Jul "Le rire ne peut pas être du côté du manche"
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Jul "Le rire ne peut pas être du côté du manche"
Le 13 Aout 2010 Jul "Le rire ne peut pas être du côté du manche" Son Silex and the city fait des étincelles, avec un nouveau tome à paraître le 27 août et une adaptation prochaine en série animée. Entretien. AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL Quand il est né, le président de la République s'appelait... Alain Poher ! En effet, ce 11 avril 1974, Georges Pompidou est décédé depuis neuf jours et Valéry Giscard d'Estaing ne sera élu que dans un mois. Cette vacance du pouvoir aurait-elle, dès le berceau, inspiré le petit Julien Berjeaut, prompt à caricaturer les politiques maintenant qu'il est Jul, dessinateur de BD atypique et fameux ? Il raconte ici comment, normalien et agrégé, il a suivi néanmoins l'appel de la gomme et du crayon. Avec Il faut tuer José Bové, La croisade s'amuse, Da Vinci Digicode ou Le Guide du moutard, Jul a dépassé le dessin de presse fulgurant pour entrer dans le club des grands hilarants, dont les albums font une oeuvre. Enfin, Silex and the City, à l'été 2009, ajouta à l'uniforme de l'humoriste les galons du moraliste : c'est notre époque dont cette saga préhistorique est le comique miroir. Le second volume sera bientôt disponible et nul doute que Jul parvienne, à son tour, à faire de la caverne un mythe. Le tome II de Silex and the City, Réduction du temps de trouvaille, sort le 27 août : qu'y trouvera-t-on ? Ce qui est excitant avec l'univers de Silex, c'est qu'on peut y faire entrer ce que l'on veut, l'horlogerie fonctionne : la réforme des retraites, de la santé, la guerre, les catastrophes écologiques, les soldes, les programmes télé... Tout cela, transposé en 40 000 avant J.-C., pourrait être dans le deuxième tome... et n'y sera pas ! On y parlera en revanche clubbing, sport et surtout entreprise, car mon héros quitte le monde de l'éducation pour la vie de bureau... Haut et Court, qui a produit Entre les murs, palme d'or 2008 à Cannes, va faire de Silex and the City une série animée : êtes-vous inquiet de voir vos personnages prendre vie ? Non. Tout ça est très chouette. Je vais surveiller l'esprit de l'adaptation plus que le graphisme, car le dessin est assez simple à transposer. La "bible" graphique est facile avec moi : de gros yeux, de gros nez, un décor végétal et minéral... Les décors fonctionnent bien dans les "animatiques", le scénario rassure, le format sera sans doute un 13 minutes, à la manière des Simpson. Avez-vous modifié votre manière de dessiner depuis Il faut tuer José Bové ? Je dessine plus lentement, je m'applique là où, avant, je jetais vite une idée sur le papier. Il est difficile de savoir pourquoi un gag est plus drôle qu'un autre, et donc d'avoir le sentiment qu'on progresse en termes de scénario. Graphiquement, c'est plus visible. Dans le tome II de Silex, le DJ Darwin Guetta anime une grande soirée : j'ai composé un dessin qui occupe toute une page, cela m'a pris plusieurs jours. Jadis, j'aurais fait plusieurs cases et des gros plans. AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL Qui verra-t-on d'autre dans ce nouvel opus, à côté de la famille Dotcom ? Ségolène Royal invente la darwinitude et l'"évolution participative". "Désirs d'avenir" promeut des innovations, comme le monothéisme, le Petit Prince, remplaçant en ZEP (zone d'évolution prioritaire), demande qu'on lui dessine un mouton (espèce en voie d'apparition), François Busnel passe dans le fond d'une case... Et on assiste à un match PSG-OM : Primate-Saint-Germain contre Olympique-Mammouth. Le succès change-t-il la manière de dessiner ? Non. On m'a demandé un jour si j'avais fait assurer mes mains. C'est idiot : mes yeux et mes oreilles sont tout aussi importants pour la composition de mes albums. Ce qu'il faudrait assurer, c'est l'envie, car le danger, c'est la lassitude, face à la répétition des événements, des situations. Parfois, Gébé râlait quand il devait traiter un sujet : "On en est encore là ? J'ai fait ce dessin il y a cinquante ans !" Il peut y avoir un spleen de l'humoriste... Comment travaillez-vous la couleur ? Je l'applique moi-même, directement sur la planche, sans ordinateur, ce qui devient rare. C'est un travail fastidieux, qui me prend deux mois et demi par album, mais que j'adore. Je fais beaucoup de mélanges, j'applique les couleurs une par une, de la plus claire à la plus dense, en parcourant à chaque fois tout l'album. En pratiquant ainsi, je vois toutes les erreurs du dessin. Et puis il y a une érotique de la mise en couleurs. Au temps des moines copistes, les plus âgés, dont la sexualité était "éteinte en Dieu", étaient seuls autorisés à colorier les corps et les visages. La sensualité - même pour des personnages de BD comiques ! de ce contact est étonnante. Aujourd'hui, la bande dessinée est devenue très diverse par le style, mais s'uniformise par la couleur. C'est dommage. La perfection de l'ordinateur est triste, les défauts sont nécessaires : les poils du pinceau, le grain du papier... Tout cela est important et, en plus, ça colle à l'univers de la préhistoire. La planche de BD en couleurs demeure un objet en soi, qui a une valeur propre : on le trouve dans des expos, dans des ventes aux enchères. Quand avez-vous commencé à dessiner ? Mon premier dessin d'actualité fut consacré à Raymond Barre et au serpent monétaire. Pas très sexy ! Je devais avoir 8 ans. En CM1, j'ai composé mon premier fanzine, vendu 50 centimes de franc pour huit pages - deux feuilles A4 pliées : Chi-Gum, puis Le Julien déchaîné, de l'humour noir. Après l'agrégation, je pensais vendre quelques dessins à des journaux tout en étant chercheur en ethno-histoire sur la Chine contemporaine, puisque j'avais rédigé mon mémoire sur la minorité chinoise de Calcutta depuis le xviiie siècle. Puis, à la place de partir à Taïwan faire du chinois classique, je suis entré à Charlie Hebdo... AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL Quelles langues parlez-vous ? Le chinois, l'anglais, l'allemand et l'espagnol. Je voudrais apprendre une grande langue tous les dix ans : l'arabe, le turc, le russe, le japonais. Quelles sont les racines de votre genre d'humour ? C'est l'humour des comédies américaines, celui des Marx Brothers, de Woody Allen, mâtiné de cartoons et d'un peu de comics : un lexique d'humour juif d'Europe centrale, les superhéros en moins. J'aime ce qui parle à tout le monde ; je ne suis pas très "underground". En France, mes "maîtres" sont Franquin, Gotlib, Reiser, Sempé et évidemment Goscinny... BIO - Jul 11 avril 1974 naissance à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) 1995 entrée à Normale sup 1998 agrégation d'histoire 2000 entrée à Charlie Hebdo. Il collabore aussi à Lire, Philosophie magazine, L'Humanité, Fluide glacial, etc. 2005 Il faut tuer José Bové 2006 La croisade s'amuse 2007 Le Guide du moutard 2008 Conte de fées à l'Elysée Septembre 2008 début de ses dessins en direct dans La Grande Librairie, de François Busnel, sur France 5 Août 2009 Silex and the City Août 2010 Silex and the City, tome II Le dessin de presse a-t-il un avenir ? Bien sûr ! C'est une chance d'être dessinateur pour des journaux, notamment parce que cela apporte une certaine sécurité économique, alors qu'en BD il faut travailler énormément pour gagner sa vie. Je crois qu'il y a aujourd'hui en France moins de dessinateurs de presse que de maréchaux-ferrants. Les nouveaux médias peuvent aider : j'ai ainsi une application iPhone, avec un dessin tous les deux jours, qui s'appelle "ça ira mieux demain". Pendant la campagne présidentielle, ce sera un très bon vecteur ! Est-il difficile de dessiner à l'improvisade, comme dans La Grande Librairie, de François Busnel, sur France 5 ? Oui, je suis vidé à la fin du tournage. Je dois me mettre dans un état particulier, car c'est un exercice qui mobilise beaucoup d'hormones. Je me souviens rarement de ce qui a été dit durant l'émission, alors que je l'ai dessiné. En fait, j'ai une attention flottante, j'attrape des choses au vol sans vision complète du moment. Je vis cela comme un feu d'artifice, loin de la pérennité de la BD, qu'on peut lire et relire. Cela rejoint l'esprit des salons du xviiie siècle, quand il fallait avoir le bon mot au bon moment, faire de l'humour sans discréditer sa victime. C'est très français. AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL Quelles "victimes" préférez-vous ? J'aime allumer Michel Onfray ou Alain Finkielkraut, car ils ont du répondant. De même, les politiques, rompus au combat médiatique, supportent tous les coups et en renvoient beaucoup. Ségolène Royal m'a demandé de lui offrir des croquis terribles que j'avais composés sur elle. De même, Carla a "adoré" mes dessins cruels de Conte de fées à l'Elysée. Au fond, la victime, c'est moi. L'humour est-il en train de s'imposer partout ? C'est une invasion ! Chaque émission doit avoir son humoriste, son billet, sa minute de rire. Or le réservoir de talents n'est pas infini et l'on galvaude, pour tomber parfois dans la version xxie siècle du comique troupier. Rire à toute occasion n'est donc pas un bon mot d'ordre ? Le rire obligatoire, cela finit par le rire préenregistré des soap operas. Mais je ne dirai pas, comme Alain Finkielkraut, que le rire est le poste avancé de la barbarie, que les rieurs sont déjà des lyncheurs. Cela me rappelle Le Nom de la rose, où Le Traité du rire, d'Aristote, est un ouvrage interdit. Attention au talibanisme moraliste, ravi de trouver des humoristes nuls pour dénigrer toute la satire. Or les vrais humoristes sont les seuls à porter sur le monde actuel un regard qui combat la machine à ratatiner les esprits. Nous devons être des vengeurs masqués : le rire ne peut être du côté du manche. J'aime beaucoup le proverbe judéo-tunisien qui dit : "Ris de la vie avant que la vie ne rie de toi." Etes-vous un dessinateur élitiste ? Je ne crois pas. Bien sûr, je ne fais pas d'humour de supermarché, genre Toto, ou les blondes... Je suis du côté de Pétillon, Bretécher ou Riad Sattouf. Mais je suis lu en province autant qu'à Paris, je ne suis pas un dessinateur parisianiste. Mon public écoute France Inter et lit Télérama. Je vends peu en librairies spécialisées BD et j'ai 50 % de lectrices. Je voudrais faire se rencontrer les intellos et les publics traditionnels de la BD. Dans le tome II de Silex, les références sont variées : je parle de transferts de footballeurs, mais aussi de la pub Ferrero Rocher, il y a des blagues lacaniennes et d'autres sur les profs adhérents de la MGEN. Je veux une BD généraliste, au public large. Attention à la tendance communautaire : une bande dessinée à destination des filles, une pour les juifs, une pour les homos, etc. Et puis il faut accepter, en y prenant du plaisir, de ne comprendre certains gags que plus tard, quand on a élargi sa culture. Aujourd'hui, en relisant Astérix, je m'aperçois que tel légionnaire romain a la tête d'un homme politique de l'époque, dont j'ai découvert l'existence entre-temps. A propos de politiques, lesquels vous inspirent ? Dominique Strauss-Kahn a un potentiel très riche pour les dessinateurs, tandis qu'avec Martine Aubry on peine à renouveler les blagues. Un peu AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL comme François Fillon : on ne sait pas trop quoi dessiner ni écrire... Et puis Sarkozy écrase tout, pour les dessins comme pour le pouvoir. Autour de lui, il y a une tribu, où certains personnages sont anecdotiques mais caricaturaux, presque monstrueux, donc intéressants à dessiner : Frédéric Lefebvre, Brice Hortefeux... Certains politiques sont difficiles à saisir, comme Eric Besson ; mais là, on a envie de se décarcasser... Source : lexpress.fr AveComics – 111 Rue Marceau 93100 MONTREUIL