Ideal sportif est-il en peril

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Ideal sportif est-il en peril
L’idéal sportif est-il en péril ?
Aux jeux olympiques de Séoul en 1988, l’athlète canadien Ben Johnson pulvérise le record du
monde du 100 mètres masculin, avec une avance jugée conséquente sur le second (Carl Lewis).
Quelques mois plus tard, sa médaille d’or lui est retirée pour cause de dopage et attribuée à Carl
Lewis.
Pierre de Coubertin affirmait pourtant à la fin du XIXe siècle que, dans le sport, « le plus important
est de participer, pas de gagner ». Cet idéal paraît fortement mis en danger par de telles pratiques !
Cette affaire pose en tout cas avec une acuité redoutable la question de la compabilité du sport
moderne avec l’idéal sportif, à travers notamment le problème du dopage. Athlétisme, course
cycliste, football .. autant de sports où le dopage semble pratique courante.
Le sport est pourtant célébré partout : omniprésent dans les médias, il est de surcroît régulièrement
invoqué pour résoudre ou atténuer les maux de notre société (sédentarité, manque de cohésion
sociale …). L’idéal sportif est-il vraiment en péril ?
L’idéal sportif est bien vivant dans les sociétés modernes, dans la mesure où la pratique sportive y
est porteuse de valeurs positives pour l’individu et la collectivité. Mais la professionnalisation du
sport et sa médiatisation excessive ont mis ces valeurs en danger.
L’idéal sportif est bien vivant à l’époque contemporaine : le sport y représente effectivement une
école de civilisation en tant que facteur d’épanouissement personnel, et facteur d’harmonie sociale.
C’est tout d’abord un facteur de bien-être pour le corps : le sport est bon pour la santé (moindre
probabilité de maladies cardio-vasculaires), il ralentit le vieillissement. Il permet également de
combattre le stress par la détente qu’il apporte. Il donne un équilibre à l’être humain, lui permettant
de développer ses capacités physiques et sensorielles, parallèlement à ses capacités intellectuelles.
La tradition humaniste (Montaigne, Rabelais), dans le sillage des grecs de l’Antiquité, mettait sur le
même plan éducation physique et intellectuelle : Gargantua est très sollicité dans ce domaine !
Il comble par ailleurs notre sens esthétique (beauté du corps et des gestes sportifs). On s’adonne
intensément à la musculation, pas seulement par souci de performance physique, mais aussi
d’esthétique corporelle : c’est le fondement même des compétitions de « body-building ». Dans des
sports comme la gymnastique ou le patinage sur glace, la perfection et l’harmonie des mouvements
entrent autant en compte que la performance physique (hauteur des sauts, difficulté des figures..).
Il permet enfin la réalisation de soi, le sport étant non seulement un défi par rapport à l’autre (faire
mieux que les autres dans une compétition), mais aussi par rapport à soi-même. On y développe les
qualités suivantes : la volonté de se dépasser, la maîtrise de soi et de ses réflexes, la persévérance et
l’endurance, le respect de l’adversaire propre à certains sports de combat (arts martiaux, judo). Il
favorise une meilleure connaissance de soi et de ses limites.
La pratique sportive est donc porteuse de valeurs positives pour l’individu. Elle lui permet de se
réaliser dans une autre secteur que la vie professionnelle, voire pour certains de compenser une vie
professionnelle routinière ou peu gratifiante.
Le sport est également désintéressé, notamment pour les sportifs amateurs et bénévoles
(compétitions communales, départementales..), sans contrepartie recherchée. L’essentiel est ici de
participer, pas de gagner. Ces valeurs sont également revendiquées dans le sport de haut niveau.
L’idéal olympique insiste par exemple sur l’amateurisme et le désintéressement des participants.
Le sport constitue également un facteur d’harmonie sociale, en étant porteur de pratiques et de
valeurs positives pour nos sociétés contemporaines.
Dans notre vie quotidienne, nous sommes loin de fournir les mêmes efforts physiques que nos
ancêtres ! La sédentarité (peu de déplacements à pied, à cause de l’emprise de la civilisation de la
voiture) caractérise nos modes de vie au travail et en dehors et favorise les maladies cardiovasculaires, 1ère cause de mortalité dans les pays développés. Par ailleurs, le développement de la
télévision, des jeux vidéos et d’Internet diminuent encore l’activité physique des enfants et des
adolescents, et bien sûr des adultes. Nos modes de vie favorisent également le développement de
l’obésité, véritable fléau moderne dans certains pays (les Etats-Unis par exemple). La pratique
sportive apparaît ainsi de plus en plus comme une compensation possible des problèmes de santé
liés à nos modes de vie. Elle est systématiquement mise en avant dans les campagnes de
communication publiques dans le domaine de la santé, pour pallier tout un ensemble de pathologies
modernes.
Le sport permet également le développement de la coopération et de l’entraide : c’est l’essence
même des sports d’équipe, où la victoire ne peut être obtenue que par un travail sur la cohésion, le
« jeu collectif », où les performances individuelles ne sont pas suffisantes pour réussir.
Le sport apparaît aussi comme le ciment d’une société morcelée. Lors de la coupe du monde de
Football 1998, la France a semblé unie autour de la réussite de son équipe nationale – jusqu’à la
victoire finale. Oubliées les difficultés économiques, les revendications sociales ou les disputes
politiques, toute la France semblait se passionner pour le parcours des « bleus », le travail
s‘interrompant même dans certaines sociétés pour permettre aux salariés de regarder les matches.
De même en 2006, le gouvernement français espérait-il obtenir un certain apaisement (suite aux
émeutes de banlieue de l’automne 2005 et à la contestation anti-CPE du début 2006) grâce à une
victoire en coupe du monde de football.
Le sport est enfin un facteur d’harmonie sociale, dans la mesure où il fait rêver, il permet d’oublier
les difficultés socio-économiques. C’est un divertissement facilement accessible aux classes les plus
défavorisées de la société. Le sport est en effet le loisir préféré des français, que ce soit par une
pratique personnelle ou en tant que spectateur.
On attend également du sport qu’il facilite l’assimilation des immigrés, et la socialisation des jeunes
de banlieue. Le sport agit alors comme une courroie de transmission des valeurs de la collectivité.
La pratique du sport – tant amateur que professionnel – est donc bien porteuse de valeurs positives
de coopération, de dépassement de soi, de respect de l’autre, de maîtrise. Pourtant, le spectacle que
donne le sport moderne semble bien pervertir toutes ces valeurs, et remettre en cause les bienfaits
supposés du sport.
Le sport moderne, en évoluant vers la professionnalisation des sportifs et la surmédiatisation des
évènements, semble en effet menacé par trois types de périls, qui remettent en question l’idéal
sportif : les effets pervers du culte de la performance (dont le dopage), la violence et l’emprise
excessive de l’argent.
La professionnalisation du sport exige des athlètes qu’ils réalisent des performances toujours
améliorées. Cette exigence engendre des effets pervers au niveau de la pratique sportive. Tout
d’abord elle suppose un entraînement poussé et intensif, qui à long terme fragilise les corps et
provoque des problèmes de santé : multiplication des blessures, problèmes articulaires…. Dans
certains sports, les enfants sont entraînés trop tôt au détriment de leur bien-être : les gymnastes
féminines voient leur croissance stoppée par l’entraînement intensif qu’elles subissent par exemple.
Les performances sont par ailleurs de plus en plus difficiles à atteindre ou à dépasser : on touche les
limites des gains de performance obtenus grâce à l’amélioration des matériels et des techniques
d’entraînement des sportifs. En Athlétisme, les écarts de performance se chiffrent en dizaines voire
en centaines de secondes. Il est donc de plus en plus difficile de départager les athlètes.
Cette contrainte les conduit à tout tenter pour continuer à améliorer leurs performances et à faire
mieux que les autres. Elle les pousse à tricher, en utilisant des produits artificiels. C’est là
qu’intervient le dopage, pratique consistant à prendre des substances pharmacologiques susceptibles
d’améliorer les performances, au péril de leur santé voire de leur vie. Ces substances (telle l’EPO ou
les stéroïdes anabolisants utilisés couramment dans le cyclisme) sont particulièrement dangereuse :
elles favorisent à la longue la survenue de cancers, les problèmes cardio-vasculaires, les paralysies
musculaires progressives. Une étude réalisée sur les vainqueurs du Tour de France (publiée dans un
article du Monde en 2006) montre ainsi qu’avant la 2nde guerre mondiale, l’espérance de vie des
coureurs cyclistes dépassait celle de la population française d’une quinzaine d’années. Après la 2nde
guerre mondiale, le rapport s’est inversé, c’est l’espérance de vie des coureurs qui est devenue plus
faible de quinze années ! On ne compte plus les coureurs victimes de décès subits et inexpliqués
(soit pendant une épreuve sportive, soit ultérieurement après la fin de leur carrière sportive) ! A
cause de ces affaires successives de dopage (le système semble institutionnalisé dans de
nombreuses équipes cyclistes), le Tour de France a vu son image se dégrader auprès du public.
Même le sport amateur est touché par le phénomène, en dépit d’enjeux moins importants.
L’agressivité et la violence se sont également développées dans certains sports. Tout
particulièrement dans le football : incivilités contre les arbitres (ex : crachat du gardien de but
Barthez contre un arbitre) et entre joueurs (coup de tête délibéré de Zidane contre un joueur italien
lors de la finale du mundial de football 2006). Elle est également le fait des supporters, pendant et
après les rencontres. Les matchs entre l’OM et le PSG au Parc des Princes suscitent toujours la
mobilisation d’un important dispositif policier, les rencontres se terminant systématiquement par
des affrontements entre supporters dans les rues de Paris. En 1985, l’affrontement entre supporters
au stade du Heysel en Belgique a entraîné une panique dans la foules des spectateurs, avec pour
conséquence de nombreuses victimes, écrasées contre les grilles du stade ! En Angleterre, le
hooliganisme est un véritable problème de société : il s’agit de supporters qui utilisent la violence
pour peser sur le sort d'une rencontre, ou contester la décision d’un arbitre. La presse a longtemps
été relativement indulgente par rapport à ces phénomènes, en France comme en Angleterre, et
contribué à les entretenir. Ceci dit, de nombreux sports sont épargnés par ces manifestations
violentes, y compris parmi les sports collectifs.
L’emprise excessif des enjeux financiers a également perverti l’idéal sportif. Le sport est en effet
devenu du sport-spectacle : la surmédiatisation des événements sportifs s’est traduite par une
compétition accrue entre les chaînes de télévision pour obtenir les droits de retransmission des
événements. Le monde de l’audiovisuel n’hésite pas à investir des dizaines de millions d’euros dans
les sports majeurs. Les salaires des joueurs, dans certains sports, ont atteint des sommets. Ils sont
dignes de salaires de PDG = l’équivalent en un mois de ce qu’un ouvrier ou un employé met
plusieurs dizaines d’années à gagner. Avec quelle légitimité ? Par ailleurs, les sportifs les plus
connus parviennent à accroître encore leurs revenus par des contrats publicitaires juteux.
C’est particulièrement flagrant dans le football. Un joueur d’une équipe de milieu de tableau gagne
35 000 € par semaine (ce qu’il gagnait par mois il y a 10 ans). Les stars des clubs de Chelsea,
Arsenal ou Manchester United gagnent plus de 200 000 € par semaine. Lors de la tentative d’achat
du club Manchester United, c’est près d’un milliard d’euros qui ont été mis sur la table par
l’acquéreur potentiel !
Même l’Olympisme n’est pas épargné par le phénomène. Des villes se sont fortement endettées
pour pouvoir accueillir les jeux, à cause du coût élevé des infrastructures, quitte à le regretter par la
suite. On dénonce en France l’insuffisance de crédit pour développer les infrastructures sportives à
l’Ecole ou dans les communes. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux utilisées ainsi ?
Mais il faut encore nuancer : tous les sports ne sont pas « surmédiatisés » (le volley-ball, l’aviron
par exemple ..), et les sportifs doivent compter sur d’autres sources de revenus pour vivre. Par
ailleurs, certains sports nécessitent un apport d’argent conséquent, en raison du coût de
l’équipement nécessaire (course du monde en solitaire, sport automobile…). Il devient alors
indispensable de recourir à un sponsor. L’argent ne doit donc pas nécessairement être absent du
sport, mais il a atteint une certaine démesure dans plusieurs sports parmi les plus médiatiques.
On est donc loin de l’idéal sportif évoqué antérieurement. A cause des enjeux financiers et de la
pression de la performance, il semble que l’objectif soit plutôt : « gagner à tout prix et pas
seulement participer », à l’inverse de l’adage de Pierre de Coubertin. Le respect de l’autre semble
bien loin face aux violences de supporters et à l’agressivité des joueurs entre eux dans les stades.
L’idéal sportif est bien en péril dans le sport professionnel, à cause du triple impact du dopage, de la
violence et de l’emprise excessive des enjeux financiers. Des tentatives ont lieu – conduites par les
fédérations internationales - pour juguler ces fléaux, mais avec combien de difficultés ! Elle sont en
effet prises de vitesse par l’évolution des produits dopants, qui deviennent de plus en plus difficiles
à détecter : les techniques de dépistage ont toujours un train de retard sur l’évolution de la
pharmacopée des sportifs.
De même, des tentatives pour endiguer la violence dans les stades sont entreprises, avec quelques
succès. Mais le comportement des joueurs eux –mêmes – loin de donner l’exemple – ne facilite pas
les choses. Ces problèmes (dopage, violence) touchent même le sport amateur.
Il semble donc urgent que les fédérations sportives prennent ces problèmes à bras le corps. Elles ont
commencé à réagir en intensifiant les contrôles et les sanctions pour les sportifs fautifs (dopage,
actes violents), mais il reste beaucoup à faire. Il en va de la santé des sportifs, de leur espérance de
vie et de la crédibilité du sport dans son ensemble.
Heureusement, il reste le « sport passion » pratiqué dans un cercle privé où ces valeurs trouvent
encore toute leur place, de même que dans certains sports professionnels beaucoup moins
médiatisés et donc largement épargnés par ces phénomènes : respect de l’autre, désintéressement, le
sport comme facteur de bien-être et de santé, de dépassement de soi…