Eduquer l`enfant différent

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Eduquer l`enfant différent
Médiation et Education
Éduquer l’enfant différent
Depuis la rentrée scolaire 2007, nous accueillons, à l’école Beth Israël, une classe
d’intégration dirigée par Mordehaï Churba, spécialement venu de Jérusalem et de l’institut
Feuerstein pour encadrer ce projet.
Depuis l’ouverture de cette classe d’intégration dans l’établissement où je travaille, je voulais
m’entretenir avec le responsable pour savoir ce que l’école juive pouvait offrir à des enfants
souffrant de différents handicaps (essentiellement autisme et trisomie). Je ne le connaissais
pas encore, mais je savais combien ce projet avait coûté d’énergie et d’investissement et
j’étais certaine que l’éducateur qui allait en être responsable devait être à la hauteur de tous
ces efforts.
Mordehaï a tout de suite accepté ma demande d’écrire un article sur son expérience
particulière et notre entretien m’a non seulement enrichie mais en outre, impressionnée pour
plusieurs raisons.
En premier lieu, Mordehaï aborde l’enseignement dispensé aux enfants handicapés
simplement comme une modalité parmi d’autres d’éducation, mais fondé sur les mêmes bases
indispensables que tout autre enseignement, nous y reviendrons.
Deuxièmement, il est animé d’une détermination optimiste (qui communique une certaine
énergie) couplée à une inconditionnelle patience. Et c’est avant tout cet enthousiasme que
j’aimerais vous faire partager dans les lignes qui vont suivre.
Mordehaï a commencé notre entretien en rappelant une phrase de l’Ecclésiaste, dont tout
éducateur juif doit s’inspirer et qui fonde la base de tout projet pédagogique. « Éduque
l’enfant selon son chemin ». On pourrait être étonné, me dit-il, qu’il n’est pas stipulé « selon
les chemins de la Torah, de la vérité ou d’une autre norme tenue pour universelle. Est-ce à
dire que « son chemin » est toujours le bon pour l’enfant ?
Autre source d’étonnement qu’il m’a signalée : il existe un code de lois conséquent, précis
que l’on appelle Choulhan Arouh relatif à la Halaha, c’est-à-dire aux différents détails de la
loi juive, mais il n’existe pas de référence équivalente en matière d’éducation.
On peut déduire une idée commune de ces deux remarques : il n’existe pas de recette
pédagogique. Tout éducateur est un créateur. Non pas qu’il s’agisse pour lui d’improviser,
loin de là, mais de mettre en œuvre des facultés d’adaptation, d’innovation, de créativité
seules aptes à donner à son enseignement la profondeur et l’adéquation nécessaires aux
différents élèves. Mais cette créativité ne peut s’affranchir d’une méthode. Les deux sont
indispensables, essentielles pour un enseignement réussi.
Ayant précisé cette constante de l’éducation, Mordehaï a défini les trois bases fondamentales
de tout bon éducateur et plus particulièrement quand il s’agit d’un éducateur spécialisé. La
première (qui devrait tous nous engager à introspection et réflexion sincères) est la nécessité
d’installer un rapport de confiance, de gagner la confiance de l’enfant, de l’élève, de lui faire
sentir qu’on est avant tout concerné par lui, par son bien-être, par son épanouissement, ses
désirs, ses aspirations, que ses blessures nous touchent, que ses combats nous interpellent, que
ses victoires nous émeuvent. Inscrire l’empathie au cœur du programme sans gommer la
distance nécessaire (cette fameuse distance pédagogique sans laquelle le message est
défaillant) mais en la soumettant à une exigence encore plus grande de solidarité. L’enfant
doit sentir, d’une part qu’on fait tout pour lui et d’autre part, qu’il peut compter sur nous, qu’il
peut nous parler et nous parler d’autre chose que de notre discipline, de notre spécialité, nous
parler parce qu’au-delà de toutes les compétences techniques, tous les savoir-faire
indispensables, que nous pouvons lui communiquer, nous voulons surtout établir avec lui un
dialogue.
C’est cet espace de communication
(qu’aucune machine ne pourra remplacer) qui permet
de captiver l’enfant et de l’installer dans l’écoute nécessaire dont nous avons besoin pour lui
transmettre notre message.
Et ce message, il faut l’avoir préparé en en maîtrisant chaque subtilité tout en tenant compte
des modalités spécifiques d’acquisition de l’enfant. C’est d’ailleurs la connaissance de mon
sujet qui me permet de transmettre l’idée à l’élève que j’ai la volonté de travailler pour lui. Si
mon discours est flou, approximatif, si ma concentration est distraite par un élément extérieur
quelconque, l’élève ne me croira pas. S’il sent au contraire que rien ne compte, à ce momentlà, en dehors de mon cours, de son écoute, du message que je veux lui transmettre, ni mes
affects, ni mon portable ni le cours suivant, ou le rendez-vous avec le banquier, s’il voit que je
travaille avec lui, alors sa volonté de travailler avec moi, se mettra en place comme une
réciprocité naturelle à laquelle tout élève aspire et encore plus, quand il souffre d’un handicap.
Une fois établi ce rapport de confiance, la deuxième base de la méthode Feurstein est
d’exhiber le caractère transcendant de tout enseignement. Il faut que l’enfant sente que ce
qu’on vient de lui apprendre, il pourra l’utiliser ailleurs, que son expérience présente est
utilisable dans un autre espace et un autre temps. Il va apprendre que dans le monde, il existe
des choses semblables et que ce principe de similitude permet de faire des déductions dans
des circonstances parfois éloignées de l’expérience première. Il va apprendre également que
ce qu’il apprend, il peut le communiquer, il peut le transmettre à autrui. Il va comprendre cette
transcendance du savoir en ce sens qu’il n’est plus réduit à la subjectivité de l’enseignant ou
aux contingences limitées de son apprentissage mais s’étend au contraire à un champ de
possibles que le savoir lui permet d’explorer.
Enfin, l’enseignant est un médiateur et pour cela, il doit donner la signification de ce qu’il
veut lui transmettre. Il traduit le monde dans une langue qu’il sait accessible à l’enfant, à sa
façon, avec sa propre vision. Cette médiation est comme la découverte progressive du mode
d’emploi du monde.
Sans ces trois premières prémices de la méthode Feurstein, la médiation n’est pas possible,
elle ne peut se mettre en place et l’enseignement est instable.
Dans une classe d’intégration pour des enfants trisomiques ou autistes, la méthode est la
même, le schéma est le même, il faut seulement plus de temps, plus de patience, il faut aller
plus lentement, répéter plus souvent, mais, chaque étape franchie est un nouvel échelon pour
une nouvelle connaissance, une nouvelle base pour une utilisation plus autonome de la
connaissance. Il faut leur traduire le monde qu’ils ne connaissent pas bien en leur expliquant
qu’il existe des sens absolus, des consensus dans certains domaines comme, par exemple,
« les couleurs » : le rouge est rouge partout et le bleu également. Cela participe d’un savoir
mondial, générique. Apprendre ce savoir, c’est la condition pour avancer dans le monde.
Le médiateur, l’éducateur doit permettre cet apprentissage mais surtout faire comprendre son
caractère essentiel.
Mordehai Churba et Audrey Fellous

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