernier point
est particulièrement important, car la Wallonie
fait face à un problème de concurrence. Les
coûts salariaux y sont plus élevés qu’en Flandre.
En régionalisant les conventions collectives,
le gouvernement wallon pourrait veiller à ce que
les salaires augmentent plus lentement qu’en
Flandre. Une telle politique pourrait donner
plus d’oxygène au secteur privé wallon. “Les
Wallons peuvent choisir : soit ils se dirigent vers l’enfer, soit ils décident de s’adapter”, ajoute Herman
Van Rompuy.
Johan Corthouts
Les PME jouent la carte communautaire
Huit petits patrons sur dix
souhaiteraient davantage
d’indépendance économique
et sociale pour leur Région.
LA LIBRE BELGIQUE
Bruxelles
écidément, le communautaire revient
en force. Après Yves Leterme et ses
déclarations tonitruantes sur les francophones, c’est au tour des PME flamandes de jeter de l’huile sur le feu en
réclamant massivement davantage
d’autonomie pour la Flandre. Une revendication qui suit celle d’autres patrons flamands :
on se souvient qu’en novembre le Warande
Groep – dans lequel on retrouve certains grands
formats – avait suscité la polémique en publiant
un manifeste pour “une Flandre indépendante
en Europe”.
Dans le cas des PME, les choses vont moins
loin, mais la tendance est claire. D’après une
enquête menée auprès de 700 entreprises fla-
D
mandes de 1 à 50 salariés par l’UNIZO, l’association des classes moyennes flamandes, plus
de 80 % des PME du nord du pays considèrent
qu’il faut régionaliser totalement la politique
de l’emploi. Elles sont également entre 70 % et
80 % à vouloir davantage d’autonomie pour la
Flandre en matière de salaires, de conditions
de travail, de soins de santé, d’allocations familiales et d’impôt sur les sociétés. Enfin, elles sont
entre 60 % et 70 % à considérer comme “importante” une régionalisation plus poussée de la
formation, de l’énergie et de la mobilité.
Loin de se désintéresser des questions communautaires, comme beaucoup le pensaient,
les entrepreneurs flamands sont même plus de
50 % à réclamer qu’il n’y ait pas de nouveau
gouvernement fédéral si une nouvelle réforme
de l’Etat n’intervient pas après les élections
législatives programmées en 2007. Ces résultats ont surpris les responsables de l’UNIZO,
moins radicaux que leurs homologues du
Vlaams Economisch Verbond (VOKA). Alors
qu’ils disposaient des chiffres depuis le mois de
juin, ils ont d’ailleurs attendu quelques semaines
avant de les publier… “Nous n’avons aucun intérêt à créer une polémique entre les Régions. Bien au
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
56
■
Sondages
Parmi les chefs
d’entreprise
flamands, 68 %
veulent mettre fin
au cordon sanitaire
autour du Vlaams
Belang, mais 75 %
d’entre eux estiment
que le parti
d’extrême droite ne
doit pas gouverner
le pays, rapporte
le quotidien
économique De Tijd.
Alors que
8 entrepreneurs
flamands sur 10
ont confiance dans
le gouvernement
flamand,
seuls 22 % des
chefs d’entreprise
francophones
se retrouvent
dans la politique
du gouvernement
wallon.
contraire”, affirme dans le Standaard Karel Van
Eetvelt, l’administrateur délégué de l’UNIZO,
en appelant à un dialogue avec les patrons et
les politiciens wallons. “Nous voulons discuter sur
la base de données économiques objectives, pas sur
la base de slogans communautaires”, dit le patron
de l’UNIZO. Il n’empêche : derrière ce discours
apaisant, l’UNIZO précise tout de même que
cette enquête prouve qu’il y a un “besoin urgent
d’une négociation constructive en vue d’une régionalisation plus poussée”.
“Les entrepreneurs veulent avant tout que les
choses fonctionnent de manière plus efficace”,
affirme le porte-parole de l’association, Ronny
Lannoo. “Ils ont le sentiment que les précédentes
régionalisations de compétences n’ont pas été suffisamment abouties et que, dès lors, la gestion de l’Etat
est devenue moins transparente.” Mais, pour Ronny
Lannoo, il faut davantage y voir une réaction
“pragmatique” qu’un rejet pur et simple de la
Belgique ou de la Wallonie, qui restera toujours
le premier partenaire commercial de la Flandre.
La preuve, dit-il : une majorité des patrons interrogés préfèrent la marque Belgique à la marque
Vlaanderen lorsqu’il s’agit d’exportation.
Mathieu Van Overstraeten
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BELGIQUE LA FIÈVRE FLAMANDE
●
Pour une nouvelle forme de fédéralisme
Selon Philippe Van Parijs, Flamands et Wallons
doivent s’entendre pour faire évoluer la structure du
pays, avec Bruxelles comme dénominateur commun.
M ER
DU N ORD
PAYS-BAS
RÉGION FLAMANDE
* Indice du
Produit intérieur
brut par
habitant
en parité de
pouvoir d’achat
(données
de 2003)
Base : Union
européenne
(des 25) :
100
Belgique :
118,1
Source :
Eurostat
6 043 161 hab. (2005)
PIB-PPA* : 116,9
Anvers
Bruges
BRUSSEL DEZE WEEK (extraits)
Bruxelles
FLANDREOCCIDENTALE
FLANDRE- Merchtem BRABANT FLAMAND
ORIENTALE
Bruxelles
RÉGION
BRUXELLESCAPITALE
1 006 749 hab.
DR
epuis que le philosophe et économiste
de gauche Philippe Van Parijs est revenu
vivre à Bruxelles, après plus de huit
années de vagabondage universitaire
d’Oxford à Florence, il regarde notre
petit pays avec intérêt. Curieusement,
en tant que Bruxellois francophone, il n’est pas
du tout choqué par les déclarations du ministreprésident de la Flandre,Yves Leterme, membre
du CD & V (parti démocrate flamand), selon
lequel “la Belgique n’est pas une valeur en soi”.
PHILIPPE VAN PARIJS Ce qu’Yves Leterme
a dit ne m’a pas choqué. Ce que Guy Spitaels
(chef de file du Parti socialiste francophone) disait
il y a vingt ans était bien pire. Il avait mené sa
campagne en utilisant de grandes affiches montrant son portrait, avec pour seul slogan : “Pourquoi croyez-vous qu’ils ne m’aiment pas ?” Les francophones devaient bien entendu comprendre
que “ils” signifiait les Flamands, et que c’était
une bonne raison de voter pour lui. C’est donc
une sorte de retour de bâton. Ces excès verbaux
s’expliquent par le système électoral actuel : si
l’on défend sa propre communauté, on est
récompensé par les urnes. Quelle que soit la
direction dans laquelle nous souhaitons évoluer
– y compris vers une plus grande autonomie –,
un consensus est nécessaire. La seule manière
d’avancer est de créer une dynamique politique
qui s’oppose à la surenchère communautaire.
Ne croyez-vous pas que le moment viendra où la Flandre dira : “Fini la chanson,
nous allons faire cavalier seul” ?
Si nous voulons scinder le pays, nous devons
poser la question des frontières. Cela ne peut
se faire qu’au moyen d’un référendum. Cela
aura pour conséquence que la Flandre comme
la Wallonie perdront une partie de leur territoire, car une scission en fonction des frontières
linguistiques actuelles n’est pas réaliste. Il faudra des années pour que cette procédure soit
terminée. Nous pouvons ainsi réfléchir à la fin
de la Belgique. Il est intéressant de spéculer sur
ce sujet, mais je pense que Bruxelles joue un
rôle tellement central dans ce pays que les deux
entités fédérées ne peuvent s’en passer.
Cela ne veut pas dire que nous ne puissions pas
continuer à rafistoler la structure de l’Etat.
Parmi les compromis qui par le passé se sont
révélés nécessaires pour permettre à un Etat
multinational de fonctionner, certains étaient
intéressants : la double majorité au Parlement
fédéral, le principe de territorialité. Certains
compromis ne sont pas bons. L’un d’entre eux
concerne les facilités [dans les communes à facilités, chacun a la possibilité d’utiliser la langue
de son choix dans ses relations avec les services
publics]. Cette mauvaise partie de la réforme
de l’Etat doit être supprimée, et la Flandre a le
droit d’obliger les francophones de la zone frontalière à apprendre le néerlandais.
D
ANVERS
Gand
HAINAUT
BRABANT
WALLON
Louvain
Wavre
LIMBOURG
Hasselt
Liège
Eupen
Namur
Mons
LIÈGE
Malmedy
(chiffre de 2005)
■
Idée
Philippe Van Parijs
fait partie,
avec d’autres
universitaires,
du groupe Pavia.
Ce groupe
n’a qu’“une seule
proposition
concrète, rapporte
Brussel Deze Week :
la suppression
du Sénat
et la création d’une
circonscription
électorale fédérale
en Belgique,
où, en dehors
des circonscriptions
provinciales,
les grandes
pointures politiques
pourraient
s’affronter.
Il n’y a que dans
la circonscription
de Bruxelles-HalVilvoorde (BHV) que
les néerlandophones
peuvent voter
pour un francophone
et vice versa.
Pourquoi n’est-ce
pas le cas
dans l’ensemble
du pays ?
Cela enlève aussitôt
des tensions
et élimine le déficit
démocratique
car la politique
du gouvernement
fédéral peut
au moins tenir
compte de toute
la population belge.”
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PIB-PPA* :
237,6
NAMUR
LUXEMBOURG
L’ETAT FÉDÉRAL BELGE
Limite des 3 Régions
Région bilingue
ALLEMAGNE
FRANCE
LUXEMB.
Arlon
Limite des 10 provinces
Communauté flamande
Communauté française de Belgique
Communauté germanophone
Saint-Vith
RÉGION WALLONNE
3 395 942 hab. (2005)
PIB-PPA * : 85,0
0
50 km
Bruxelles : capitale fédérale, capitale de la Région Bruxelles-Capitale, capitale à la fois de la Région
flamande et de la Communauté flamande, capitale de la Communauté française de Belgique.
Eupen : capitale de la Communauté germanophone.
Namur : capitale de la Région wallonne.
Quelles sont, pour Bruxelles, les implications d’un tel raisonnement ?
La cohabitation des deux langues se passe bien,
mais c’est évidemment un processus d’assassinat pour la langue la plus faible. Il y a la loi de
Jean Laponce, un professeur français qui
enseigne au Canada. Selon lui, plus les gens sont
gentils entre eux, plus les langues sont en violente opposition. On assiste toujours au triomphe
de la langue dominante. A Bruxelles, c’est celui
du français, face auquel le néerlandais disparaîtra peu à peu. Le processus de francisation
de Bruxelles est ralenti, mais il se poursuit. Dans
les milieux internationaux, le français passe luimême à l’arrière-plan au profit de l’anglais.
Vous connaissez beaucoup de monde au sein
de la communauté européenne à Bruxelles.
Croyez-vous, comme Yves Leterme, à un
modèle de type Washington DC ?
Renvoyer à Washington DC est déconcertant.
Cela voudrait dire que les Bruxellois n’auraient
plus le droit d’élire des représentants au Parlement belge ou européen.
Mais Bruxelles peut-elle devenir une sorte
de principauté européenne ?
Seulement si les Bruxellois ont des droits sur leur
propre territoire. Même ceux qui n’ont pas la
nationalité belge. Ensuite, l’Union européenne
devrait exercer plus de pouvoir sur Bruxelles.
De nos jours, l’UE ne donne pas un sou à la ville.
Ce n’est pas logique. Il n’existe pas un seul Etat
fédéral dans le monde qui n’investisse pas dans
sa capitale. Cette situation n’est plus tenable.
Pourtant, je ne crois pas que Bruxelles puisse
devenir un territoire européen indépendant, avec
des citoyens sans nationalité – ou avec une natio-
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
57
nalité européenne. Les deux autres entités fédérées de ce pays n’en éprouveront que des inconvénients. Il est beaucoup plus simple de maintenir l’Etat actuel et de le peaufiner.
Vous dites aussi : “Plus de région, moins
de communauté”…
Les communautés vont disparaître. Il s’agissait
d’une phase de transition qui n’était pas inintelligente en vue de constituer un Etat multinational. La Belgique de papa, l’Etat unitaire,
est devenue une Belgique de bon-papa, tribale,
où l’on pense par exemple que Bruxelles est composée de deux communautés. C’est absurde et
cela devient de plus en plus surréaliste. L’avenir
de notre pays est celui de trois Régions qui diffèrent de plus en plus les unes des autres.
Notre problème belge n’est pas un problème provincial de quelques groupes tribaux. Il est universel, et cela pour deux raisons : l’existence d’une
diversité linguistique répartie sur une structure
territoriale et l’existence d’une démocratie formelle. En fait, la diversité linguistique ne constitue pas un problème, comme l’écrivait déjà en
1861 John Stuart Mill, tant que l’on a un régime
despotique. La Yougoslavie et l’URSS en étaient
de parfaits exemples. Dès que le peuple a son
mot à dire, un problème surgit parce qu’il n’existe
pas de langue commune. La Belgique a pu fonctionner pendant très longtemps parce que l’élite
flamande parlait le français. C’est encore le cas
aujourd’hui : sur 100 Belges bilingues, il y a
80 Flamands. La Belgique se transforme en un
Etat fédéral, et nous n’en sommes encore qu’au
début. Le fédéralisme belge ne fait que commencer*.
Propos recueillis par Steven Van Garsse
* En français dans le texte.
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dossier
Anvers, ville en résistance
La conquête de la métropole
flamande est l’objectif principal
de l’extrême droite
aux élections du 8 octobre.
Pour s’y opposer, le maire
socialiste en exercice mène
une politique urbaine ambitieuse.
LE SOIR (extraits)
Bruxelles
ue connaît-on d’Anvers-Antwerpen, à
Bruxelles ou en Wallonie ? Trois clichés
et un préjugé. Le zoo, qu’on visite dès
qu’on sort de la gare Centrale à la majestueuse verrière. Les boutiques du Meir,
cette spacieuse et prestigieuse artère piétonne. Les gloires artistiques de la Grand-Place
(littéralement “le Grand Marché”) et sa cathédrale à une seule tour.
Au rayon politique, on pense, illico, au
Vlaams Blok, qui s’est rebaptisé Vlaams Belang
(VB, “Intérêt flamand”) sitôt après sa condamnation pour racisme par la cour d’appel de
Gand [en novembre 2004]. A Anvers, où il est
né, le parti raciste et néofasciste séduit un électeur sur trois. Montez dans un tram et comptez. Si l’on soustrait tous les passagers au teint
peu ou prou bronzé, ça fait beaucoup de
monde. De là le préjugé. Côté francophone, on
jette l’opprobre sur Anvers, qualifiée vite fait
de ville raciste. On subodore l’agenda caché du
Vlaams Blok à chaque initiative que prennent les
partis démocratiques.
A la différence du Front national wallon,
le Vlaams Blok-Belang est coaché par des
Q
hommes politiques aussi subtils que leur langage est primaire. Maîtres dans l’art de la victimisation, ils retournent à leur profit toutes
les mesures qu’on prend à leur encontre. Les
démocrates flamands rétorquent volontiers
aux francophones : “Si vous avez une recette
miracle contre le VB, donnez-la-nous. Nous, on
a tout essayé.”
Tout ? Non, pas encore. Patrick Janssens,
bourgmestre (socialiste) d’Anvers depuis trois
ans, tente une nouvelle stratégie, celle du
Dessin de Mayk
paru dans
Sydsvenskan,
Malmö.
management. Il la gère comme une entreprise, sa ville de 460 000 habitants. Le maire
veut rendre aux “Sinjoren” (surnom des habitants) leur fierté d’être Anversois. Il a lancé
sa ville dans le chantier du siècle. Les avenues, le ring, les quais, les ponts se métamorphosent. L’ancienne gare du Nord, dans
un quartier à problèmes, va être transformée
en grand parc public.
Les jeunes adorent vivre dans une grande
ville (la seule de Flandre, disent-ils) qui est
CULTURE
La musique pour contrer l’intolérance
Le 1er octobre, plusieurs concerts
auront lieu en Belgique “contre
le racisme, l’extrémisme et la violence
gratuite”, à l’initiative du groupe de rock
dEUS, originaire d’Anvers. Le chanteur,
Tom Barman, explique ce qui l’inquiète
dans sa ville.
’ai du mal à parler d’Anvers quand je
pense à la tuerie qui y a eu lieu en mai
[le 11 mai, un jeune skinhead a tué une fille
au pair malienne et la petite fille qu’elle gardait et blessé une femme d’origine turque].
La fillette de 2 ans qui a été tuée par balle
est la nièce d’un de mes meilleurs amis.
Nous avons fêté le soixante-quinzième anniversaire de ma mère dans le restaurant de
ses parents. Quand j’ai appris la nouvelle,
nous étions à Leipzig pour le dernier concert
de notre tournée. Le soir, j’écumais presque
de rage sur la scène. Je n’ai pas cessé d’y
penser une seule seconde. Et j’ai totale-
J
ment exorcisé l’horreur en jouant mieux, en
chantant mieux, en chantant avec plus
d’émotion, surtout.
Il y a quelques années, j’ai envisagé de
quitter Anvers. Cette option est plus que
jamais exclue. Anvers est plus que jamais
ma ville. Ce qui s’y passe m’angoisse. Il y
a des fous partout, mais j’ai l’impression
qu’en Belgique on est toujours un peu plus
extrême. Un violeur d’enfant devient soudain chez nous un Dutroux. Un raciste
flippé dirige son arme contre des femmes
et des enfants.
Les partis d’extrême droite ne sont jamais
ambivalents ou équivoques, alors que la
réaction face à eux l’est souvent : politiquement correcte et prudente. Cela a commencé à m’exaspérer. C’est pour cela que
le 1er octobre nous organisons un concert
contre l’intolérance. Nous l’avions déjà
décidé l’an dernier, longtemps avant les
meurtres à Anvers. De nouveau dEUS va
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
donner un concert dans sa ville natale, le
premier depuis douze ans. Une semaine
plus tard se tiendront les élections municipales et l’on attend avec inquiétude les
résultats du Vlaams Belang (VB), notamment à Anvers. Le message adressé au
VB sera sans ambiguïté : nous n’avons
pas besoin d’idées racistes et intolérantes.
Mais nous ferons passer ce message avec
le sourire et avec la positivité qu’il y a dans
une fête. Il n’y aura donc pas de discours
des usual suspects. Nous nous sommes
assis autour d’une table avec des gens
comme Tom Lanoye [écrivain connu pour
son engagement à gauche] et nous avons
échangé des idées, mais nous leur avons
dit : vous ne faites pas partie du plan. Ils
n’ont pas eu d’objections. Il ne faut pas
que l’on puisse réduire cette initiative à
un comité ar tistique restreint d’intellectuels de gauche. Il faut qu’elle ait un
impact, justement parce qu’elle vient d’un
58
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
milieu d’où cela n’est encore jamais venu.
Je suis musicien, j’espère pouvoir tourner
encore quelques films, mais je suis aussi
un citoyen ordinaire qui vit et travaille à
Anvers. Cela dépasse la politique. Il s’agit
de valeurs humaines élémentaires en train
de s’effriter. Je trouve encore pires, si tant
est que cela soit possible, les réactions
des grands partis politiques unis au sein
du conseil municipal d’Anvers : cela ne
sert à rien de prêcher pour sa paroisse, il
ne faut pas polariser, cela ne fait qu’apporter de l’eau au moulin de l’adversaire.
Premièrement : il n’y aura pas de prêche,
encore moins pour une Eglise. Deuxièmement : peut-on polariser plus que ne le fait
le VB ? Le consensus de la peur domine
Anvers : personne n’ose plus dire ouvertement ce qu’il pense, de crainte que la
situation ne s’aggrave.
Propos recueillis par Danny Ilegems,
Vrij Nederland (extraits), Amsterdam
829p54-59
18/09/06
20:39
Page 59
BELGIQUE LA FIÈVRE FLAMANDE
●
“the place to be”. La ville qui bouge, qui festoie, qui innove – dans la culture, la mode,
la musique, l’architecture. Les plus âgés sont
satisfaits de voir enfin la ville prise en main.
Ils ruminent les souvenirs du temps où cette
ville était à eux. Un grand village, composé de
quartiers. Qui était “propre et sûr”. Où l’on
avait ses repères.
Mais le monde s’est ouvert, les migrations
sont arrivées, les frontières sont tombées. Les
vieux Sinjoren ne se sentent plus chez eux. Ils
ont peur. Faut-il les qualifier de racistes ? Patrick
Janssens se garde bien de le faire, sous peine
d’ouvrir un boulevard au VB. Il passe un temps
infini à écouter les habitants, les commerçants
et les dockers, les ouvriers et les chefs d’entreprise, les créateurs et les retraités.
Braquages, cambriolages, vols de sac à
main ? La Ville applique un plan très élaboré
de lutte contre la criminalité. Sentiment d’insécurité ? La Ville enquête et découvre que les
habitants trouvent la saleté des rues plus grave
que les hold-up. Elle passe à la tolérance zéro :
tags, dépôts d’ordures, tapage nocturne, tout
est poursuivi. Difficultés de cohabitation ? On
oblige les étrangers à suivre des cours d’“inburgering” (littéralement, “apprentissage de la
citoyenneté”), surtout de langue néerlandaise.
La méthode révolte les francophones. Elle est
pourtant saluée par les Anversois d’origine
étrangère que nous avons rencontrés. Ce qu’ils
critiquent, c’est l’offre de cours, insuffisante
pour la demande.
Dans les quartiers, se plaint-on d’un afflux
d’illégaux, de “marchands de sommeil”, louant
des piaules insalubres à prix d’or ? A AnversNord, quartier difficile, on visite les maisons
pour savoir qui y habite. La brigade associe
des représentants des services de la population, de la sécurité, du CPAS. En raison de
vives protestations à gauche, on n’y joint pas
la police. Mais, si l’on découvre des illégaux,
on leur envoie aussitôt le service des étrangers.
UNE COURSE CONTRE LA MONTRE
JUSQU’AU 8 OCTOBRE
Sur la place du théâtre, un quartier sans histoires, le marchand de journaux raconte que
son commerce a été attaqué douze fois en
douze ans. “Le Belang, c’est le parti que j’aime
le moins. Mais la majorité communale d’Anvers
pratique une politique beaucoup trop douce. Les
quelques fois où j’ai vu mes agresseurs, c’étaient
des Marocains. Je ne pourrais pas le dire sans être
taxé de raciste ? C’est pourtant la réalité. Pour
faire diminuer l’influence du VB, je ne vois qu’une
solution : le faire participer au pouvoir, comme en
Autriche.”
A Anvers, les différentes communautés
cohabitent sans vivre ensemble, se côtoient sans
se frôler. A l’exception de certains quartiers,
comme Borgerhout, où autochtones et “allochtones” se brassent plus harmonieusement, la
métropole reste à l’heure du développement
séparé entre Flamands, Juifs, Marocains,Turcs,
Polonais, et les 140 nationalités qui y ont
convergé. Les électeurs du VB s’imaginent avoir
dans les mains un bulletin de vote qui leur fera
remonter le temps, jusqu’à l’époque où Anvers
était purement flamande.
Le Vlaams Blok-Belang va-t-il reculer à
Anvers, au soir du 8 octobre ? Le bourgmestremanager Patrick Janssens est engagé dans une
course contre la montre.
Bénédicte Vaes
Les espoirs du Vlaams Belang
Le parti d’extrême droite présente
plus de candidats que jamais
aux prochaines élections
municipales. Avec l’ambition
de devenir incontournable.
DE STANDAARD
Bruxelles
u cours des élections communales du
8 octobre, le Vlaams Belang compte
“renforcer de manière phénoménale son
épine dorsale organisationnelle”. Le président du parti, Frank Vanhecke, rêve
même de doubler le nombre de ses
conseillers municipaux et de passer la barre
des 1 500 élus. Rompre le cordon sanitaire
[nom donné à l’accord entre les partis démo-
A
M E N TA L I T É S
Des compatriotes
stéréotypés
“Francophone paresseux,
Flamand travailleur ? Les
clichés ont la vie dure”,
constate Le Soir, qui publie
une enquête sur la manière
dont les cadres flamands
et wallons se voient euxmêmes et voient l’autre au
travail. Les Flamands “ont
une assez piètre image
de leurs collègues francophones”, constate le quotidien. Ils se voient “plus
rigoureux, mieux organisés, plus travailleurs, plus
dynamiques”, et “considèrent que les francophones font peu d’effor ts pour apprendre leur
langue”. “Les francophones font une tout autre
analyse”, remarque aussi Le Soir. “Le jugement
sur l’autre communauté est plus nuancé. Pour
plus de la moitié des qualificatifs, ils donnent une
meilleure note aux Flamands.” Et, en ce qui
concerne l’ouver ture sur la langue, “ils s’attribuent presque la même (exécrable) note”. Pour
le professeur de psychologie du travail Hans De
Witte, cité par le quotidien, seul le rapport à la
langue de l’autre ne tient pas du stéréotype dans
ces visions croisées. “Le décalage est énorme
entre les deux communautés : l’une est ouverte,
l’autre pas, et les deux sont d’accord sur le
constat. C’est plutôt inquiétant, car cela empêche
la communication.”
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
59
Dessin de Carlos,
Madrid.
cratiques pour empêcher toute coalition avec
l’extrême droite] ne semblerait alors plus être
hors de portée pour le parti.
La formation d’extrême droite se prépare
donc à un treizième succès électoral d’affilée.
Sur le papier, rien ne peut l’en empêcher. Le
Vlaams Belang se présente dans 250 communes, avec environ 5 000 candidats, près de
50 % de plus qu’il y a six ans. “Environ 90 %
de la population flamande peut désormais voter
pour nous”, se réjouit Vanhecke.
Le président de parti a parlé d’un “appétit organisationnel”. Le Vlaams Belang a toujours des difficultés pour recruter des candidats. Lors de sa conférence de presse,Vanhecke
a mis en garde les employeurs – des administrations aux mutualités en passant par les syndicats – qui font pression sur les candidats
potentiels du Vlaams Belang.
UN GALOP D’ESSAI AVANT LES ÉLECTIONS
LÉGISLATIVES DU PRINTEMPS 2007
Le parti a officiellement annoncé que la rupture du cordon sanitaire n’est plus un objectif.
Ce désengagement stratégique est compréhensible. Car, pour y parvenir, le Vlaams Belang
dépend des autres. Par crainte d’une défaite
électorale, il se fixe donc un objectif
réalisable. Pour la même raison, il a
cessé de communiquer sur la possibilité de voir Filip Dewinter [la personnalité la plus médiatique du Vlaams
Belang] décrocher la mairie d’Anvers.
Frank Vanhecke estime en revanche que,
après le 8 octobre, le “plus grand parti de
Flandre” doit pouvoir faire partie des coalitions
dans un certain nombre de municipalités. Si
ce n’est pas le cas, le Vlaams Belang promet
une campagne “ferme” au printemps de 2007,
pour les élections législatives fédérales. Le parti
a par ailleurs mis en place un site Internet – qui
ne mentionne nulle part ses liens avec le parti –
pour lancer une pétition contre le cordon et
pour exiger “davantage de démocratie” dans la
vie politique.
Le Vlaams Belang entre dans la campagne
nationale avec le slogan “Leefbaar Vlaanderen”
[Flandre vivable, un slogan inspiré du nom du
parti néerlandais rendu célèbre par le populiste Pim Fortuyn]. Des affiches portant ce slogan seront placardées partout en Flandre. Le
parti tente de compenser son déficit en personnalités locales capables d’attirer les électeurs en utilisant des thématiques nationales
connues, comme la sécurité, la propreté des
quartiers et la nécessité que les étrangers s’adaptent. “Y a-t-il dans ce programme quelque chose qui rende légitime le cordon sanitaire ?” s’est
demandé [Gerolf] Annemans
[l’une des personnalités du
Vlams Belang], qui déplore que
personne ne veuille encore engager
le débat sur le contenu de ce programme. Un coup d’œil dans le dictionnaire “De A à Z” que distribue le parti
sous forme de gadget offre déjà une
réponse à sa question. Il regorge de caricatures xénophobes.
Bart Brinckman
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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Page 61
économie
■ économie
“Des pays
riches peuplés
de pauvres”
p. 62
■ multimédia
L’avenir
de la presse
n’est pas écrit
pp. 64 à 67
i n t e l l i g e n c e s
●
La Chine commence à exporter son inflation
MONDIALISATION La flambée
des matières premières
et les revendications salariales
des ouvriers chinois aboutissent
à une augmentation
des coûts de production.
■
INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE
(extraits)
Paris
P
■ écologie
Au Brésil,
l’ennemi
numéro un
s’appelle “soja”
i n t e l l i ge n c e s
p. 68
“Vous croyez
que la Chine est une
menace pour notre
économie ?” Dessin
de Chávez paru
dans El Tiempo,
Honduras.
Car toonists & Writers Syndicate
endant vingt ans, Anthony
Temple, un professionnel du
jouet, s’est réjoui de l’abondance
d’animaux en peluche, de
grandes tasses à café et autres figurines en résine disponibles à bas prix
en Chine. Mais le récent voyage qu’il
y a effectué pour le compte de son
entreprise, Rainbow Designs, implantée à Londres, l’a fait déchanter. Dans
le delta de la rivière des Perles, au
nord de Hong Kong, l’alourdissement des coûts – des matières premières, mais surtout de la maind’œuvre – a dominé toutes les
discussions avec ses fournisseurs.
Loin de chercher à baisser leurs tarifs
par rapport à la concurrence, les producteurs chinois parlaient de les augmenter de 5 % à 10 % avec tant de
fermeté qu’Anthony Temple a compris qu’il ne s’agissait pas d’une
simple ruse de négociateurs. “Lorsque
je suis parti là-bas, j’étais persuadé que
la Chine était un puits sans fond de produits bon marché, avoue-t-il. Quand je
suis rentré, ce n’était plus le cas.”
Alors que l’économie chinoise
poursuit sa course effrénée, tout porte
à croire que le géant asiatique commence à freiner l’exportation d’une
denrée particulièrement appréciée des
banques centrales du monde : les prix
bas. Cette tendance, conjuguée au
renchérissement des matières premières comme le pétrole, risque de
placer celles-ci devant le même douloureux dilemme qu’au début des
années 1980. A l’époque, elles se
demandaient s’il fallait enrayer l’inflation en resserrant le crédit, au
risque de brider la croissance et de
fabriquer du chômage.
La main-d’œuvre bon marché et
l’accès facile à un port d’importance
mondiale comme Hong Kong ont
permis à la Chine d’inonder la planète de produits à bas prix. Mais, à
présent, les travailleurs chinois commencent à réclamer de meilleurs
salaires, créant ainsi les conditions
classiques d’une hausse des prix à l’exportation. “Les matières premières flambent, le pétrole s’envole, les salaires augmentent”, résume Peter Keller, PDG
de Merton, un fabricant de jouets en
plastique installé à Hong Kong. “C’est
vrai que les coûts s’alourdissent en Chine
et que, dans la mesure du possible, nous
les répercutons sur nos prix.” Merton est
confronté à une hausse rapide des
rémunérations dans son usine de la
province du Guangdong. Le 1er septembre, le salaire minimum mensuel
a été porté à 780 yuans [77 euros]
■ Pouvoir
d’achat
Le commerce
de détail en Chine
a augmenté de
13,8 % en août en
glissement annuel,
selon le Bureau
national
des statistiques.
Cet indicateur est
suivi avec attention
par les autorités,
qui s’efforcent
de soutenir la
consommation afin
que la croissance
dépende moins des
exportations et des
investissements.
L’évolution des
ventes au détail
s’explique par la
hausse du revenu
disponible : sur les
six premiers mois
de l’année, il a
progressé de 10,2 %
dans les villes
et de 11,9 % dans
les zones rurales.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
61
dans la province, soit une hausse d’environ 20 %. La férocité de la concurrence amène à rogner sur les marges
bénéficiaires, mais, selon Peter Keller, les produits fabriqués au titre des
nouveaux contrats seront 5 % à 10 %
plus chers en raison de l’alourdissement du coût de la main-d’œuvre et
des matières premières.
Heureusement pour les consommateurs occidentaux, cela ne se traduit pas encore par une valse des étiquettes dans les magasins. Ainsi, la
chaîne suédoise de prêt-à-porter
H&M essaie de maintenir ses prix
alors que ses fournisseurs accroissent
leurs exigences, assure Nils Vinge,
directeur des relations avec les investisseurs.Transférer la production vers
des pays à bas salaires comme le Bangladesh ou la Turquie, dont les coûts
de transport vers l’Europe sont en
outre moins élevés, pourra permettre
d’atténuer les conséquences de l’augmentation des coûts en Chine, mais
pas éternellement. “A terme, il faudra
bien répercuter la hausse sur le consommateur”, reconnaît Nils Vinge.
LA PRODUCTION PEUT MIGRER
VERS LA CHINE DE L’INTÉRIEUR
A l’instar de H&M, l’Europe et les
Etats-Unis se situent quelque part
entre le long terme et l’immédiat.
L’inflation, qui n’a guère dépassé 2 %
pendant la majeure partie de la dernière décennie dans les pays de la
zone euro, commence à s’accélérer.
Aux Etats-Unis, elle s’est établie en
juillet à 4,8 % en moyenne annuelle.
Outre-Atlantique, les prix des importations chinoises, qui ont chuté
depuis 2003, se stabilisent. D’autres
indicateurs permettent de brosser un
tableau bien plus sombre. Le prix à
la sortie d’usine des biens chinois a
grimpé depuis quatre mois, d’après
une enquête menée auprès de directeurs des achats par l’institut NTC
Research, à Londres. Son indice, qui,
en mars, était inférieur à 50 – niveau
indiquant des prix stables –, se situe
désormais à 56.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
Les économistes ne sont cependant pas tous persuadés que les prix
chinois relanceront bientôt l’inflation dans les pays industrialisés. Les
esprits sceptiques font valoir la capacité d’adaptation de la Chine et de
ses clients. A mesure que les coûts
chinois s’alourdissent, les investisseurs étrangers peuvent s’implanter
dans des centres de production
moins chers, comme l’Inde ou le
Bangladesh. D’autres entreprises
exploreront la Chine de l’intérieur
pour échapper à la hausse des salaires
dans les zones côtières. “L’arbitrage
mondial en termes de main-d’œuvre
fonctionne encore”, note Stephen
Roach, économiste en chef à la
banque Morgan Stanley. “Cela vaut
toujours largement la peine de délocaliser la production et l’emploi vers la
Chine pour réduire les coûts salariaux”,
ajoute-t-il.
ASDA, la filiale britannique du
géant américain de la distribution
Wal-Mart, vient d’investir 29 millions
d’euros dans la construction de son
propre port en eaux profondes sur la
côte orientale de l’Angleterre, et
80 % des biens qui y transiteront
proviendront probablement de
Chine. La Chine est un si vaste réservoir de produits de grande qualité
qu’ASDA est quasiment obligée de
s’y approvisionner, explique Dominic Burch, porte–parole de l’entreprise. “Sur le plan commercial, nous
n’irons nulle part ailleurs”, assure-t-il.
Anthony Temple, l’acheteur de Rainbow Designs, affirme pour sa part
avoir réussi à contenir la hausse des
prix, en combinant une rude négociation avec les industriels et une
baisse de ses marges. Mais bientôt
ses clients, comme les magasins
WH Smith, Harrods et Selfridges, se
retrouveront eux-mêmes confrontés
au problème, prédit-il. “L’an prochain, il faudra répercuter ces hausses
jusqu’au niveau du consommateur. Les
prix devront augmenter.”
Carter Dougherty
et Donald Greenlees
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économie
“Des pays riches peuplés de pauvres”
MARCHÉS Une autre
mondialisation, plus équitable,
est possible, affirme le Prix Nobel
d’économie Joseph Stiglitz.
A condition de s’en donner
les moyens politiques et financiers.
■
FINANCIAL TIMES
Londres
n a un temps espéré que la mondialisation profiterait à tous, dans
les pays industrialisés comme
dans le monde en développement. Aujourd’hui, ses effets négatifs
sont de plus en plus visibles. Les
bonnes choses franchissent plus facilement les frontières, mais les mauvaises aussi – y compris le terrorisme.
Le monde est régi par un régime commercial injuste qui entrave le développement et par un système financier instable dans lequel les pays
pauvres croulent sous le poids d’une
dette ingérable. Les capitaux devraient
aller des pays riches vers les pays
pauvres, mais ils circulent de plus en
plus dans le sens inverse.
Ce qu’il y a de frappant avec la
mondialisation, c’est l’écart entre ses
promesses et la réalité. Si elle semble
fédérer tant de gens contre elle, c’est
sans doute parce qu’elle fait beaucoup de perdants et peu de gagnants.
La vision panglossienne de la mondialisation, selon laquelle elle profiterait automatiquement à tous, a
entravé notre capacité à corriger ses
défaillances. Les jeunes travailleurs
français se demandent comment elle
peut améliorer leur sort si, comme
on le leur dit, ils doivent accepter les
baisses de salaire et la précarité qui
en résultent. L’accroissement des
inégalités dans les pays industrialisés était une conséquence prévue
depuis longtemps mais rarement
O
Dessin de Daniel
Pudles paru dans
The Economist,
Londres.
■
L’auteur
Lauréat du prix
Nobel d’économie
en 2001 pour
ses travaux relatifs
à l’asymétrie
d’information
sur les marchés,
Joseph Stiglitz a été
conseiller économique
à la Maison-Blanche
auprès de Bill
Clinton (19931995), puis viceprésident de la
Banque mondiale
(1997-2000), une
institution qu’il a
vivement critiquée.
Dans La Grande
Désillusion
(éd. Fayard, 2002),
l’économiste s’en
prend aussi au FMI,
accusé d’avoir
aggravé la crise
financière dans
les pays émergents.
Il vient de publier
chez Fayard
Un autre monde :
contre le fanatisme
du marché.
mise en avant : une intégration économique totale implique le nivellement des salaires des travailleurs peu
qualifiés à travers le monde. Cela ne
s’est pas (encore) produit, mais la
pression à la baisse exercée sur ces
salaires est palpable. Une mondialisation non maîtrisée est en réalité
susceptible d’appauvrir beaucoup de
monde dans les pays industrialisés,
même si la croissance économique
s’accélère.
L’ÉCONOMIE S’EST MONDIALISÉE
PLUS VITE QUE LA POLITIQUE
La théorie économique avait bien
prédit qu’il y aurait des perdants,
mais elle a également prétendu que
les gagnants pourraient les dédommager. Une mondialisation bien
gérée peut profiter à tout le monde,
ou du moins à la plupart des gens.
Ce n’est pas ce qui se passe actuellement. Au contraire, si l’on en croit
les néolibéraux, elle exige des pays
qu’ils accroissent leur compétitivité
en baissant les impôts et en réduisant la protection sociale. Aux EtatsUnis, la fiscalité est devenue moins
progressive et l’essentiel des récentes
baisses d’impôt ont bénéficié aux
gagnants, à ceux qui avaient déjà profité de la mondialisation et des changements technologiques. De plus en
plus, nous devenons des pays riches
peuplés de pauvres.
Les pays scandinaves ont montré
qu’il existe une autre voie. L’investissement dans l’éducation et la
recherche ainsi qu’un solide filet de
protection sociale peuvent déboucher
sur une économie plus productive et
plus compétitive. Nombre d’échecs
de la mondialisation sont dus à une
chose toute simple : la mondialisation
est allée beaucoup plus vite dans le
domaine économique que dans celui
de la politique et des mentalités. Nous
sommes devenus plus interdépendants ; or une interdépendance accrue
exige une action mieux coordonnée.
Mais il nous manque toujours les
cadres institutionnels pour le faire
efficacement et démocratiquement.
Ce n’est sans doute pas surprenant que l’on prête davantage attention aux préoccupations des pays
développés et à leurs intérêts particuliers qu’à ceux du monde en développement. Il est heureux que nous
nous décidions enfin à alléger un peu
le fardeau écrasant de la dette des pays
les plus pauvres, mais nous n’avons
pas fait grand-chose pour nous assurer que le problème de l’endettement
ne se posera pas de nouveau, et nous
n’avons rien fait du tout pour créer
un mécanisme systématique de
restructuration de la dette. Le fait que
tant de pays se retrouvent avec une
charge ingérable montre que le système lui-même est en cause. Les marchés mondiaux sont d’une extrême
instabilité et, trop souvent, les pauvres
sont ceux qui pâtissent le plus des
fluctuations des taux de change et des
taux d’intérêt. Pourtant, rien n’a été
fait pour résoudre ces problèmes.
L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS
DOIT ÊTRE GÉNÉRALISÉ
De nombreuses solutions ont déjà été
proposées : certaines pourraient être
adoptées immédiatement, d’autres
prendraient des années à mettre en
œuvre, mais elles permettraient un
meilleur fonctionnement de la mondialisation. Si les pays en développement pouvaient contracter des
emprunts libellés dans leur propre
monnaie (ou dans un panier de
devises liées entre elles), ils seraient
moins nombreux à se retrouver lourdement endettés. D’autres réformes
des stratégies de gestion de la dette
permettraient de mieux stabiliser le
système financier international.
Les maladies qui touchent tant
de pays pauvres sont un autre
exemple d’échec de la mondialisation. Le régime international de la
propriété intellectuelle interdit l’accès à des médicaments abordables
CRITIQUE
Un artiste de l’impossible
Pour The Economist, farouche
défenseur du libéralisme, les
thèses de Joseph Stiglitz sont
aussi sympathiques qu’utopistes.
oseph E. Stiglitz croit toujours que
les régisseurs de l’économie
mondiale sont les esclaves intellectuels d’une métaphore du
XVIIe siècle (la “main invisible”) et
des mathématiciens du milieu du
XXe siècle qui ont formalisé la théorie d’Adam Smith selon laquelle les
marchés concurrentiels font coïncider intérêts privés et bien public.
Il a obtenu le prix Nobel en 2001
pour avoir démontré que cette thèse
ne tenait pas vraiment la route. Les
économistes ont salué ses travaux,
estimant qu’ils enrichissent leur
théorie des marchés. Stiglitz pense
J
au contraire que ses recherches
l’invalident en grande partie.
Les économistes doivent beaucoup
de leur aura à des théories abstraites que les non-initiés ne comprennent pas. Et ils jouent cette
carte quand cela leur convient. Stiglitz nous rappelle heureusement
que l’algèbre n’est pas toujours du
même côté de la barricade de la
mondialisation. Mais son dernier
livre ne s’attarde pas longtemps sur
la théorie. Chaque chapitre est
égayé de portraits et d’anecdotes
amusantes. Les drosophiles que
les Américains imaginaient tapies
dans les avocats impor tés du
Mexique illustrent la très réelle
menace protectionniste qui se profile derrière nombre de normes phytosanitaires. Le réchauffement cli-
matique ne représente pas seulement un danger pour la “planète”,
il menace également, de manière
bien plus concrète, le parc national
des Glaciers, dans le Montana.
Mais, si le style est enlevé, les arguments sont un peu mous. Stiglitz
soupçonne les marchés du pire et
les gouvernements du meilleur – à
l’exception du sien, bien entendu [il
est américain]. Trop souvent, il veut
tout et son contraire. Son dégoût
pour le Fonds monétaire international (FMI) le rend méfiant envers
tous les organismes technocratiques, au point qu’il en remet en
question l’indépendance des
banques centrales. Mais, en même
temps, il appelle de ses vœux la
création de tribunaux internationaux
chargés de juger la concurrence
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
62
déloyale en matière fiscale ou les
normes sanitaires. Il prétend que
l’allégement de la dette des pays
les plus pauvres n’est qu’“une
simple question de comptabilité”
puisque, de toute façon, ils ne peuvent pas rembourser. Mais il soutient que le poids du déficit les a
lourdement handicapés.
Malgré toutes les années passées
dans les cercles du pouvoir, il reste
un ar tiste de l’impossible. Selon
l’une des solutions qu’il propose,
chaque pays devrait ouvrir ses marchés à toutes les économies qui
sont à la fois plus petites et plus
pauvres que lui. Et tout pays qui ne
lève pas une taxe sur les émissions
de CO2 pour combattre le réchauffement climatique devrait s’acquitter de droits de douane mis en place
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
par les pays vertueux. Il affirme que
le rôle de monnaie de réserve joué
par le dollar confère aux Etats-Unis
un privilège exorbitant, à savoir la
possibilité d’emprunter à tout-va et
à bon compte auprès du reste du
monde, et que la volonté de l’Asie
d’accumuler les dollars oblige les
Américains à profiter de ce privilège.
Sa proposition de “billets verts mondiaux”, une monnaie de réserve se
substituant aux dollars américains
émise non pas par un pays mais par
un décret international, s’inspire
d’une curieuse idée de l’économiste
John Maynard Keynes [1883-1946],
l’“union internationale de compensation”. Keynes n’a pas pu traduire
son idée dans la réalité. Et ce n’est
pas Stiglitz qui le fera.
The Economist (extraits), Londres
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14:32
Page 63
économie
permettant de sauver des vies, alors
même que l’épidémie de sida ravage
une grande partie du monde en
développement. Les partisans du
système actuel prétendent que c’est
le prix à payer pour encourager la
recherche. Mais, pour ceux qui se
préoccupent de la santé dans les pays
en développement, ce dispositif ne
marche pas. La solution existe : un
fonds, financé par les pays industrialisés, pourrait décerner des prix
à ceux qui trouveraient des remèdes
pour des maladies touchant les
pauvres, four nir des aides à la
recherche et récompenser très fortement la découverte de molécules
impor tantes. Les médicaments
seraient ensuite vendus à prix coûtant aux populations démunies. Cela
serait bien plus efficace et équitable
que le système actuel.
Le cours de la mondialisation
peut être modifié – et il est évident
qu’il le sera. Reste à savoir si le changement nous sera imposé à la suite
d’une crise, ou si nous le maîtriserons. Dans le premier cas, la mondialisation risque de susciter de violentes réactions de rejet ou d’être
réformée n’importe comment, ce qui
provoquera l’apparition de problèmes
supplémentaires. La seconde option
offre la possibilité de faire une autre
mondialisation, qui tiendrait ses promesses d’amélioration du niveau de
vie partout dans le monde.
Joseph Stiglitz
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la vie en boîte
Le changement, c’est épuisant
’autodéveloppement, ça marche
pour les plus for ts. Mais le
monde du travail compte énormément de perdants. Pour beaucoup,
le r ythme rapide, les responsabilités de plus en plus nombreuses,
la nécessité de s’adapter continuellement et l’obligation de collaborer, ça finit par faire trop. Au
point de provoquer des problèmes
psychiques tels que la dépression
ou l’angoisse.
“De plus en plus d’emplois exigent
de passer d’une tâche à l’autre et
de s’adapter constamment. Mais
certains changements dépassent
les limites du suppor table”,
af firme Nicole Rosenberg, psychologue à l’hôpital psychiatrique
d’Århus, au Danemark. “Par
exemple, il est aujourd’hui très difficile pour une femme qui travaille
d’être per fectionniste. Elle peut
s’en sortir si elle est célibataire ;
à la limite, si elle a un petit ami.
Mais, si elle a un enfant, les symptômes se déclarent. Arrive le
deuxième enfant, et c’est la goutte
qui fait déborder le vase. Elle a
maintenant tellement de choses à
faire qu’elle n’arrive plus à se
contrôler.”
Niels Åkerstrøm Andersen, professeur à l’école de commerce de
Copenhague, est très critique visà-vis de l’exigence constante d’autodéveloppement qui règne sur le
marché du travail. “On parle de
développement du moi, mais on
pourrait tout aussi bien parler de
rejet du moi. Actuellement, on nous
demande de rejeter notre savoir et
nos connaissances pour nous préparer à quelque chose de nouveau.
L’expertise classique, l’expérience
et la compétence ne comptent plus
tellement. L’idéal, ce serait l’enfant, celui qui n’a pas encore pris
forme. Les perdants sont les
seniors, ceux qui ont de l’expé-
L
rience, mais aussi les consciencieux”, af firme-t-il. Aujourd’hui,
l’employé se voit déléguer beaucoup plus de responsabilités qu’autrefois. Il doit trouver lui-même ce
qu’il doit faire dans un environnement qui évolue constamment,
sans règles claires ni objectifs à
long terme – si ce n’est qu’il doit
être prêt au changement.
“Auparavant, on pouvait dire qu’on
était stressé par son environnement. Aujourd’hui, il s’agit d’un
stress autogénéré. La solution,
c’est d’apprendre à dire non”,
reprend l’enseignant, qui n’a pas
de recette à donner. “La structure
hiérarchique d’autrefois avait
d’autres inconvénients, et personne ne veut y revenir, reconnaîtil. Peut-être faudrait-il être coaché
à vie, cela nous aiderait à faire
face. Mais ce serait sans doute
une source de stress supplémentaire.”
La psychologue Nicole Rosenberg
conseille de s’aménager des
espaces de détente. Elle a vu des
enseignants sous pression prendre
en charge la bibliothèque scolaire
ou la prévention routière, pour se
créer un espace récréatif. Il faut
toujours se montrer vigilant et
veiller à ce que les problèmes professionnels ne prennent pas le
dessus. “Observez comment vous
réagissez sur votre lieu de travail
et si le stress – normal quand on
change d’emploi – disparaît rapidement. Sinon, il se peut que vous
n’arriviez jamais à vous habituer
aux exigences spécifiques de ce
poste. Si ça dure trop longtemps,
ça peut finir en dépression ou en
angoisse. Il ne faut pas devenir
insomniaque à cause du travail.
Quatre jours par an, d’accord, mais
pas plus”, conclut-elle.
Anne Korsholm, Kristeligt Dagblad
(extraits), Copenhague
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DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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médias D O S S I E R
PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE Q
L’AVENIR DE LA PRESSE
N’EST PAS ÉCRIT
■ Depuis quelques années, la presse quotidienne payante s’enfonce dans
la crise. Une situation à laquelle le succès d’Internet et celui des journaux
gratuits ne sont pas étrangers. Présents dans 41 pays, ces derniers
constituent une menace importante pour les journaux traditionnels,
qui doivent imaginer des solutions pour conserver et conquérir un
lectorat, tout en séduisant les annonceurs. ■ Eléments essentiels dans
la chaîne de production de l’information, les journaux ont leur carte
à jouer pour s’imposer dans ce paysage médiatique en recomposition.
Les quotidiens papier bientôt au musée
THE ECONOMIST (extraits)
Londres
a première chose que voit le visiteur, lorsqu’il arrive au siège du
groupe norvégien Schibsted, à
Oslo, c’est une presse manuelle
de 1856 si brillante qu’on pourrait la
prendre pour une sculpture. Christian Schibsted, le fondateur du
groupe, l’avait achetée pour imprimer
le journal d’une autre entreprise, mais,
quand il a perdu le contrat, il a décidé
de créer son propre quotidien. Bien
que la vieille machine occupe la place
d’honneur, le groupe cherche à
rompre avec son passé d’imprimeur
et à explorer d’autres voies. En 2005,
ses activités sur Internet ont représenté 35 % de ses bénéfices d’exploitation. La stratégie de Schibsted a
consisté à utiliser ses titres les plus
connus pour créer des sites qui se classent aux deux premiers rangs en Scandinavie pour le nombre de visiteurs.
Il a également développé des activités comme Sesam, un moteur de
recherche qui concurrence Google, et
FINN.no, un portail d’annonces classées ; 2005 a été la meilleure année
du groupe sur le plan tant du chiffre
d’affaires que des bénéfices.
Malheureusement, Schibsted est
une exception. Pour la plupart des
entreprises de presse des pays industrialisés, 2005 a été une catastrophe,
car elles continuent à tirer la majeure
partie de leurs revenus des éditions
imprimées, secteur en perte de vitesse.
Comme la recherche d’informations
se fait essentiellement sur Internet et
que les jeunes boudent les journaux,
la diffusion payante décline d’année
en année et les petites annonces, qui
paraissaient jusqu’ici sur les journaux,
migrent rapidement vers le Net.
Même les patrons de presse les plus
confiants admettent désormais qu’ils
ne pourront survivre à long terme que
si, comme Schibsted, ils parviennent
L
à se renouveler sur Internet et dans
de nouveaux supports comme les téléphones cellulaires et les appareils électroniques portables. La plupart ont
été lents à saisir la portée des changements survenus dans leur industrie,
mais aujourd’hui ils déploient des
efforts considérables pour rattraper
le retard. Beaucoup se mettent
notamment à la publicité en ligne, qui
commence à compenser le déclin
enregistré dans les éditions papier. De
la fin des années 1990 à 2002, les
journaux ont commencé à publier en
ligne, mais en se contentant de reproduire leurs éditions imprimées. Ils ont
également commis l’erreur de réserver leurs meilleurs journalistes à la
version papier, si bien que la qualité
des éditions électroniques laissait souvent à désirer. Mais, depuis deux ou
trois ans, ils se montrent beaucoup
plus audacieux, en diffusant notamment des reportages vidéo à côté des
articles conventionnels [voir CI
n° 822, du 3 août 2006]. Un plus
grand nombre d’entre eux traitent en
outre leur site comme une activité
prioritaire. “Auparavant, les patrons
affectaient des journalistes de second ordre
à Internet. Désormais, nous savons que
nous devons utiliser nos meilleurs éléments”, affirme Edward Roussel,
rédacteur en chef en ligne du Daily
Telegraph. Certains patrons rassemblent les journalistes des deux éditions dans la même salle, de façon que
ceux de l’édition imprimée puissent
travailler pour le site et vice-versa.
Mais cette politique ne fait pas l’unanimité. “Je pense que l’on fait fausse
route en ne séparant pas les opérations
en ligne et celles sur papier”, estime
Oscar Bronner, éditeur du quotidien
autrichien Der Standard. Selon lui, les
journalistes de l’édition papier n’ont
pas suffisamment de temps à accorder à la réflexion et à l’analyse lorsqu’on leur demande de travailler également pour le site.
Le danger, pour les entreprises de
presse, est que tous les efforts
déployés sur Internet ne fassent que
ralentir leur déclin. De l’avis de certains consultants de groupes de
presse, les journaux doivent ajuster
leur production. Les enquêtes sur les
goûts des lecteurs montrent depuis
longtemps que le public préfère les
reportages brefs et les informations
qui les touchent de près : les nouvelles
locales, le sport, les divertissements,
la météo et la circulation. Sur Internet, ils cherchent plus particulièrement à améliorer leur mode de vie.
Les longs reportages sur la politique
étrangère les intéressent peu, surtout
depuis qu’Internet leur permet de
parcourir d’un rapide coup d’œil les
titres de l’actualité internationale sur
des sites liés à des moteurs de
recherche.
L’INFORMATION LOCALE,
UN SILLON À CREUSER
Dans ce domaine, les journaux ont
du mal à se distinguer les uns des
autres, en particulier quand ils cherchent à faire des économies en licenciant des journalistes et en recherchant l’information auprès d’agences
comme Reuters. “Nos enquêtes montrent que les lecteurs souhaitent trouver davantage de renseignements pratiques dans les journaux”, indique
Sammy Papert, directeur général de
Belden Associates, une entreprise
spécialisée dans la recherche sur les
journaux américains. Comme ce
constat est peu agréable à entendre
– la plupart des journalistes préfèrent couvrir l’Afghanistan que le
budget des ménages –, les entreprises
de presse tendent à ignorer les
enquêtes qu’elles ont financées. Cependant, certaines commencent à
réagir. Ainsi, Gannett, le plus grand
groupe de presse du monde, s’efforce
de pratiquer un journalisme plus
local en recourant à des mojos, des
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
64
■
A la une
“Qui a tué le
journal ?” C’est en
ces termes que The
Economist pose la
question du déclin
de la presse payante
dans le monde. “S’il
fut un temps où les
journaux pouvaient
demander
des comptes
aux gouvernements
et aux entreprises,
force est de
constater qu’ils
représentent
aujourd’hui une
espèce menacée,
notamment dans les
pays industrialisés”,
constate
l’hebdomadaire
économique. Si
certains estiment
que les quotidiens
pourraient
disparaître
définitivement en
2043, The Economist
se montre
moins pessimiste,
tout en appelant
les journaux
traditionnels
à s’adapter
et à anticiper
les changements
d’habitude
des lecteurs.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
journalistes mobiles implantés dans
les quartiers où se déroule l’actualité
et qui travaillent à l’aide d’ordinateurs portables.
Cependant, le coup le plus dur
porté aux journaux traditionnels a été
le succès foudroyant des quotidiens
gratuits, qui, comme Internet, ont
particulièrement séduit le public
jeune. Selon Metro International, la
société suédoise qui a ouvert la voie
à ce type de publication en 1995, leur
tirage quotidien s’élève aujourd’hui à
quelque 28 millions d’exemplaires
dans le monde. En Europe, ils représentent même 16 % de la diffusion
totale des quotidiens. La proportion
des frais rédactionnels de Metro dans
le montant de ses dépenses est moitié moins importante que pour les
journaux payants. En pratique, cela
signifie qu’un quotidien gratuit distribué à 100 000 exemplaires emploie
une vingtaine de journalistes, alors
qu’à diffusion égale un journal payant
en compte 180.
“Le plus grand ennemi des journaux
payants est le temps”, estime Pelle
Törnberg, directeur général de Metro.
Selon lui, leur seule chance de prospérer est de se spécialiser davantage,
d’augmenter leur prix de vente et d’investir dans de meilleures équipes
rédactionnelles. Selon de nombreux
observateurs, un grand nombre de
journaux traditionnels vont ravaler
leur fierté et publier des quotidiens
gratuits. News International, qui
appartient au groupe de Rupert
Murdoch, vient de montrer l’exemple
en lançant un quotidien gratuit à
Londres (voir p. 65). Au cours des
prochaines années, c’est toute la
presse payante qui va se trouver
confrontée à un choix d’avenir difficile : accepter de transiger sur le principe de “journalisme pur” et d’adopter une politique plus novatrice et
pragmatique, ou risquer de devenir
une belle pièce de musée.
■
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E QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE
i n t e l l i g e n c e s
●
A Londres, une sanglante bataille
a commencé
THE INDEPENDENT (extraits)
Londres
eux cent deux ans ont passé
depuis que la Compagnie des
docks de Londres a engagé
Daniel Asher Alexander pour
dessiner une série d’austères bâtiments en brique réservés au stockage
du rhum, du coton et de médicaments
rares comme la teinture d’iode.
Aujourd’hui, ces entrepôts abritent
Thelondonpaper, première incursion
de Rupert Murdoch sur le marché de
la presse britannique depuis son
acquisition de Today, en 1987, un titre
qu’il a fermé huit ans plus tard.
Le premier numéro de Thelondonpaper a paru le 4 septembre. Ce
lancement marque l’entrée très attendue de News International dans le
secteur des journaux gratuits de la
capitale britannique. Le nouveau titre
s’annonce comme un concurrent
redoutable pour The Evening Standard, le vénérable quotidien du soir,
et pour son propriétaire, Associated
Newspapers, qui a lui-même lancé, le
25 août, son propre gratuit de l’aprèsmidi, London Lite, venu s’ajouter à son
gratuit du matin, Metro, qui est une
belle réussite. Thelondonpaper dispose
d’une équipe de 70 personnes, dont
40 journalistes. Il sera produit à
moindre coût du point de vue rédactionnel. “Nous utilisons très bien la technologie”, assure Clive Milner, le directeur général de News International.
“Les rédacteurs sont polyvalents, ils rédigent et montent eux-mêmes leurs pages,
grâce à une technologie très intuitive.”
Des méthodes que d’autres
journaux, voire d’autres
groupes médias, observeront avec intérêt. “Au
Royaume-Uni, tous les
directeurs de rédaction
ont l’œil rivé sur les
coûts, poursuit-il. Certains de ces coûts sont
incompressibles, notamment ceux des matières
premières, mais il y a des
coûts liés aux effectifs [que
l’on peut réduire]. Tout
dépend de la manière dont
on fait les choses et de la technologie qu’on utilise.”
“Nous avons un mode de fonctionnement complètement différent de
celui des journaux nationaux. Pour cela,
il faut des moyens bien définis. Il ne s’agit
pas, à mesure qu’on a du succès, d’investir de plus en plus sur le travail journalistique, les rachats d’autres titres, etc.
Avec ce modèle, il s’agit uniquement de
produire un journal de qualité, une prise
en main agréable, parce qu’en définitive
nous n’avons qu’une seule source de revenus, qui s’appelle la publicité. Je crois que
parfois les journaux payants ont été perçus comme un peu intransigeants par les
annonceurs. C’est peut-être un problème
lié à leur histoire. Les rédactions et les services commerciaux sont un peu comme
l’Eglise et l’Etat. Chez News International, vous avez sans doute pu le consta-
D
S T R AT É G I E
Trouver la bonne formule
■ Pour les groupes de presse traditionnels, il est désormais indispensable d’expérimenter de nouvelles voies pour éviter de disparaître totalement. Chacun y
va de son innovation, en espérant que
les millions investis permettront à leurs
titres de remonter la pente. “Ce que nous
faisons actuellement, c’est ni plus ni
moins qu’un renouvellement complet de
la notion de journal”, explique avec
emphase Murdoch MacLennan, l’un des
artisans du nouveau système éditorial
du Daily Telegraph, dans les colonnes de
Press Gazette, le magazine des professionnels de la presse britannique. Pour
mettre sur pied un journal plus réactif et
plus près de ses lecteurs, la direction du
quotidien londonien a imaginé la création d’un hub composé d’un centre – la
rédaction en chef et les onze responsables de service – vers lequel les rédacteurs des onze rubriques répartis tout
autour convergeront avec leur copie. Chacun sera responsable de la production
de contenus aussi variés que des articles
écrits, des contenus audio et vidéo. Une
nouvelle méthode qui devrait révolutionner la façon de faire le journal, affirme
la direction.
Cette approche transversale n’est pas
par tagée par tous les patrons de
presse, qui tentent d’autres solutions
pour attirer le chaland. En Autriche, par
exemple, on explore le filon des journaux à bas prix avec le lancement, le
1er septembre, d’Österreich [Autriche],
vendu en kiosque au prix de 50 centimes. Avec ses 64 pages et son format “tabloïd international”, il compte
mordre sur le lectorat du plus grand
tabloïd du pays, la Neue Kronen Zeitung, et du quotidien Kurier. Conscient
du danger (quoiqu’il s’en défende), ce
dernier a modifié sa maquette au
moment de la sortie d’Österreich. Le
nouveau quotidien prétend vouloir miser
sur les jeunes, qui, selon ses fondateurs, sont moins attirés par les titres
à consonance anglaise et feraient en
quelque sorte un “retour au pays”, d’où
son titre : Österreich. La nouveauté du
concept tient au fait que le journal offre
en réalité quatre journaux en un avec
un cahier principal, généraliste et suprarégional, et trois autres cahiers consacrés respectivement à la région, au
mode de vie sur papier glacé et à la
télévision. Tiré à 250 000 exemplaires,
le nouveau journal, qui fait travailler
quelque 150 journalistes, indique avoir
d’ores et déjà engrangé 55 000 abonnements d’essai. Ses confrères ont
plutôt accueilli froidement le “néoquotidien”, comme le qualifie ironiquement l’hebdomadaire viennois Falter. Si les journaux à bas prix font école
dans d’autres pays comme l’Allemagne
ou les Pays-Bas, une autre forme de
Dessin
de Loukiantchenko, Ukraine.
quotidien connaît un certain
succès, le journal électronique diffusé
par Internet et imprimable. Composé
en général de quelques pages à l’instar du Volkskrant 16:00 proposé par le
quotidien néerlandais De Volkskrant, ce
nouveau concept est un compromis qui
permet à ceux qui veulent lire sur papier
d’avoir les dernières informations et un
avant-goût des articles à paraître le lendemain.
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
65
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
■
Nouveauté
Le groupe
Handelsblatt a
lancé, le 7 août, un
gratuit d’un nouveau
genre. Business
News, qui démarre
en format tabloïd,
sur 32 pages,
avec un tirage de
80 000 exemplaires,
est le premier
généraliste
allemand gratuit
à être distribué
exclusivement
dans les entreprises
(Office-Zeitung).
Il est diffusé
dans les grandes
agglomérations
du pays (Hambourg,
Cologne, Düsseldorf,
Berlin, Francfort,
Stuttgart, Munich
et Leipzig). Pour
le groupe de presse
allemand, il a un
impact très positif
sur les annonceurs.
■
Délit
Si vous vivez
en Californie et que
vous souhaitez
prendre quelques
exemplaires
de journaux gratuits
pour les distribuer
à vos collègues,
attention à vous.
Une nouvelle loi
signée
par le gouverneur
Schwarzenegger
considère comme
un délit le fait
de prendre plus
de 25 exemplaires
d’un gratuit,
rapporte le San
Francisco Chronicle.
Le contrevenant
est passible
d’une amende de
250 dollars. En cas
de récidive, il pourra
être condamné
à dix jours de prison
ferme.
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
ter, nous ne nous limitons pas à des
accords publicitaires classiques. Ce que
nous proposons aux annonceurs, c’est plus
de solutions intégrées; ce qui comprend,
outre la publicité, des conférences pour des
produits sur mesure, des communications
sur les lecteurs-cibles, des solutions en
ligne, des microsites. Des offres de ce type
se développent aussi chez nos concurrents.
Cela devient un élément de plus en plus
important de notre travail. Je crois qu’il
est simpliste de dire que les titres payants
ont loupé un épisode ; il y a maintenant
plus de créativité, plus de dynamisme
dans ce qu’on propose aux clients”,
assure Clive Milner.
Il est convaincu que le moment
est bien choisi pour lancer un gratuit
à Londres. Non seulement les investissements y sont en hausse à cause
des Jeux olympiques de 2012, mais le
succès de Metro a révélé une soif de
gratuits chez les jeunes lecteurs. A en
croire Milner, ce phénomène vient
s’ajouter à la baisse des ventes de The
Evening Standard – moins 20 % d’une
année sur l’autre, soit 300 000 exemplaires aujourd’hui. Mais Clive Milner reste prudent. “Nous sommes un
nouvel acteur du marché londonien.
Nous sommes de petite taille – malgré
l’importance de News International –
face à Associated Press, qui a dans son
giron Metro, The Evening Standard
et maintenant London Lite”, affirmet-il. Il peut paraître curieux d’entendre l’un des cadres dirigeants de
Murdoch dire que son entreprise est
malmenée par la concurrence. Cela
ne l’empêche pas d’annoncer aussitôt, l’air très déterminé, que, quelle
que soit l’issue de cette guerre des
gratuits à Londres, l’un des belligérants est battu d’avance. Il s’agit de
The Evening Standard, vieux de
179 ans. “Si j’étais salarié de The Evening Standard, conclut Milner, je chercherais rapidement une porte de sortie.
Les gens qui le vendent ont, eux aussi, du
souci à se faire.Toute l’infrastructure en
place depuis tant d’années, qui a rapporté
tant d’argent, ne va pas tarder à être
démantelée.”
Ian Burrell
BFM et Courrier international
présentent l’émission
”GOOD MORNING WEEKEND”
animée par Fabrice Lundy,
rédacteur en chef de BFM,
et les journalistes
de la rédaction
de Courrier international.
Tous les samedis de 9 heures à 10 heures
et les dimanches de 8 heures à 9 heures
Fréquence parisienne : 96.4
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médias D O S S I E R
PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE Q
Nouvelle expérience dans le laboratoire danois
foler outre mesure. “Ce ne sont pas des
concurrents, affirme-t-il. Nos véritables
concurrents, ce sont les quotidiens
payants.” Pour les observateurs, les
grandes maisons de presse n’ont créé
leurs gratuits que pour se défendre.
Si les Islandais échouent, il est probable que Dato et 24timer disparaîtront rapidement.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG
Munich
orten Nielsen a installé ses
rédacteurs sur un ancien site
militaire, un entrepôt à la périphérie de Copenhague. Le lieu
est tout indiqué, car pour beaucoup
Nielsen vient de déclencher une
guerre au Danemark. Dans l’ancien
entrepôt, on est d’ailleurs d’humeur
belliqueuse. Sur un pilier de l’élégant
espace de bureaux, une feuille de
papier proclame en grosses lettres :
“La bataille sera sanglante.” Morten
Nielsen dirige Nyhedsavisen, un nouveau journal gratuit dont le premier
numéro doit paraître le 6 octobre. La
nouvelle, tombée il y a quelques mois,
a mis en émoi l’ensemble des publications établies. La “guerre des journaux gratuits” va redoubler d’intensité au Danemark.
Nyhedsavisen appartient à la
société 365 Media Scandinavia, une
filiale du groupe islandais Dagsbrun.
Celui-ci publie en Islande le Frettabladid, un journal gratuit qui est distribué dans les boîtes aux lettres pour
le petit déjeuner et dont le succès est
grand. C’est une nouveauté. Jusquelà, les lecteurs européens ne recevaient les gratuits qu’au moment où
ils se rendaient à leur travail, dans
le métro ou dans les zones piétonnes.
Nyhedsavisen sera distribué au Danemark dans les mêmes conditions
qu’en Islande, c’est-à-dire livré à
domicile, du moins dans les agglomérations. Il devrait être tiré à
750 000 exemplaires. Cette offensive
M
LES QUOTIDIENS TRADITIONNELS
FONT ÉVOLUER LEUR FORMAT
Depuis que Metro s’est emparé des
rues, la presse écrite du Danemark
est en pleine mutation. Beaucoup
s’attendent à ce que Nyhedsavisen
accélère encore les choses. Le quotidien Berlingske Tidende, par exemple,
a commencé, il y a quelques années,
à moderniser son concept rédactionnel pour toucher les jeunes lecteurs
et ne cesse de se transformer depuis.
Le 28 août, il a ainsi renoncé à son
grand format pour passer au format
tabloïd. La date avait été fixée alors
que Nyhedsavisen se préparait.
Ce dernier sera en concurrence
avec les grands journaux au niveau
des lecteurs, mais aussi et surtout au
niveau des annonceurs. L’augmenta-
tion soudaine d’offre de supports
imprimés a fait nettement baisser les
tarifs publicitaires au cours des derniers mois. Désormais, la quantité ne
sera plus le seul critère de choix pour
les annonceurs, la qualité entrera en
ligne de compte. Personne ne souhaite payer pour une annonce qui
finit à la poubelle sans avoir été lue.
Nielsen et sa rédaction doivent faire
en sorte que les lecteurs lisent vraiment leur journal. Mais pourquoi les
Danois choisiraient-ils de lire Nyhedsavisen plutôt que les autres quotidiens
qu’ils trouvent dans leur boîte aux
lettres ? Nielsen répond ce que répondent tous ceux qui s’apprêtent à lancer un nouveau titre : “Nous sommes
plus proches des lecteurs.” Certains de
ceux-ci aimeraient cependant un peu
plus de distance. D’ailleurs, l’imprimé
qui a le plus de succès au Danemark
depuis quelques semaines, c’est l’autocollant “Journaux gratuits, non
merci !”, distribué par les associations
de consommateurs et que l’on colle
sur les boîtes aux lettres. Les
5 000 adhésifs ont été épuisés en
quelques jours.
Gunnar Herrmann
CONCURRENCE
Dessin de Mix
& Remix paru dans
L’Hebdo, Lausanne.
sur la table du petit déjeuner, qui était
auparavant la chasse gardée des journaux payants, a déclenché des réactions violentes. Les journaux établis
ont commencé par affirmer que le
système ne tiendrait pas la route sur
le plan logistique, et serait bien trop
cher et non rentable. Puis ils ont euxmêmes démenti leurs propos en lançant sur le marché leur propre gratuit du matin avant le groupe
islandais.
Pour les lecteurs, cette guerre des
journaux signifie une avalanche de
lecture du matin au soir. Depuis
quelques semaines, les habitants des
grandes villes reçoivent dans leur
boîte aux lettres Dato, le gratuit du
groupe Berlingske (Orkla Media), et
24timer, de son concurrent JP-Politiken, auxquels viendra s’ajouter
Nyhedsavisen en octobre. Et le suédois Metro, qui depuis longtemps
distribue gratuitement MetroXpress
le matin dans les villes du Danemark, a lancé le 21 août un nouveau
quotidien gratuit du soir pour
contrer la concurrence. Chez Metro,
il y a désormais bouclage deux fois
par jour : à minuit et à midi. Le
groupe entend faire la différence en
étant à la pointe de l’actualité. Car
c’est là le point faible de Dato et de
24timer. Dans les premiers numéros,
les rédactions, constituées à la hâte,
ne parvenaient même pas à publier
les résultats sportifs de la veille. Mettant l’accent sur l’image au détriment du texte, ces nouveaux journaux se targuent de ne demander
que dix minutes de leur temps aux
lecteurs.
Morten Nielsen, avec son Nyhedsavisen, qui emploie 100 journalistes,
observe ces développements sans s’af-
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
66
En Bulgarie, la guerre n’a pas eu lieu
■ La Bulgarie cristallise actuellement
le duel que se livrent les groupes de
presse allemands pour la domination
des marchés étrangers, provoquant
dans ce pays un semblant de débat
sur la liber té de la presse. Ikonomedia, le petit groupe que Handelsblatt,
le groupe de presse économique de
Düsseldorf, détient pour moitié depuis
2005, souhaitait conquérir de nouveaux lecteurs en lançant des journaux
gratuits. Ceux-ci n’étaient pas encore
sur le marché que le groupe allemand
Westdeusche Allgemeine Zeitung
(WAZ), qui domine le marché bulgare,
passait à la contre-attaque. Sa filiale
bulgare a annoncé qu’elle allait lui
emboîter le pas, l’objectif n’étant pas
de conquérir des parts de marché mais
de “détruire ce type de produits. […]
Dès que ce type de journal ne paraîtra
plus, nous arrêterons de publier le
nôtre.” Le groupe WAZ voulait ainsi
dénoncer le pseudo-journalisme des
gratuits qui, de son point de vue,
menacerait la liberté de la presse. Ikonomedia a donc mis un terme à son
projet. “Nous avons compris que nous
ne pouvions pas gagner sur le marché
dans ces conditions”, a expliqué Bisser Boev, son directeur exécutif.
Le géant WAZ qui joue les sauveurs
de la liber té de la presse dans la
bataille contre le nain Ikonomedia,
voilà qui laisse sceptique. Ses quotidiens 24 Tchassa et Troud, les journaux
les plus lus du pays, sont des feuilles
à scandale. Les personnes cultivées
qui souhaitent analyses et commentaires lisent le quotidien progressiste
Dnewnik et l’hebdomadaire Kapital,
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
tous deux publiés par Ikonomedia. Joachim Weidemann, son rédacteur en
chef associé, qui dirigeait auparavant
l’école de journalisme Georg von Holtzbrinck et qui est aujourd’hui directeur
du groupe Handelsblatt chargé du secteur Europe centrale et orientale, ne
tarit pas d’éloges sur ses collègues bulgares. “Certains d’entre eux pourraient
écrire dans Die Zeit [hebdomadaire de
Hambourg, réputé pour être lu dans l’intelligentsia]”, lance-t-il. Or ces journaux
de haute tenue intellectuelle, qui tirent
à environ 13 000 exemplaires, sont
souvent introuvables dans les kiosques
des quar tiers populaires. Le groupe
WAZ, en revanche, avec un tirage total
de plus de 300 000 exemplaires, est
selon l’organisation de défense des
droits civiques Freedom House en situation de quasi-monopole.
Le style tabloïd relève souvent, dans
la région, d’un choix tactique. L’Etat
reste l’un des principaux annonceurs,
mais un journal ne peut plus se montrer ouver tement favorable au gouvernement sans ennuyer ses lecteurs. Pour ne pas donner non plus
dans la critique vis-à-vis du régime,
on passe au boulevard. WAZ a pourtant raté son coup il y a deux ans en
Roumanie. Les rédacteurs du journal
conser vateur Romania libera sont
entrés en rébellion contre cette orientation donnée à leur journal, qui visait
selon eux à empêcher toute critique
vis-à-vis du gouvernement socialiste
de l’époque. WAZ a par la suite vendu
ses par ts majoritaires à un investisseur roumain.
Kathrin Lauer, Süddeutsche Zeitung, Munich
829p64-67 SA
19/09/06
12:00
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E QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE QUOTIDIENNE DOSSIER PRESSE
i n t e l l i g e n c e s
●
Contrebande d’infos sur le Net
THE NEW ZEALAND LISTENER
Auckland
epuis le début du XXe siècle, les
journalistes font appel à des
agences de presse, des structures
mises en place par les groupes
de médias pour collecter et redistribuer des informations afin que
d’autres journaux, nationaux et étrangers, puissent les utiliser. Chris Paterson, un spécialiste des médias, du
Centre for Media Research de l’université de l’Ulster, à Belfast, analyse
les flux d’information mondiaux
depuis sept ans et juge malsain le
quasi-monopole des agences anglosaxonnes Associated Press (AP) et
Reuters. Ses recherches ont d’abord
porté sur la presse écrite et télévisée
avant de s’intéresser, dans sa dernière
publication, à l’étude de l’info en
ligne. Cela lui a valu de faire des
découvertes préoccupantes.
Il y a une décennie, beaucoup
espéraient que le Net deviendrait un
facteur de démocratisation et qu’il
remédierait ainsi à la “pauvreté de l’information”. Or, les travaux de Chris
Paterson font apparaître que les informations internationales que nous
lisons en ligne sont en fait pour l’essentiel un recyclage d’articles provenant des grandes agences de presse.
Proposer des infos est une stratégie
désormais courante des grands portails comme Yahoo! ou MSN, dont le
but est d’attirer et de fidéliser les utilisateurs. Outre ces géants, la Toile a
vu proliférer des sites qui proposent
des liens vers des informations mises
à jour minute par minute. Mais, à en
croire Chris Paterson, cette expansion
n’est qu’“un tour de passe-passe. On est
dupés par une multiplication de marques
qui proposent en fait les mêmes contenus
éditoriaux.”
Aujourd’hui, l’information en ligne
se caractérise par trois types de fournisseurs de contenus. Le premier groupe est constitué par les médias traditionnels comme la BBC ou le NewYork
Times, qui associent un travail journalistique original et des dépêches
d’agence. En Nouvelle-Zélande, le
New Zealand Herald en ligne relève de
cette catégorie. Le deuxième groupe
D
est formé de producteurs de contenus
éditoriaux originaux “sans intermédiaire”. On pourrait y inclure la New
Zealand Press Association, et, pour le
reste du monde, les sites d’AP et de
Reuters, qui fournissent dépêches et
articles aux consommateurs d’information du monde entier. Le troisième
groupe se compose d’intermédiaires
comme CNN Interactive et MSNBC.
Ceux-ci, du moins en ce qui concerne les infos internationales, reproduisent des articles rédigés par les
agences, avec peu ou pas de travail
d’édition. Ce groupe comprend également des sites “agrégateurs d’infos”
comme Yahoo!, Altavista et Google,
auxquels les agences de presse fournissent le plus gros de l’information,
alors même qu’ils “prétendent faire appel à des sources diverses”, rappelle Chris
Paterson. Google a mis au point des
algorithmes de recherche qui récupèrent, sélectionnent, classent et lient
“4 500 sources d’informations en continu”. Les résultats sont parfois aberrants. “Pour une information de dernière
minute sur la Chine, explique Paterson,
les consommateurs de Google News peuvent se voir proposer des liens vers le quo-
Dessin d’Ares
paru dans Juventud
Rebelde, Cuba.
tidien américain Arizona Republic, le
site de la chaîne de télé KRQE Television
au Nouveau-Mexique ou le quotidien canadien The Calgary Sun. Or ces trois
sites reprennent des articles fournis par
des agences de presse, sans en changer une
ligne.” En utilisant un
logiciel de détection de plagiats, le
chercheur a aussi
cherché à déterminer la part de dépêches d’agence
qu’on retrouve sur les
sites Internet avec peu ou
pas du tout de modifications. En 2001,
68 % des infos internationales provenaient de dépêches d’agence. En 2006,
on est passé à 85 %, et tout porte à
croire que les agrégateurs d’infos reproduisent de plus en plus d’articles
d’agence mot pour mot. En 2006,
seuls quatre groupes de médias, Reuters, AP, la BBC et l’AFP font encore
un travail journalistique international
d’envergure. Un petit nombre, tels
CNN, MSN, le New York Times et le
quotidien britannique The Guardian,
en font un peu, mais la plupart s’en
dispensent totalement. Résultat, pour
l’information internationale, on pourrait se contenter d’aller sur le site des
agences de presse, mais on n’aurait
qu’une vision très étroite de ce qui
se passe dans le monde. Les agences
de presse doivent satisfaire les rédac-
Tous les samedis
retrouvez José-Manuel Lamarque,
et Gian Paolo Accardo, de Courrier international,
dans TRANSEUROPÉENNE
à 19 h 32 sur France Inter.
Un rendez-vous citoyen et solidaire pour mieux comprendre le quotidien des 25
Etats membres.
Samedi 23 septembre
Samedi 30 septembre
Ecole libre ou écoles
publiques ?
L’avenir ds retraites et
des retraités en Europe
A l’heure où les écoles libres
ont le vent en poupe en France
et en Allemagne, qu’en est-il
chez nos voisins européens ?
Que seront les retraites des
européens alors que la planète
se mondialise et que les règles
économiques se transforment
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
67
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
teurs du monde entier, d’où leur style fade qui donne l’apparence de l’objectivité et de la neutralité. Mais des
visions du monde marquées par l’idéologie filtrent inévitablement dans la
couverture des événements. Même le
simple fait de choisir de couvrir tel ou
tel événement tend à renforcer le statu quo.Tout ce qui tend à remettre en
question les acteurs politiques dominants sur la scène internationale
(Etats-Unis et Royaume-Uni aux yeux
des agences) ne trouve guère grâce à
leurs yeux.
Mais est-ce si grave, après tout ?
Avec l’essor de la blogosphère, la
télévision, les agences de presse et
les journaux traditionnels sont de
plus en plus dépassés. On est entré
dans l’ère du “chaos culturel”, pour
reprendre la for mule de Br ian
McNair, de la Glasgow Media Unit.
Cela étant, Chris Paterson estime que
ceux qu’il appelle les “anarcho-cyberjournalistes” ne devraient pas encore
sabler le champagne. “Les études montrent que, malgré le déluge d’informations disponibles en ligne, les anciens
médias restent les principaux fournisseurs de la plupart des articles qui circulent sur le monde. Et, pour la majorité
des utilisateurs, Internet est un média de
masse qui apporte une interactivité illusoire et une pseudo-diversité”, conclut
l’universitaire britannique.
Mic Dover
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écologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Au Brésil, l’ennemi numéro un s’appelle “soja”
DÉFORESTATION La culture intensive
■
de cet oléagineux progresse à toute
allure en Amazonie. Elle est menée
par des entreprises et des hommes
aux méthodes de gangsters.
LA VANGUARDIA
Barcelone
Antonio Ribeiro/Gamma
grande échelle ont causé d’énormes
dégâts dans la région du fleuve Araguaia, au Mato Grosso. “Les multinationales, encouragées par l’obsession exportatrice du gouvernement Lula, détruisent
l’une des forêts les plus riches du monde
ainsi que les cultures et modes de vie de
peuples entiers”, s’indigne Raúl Vico.
C’est désormais un paysage désolé
qui entoure la paisible ville de Santarém.Terres desséchées, troncs abattus
et steppes arides creusées par les sillons
caractéristiques des cultures de soja.
“Depuis l’ouverture du port, la déforestation a augmenté de 51 %. Avant, on
devait lutter contre les exploitants de bois.
Maintenant, c’est le soja qui dévore
l’Amazonie”, déplore Cayetano Scannavino, de l’ONG locale Santé et bonheur. Le soja est arrivé à Santarém de
l’Etat du Mato Grosso, au sud. Ce dernier détient le record de la déforestation amazonienne et son gouverneur,
Blário Borges Maggi, est également
l’un des plus grands producteurs de
soja au monde. Son entreprise,
Amaggi, possède 50 000 hectares de
soja. D’ailleurs, Borges soutient publiquement le déplacement de la frontière
agricole vers le nord de l’Amazonie. A
tel point qu’il a été jusqu’à proposer
de goudronner le tronçon final de la
route qui mène de Cuiabá à Santarém,
alors que celui-ci se trouve dans un
autre Etat, celui de Pará. Le coopérant
catalan Raúl Vico, de l’ONG Ansa,
affirme que les cultures de soja à
LA MAFIA DES NOTAIRES
FALSIFIE LES TEXTES
OCÉAN
ATLANTIQUE
Santarem
AMAPÁ
RORAIMA
Brasília
Macapá
PARÁ
M
a
30
BR 2
a
Parc National
Tapajós
X i ng u
AMAZONAS
ir
de
Belém
Santarém
Altamira
Tocantins
A
Manaus
zo n e
ma
Maraba
São Luís
MARANHÃO
Araguaína
Araguaína
Pur us
PARÁ
jós
Porto Velho
Rio Branco
Palmas
ACRE
TOCANTINS
RONDÔNIA
MATO
La végétation naturelle
Forêt
Savane
La déforestation
Zones déboisées
Cuiabá
Routes
Axes de pénétration du soja
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
GROSSO
Brasília
0
68
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
500 km
Sources : “Atlas du Brésil” (éd. CNRS-Libergéo-La Documentation française), M@ppemonde <mappemonde.mgm.fr>, <deforestation-amazonie.org>
La BR 163 est devenue une zone de
non-droit. Des centaines de milliers
de personnes occupent illégalement
des terrains publics de chaque côté
de la route. La mafia des notaires falsifie des titres de propriété qu’elle
vend ensuite comme s’ils étaient
valables dans le monde entier. Même
des multinationales comme le groupe
américain Wood Resources sont installées sur des terrains avec de faux
titres de propriété. C’est ce qui permet au soja de gagner du terrain.
Pour couronner le tout, depuis
que le gouvernement Lula a légalisé la
culture de soja transgénique, les paysans sont tombés entre les mains d’entreprises comme Monsanto, BASF ou
BR 153
Enquête
“La vérité choquante
sur le soja”, tel
est le titre d’une
grande enquête
du Guardian.
Selon le quotidien
britannique, le soja
serait présent dans
près de 60 %
des produits
alimentaires
transformés. Farine
de soja, concentré
de protéines,
protéine végétale
de texture, huile
végétale, stérols
végétaux, lécithine,
émulsifiants :
tous ces termes
peuvent dissimuler
l’utilisation de soja,
dont les propriétés
multiples
intéressent
au plus haut point
l’industrie
agroalimentaire.
Mais ce risque
de ne pas être sans
conséquence :
le soja pourrait
perturber
le métabolisme
hormonal des
animaux – voire
des hommes –
et d’induire
des malformations
sexuelles. Même
si ce dernier point
reste controversé,
l’agence alimentaire
britannique
a recommandé
que le soja ne soit
donné aux enfants
de moins
de 12 mois qu’en
des “circonstances
exceptionnelles”.
BR 158
■
BR 163
L
Les plantations
de soja s’étendent
souvent sur plusieurs
milliers d’hectares
d’un seul tenant.
a
Tap
’Amazonie a un grand ennemi.
D’apparence inoffensive, minuscule et presque invisible. Il s’agit
d’une plante à la taille bien timide
pour un habitat forestier. Une plante
qui produit de petites graines. Riche
en protéines, elle est utilisée pour la
fabrication d’huile, de beurre et
autres produits alimentaires, mais
avant tout pour la production d’aliments composés destinés aux animaux. Elle s’appelle Glycine max, plus
connue sous le nom de soja. Elle est
récemment devenue le principal responsable de la déforestation de
l’Amazonie.Tandis que ces dernières
années 70 000 km2 de forêt ont été
détruits, le soja s’est répandu au
rythme vertigineux de 1 million
d’hectares par an [soit 10 000 km2].
D’après l’Institut de recherches
appliquées [IPEA, organisme dépendant du ministère de l’Urbanisme brésilien], entre 2001 et 2004, la superficie des cultures de soja dans la partie
brésilienne de la forêt a augmenté de
13,5 %. Le Brésil compte déjà 23 millions d’hectares de surfaces cultivées.
Avec une récolte annuelle de 50 millions de tonnes, le pays est devenu
le premier producteur mondial.
Ce thriller amazonien qui mêle
déforestation, destruction et déplacements de familles a connu un nouveau
rebondissement, il y a trois ans, quand
le géant américain Cargill a inauguré
un port privé à Santarém, une ville
située sur le cours moyen de l’Amazone. L’installation portuaire, qui a pris
la place d’une plage autrefois utilisée
par des pêcheurs, a été construite sans
que les études d’impact écologique exigées par le ministère de l’Environnement aient été réalisées. C’est évidemment illégal, mais un bataillon de
vigiles employés par Cargill surveille
les quais grouillant d’activité. De mars
2005 à février 2006, Cargill a exporté
plus de 220 000 tonnes de soja de Santarém à Liverpool, ce qui représente
plus de 30 % des importations britanniques de soja. En mai 2006,
Greenpeace a mis en place une campagne visant à dénoncer la face cachée
du commerce du soja. A Santarém,
l’Arctic Sunrise de l’organisation écologiste a été accueilli brutalement par
les représentants de la société productrice de soja. La police fédérale a
même fini par arrêter douze de ses militants. “Les entreprises comme Cargill sont
en train de dévaster l’Amazonie pour cultiver le soja. La viande des bêtes nourries avec ce soja finit sur les rayons des
supermarchés et des fast-foods d’Europe
et d’ailleurs”, dénonce Paulo Adario,
responsable de la campagne de Greenpeace en Amazonie.
Syngenta. Ces sociétés offrent des
conditions avantageuses lors des premières récoltes, mais en échange d’un
fort pourcentage sur les bénéfices et
d’une dépendance à vie envers les
semences génétiquement modifiées.
Cargill propose même aux agriculteurs
un service de prêt de buldozer pour
déforester facilement. Et, puisque les
banques brésiliennes ne peuvent accorder de prêts qu’aux propriétaires, Cargill offre un système de prêt avantageux aux petits paysans. La pression
de cette culture est telle que le soja a
même envahi le parc national de Tapajós, près de Santarém.
Le photographe Ricardo Beliel
était à bord de l’Arctic Sunrise lors de
son action à Santarém. Il a été frappé
et menacé par les sbires de Cargill.
Ses photos prises d’avion montrent
des terrains dévastés et d’immenses
champs de soja en plein milieu de la
forêt. “Ils ne détruisent pas seulement la
biodiversité amazonienne, ils provoquent
aussi la migration des populations
locales, qui sont obligées d’abandonner
leurs terres, pour s’entasser dans les premiers bidonvilles de Santarém ou d’Altamira”, explique le photographe.
L’industrie du soja, malgré ce qu’affirment les entreprises et les autorités, ne crée pas d’emplois. Le traitement est essentiellement mécanisé.
De plus, la culture du soja transgénique utilise une grande quantité
d’herbicides. Ce n’est pas pour rien
que le Brésil est le troisième consommateur mondial de ces produits. Selon
l’Agence nationale de surveillance
sanitaire, la culture de soja absorbe
50 % des herbicides, ce qui représente
un total de 4,5 milliards de dollars
[3,5 milliards d’euros] par an.
La campagne internationale et le
rapport accusateur de Greenpeace,
intitulé Eating Up the Amazone
[L’Amazonie dévorée], ont donné
leurs premiers résultats. Face à la
réaction des consommateurs, des
entreprises comme Cargill, la société
française Louis Dreyfus Négoce [un
des leaders mondiaux du commerce
des céréales] et même le groupe brésilien Amaggi ont entrepris des négociations avec les écologistes. Le
24 juillet, ils ont signé une déclaration d’intention avec l’Association
brésilienne de l’industrie des huiles
végétales et l’Association nationale
des exportateurs de céréales, en vertu
de laquelle ils s’engagent, à partir
d’octobre, à ne pas commercialiser le
soja planté dans les zones déboisées.
Cette déclaration prévoit également
la création d’un groupe de travail
chargé d’instaurer une garantie d’origine du soja (provenant de zones non
déboisées). Le groupe sera constitué
d’entreprises, d’ONG et d’autorités
des échelons local et national. Le
directeur général de Greenpeace Brésil, Frank Guggenheim, s’est déclaré
satisfait, mais reste prudent, rappelant que “c’est un pas en avant important, mais nous allons continuer à faire
pression en faveur de mesures plus efficaces pour protéger l’avenir de l’Amazonie et des peuples qui y vivent”.
Bernardo Gutiérrez
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voya ge
●
UN HAUT LIEU DU SOCIALISME RÉEL
“Il faudrait lancer une bombe atomique sur
ce monstre social et architectural”, avait dit
un conseiller municipal de Cracovie.
Aujourd’hui, les charmes rétro du
quartier attirent artistes et touristes.
GAZETA WYBORCZA
Varsovie
endant l’été, un groupe d’Australiens sillonne
le quartier de Nowa Huta en Trabant. Ils visitent des cités où habitent des milliers de personnes, s’arrêtent devant le combinat métallurgique (qui portait jadis le nom de Lénine), se
prennent en photo devant des immeubles construits
dans le style néo-Renaissance. De retour chez eux,
ils envoient des e-mails à leurs nouveaux copains
polonais. “Cracovie, écrit Mike, c’est de la merde !
Nowa Huta est trop cool !” Ce que confirme Pete :
“C’est comme un Machu Picchu contemporain !”
Cracovie n’a jamais cherché à faire la promotion du quartier de Nowa Huta [littéralement
“Aciérie nouvelle”], préférant mettre en avant les
restaurants branchés du quartier juif de Kazimierz,
les clubs qui ont fait la réputation de sa vie nocturne, ses musées, son château royal du Wawel et
la Grand-Place du marché…
Nowa Huta a été découvert il y a peu de temps,
par les artistes tout d’abord, qui ont investi les lieux
en apportant dans leurs valises des projets sociaux
qui allaient prendre forme avec la participation des
habitants. Les sociologues étrangers accordent eux
aussi un intérêt particulier à ce quartier cracovien.
Ils étudient son potentiel social, et l’Union européenne s’apprête à financer des projets de “revitalisation de l’espace postindustriel”.
“Je pense que si Nowa Huta est à la mode, c’est
un peu par contraste avec Cracovie”, dit Bartosz Szydlowski, directeur du théâtre Nowa Laznia [Nou-
P
Adam Golec/Agencja Gazeta
Michal organise
des visites guidées
en Trabant, la voiture
symbole des années
socialistes.
veaux bains], un transfuge de Kazimierz installé
depuis un an à Nowa Huta. “Cracovie est connue
pour abriter tout un milieu artistique et intellectuel,
où l’on débat de grandes idées en sirotant de la vodka
cigarette au bec… Cette Cracovie-là commence à devenir ennuyeuse, poursuit-il. En revanche, Nowa Huta,
c’est la fraîcheur, l’espace et le contact direct avec la
réalité, et non toute cette daube artistique.”
Le conseiller municipal qui avait publiquement
suggéré, il y a quelques années, que l’on lance une
bombe atomique sur Nowa Huta pour faire place
nette doit maintenant être en état de choc : la mairie vient de déposer un dossier auprès de
l’UNESCO pour que la partie la plus ancienne du
quartier soit inscrite sur la liste des sites et monuments du Patrimoine mondial de l’humanité. Cela
a d’ailleurs soulevé un vent d’indignation à Cracovie. Selon un architecte de renom, l’architecture
de Nowa Huta n’a d’“exceptionnel” que la présence
de postes de tir pour armes automatiques derrière
les attiques de certains immeubles…
Pour de nombreux autres architectes, Nowa
Huta représente tout simplement un trésor
d’architecture éclectique. Le quartier a été conçu
sur un plan en étoile imitant celui de la Rome
baroque. Et de nombreuses façades de bâtiments
ont copié leur ornementation sur des monuments
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
70
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
célèbres. Il suffit par exemple d’observer comment sont agencés certains immeubles pour se
rendre compte qu’ils renvoient à l’architecture
de la Grand-Place de Cracovie.
Il y a un tas de stéréotypes et de préjugés sur
Nowa Huta. Il est vrai que la construction du nouveau quartier a été intimement liée à celle du
combinat métallurgique – “un acte criminel en soi,
qui menaçait et menace toujours la santé des habitants” –, et que Nowa Huta a été “conçue comme
une muselière destinée à faire taire la Cracovie des intellectuels”. On a aussi souligné qu’en construisant la
nouvelle ville ouvrière on a détruit un village et ses
terres fertiles. Il n’en est pas moins vrai que le plan
urbanistique de Nowa Huta est unique. Ce sont
les spécialistes qui le disent. La partie ancienne de
la ville, datant des années 1950, est désormais protégée de toute transformation intempestive. Nowa
Huta est le seul endroit de Pologne où l’on est
obligé, pour repeindre les bâtiments, d’utiliser les
couleurs d’origine. Et l’on dit de plus en plus que
c’est un lieu élégant. Un peu abandonné, certes,
mais ayant un “grand potentiel esthétique”.
Quand le théâtre de Nowa Laznia a déménagé
à Nowa Huta, le milieu du spectacle a prédit sa fin,
dans ce quartier où le public est si peu attiré par
le théâtre. Mais Szydlowski a su trouver une formule adéquate : il y réalise surtout des projets à
vocation sociale. Dans le cadre du projet “J’habite
ici”, des habitants de Nowa Huta ont apporté des
objets du quotidien pour raconter leur propre histoire. Il y a donc eu une radio achetée avec la première paie au combinat, un pot de fougères typique
pour un bloc d’habitations de Nowa Huta, une
lampe en fer coulée au temps du combinat
Lénine… Les metteurs en scène ont créé des spectacles à partir des récits des habitants. L’un d’eux,
l’écrivain Slawomir Shuty [pseudonyme signifiant
“Celui qui vient de l’aciérie”], est considéré
comme la personne qui a mis le quartier à la mode.
“Nowa Huta ne sera jamais une galerie d’art. L’art
et la réalité vont toujours s’y entremêler. Les artistes
sont fascinés par l’histoire et le destin de ses habitants,
liés à jamais”, explique Szydlowski. Il y a quatre
De gauche à droite : Maciej Zienkiewicz/Agencja Gazeta - Tomasz Xiech/Agencja Gazeta - Serge Attal/REA
Nowa Huta, son aciérie, s
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carnet de route
Y ALLER ■ Les compagnies Lot et Air France assurent des vols quotidiens entre Paris et Cracovie.
On peut aussi voyager (moins cher) sur les lignes
des compagnies à bas coût Sky Europe, qui dessert Orly (www.sky-europe.com), ou Wizz Air, qui
dessert Beauvais (www.sky-europe.com). Une
fois à Cracovie, on se déplace en tramway, en
taxi ou en bus.
SE LOGER ■ L’Hôtel J & B offre une vue imprenable sur le combinat métallurgique. Les balcons sont vitrés, ce qui permet d’échapper au
bruit de fond des aciéries, qui se trouvent à
proximité. Une chambre pour deux personnes,
petit déjeuner inclus, coûte 55 euros la nuit
(http://www.hoteljb.com.pl).
SE RESTAURER ■ Le restaurant Stylowa vient
de fêter ses 50 ans. A l’époque de son inauguration, on encourageait les stakhanovistes
à consommer du café et des liqueurs sucrées
de manière “digne et civilisée”. Aujourd’hui,
c’est une cuisine internationale que l’on sert
– escalope à la viennoise et bifteck argentin,
entre autres –, mais le chef assure que la tradition de l’ancienne Pologne est toujours palpable. Entre les plats, on peut admirer le
décor, tout en marbre.
De gauche à droite : Maciej Zienkiewicz/Agencja Gazeta - Tomasz Xiech/Agencja Gazeta - Serge Attal/REA
ses lieux branchés
Le centre
administratif,
surnommé “Palais
des Doges”.
culturel. “Ces gens n’ont jamais eu honte d’être originaires d’ici. Ils n’ont jamais eu l’impression de se faire
avoir, comme c’est le cas de la génération de leurs
grands-parents, à qui le régime a promis un avenir
radieux en faisant d’eux un symbole de propagande.”
La ville a en préparation des centaines de projets financés par la mairie ou des fonds privés. Une
BD consacrée à Nowa Huta existe déjà, ainsi
qu’une radio et une télé sur la Toile, des dizaines
de pages Internet consacrées à la ville et à ses différents quartiers, un panorama de tous les films
qui y sont consacrés… Deux fois par mois, une
chronique filmée sur la ville est même projetée au
cinéma Sfinks de Cracovie – une initiative inédite
en Pologne. “Même si les habitants ne sont pas trop
branchés cinéma, ils y vont pour se voir à l’écran”,
raconte le metteur en scène Jerzy Ridan.
Que faire de Nowa Huta ? Le quartier est
aujourd’hui l’objet d’un véritable engouement, qui
ne pourra que grandir, selon les observateurs. Pour
l’ancien dissident Stanislaw Handzlik, il est essentiel “que les autorités ne s’immiscent pas dans ses
affaires. Si l’on compare Nowa Huta à Kazimierz, ce
sont deux mondes. A Huta, les habitants s’identifient
à leur quartier.A Kazimierz, il n’y a presque plus d’habitants ; il n’y a plus que des restos…”
Renata Radlowska et Katarzyna Bik
La Grand-
Place, parfaite pour
faire du vélo.
L’entrée de
l’usine sidérurgique
Sendzimir,
anciennement
Lénine.
Ce tumulus de
l’époque celtique
serait, selon la
légende, la tombe de
la princesse Wanda.
0
1
2 km
RAKOWICE
NOWA HUTA
OLSZA
Avenue Je
an-Pau
C R AC OV I E
Grand-Place du marché
l II
DABIE
GRZEGÓRZKI
S TA R E M I A S TO
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Baltiq
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Château royal du Wawel
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KAZIMIERZ
52°N
COURRIER INTERNATIONAL N° 829
71
niques médiévales, qu’on tire le nom de ce lieudit, puisque Mogila veut dire “tombeau” en polonais. Pas loin du combinat métallurgique, on
voit le ter tre de Wanda, datant du VIIIe siècle
av. J.-C., qui faisait peut-être partie, avec un
autre tertre, celui de Krak, d’un observatoire
astronomique celte. Ils n’ont pas encore été systématiquement fouillés par les archéologues.
L’église de Notre-Dame-Reine-de-Pologne,
construite en forme de barque renversée, a été
consacrée en 1977 par le cardinal Karol Wojtyla,
le futur pape Jean-Paul II, qui était à l’époque
archevêque de Cracovie.
Le combinat métallurgique (qui portait jadis le
nom de Lénine) est la seule aciérie en Europe
ouverte aux visiteurs. Une escapade en Trabant
(renseignements sur <www.crazyguides.com>)
permet de découvrir le passé communiste de
Nowa Huta et son caractère architectural éclectique : un plan baroque, d’imposants immeubles
d’habitation, des édifices publics, de larges
allées imaginées par les architectes pour les
défilés, et de nombreux espaces verts.
Varsovie
POLOGNE
Cracovie
Source : “Atlas Samochodowy” (éd. Copernicus)
de Mogila, le quartier cracovien de Nowa Huta
(“Aciérie nouvelle”) a été conçu dans les
années 1950 comme une cité d’habitations
ouvrières “idéale”, dans le pur style du réalisme
socialiste. Unique en son genre, elle offre un
étonnant mélange de styles néo-Renaissance et
classiques. A proximité se trouve une abbaye
cistercienne, fondée au XIIIe siècle (les fresques
datent du XIVe). Selon la légende, l’abbaye a été
construite à l’endroit même où la princesse
Wanda, devenue orpheline, s’est jetée dans la
Vistule pour ne pas épouser un prince allemand.
C’est de cette histoire, transmise dans les chro-
Marivsz Makowski/Agencja GAzeta
ans, Anna Maria Potocka, la directrice de la galerie Bunkier Sztuki [Bunker des arts], a proposé
un projet intitulé “Monuments de Nowa Huta”.
“Il s’agit de créer une collection de sculptures contemporaines située dans l’espace public, afin de reconstruire et de renforcer les liens sociaux et d’impliquer les
habitants dans le projet”, explique-t-elle.
A l’époque communiste, plusieurs monuments
ont été érigés, en même temps qu’avançait la
construction du quartier. Aujourd’hui, la plupart
d’entre eux ne sont plus visibles, envahis par la
broussaille. Depuis un an, Nowa Huta a son musée.
Dans un petit immeuble de la cité du Soleil, on
a réuni des milliers de photographies prises à
l’époque de la construction. Il y a aussi des plans
d’architectes et les souvenirs de ceux qui y ont participé. Récemment, on y a exposé des projets jamais
réalisés, comme celui de la mairie ou de l’hôtel, qui
devait faire onze étages.
Mais le quartier attend toujours son musée
du communisme. Krystyna Zachwatowicz [comédienne et scénographe, épouse du cinéaste Andrzej
Wajda] et l’association Socland ont cherché, il y
a déjà quelques années, un site pour accueillir un
tel musée. En vain. Les habitants de Nowa Huta
ont protesté : nous ne voulons pas devenir un parc
d’attractions reflétant une époque révolue, nous
préférons montrer ce qui se passe ici aujourd’hui,
disaient-ils alors en substance. A présent, le projet du musée du communisme ne suscite plus
autant de controverses.
L’Institut culturel de la région de Cracovie a
conçu un projet artistique visible depuis peu sur
Internet (nowa_huta.rtf). Des affiches faisant la
promotion de Nowa Huta seront réalisées par les
enseignants et les étudiants de l’école des beauxarts de Cracovie. Quand on leur a posé la question
sur les symboles qu’ils comptaient mettre en avant,
ils ont répondu : la verdure, les cheminées du
combinat métallurgique, une belle architecture
et le patriotisme local de ses habitants.
“L’engouement pour Nowa Huta est le fait d’une
génération qui n’est plus stigmatisée par l’époque communiste”, explique Anna Miodynska, de l’Institut
À VOIR ■ Construit à l’emplacement du village
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20°E
DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
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l e l i v re
épices & saveurs
●
L’ENFER DE SARTRE REVISITÉ
Seul au monde
Se réveiller un matin dans une Vienne
sans âme qui vive, une Autriche déserte
et une Europe dépeuplée… Sous la plume
de Thomas Glavinic, cette expérience
épouvantable devient palpitante.
ÉTATS-UNIS Agapes
■
en orbite
S
DER SPIEGEL (extraits)
Hambourg
U
■
Biographie
Thomas Glavinic
est né à Graz,
en Autriche,
en 1972. Depuis
l’âge de 19 ans,
il se consacre à
l’écriture – romans,
essais, récits tout
autant que pièces
radiophoniques
et reportages.
En 1998, il fait des
débuts remarqués
en littérature
avec son roman
Partie remise
(Pauvert, 2001),
qui traite de l’esprit
de compétition par
le biais de l’histoire
d’un joueur
d’échecs génial
mais compatissant
envers ses
adversaires, dans
la Vienne de 1900.
Puis avec Herr Susi
(2000), qui dépeint
l’ascension
et la chute
d’un président
de club de football,
et le burlesque
Wie man leben soll
(2004), il déploie
tout son art du récit
sous des formes
radicalement
novatrices.
Le Tueur à la caméra
(Le Passeur, 2005),
sulfureuse histoire
d’infanticide
adaptée au théâtre
en 2005, lui a valu
le prix Glauser,
l’un des deux grands
prix allemands
décernés
aux auteurs
de romans policiers.
Wolfgang Wesener/Focus/Cosmos
n homme se réveille et s’aperçoit que tous
les autres humains ont disparu : dans sa
maison, dans la rue, dans la ville, oui, ça
ne fait pas de doute – car la radio, la télé
et Internet restent muets – et c’est pareil ailleurs,
dans tout le pays, peut-être dans le monde entier.
D’abord, il refuse d’y croire, et puis il lui faut bien
se rendre à l’évidence : quelque chose s’est passé
pendant qu’il dormait et, pour une raison inconnue, il est le seul à être encore là.
Cette situation que chacun a pu vivre en cauchemar ou souhaiter en rêve, Thomas Glavinic
l’explore de bout en bout dans son roman Die
Arbeit der Nacht* [Le travail de la nuit]. Jonas,
le protagoniste, commence par errer dans Vienne
avant d’explorer la province autrichienne et les
villes frontalières allemandes. Puis il entreprend
de traverser l’Europe désertée et se fixe pour
objectif le nord de l’Angleterre, où il espère retrouver la trace de sa femme disparue.
Glavinic réussit quasiment l’impossible : à partir de cette situation simple, il nous propose un
roman dont la force et le suspense nous tiennent
en haleine tout au long de ses 400 pages. Car les
choses ne sont bien sûr pas aussi simples qu’elles
en ont l’air. Dans ce monde dépeuplé, Jonas trouve
sans arrêt de nouvelles informations qui semblent
avoir été disséminées exprès pour lui. Et, même si
Glavinic ne tombe jamais dans la facilité pour
expliquer ce mystère, une lecture attentive permet
de repérer des indices ambigus qui, à bien des
égards, donnent la chair de poule.
Mais il s’agit avant tout d’un livre qui dépeint
avec brio la peur et ses multiples déclinaisons. Au
début, rien ne fait plus peur à Jonas que de savoir
qu’il est parfaitement seul. Mais, rapidement, dès
qu’il s’est habitué à sa situation, son état d’esprit
change complètement. L’idée que quelqu’un surgisse soudain et qu’il ne soit pas aussi seul qu’il
en a l’air semble bien plus effrayante à ses yeux
et à ceux du lecteur.
Jonas s’essaie à la caméra : il se filme en train
de dormir, filme les rues désertes, enregistre le
silence des pièces vides. Et c’est là que Glavinic
atteint le sommet de son art, qu’il réussit des
scènes d’épouvante aussi subtiles que celles des
films de David Lynch. Car non seulement quelque
chose (ou est-ce une illusion ?) semble se mouvoir dans les rues de Vienne, non seulement les
voix audibles sur les cassettes ne sont peut-être
pas le fruit de son imagination, non seulement les
cris ne sont pas forcément dus à un problème
technique, non seulement un animal surgit de
plus en plus souvent dans ses rêves. Mais, de surcroît, sur les vidéos filmées pendant son sommeil,
Jonas se voit fixer la caméra les yeux grands
ouverts. Il se voit se lever et marcher à travers
la chambre et s’entend prononcer des phrases
incompréhensibles. Mais il n’en a pas le moindre
souvenir et il comprend peu à peu que l’enfer, ce
n’est pas les autres (comme l’affirmait Sartre),
mais précisément leur absence et que la pire des
trahisons est de se trahir soi-même.
Alors que les actes destructeurs du “dormeur”
pèsent de plus en plus lourd sur ses journées, il
comprend qu’il doit agir. Il part à la recherche de
sa femme qui, le jour où tout s’est arrêté, était en
visite dans sa famille, outre-Manche.
Ce livre, à la fois palpitant roman d’épouvante
et œuvre littéraire complexe, n’est pas qu’un événement de cette rentrée. Die Arbeit der Nacht est,
en fin de compte, un roman philosophique qui
pose, sous des angles chaque fois différents, la
question de l’absence. Celle des autres humains,
celle des témoins et celle d’un dieu tout-puissant.
Glavinic fait de son Jonas – la référence au Jonas
de la Bible avalé par la baleine n’est pas due au
hasard – quelque chose de paradoxal : il fait de
lui le témoin d’un monde que personne ne voit,
un monde foncièrement abandonné de Dieu.
Et ce qu’il voit dans ce monde atteint peu à peu
un degré d’épouvante qui se rencontre rarement
dans la littérature contemporaine.
Pourtant, c’est aussi un roman sur la nostalgie et la séparation. Il ne se passe pas un instant
sans que Jonas pense à sa femme disparue.
L’image du grand amour (disons les choses telles
qu’elles sont) naît de la mosaïque de ses souvenirs et semble venir d’un autre monde et d’une
autre réalité. Il n’y a donc aucune raison de supposer que le couple se reverra un jour.
Le lecteur comprend vite qu’il ne peut espérer une fin heureuse. Mais Glavinic réussit une
fois de plus à créer la surprise. Et tout se passe
comme si le lecteur avait toujours attendu ce
dénouement-là.
Daniel Kehlmann**
* Ed. Hanser, Munich, 2006. Pas encore traduit en français.
** Romancier, auteur des Arpenteurs du monde, à paraître
début 2007 chez Actes Sud (voir CI n° 798, du 16 février
2006).
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DU 21 AU 28 SEPTEMBRE 2006
ur les quelque 400 personnes qui ont voyagé
dans l’espace depuis 1961, celles qui ont
le mieux mangé sont assurément les habitants
de la Station spatiale internationale, affirme
Vickie Kloeris, qui travaille pour le programme
spatial d’alimentation depuis vingt et un ans.
“Il y a de plus en plus de variété. La plupart des
astronautes sont amateurs de steak-frites, mais
nous leur proposons aussi de la cuisine exotique”, explique-t-elle.
Dans l’espace, le sens de l’odorat est atténué.
En apesanteur, les voies nasales se bouchent.
L’air ambiant, filtré et recyclé, a un drôle d’effet
sur les odeurs. Manger à même les conserves
et les poches plastique limite par ailleurs le
plaisir olfactif qu’offre la nourriture chaude.
Après quelques mois de ce régime, une bouteille de Tabasco ou une gousse d’ail semble
le plus délicieux des mets, explique le colonel
William S. McArthur Jr., rentré en avril dernier
de la station spatiale.
Le sel et le poivre peuvent également améliorer l’ordinaire, si ce n’est qu’ils sont sous forme
liquide, car les grains pourraient endommager le matériel ou se loger dans l’œil ou les
narines d’un astronaute.
A bord de la station, il existe deux systèmes
– l’un américain, l’autre russe – pour chauffer la nourriture. Le premier se résume à de
l’eau chaude et à des poches plastique. Le
russe fonctionne à partir de boîtes de conserve
chauffées dans des compartiments intégrés
dans la kitchenette. Mais tout le monde mange
la même chose. Le colonel McArthur s’est ainsi
découvert une passion pour le ragoût d’agneau
à la russe. Les Américains, constatant que les
Russes voulaient manger de la soupe tous les
jours, en ont stocké davantage dans le gardemanger commun.
Les astronautes n’aiment pas le gâchis, même
lorsque le plat n’est pas à leur goût. “Nous nous
efforçons de ne jamais jeter de nourriture : on
ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve”,
remarque William McArthur.
A la fin des années 1990, quand il est devenu
évident que la station spatiale ne serait équipée ni de réfrigérateur ni de congélateur, la NASA
s’est lancée dans l’élaboration de ses propres
mets. Une bonne soixantaine de produits sont
ainsi sortis des cuisines de Vickie Kloeris.
L’experte en gastronomie de la NASA se trouve
face à un nouveau défi : prévoir le mode de préparation et d’emballage de la nourriture pour les
futures expéditions sur Mars. Tous les aliments,
qui seront envoyés dans l’espace bien avant les
astronautes, devront avoir une durée de conservation de cinq ans. La clé, explique Vickie Kloeris, consiste à trouver de nouveaux modes de
conditionnement limitant le problème posé par
l’“activité de l’eau”, qui favorise la prolifération
bactérienne. “Dans l’espace, les bactéries,
mieux vaut éviter”, résume Vickie Kloeris.
Kim Severson, The New York Times, New York
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insolites
●
Un peu de tenue
racher dans sa chambre d’hôtel ? C’est indigne d’une grande civilisation. Sensible aux plaintes des hôteliers et des compagnies aériennes de Singapour, las
du comportement des touristes chinois, Pékin lance une “Campagne pour
promouvoir des touristes chinois civilisés”. L’initiative, promue par le Comité
de pilotage de civilisation spirituelle du Comité central du Parti communiste, durera jusqu’en 2008, date des Jeux olympiques. Objectif : “corriger quelques coutumes embarrassantes” – cracher par terre, resquiller,
brailler, enlever ses chaussures en public ou
manger en aspirant bruyamment. “Dans
beaucoup d’endroits d’Europe et des EtatsUnis, on trouve dégoûtant de manger la
bouche ouverte ou en faisant claquer ses
lèvres.Vos hôtes européens […] pourraient penser que les Chinois sont mal
élevés”, écrit le China Daily. Un
manuel de savoir-vivre devrait
être distribué d’ici à la fin de l’année. L’an dernier, indique l’agence Xinhua, 31 millions de Chinois se sont rendus à l’étranger.
Ils devraient être 100 millions par
an d’ici à 2020. Or “le comportement des touristes chinois est incompatible avec le développement rapide de
l’industrie touristique, et avec la stature
internationale de la Chine”, déplore
M. Zhai Weihua, directeur du comité.
Stuar t Isett/The New York Times
C
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Tirer son lait au bureau ?
Un privilège de cadre
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Trop de passion
L
eur soirée d’anniversaire de mariage avait pourtant bien commencé. Mais, après un petit dîner
en tête à tête, Michael et Patrica Watson visionnent La Passion du Christ – puis discutent
théologie. Le débat tourne à l’aigre : M. Watson tente d’étrangler son épouse. “J’ai reçu la sainte
onction, tu le sais, Michael”, trouve-t-elle la force de souffler. “Ne touche pas qui a reçu l’onction du
Seigneur !” A ces mots, son époux relâche son étreinte. Après trois semaines de détention préventive et un mea culpa, M.Watson est de retour au foyer conjugal. (The Daily Telegraph, Londres)
Jambes croisées
es armes ou les parties de jambes en l’air, il faut choisir. A Pereira, en Colombie,
les membres des bandes armées affrontent la grève du sexe. Leurs femmes ou leurs
compagnes refusent tout rapport tant qu’ils n’auront pas renoncé à la violence.
Pereira, 450 000 habitants, abrite une trentaine de bandes et affiche le taux d’homicide le plus élevé du pays – avec 97 assassinats par an pour 100 000 habitants, le
double de la moyenne nationale. En 2005, on dénombrait 488 morts violentes. Objectif de cette “opération jambes croisées” : pousser délinquants et tueurs à signer un accord
de paix et à rendre leurs armes aux autorités. “C’est notre façon à nous de dire à nos hommes
que nous ne voulons pas rester veuves, et que nos enfants ne méritent pas de grandir sans père”,
explique Ruth Macias, 18 ans et deux enfants. L’initiative est née lors d’une réunion
organisée par la mairie dans le cadre de la campagne Pereira con vida, destinée à désarmer la ville. Omaira, leader de ce chantage sexuel, a composé avec son groupe rap
une chanson devenue l’hymne de la campagne : “On ne veut plus tomber amoureuses
d’hommes violents : on a trop à y perdre.” Les caïds privés du repos du guerrier ne risquentils pas de retourner leur violence contre leur partenaire ? “Ils ne nous feraient pas ça”,
assure Jennifer Bayer, 18 ans, petite amie d’un pandillero. “On veut qu’ils comprennent que
la violence, ce n’est pas sexy.”
(El Nuevo Diario, Managua ; The Guardian, Londres)
L
Résultats garantis
A
u Zimbabwe, les guérisseurs peuvent désormais délivrer des arrêts
maladie reconnus par les employeurs.
Mais seuls les 1 500 membres du
Conseil des praticiens traditionnels
sont autorisés à le faire, indique le
quotidien officiel The Herald. Sans
doute par souci de professionnalisme.
u siège de Starbucks, à Seattle,
quand une femme rentre de son
congé maternité, elle découvre enfin
ce qui se cache derrière la porte du
mystérieux “lactarium”. Dès qu’elle le
souhaite, elle peut s’échapper de son
bureau pour franchir cette porte. Là, installée dans un fauteuil, derrière des
rideaux, elle feuillette un magazine pendant qu’un tire-lait, fourni par l’entreprise, remplit des biberons qu’elle pourra
fourrer dans son sac et rapporter à la maison. En revanche, les jeunes mamans qui
travaillent dans les cafés de la chaîne n’ont
que leur temps de pause pour se barricader dans les toilettes des clients.
Les médecins sont formels, le lait maternel est une sorte d’élixir magique pour les
bébés : il réduit le nombre d’infections et
très certainement les risques d’allergies,
d’obésité et autres maladies chroniques.
Mais, alors que l’on pousse de plus en
plus les femmes à allaiter, celles qui travaillent sont confrontées à l’émergence
d’un système à deux vitesses. Pour les
cadres qui bénéficient d’une plus grande
autonomie professionnelle, l’allaitement,
et le tirage du lait qui va avec, est une
question de choix. Ce qui n’empêche pas
les situations embarrassantes – les biberons qui fuient dans le sac ou qu’il faut
cacher dans le frigo du bureau. Mais, pour
les femmes qui travaillent dans des restaurants, en usine ou dans des centres
d’appels, tirer son lait au boulot est
presque impossible. De ce fait, beaucoup
n’allaitent pas du tout, et d’autres y renoncent rapidement.
Presque la moitié des jeunes mamans
reprennent le travail dans l’année qui suit
la naissance de leur enfant. Mais la loi
fédérale n’offre pas de protection aux
mères qui tirent leur lait au travail, malgré les efforts de Carolyn B. Maloney,
représentante démocrate de New York,
qui a présenté une proposition de loi en
ce sens. “Je ne comprends pas pourquoi les
choses n’avancent pas, déplore-t-elle. C’est
une mesure qui favorise la famille, la santé
et l’économie.”
En attendant, douze Etats ont voté des
lois qui protègent les mères qui allaitent.
La plus récente, votée en Oklahoma, prendra effet en novembre. Mais elle stipule
seulement qu’un employeur “peut accor-
A
Rober t Harding/Alamy
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DU 21 AU 27 SEPTEMBRE 2006
der un temps de pause proportionné” et qu’il
“peut, dans la mesure du possible, faire en
sorte” d’assurer à ses employées une certaine intimité. La législation en Oklahoma,
comme dans la plupart des autres Etats,
est surtout symbolique.
Dans les entreprises américaines, l’aide
aux femmes qui allaitent peut être un plus
appréciable : tire-lait gratuits ou subventionnés, consultations de spécialistes de
la lactation, pièces spécialement aménagées avec connexions téléphone et Internet pour les femmes qui travaillent tout
en tirant leur lait, ou lecteurs CD et magazines pour les autres. D’après l’association à but non lucratif Families and Work
Institute, un tiers des grandes entreprises
sont équipées de lactariums.
Les femmes qui en ont les moyens peuvent résoudre le dilemme “travail ou allaitement”. Elles peuvent ramener à la maison le lait qu’elles ont tiré pendant un
voyage d’affaires et s’acheter des tire-lait
super-rapides à 200 euros, ou des appareils qui leur permettent de tirer leur lait
au volant. D’autres, en revanche, n’ont
même pas de quoi se payer un tire-lait
à 40 euros. C’est le cas des patientes du
Dr Lori Feldman-Winter, professeur de
pédiatrie à l’université de médecine et de
dentisterie du New Jersey et membre du
comité sur l’allaitement de l’Académie
américaine de pédiatrie (AAP). Pourtant,
regrette-t-elle, cet investissement pourrait prévenir toutes sortes de maladies.
L’AAP recommande fortement aux
femmes de nourrir leur enfant uniquement au lait maternel pendant six mois,
puis de continuer à allaiter périodiquement jusqu’à ses 12 mois.
Les cadres les mieux payées peuvent tirer
leur lait sans que personne le sache – ou
au contraire au vu et au su de tous. Nina
Wurster, qui travaille aux services RH
d’Advisory Board, une société de conseil
à Washington, fait passer des entretiens
téléphoniques depuis le lactarium. “Je leur
dis juste ‘désolée pour le bruit de fond’ et je
commence l’entretien”, explique-t-elle.
Aujourd’hui, l’allaitement est tellement
banalisé parmi les employés de bureau
que les femmes se sentent parfaitement à
l’aise et tirent leur lait sans même bouger
de leur siège.
Jodi Kantor,
The New York Times (extraits), New York