Pecten maximus

Transcription

Pecten maximus
saveurs
Pecten maximus
L
a coquille ne fait pas le pèlerin.
C’est entendu. Sous une autre
forme, avec une autre voix, mais
c’est entendu. Bien entendu. André Dassary me l’a tellement chanté que je sais,
et définitivement, que «c’est Shell que
j’aime». Il n’y aura pas d’autre station ni
d’autre chemin.
J’en choisirais un autre que cela ne changerait rien, il continuerait sans moi, qui
suis vieux, mais pas autant que lui, pas
assez, non, il faut se faire une raison, rien
n’est assez vieux pour un chemin qui a la
prétention de mener au ciel.
S’il se fait humble, s’il se présente comme
un petit chemin, un de ces chemins cheminants, c’est pour me plaire, comme
d’autres avec leur patois, mais aussi pour
me signifier que c’est, comme le paysage
qui défile, écrit. Une fois pour toutes.
La messe est dite. La messe commence.
L’église est foule, même si elle est aux
trois quarts vide. Une foule qui a trouvé
son chemin. Comme la conque son bâton.
C’est ce que m’assène la cloche ce matin,
qui me cueille sous l’acacia. Elle s’en
ira, sans attendre Pâques, à Rome. Ou à
Compostelle. Me laissera seul avec mon
bourdon. Avec mon Pecten jacobaeus,
car c’est cela qu’il pourrait voir dans la
pierre. Je parle du chemin. Si jamais il se
sentait perdu. Ou s’il voulait musarder.
Mais il n’a pas envie. Il n’a pas besoin.
Il connaît le pèlerin. Il le reconnaît
à son mur, un muret de pierre sèche
qu’il qualifiera forcément de cyclopéen.
L’homme regardait les trains passer
dans son enfance, dans la grande forêt
Par Denis Montebello Photo Marc Deneyer
Les textes et photographies de cette chronique parus
depuis 1998 sont réunis en deux volumes aux éditions
Le temps qu’il fait : Fouaces et autres viandes célestes
(2004), Le diable, l’assaisonnement (2007).
Marc Deneyer expose deux séries de photographies au
Domaine de Chaumont-sur-Loire jusqu’au 31 août.
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■ L’Actualité Poitou-Charentes ■ N° 89 ■
d’enfance où il allait avec son couteau
suisse, le dijonnais, toujours il descendra
vers Marseille. Et son panier sera bien
garni. Débordant d’ammonites, puisque
c’est cela désormais qu’il ramasse dans
son jardin.
Quand je cherchais les champignons, je
mettais mes pas dans mes pas. J’effaçais
mes traces pour dérouter, décourager le
prédateur.
Dans mon jardin, ce sont des fossiles
que je cueille, des traces que je lis. Des
vestiges où mettre mes pas, et, parce que
la révolution néolithique est toujours à
faire, parce qu’habiter est un rêve et qui
nous fait marcher, mes mots.
Des fossiles qui s’incrustent
dans le présent, il y en a beau-
Il suffit d’exercer son regard. De
le tendre vers cette proie qui n’est plus
l’animal formidable, l’Ancêtre derrière
quoi on courait, dont on portait les poils,
les plumes, le nom et qu’on irait, si on était
assez hardi, saluer aux enfers, remercier
car on lui devait la vie, de rester en vie.
Il suffit de l’entraîner à courir le lièvre,
plusieurs lièvres, bêtes de basse venaison
et même le «gros pied», comme magiquement on l’appelait, comme il apparaît
encore dans mon petit bois de hêtres ou
dans celui des Quatre Vents, bien que ce
dernier où nous allions, mon grand-père
et moi, comme dans notre jardin, n’existe
plus aujourd’hui que sur la carte.
Si la trace fait l’archéologue, comme
l’occasion le larron (comme la fonction
crée l’organe), l’archéologue fait la trace.
Comme le pèlerin la coquille. Le pèlerin
n’est pas un touriste, il ne voyage pas
pour son plaisir. Ou il ne se l’avoue pas.
Cependant il invente le paysage: il l’invente, comme on dit de l’archéologue qui
découvre un site.
La coquille fait de moi quand je la lis,
quand je l’écris, un pèlerin. Un archéologue.
Je ne parle pas des coquilles fossiles que je
trouve dans mon jardin, ni de celle que me
signalait sur mon mur cyclopéen Monsieur
Guérineaux, un marcheur infatigable, un
pèlerin de la première heure et archéologue
coup.
sans le savoir. Il vous inventait un grous
mille-pattes fossilé en moins de temps
qu’il ne lui en fallait pour faire le tour du
village. Et, juste à côté, une magnifique
coquille Saint-Jacques. Un monstre, bien
qu’elle n’excédât pas la taille de notre
Pecten maximus. Un signe, sinon un avertissement. Un message divin, envoyé au
pèlerin. Pour lui indiquer la route. S’il se
croit égaré. S’il cède au démon de midi, à
la tentation de l’accidia. Qui fait de cette
vie qu’on rêvait parfaite un accident. Le vin
acide. Ou si l’autre dans son jardin qui joue
si bien les truchements, les traducteurs et
guides, est parti manger.
Je ne parle pas non plus de ces «petits
peignes de mer» qui encombrent ma boîte
aux lettres à l’approche des fêtes, de ces
pétoncles du Canada, du Chili, de Chine
que les hypermarchés veulent nous vendre
pour nos réveillons et pour des coquilles
Saint-Jacques.
Je parle de notre Pecten maximus. Des
traces qu’il garde et qui font de celui qui
passa son enfance à cueillir, sa vie à lire,
à écrire, un archéologue.
Grâce aux cernes des arbres ou aux bulles
de gaz emprisonnées dans les glaces polaires, on peut suivre, année après année,
les changements climatiques.
Grâce à la coquille Saint-Jacques, on peut
suivre ces évolutions au jour le jour !
La coquille Saint-Jacques garde en effet
des traces de ce qu’elle mange ; elle est
également sensible aux changements de
températures et au régime des vents.
La coquille fait donc bien, quoi
qu’on nous chante, le pèlerin.
Il en passe régulièrement et je les salue
depuis mon jardin. Je leur indique la route,
l’archiprêtré quand ils le cherchent ; je
les conduis même chez les sœurs où ils
peuvent dormir. Les sœurs sont ses amies,
à celle qui va lisant, chantant, qui voyage
en extase. Même si elles sont âgées, même
si elles ne sont pas de sa communauté, ce
sont ses amies, comme les petites fleurs,
elle ne s’arrache à sa prière que pour
parler des fleurs, pour donner un conseil
ou recevoir une bouture. Quand elle a
retrouvé son jardin, le soir, c’est moi qui
chemine, qui chemine avec les chemins.
Avec mon bourdon et ma coquille.
Avec cette coquille Saint-Jacques dont la
pêche est réglementée. Très réglementée.
Et qui reste, bien qu’on ensemence des
champs, qu’on réensemence avec des
milliers de naissains, de la pêche. Et non
de l’aquaculture.
Cela me rappelle Raymond Hains,
la dernière fois que je l’ai vu à Melle. Et
son exposition, il y a quelques années à
Poitiers. Une exposition où il compostait
les billets des pèlerins égarés, multipliait
les stations et jouait comme d’une lyre de
la fameuse coquille. «Shell que j’aime».
Je lui adresse au passage, en souvenir
de son passage en Poitou, un Clain, et
même, parce qu’aujourd’hui il fait beau
bleu comme on disait dans les Vosges,
un Klein d’œil. En souvenir de son exposition à Poitiers.
Une exposition jamais finie.
Impossible à terminer.
Il le savait. Dès le début. Dès sa naissance
à Saint-Brieuc. Dans cette baie réputée
pour ses coquilles Saint-Jacques.
Là est l’origine de la manifestation. Le
germe. Dans la conque. Les possibilités
qu’elle contient. Le développement spiraloïde à partir d’un point central. Les
voyages qu’elle appelle. Les grandes
évolutions. Tout est là.
Le reste est une succession, une procession
d’avatars. Sucellus, un dieu gaulois qui
«frappe fort» avec son maillet, un dieu
du tonnerre pour qui ne sait pas quoi faire
de sa coquille.
La suite, on la connaît. Raymond Hains
la connaissait. Dès le départ. «Inventer,
disait-il, c’est aller au-devant de mes
œuvres. Mes œuvres existaient avant
moi, mais personne ne les voyait car elles
crevaient les yeux.»
Le meilleur du Marais
poitevin
Le Parc interrégional du Marais
poitevin a publié une brochure
(32 p., 6,50 e) qui réunit 27 recettes
gastronomiques proposées par les
restaurateurs et les producteurs du
marais. Il y a bien sûr des mogettes,
des lumas, des moules de bouchot,
de l’anguille, des œufs et des
poules de Marans, du fromage de
chèvre, de l’angélique mais aussi
des produits moins attendus,
comme le Kamok, liqueur fabriquée
selon la même méthode depuis 1812
à Luçon par la maison Vrignaud.
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