Migration au Sénégal : Document thématique 2009

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Migration au Sénégal : Document thématique 2009
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Migration au Sénégal :
Document thématique 2009
Migrations régulières et irrégulières :
défis, retombées et implications
politiques au Sénégal
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L’OIM croit fermement que les migrations organisées, s’effectuant dans des
conditions décentes, profitent à la fois aux migrants et à la société tout entière. En
tant qu’organisme intergouvernemental, l’OIM collabore avec ses partenaires au
sein de la communauté internationale afin de résoudre les problèmes pratiques de
la migration, de mieux faire comprendre les questions de migration, d’encourager
le développement économique et social grâce à la migration, et de promouvoir le
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Ce document a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne, l’Office
fédéral des migrations suisse (ODM) et la Coopération belge au développement.
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Migrations régulières et
irrégulières : défis, retombées
et implications politiques au
Sénégal
Préparé par
Lanfia Diané
Avant-propos
Grâce au soutien financier de l’Union européenne, l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et la Coopération belge au développement, l’OIM met en œuvre le projet « Migration en Afrique de l’Ouest et centrale : profils nationaux pour le développement de politiques stratégiques » dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale (Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo et Sénégal), afin de promouvoir une approche politique de la migration cohérente et dynamique, en appui à la planification des politiques stratégiques au niveau national et régional. Les profils migratoires nationaux sont un résultat fondamental de cette recherche et de ce projet de renforcement des capacités. Ils constitueront un outil politique utile pour suivre les tendances migratoires et identifier les domaines nécessitant des développements politiques subséquents. Mais, en étant principalement un outil de suivi, les profils nationaux fournissent des lignes directrices limitées au type de politiques pouvant être développées dans un domaine particulier (i.e. méthodologies et approches politiques). La série de documents thématiques traite cet aspect particulier en aidant les responsables politiques et les praticiens à définir les priorités d’action et les options politiques dans les domaines particulièrement pertinents dans le contexte politique national. Sous la direction et avec l’appui des groupes de travail techniques nationaux et interministériels (GTTN) ainsi que des sous‐groupes de travail thématiques, établis dans chaque pays cible au cours du projet, trois documents thématiques ont été rédigés par des experts locaux pour chacun des pays concernés. Le but de ces documents est d’accroître les capacités de développement de politiques, par l’identification des bonnes pratiques et en évaluant les perspectives de développement politiques sur des éléments présentant un intérêt particulier pour le gouvernement. Abye Makonnen Frank Laczko Représentant régional Chef de la division recherche et publications Mission à fonctions régionales Siège de l’OIM Dakar, Sénégal Genève, Suisse Migration au Sénégal : Document thématique 2009 2
Table des matières
Liste des abréviations……………………………………………………………………………………………………………………..5 Résumé…………………………………………………………………………………………………………………………………………..6 Introduction……………………………………………………………………………….......................................................7 I. Etat des lieux de la migration internationale au Sénégal…………………………………………………….……..10 I.1 Emigrations sénégalaises………………………………………………………………………………………… ……………..10 I.1.1 Emigrations irregulières……………………………………………………………………………………………………..…10 A. Dynamique……………………………………………………………………………………………………………………………....10 B. Déterminants...………………………………………………………………………………………………………..……………….12 C. Acteurs…………………………………………………………………………………………………………………..…………………13 D. Caractéristiques des émigrés…………………………………………………………………….………………………………14 E. Existence des réseaux et associations……………………………………………………..…………………………….....14 F. Nouvelles zones de transit et de destination……………………………………….…………………………………….15 G. Elargissement des zones de départ…………………………………………………...........................................16 H. Jeunesse et fuite des bras valides...…………………………………………………………………..………………….….16 I. Féminisation de la migration irrégulière…………………………………………………………….………………….…..16 J. Atteintes aux droits des migrants irréguliers………….……………………………………………………..…….…….16 I.1.2 Emigrations regulières…………………………………………………………………………………………………………..17 A. Emigration de travail / Exode des compétences………………………………………………………………………..17 B. Regroupement familial……………………………………………………………………………………………………………..19 I.2 Immigrations au Sénégal…………………………………………………………………………………………………………..19 I.2.1 Immigrations regulières…………………………………………………………………………………………………………19 I.2.2 Immigrations irregulières……………………………………………………………………………………………………...22 II. Retombées socioéconomiques de l’émigration internationale au Sénégal ……………………………….25 II.1 Statut migratoire international des ménages et niveau de vie………………………………………………..25 II.2 Impacts des apports des émigrés sur le développement économique et social au Sénégal…….26 A. Interventions/apports sectoriels ………………………………………………………………………………………………26 B. Contraintes.………………………………………………………………………………………………………………………………28 C. Proposition de solutions …………………………………………………………………………………………………………..29 III. Implications politiques des migrations au Sénégal ………………………………………………………………….30 III.1 Institutions .…………………………………………………………………………………………………………………………..30 III.2 Mesures et textes nationaux relatifs à la migration au Sénégal …………………………………………….31 A. Le traitement des immigrés au Sénégal.…………………………………………………………………………………..31 B. La répression de la migration irrégulière et de la traite des personnes .……………………………………34 C. La gestion du retour des émigrés sénégalais et la lutte contre la migration irrégulière………......35 III.3 Textes supranationaux sur les migrations ratifiés par le Sénégal……………………………………………39 III.4 Faiblesses des politiques migratoires au Sénégal…………..……………………………………………..………42 IV. Défis en matière de migration au Sénégal……………………………………………………………………………….44 Conclusion……………………………………………………………………………………………………………………………………46 Bibliographie………………………………………………………………………………………………………………………………..48 Annexe…………………………………………………………………………………………………………………………………………49 Migration au Sénégal : Document thématique 2009 3
Liste des abréviations
APIX Agence Nationale chargée de la Promotion des Investissements et des Grands Travaux ASCODE Association pour le Co‐Développement BRS Banque Régionale de Solidarité CDEPS Centre Départemental de l’Education Populaire et Sportive CEAO Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest CEDEAO Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest CNCA Caisse Nationale de Crédit Agricole CNE Commission Nationale d’Eligibilité CONGAD Conseil des ONG d’Appui au Développement DPP Déclaration de Politique de Population DSRP Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté ESAM 2 2ème Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages FRONTEX Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne GOANA Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance MMR Mécanisme de Réaction Rapide OIM Organisation Internationale pour les Migrations OMD Objectifs du Millénaire pour le Développement ONG Organisation Non Gouvernementale PAISD Programme d’Appui aux Initiatives de Solidarité pour le Développement PME Petites et Moyennes Entreprises PNDL Programme National de Développement Local PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement REVA Retour Vers l’Agriculture RGPH 3 3ème Recensement Général de la Population et de l’Habitat SCA Stratégie de Croissance Accélérée TOKTEN Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals/Transfert des Connaissances par des Nationaux Expatriés UA Union Africaine UEMOA Union Economique et Monétaire Ouest Africaine UMOA Union Monétaire Ouest Africaine UNOPS Bureau des Nations unies pour les Services d'Appui aux Projets Migration au Sénégal : Document thématique 2009 4
Résumé
Durant la période précoloniale, la migration était essentiellement liée à la recherche de meilleures opportunités offertes par la nature bien qu’il existait une certaine migration forcée due à l’esclavage. Dans les régions septentrionales du Sénégal, les bergers et leurs troupeaux se déplaçaient à la recherche d’eau et de pâturage tandis que dans celles méridionales où le système de production était dominé par l’agriculture itinérante, la recherche de terres fertiles, justifiait les déplacements. Au XIXème siècle, les colonisateurs apportèrent une nouvelle approche de migration consistant à valoriser des terres vierges en vue de développer la culture de l’arachide. La faillite de la culture arachidière et les nombreuses difficultés enregistrées au niveau du secteur industriel ont, depuis le début des années 1970, entraîné l’exacerbation de l’exode rural et des migrations internationales. Aujourd’hui, face à la montée des difficultés socioéconomiques, la recherche de meilleures conditions de vie n’épargne aucune catégorie sociale (analphabètes, intellectuels, femmes, jeunes, etc.) ce qui fait du Sénégal, un pays d’émigration massive. En raison de sa position géographique (pays carrefour entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique), largement ouvert sur l’océan Atlantique et compte tenu de l’épuisement des ressources halieutiques ayant incité beaucoup de pêcheurs à mettre leur expertise au service de la migration irrégulière, le Sénégal est aussi devenu un pays de transit. Ainsi, ces dernières années, on a assisté à l’intensification de la migration irrégulière qui constitue pour les catégories sociales défavorisées, une alternative au chômage et à la pauvreté. C’est cette situation qui explique en effet, le regain d’intérêt accordé aux phénomènes de migration dans la sous‐région en général et au Sénégal en particulier et pose ainsi le problème de leur maîtrise, donc de la nécessité de collecter des statistiques fiables et de mener des études approfondies en vue de définir des politiques et stratégies appropriées en matière de gestion des flux migratoires. La première partie de cette étude présente l’état des lieux des migrations régulières et irrégulières au Sénégal (dynamique migratoire, caractéristiques des émigrés, acteurs et déterminants de l’émigration, réseaux, etc.). La deuxième partie examine les retombées économiques et sociales de l’émigration internationale au Sénégal (statut migratoire internationale et niveau de vie / impact des apports des émigrés dans le développement économique et social du Sénégal). La troisième partie porte sur les implications politiques de la migration au Sénégal. A ce niveau, il a été noté que pour l’instant, le Sénégal ne dispose pas d’une véritable politique intégrée en matière de gestion des migrations bien que des avancées significatives ont été cependant enregistrées en termes d’institutions fonctionnelles, de textes (lois, conventions, décrets, codes, lettres de politique sectorielle, étude sur les créneaux porteurs pour les émigrés, etc.), de programmes et projets. L’ensemble de ces éléments constitue certes, un soubassement solide à l’élaboration d’une véritable politique intégrée ou d’une stratégie nationale crédible, capable d’apporter des réponses cohérentes et durables aux questions et problèmes de migration au Sénégal. La quatrième partie décline les défis majeurs à relever aux niveaux national et supranational en matière de migration au Sénégal. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 5
Introduction
Dans l’histoire des peuples, la migration vers de nouvelles localités présentant plus d’opportunités et/ou de sécurité, a toujours été perçue comme une des stratégies naturelles de survie ou d’épanouissement des populations. N’est‐ce pas qu’Alfred Sauvy disait : « ou bien les richesses iront là où sont les hommes ou bien ce seront les hommes qui iront là où sont les richesses ». C’est dire que la migration est un phénomène dont les mobiles sont complexes, multifactoriels et ne peut être définitivement stoppée car elle est à l’origine d’un important flux d’informations, de ressources humaines, de ressources financières et constitue par conséquent, un facteur éminemment stratégique. Toutefois, il faut rappeler que ce sont les grands pays développés, défenseurs du libéralisme et de la mondialisation, qui prônent sous tous les cieux la libre circulation des biens et services comme un moyen indispensable à l’émergence économique de toutes les nations. Paradoxalement, ce sont ces mêmes pays qui sont peu enclins à accepter la liberté de circulation des personnes, qui constitue une dimension importante de la globalisation. Aujourd’hui, dans la plupart des pays de transit et de destination, des contraintes sont imposées à l’entrée comme au séjour par le biais de politiques et actions draconiennes. Néanmoins, ces mesures et interventions ne sont parfois efficaces que durant une durée très limitée. La détermination et l’ingéniosité des migrants arrivent toujours à supplanter les barrières imposées. A titre d’illustration, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (FRONTEX) a mobilisé un arsenal très coûteux de 19 avions, 24 hélicoptères, 107 bateaux et des matériels de haute technologie1, pour combattre l’immigration irrégulière. Les résultats obtenus ont été en deçà de ceux escomptés. C’est dire que les questions et problèmes de migration demeurent complexes pour tous les pays et méritent d’être minutieusement analysés aux niveaux national et supranational en vue de trouver des solutions adéquates. Au Sénégal, la prise en compte des questions de population dans le développement national, a toujours été une préoccupation fondamentale du Gouvernement. Le Sénégal est l’un des pionniers en Afrique subsaharienne à avoir adopté en avril 1988 une Déclaration de Politique de Population (DPP), actualisée en 2002 en raison des mutations socioéconomiques intervenues au plan national et des nouveaux paradigmes apparus au plan international. L’atteinte de certains objectifs de cette politique nationale de population nécessite une compréhension profonde des questions et problèmes de migration ainsi que le choix de décisions stratégiques permettant d’apporter des réponses efficaces à la problématique complexe et multidimensionnelle de la migration. Toutefois, il faut rappeler que la mobilité des populations a toujours été une constante de l’histoire du Sénégal. Toutes les formes de mobilité, volontaire ou forcée, se superposent dans le passé comme dans le présent. Durant la période précoloniale, la migration était essentiellement liée à la recherche de meilleures opportunités offertes par la nature bien qu’il existait une certaine migration forcée due à l’esclavage. Au nord du Sénégal, les bergers et leurs troupeaux se déplaçaient à la recherche d’eau et de pâturage 1
Mohamed Khachani : Immigration légale : Pour une gestion concertée entre les partenaires euro‐africains. Rabat 3 et 4 mars 2008. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 6
tandis qu’au sud où le système de production était dominé par l’agriculture itinérante, la recherche de terres fertiles justifiait les déplacements. A partir du 19ème siècle, la colonisation apporta une nouvelle approche de migration consistant à valoriser de nouvelles terres en vue de développer la culture de l’arachide. Durant les années 1970, le monde rural enregistre une séquence de sécheresses, qui se traduit par une crise aigue du secteur agrosylvopastoral notamment la faillite de la filière arachidière qui était le moteur de l’économie sénégalaise. Dans les villes, du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, la crise du secteur industriel et les programmes d’ajustement structurel préconisés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, se traduisent par une vague de déflations et de départs volontaires au niveau des secteurs public et privé. Face à l’ensemble de ces difficultés sévissant dans les campagnes et les villes, on assiste alors à l’exacerbation de l’exode rural et l’émigration internationale. Aujourd’hui, face à l’approfondissement des difficultés socioéconomiques, la recherche de meilleures conditions de vie n’épargne aucune catégorie sociale et le Sénégal est ainsi devenu un pays d’émigration massive. Ainsi, ces dernières années, on a assisté à l’intensification des migrations qui constituent pour les catégories sociales défavorisées, un moyen de combattre le chômage et la pauvreté. Parallèlement, les conditions d’entrée dans les pays nantis et industrialisés, sont devenues de plus en plus difficiles à travers les voies aériennes et terrestres. Néanmoins, beaucoup de migrants subsahariens en général et sénégalais en particulier, tentent l’aventure en empruntant les voies maritimes, avec l’utilisation de pirogues de fortune au niveau des côtes du Sénégal, de la Mauritanie et du Cap‐Vert, au risque de leur vie. Cet usage de plus en plus accru de la mer, s’explique en partie par l’épuisement des ressources halieutiques sur ces côtes maritimes où certains pêcheurs se sont convertis en véritables passeurs et d’autres sont devenus des candidats à la migration irrégulière. Pour beaucoup de jeunes au Sénégal comme dans la plupart des pays voisins, « le désespoir est chez soi et les facteurs clés de réussite, ailleurs ». Ainsi, tous les moyens sont bons pour partir, même ceux les plus périlleux. Chaque jour, le message fort envoyé aux gouvernements des pays d’origine, de transit et de destination, est que de nombreux jeunes se lanceront toujours de manière désespérée et suicidaire à la quête de nouvelles stratégies de contournement des politiques migratoires et de franchissement des frontières. C’est cette situation qui explique en effet, le regain d’intérêt accordé aux phénomènes de migration dans la sous‐région en général et au Sénégal en particulier et pose ainsi le problème de leur maîtrise, donc de la nécessité de collecter des statistiques fiables et de mener des études approfondies en vue de définir des politiques et stratégies appropriées en matière de gestion des flux migratoires. D’où l’intérêt de cette étude portant sur le thème : Migrations régulières et irrégulières : défis, retombées et implications politiques au Sénégal. Toutefois, il faut souligner que le déficit statistique (insuffisance des données et absence de fiabilité de la plupart des sources statistiques existantes), rend difficile l’analyse de l’évolution temporelle et spatiale du phénomène migratoire ainsi que la mesure des transferts de fonds des émigrés. Les données disponibles sont parcellaires et n’offrent pas de possibilités d’analyse à la fois fine et exhaustive. Néanmoins, au niveau de cette étude axée sur les migrations internationales, nous allons dans une première partie faire l’état des lieux des migrations internationales irrégulières et régulières au Sénégal et l’accent sera mis sur l’émigration internationale qui s’effectue dans des conditions irrégulières (dynamique, acteurs, caractéristiques, déterminants, réseaux, etc.). Migration au Sénégal : Document thématique 2009 7
Dans la deuxième partie, il s’agira de décliner les retombées économiques et sociales de l’émigration internationale sénégalaise (statut migratoire et niveau de vie / impact des apports des émigrés dans le développement économique et social du Sénégal). Dans la troisième partie, nous allons examiner les implications politiques de la migration au Sénégal bien qu’il n’existe pas pour l’instant une politique intégrée en la matière. Néanmoins, des éléments de politique existent à savoir des institutions fonctionnelles, des lois, des projets et programmes opérationnels qui, harmonieusement intégrés, permettront d’élaborer une véritable politique capable de prendre en charge de manière cohérente et durable les problèmes de migration. En l’occurrence, pour identifier les faiblesses des politiques menées, nous allons présenter et analyser les principales structures officielles impliquées dans la gestion des migrations, les textes juridiques et règlementaires en vigueur, certains protocoles et conventions ratifiées ainsi que quelques projets et programmes mis en œuvre. Au niveau de la quatrième partie, les défis majeurs à relever en matière de migration au Sénégal seront déclinés. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 8
I. Etat des lieux de la migration internationale au
Sénégal
Cette partie est essentiellement consacrée à l’état des lieux des migrations internationales irrégulières et régulières au Sénégal. Toutefois, il faut souligner que la frontière entre la régularité et l’irrégularité est dans de nombreux cas, très fine et en perpétuelle itération en raison du fait que le migrant peut basculer d’un camp à l’autre, en fonction des circonstances ou des vicissitudes de la vie. I.1 Emigrations sénégalaises
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays africains, les politiques et stratégies de développement tardent encore à améliorer les conditions de vie des populations. Dans les villes comme dans les campagnes, le chômage, le sous‐emploi, la pauvreté et la vulnérabilité s’accentuent. Ainsi, la recherche des moyens de survie devient le lot quotidien d’un nombre de plus en plus croissant d’individus. Face à une telle situation de crise généralisée, la mobilité interne en tant que solution de survie ne répond plus aux attentes des populations d’où la volonté très forte de se rendre vers des destinations par delà les frontières. I.1.1 Emigrations irrégulières
La recherche de meilleures conditions de vie, la satisfaction d’un besoin de reconnaissance sociale ou le simple désir de vouloir découvrir ce qui se passe ailleurs, conduisent parfois l’être humain, à migrer. Néanmoins, cette volonté de partir vers d’autres horizons, peut lui conduire à poser des actes en marge de la légalité, susceptibles de lui mettre en danger ou de lui ôter sa vie, comme c’est le cas avec le phénomène de la migration irrégulière/illégale/clandestine/non formelle. A. Dynamique
Au Sénégal, l’émigration irrégulière vers la quête de moyens de survie ou de fortune, n’est pas un phénomène nouveau. De la période coloniale jusqu’aux années 1960, elle a été d’abord à une échelle réduite, le fait de quelques populations du nord et de l’est du pays avec en particulier les Hal Poular et les Soninkés partis à la recherche de métaux précieux en Afrique centrale et de travail en France. Depuis le milieu des années 1980, on assiste à la fin de la prééminence de la vallée du fleuve Sénégal comme zone d’émigration. Les anciennes régions naturelles du Baol et du Ndiambour, deviennent par la suite, d’importantes zones de départ. Ces dernières années, les émigrés sénégalais (réguliers et irréguliers) viennent de presque toutes les régions du pays et surtout de Dakar (31 %), de Saint‐Louis (18 %), de Diourbel (10 %), de Thiès (10 %), de Louga (8 %) et de Kolda (8 %)2. Dakar s’affirme comme la première région d’émigration et joue le rôle de principal pôle de transit. Par ailleurs, il faut rappeler qu’au cours des années 1970, le monde rural subit une séquence inexorable de sècheresses. La crise alimentaire s’installe et les cultures de rente sont fortement éprouvées. Dans les villes, on assiste à la faillite du secteur industriel suite à l’essoufflement du secteur agrosylvopastoral, grande pourvoyeuse d’intrants. Un nombre de plus en plus croissant de la population bascule dans la pauvreté et la vulnérabilité. 2
Source : ESAM 2. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 9
La réponse spontanée des populations à la dégradation de leurs conditions de vie, a été l’émigration massivement organisée dans des conditions irrégulières, leur permettant d’amasser des ressources d’appoint en vue d’entretenir la famille au niveau de la localité d’origine et de s’atteler progressivement à la réalisation de leurs projets personnels. Cette émigration sénégalaise s’est d’abord développée d’une part, à l’échelle du continent africain où les flux étaient essentiellement orientés vers la Côte d’Ivoire, le Congo Brazzaville et le Gabon. D’autre part, à l’échelle intercontinentale, la France, l’Italie et l’Espagne, ont été les principales destinations. En Afrique de l’Ouest, la plus importante destination était la Côte d’Ivoire. Mais, au début des années 1990, ce pays de tradition hospitalière va atteindre un taux d’immigration très élevé avoisinant les 30 % et parallèlement, on assiste à la montée des grands déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers. Pour juguler la crise économique et financière, la Côte d’Ivoire instaure la carte de séjour en 1993 en vue de réduire la pression migratoire d’une part et de générer des recettes pour renflouer les caisses de l’Etat d’autre part. Suite à cette décision politique impopulaire combinée à la guerre civile au début des années 2000, les émigrés sénégalais vont se réorienter vers d’autres contrées où la sécurité existe et les législations en matière de migration sont plus souples. Concernant la destination gabonaise, les émigrés sénégalais irréguliers ont tenté l’aventure à partir des années 1980. La quasi totalité de ces émigrés n’était pas dotée d’une véritable qualification professionnelle. Une minorité de ces émigrés était constituée d’agents déflatés des secteurs public et privé suite à la crise du secteur industriel et à la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel. Ces immigrés évoluaient massivement dans l’économie populaire ou informelle. Pour la destination congolaise, beaucoup d’émigrés sénégalais ont préféré la clandestinité car évoluant dans le secteur des métaux précieux où les supercheries et les meurtres sont le lot quotidien de ce type d’affaire très lucratif. En France, avant 1974, la détention d’une carte d’identité et d’un certificat de visite médicale suffisait pour entrer légalement dans ledit territoire car le besoin en main d’œuvre était énorme. Mais, à partir de 1974, on assista au durcissement des politiques d’immigration dans certains pays européens de destination avec l’instauration en France, des titres de séjour et de travail. Ainsi, beaucoup d’émigrés sénégalais basculèrent dans l’irrégularité. Le processus de durcissement des conditions d’entrée et de séjour continue, notamment en France par l’instauration de la carte de séjour (1981) et du visa à l’entrée (1985), amenuisant de fait l’attractivité de la destination française. Depuis, les lois successives n’ont fait que renforcer les restrictions au séjour des étrangers et les expulsions de migrants irréguliers augmentent régulièrement. Récemment en 2006, la France et le Sénégal ont signé l’accord sur « la gestion concertée des flux migratoires » en vue de favoriser la migration légale et renforcer le volet migration et développement. Au cours de la décennie 1990, l’émigration sénégalaise s’est étendue vers les Etats‐Unis et à de nouveaux espaces européens en quête de main d’œuvre notamment l’Italie et l’Espagne. L’Espagne et l’Italie ont une politique d’immigration plus ou moins ambiguë qui, dans une certaine mesure, favorise l’immigration irrégulière. D’une part, ces pays tentent de satisfaire leurs énormes besoins en main d’œuvre raison pour laquelle, ils ont procédé entre 1990 et 2000, à la régularisation de plusieurs centaines de milliers d’immigrés. D’autre part, ils veulent satisfaire aux exigences des politiques communes européennes en matière de migration et consistant à durcir les conditions d’admission. Ce flou artistique dans les politiques d’immigration espagnole et italienne, combiné à leur position géographique ouverte sur la Méditerranée, expliquent en partie l’acharnement des migrants irréguliers sénégalais à pénétrer l’espace Schengen à travers les frontières de ces pays. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 10
Dans les années 1990, à l’instar de nombreux migrants subsahariens, les migrants irréguliers sénégalais ont emprunté les chemins hasardeux du désert, ce qui s’est poursuivie jusqu’aux événements de Ceuta et Melilla. Il faut rappeler qu’en 2005, plusieurs centaines de migrants dont des demandeurs d’asile, principalement subsahariens, ont tenté de franchir les murs de grillage qui les séparent de Melilla et Ceuta. Débordées, les polices espagnoles et marocaines tirent, entraînant des morts et de nombreux blessés. Après le verrouillage du détroit de Gibraltar, les migrants irréguliers sénégalais ont choisi en ce début du 21ème siècle, la voie maritime avec les embarcations de fortune pour accéder directement aux Îles Canaries (Espagne). Cette pratique s’est largement substituée aux routes transsahariennes. Les flux et les itinéraires ont donc évolué parce que le candidat à la migration irrégulière fait face à des barrières de plus en plus nombreuses qu’il doit minutieusement analyser pour trouver les voies et moyens de réaliser son projet. Dans l’avenir, il y aura sans doute d’autres itinéraires et d’autres stratégies de pénétration des frontières pour échapper à la vigilance des patrouilles frontalières. B. Déterminants
Les déterminants de la migration irrégulière sont nombreux et multidimensionnels. Parmi les plus importants, nous pouvons citer : ‐ le chômage, le sous‐emploi et la pauvreté Des années 1970 jusqu’à nos jours, les difficultés des secteurs agrosylvopastoral et industriel ont entraîné l’aggravation du chômage et du sous‐emploi ainsi que l’approfondissement de la pauvreté, poussant un nombre de plus en plus croissant d’actifs, à partir. En plus, l’inadéquation entre la formation et l’emploi a accru le nombre des chômeurs et par conséquent, celui des candidats potentiels à la migration irrégulière. ‐ l’émergence des réseaux informels d’encadrement de la migration irrégulière Les passeurs soi‐disant « professionnels », obnubilés par l’appât du gain, parviennent souvent par des artifices, à convaincre de nombreux candidats potentiels à la migration irrégulière. De même, des groupes de solidarité implantés dans les pays de destination, alimentent la migration illégale en apportant des appuis financiers et informationnels. ‐ « Le décalage entre le vécu quotidien des migrants potentiels et l’image qu’ils se forgent de l’Espagne crée un ″imaginaire migratoire" qui alimente à son tour le désir de partir. Dans le discours des migrants clandestins, on observe "une envie d’ailleurs" très forte, le "rêve d’Europe". Comme le résume un jeune émigré rapatrié d’Espagne en 2006 : "au Sénégal c’est la misère et l’Espagne c’est le Paradis". Cette perception est alimentée par les télévisions qui présentent les pays européens à travers des images de richesse, de liberté et de bonheur. » (Ba Cheikh Oumar et Ndiaye Alfred Iniss ; 2007). ‐ l’accroissement et le renforcement des entraves à la circulation migratoire au niveau des pays de transit et de destination sont de nature à favoriser la migration irrégulière. ‐ les investissements réalisés par les émigrés notamment dans l’immobilier et l’image de réussite parfois trompeuse que reflètent les émigrés‐vacanciers en circulant dans des voitures rutilantes lors de leur congé au Sénégal, incitent les jeunes à tenter l’aventure même au risque de leur vie. ‐ les transferts de fonds des émigrés, améliorant les conditions de vie de leurs familles au niveau du pays d’origine, incitent par esprit d’émulation celles qui n’ont pas d’émigrés en leur sein à organiser le voyage des jeunes actifs. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 11
‐ l’accès facile aux instruments technologiques de communication et d’orientation (cellulaires, Internet, GPS, etc.) permet de discuter entre parents et amis partout dans le monde et d’identifier ainsi des pistes intéressantes de migration irrégulière.
C. Acteurs
De nos jours, la monétarisation ou la marchandisation des rapports sociaux a fini par mettre au sommet de l’échelle sociale, la fièvre du gain matériel. Toutes les stratégies sont utilisées pour être à même de satisfaire au moins, à ses besoins fondamentaux. Parmi ces stratégies de « réussite », la migration irrégulière constitue au Sénégal, une des plus prisées par les populations dans un contexte de raréfaction croissante des opportunités d’épanouissement économique et social. L’exemple des émigrés qui ont réussi et fait le bonheur de leur famille, crée l’esprit d’émulation et joue un rôle catalyseur au sein de la communauté. C’est dire que les enjeux de la migration irrégulière sont énormes et les acteurs sont nombreux. Parmi ces acteurs de la migration irrégulière, nous pouvons citer : ‐ Les candidats à la migration irrégulière (adultes, jeunes, femmes et enfants) qui sont soit des personnes qui ont délibérément choisi de partir, soit qui ont été contraintes à vouloir migrer. Généralement au Sénégal, la décision de migrer n’incombe pas au seul postulant à la migration. Ce dernier appartient à une famille ou à une communauté qui suscite le plus souvent la décision de partir car voulant se mettre à l’abri du risque à travers les transferts de fonds et d’équipements de l’émigré. ‐ La famille, le clan ou la communauté jouent le plus souvent, un rôle primordial en amont comme en aval du processus migratoire. Les membres de la famille, du clan ou de la communauté (père, mère, tantes, frères, sœurs, oncles, etc.) financent généralement le voyage du candidat qui le plus souvent, n’a pas les moyens lui permettant de prendre en charge tous les frais du voyage. L’argent dépensé par les membres de la famille ou de la communauté, n’est pas une aumône ou un cadeau offert à l’émigré mais plutôt, un prêt remboursable qui crée en retour, une certaine obligation de soutien ou de prise en charge des parents et ce, durant tout son séjour à l’étranger. ‐ Les marabouts et les féticheurs sont aussi mis à contribution pour le succès du processus migratoire. Les croyances superstitieuses au Sénégal, poussent beaucoup de personnes à croire que les incantations, les invocations, les talismans et les bénédictions de ces devins, peuvent couronner de succès, tout le processus migratoire irrégulier (voyage, séjour et retour). ‐ Les réseaux de passeurs, les trafiquants de drogues, de personnes et d’organes humains, alimentent aussi la migration irrégulière au Sénégal. Ils sont financièrement puissants et gagnent énormément d’argent dans l’organisation du voyage clandestin et dans la vente des produits véhiculés. Ils constituent ainsi l’épine dorsale du problème de la migration irrégulière au Sénégal. Ces réseaux sont difficiles à démanteler en raison de la diversité de leur composition. Plusieurs catégories socioprofessionnelles sont impliquées dans la quête perpétuelle du jackpot (travailleurs indépendants, fonctionnaires et hommes politiques véreux, etc.), toute une chaîne complexe qui se transmet l’information souvent codée et en temps réel. Toutefois, il faut aussi noter que l’épuisement des ressources halieutiques au Sénégal, a poussé plusieurs pêcheurs à mettre leur expertise au service de la migration irrégulière, faisant ainsi grossir les rangs des passeurs. Au Sénégal, la traversée maritime des migrants irréguliers vers l’Espagne, est généralement assurée par des pêcheurs artisanaux. Avec ces derniers, le prix à payer de 300 000 FCFA à 800 000 FCFA. Mais cela comporte d’énormes risques car beaucoup de pirogues naufragées finissent par atterrir aux larges des côtes espagnoles ou italiennes avec au décompte, de nombreuses victimes. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 12
‐ L’Etat est un acteur important qui, dans ses missions régaliennes, se doit d’assurer la sécurité des candidats à la migration irrégulière en les empêchant de tenter les aventures suicidaires et en entreprenant des initiatives de bonne gouvernance (création d’emplois, approfondissement de la décentralisation, promotion d’un système éducatif de qualité, etc.) permettant ainsi de fixer les populations dans leur localité d’origine. D. Caractéristiques des émigrés
Compte tenu du fait que la plupart des émigrés, en fonction des vicissitudes de la vie, peuvent d’un moment à l’autre, se trouver en situation régulière ou irrégulière, il est difficile d’établir des statistiques fiables portant sur les caractéristiques des émigrés réguliers ou irréguliers. Au Sénégal, seules des statistiques officielles sur les caractéristiques de l’ensemble des émigrés, existent pour l’instant. Ainsi, à partir des résultats de la deuxième Enquête sénégalaise auprès des Ménages (ESAM II‐2002), nous pouvons présenter les différentes caractéristiques des émigrés sénégalais. Les migrants internationaux sénégalais sont majoritairement des hommes (84 %) et les femmes ne constituent que 16 %. Ils sont généralement jeunes car 72 % d’entre eux sont âgés de moins de 35 ans, 4 % ont moins de 15 ans, 68 % appartiennent à la tranche d’âge 15‐34 ans, 26 % ont entre 35 et 54 ans et seulement 2 % ont plus de 55 ans. Environ 52 % des émigrés sont mariés et forment pour la plupart un foyer monogame (4/5ème) et marginalement un foyer polygame (1/5ème). Les célibataires constituent 46 % des émigrés. Les divorcés qui constituent 1,5 % et les veufs 0,5 % environ, représentent une frange moins importante de la migration internationale. Les émigrés sénégalais sont essentiellement composés de wolofs/lébous (47 %), de poulars (28 %), de sérères (6 %), de diolas (4 %), de soninkés/sarakolés (4 %) et de mandingues/socés (3 %). Avant leur départ, 46 % des émigrés avaient du travail, 29 étaient chômeurs, 14 % étudiants ou élèves, 7 % femmes au foyer et 4 % inactifs. Le nombre d’émigrés qui avaient du travail, était plus important dans le monde rural qu’en milieu urbain (50 % contre 42 %). Le nombre de chômeurs était plus important dans le milieu rural qu’en milieu urbain (31 % contre 27 %). Le nombre d’émigrés élèves ou étudiants originaires des villes est plus important qu’en campagne (21 % contre 7 %). E. Existence des réseaux et associations
Le durcissement des conditions d’entrée et de séjour en Occident comme dans certains pays africains et asiatiques, s’est traduit par la massification de la migration irrégulière avec la multiplication des réseaux et associations d’appui et d’encadrement. Le développement de réseaux clandestins de passeurs a d’énormes conséquences négatives notamment les nombreuses pertes en vie humaine enregistrées tout au long du parcours migratoire périlleux. Les réseaux clandestins impliqués dans les mouvements d’émigration sont difficiles à démanteler en raison de l’énorme enjeu financier et de leur composition diversifiée (trafiquants de passeports, courtiers de visa, pêcheurs industriels et artisanaux, rabatteurs, fonctionnaires véreux, etc.). Les réseaux de passeurs clandestins sont aussi à la base des mouvements de trafic ou de traite des personnes3, portant particulièrement sur les femmes et les enfants qui, en vue d’exploitation par le travail ou par le sexe sont régulièrement interceptés sur les côtes maritimes du Sénégal. 3
Terme désignant « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation » (Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2000, art. 3 a). A la différence Migration au Sénégal : Document thématique 2009 13
En outre, il y a les réseaux de solidarité dans les pays de destination, constitués d’émigrés ressortissants des pays d’origine et qui soutiennent les flux d’émigration. Les plus anciens réseaux de solidarité ont été implantés en Europe et en Afrique centrale, par les Soninkés (Sarakolés) et les Toucouleurs (Hal Poular). Ces réseaux sont par nature fermés. Il n’est donc pas possible d’obtenir des statistiques fiables sur le nombre d’acteurs concernés. Aujourd’hui, on assiste de plus en plus au Sénégal comme dans les pays de destination, à l’émergence des réseaux confrériques comme entité organisatrice de l’émigration des membres (ou frères) résidant au pays d’origine et candidats au départ. Les réseaux confrériques deviennent de plus en plus attractifs pour les candidats potentiels à l’émigration car les guides religieux sont fortement impliqués dans la prise en charge du voyage et la recherche d’emploi pour le disciple dans le pays de destination. La tache du guide religieux est facilitée par le fait que tous les membres (fonctionnaires, politiciens, commerçants, chômeurs, etc.) du réseau confrérique ont déjà fait acte d’allégeance et par conséquent, les instructions sont quasiment respectées. Les réseaux confrériques mourides constituent des exemples illustratifs dans la gestion des flux migratoires notamment en Italie, en Espagne et aux Etats‐
Unis. Concernant les associations sénégalaises d’émigrés implantées dans les pays de destination (exemples : Matlaboul Fawzeni en Italie et ASCODE en Espagne), elles apportent plus leurs contributions dans la prise en charge des investissements sociaux dans les localités d’origine, dans l’entraide, dans la recherche de travail pour les nouveaux compatriotes immigrés ayant adhéré à l’association et parfois participent à l’organisation du voyage des parents‐candidats à l’émigration dans le pays d’origine. F. Nouvelles zones de transit et de destination
La complexification des procédures d’obtention de visa et le renforcement des stratégies de contrôle des frontières au niveau des pays de destination, poussent les migrants sénégalais à identifier de nouveaux itinéraires. Les anciennes voies empruntées par les migrants sénégalais irréguliers passaient par les pistes du désert, observant une phase de transit (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye) avant d’aboutir soit en Espagne (Îles Canaries), soit en Italie (Île de Lampedusa). Aujourd’hui, avec l’appui technique et financier du Frontex, la mise en place de dispositifs de contrôle des frontières au niveau de la plupart des anciennes zones de transit a contraint les émigrés clandestins sénégalais à modifier leurs itinéraires. Ils préfèrent de plus en plus la voie maritime malgré tout le péril inhérent et les nouvelles zones de transit sont devenues les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Gambie, Guinée‐Bissau et Cap‐Vert) au niveau desquels ils utilisent des embarcations de fortune pour tenter l’aventure sans escale en direction de l’Europe. Par ailleurs, on assiste à l’émergence de nouvelles zones de destination face aux énormes difficultés d’accès à l’espace européen. On peut notamment citer la Chine, la Thaïlande, les Emirats Arabes Unis et l’Afrique du Sud. du trafic illicite de migrants qui présente par essence, un caractère international (le franchissement d’une frontière internationale), la traite des personnes peut se dérouler à l’intérieur des frontières d’un seul Etat ou présenter un caractère transnational. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 14
G. Elargissement des zones de départ
Les localités de la Vallée du Fleuve Sénégal avec les Hal Poular/Toucouleurs et de Bakel avec les Soninkés/Sarakolés, constituaient les principales zones de départ de la période coloniale jusqu’aux années 1980. Par la suite, les anciennes localités du Baol, du Ndiambour et du Sine Saloum, deviennent d’importantes zones d’émigration. Ces dernières années, plusieurs régions du pays sont devenues d’importantes zones de départ : Dakar, Saint‐Louis, Diourbel, Thiès, Louga et Kolda. H. Jeunesse et fuite des bras valides
L’inadéquation entre la formation et l’emploi, combinée à la raréfaction des possibilités d’insertion suite aux difficultés économiques et financières subies durant ces dernières années par le Sénégal, ont fait basculé un très grand nombre de jeunes dans le chômage. Selon le RGPH 3, les jeunes (personnes dont l’âge est compris entre 15 et 35 ans) constituent 35 % de la population totale, 63 % d’entre eux sont célibataires et six chômeurs sur dix sont jeunes au Sénégal. Ainsi, face à la raréfaction des opportunités leur permettant d’améliorer leur statut au plan professionnel et social, les jeunes ont au moins une alternative : partir et à n’importe quel prix. Cette situation explique en partie l’intensification de la migration irrégulière ces dernières années, vidant ainsi le pays de ces bras valides. I. Féminisation de la migration irrégulière
De nos jours, on assiste à une féminisation accrue de la migration irrégulière : c’est à la fois la conséquence du recul de l’âge nuptial des femmes, du renforcement de leur autonomie, de la multiplication des divorces et de l’approfondissement de la pauvreté. Ainsi, face au durcissement des conditions légales d’accès au niveau des zones de destination notamment Europe et Amérique, les migrants sénégalaises empruntent de plus en plus les voies irrégulières et suicidaires à travers la mer et le désert. En plus, la réussite des émigrées sénégalaises pionnières dans certains secteurs comme la restauration, le commerce, la coiffure, contribuent à motiver de plus en plus de femmes sénégalaises à partir même clandestinement. J. Atteintes aux droits des migrants irréguliers
Le migrant irrégulier est une personne vulnérable par définition. Considéré comme un hors la loi au niveau du pays de destination, il est naturellement confronté à des problèmes de reconnaissance de ses droits humains les plus fondamentaux. Par conséquent, il fait l’objet de discriminations de tout ordre et est notamment confronté aux dures réalités des politiques répressives des pays de transit et de destination dont l’expulsion constitue un élément de taille. Pour permettre aux Sénégalais de l’extérieur en situation irrégulière de ne pas être soumis aux violations avilissantes des droits humains, le Gouvernement du Sénégal a signé des accords bilatéraux de réadmission et a clairement prévu dans les missions de ses représentations diplomatiques et consulaires, l’obligation d’assister les ressortissants sénégalais durant leur séjour à l’étranger notamment en cas de violation de leurs droits. En conclusion de cette section, on peut notamment dire que la jeunesse et la féminisation de la migration irrégulière, sont révélatrices de l’ampleur des difficultés socioéconomiques auxquelles les Sénégalais sont confrontés au cours de ces dernières années. Certes, l’aspiration à un développement individuel ou collectif est légitime et mérite même d’être soutenu. L’émigration constitue naturellement Migration au Sénégal : Document thématique 2009 15
une des stratégies de satisfaction du désir de réussite ou de sécurité. Mais le caractère répréhensible de cette émigration se situe dans le cas où elle s’effectue dans des conditions irrégulières, mettant en danger la vie des candidats au voyage clandestin. I.1.2 Emigrations régulières
De la période précoloniale jusqu’au milieu des années 1970, les migrations sénégalaises étaient pour la plupart régulières car les visas et autres barrières draconiennes imposés à l’entrée et au séjour dans les pays de destination n’existaient pas. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe vivait sous l’ère des « Trente glorieuses » et la demande en main d’œuvre était énorme pour les besoins de reconstruction et de relance de l’économie. C’est la raison pour laquelle les conditions d’entrée, d’établissement et de séjour étaient très souples. Mais, après le choc pétrolier de 1973, on a assisté à un durcissement progressif des politiques migratoires en Europe et un peu plus tard dans certains pays asiatiques, arabes et africains. Cette situation va entraîner un ralentissement des flux légaux en destination des pays de transit et de destination. A. Emigration de travail / Exode des compétences
Les difficultés d’insertion des jeunes diplômés dans le monde professionnel au Sénégal et la situation de sous‐emploi de certains travailleurs hautement qualifiés qui estiment pouvoir gagner davantage d’argent ailleurs, expliquent la fuite des cerveaux et de la main d’œuvre non qualifiée. Ce phénomène est favorisé par les recrutements ciblés auxquels procèdent certains pays dans les secteurs de l’enseignement supérieur, de l’agriculture, de la pêche, des bâtiments et travaux publics, de la mécanique, des travaux domestiques, etc. L’émigration de travail se fait généralement sur la base de conventions ou de contrats de travail. Depuis l’indépendance en 1960 jusqu’à nos jours, beaucoup de Sénégalais ont et continuent d’émigrer légalement en direction des principaux pays de destination en Europe comme en Afrique. Il faut rappeler que le 23 septembre 2006, la France et le Sénégal ont signé l’Accord sur « la gestion concertée des flux migratoires ». Cet accord, pour la première fois, a théoriquement permis au Sénégal et à la France de jeter les bases d’une collaboration étroite en vue d’organiser les migrations dans toutes leurs dimensions, à savoir la gestion des flux de migration régulière, la lutte contre la migration irrégulière et le binôme migration‐aide au développement. Cette dernière dimension est clairement annoncée : il s’agit de soutenir le développement économique et social du Sénégal dans l’optique d’éradiquer les causes profondes de l’émigration. Concrètement, cet accord prévoit la création d’un observatoire général des flux migratoires, un visa de circulation valable cinq ans, qui permettra notamment aux hommes d’affaires et aux artistes de voyager plus librement ainsi que l’établissement de prévisions chiffrées de délivrance de visas. La France va accueillir en priorité des étudiants sénégalais dans les secteurs dont le Sénégal manifeste de réels besoins en main d’œuvre qualifiée et semi‐
qualifiée. En effet, ils pourront travailler en France, mais s’engageront à rentrer chez eux pour éviter la fuite des compétences. En plus, relativement à la migration professionnelle ou de travail prévue dans cet accord, la France, en ce qui la concerne, délivrera quatre types de cartes : une carte de compétence et talent, une carte‐
salarié en mission, une carte « saisonnier », et une carte séjour temporaire salarié. La nouveauté dans cet accord, c’est que le candidat pourrait avoir sa carte de séjour avant son départ du Sénégal. Le Gouvernement du Sénégal s’est engagé dans cette voie, comme l’a toujours voulu Monsieur Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal qui, à chaque fois, parlait de migration concertée, et non de migration choisie qu’il assimile à une forme de pillage de nos compétences. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 16
Compte tenu de ces nouvelles dispositions, la France se chargera éventuellement de donner des cartes de séjour à des émigrés ayant une qualification professionnelle voire à des migrants irréguliers si après enquête, il est avéré qu’ils ont effectivement une qualification, un talent ou un dossier social de qualité. Ainsi, ils pourront bénéficier « d’une admission exceptionnelle de séjour ». Mais, compte tenu de sa volonté de lutter contre la migration irrégulière, de son appartenance à l’Union européenne et se considérant être en phase avec la législation de ladite communauté, la France n’exclut pas la réserve relative à l’expulsion forcée, si l’émigré en question ne répond pas aux critères ci‐dessus. Il faut également rappeler que le 25 février 2008, la France et le Sénégal ont signé à Dakar un avenant à l’Accord sur la gestion concertée des flux migratoires, un texte qui permet d’ouvrir le marché du travail français aux ressortissants sénégalais dans 108 métiers qualifiés et non qualifiés, correspondant à des secteurs divers de l'économie et dont la liste a été établie en tenant compte à la fois des besoins de main d'œuvre de l'économie française et des souhaits exprimés par le Sénégal. En ce début du troisième millénaire, les pays de l’espace Schengen notamment ceux situés à la lisière de la Méditerranée (Espagne et Italie en particulier), ont enregistré l’arrivée de milliers de migrants irréguliers sénégalais dont la plupart a emprunté la voie maritime en utilisant des pirogues de fortune. Pour interrompre cette vague déferlante de migrants irréguliers, l’Espagne et l’Italie à l’instar de la France, ont négocié des conventions avec le Sénégal dans le cadre de la migration légale en générale et de la migration de travail en particulier. Il faut souligner que dans la pratique, ce type d’accord n’est pas assez effectif. Quant à l’Espagne, elle a ces dernières années beaucoup coopéré avec le Sénégal dans le cadre de la migration de travail à travers le financement de programmes et projets. Le 15 février 2007, une Déclaration d’intention a été signée entre le Ministère du Travail et des Affaires sociales de l’Espagne et le Ministère de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes du Sénégal sur la coopération pour la formation, la sélection et le recrutement des travailleurs sénégalais par les employeurs espagnols. C’est l’Ambassade d’Espagne à Dakar qui reçoit les offres de travail exprimées par les entrepreneurs espagnoles et les transmet au Ministère de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes, point focal de la migration de travail au Sénégal. La procédure de sélection des candidats se fait de manière décentralisée par l’entremise des comités régionaux crées pour la circonstance et qui organisent les présélections au niveau des CDEPS dans les différents ordres de collectivités locales. Pour faciliter la délivrance des documents administratifs notamment le passeport, le Ministère de l’Intérieur est bien impliqué dans le processus en vue de réduire les délais de traitement pour que la présélection se fasse dans les délais exigés par la partie espagnole. En dernier ressort, la partie espagnole est chargée de la sélection définitive des candidats depuis le Sénégal. L’Italie intervient dans le cadre de la migration de travail à travers le cofinancement avec la Commission européenne de programmes (par exemple le Programme AENEAS de promotion de la migration légale et de lutte contre la migration irrégulière, mis en œuvre par l’OIM) ainsi que dans le recrutement de la main d’œuvre sénégalaise bien qu’elle n’ait pas encore officiellement signé de convention bilatérale dans ce domaine avec le Sénégal. Les employeurs italiens désirant recruter des travailleurs au Sénégal, expriment leurs besoins à travers les demandes d’autorisation de travail qu’ils fournissent en respect du quota fixé pour le pays fournisseur de main d’œuvre. Ces demandes d’autorisation de travail sont délivrées par le Ministère italien en charge du Travail. Les demandes d’autorisation de travail dûment remplies par les candidats des pays pourvoyeurs de main d’œuvre, sont transmises à la préfecture de police de la localité où réside l’employeur. Ainsi, la préfecture de police délivre après approbation, le permis de séjour. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 17
En Afrique, notamment au Gabon et à Djibouti, des enseignants sénégalais, en particulier des mathématiciens et des physiciens, ont été recrutés dans le cadre de la coopération technique. Ces départs vers ces contrées ont constitué, durant les années 1980 et jusqu’à la fin des années 1990, une bouffée d’oxygène pour ces diplômés de l’enseignement supérieur qui étaient confrontés à de réelles difficultés d’insertion dans la fonction publique sénégalaise. Toutefois, tel n’est plus le cas de nos jours pour les enseignants des matières scientifiques qui se font de plus en plus rares au Sénégal raison pour laquelle le Gouvernement fait de réels efforts pour faciliter leur recrutement dans la fonction publique. De plus, la main d’œuvre qualifiée et non qualifiée sénégalaise a été sollicitée dans la construction d’infrastructures au Gabon (Transgabonais, port minéralier d’Owendo, exploitation des gisements de Moanda, etc.) et de logements (La Peyrie, Batavia, Abénélang, Noumbakélé, etc.). Les projets de migration de travail au Sénégal, bien qu’on parle souvent à tort ou à raison de leur instrumentalisation à des fins de clientélisme politique et de l’opacité des procédures de recrutement des candidats, représentent une opportunité pour lutter contre le chômage et la migration irrégulière. Ils favorisent ainsi la migration professionnelle des Sénégalais dans un contexte de durcissement des lois migratoires dans les principaux pays de destination. B. Regroupement familial
Le regroupement familial est une opportunité offerte au migrant régulier par le pays d’accueil et qui lui confère le droit de se faire rejoindre par les membres de sa famille s’il prouve qu’il a les moyens de les prendre en charge. Les émigrés sénégalais ont recours au regroupement familial mais à une échelle réduite car beaucoup d’entre eux préfèrent laisser leur(s) conjoint(s) et enfant(s) au niveau de la grande famille. Ils estiment que faire le voyage annuellement ou tous les deux ans, vaut mieux que de faire regrouper les membres de sa famille dans le pays d’accueil où les mœurs sont différentes, les risques d’acculturation très élevés et les coûts de prise en charge onéreux (hébergement, santé, éducation, etc.). Le regroupement familial est encore plus difficile pour les polygames (10 % du total des émigrés sénégalais) résidant en Europe et en Amérique où les législations interdisent la polygamie. I.2 Immigrations au Sénégal
Le Sénégal a toujours été un havre de paix et un pays d’hospitalité. Les étrangers sont généralement bien accueillis par les Sénégalais, ce qui explique toute l’attractivité de ce pays vis‐à‐vis des ressortissants de la sous‐région ouest africaine. L’Etat du Sénégal, malgré les lois en vigueur en matière d’immigration, est moins exigeant dans leur application, ce qui fait du Sénégal un pays d’immigration massive. Ces dernières années, le Sénégal avec une côte maritime d’environ 700 kilomètres, est devenu une véritable zone de transit pour les migrants irréguliers et cette situation accroît la pression migratoire sur les frontières européennes notamment à travers l’Espagne. C’est pourquoi, nous consacrons cette partie à l’état des lieux de l’immigration au Sénégal en vue de mieux comprendre ce phénomène. I.2.1 Immigrations régulières
De la période précoloniale jusqu’en 1970, l’immigration n’a pas provoqué de difficultés majeures au Sénégal. Ainsi, les problèmes de régularité ou d’irrégularité des immigrés étaient négligemment pris en compte par les autorités publiques car l’économie nationale n’était pas fréquemment soumise, comme il l’est de nos jours, à ces séries de crises économiques chroniques, plaçant un nombre de plus en plus Migration au Sénégal : Document thématique 2009 18
croissant de la population dans une situation de chômage et de pauvreté sans précédent. On peut résumer l’immigration de cette période comme suit. Avant la période coloniale, l’immigration au Sénégal concernait essentiellement les commerçants des pays voisins et les explorateurs‐missionnaires en provenance de l’Europe. Au 19ème siècle, la colonisation apporta une nouvelle forme d’immigration liée au développement de la culture de l’arachide. Le début de cette période coloniale fut principalement marqué par de fortes migrations internes avant de se traduire en une véritable immigration des ressortissants des pays voisins. D’abord, les déplacements se faisaient d’une localité à une autre, à l’intérieur de la zone concernée par la culture arachidière. Mais dès que les obstacles à l’évacuation de la production en direction des ports furent levés par la construction des lignes de chemins de fer Thiès‐Diourbel‐Louga‐
Linguère ; Dakar‐Saint‐Louis et par l’achèvement de la liaison Dakar‐Niger (1907‐1923), une prolifération de la culture arachidière envahit le nord du Sénégal à l’exception du Fouta‐Tooro. C’est dans ce contexte que naquit vers 1920, le « navetanat ». Au début, il se passait à l’intérieur du Sénégal, mais très vite, il dépassa les frontières du Sénégal puisque les pays voisins furent directement concernés : Mali, Guinée, Mauritanie et Haute Volta. Selon Philippe David (1980) « le navetanat évoque les migrants saisonniers, les étrangers originaires des colonies voisines ». Elle suscitera aussi un afflux par delà les mers, avec notamment les Libano‐Syriens. En outre, à l’est et au sud du pays, les étrangers sujets français, portugais et britanniques infiltraient les frontières et étaient principalement composés de : soninkés du Guidimakha et du Sahel soudanais, soninkés « markas » du Bèlèdougou, bambaras de Ségou et Sikasso, Khassonkés, malinkés, diakhankés, poulos du Fouta Djallon, malinkés « socés » du Gabou portugais, mandjaks et mankagnes, tourkas de la Haute‐Volta occidentale, etc. En tout, selon Philippe David, quinze ethnies étaient au moins présentes au Sénégal, attirées par la culture de l’arachide. Avec le développement de la culture de l’arachide, les frontières du Sénégal étaient largement ouvertes et on assiste alors à l’intensification des flux migratoires saisonniers. Ainsi, le Sénégal constituait un pays d’immigration régulière, offrant aux populations actives des pays limitrophes des opportunités d’emploi et de survie. En plus, l’installation en milieu rural d’une majorité de cette main d’œuvre d’immigrés faiblement rémunérés, a été encouragée par des stratégies consistant à leur céder des lopins de terre pour qu’ils puissent faire des cultures vivrières et à leur faciliter le mariage avec les femmes autochtones. Dans les villes, la force de travail des immigrés était recherchée où ils étaient le plus souvent orientés vers des emplois peu valorisés et très pénibles. En outre, l’hospitalité légendaire des Sénégalais et le fait qu’ils pouvaient en raison de la mobilité, se retrouver à leur tour en position d’étranger chez le voisin, étaient de nature à favoriser l’accueil. Dans ce contexte favorable, les immigrations saisonnières et pluriannuelles se sont parfois transformées en migrations d’établissement. De plus, les maigres possibilités d’emploi qu’offrent les centres urbains, s’amenuisant de plus en plus, se réduisant à la création spontanée de quelques activités dans le secteur informel en expansion limitée. C’est dire qu’en plus du croît démographique, la masse des ruraux qui s’installe en ville n’a fait qu’approfondir le déséquilibre entre l’offre et la demande de travail, plaçant une bonne frange de la population dans une situation de pauvreté sévère. Face à cette situation, l’afflux d’immigrés constituait un facteur aggravant de la difficile situation économique et sociale des populations autochtones. Par conséquent, il fallait prendre des mesures pour mieux gérer les entrées sur le territoire national. C’est l’une des raisons pour lesquelles la loi n°71‐10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d’admission, de séjour et d’établissement des étrangers, a été adoptée et promulguée. Ces dernières années, face à la montée de la crise économique au plan mondial et à l’intensification des conflits dans la sous‐région ouest africaine, on assiste à une recrudescence de l’immigration au Sénégal. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 19
Selon le RGPH3 de 2002, les immigrés durée de vie (c'est‐à‐dire les immigrés dont le lieu de naissance est l’étranger qu’ils soient d’origine sénégalaise ou pas) sont estimés à 204 682 personnes et constituées principalement de sénégalais (78,7 %) et de ressortissants d’Afrique de l’ouest compte non tenu des Sénégalais (15,9 %). Les ressortissants de l’Afrique centrale (1,9 %), de l’Afrique du Nord (0,4 %) et les autres africains (0,1 %). Les non africains représentent respectivement 1,9 % (européens), 0,4 % (orientaux), 0,3 % (américains), 0,2 % (asiatiques) et 0,3 % (autres non africains) (RGPH 3, p. 41). Les immigrés d’origine non africaine (environ 3 % du total des immigrés durée de vie) sont de plus en plus présents au Sénégal et posent apparemment moins de problèmes. Cependant, la présence progressive des immigrés chinois suscite beaucoup de polémiques notamment dans le secteur du commerce. Certains Sénégalais estiment que les Chinois allègent les souffrances des populations de plus en plus démunis du fait de la conjoncture économique défavorable, en mettant à leur disposition des produits très bon marché et en créant des emplois. Par contre, d’autres pensent qu’ils détruisent le système productif national déjà embryonnaire en présentant sur le marché sénégalais, des biens et services plus compétitifs et évincent par voie de conséquence, les commerçants autochtones dans la conquête des débouchés. Bref, les controverses soulevées par l’immigration chinoise, ne sont pas encore épuisées et la question reste encore en suspens car ils font l’affaire de nombreuses populations démunies. De plus, le Gouvernement du Sénégal maintient pour l’instant, de très bonnes relations diplomatiques avec les autorités publiques de la République populaire de Chine. Par ailleurs, le Sénégal indépendant s’est très tôt intéressé à la question des réfugiés en adoptant et promulguant la loi n° 68‐27 du 24 juillet 1968 portant statut des réfugiés. Cette présente loi s’applique à toute personne étrangère réfugiée au Sénégal qui relève du mandat du Haut‐commissaire des Nations unies pour les réfugiés ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la Convention de Genèvre du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ratifié le 9 mai 1963 par le Sénégal), complété par le Protocole adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966 (ratifié par le Sénégal le 13 février 1978) et qui aura été reconnue comme telle dans les conditions prévues à l’article 3 de ladite loi : « Les décisions admettant une personne au bénéfice du statut de réfugié ou constatant la perte de ce bénéfice sont prises par une commission présidée par un magistrat et comprenant les représentants des principaux services intéressés. Le représentant du Haut‐commissaire des Nations unies pour les réfugiés, assiste aux réunions de la Commission en qualité d’observateur, et peut être entendu sur chaque affaire ». Selon l’article 8 de la dite loi : « Les bénéficiaires du statut de réfugié ont le même traitement que les nationaux en ce qui concerne l’accès à l’éducation, les bourses, le droit du travail et les avantages sociaux ». Il incombe aux autorités sénégalaises, d’accorder ou non le statut de réfugié. Pour chaque étape de la procédure de demande d’asile, le demandeur doit s’adresser à la Commission nationale d’éligibilité (CNE). Le Bureau d’orientation sociale et le Centre social au quartier Rebeuss à Dakar, sont deux importantes structures qui s’occupent de la prise en charge des problèmes rencontrés par les réfugiés urbains et leur encadrent dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs projets d’intégration dans la société sénégalaise. Cependant, très peu de demandeurs d’asile obtiennent finalement le statut de réfugié tant convoité (6 % seulement en moyenne). Les réfugiés au Sénégal, sont de diverses nationalités. On peut notamment citer les Congolais, les Mauritaniens, les Rwandais, les Nigérians, les Sierra Léonais, les Libériens et les Guinéens. Ils étaient au nombre de 66 800 en 1995, 20 800 en 2000, 20 600 en 2006 et estimés à 20 400 en 2008 (Source : Perspective Monde ; 2009). Migration au Sénégal : Document thématique 2009 20
I.2.2 Immigration irrégulières
Avant l’adoption et la promulgation de la loi n°71‐10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d’admission, de séjour et d’établissement des étrangers, les autorités sénégalaises se préoccupaient peu ou prou de la gestion des flux d’immigration et encore moins des problèmes de régularité ou d’irrégularité des immigrés parce que l’économie nationale n’était pas confrontée à des difficultés majeures. Cependant, en raison des sècheresses enregistrées durant les années 1970 et de la baisse consécutive des prix des matières premières exportés, on assiste à l’échec des modèles de développement appliqués, fondés sur la promotion des cultures de rente et des produits miniers. En effet, la crise alimentaire envahit le monde rural aggravant la pauvreté, la vulnérabilité et la morbidité. En plus, le secteur industriel s’essouffle suite à la faillite du secteur agrosylvopastoral fortement pourvoyeuse d’intrants. Ainsi, dans les villes comme dans les campagnes, la lutte pour la survie était devenue le lot quotidien des populations. Toute immigration était de nature à aggraver les conditions déplorables des populations autochtones et à favoriser la stigmatisation des étrangers, d’où la mise en place de barrières juridiques et règlementaires permettant de réguler les entrées sur le territoire national. Toutefois, l’application des textes juridiques et réglementaires sur le terrain a toujours été difficile en raison des nombreuses contraintes et paramètres non encore totalement maîtrisés par les décideurs publics. On peut, entre autres, citer : ‐ la corruption au niveau des postes frontières de surveillance comme à l’intérieur du pays durant les opérations de contrôle d’identité, est de nature à favoriser l’immigration irrégulière/ clandestine/illégale/non formelle) ; ‐ la méconnaissance des lois et règlements relatifs à l’immigration par beaucoup d’immigrés voire par des agents de sécurité, favorise également la clandestinité ; ‐ la position géographique d’un pays comme la Gambie qui constitue une enclave au Sénégal, n’est pas aussi de nature à faciliter le contrôle des flux irréguliers d’immigrés. En plus de ces contraintes, le Sénégal est devenu en ce début du 21ème siècle, un pays d’immigration irrégulière massive en raison de plusieurs autres facteurs. La position géostratégique du Sénégal (pays carrefour entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique) fait de lui, un tremplin de prédilection pour le transit des activités nébuleuses (trafic de drogues, traite des personnes vulnérables, etc.) menées par certains groupes ou réseaux maffieux. Selon une analyse des premiers résultats de l’Observatoire des migrations internationales au Sénégal en 2005, Dakar est un pôle de transit des réseaux illicites de migrants en provenance des pays africains (Nigeria notamment) et de certains pays asiatiques (Inde, Chine, Thaïlande, Bangladesh, etc.). Il faut souligner que ce sont les femmes et les enfants qui sont essentiellement trafiqués pour des motifs d’exploitation par le travail ou par le sexe et plusieurs réseaux ont été démantelés à travers le Sénégal ces dernières années. Sa relative stabilité politique et sociale dans une sous‐région où il existe plusieurs foyers de tension, attire aussi de plus en plus de migrants dont la plupart est en situation irrégulière. En outre, le Sénégal est doté d’une façade maritime d’environ 700 kilomètres et constitue par conséquent, un pays de transit de premier choix pour des migrants en provenance d’autres pays de la sous‐région ouest africaine notamment du Mali, de la Guinée, de la Gambie, de la Guinée‐Bissau, qui souhaitent emprunter les pirogues de fortune pour accéder directement aux îles Canaries. Des milliers d’immigrés irréguliers en partance pour l’Espagne, ont été interceptés sur les côtes maritimes du Sénégal. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’Espagne a renforcé sa diplomatie et sa coopération Migration au Sénégal : Document thématique 2009 21
technique et financière avec l’Etat du Sénégal, en vue de lutter efficacement contre la prolifération des flux d’immigrations irrégulières en provenance du Sénégal. Par ailleurs, il est important de rappeler que depuis le 29 mai 1979, le Protocole A/P1/5/79 de la CEDEAO, relatif à la libre circulation, au droit de résidence et d’établissement des ressortissants des Etats membres dans ladite communauté, offre 90 jours de séjour légal sur une simple présentation d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport et d’un certificat international de vaccination. Au‐
delà de cette période, l’immigré ressortissant de la communauté, est tenu de se rapprocher des autorités compétentes, pour acquérir les pièces et informations nécessaires à sa régularisation. Au Sénégal, la plupart des immigrés proviennent des Etats membres de la CEDEAO. Néanmoins, beaucoup d’entre eux ignorent l’existence ou le contenu du Protocole de libre circulation des personnes de ladite communauté et se retrouvent en situation irrégulière après avoir épuisé les 90 jours de séjour. Par contre, certains immigrés sont bien informés sur le contenu du protocole. Mais, compte tenu de la nature transitoire de leur séjour, ils négligent tout simplement la procédure de régularisation. Toutefois, il faut souligner que le Sénégal se caractérise toujours par son ouverture, sa tolérance et son hospitalité bien que l’immigration y suscite parfois de sérieux problèmes notamment au niveau de sa capitale (Dakar). Il faut noter que 45 % des immigrés durée de vie présents au Sénégal, résident dans la région de Dakar (RGPH 3 de 2002). Cette présence massive d’immigrés à Dakar, combinée aux afflux massifs de migrants internes (84 % des immigrants en provenance du monde rural selon la deuxième Enquête sénégalaise auprès des Ménages (ESAM 2), entraîne entre autres des problèmes d’accès au logement, à l’éducation, aux soins de santé primaires et à un emploi décent. Il faut surtout noter que les flux d’immigrés irréguliers, alimentent surtout les bidonvilles et les quartiers spontanés qui croissent à un rythme soutenu à Dakar en particulier. Outre leur statut illégal ou irrégulier d'occupation, ces quartiers défavorisés, fortement peuplés d’immigrés d’origine africaine, manquent d'infrastructures et de services sociaux de base. Malheureusement, les autorités aux niveaux central et local, ne prennent pas de mesures spécifiquement destinées aux immigrés. Ces autorités adoptent une politique globale envers les populations les plus démunies et vulnérables. A l'heure actuelle, la stratégie développée par les autorités locales, est basée sur le dialogue permanent avec les populations, ainsi que la participation de ces dernières à toutes les étapes du processus d'amélioration de leurs conditions de vie, de la planification à l'exécution des projets de développement. Toutefois, il faut noter que le Sénégal de par sa position géostratégique et en tant que terre d’hospitalité et de tolérance où les ruptures culturelles sont presque inexistantes, contrairement à l'Europe où l'immigration des africains se traduit souvent par un choc de civilisations qui peut parfois aboutir à des violences ou des meurtres, continuera à être un territoire privilégié d’accueil et de transit pour bon nombre de migrants en provenance de la sous‐région ouest africaine. Par exemple, les Guinéens qui constituent 48 % des immigrés récents (immigrés des cinq dernières années déclarés au niveau des ménages selon l’ESAM 2), dont la plupart est irrégulièrement installée au Sénégal, sont bien intégrés et s’investissent généralement dans les activités telles que : boulangerie, blanchisserie, boucherie, lavage de véhicules, vente de charbon, gardiennage, transport et portage de bagages. Ils détiennent pratiquement le monopole du commerce des fruits. Ils contribuent également au dynamisme culturel à travers tout le pays. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 22
Cependant, tous les immigrés irréguliers qui rêvent d’un avenir meilleur au Sénégal, ne trouvent pas souvent un emploi et un logement décents. Certains s’entassent dans les quartiers périphériques des centres urbains, dans des conditions précaires. Cela crée des problèmes de promiscuité et de pauvreté avec leurs corollaires traditionnels : absence d’hygiène, risques d’épidémies, malnutrition, délinquance et prostitution. Tous ces facteurs se sont développés à une vitesse alarmante ces dernières années et ce, autour de trois risques : l’insécurité, la toxicomanie et le VIH/Sida. Cette situation s’est traduite par une diminution de la qualité de vie, un accroissement des charges de santé publique et d’habitat social, des problèmes de sécurité et de chômage, ainsi qu’une pollution et une dégradation du cadre de vie. Aujourd’hui, l’intensification de l’immigration au Sénégal notamment celle irrégulière, aggrave l’insécurité et la précarité au plan national et accroît la pression migratoire sur les frontières européennes à travers l’Espagne notamment. Face à cette situation, les autorités sénégalaises, en collaboration avec les pays européens de destination principalement ciblés (Espagne, Italie et France) et les organismes internationaux et nationaux intervenant dans le domaine des migrations, ont pris des mesures et entrepris des actions synergiques en vue de freiner l’expansion de la migration irrégulière comme cela sera analysé plus loin. Somme toute, nous dirons que face à la présence massive d’immigrés dont beaucoup sont en situation irrégulière au Sénégal, les autorités sénégalaises sont moins exigeantes dans l’application des lois en vigueur en matière d’immigration. L’hospitalité sénégalaise, « la Teranga », est une des raisons explicatives de ce laxisme des autorités publiques dans l’application des textes juridiques relatifs à l’immigration. Mais, le fait que le Sénégal a beaucoup de ses ressortissants à l’étranger dont les contributions sont importantes à l’entretien ou la survie de leurs familles d’origine et au développement du pays, est aussi un facteur explicatif non négligeable. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 23
II. Retombées socioéconomiques de l’émigration
internationale au Sénégal
Les retombées socioéconomiques de l’émigration sénégalaise concernent essentiellement les transferts monétaires, les compétences apprises pendant le séjour à l’extérieur et transférées au pays d’origine et les initiatives de développement local des émigrés. Bien qu’il est difficile voire impossible de déterminer le volume exact des transferts monétaires, technologiques et matériels des émigrés, nul ne peut aujourd’hui nier l’importance et l’impact positif de ces transferts sur les conditions de vie des populations bénéficiaires ainsi que sur les investissements notamment dans l’immobilier au Sénégal. Dans cette partie, nous allons aborder successivement les points suivants : ‐ Statut migratoire international des ménages et niveau de vie ; ‐ Impacts des apports des émigrés sur le développement économique et social du Sénégal. II.1 Statut migratoire international des ménages et niveau de vie
Au Sénégal, 70 % des ménages ont au moins un émigré international issu de leur foyer. L’analyse des données du tableau n°1 ci‐dessous, montre que le statut migratoire international des ménages a un impact significatif et positif sur le niveau de consommation par tête de biens (alimentation, habillement, etc.) et de services (santé, éducation, logement, etc.) puisque quel que soit le milieu de résidence, les ménages migrants internationaux sont relativement plus nombreux au niveau des tranches les plus élevées de dépense annuelle moyenne par tête. En effet, dans la zone urbaine de Dakar, on constate que 85 % des ménages ayant au moins un émigré international ont une dépense moyenne annuelle par tête au moins égale à 225 000 FCFA contre 69 % des ménages n’ayant aucun émigré international. Dans les autres villes, ces proportions sont respectivement de 57 % et 42 %. Dans le monde rural, elles sont de 12 % et 11 %. Cela prouve ainsi que la migration internationale a un impact positif indéniable sur le niveau et la qualité de vie des ménages, donc sur leur niveau de pauvreté. Tableau n°1 : Répartition (en %) des ménages selon la tranche de dépense moyenne annuelle par tête et le statut migratoire international Milieu de résidence du ménage Dakar urbain Autres villes Milieu rural Dépense moyenne par tête Non (en Francs CFA) Non Non Migrant Total
Total Migrant Migrant Total Migrant
migrant Migrant
< 60 000 0,3 0,1 0,2 0,0 1,3 1,2 6,9 7,3 7,2 60 000‐100 000 0,8 1,9 1,8 4,1 8,7 8,2 26,3 28,2 28,0
100 000‐150 000 2,1 8,4 7,6 8,3 18,7 17,6 31,6 32,0 32,0
150 000‐225 000 11,6 20,3 19,2 30,4 29,0 29,2 23,2 21,3 21,6
225 000‐350 000 25,6 25,6 25,6 31,2 23,5 24,3
8,6 8,4 8,4 350 000‐600 000 31,9 23,9 25,0 20,3 12,1 12,9
2,2 2,2 2,2 600 000‐1 500 000 23,6 15,5 16,6 3,1 6,0 5,7 0,4 0,5 0,5 1 500 000 et + 4,1 4,2 4,2 2,6 0,8 0,9 0,6 0,1 0,1 Source : ESAM 2 Migration au Sénégal : Document thématique 2009 24
II.2 Impacts des apports des émigrés sur le développement économique et social
au Sénégal
A ce niveau, il s’agit d’identifier l’impact des transferts (savoir, savoir‐faire, équipement et argent) des émigrés sur le développement socio‐économique du pays, de faire le diagnostic des principales contraintes à leur participation au développement local et de formuler des propositions pour lever ces contraintes. A. Interventions/apports sectoriel
Les apports des émigrés au bénéfice des populations, concernent plusieurs domaines. En raison de la faiblesse des statistiques relatives aux transferts notamment financiers des migrants, nous étayerons nos assertions par des exemples concrets au détriment de régressions ou méthodes économétriques qui risquent de fournir des résultats loin de la réalité. Dans le domaine de la santé Les émigrés, individuellement, en association ou avec l’appui de leur communauté d’accueil ont construit des structures sanitaires, fourni des stocks de médicaments aux pharmacies villageoises, acheté des ambulances, pris en charge le salaire du personnel de santé, organisé des campagnes de consultations médicales gratuites par des médecins et participé à la formation d’infirmiers. Nous pouvons citer entre autres, les faits ci‐après : ‐ Mobilisation de six milliards de FCFA par les émigrés pour la construction de l’hôpital Matlaboul Fawzeni à Touba ; ‐ Entre 2006 et 2008, les émigrés ressortissants de la région de Matam ont financièrement contribué à : * la construction et l’équipement de centres et de postes de santé communautaires dans les villages de Sadel, de Danthiady et de Niangana Thiedel pour un montant de 20 285 536 FCFA ; * l’approvisionnement en eau potable dans sept villages à Matam (Lougéré Wandé, Soringho, Fora, Wendou Aly, Sinthiou Bamambé, Sadel et Bokiladji) pour un montant total de 66 635 534 FCFA. ‐ Entre 2006 et 2008, la diaspora issue de la région de Tambacounda a financièrement contribué à : * la construction et l’équipement d’une maternité dans le village de Tourimé – Département de Bakel, pour un montant de 14 439 891 FCFA ; * l’approvisionnement en eau potable du village de Diabal à Bakel, pour un montant de 6 051 646 FCFA. (Source Projet Initiative de Co‐développement). L’organisation tous les ans, de caravanes médicales à l’exemple de Fouta‐Santé dans la région de Matam. Les médicaments et aliments offerts par les émigrés au niveau des « Dahiras » et mosquées à Touba lors des cérémonies religieuses comme le Maouloud et le Magal. La contribution notable à la santé des populations de la région de Kolda des associations Medicos del Mundo, Pharma Mundi, Fondacio Gune, etc. et ce, grâce aux démarches entreprises par les émigrés auprès de ces organisations. Dans le domaine de l’éducation, de l’alphabétisation et du transfert de technologies ‐ Des écoles ont été construites ou rendues plus fonctionnelles par les émigrés grâce à la construction de murs de clôture, de latrines, des puits, de cantines scolaires. On peut notamment citer le cas de l’école de Gaou dans la région de Matam, village‐centre qui polarise plusieurs villages. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 25
‐ Les émigrés offrent régulièrement du matériel scolaire et apportent leur concours à l’organisation de centres de vacances (colonies de vacances, camps de vacances, etc.). ‐ Ils créent des centres comme celui portant le nom de Martin Luther King à Sam‐Notaire, ouvrent des cybercafés et construisent des bibliothèques comme à Bakel. ‐ Ils viennent en aide aux enfants issus de couches sociales défavorisées et aux enfants en difficultés exclus du cursus scolaire normal, à qui, il est donné un enseignement de qualité (Assamanu Africa et Asfopres en sont des illustrations). ‐ Les émigrés recrutent aussi des animateurs pour l’alphabétisation des adultes. ‐ La construction d’une école maternelle à Sam‐Notaire par les émigrés. ‐ Entre 2006 et 2008, les émigrés ont contribué au financement de : * la construction de collèges et d’un centre de formation dans le village de Saldé/Département de Podor/Région de Saint‐Louis pour un montant de 33 000 000 FCFA ; * la construction de collèges dans les villages de Soringho, Orkadiéré et Agnam Lidoubé/Département de Kanel/Région de Matam, pour un montant global de 60 183 160 FCFA ; * la construction d’une école à Tabanding, d’un lycée à Kidira dans le Département de Bakel et d’un centre de formation aux métiers de l’automobile dans la région de Tambacounda, pour un montant total de 91 905 120 FCFA. (Source Projet Initiatives de Co‐développement). Dans le secteur primaire ‐ Bien que ce secteur soit celui qui reçoit moins de contributions des émigrés, ces derniers ont investi dans le département de Vélingara pour la production du riz et le développement de l’élevage intensif. Certains ont acheté des instruments modernes comme des tracteurs de dernière génération. ‐ Ils interviennent dans l’aménagement de périmètres agricoles (c’est le cas à Semmé), dans la pêche en achetant des pirogues, filets et moteurs (à Joal). ‐ Leur intervention s’étend également aux points d’eau aménagés. Par exemple, depuis 1986, la localité de Saly Ndongo a obtenu le financement de six forages dans le département de Matam, d’un coût de cent (100) millions de FCFA par forage. ‐ Entre 2006 et 2008, les émigrés ressortissants de la Région de Tambacounda ont participé au financement de la construction de barrages hydro‐agricoles dans les villages de Sira Mamadou Bocar, NGouronne, Médina Gouraye et Gambi Diaobé dans le Département de Bakel, pour un montant de 27 605 218 FCFA. Dans le domaine des finances/microfinances Il y a aujourd’hui une multitude de mutuelles d’épargne et de crédit ainsi que de Petites et Moyennes Entreprises (PME), qui appartiennent en partie ou entièrement à des émigrés. En plus, ASCODE‐Madrid, à travers « Montre Moi l’Afrique », essaie de donner une image plus positive du Sénégal en vue d’améliorer l’attractivité des investissements. Dans le domaine du tourisme Des hôtels et auberges ont été entièrement construits par des émigrés, notamment à Saly‐Portudal et à Ourossogui. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 26
Dans le domaine de la sécurité alimentaire Les migrants internationaux ont créé des banques céréalières pour pallier les pénuries de céréales dans plusieurs villages au Sénégal. Dans le domaine de la macroéconomie On peut considérer l’émigration internationale comme étant une exportation de services (main d’œuvre), dont une des principales contreparties est l’envoi d’argent des émigrés. On estime que les transferts de fonds (officiels ou non) des émigrés sont supérieurs à l’aide publique au développement. Ces fonds transférés ont des effets multiplicateurs importants dans l’économie nationale, à travers notamment la consommation (alimentation, habillement, logement, santé et éducation) des ménages bénéficiaires et contribuent en plus, à l’équilibre de la balance des paiements. Dans le domaine politique Il faut souligner que l’émigration du surplus de main d’œuvre non qualifiée, de cadres au chômage et les transferts de fonds aux familles, contribuent à la stabilité sociale. Les nombreuses réalisations des émigrés dans l’immobilier, permettent aux familles bénéficiaires d’échapper aux prix spéculatifs de location des logements notamment dans la région de Dakar. Tous ces éléments constituent une soupape de sécurité contre des troubles sociaux potentiels. Il convient de noter que le tableau dressé n’est pas exhaustif faute de données suffisantes et fiables. Il s’avère donc assez difficile d’évaluer l’impact exact de l’apport des émigrés au développement économique et social du Sénégal.
B. Contraintes
Différentes contraintes sont identifiées au niveau des interventions des émigrés sénégalais dans le processus de développement économique et social : ‐ le déficit de communication entre certains émigrés et les populations des localités d’origine. Cette situation s’est souvent traduite par le fait que ces émigrés ont eu tendance à privilégier l’apport de fonds et l’intervention directe sans analyser les implications de leurs interventions, entraînant parfois une inadéquation des actions menées par rapport aux besoins réels des populations ; ‐ les effets pervers des transferts de fonds tels que le délaissement des activités agrosylvopastorales par les populations bénéficiaires ; ‐ le faible niveau des investissements productifs ; ‐ la méconnaissance des créneaux porteurs pour mener des activités productives et rentables bien que le Ministère en charge des Sénégalais de l’Extérieur a fait de réels efforts en commanditant une étude qui a permis d’identifier un ensemble d’activités rentables pour les émigrés ; ‐ le coût élevé des transferts de fonds des émigrés dont la plupart n’envoie que le montant nécessaire à l’entretien de la famille (le filet de sécurité) ; ‐ les rivalités entre émigrés et autorités décentralisées qui se sentent de plus en plus évincées dans leur rôle de développement local en raison des nombreuses réalisations des émigrés. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 27
C. Proposition de solutions
Comme solutions, les propositions suivantes semblent être pertinentes : ‐ développer une véritable stratégie de communication qui aura comme support le guide de l’émigré sénégalais dans lequel figurent toutes les indications nécessaires permettant de le guider dans son investissement ou dans son assistance au niveau de sa localité d’origine ; ‐ créer un site web opérationnel, constamment mis à jour et dans lequel, le maximum d’informations utiles pour les Sénégalais de l’extérieur, sera disponible ; ‐ mettre à contribution les médias et communicateurs traditionnels dans la transmission de l’information entre les émigrés, les populations locales et les autorités décentralisées ; ‐ inciter les émigrés à s’informer sur les législations et les orientations de développement du pays et à aller chercher l’information utile là où elle se trouve (se rapprocher des missions diplomatiques et des ministères impliqués dans la gestion des questions et problèmes de migration) ; ‐ dynamiser la coopération entre les autorités publiques, les associations d’émigrés et les communautés d’origine par le renforcement de la communication et la création de cadres de concertation et d’échange ; ‐ prendre des mesures permettant de réduire les coûts des transferts de fonds des émigrés ; ‐ mettre en place des fonds d’appui et des projets de microfinance destinés à soutenir la capacité d’investissement des émigrés. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 28
III. Implications politiques des migrations au Sénégal
Au Sénégal, bien qu’il n’existe pas pour l’instant une véritable politique intégrée en matière de gestion des migrations, des avancées significatives ont été enregistrées. Il existe des institutions fonctionnelles, des textes (lois, conventions, décrets, codes, lettre de politique sectorielle, étude sur les créneaux porteurs pour les émigrés, etc.), des programmes et projets, destinés à prendre en charge les questions et problèmes de migration. L’ensemble de ces éléments constitue un soubassement solide à l’élaboration d’une véritable politique intégrée ou d’une stratégie nationale crédible, capable d’apporter des réponses cohérentes et durables aux problèmes de migration au Sénégal. III.1 Institutions
Les institutions nationales chargées de la gestion des migrations au Sénégal sont traditionnellement les Ministères en charge des Affaires Etrangères, de la Fonction Publique, de l’Emploi et du Travail, de l’Intérieur et de la Justice. Parfois la Présidence de la République ou la Primature gère une structure chargée des questions de migrations. Aujourd’hui, la Primature n’a plus de cellule chargée des migrations. Cependant, il existe actuellement une structure au niveau de la Présidence qui s’occupe des questions de migration ainsi qu’un Conseiller spécial du Président de la République, qui est chargé des questions et problèmes de migration. Aujourd’hui, plusieurs autres structures de l’Etat sont impliquées dans la gestion des questions et problèmes de migration notamment le Ministère de l’Economie et des Finances, les ministères en charge de la Jeunesse, de la Femme, de l’Aménagement du territoire et de l’Habitat car la migration est devenue une interrogation de plus en plus complexe et multidimensionnelle qui interpelle l’ensemble des acteurs du développement économique et social. Chaque ministère, selon son domaine de compétence, intervient dans la prise en charge d’un volet spécifique de la migration. Le Ministère des Affaires Etrangères qui occupe un rang central dans la gestion des problèmes de migration disposait d’une Direction des Sénégalais de l’Extérieur. Suite au Symposium national sur le partenariat entre l’Etat et les Sénégalais de l’Extérieur organisé en 2001 sous la présidence effective du Président de la République, les émigrés ont vivement recommandé au Gouvernement de créer un ministère plein avec des ressources suffisantes pour mieux prendre en charge leurs problèmes. C’est ainsi que le remaniement ministériel d’août 2003 a mis en place un Ministère des Sénégalais de l’Extérieur, montrant ainsi toute la détermination du Gouvernement à prendre sérieusement en charge les questions et problèmes de migration. En 2006, ce Ministère à élaboré une Lettre de politique sectorielle basée sur la promotion d’une migration axée sur le développement des ressources humaines et l’accroissement des investissements productifs en vue de faire du Sénégal, un pays émergent. En 2008, ce ministère, dans l’optique de mieux prendre en charge les problèmes des émigrés, a supprimé la Direction des Sénégalais de l’Extérieur et par la suite, en a créé trois autres à savoir une Direction s’occupant de l’habitat des émigrés, une Direction des Affaires sociales et une Direction de l’Appui aux investissements et projets des Sénégalais de l’extérieur avec la mise en place d’un fonds d’appui à leurs investissements. Il existe aussi un Réseau des parlementaires sur les migrations, les droits humains et le développement (RP/MDHD) dont l’action est orientée vers la mobilisation des associations d’émigrés aux niveaux communal, départemental et régional. Considérées comme des partenaires dans le développement local, ces associations apportent un précieux concours notamment dans la construction d’équipements Migration au Sénégal : Document thématique 2009 29
sociaux (forages, écoles, structures sanitaires, etc.). On peut aussi noter la présence d’ONG qui s’activent dans la gestion des questions et problèmes migratoires, notamment le CONGAD. Cependant, il y a lieu de noter que la plupart de ces structures souffre d’une insuffisance de personnel qualifié et de moyens financiers et logistiques leur permettant de prendre correctement en charge les problèmes de gestion des flux migratoires. III.2 Mesures et textes internationaux relatifs à la migration au Sénégal
Cette partie est consacrée à la présentation et à l’analyse des mesures et textes nationaux relatifs à la migration (lois, décrets, codes, programmes, etc.) en vue de mettre en évidence des éléments de politiques ou alors des préalables pouvant être considérés comme base d’une véritable politique nationale de migration au Sénégal. Ainsi, dans ce chapitre, la présentation et l’analyse des mesures et textes nationaux en vigueur en matière de migration dans le pays, devraient porter sur les questions essentielles suivantes : ‐ les textes nationaux facilitent‐ils l’entrée, le séjour, l’établissement et l’insertion socioéconomique des ressortissants des autres pays ? ‐ les textes favorisent‐ils leur prise en charge sociale ? ‐ facilitent‐ils le retour à leur pays d’origine ? ‐ y a‐t‐il au Sénégal des conditions propices à l’investissement des immigrés et au rapatriement de leur épargne ? ‐ les textes assurent ils la protection de tous les migrants contre la traite des personnes et contre la migration irrégulière ? ‐ le Code du travail offre‐t‐il des garanties notamment sur le plan de la protection du travailleur immigré ? Quelles sont les conditions que doit remplir un étranger pour travailler au Sénégal ? ‐ les textes nationaux sont‐ils en harmonie avec les dispositions sous‐régionales, régionales et internationales ? Enfin, quelques programmes et projets de gestion des flux migratoires mis en œuvre au Sénégal, seront analysés en vue d’identifier les contraintes et de faire des recommandations permettant d’améliorer leur efficacité. A. Le traitement des immigrés au Sénégal
Il faut rappeler qu’au Sénégal, les textes juridiques et réglementaires qui existent en matière d’immigration, ne font aucune discrimination à l’égard des étrangers. Cependant, dans l’application de ces textes, les autorités font preuve de laxisme ou de négligence ce qui n’est pas de nature à favoriser leur effectivité. ‐ Les conditions d’entrée, de séjour, d’établissement et de sortie L’entrée, le séjour, l’établissement et la sortie au Sénégal sont définis par la loi n°71‐10 du 25 janvier 1971 et le décret d’application 71‐860 du 28 juin 1971, relatifs aux conditions d’admission, de séjour et d’établissement. Ces dispositions s’appliquent à tout étranger, sous réserve de conventions internationales plus favorables. Au sens de cette loi, est considéré comme étranger, toute personne qui n’a pas la nationalité sénégalaise, c’est‐à‐dire qui, soit a une nationalité étrangère, soit n’a pas de nationalité (cas des apatrides). Migration au Sénégal : Document thématique 2009 30
Cette loi de 1971, en son article 2, dispose qu’aucun étranger n’est admis au Sénégal s’il n’a pas obtenu une autorisation de séjour ou une autorisation d’établissement. Le décret du 28 juin 1971 est venu clarifier les modalités d’application de ce principe en dissociant fort heureusement l’entrée et le séjour prolongé sur le territoire. L’entrée au Sénégal nécessite le respect de certaines conditions. A ce titre, l’étranger est tenu de présenter un certain nombre de garanties aux postes frontières : ‐ un passeport ou titre de voyage tenant lieu, en cours de validité ; ‐ un visa d’entrée ; ‐ une des garanties de rapatriement renvoie à la consignation de rapatriement dans un document garantissant le rapatriement sans conditions. A défaut de ces garanties, il doit présenter soit un billet aller‐retour, soit un titre de transport pour une destination extérieure au Sénégal. Cependant, il y a lieu de souligner que pour les ressortissants des pays liés avec le Sénégal par une convention sur la libre circulation, le seul passeport (ou une carte nationale d’identité) et un certificat international de vaccination suffit. On peut citer à titre d’illustration l’exemple des pays membres de la CEDEAO. Pour le séjour, l’étranger doit être titulaire soit d’une autorisation de séjour soit d’une autorisation d’établissement sauf dispense découlant de l’application d’une convention internationale. Sont soumis à l’obligation d’obtenir une autorisation de séjour, les étrangers non‐immigrants, c’est‐à‐dire les voyageurs en transit, les membres des équipages de navires et avions en escale, les touristes, les fonctionnaires chargés de mission ainsi que leurs familles, les personnes qui ne se livrent à aucune activité lucrative ou qui se livrent temporairement à des activités littéraires ou artistiques ou à des activités de presse, de recherche, de contrôle, de prospection ou de représentation. L’autorisation de séjour délivrée par l’autorité compétente fixe la durée du séjour. L’autorisation peut être conditionnelle. Elle est révocable et renouvelable. Elle est subordonnée au versement des taxes fixées par la loi et à la constitution de garanties de rapatriement. Il en est de même pour l’autorisation d’établissement. Concernant les conditions d’établissement, sont soumis à l’obligation d’obtenir une autorisation d’établissement, les étrangers qui viennent au Sénégal avec l’intention d’y fixer leur résidence ou de s’y livrer d’une façon permanente à une activité lucrative ou d’y pratiquer une profession. L’autorisation d’établissement est délivrée avant l’entrée au Sénégal. Elle peut être a posteriori délivrée aux personnes déjà titulaires d’une autorisation de séjour. L’autorisation est individuelle. Cependant, elle peut être également accordée au conjoint de l’immigrant, à ses ascendants et à ses enfants mineurs ou non mariés vivant à sa charge et sous son toit. Pour les conditions de sortie, les articles 8 (alinéa 3) et 10 de la loi n°71‐10 du 25 janvier 1971, envisagent l’expulsion et la sortie volontaire. Les motifs d’expulsion sont bien définis mais les conditions de rapatriement ne sont pas spécifiées. L’étranger peut être expulsé pour l’un des motifs suivants : ‐ s’il a été condamné pour crime ou délit ; ‐ si sa conduite, dans son ensemble, et ses actes permettent de conclure qu’il ne veut pas s’adapter à l’ordre établi ; ‐ en cas d’ingérence grave et manifeste dans les affaires intérieures du Sénégal ; ‐ s’il ne peut plus subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. ‐ Le Code du travail Le Code du travail résultant de la loi n°97‐17 du 1er décembre 1997, dans son article 2 dispose que : « est considéré comme travailleur au sens de la présente loi, quel que soit son sexe et sa nationalité, Migration au Sénégal : Document thématique 2009 31
toute personne qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne, physique ou morale, publique ou privée. Pour la détermination de la qualité de travailleur, il ne sera tenu compte ni du statut juridique de l’employeur, ni de celui de l’employé ». Cette définition du terme de travailleur, montre que le travailleur étranger n’est pas négligé au Sénégal car elle souligne que le travailleur peut être aussi bien sénégalais qu’étranger. Cette prise en compte du travailleur étranger fait qu’au Sénégal, l’appartenance à un syndicat n’est conditionnée ni par la nationalité ni par le sexe : « tout travailleur ou employeur peut adhérer librement à un syndicat dans le cadre de sa profession ». Cette prise en compte du travailleur migrant apparaît également dans la réglementation des contrats de travail. En effet, le contrat ne doit pas être signé sous la contrainte. Selon l’article L31 du Code du travail : « les contrats de travail sont passés librement et dans les formes qu’il convient aux parties contractantes ». Ainsi, cet article interdit le travail forcé mais également le travail clandestin car tout employeur ou travailleur doit pouvoir apporter la preuve du contrat. L’article L32 dispose que : « quel que soit le lieu de la conclusion du contrat et la résidence de l’une ou l’autre partie, tout contrat de travail conclu pour être exécuté au Sénégal est soumis aux dispositions du présent code. La preuve de son existence peut être apporté par tous les moyens ». En plus, il n’existe aucune discrimination entre les travailleurs nationaux et les travailleurs immigrés en matière de salaire. L’article L105 prévoit que : « à conditions égales de travail, de qualification professionnelle et de rendement, le salaire est égal pour tous les travailleurs, quels que soient leur origine, leur sexe, leur âge et leur statut ». Il faut donc noter que le Code du travail offre des garanties aux travailleurs étrangers, un traitement égal entre ces derniers et les nationaux ainsi que la liberté d’appartenir à un syndicat de leur choix, etc. Cependant, l’article L224 prévoit que « des décrets peuvent déterminer, en fonction des nécessités économiques, démographiques et sociales, les possibilités d’embauchage des entreprises. Ils peuvent, en vue du plein emploi de la main d’œuvre nationale, interdire ou limiter l’embauchage de travailleurs étrangers, pour certaines professions ou certains niveaux de qualification professionnelle ». ‐ Le Code de la sécurité sociale L’analyse de la loi n°73‐37 du 31 juillet 1973 portant Code de la sécurité sociale, de la loi n°75‐50 du 3 avril 1975 relative aux institutions de prévoyance sociale et de la loi n°91‐33 du 26 juin 1991 relative à la transformation de la Caisse de sécurité sociale en Institution de prévoyance sociale, permet de noter que la seule restriction pour le travailleur étranger est relative au cas où ce dernier adhère à un code régi par une autre législation. Ceci montre que le Code de la sécurité sociale sénégalaise est assez ouvert et ne discrimine pas les travailleurs étrangers. En guise d’illustration, l’article premier du Code de sécurité sociale ne fait aucune distinction de nationalité : « les institutions de prévoyance sociale groupant tout ou partie du personnel d’un ou plusieurs entreprises et qui constituent au profit des travailleurs salariés et de leurs familles, en vertu de conventions collectives, d’accords d’établissements ou de contrats individuels, des avantages destinés à compenser des risques sociaux de toute nature, sont tenues de se conformer aux dispositions de la présente loi, même si ces institutions fonctionnent sans la contribution des travailleurs bénéficiaires ». ‐ Le Code des investissements Les étrangers désirant investir au Sénégal doivent déposer une demande d’agrément auprès de l’APIX (Agence Nationale chargée de la Promotion des Investissements et des Grands Travaux). Migration au Sénégal : Document thématique 2009 32
L’agrément au code des investissements confère les mêmes garanties suivantes aux investisseurs nationaux et étrangers : 9 La liberté de transfert des capitaux La liberté de transfert des capitaux est énumérée par l’article 7 du Code des investissements qui dispose que : le droit au transfert des capitaux et des revenus est garanti aux personnes physiques ou morales non résidentes au sens de la réglementation des changes, si elles effectuent au Sénégal un investissement financé par un apport de devises. Les personnes physiques ou morales qui ont procédé à des investissements, ont le droit de transférer librement dans l’Etat où elles sont résidentes, les dividendes et produits de toute nature des capitaux investis, ainsi que le produit de la liquidation ou de la réalisation de leurs avoirs. 9 Une égalité de traitement Les personnes physiques ou morales étrangères ont accès aux marchés publics, ont droit à la propriété au même titre que les nationaux comme cité par l’article 8 : les personnes physiques ou morales visées à l’article 1er du présent code peuvent dans le cadre des lois en vigueur, acquérir tous droits de toute nature en matière de propriété, de concession, d’autorisation administrative et participer aux marchés publics. Bref, on peut dire que les dispositions du Code des investissements, facilitent et offrent des opportunités d’investissement à l’épargne extérieure tout en garantissant la sécurité des investissements et le rapatriement des fonds des immigrés. B. La répression de la migration irrégulière et de la traite des personnes
Le développement de l’insécurité, du blanchiment d’argent, de la migration irrégulière, de la falsification de documents administratifs, de la corruption, liés à la criminalité transnationale, au trafic de drogues, au trafic d’armes et à la traite des personnes par les réseaux maffieux, a pris une telle ampleur que ces fléaux ont fait l’objet de législation au Sénégal en vue de mieux les combattre. La loi n°2005‐06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, réprime la traite des personnes en son article premier qui dispose que : le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement, l’accueil de personnes par menace ou recours à la violence, enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou de situation de vulnérabilité ou par l’offre ou l’acceptation de paiement d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant l’autorité sur une autre, aux fins d’exploitation sexuelle, de travail ou de services forcés, d’esclavage ou de pratiques analogues à l’esclavage, de servitude, est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 5 à 20 millions de Francs CFA. Cette loi réprime également la migration irrégulière en son article 4 qui dispose que : Est punie de 5 à 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1000 000 à 5 000 000 FCFA, la migration clandestine organisée par terre, mer ou air ; que le territoire national serve de zone d’origine, de transit ou de destination. Il faut souligner que cette loi, en raison de la prise en compte de plusieurs évènements récents en matière de migration, a été très exhaustive et réprime aussi bien la tentative de délit comme le délit. Enfin, toute personne (sénégalaise ou étrangère) qui, hors du Sénégal comme à l’intérieur, s’est rendue complice ou coupable des délits et crimes visés par la présente loi et commis en tout ou en partie sur le territoire sénégalais, peut être poursuivie et jugée selon les dispositions des lois sénégalaises ou applicables au Sénégal, s’il est arrêté au Sénégal ou si le Gouvernement obtient son extradition. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 33
C. La gestion du retour des émigrés sénégalais et la lutte contre la migration
irrégulière
Au Sénégal, parler de politique de retour, pose un problème d’existence d’un cadre juridique et réglementaire formel, pouvant orienter des actions cohérentes et durables. Or, chaque fois que le Sénégal a été confronté au retour de Sénégalais, il a tenté de mettre en place une réponse spécifique, donc un traitement d’appoint, souvent en collaboration avec les pays concernés. Cette situation explique la prolifération de textes, de programmes et projets relatifs aux conditions de retour d’émigrés de l’étranger. Du fait de la multiplication de cette approche sporadique des autorités publiques, plusieurs conventions ou protocoles d’accords bilatéraux sont devenus obsolètes et certains programmes et projets en cours, éprouvent des difficultés. Concernant la lutte contre la migration irrégulière, elle est aujourd’hui, généralement faite de manière concomitante avec la gestion de la question du retour. Il s’agit de répondre aux interrogations suivantes : Comment créer des conditions favorables à la migration régulière tout en envisageant le retour organisé au pays d’origine ? Comment développer des opportunités d’insertion socioéconomique pour inciter les candidats potentiels à l’émigration, à rester au pays d’origine ? Comment renforcer la surveillance côtière et maritime pour éviter aux jeunes de tenter une aventure suicidaire ? En vue de répondre à ces interrogations, plusieurs programmes et projets importants ont été initiés au Sénégal dans le cadre de la migration de retour, de l’émigration de travail et de la lutte contre la migration irrégulière. Par ailleurs, il faut déplorer le fait que l’Etat du Sénégal n’a affecté aucun budget spécifique à l’accueil des émigrés rapatriés qui, à leur arrivée au Sénégal, sont souvent modiquement assistés grâce à l’appui des ONG et autres partenaires au développement, avec une somme de plus ou moins 10 000 FCFA pour leur permettre de rejoindre leur communauté d’origine. Concernant les programmes et projets exécutés ou envisagés dans le cadre de la gestion du retour et de la lutte contre la migration irrégulière, ils sont nombreux et ne peuvent tous être présentés dans cette section. Par conséquent, nous allons focaliser notre analyse sur un nombre très limité de programmes et projets jugés pertinents pour notre étude, qu’ils soient d’initiatives du Gouvernement ou d’organisations internationales. ‐ Le Plan Retour Vers l’Agriculture (REVA) dont l’idée a été lancée par le Président Abdoulaye Wade à la fin de l’année 2005, a pour ambition de promouvoir le retour massif des jeunes vers l’agriculture, de lutter contre la migration irrégulière de la population active et de favoriser la réinsertion de Sénégalais rapatriés par le développement de l’agriculture intensive avec des matériels et méthodes modernes. Contrairement à l’idée répandue consistant à dire que « le plan REVA est un rêve », on assiste à une concrétisation progressive des ambitions des autorités publiques à faire de l’agriculture, le moteur de la croissance au Sénégal. Ainsi, pour l’exécution du concept de Retour Vers l’Agriculture, une Agence nationale a été créée sous tutelle du Ministère de l’Agriculture, par le décret n°1336 du 29 novembre 2006. Cette Agence a deux principaux axes d’intervention à savoir la réalisation de pôles d’émergence intégrés et la promotion de l’initiative privée dans le secteur agricole (au sens large) en mettant à la disposition de nombreux Sénégalais intéressés, des terres aménagées, aptes à l’agriculture et à l’élevage intensif. En effet, depuis la mise en place de l’Agence Nationale REVA, beaucoup de Sénégalais de l’intérieur comme de la diaspora, commencent à manifester leur intérêt et leur adhésion au projet. Cette adhésion au REVA a été galvanisée suite à l’appel du Président de la République pour la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA). Migration au Sénégal : Document thématique 2009 34
De janvier 2008 jusqu’aujourd’hui, 17 pôles d’émergence intégrés ont été identifiés et sont en cours de réalisation. Néanmoins, certaines contraintes existent et sont d’ordre : ‐ foncier (difficultés d’acquisition de parcelles auprès des autorités des communautés rurales en raison de leur méconnaissance du Plan REVA) ; ‐ financier (insuffisance de ressources financières destinées à l’aménagement des terres) et (difficultés des promoteurs de projets à accéder aux crédits des institutions financières) ; Pour lever ces contraintes, des solutions ont été amorcées, à savoir : ‐ la mise en place d’une stratégie de communication envers les collectivités locales notamment les autorités locales des communautés rurales ; ‐ l’accompagnement des promoteurs privés pour faciliter leur accès au crédit auprès de deux institutions financières, la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) et la Banque Régionale de Solidarité (BRS). ‐ Le Projet Initiatives de Co‐développement a été initié sur la base d’une convention signée entre le Sénégal et la France le 25 mai 2000 à Paris, appelée Convention de Co‐développement et qui a démarré en 2005. Ce Projet dont le budget s’élevait à 4,5 millions d’euros sur la période 2005‐2008, avait trois objectifs essentiels : ‐ faire participer les migrants sénégalais se trouvant sur le territoire français au développement du Sénégal en soutenant les projets de développement impliquant des migrants, par la création de systèmes financiers décentralisés et le renforcement des dispositifs d’accompagnement et d’appui ; ‐ encourager l’insertion au Sénégal des diplômés ayant effectué leurs études en France et l’organisation de stages professionnels en France pour des jeunes sénégalais. Pour cela, des contrats de co‐
développement/qualification professionnelle, permettront à de jeunes travailleurs sénégalais âgés entre 18 et 25 ans, de bénéficier pendant 18 mois, d’une expérience professionnelle de perfectionnement, à travers des stages salariés dans les entreprises françaises ; ‐ et assurer la gestion conjointe des migrations afin de prévenir les flux irréguliers. Ce projet est articulé autour de quatre composantes : accompagnement des initiatives économiques des migrants (1), mobilisation de la diaspora hautement qualifiée (2), développement local des régions d’origine des migrants (3), mise en œuvre et accompagnement des porteurs de projets (4). La composante « accompagnement des initiatives économiques des migrants » consiste à apporter à l’émigré désireux d’implanter son projet au Sénégal, un soutien à travers le financement des études de faisabilité du projet, la formation du promoteur et le suivi de ses activités pendant 12 mois. Au 31 décembre 2008, 184 projets ont été accompagnés pour un montant global d’environ 206 325 000 FCFA avec l’utilisation des services de 25 bureaux d’études sénégalais. La composante « mobilisation de la diaspora hautement qualifiée » vise l’expertise et le savoir‐faire des cadres sénégalais vivant en France, pour leur transfert dans le pays d’origine, en fonction des besoins exprimés par les structures publiques et privées et sans se substituer ou concurrencer l’expertise locale. Sur la base d’une collaboration établie entre la structure sénégalaise et l’expert de la diaspora, le Projet initiatives de Co‐développement appuie à la mobilité physique ou virtuelle de l’expert sénégalais, ainsi qu’au fonctionnement et à l’acquisition de l’équipement indispensable à l’intervention de l’expert. Au 31 décembre 2008, 32 experts de la diaspora sénégalaise ont été mobilisés pour mener des missions d’encadrement et de formation dans divers secteurs d’activités. La composante « développement local des régions d’origine des migrants » cible les projets à caractère collectif impliquant les émigrés et les populations concernées et en cohérence avec les objectifs du DSRP et les OMD. Au 31 décembre 2008, 41 projets ont été financés pour un montant global d’environ 3,2 milliards FCFA. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 35
La dernière composante qui assure la coordination du projet Co‐développement, comporte la mise en place, l’animation et le fonctionnement des trois premières composantes ainsi que les actions d’information et de communication. Entre 2005 et 2008, le projet n’a pas connu de contraintes majeures et les performances réalisées ont conduit les différents partenaires à le transformer en Programme d’Appui au Initiatives de Solidarité pour le Développement (PAISD) prévu pour la période 2009‐2011, pour un budget s’élevant à 7 millions d’euros et dont la convention a été signée le 26 janvier 2009. Dans cette convention, deux nouvelles composantes ont été prises en compte à savoir : ‐ le désenclavement des régions périphériques à travers la création de centres multimédias ; ‐ le Volontariat de la Solidarité pour le Développement (VSD) à travers lequel des jeunes émigrés sénégalais dotés d’expertise sont soutenus pour monter et mettre en œuvre des projets de développement au Sénégal. Aujourd’hui, la pertinence et les performances du projet ont incité d’autres partenaires, notamment l’Espagne et l’Italie, à vouloir capitaliser une telle expérience. ‐ Le Projet « Renforcement des capacités de gestion de la migration et de lutte contre la migration irrégulière au Sénégal »4 : le protocole d’accord de ce projet avait été signé le 25 avril 2007 entre la Délégation de la Commission européenne à Dakar, l’OIM et le Ministère de l’Intérieur du Sénégal. D’une durée de six mois, ce projet avait pour objectif d’accroître la capacité du Gouvernement du Sénégal à lutter contre la migration irrégulière et à mieux gérer la migration régulière. Malgré le délai d’exécution très court du projet, d’importants résultats ont été enregistrés à travers les quatre composantes que sont : ‐ (1) le renforcement des capacités institutionnelles (87 fonctionnaires ont été formés en fraudes documentaires et gestion des migrations) ; ‐ (2) l’assistance directe aux migrants échoués et potentiels (57 projets financés, 687 migrants interceptés ont été aidés à retourner dans leur pays ou localité d’origine, 69 promoteurs, 47 migrants potentiels et 10 migrants échoués ont été formés à la création et à la gestion de micro‐entreprises et ont ainsi pu lancer leurs projets d’affaires, quatre CDEPS ont reçu des subventions pour l’appui‐conseils aux jeunes et le financement de quelques activités liées à la surveillance côtière) ; ‐ (3) la campagne de sensibilisation (émissions‐radio, spots publicitaires à la télévision, sketchs en Wolof, festival, formation de relayeurs d’information au niveau des mouvements associatifs et scouts) ; ‐ (4) et une étude comparative qui a abouti à la publication d’un document portant sur la prise en charge des questions et problèmes relatifs aux mineurs migrants non accompagnés en Espagne, en France et en Italie avec un accent sur la migration des enfants sénégalais. Cependant, plusieurs facteurs ont contribué à altérer l’efficacité des interventions du projet. On peut entre autres noter : ‐ une faible utilisation de l’expertise locale entraînant de surcroît de sérieuses difficultés dans la coordination inter‐institutionnelle du projet et dans l’efficacité des interventions ; ‐ le manque de consultation entre les différents acteurs du projet avant sa mise en œuvre et la multiplicité des acteurs du Gouvernement sénégalais dans un contexte dépourvu d'un mécanisme de coordination officiel, a aussi occasionné des difficultés dans l’exécution du projet ; ‐ et l’étroitesse de la période d’exécution du projet (six mois) n’a pas été de nature à favoriser l’efficacité des interventions et la pérennisation des résultats atteints. Toutefois, le prolongement d’un tel projet demeure pertinent en raison des nombreux problèmes suscités ces dernières années par la migration irrégulière au Sénégal. La position géostratégique du Sénégal, pays largement ouvert sur l’océan Atlantique, incitent de plus en plus de migrants à y transiter 4
Mis en œuvre par l’OIM en 2007, ce projet a été financé par la Commission européenne à travers la ligne budgétaire du Mécanisme de Réaction Rapide. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 36
venant de facto, gonfler la masse déjà inquiétante de jeunes chômeurs locaux (six chômeurs sur dix au Sénégal sont âgés de 15 à 34 ans ‐ RGPH3) et aggravant ainsi la pauvreté et la vulnérabilité. En plus, la continuation d’un tel projet, nécessite la prise en compte d’un certain nombre de facteurs tels que l’augmentation de la durée d’exécution du projet et une plus grande utilisation des acteurs nationaux notamment l’expertise locale dans la préparation, la mise en œuvre et le suivi et évaluation du projet. ‐ Le Projet Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals/Transfert des Connaissances par des Nationaux Expatriés (TOKTEN) initié en 2001 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), est un projet de mobilisation de l’expertise des Sénégalais de l’extérieur en vue de leur transfert dans le pays d’origine, par le biais de missions d’intervention de courte durée. Sur la base des demandes exprimées par rapport aux besoins des structures publiques et privées au Sénégal, le projet identifie les cadres qualifiés répondant aux profils de ces besoins et organise leurs voyages. Contrairement au Projet initiatives de Co‐développement qui se limite en France, le TOKTEN cible tous les pays d’accueil des Sénégalais, notamment les pays développés du Nord. Entre 2002 et 2007 (première phase du projet), plusieurs actions ont été menées : ‐ l’identification des cadres sénégalais vivant à l’étranger, à travers les missions diplomatiques et consulaires ; ‐ la création d’une base de données sur les cadres qualifiés sénégalais vivant à l’étranger, avec les conditions d’insertion de chaque expatrié : la fibre patriotique remplace en partie les honoraires du consultant, les perdiem sont payés par le PNUD en fonction du coût de la vie dans la zone d’intervention, ceux qui acceptent ces conditions sont inclus dans la base de données (un millier d’expatriés se sont inscrits) ; ‐ la mise en place d’un comité de sélection qui travaille sur la base des requêtes des secteurs publics et privés. Le comité de sélection était composé du Ministère des Affaires Etrangères (MAE), du Ministère des Sénégalais de l’Extérieur (MSE), du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), du Ministère de la Coopération Internationale et de la Coopération Décentralisée, du PNUD et de l’UNOPS qui est l’agence d’exécution chargée de la mise en route des consultants. ‐ 76 missions d’expertise de courte durée ont été effectuées dont 69 au profit du secteur public et parapublic, trois pour le secteur privé et quatre pour le compte de la société civile. Toutefois, des contraintes ont été identifiées dans la mise en œuvre du projet. On peut entre autres, citer : les retards accusés dans la mobilisation des fonds par le PNUD, l’absence d’une stratégie de communication envers les acteurs potentiellement concernés et les difficultés rencontrées dans le cadre du suivi et évaluation des activités enclenchées. Néanmoins, la 2ème phase du Projet (2008‐2012) envisage de chercher des ressources complémentaires, de continuer la dynamique déjà enclenchée en respectant la cohérence des interventions avec le DSRP, la SCA, les OMD, le PNDL et de renforcer la communication auprès des institutions privées, des structures étatiques et de la société civile en vue de stimuler leurs demandes. ‐ Pour la gestion du retour et la lutte contre la migration irrégulière, plusieurs autres programmes ont été récemment initiés dont l’un des plus importants est le PLASEPRI (Plateforme d’Appui au Secteur privé et Valorisation de la Diaspora sénégalaise en Italie) avec un budget de 13 119 140 000 FCFA et prévu pour la période 2009‐2011. Le Programme PLASEPRI est né du dialogue entre les gouvernements du Sénégal et de l’Italie sur la nécessité de créer un instrument technique et financier de soutien au secteur privé sénégalais en général et à la réalisation des initiatives de création de PME des Sénégalais vivant en Italie. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 37
III.3 Textes supranationaux sur les migrations ratifiés par le Sénégal
Le Sénégal a ratifié plusieurs conventions et instruments internationaux et sous‐régionaux qui complètent les dispositions nationales en matière de migration. Néanmoins, il faut noter qu’à l’instar des lois nationales, il y a un manque de rigueur ou une négligence des autorités publiques dans l’application des textes supranationaux ratifiés par le Sénégal en matière de migration. Toute la panoplie d’instruments supranationaux pertinents ratifiés par le Sénégal ne peut être présentée dans ce chapitre. Ainsi, nous avons décidé de présenter les textes supranationaux suivants : 9 Au niveau international La Convention n°19 relative à l’égalité de traitement des travailleurs étrangers et nationaux, signée à Genève le 05 juin 1925, ratifiée par le Sénégal le 22 novembre 1962. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée à New‐York le 18 décembre 1990 et ratifiée par le Sénégal le 09 juin 2003. La Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ainsi que ses deux protocoles additionnels suivants : - le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; - le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer. Ils ont tous deux été adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 15 novembre 2000. La Conférence politique de haut niveau de signature pour la Convention et ses deux Protocoles, s’est tenue à Palerme en Italie du 12 au 15 décembre 2000. C’est le 27 octobre 2003 que le Sénégal a ratifié cette Convention et ses deux protocoles additionnels. 9 Au niveau sous‐régional CEDEAO ‐ Le Protocole A/P.1/5/79 du 29 mai 1979 relatif à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et d’établissement de la CEDEAO, a été ratifié par le Sénégal le 24 mai 1980. Sa réalisation devait se faire de façon graduelle et comprenait les trois phases suivantes. La première phase a trait à la liberté d’entrée sans visa pour 90 jours. Elle a été ratifiée par tous les membres et est entrée en application en 1980. La deuxième étape est axée sur le droit de résidence adopté en 1986 mais non ratifié par tous les Etats et la troisième porte sur le droit d’établissement. Pour que ce protocole puisse être opérationnel, il a été renforcé par des protocoles additionnels, des résolutions, des décisions et des directives. On peut entre autres, citer : ‐ le Protocole additionnel (A/SP.1/7/86) du 1er juillet 1986 relatif à l’exécution de la 2ème étape (droit de résidence) du protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, signé à Abuja le 1er juillet 1986, ratifié par le Sénégal le 11 février 1987. ‐ et le Protocole additionnel A/SP.2/5/90 relatif à l’exécution de la 3ème étape (droit d’établissement) du Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, signé à Banjul le 29 mai 1990, ratifié par le Sénégal le 11 septembre 1992. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 38
Le 24 juillet 1993 à Cotonou, le Traité constitutif de la CEDEAO du 28 mai 1975 fut révisé en introduisant une innovation de taille consistant à intituler l’article 59 « immigration ». En effet, il est dit dans cet article que : ‐ alinéa 1 : « Les citoyens de la Communauté ont le droit d’entrée, de résidence et d’établissement et les Etats membres s’engagent à reconnaître ces droits aux citoyens de la Communauté sur leurs territoires respectifs, conformément aux dispositions des protocoles y afférents » ; ‐ alinéa 2 : « Les Etats membres s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées en vue d’assurer aux citoyens de la Communauté, la pleine jouissance des droits visés au paragraphe 1 du présent article ». ‐ alinéa 3 : « Les Etats membres s’engagent à prendre au niveau national, les dispositions nécessaires pour l’application effective des dispositions du présent article ». Toutefois, il faut rappeler que depuis plus de deux décennies, le dossier relatif aux migrations n’a pas beaucoup évolué au sein de la CEDEAO. Ces dernières années, la CEDEAO s’est beaucoup occupée des questions de conflits en vue de restaurer la paix et la sécurité dans les zones de tension en Afrique de l’Ouest. Néanmoins, il faut noter qu’en matière de migration, cette Communauté est parvenue à abolir les visas d’entrée pour les ressortissants de ses Etats membres désirant séjourner durant au plus 90 jours dans l’espace CEDEAO. Des efforts ont été faits avec l’adoption en 2008, à Ouagadougou, par les Chefs d État et de Gouvernement des pays de la CEDEAO, de l’Approche commune de la CEDEAO sur les migrations qui traite notamment les questions relatives aux actions visant à améliorer la libre circulation au sein de la Communauté, à promouvoir la gestion des migrations régulières, à lutter contre la migration irrégulière en particulier la traite des personnes et à protéger les droits des migrants. Mais, des difficultés existent dans la pratique notamment le cas du passeport CEDEAO dont le modèle uniforme a été adopté lors de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernements de l’année 2000, n’a été mis en circulation que par seulement deux pays à savoir le Bénin et le Sénégal. En plus, les nombreuses tracasseries notamment les rackets auxquels les voyageurs de la Communauté sont confrontés lors de leur passage aux différents postes de contrôle, ne sont pas de nature à favoriser la libre circulation dans la zone communautaire. Par ailleurs, des insuffisances sont enregistrées au niveau des questions de résidence et d’établissement. Tous les Etats membres n’ont pas encore mis en place la carte de résidence CEDEAO et beaucoup de migrants de la Communauté ignorent son existence. Toutefois, en matière de migration, la CEDEAO a élaboré plus d’instruments juridiques que l’UEMOA car au niveau de cette dernière, les dossiers relatifs à la libre circulation, aux droits de résidence et d’établissement, ont été marginalement traités au profit des questions économiques et financières. Il faut rappeler que les deux organisations sous‐régionales ont signé un accord de partenariat visant à coordonner leurs activités migratoires afin d’éviter les duplications au niveau de leurs interventions. Concernant la liberté de circulation, le droit de résidence et le droit d’établissement, ce sont les dispositions de la CEDEAO qui sont censées être appliquées sur les territoires des Etats membres. D’ailleurs, il est indiqué dans l’article 2 du Traité révisé de la CEDEAO que celle‐ci va à terme, devenir la seule communauté économique de l’Afrique de l’Ouest. UEMOA Au moment où la CEDEAO approuvait une version révisée de son Traité constitutif en 1993, ses pays membres de la Zone franc CFA, renforçaient en 1994 l’Union Monétaire Ouest africaine (UMOA) qu’ils transformaient en Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA) suite à la dévaluation du Franc CFA. L’UEMOA a été créée par le Traité signé à Dakar le 10 janvier 1994 et remplace la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO). Sept pays de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun l’usage du franc CFA, soient le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo étaient à la base de la signature du Traité. Le 2 mai 1997, la Guinée‐Bissau devient le Migration au Sénégal : Document thématique 2009 39
huitième État membre de l’Union. L’union douanière a été mise en place en 2000 et l’UEMOA dépasse en terme d’acquis économiques les réalisations de la CEDEAO. En matière de migration, le Traité révisé de l’UEMOA de 2003, consacre les articles suivants à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et au droit d’établissement : Article 91 1) Sous réserve des limitations justifiées par des motifs d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, les ressortissants d'un Etat membre bénéficient sur l'ensemble du territoire de l'Union de la liberté de circulation et de résidence qui implique : ‐ l'abolition entre les ressortissants des Etats membres de toute discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne la recherche et l'exercice d'un emploi, à l'exception des emplois dans la Fonction publique ; ‐ le droit de se déplacer et de séjourner sur le territoire de l'ensemble des Etats membres ; ‐ le droit de continuer à résider dans un Etat membre après y avoir exercé un emploi.5 Article 92 1) Les ressortissants d'un Etat membre bénéficient du droit d'établissement dans l'ensemble du territoire de l'Union. 2) Sont assimilées aux ressortissants des Etats membres, les sociétés et personnes morales constituées conformément à la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union. 3) Le droit d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.6 Article 93 ‐ Les ressortissants de chaque Etat membre peuvent fournir des prestations de services dans un autre Etat membre dans les mêmes conditions que celles que cet Etat membre impose à ses propres ressortissants, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique et sans préjudice des exceptions prévues par le présent Traité. ‐ L'article 91, paragraphe 3, et l'article 92, paragraphes 2 et 4, sont applicables, mutatis mutandis. Article 94 ‐ Par dérogation aux articles 92 et 93 et sous réserve des mesures d'harmonisation des législations nationales mises en oeuvre par l'Union, les Etats membres peuvent maintenir des restrictions à l'exercice, par des ressortissants d'autres Etats membres ou par des entreprises contrôlées par ceux‐ci, 5
Les deux alinéas suivants sont : 2) Le Conseil, statuant à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et sur proposition de la Commission, après avis conforme du Parlement, arrête dès l'entrée en vigueur du présent Traité, par voie de règlement ou de directive, les dispositions utiles pour faciliter l'usage effectif des droits prévus au paragraphe 1. 3) Selon la procédure prévue au paragraphe 2, le Conseil adopte des règles : a) précisant le régime applicable aux membres des familles des personnes faisant usage de ces droits ; b) permettant d'assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit la continuité de la jouissance des prestations susceptibles de leur être assurées au titre des périodes d'emploi successives sur le territoire de tous les Etats membres ; c) précisant la portée des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. 6
Les alinéas suivants sont : 4) Le Conseil, statuant à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et sur proposition de la Commission, après avis conforme du Parlement, arrête dès l'entrée en vigueur du présent Traité, par voie de règlement ou de directive, les dispositions utiles pour faciliter l'usage effectif du droit d'établissement. 5) L'article 91, paragraphe 3, est applicable, mutatis mutandis. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 40
de certaines activités lorsque ces restrictions sont justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou par d'autres raisons d'intérêt général.7 Suite à l’entrée en vigueur dudit Traité révisé, la Commission avait élaboré en 1998 un projet de règlements ou de directives visant à organiser les libertés de circulation, de résidence et d’établissement et à faciliter l’usage effectif de ces droits. Ce projet n’a pas pu être adopté par le Conseil des ministres de l’UEMOA en raison surtout des réticences exprimées par la Côte d’Ivoire qui estimait beaucoup souffrir de l’immigration avec un pourcentage des étrangers avoisinant 30 % de la population totale. Par la suite, le déclenchement de la crise ivoirienne en 1999 avec en pointe le problème d’« ivoirité », a anéanti tout espoir d’adoption dudit projet de directives. L’approche qui était envisagée et qui consistait à produire une stratégie globale examinant tous les aspects liés à la migration, a actuellement été abandonnée au profit d’une nouvelle démarche sectorielle visant à traiter au cas par cas les questions et problèmes de migration. Il faut noter que dans l’application des textes en matière de migration au sein de l’UEMOA, beaucoup d’Etats membres ne respectent pas les dispositions communautaires et quasiment les mêmes difficultés rencontrées dans l’espace CEDEAO se retrouvent dans la zone UEMOA. III.4 Faiblesses des politiques migratoires au Sénégal
Au Sénégal, il n’y a pas un document intégré de politique nationale en matière de migration. Cependant, beaucoup d’initiatives liées aux questions de migration existent dans plusieurs secteurs d’activités et que nous dénommons « éléments de politique de migration ». Au niveau de ces éléments de politiques, d’importants efforts sont déployés dans la prise en charge des questions et problèmes de migration notamment les lois et études récentes ainsi que les projets et programmes envisagés ou en cours d’exécution. Néanmoins, de nombreuses lacunes demeurent en raison du caractère évolutif, complexe et multidimensionnel de la migration et qui méritent d’être progressivement comblées à savoir : ‐ l’absence d’une politique nationale intégrée en matière de migration, permettant de prendre en charge de manière cohérente et durable l’ensemble des questions et problèmes de migration ; ‐ le déficit de communication entre les institutions intervenant dans le domaine des migrations et une absence de coordination de leurs activités ; ‐ l’insuffisance de ressources matérielles, financières et humaines des institutions chargées de mettre en œuvre les politiques en matière de migration ; ‐ le caractère parfois lacunaire des textes juridiques et réglementaires en matière de migration au Sénégal, du fait qu’ils ont été pour la plupart libellés à des époques où les migrations ne posaient pas les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, notamment ceux liés à la migration irrégulière. En plus, ces lacunes s’expliquent aussi par le fait que le Sénégal n’a pas actualisé certaines lois en matière de migration suite à la ratification de certains protocoles et conventions au niveau supranational. A titre d’illustration, on peut évoquer la loi n°71‐10 du 25 janvier 1971 qui n’a pas été actualisée et ne fournit en conséquence, aucune information quant aux conditions de séjour au Sénégal des ressortissants de la CEDEAO malgré le fait que le pays ait ratifié le Protocole du 29 mai 1979 ainsi que les décisions et protocoles additionnels respectifs. 7
L’alinéa suivant est : ‐ Les Etats membres notifient à la Commission toutes restrictions maintenues en vertu des dispositions du paragraphe précédent. La Commission procède à une revue annuelle de ces restrictions en vue de proposer leur harmonisation ou leur élimination progressive. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 41
‐ Concernant l’organisation du retour des émigrés, il a été noté l’absence d’une stratégie nationale intégrant de manière cohérente, les instruments techniques et opérationnels ainsi que les ressources humaines qualifiées, permettant de gérer de manière efficace et durable, les problèmes liés au retour des émigrés sénégalais. Pour résorber toutes ces faiblesses, d’énormes défis devront être relevés par le Sénégal en vue de gérer de manière efficace ses problèmes de migration. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 42
IV. Défis en matière de migration au Sénégal
Aujourd’hui, les défis en matière de migration pour le Sénégal, consistent à : 9 au niveau international ‐ plaider au niveau des instances internationales en vue d’inciter ou d’amener les Etats à respecter davantage les droits de tous les migrants. 9 au niveau sous‐régional ‐ plaider auprès des Etats qui ne l’ont pas encore fait, la ratification et le respect des différents protocoles relatifs à la libre circulation des personnes, aux droits de résidence et d’établissement ; ‐ faire un plaidoyer auprès des Etats qui ont ratifiés les instruments juridiques en vigueur, à respecter la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement ; ‐ recommander respectivement aux Etats membres de la CEDEAO et de l’UEMOA de mettre fin définitivement aux expulsions arbitraires des ressortissants de leur espace communautaire ; ‐ recommander à la CEDEAO et à l’UEMOA de renforcer leur coopération avec l’Union africaine (UA) en vue d’une gestion cohérente et efficace des questions de migration dans le contient africain. 9 au niveau national ‐ élaborer une véritable politique nationale en matière de migration, intégrant des stratégies cohérentes de prise en charge durable des questions et problèmes de migration ; ‐ revoir et compléter les législations en vigueur en vue de mieux prendre en charge les problèmes actuels des migrations en général et des migrations irrégulières en particulier ; ‐ délimiter de façon précise les compétences et les mandats spécifiques de chaque entité gouvernementale pour éviter les duplications et rendre efficaces les interventions, tout en encourageant une collaboration interinstitutionnelle ; ‐ accroître les moyens financiers et logistiques des structures chargées de la gestion des questions et problèmes de migration ; ‐ renforcer les capacités des acteurs impliqués dans la prise en charge des questions et problèmes de migration en particulier par des activités de formation ; ‐ renforcer le système de collecte, de traitement et d’analyse de données sur les migrations sinon la pertinence des analyses sur les phénomènes migratoires et des études d’impact sera fortement amenuisée ; ‐ orienter les transferts d’argent des migrants dans des investissements productifs plutôt que dans l’immobilier qui n’est pas source de création de valeur ajoutée ; ‐ développer des initiatives pour raffermir les liens entre les Sénégalais de l’extérieur et leur localité d’origine, notamment par l’intensification de la communication, le transfert des connaissances et des fonds ainsi que par les investissements dans les communautés d’origine ; ‐ orienter les investissements des émigrés vers les secteurs jugés prioritaires, à fort potentiel de croissance et à haute intensité de main d’œuvre et renforcer le processus de décentralisation et de Migration au Sénégal : Document thématique 2009 43
bonne gouvernance. C’est ainsi que nous pourrons utiliser pleinement et de manière optimale la main d’œuvre locale et éviter qu’à l’avenir, celle‐ci ne ressente la nécessité d’aller chercher du travail à l’étranger pour pouvoir subvenir à ses besoins, notamment les plus fondamentaux ; ‐ élaborer une stratégie de communication envers les populations et qui permettrait surtout à des milliers de jeunes de connaître les circuits légaux permettant de vivre régulièrement dans les pays de destination sans compromettre leur vie et leur évitant de devenir ainsi des proies faciles entre les mains des passeurs et d’employeurs véreux ; ‐ promouvoir la participation active des organisations syndicales, des ONG, des instituts académiques et de recherche ainsi que de la société civile dans son ensemble, dans le processus de gestion de la migration ; ‐ renforcer la coopération entre le Sénégal et les pays partenaires en vue d’une gestion concertée et responsable des flux migratoires. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 44
Conclusion
Composante essentielle de la mondialisation, la migration internationale est à plus d’un titre, devenue le parent pauvre du processus de globalisation. Avec le développement fulgurant des technologies de l’information et de la communication, chacun sait au quotidien, ce qui se passe ailleurs, le monde est devenu virtuellement un village planétaire. Dans un tel contexte, les politiques de « fermeture » pourraient‐elles rendre les frontières impénétrables ? De toute évidence, tant que les pays de départ végéteront dans le sous‐développement chronique, les mesures de restriction des flux migratoires appliquées par la plupart des pays de transit et de destination, ne feront qu’atténuer momentanément le phénomène, le temps de reconstituer de nouvelles stratégies de contournement des politiques migratoires. Une approche consensuelle dans le traitement de la question migratoire est nécessaire car la migration répond dans une certaine mesure, aussi bien aux intérêts des pays de destination que des pays de départ et constitue une source d’enrichissement mutuel. Toutefois, il est déplorable d’emprunter les voies irrégulières qui font d’innombrables victimes et disloquent tant de familles. Par ailleurs, en matière d’immigration, le Sénégal a toujours été une terre d’hospitalité. Les étrangers sont généralement bien accueillis par les Sénégalais, ce qui explique toute l’attractivité de ce pays vis‐à‐
vis des ressortissants de la sous‐région ouest africaine. En plus, l’Etat du Sénégal, malgré les lois en vigueur en matière d’immigration, est moins exigeant dans leur application, ce qui fait du Sénégal un pays d’immigration important. Ces dernières années, le Sénégal, avec une côte maritime d’environ 700 kilomètres, est devenu une véritable zone de transit pour les migrants irréguliers qui empruntent la voie maritime et cette situation a accru la pression migratoire sur les frontières européennes notamment à travers l’Espagne. En matière d’émigration, beaucoup d’ouest africains en général et de Sénégalais en particulier, continuent à partir vers d’autres horizons en vue d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles. S’il s’avère que ces mouvements migratoires vont continuer à se perpétuer, ce qui est tout à fait envisageable au regard des écarts de développement entre les pays concernés, il devient alors nécessaire de jeter les bases d’une coopération étroite, aux plans régional et international, afin de réduire les effets pervers de cette migration internationale, tout en augmentant ses avantages pour les individus et les Etats concernés. Surtout, les cadres d’intégration tels que l’UA, la CEDEAO et l’UEMOA doivent impérativement mettre en cohérence leurs interventions en vue de contribuer de manière substantielle à une gestion efficiente des problèmes de migration en Afrique. Toutefois, il faut rappeler qu’en raison du caractère complexe et multidimensionnel des questions de migration, l’esprit de responsabilité mutuelle doit prévaloir, ne jamais décider avant et discuter après si les communautés sous‐régionales, régionales et internationales souhaitent apporter des solutions efficaces aux questions et problèmes de migration. Cette formidable exigence nous semble encore justifiée par les innombrables difficultés socioéconomiques auxquelles les pays de départ et de destination sont confrontés, suscitant chez les uns, des réactions de survie et chez les autres, parfois un sentiment de xénophobie, de discrimination, d'intolérance, en fait, toute attitude compromettant la paix et la fraternité dans le monde. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 45
Enfin, nous dirons qu’au Sénégal, la migration internationale constitue pour beaucoup de catégories sociales défavorisées, une alternative au chômage et à la pauvreté. Toutefois, cette réponse mérite respect et considération car par ses différentes implications sur le plan individuel, familial et communautaire, l’émigration sénégalaise contribue substantiellement à la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité ainsi qu’au développement local. Reconnaître cette réalité et accompagner les émigrés dans leurs aventures en apportant le soutien nécessaire pour le respect de leurs droits et la facilitation de leur intégration, c'est mettre en œuvre une éthique de la solidarité agissante dans les rapports entre nations. Migration au Sénégal : Document thématique 2009 46
Bibliographie Association pour le Co‐Développement (ASCODE) et Ministère des Sénégalais de l’Extérieur 2006 Rapport général du 1er Forum International sur Migrations‐Co‐Développement ; Dakar, 8, 9, et 10 mars 2006. Ba, A. 2003 Rapport sur « Les politiques en matière de migration au Sénégal » ; Séminaire national sur « La migration internationale et le développement au Sénégal », Dakar – 12 et 13 novembre 2003. Ba, A. et Fall, A. 2006 Législations relatives aux travailleurs migrants en Afrique de l’Ouest ; Bureau International du Travail. Ba, C. O. et Ndiaye, A. I. 2007 L’émigration clandestine sénégalaise, OSIWA. Dia, I. A. 2008 Evaluation de la gestion de la migration de travail au Sénégal, OIM. Fall, A. S. 2003 Enjeux et défis de la migration internationale de travail ouest africaine – Bureau International du Travail. Khachani, M. 2008 Immigration légale : Pour une gestion concertée entre les partenaires euro‐africains ; Rabat, 3 et 4 mars 2008. Ministère de l’Economie et des Finances/Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) 2002 Rapport national de présentation des résultats du troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH 3). Ministère de l’Economie et des Finances/Direction de la Prévision et de la Statistique (DPS) 2004 Rapport de synthèse de la 2ème Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages (ESAM 2) ; juillet 2008. Ndoye, O. et Grégoire, L. J. 2008 Migration au Sénégal : Dynamique et orientations stratégiques ; PNUD‐N°2, octobre 2008. Philippe, D. 1980 Les navetanes : historique des migrants saisonniers de l’arachide en Sénégambie des origines à nos jours ; les Nouvelles Editions Africaines, Dakar‐Abidjan, p. 46. Projet Initiatives de Co‐développement : Fiche de résultats ; 2008 Migration au Sénégal : Document thématique 2009 47
Annexe : Liste des personnes rencontrées
Prénom(s) et nom Mamadou CISSE Fonction/Titre Institution/Organisation Bibliothécaire Direction de la Recherche et de la Documentation de l’Assemblée nationale du Sénégal Fonds des Nations unies pour la population/United Nations Funds for Population Activities (UNFPA) Direction de l’Assistance Technique/Présidence de la République Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) Soukeyna FALL KABA Chargée de Programme Papa Birama THIAM Directeur de l’Assistance Technique Cheikh Oumar BA Expert Sociologue, Coordonnateur adjoint de L’Initiative prospective agricole et rurale Chargé de recherches et de politiques stratégiques Fonctionnaire du Ministère des Sénégalais de l’Extérieur détaché au Programme Sénégalo‐Italien PLASEPRI Chef Division Chancellerie Babacar NDIONE Gane MBENGUE Moustapha SOW Ibrahima CISSE Bakary DJIBA Zakaria SAMBAKHE Ibrahima Sylmang SENE Conseiller Ministère des Affaires Etrangères Directeur des statistiques démographiques et sociales Membre du Conseil d’Administration et GMD Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) CONGAD (Conseil des ONG d’Appui au Développement) Démographe Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) Agence Nationale du Plan de Retour Vers l’Agriculture (AN‐
REVA) Ministère de l’Intérieur Abdoulaye SEYE Expert en Suivi‐évaluation Moustapha LY Geertrui LANNEAU Conseiller Technique Candide MIGAN Papa SAKHO Organisation internationale pour les migrations (OIM) Programme de la Plateforme d’Appui au Secteur privé et Valorisation de la diaspora sénégalaise en Italie (PLASEPRI) Ministère des Affaires Etrangères Experte Régionale en Migration et Emploi ; Chargé de Programme Migration de Travail Directeur des Etudes OIM OIM Institut de formation et de recherche en Population, Développement et Santé de la Reproduction (IPDSR)/Université Cheikh Anta Diop de Dakar Migration au Sénégal : Document thématique 2009 48
Cette publication a été co-financée
par l’Union européenne
Migration au Sénégal :
Document thématique 2009
Les transferts de fonds et de compétences
des émigrés : enjeux socioéconomiques et
stratégie politique au Sénégal
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Tél : + 41 22 717 91 11 • Télécopie : +41 22 798 61 50
Courrier électronique : [email protected] • Internet : http://www.iom.int
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