Etude sur les Hittites et la Syrie - Présentation de l`Association d
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Etude sur les Hittites et la Syrie - Présentation de l`Association d
Etude sur les Hittites et la Syrie L’Association d’Amitié France-Syrie a le plaisir de présenter une étude sur « les Hittites et la Syrie » réalisée par le Professeur Jacques Freu, membre du Centre d'Etudes syro-anatoliennes, professeur agrégé d’histoire, spécialiste de l'histoire et de la religion anatoliennes. Cette étude est précédée par une introduction rédigée par Michel Mazoyer, également membre du Centre d’Etudes Syro-Anatoliennes qui présente quelques repères historiques, quelques évènements et quelques rois qui ont marqué l’histoire hittite. Introduction par Michel Mazoyer Quelques repères historiques de l’histoire hittite. L’histoire hittite a connu trois grandes périodes à l’Âge du Bronze et à l’Âge du Fer (second et premier millénaires avant notre ère) : * L’Ancien Royaume (ca 1650-1465), fondé, après une première tentative d’unification de la Cappadoce au XVIIIe siècle av. J.-C., à l’époque des « marchands assyriens », due aux rois de Kuššar, Pithana et Anitta, par leurs probables successeurs, Huzziya Ier et Labarna, qui dura deux siècles. * Le Nouvel Empire (ca 1465-1185), étendu après de dures luttes à la Syrie du nord et seule puissance dominante en Anatolie après la destruction de l’unique grande entité politique qui s’était constituée en pays louvite, le royaume d’Arzawa. * L’époque néo-hittite ou néo-louvite (ca 1180-650) caractérisée par l’existence de petits royaumes, de la Cappadoce méridionale à l’Euphrate et à la Syrie du nord (Karkemiš, Tabal, Mélid, Tuwanuwa, etc.), où de nombreuses inscriptions hiéroglyphiques ont transcrit la langue louvite (néo-louvite) des dynastes locaux et d’une partie de la population. Voici maintenant quelques repères chronologiques, quelques événements et quelques rois qui ont marqué l’histoire hittite. L’époque des colonies marchandes assyriennes (ca 1950-1750) Des marchands assyriens ont créé à travers l’Asie mineure centrale et orientale des colonies et des comptoirs, — karum et wabartum, — véritables « faubourgs commerciaux » installés aux pieds des citadelles tenues par les princes indigènes. Le commerce des métaux (étain et cuivre destinés à la fabrication du bronze) et des étoffes faisait la richesse des marchands (tamkâru) et des « rois » indigènes qui percevaient droits de douane et taxes diverses sur le trafic des caravanes circulant entre Aššur et la Cappadoce. Le karum de Kaneš (hittite Neša, actuelle Kültepe près de Kayseri) était le centre de toutes ces activités, mais Hattuša, Ankuwa (Alişar) et bien d’autres localités situées sur les routes menant d’est en ouest, avaient leurs propres colonies et formaient un réseau dense qui enserrait toute la région. Deux grandes périodes d’activité, celle du Karum II, au XIXe siècle et celle du Karum Ib, au XVIIIe siècle av. J.-C., ont été séparées par une assez courte interruption du trafic. C’est à la fin de la seconde époque, que les rois de Kuššar, Pithana et son fils Anitta qui nous a laissé le premier « texte historique » en langue hittite, ont conquit Kaneš. Respectueux des habitants dont la langue (indo-européenne), nešili/nešumnili, répandue dans toute la Cappadoce (pays de Hatti), est devenue la langue officielle du royaume hittite, les deux rois ont assuré la prospérité du trafic dont profitaient marchands et princes. Anitta résidait au palais de Kaneš où une épée a été gravée à son nom. Anitta, devenu un Grand Roi, s’est efforcé d’unifier la Cappadoce. Il a détruit Hattuša et soumis d’autres cités. Son entreprise n’a pas eu de suite immédiate, mais a été une source d’inspiration pour les rois de Kuššar, ses successeurs, qui ont fait recopier sa « proclamation ». C’est sans doute peu après son règne que les marchands assyriens ont abandonné la Cappadoce, vers 1730 av. J.-C. L’ancien royaume (ca 1650-1465) Les successeurs d’Anitta ont maintenu le royaume de Kuššar et repris la politique d’expansion de leur prédécesseur vers le milieu du XVIIe siècle av. J.-C. L’étude des listes des rois défunts a montré que Huzziya Ier et Labarna, époux de Tawananna, ont été les fondateurs d’une lignée de rois conquérants dont le successeur de Labarna, Hattušili Ier (ca 1625-1600), a été le premier grand représentant. Il a conquis une grande partie de la péninsule, y compris les vastes régions louvites de l’ouest et du sud-ouest (Luwiya, futur Arzawa). Franchissant le Taurus il a soumis la Cilicie (futur Kizzuwatna), détruit Alalah, des villes proches de l’Euphrate, Haššuwa et Hahha et défié le grand royaume d’Alep et ses alliés hourrites. Allié lui-même du roi hourrite de Tikuna(ni), il a su profiter des divisions de ses adversaires mais a échoué dans sa tentative de détruire Alep. À l’intérieur, il a fait face aux révoltes de ses enfants et aux ambitions de sa sœur, le « serpent ». Aussi a-t-il renoncé à faire de son neveu son héritier et a choisi son petit-fils, un adolescent, pour lui succéder. Muršili Ier (ca 1600-1585 av. J.-C.) a vengé son « père » en détruisant Alep. Il a poursuivi sa marche le long de l’Euphrate et mis à sac Babylone. Ces exploits guerriers n’ont pas empêché le développement des intrigues de cour qui opposaient des clans rivaux. Le roi a été assassiné à l’instigation de son beau-frère, Hantili, qui lui a succédé. Télipinu (ca 1550-1530) a voulu mettre fin aux crises sanglantes qui avaient décimé la famille royale. Bien que profitant de son absence, des dignitaires aient fait mettre à mort l’ancien roi Huzziya et ses frères, il a renouvelé ses intentions en faisant juger les meurtriers et surtout en publiant un édit établissant des règles de succession impératives : le fils légitime du couple royal était destiné au trône. Un fils né d’une « épouse de second rang » lui était substitué au besoin ou le mari d’une « « princesse de premier rang », fille du couple royal, en cas d’absence de fils. Cette « constitution » restera en vigueur jusqu’à la fin de l’état hittite. L’édit visait par ailleurs à assurer au royaume une bonne administration. Une seule campagne menée par le roi est connue. Télépinu s’est efforcé de maintenir la paix. Il a reconnu l’indépendance du Kizzuwatna et signé un important accord avec le roi de ce pays, Išputahšu. Ses successeurs, Alluwamna, Hantili II, Tahurwaili (un usurpateur), Zidanza et Huzziya III, ont dû faire face à un nouvel adversaire, le roi de Mitanni, qui a unifié les principautés hourrites à l’est de l’Euphrate sous la direction d’une famille royale d’origine aryenne et a étendu son hégémonie sur la Syrie et le Kizzuwatna (Cilicie). L’usurpateur Muwatalli Ier, meurtrier du roi Œuzziya III, a été lui-même assassiné vers 1465 av. J.-C. et a laissé la place à une nouvelle famille royale soumise à de fortes influences hourrites mais adversaire irréductible des rois de Mitanni/Œurri. Le Nouvel Empire (ca 1465-1185) Son fondateur Tuthaliya Ier, fils de Kantuzzili (ca 1465-1440), a mené de dures campagnes sur l’Euphrate contre les Hourrites du Mitanni qui étaient intervenus dans les troubles dynas- tiques du Hatti. Allié du pharaon (traité de Kuruštama), il a détruit Alep et soumis les petits royaumes de la Syrie du Nord. Son successeur Hattušili II (ca 1440-1425) n’a pu maintenir cette position et a, sans doute, dû abandonner la Syrie et le Kizzuwatna. Tuthaliya II (ca 1425-1390) a agi au sud-ouest et à l’ouest de l’Anatolie où s’était constitué un grand royaume louvite, l’Arzawa, et une « coalition » de vingt-deux pays, l’Aššuwa, alors que de nouveaux venus, les « gens d’Ahhiya(wa) » (les Grecs mycéniens), s’installaient sur les côtes égéennes de l’Asie mineure et pénétraient à l’intérieur de la péninsule. Les troubles fomentés par des rebelles, comme Madduwatta, et l’obligation de combattre les Gasgas des montagnes pontiques au nord et les Hourrites à l’Est, ont entraîné le recul des positions hittites dans l’Ouest malgré l’action conjointe des deux grands rois, Tuthaliya lui-même et son fils adoptif, associé au trône, Arnuwanda Ier (ca 1400-1370). Le roi de Kizzuwatna, Šunaššura II, a conclu un traité de vassalité avec Tuthaliya II. Son royaume a été annexé et est devenu une province hittite quelques années plus tard. La menace des Gasgas s’est accentuée au cours des règnes d’Arnuwanda Ier et de son fils, Tuthaliya III (ca 1370-1350). Hattuša a été brûlée, et le royaume assailli de toutes parts. Šuppiluliuma Ier (ca 1350-1319) a été le véritable fondateur de l’empire hittite. Ayant redressé la situation en Anatolie, il a conquis la Syrie du nord et brisé la puissance du Mitanni au cours de la « guerre syrienne d’un an », puis imposé à l’Amurru et à Ugarit, deux importants royaumes syriens dépendants du pharaon, des traités de vassalité. À la mort de Toutânkhamon, il a reçu de sa veuve une offre de mariage avec l’un de ses fils. Le meurtre du prétendant a entraîné une guerre de générations avec l’Egypte alors que la conquête du Mitanni permettait au Grand Roi d’installer ses fils à Karkemiš et Alep, et son gendre sur le trône de Mitanni /Hanigalbat (« guerre de six ans », 1325-1320). Muršili II (ca 1318-1295) a mené presque tous les ans, des campagnes contre les Gasgas. La destruction du royaume d’Arzawa a été son grand exploit au début de son règne. Il a été suivi par la conclusion de traités de vassalité avec les dépendances du grand état louvite, Mira, pays du fleuve Šeha et Haballa. La domination hittite en Syrie a été consolidée malgré les actions hostiles des Egyptiens. Muwatalli II, son fils (ca 1295-1272), a confié à son frère, Œattušili, le soin de repousser les assauts des Gasgas. Il a quitté Œattuša pour s’installer dans le Sud, à Tarhuntašša, et faire face aux assauts des pharaons Séthi Ier et Ramsès II. La bataille de Qadeš (mai 1274), rencontre indécise, a permis de rétablir la domination hittite sur l’Amurru. Hattušili III (ca 1265-1240), frère de Muwatalli, a renversé son neveu, Muršili III/Urhi-Tešub, qui était rentré à Hattuša. Il a fait face à une grande révolte des pays de l’Ouest et à la menace du roi d’Assyrie qui a détruit et annexé le Hanigalbat vers 1260 av. J.-C. La paix conclue avec Ramsès II (1258) a été le début d’une longue période d’entente cordiale égypto-hittite. Tuthaliya IV, son fils (ca 1240-1215), a subi une lourde défaite face au roi d’Aššur, Tu-kultiNinurta. La paix qui a suivi lui a permis de soumettre Alašiya (Chypre) et de pousser très loin dans le pays de Lukka (Lycie). Son cousin et vassal, Kurunta, installé à Tarhuntašša, a pris le titre de Grand Roi. Le roi hittite a dû accepter cette situation qui mettait à la tête de l’empire un véritable « triumvirat » formé par le Grand Roi de Hatti, celui de Tarhuntašša et le roi de Karkemiš (chargé de surveiller les princes syriens vassaux). Šuppiluliyama (II, ca. 1210-1185) a succédé à son frère Arnuwanda III qui avait régné peu de temps. Il a subi les premiers assauts des Peuples de la Mer et a débarqué à Alašiya après avoir livré trois batailles navales. Disettes et menaces multiples sur toutes les frontières ont amené l’évacuation de la capitale et la désagrégation de l’empire sans que le déroulement des événements puisse être précisé l’à l’heure actuelle. L’époque néo-hittite (ca 1180-650) L’époque néo-hittite ou néo-louvite caractérisée par l’existence de petits royaumes, de la Cappadoce méridionale à l’Euphrate et à la Syrie du nord (Karkemiš, Tabal, Mélid, Tuwanuwa, etc.), où de nombreuses inscriptions hiéroglyphiques ont transcrit la langue louvite (néo-louvite) des dynastes locaux et d’une partie de la population. Les Hittites et la Syrie Par le Professeur Jacques Freu, membre du Centre d'Etudes syro-anatoliennes, professeur agrégé d’histoire, spécialiste de l'histoire et de la religion anatoliennes. Les interventions des rois de l’Ancien Empire hittite en Syrie L’influence de la grande civilisation mésopotamienne (suméro-akkadienne) s’est fait sentir en Syrie, pays de population sémitique, dès le IVème millénaire avant notre ère (textes d’Ebla) alors que l’Asie mineure continuait à ignorer l’écriture. L’arrivée de marchands assyriens « lettrés » au vingtième siècle av. J.C. (tablettes de Kaneš/Kultépé) a révélé qu’une population « hittite », de langue indo-européenne, habitait le centre de l’Anatolie à cette époque et y avait créé des principautés. Un grand royaume, le Œatti, a unifié la région au 17ème siècle avant notre ère autour d’une grande capitale, Œattuša (moderne BoÖazköy), dont les ruines ont restitué des milliers de tablettes rédigées en akkadien, en hittite (nésite), en hourrite et dans d’autres langues. Ses rois ont vite tourné leurs regards vers les riches terres du sud alors que la Syrie était le domaine de deux grands royaumes, le Yamœad, capitale Œalab (Alep) au nord et Qa¥na (Mišrifé) au sud. Œattušili I (c.1625-1600 av. J.C) a conquis une grande partie de la péninsule, de l’Arzawa à l’ouest au Kizzuwatna (Cilicie) au sud-est et est ainsi entré en contact avec le royaume du Yamœad qui entretenait des relations diplomatiques et commerciales avec la Mésopotamie et, en particulier, avec Babylone, centre d’un royaume que dirigeait alors les derniers représentants de la dynastie de Œammurabi (1792-1750 av. J. C., en « chronologie moyenne »). Les « annales » bilingues (hittite et akkadien) du Grand Roi Œattušili signalent que dans la « seconde année » (en fait plus tard au cours de son règne) il avait détruit Alalaœ, cité de Syrie du nord dont on a fouillé les ruines et retrouvé les « archives » datant de cette époque (niveau VII). Son dernier roi, Ammitaqum II était le vassal et le cousin du Grand Roi de Yamœad (Alep). Il s’en est suivi une guerre sans merci entre Hittites et souverains d’Alep. Très vite des forces hourrites (une population de langue « caucasienne » installée au nord de la Mésopotamie) sont intervenues dans le conflit à l’appel du roi d’Alep (légende des « cannibales ») et peut-être à leur suite des éléments indo-aryens qui finiront par prendre le pouvoir entre le haut-Euphrate et le haut-Tigre et y fonder le royaume de Mitanni, un futur ennemi des Hittites. Œattušili a échoué dans ses attaques contre le Yamœad et c’est son successeur, sans doute son petit-fils, Muršili I (c.1600-1585), qui l’a vengé en mettant fin au règne du Grand Roi de Yamœad, Yarim-Lim III, et en détruisant Alep avant de lancer un raid jusqu’à Babylone (1595 av. J.C. en « chronologie moyenne »). Les Hittites et la Syrie de Tutœaliya I à Šuppiluliuma Le déclin du royaume hittite a rapidement suivi l’exploit de Muršili I. Le Grand Roi a été assassiné et ses successeurs, aux prises à des révoltes et à des usurpations, ont abandonné toute velléité d’intervenir en Syrie. Le royaume d’Alep et son ancien vassal, celui d’Alalaœ, ont été rétablis mais les influences hourrites sont devenues prégnantes dans toute la Syrie et un grand royaume hourrite, dirigé par une dynastie d’origine indo-aryenne, le Mitanni, dont tous les souverains porteront jusqu’à la fin des noms sanscrits (Barattarna, Šauštatar, Artatama, Tušratta, Šutarna, etc.) a étendu sa domination sur la haute Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate, et soumis à sa tutelle les rois et les princes syriens (cf. « l’autobiographie » du roi d’Alalaœ, Idrimi, et le règne d’un « aryen » Wantaraššura à Alep). De nombreux « rois » des principautés syriennes vont porter désormais des noms « indoaryens » ou hourrites, de Qadeš à Qa¥na, Akka (Acre), Damas, etc., au cours de la période suivante. Le « Nouvel Empire Hittite » a été fondé vers 1465 av. J.C. par un Grand Roi, Tutœaliya I, décidé à répondre à la menace mitannienne et à reprendre le chemin de la Syrie. Le paradoxe tient au fait que la nouvelle dynastie hittite avait subi elle-même de fortes influences hourrites dans les domaines religieux et culturels (de nombreux textes hourrites sont entrés dans les « archives » de Œattuša et les rois hittites ont souvent possédé à partir de cette époque un second nom hourrite alors que les reines avaient toutes, sauf une, des noms hourrites). Tutœaliya I a conclu un traité d’alliance avec le roi du Kizzuwatna (Cilicie), Šunaššura, et a rallié Alep à sa cause. Mais la cité est repassée rapidement à l’obédience mitannienne et Tutœaliya a détruit la ville. A la même époque le pharaon Tuthmosis III a entrepris la conquête de Canaan et de la Syrie du sud. Il a franchi l’Euphrate en l’an XXXIII de son règne (1447 av. J.C.). Un accord entre le pharaon et le roi hittite (traité de Kuruštama) a permis, à cette date, de fixer la limite des zones d’influence égyptienne et hittite, laissant la Syrie du nord dans la mouvance du roi de Œatti. Ce dernier a signé alors une série de traités de vassalité avec divers princes syriens, roi du Mukiš (Alalaœ), « régent » de Tunip, princes d’Aštata et du Nuœašše (la steppe entre Alep et l’Oronte), etc. Son successeur, Œattušili II est intervenu « diplomatiquement » dans la même région mais le retour en force des Hourrites et l’alliance étroite conclue entre les rois de Mitanni et d’Egypte, consacrée par une série de mariages, des filles du roi hourrite devenant des épouses secondaires du pharaon, a fait perdre aux Hittites leurs positions syriennes. Même le Kizzuwatna (Cilicie) a rallié pour un temps le camp mitannien. La Syrie hittite : Les campagnes syriennes de Šuppiluliuma Les difficultés rencontrées en Anatolie au cours de règnes de Tutœaliya II, d’Arnuwanda I et plus encore de Tutœaliya III (les « barbares » des chaînes pontiques, les Gasgas, ont brûlé la capitale et une « invasion concentrique » a menacé le royaume de toutes parts) ont détourné les rois hittites de la Syrie dominée au nord par les Hourrites du roi de Mitanni et au sud (Apina/Damas, Amurru et Canaan) par les pharaons. La reprise en main du royaume, à la suite d’un coup d’état, par le « fils » de Tutœaliya III, Šuppiluliuma, a changé de fond en comble la situation. Décidé à briser la puissance du Mitanni le jeune roi de Œatti a rapidement entrepris les hostilités contre le roi Tušratta, allié et beau-frère, puis beau-père du pharaon. Après un premier échec (cf. la lettre d’el Amarna EA 17) il a lancé une première offensive en prétextant de « l’appel au secours » que lui avait adressé le « roi syrien » de Nuœašše, Šarrupši (au nom hourrite). Disposant de l’alliance du roi de Qatna, Idanda, (tablettes retrouvées à Mišrifé) Šuppiluliuma a pénétré très loin en Syrie et pillé la rive droite de l’Euphrate. La contre-attaque menée par Tušratta, le roi de Mitanni, a rapidement réduit à rien les résultats obtenus. Mais une nouvelle offensive, la « campagne d’un an », menée quelques années plus tard a été décisive alors qu’Akhenaton régnait en Egypte (1355-1338 av. J.C.). Le roi hittite, après s’être allié avec Artatama, un ennemi de Tušratta, et son armée ont franchi le haut-Euphrate, poussé leur avance jusqu’à la capitale mitannienne, Wašukanni, et par un large mouvement tournant envahi la Syrie après avoir retraversé le grand fleuve. Les pays de Œalab (Alep), de Mukiš (Alalaœ), de sont soumis, apparemment sans résistance. Des combats ont été nécessaires pour vaincre les princes de Niya et d’Araœti ainsi que le seigneur de Qadeš qui avait des liens avec l’Egypte. Le roi hittite a vite réinstallé le fils de ce dernier, Etakama, dans la place. Il deviendra, avant de se révolter, un agent efficace de la politique hittite à la frontière du domaine égyptien. C’est en cherchant à reprendre Qadeš que Tutankhamon trouvera la mort. Mais la domination hittite restait précaire bien que Šuppiluliuma ait atteint et pillé Qa¥na (lettres de son prince, Akizzi adressées à Akhenaton). Il a dû intervenir à maintes reprises pour consolider la nouvelle situation et briser la triple révolte des « rois » de Mukiš, de Niya et de Nuœašše, ce qui a entraîné la soumission du roi d’Ugarit, Niqmaddu III, et du roi d’Amurru (la montagne libanaise), Aziru, un ancien vassal du pharaon, au grand conquérant. Les Hourrites avaient cependant conservé la grande forteresse de Karkemiš qui contrôlait le passage de l’Euphrate. Le Grand Roi a conquis la place alors que les Egyptiens attaquaient Qadeš (mort deTutankhamon, 1325 av. J.C.). C’est alors que la reine d’Egypte, veuve de ce dernier, a fait appel à Šuppiluliuma pour qu’il lui envoie l’un de ses fils qui devait l’épouser et devenir pharaon. Le meurtre du prince hittite va entraîner une longue période d’hostilités entre le Œatti et l’Egypte mais Šuppiluliuma a lancé l’un de ses fils et le fils de Tušratta, devenu son gendre, à la conquête du Mitanni transformé en pays vassal. La Syrie hittite restera aux mains des rois de Œattuša jusqu’à la fin du royaume vers 1190 avant notre ère. Le Grand Roi a installé deux de ses fils sur les trônes de Karkemiš (Šarri-Kušuœ) et d’Alep (Télipinu). Le roi de Karkemiš sera désormais un véritable vice-roi chargé de contrôler les princes syriens vassaux au nom du Grand Roi. Des traités aux termes juridiques précis (liens avec le pouvoir royal, tribut, frontières, etc.) ont été imposés aux vassaux syriens. Ils sont bien connus grâce aux tablettes retrouvées à BoÖazköy, à Ras Shamra (Ugarit) et à Meskéné (Emar, au sud de Karkemiš). La Syrie hittite de Muršili II à la fin de l’empire La mort du grand conquérant et la jeunesse de son fils et second successeur, Muršili II, alors que le pays était ravagé par une terrible épidémie de peste a entraîné la défection, qui ne sera pas définitive, du Mitanni mais la Syrie est restée aux mains du Grand Roi. Les offensives égyptiennes menées par les pharaons Horemheb (1321-1307) et Séti I (1305-1290) n’ont pas ébranlé la domination hittite en Syrie. Seul l’Amurru a fait défection lors de l’offensive de Séti I mais est rentré au bercail hittite à la suite de la bataille de Qadeš (1286/1285 av. J.C.). Ramsès II (1290-1223 av. J.C.) a mené une vigoureuse offensive contre les positions hittites en l’an V (1286/1285 av. J.C.) de son règne et a toujours fait de la bataille de Qadeš une grande victoire auquel son courage, alors que ses troupes fuyaient devant les chars hittites, avait largement contribué. Mais son adversaire, Muwatalli II, le fils de Muršili, a pu poursuivre l’armée égyptienne après la bataille, récupérer l’Amurru et pénétrer en pays égyptien au nord de Damas. La Syrie hittite a ainsi retrouvé sa pleine expansion qui ne sera plus remise en cause. Le frère et second successeur de Muwatalli, le Grand Roi usurpateur, Œattušili III, qui avait renversé son neveu, s’empressera en effet de conclure un traité de paix et d’alliance éternelle avec Ramsès en l’an XXI de ce dernier (1270/1269 av. J.C.). Les relations cordiales entre les deux cours vont se multiplier (abondante correspondance retrouvée à BoÖazköy). Diplomates, princes, marchands et médecins vont traverser la Syrie dans les deux sens. Le mariage d’une fille de Œattušili avec le pharaon va mettre un sceau à l’entente cordiale égypto-hittite qui se poursuivra jusqu’à la fin. Le régime hittite : dominants et dominés Les rois hittites ont annexé quelques territoires, le Mukiš (Alalaœ) et le Nuœašše, mais ont en général imposé un régime de protectorat, souvent pesant, à leurs vassaux. Des traités rigoureux, garantis par des serments solennels, ont soumis les « rois » syriens à la tutelle des autorités hittites, le roi de Karkemiš jouant le rôle d’intermédiaire entre le Grand Roi et les princes . Une seule révolte d’envergure a entraîné la sécession de l’Amurru au début du règne de Muwatalli II. Des troubles ont agité le Nuœašše, la région steppique située entre Alep et l’Oronte mais, malgré les attaques des pharaons, l’ensemble du domaine syrien soumis à la tutelle hittite, consolidé ensuite par l’alliance entre Ramsès et Œattušili, est resté fidèle à ses suzerains jusqu’à la chute de l’empire. Le renouvellement des traités lors de l’avènement d’un nouveau prince a été une pratique habituelle bien documentée par les exemples d’Ugarit et de l’Amurru. Muršili II a, par exemple, imposé un traité beaucoup plus contraignant qu’un premier accord, au nouveau roi d’Ugarit, Niqmepa VI, en énumérant soigneusement les divers pays où le vassal serait tenu de faire campagne en cas de besoin. Le renvoi au pays de Œatti des « réfugiés » installés à Ugarit était une obligation rappelée solennellement dans tous les traités hittites. Le Grand Roi et celui de Karkemiš ont imposé par ailleurs à leur vassal d’abandonner sa suzeraineté sur une principauté, celle de Šiyannu-Ušnatu (au sud d’Ugarit et au nord de l’Amurru), désormais détachée d’Ugarit et rattachée directement à Karkemiš. Une description détaillée des frontières d’Ugarit renouvelait un texte de Šuppiluliuma. Enfin une longue liste des divinités témoins terminait, comme toujours, le texte du traité. Le roi d’Amurru, Bentešina, rallié aux Egyptiens et déposé par Muwatalli après la bataille de Qadeš a été rétabli sur son trône par Œattušili III. Le traité conclu alors revenait sur l’histoire passée de l’Amurru depuis le ralliement d’Aziru au pouvoir hittite et anticipait des mariages croisés entre les deux familles. Une politique matrimoniale de ce genre, bien faite pour consolider la domination hittite, se retrouve ailleurs, à Ugarit en particulier. Les problèmes liés à la présence de nombreux marchands hittites, venus en particulier du port d’Ura en Cilicie, à Ugarit, a obligé Œattušili III et son épouse Puduœepa, à publier un décret réglementant le séjour de ces négociants. Ils étaient autorisés à séjourner à Ugarit pendant la belle saison mais ils devaient quitter la cité pendant l’hiver. A la même époque le gouverneur hittite du pays de Mukiš (Alalaœ) imposait au roi d’Ugarit, Ammištamru III, de recevoir des artisans chargés de teindre des étoffes de laine. Un dignitaire d’Ugarit devait les prendre en charge et aucune taxe ne devait leur être imposée. La documentation, plus abondante à partir de cette époque, montre que le poids de la puissance hittite a continué à peser lourdement jusqu’à la fin sur les pays vassaux. De nombreux princes et dignitaires hittites ont participé au trafic international qui s’est développé après la conclusion du traité égypto-hittite et ils ont multiplié leurs séjours à Ugarit comme à Emar. Tous les tamkâru (négociants) qui séjournaient en Syrie étaient des agents de leur souverain, roi de Œatti ou roi de Karkemiš, et non des entrepreneurs privés. Le roi de Karkemiš, Ini-Tešub, a ainsi conclu un important accord avec Ugarit réglant les compensations à prévoir dans le cas de meurtre de marchands d’Ugarit ou de Karkemiš tués lors de leur séjour dans le pays voisin. A la même époque, alors que Tutœaliya IV règne en Œatti (c.1250-1220 av. J.C.), le pouvoir hittite a dû intervenir plusieurs fois pour régler des incidents graves survenus aux frontières séparant Ugarit et Šiyannu. Mais le plus bel exemple de l’emprise hittite en pays syrien est fourni par les implications des deux souverains, le Grand Roi et le roi de Karkemiš dans les « scandales » survenus à la cour d’Ugarit. Les fils du roi d’Ugarit, Ammištamru III, avaient « conspiré » contre la reine, Aœatmilku, L’exil des deux « coupables » à Alašiya (Chypre), ordonné par la reine, a été entériné par deux décrets hittites, l’un d’Ini-Tešub, roi de Karkemiš, l’autre du Grand Roi Tutœaliya IV. Les affaires politiques et judiciaires étaient soumises en premier lieu au roi de Karkemiš et, en appel, au Grand Roi lui-même. La seconde affaire est la plus révélatrice de la sujétion à laquelle étaient soumis les princes syriens. Le divorce, l’exil puis la mise à mort de la seconde épouse d’Ammištamru, la « fille de la Grande Dame », fille du roi d’Amurru, Bentešina, et d’une princesse hittite, sans doute coupable d’adultère, ont été réglés de même par Tutœaliya IV et Ini-Tešub. Une riche documentation a été conservée à ce propos. Pour éviter une guerre entre l’Amurru, où la princesse s’était réfugiée, et Ugarit les rois hittites ont imposé le règlement final qui a entraîné la livraison puis la mise à mort de la « coupable » et le versement d’une lourde compensation du roi d’Ugarit à son « beau-frère », Šaušgamuwa, roi d’Amurru et frère de la condamnée. La succession au trône d’Ugarit était réglée en même temps. Le fils d’Ammištamru, Ibiranu VI, qui lui a succédé, a régné alors que la guerre avait éclaté entre Tutœaliya et le roi d’Assyrie, Tukulti-Ninurta. Les Assyriens qui avaient conquis le Œanigalbat (ex-Mitanni) à l’époque de son père, Salmanasar, faisant de l’Euphrate la frontière de leur empire et de Karkemiš l’avant-poste des pays hittites, ont infligé une lourde défaite au roi hittite (Niœriya). Le roi de Karkemiš est resté fidèle au Grand Roi, son cousin, mais est devenu un véritable cosouverain des pays hittites de Syrie. (sa dynastie survivra à la chute de Œattuša et à la ruine du pouvoir central en Anatolie). Au début des hostilités les deux rois hittites avaient d’abord promis à Ibiranu de libérer Ugarit de ses obligations militaires « tant que durerait la guerre d’Aššur » au prix du versement d’un lourd tribut. Après la défaite de Niœriya ils lui ont cependant imposé de façon comminatoire de fournir troupes et chars à son suzerain et au roi de Karkemiš. A la même époque le roi d’Amurru, Šaušgamuwa, a conclu un nouveau traité avec Tutœaliya IV lui imposant les mêmes obligations et lui interdisant de laisser les navires des gens d’Aœœiyawa (très vraisemblablement les Grecs mycéniens) de continuer leur trafic en direction de son pays et d’Aššur. La réconciliation entre les rois de Œatti et d’Aššur a été rapide après cette crise et la domination hittite en Syrie est restée aussi prégnante au cours des deux derniers règnes de la dynastie, ceux de Tutœaliya IV et de Šuppiluliyama (II). Le fils d’Ibiranu, Niqmaddu IV a été aux prises avec des gens d’Ura, certainement des marchands. Le jugement du différend a été rendu par deux princes hittites ayant reçu délégation du roi de Karkemiš. Le roi d’Ugarit était ainsi relégué au rang de simple dignitaire de l’empire. On a conservé la copie d’une lettre (en langue ougaritique et en cunéiformes syllabiques) de la reine-mère Puduœepa à ce dernier. Elle lui donnait des instructions précises concernant l’itinéraire des caravanes destinées à l’Egypte et le versement du tribut en or dû au Grand Roi, son fils. La documentation conservée au tell Meskéné, la cité d’Emar située au coude de l’Euphrate, au sud de Karkemiš, date en grande partie de cette époque. Elle montre la faiblesse du pouvoir local. Le roi d’Emar était soumis au roi de Karkemiš par l’intermédiaire d’un haut dignitaire hittite, le « surintendant du pays » (LÚ.UGULA.KALAMMA). Son degré de sujétion était plus grand que celui des rois d’Ugarit, d’Amurru et des autres principautés syriennes. La riche documentation relative au commerce montre la richesse des pays syriens sous la domination hittite. Mais de graves menaces sont apparues à la fin de cette période. La famine a frappé aussi bien l’Anatolie que les pays syriens. Le Grand Roi Šuppiluliyama a multiplié les objurgations en direction de ses vassaux. Le dernier roi d’Ugarit, Ammurapi, a été sommé d’envoyer des cargaisons de céréales au pays hittite alors que celui-ci mourrait de faim. A la même époque le dit Ammurapi répudiait la princesse hittite qu’il avait épousée. Les menaces de nouveaux envahisseurs, les Peuples de la Mer, ont obligé tous les princes syriens à se placer sous la protection du Grand Roi. Le dernier roi d’Ugarit, dans une correspondance adressée au roi d’Alasiya se plaint amèrement d’être privé de ses navires et de ses troupes réquisitionnés par son suzerain en Anatolie et sur les côtes du pays de Lukka (la Lycie). La destruction d’Ugarit a accompagné la ruine de l’empire mais Karkemiš a survécu et une série de « royaumes néohittites », en fait peuplés de Louvites, des cousins des Hittites, utilisant des hiéroglyphes pour transcrire leur langue (proche du nésite/hittite) se sont développés à Karkemiš, à Alep, à Hamath et ailleurs en Syrie. Souvent alliés aux Araméens, des Sémites occidentaux, ils offriront une longue résistance aux conquérants assyriens mais finiront par succomber aux assauts de cet implacable ennemi. Karkemiš est tombée en 717 av. J.C. alors que les Araméens achevaient de s’imposer dans les divers royaumes néo-hittites devenus des provinces assyriennes avant d’être englobés dans l’empire perse des Achéménides.