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Revue des Questions Scientifiques, 2013, 184 (1) : 39-60
Quelle énergie nucléaire pour l’après
Fukushima ?
Ernest Mund1
Université Libre de Bruxelles
Résumé
La catastrophe de Fukushima-Daiichi a donné un coup d’arrêt brutal à la
‘renaissance’ du nucléaire annoncée un peu partout dans le monde vers la fin des
années 2000. C’est en Europe que l’effet a été le plus sensible avec, au premier
rang, les décisions allemande, belge et suisse d’abandon du nucléaire dans un
proche avenir. L’ énergie nucléaire est-elle définitivement condamnée ? La réponse
la plus vraisemblable est : non. Si elle présente des défauts indéniables (risques
d’accidents, déchets à longue demi-vie, prolifération d’armes nucléaires…),
l’ énergie nucléaire possède aussi des atouts considérables : absence de production
de gaz à effet de serre, production d’ énergie concentrée sous forme d’ électricité et/
ou de chaleur, ressources quasi inépuisables de combustible par utilisation des
couples uranium/plutonium et thorium/uranium. Mais, pour que ces avantages
puissent être valorisés avec consentement de l’opinion publique, beaucoup de
choses doivent changer. Il n’est pas sûr que le processus soit réalisé rapidement. Il y
aura donc plus que probablement une nouvelle traversée du désert avec au bout
de cette dernière, un nucléaire assez différent de celui qui existe aujourd’ hui.
Nous essayons de décrire dans cet article ce que pourrait être ce nucléaire nouveau.
1.
Directeur de recherche honoraire du FNRS –Professeur ordinaire émérite de l’UCL.
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revue des questions scientifiques
1. Introduction
La plupart des 450 centrales électronucléaires en fonctionnement aujourd’hui ont été conçues dans les années soixante du siècle dernier et sont
dites de génération 2 (Gen-II). Elles sont pratiquement toutes du même type,
brûlant de l’uranium légèrement enrichi (de 4 à 5% d’enrichissement en
U235), modérées et refroidies à l’eau légère (LWR) avec un ou deux circuits de
refroidissement dans un cycle de Rankine. Les premières sont connues sous le
nom de centrales à eau bouillante (BWR) et les secondes sous le nom de centrales à eau sous pression (PWR). Les centrales les plus récentes comme le
réacteur EPR du constructeur français AREVA sont de type Gen-III. Elles
sont conçues sur base des mêmes principes et résultent d’une évolution des
centrales Gen-II, car elles intègrent des éléments destinés à renforcer la sûreté
(recours à des éléments de sûreté ‘passive’) et la flexibilité d’utilisation (possibilité de suivi de puissance ou load following). Les faiblesses des centrales GenII et Gen-III sont bien connues : a/ un rendement thermodynamique limité
(33%), b/ une mauvaise utilisation du combustible, c/ la production de radioisotopes à très longue demi-vie (des actinides mineurs), d/ un risque de prolifération d’armes nucléaires et enfin e/ un risque d’accident par perte de
réfrigérant (LOCA) susceptible de provoquer la fusion du cœur2. Des études
extrêmement fouillées ont été accomplies afin de quantifier le risque d’accident, d’en réduire la probabilité et d’en réduire les conséquences. La philosophie adoptée a été celle de la défense en profondeur avec utilisation de systèmes
‘actifs’ de sûreté (refroidissement d’urgence, rabattement de la radioactivité de
l’enceinte, redondance des équipements de secours, etc…) Cette philosophie,
dont les premiers développements datent de la fin des années 60, était parfaitement cohérente. Si cette cohérence est toujours présente, il semble de plus
en plus clair aujourd’hui qu’au niveau des risques extrêmement faibles auxquels on s’adresse, la philosophie mène à une impasse. Une remise en question
du système à la lumière de l’expérience industrielle des 40 dernières années et
de l’évolution générale de la technologie n’est donc pas inutile.
La sûreté nucléaire ‘active’ induit des coûts d’autant plus élevés que les
accidents auxquels on veut faire face ont une probabilité très faible. Pour
maintenir le prix de revient du kWh nucléaire à un niveau compétitif, le mon2.
Une fusion partielle a eu lieu lors de l’accident de Three Mile Island (TMI-2, 1976) et,
suite au tsunami de mars 2011, dans certains réacteurs de Fukushima.
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tant des investissements liés à la sûreté a toujours entraîné une hausse de la
taille unitaire des installations. Ainsi les premières centrales Gen-II étaient de
450 MWe. Elles sont passées ensuite au niveau des 1000 MWe. Les réacteurs
EPR en cours de construction aujourd’hui (Chine, Finlande, France) ont une
puissance de 1600 MWe. Une des raisons tient au fait que le concept prévoit
qu’en cas de fusion totale du cœur le métal fondu soit recueilli dans un ‘cendrier’ permettant d’éviter la pénétration du combustible dans le sol, voire un
retour à la criticité. La probabilité d’un tel accident est inférieure à 10-8/an.
Outre le fait que des centrales de 1600 MWe sont difficiles à introduire dans
des réseaux électriques d’importance moyenne, l’escalade des coûts de l’EPR
en Finlande et en France3 montre assez clairement les limites du raisonnement qui a prévalu jusqu’ici. L’accident le plus acceptable étant celui dont la
probabilité est rigoureusement égale à zéro (parce qu’il contrevient aux lois de
la physique et/ou qu’il est sans objet), on est amené à accorder une plus grande
attention à la sûreté intrinsèque. De nombreux développements sont étudiés
dans ce sens, appuyés par des recherches en thermo-hydraulique et en matériaux. C’est le domaine des petits réacteurs modulaires (SMR) qui fait l’objet
de la Section 2.
À ce jour l’énergie nucléaire a été utilisée principalement pour la production d’électricité. D’autres applications, comme la propulsion navale et les
sources de neutrons, ont aussi été mises en œuvre. Dans le domaine de l’électricité la compétition avec les énergies renouvelables (éolien, solaire photovoltaïque, biomasse …) est aujourd’hui en faveur de ces dernières [1]. Les raisons
ne sont pas uniquement politiques. L’application du nucléaire à la production
d’électricité reste essentielle pour l’avenir, l’électricité étant appelée à un rôle
accru de vecteur énergétique [2]. Mais d’autres applications dont l’importance
est destinée à croître apparaissent clairement : elles mettent l’accent sur la cogénération. Les réacteurs LWR actuels répondant mal à ces besoins, des
concepts différents des LWR sont nécessaires pour satisfaire les besoins futurs
de chaleur à basse et haute température. Ces concepts sont étudiés dans le
cadre d’une initiative née en 2000 intitulée Forum International de Génération
IV (GIF) à l’instigation du Département américain de l’Energie (USDOE).
Elle regroupe aujourd’hui 13 pays engagés dans des recherches qui visent la
mise au point de réacteurs répondant aux besoins du futur en électricité et en
3.
Le coût estimé du réacteur EPR de Flamanville est passé de 3,3 G€ (2005) à 8,5 G€ en
2012 correspondant à 5.300 €/kWe.
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revue des questions scientifiques
chaleur industrielle dans une perspective de développement durable et qui
répondent aux critères les plus sévères de sûreté et de résistance à la prolifération dans des conditions économiques. Nous décrivons de manière synthétique la mise en place de ces recherches dans la Section 3. La Section 4
rassemble nos conclusions.
2. Les réacteurs SMR
L’avenir du nucléaire est-il la fabrication de réacteurs modulaires de taille
réduite? Selon un adage bien connu ‘small is beautiful’. Les marchés n’ont jamais éprouvé un réel intérêt pour l’énergie nucléaire même aux temps qui
précédaient la catastrophe de Fukushima. Si tel avait été le cas, la part actuelle
du nucléaire dans la production mondiale d’électricité serait plus élevée qu’elle
ne l’est. La cause réside dans les incertitudes politiques et économiques engendrées respectivement par la nervosité de l’opinion publique au sujet des risques
et par les montants considérables des investissements nécessaires à la mise en
service des centrales. Au début de la phase d’expansion des années 70, toute
installation nouvelle aux USA faisait l’objet d’un projet individuel soumis à
des procédures d’autorisation au cas par cas, entraînant par là des délais extrêmement longs de couplage au réseau, qui pénalisaient fortement le capital
immobilisé. On a dès lors peu à peu réfléchi aux moyens de réduire ces délais.
Dans une première phase, les procédures administratives de la commission de
règlementation nucléaire américaine (USNRC) ont été mieux codifiées et
rendues plus systématiques avec la création des design certificate (DC)4, early
site permit (ESP) et combined license (COL)5. En Europe, une action de même
nature a été entreprise avec l’introduction en 1992 du document ‘European
Utility Requirement’ (EUR) adopté par les principaux producteurs d’électricité européens, auquel les constructeurs de réacteurs doivent se conformer
pour avoir accès au marché européen [3].
4.
5.
Certificat d’agréation d’un concept. Tous les constructeurs de réacteurs doivent soumettre leur concept à la procédure d’agréation par l’USNRC avant qu’une installation
de leur concept puisse obtenir l’autorisation nécessaire. Le certificat est valable pour 15
ans et peut être renouvelé pour une durée équivalente. Les concepts AP600 (W-Toshiba), AP1000 (W-Toshiba) et ABWR (GE-Hitachi) ont obtenu le DC. La procédure
d’obtention est en cours pour les concepts US-EPR (Areva) version américaine du réacteur EPR et ESBWR (GE-Hitachi)
ESP, permis de site qui peut être octroyé à une société d’électricité en vue d’un projet de
construction ultérieur à un endroit donné. COL est le permis de construction et licence
d’exploitation.
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
LWR
– CAREM (CNEA-Argentine)
– IRIS (Westinghouse,USA)
– WSMR (Westinghouse,USA)
– mPower (B&W,USA)
– NuScale (NuScale Inc,USA)
– HI-SMUR (Holtec Int., USA)
– SMART (KAERI, Corée)
– KLT-40S (OKBM, Russie)
– NHR-200 (U. Tsinghua,Chine)
– Flexblue (DCNS, France)
HTR
– GT-MHR (Gen. Atom., USA)
– EM2 (Gen. Atom., USA)
– HTTR (JAERI, Japon)
– HTR-10 (U. Tsinghua, Chine)
– HTR-PM (CNEC, Chine)
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LMFBR
– CEFR (CIAE, Chine)
– PFBR (IGCAR, Inde)
– 4S (Toshiba, Japon)
– PRISM (GE-Hitachi, Japon)
– HPM (Gen 4 Energy, USA)
– STAR (ANL, USA)
– TWR (TerraPower, USA)
Tableau 1: Réacteurs modulaires SMR de types LWR, HTR et LMFBR6
Dans une deuxième phase de réflexion, plus récente, ce sont les concepts
eux-mêmes qui ont été réétudiés dans le but de les simplifier et de réduire les
temps de construction et de mise en service, tout en respectant les normes de
sûreté en vigueur. Des avancées significatives en sûreté passive, qui mettent en
œuvre les forces de gravité et la convection naturelle sont ainsi à l’origine
d’une panoplie de concepts simplifiés, innovants, de taille réduite et modulaires, avec des perspectives intéressantes en matière de développement durable. Précisons qu’en vertu d’une convention édictée par l’AIEA sont appelés
SMR les réacteurs de puissance électrique inférieure à 300 MWe. De 300
MWe à 600 MWe on parle plutôt de réacteurs intermédiaires. Les principaux
systèmes SMR sont repris dans les colonnes du tableau 1.
À quelques exceptions près, aucun système de cet ensemble n’a fait l’objet
d’un prototype et la route conduisant aux réalisations industrielles est encore
longue. Tous ces systèmes ont été conçus à partir de technologies éprouvées.
Certains sont à la veille d’entamer le processus d’agréation par l’USNRC. La
modularité affecte aussi bien des réacteurs à neutrons thermiques (LWR,
HTR) que des réacteurs à neutrons rapides LMFBR. Tous les concepts repris
ci-dessus illustrent parfaitement la variété des choix technologiques possibles
et des applications auxquelles ces choix peuvent conduire. Les niveaux de sécurité de ces systèmes sont la plupart du temps équivalents (voire même supérieurs) à ceux des systèmes classiques, à des coûts qui dans l’état actuel des
6.
HTR, réacteur à neutrons thermiques, à haute température refroidi au gaz, LMFBR
réacteur à neutrons rapides refroidi aux métaux liquides (sodium, plomb, eutectique
plomb-bismuth).
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revue des questions scientifiques
choses font débat, mais ne constituent aucunement des arguments dissuasifs
(voir [4,5]).
2. 1 Les réacteurs SMR à eau légère.
La plupart des réacteurs modulaires de type LWR sont des PWR intégrés,
c’est-à-dire des systèmes dans lesquels circuit primaire, pressuriseur et échangeurs de chaleur sont logés à l’intérieur de la cuve de pression. Un LOCA par
rupture d’une tuyauterie du circuit primaire devient donc un accident vide de
sens, celle-ci ayant disparu. L’élimination de composantes va dans le sens de
la simplification et de l’économie. Le tableau 2 donne une comparaison des
systèmes de sûreté des réacteurs actuels Gen-III et des réacteurs SMR tels
qu’ils sont envisagés aujourd’hui et permet de comprendre le sens de la simplification.
Systèmes de sûreté des réacteurs actuels
Système d’alimentation du cœur en eau de secours ;
réservoir de stockage d’eau condensée.
Systèmes d’injection d’eau à haute- et basse
pression.
Puisard pour le refroidissement de secours et
systèmes associés de pompage pour les injections HP et BP.
Générateurs diesel de secours.
Systèmes actifs d’évacuation de la chaleur de
l’enceinte de confinement.
Système d’aspersion de l’enceinte.
Systèmes de contrôle-commande et de démarrage de l’injection d’eau de sécurité. Ces systèmes nécessitent de nombreux essais pour en
vérifier la fiabilité et éviter les démarrages intempestifs.
Systèmes de sûreté des SMR
Le refroidissement du cœur en urgence sans système
d’eau de secours est un gain appréciable en sûreté.
Pas de systèmes d’injection de sécurité. Le refroidissement du réacteur est de type ‘passif’.
Pas de puisard ; pas de systèmes de pompage associés.
Les systèmes de sûreté passifs ne requièrent pas de
générateurs d’électricité de secours.
Pas de systèmes requis, la chaleur étant évacuée de
manière passive hors de l’enceinte.
Aucun système d’aspersion n’est requis ni pour réduire la pression dans l’enceinte ni pour l’élimination de l’iode radioactif.
Les systèmes de sûreté passive sont de bien plus
grand simplicité, nécessitent beaucoup moins de
contrôles et sont très peu sensibles aux démarrages
intempestifs.
Tableau 2: Comparaison des systèmes de sécurité des réacteurs Gen-III et SMR [6].
Dans le cas du concept NuScale la cuve de pression est logée dans
une enceinte de confinement en acier, elle-même placée en piscine
comme on peut le voir dans la partie droite de la Fig.1 (voir [7]). En cas
de problème, la chaleur de décroissance du cœur est dissipée dans l’eau
contenue dans l’enceinte de confinement, voire dans celle de la piscine
contenant l’enceinte (voir [8]). L’eau de cette piscine constitue un tam-
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pon de trois jours pour le refroidissement d’urgence du cœur. Des essais
en boucle sur modèle à l’échelle 1/1 du concept NuScale ont montré
que l’analogue du LOCA de petite brèche, provoqué par la non-fermeture de la vanne de décharge du pressuriseur à TMI, serait sans conséquences sur le système modulaire. En d’autres termes, dans un tel
système, l’accident de TMI n’aurait pas eu lieu. Le combustible utilisé
dans les SMR à eau légère est le combustible standard UO2 des PWR
enrichi à 5% en assemblages de 17x17 crayons, avec poisons consommables et
des taux d’épuisement qui permettent des délais de rechargement de deux
ans, technique parfaitement éprouvée.
L’ensemble de la chaudière nucléaire du concept NuScale est préfabriqué
en usine et peut être amené sur chantier par camion, train ou barge. Ceci est
d’ailleurs une caractéristique générale de tous les systèmes SMR du tableau 1,
destinée à favoriser la compétitivité des concepts. Les îlots nucléaires de la
plupart d’entre eux sont enterrés de manière à protéger l’installation contre les
éventuelles chutes d’avion ou contre les attentats, le fond de piscine se trouvant à une profondeur d’une vingtaine de mètres par rapport au niveau du sol.
La structure des bâtiments est conçue pour absorber les conséquences de
séismes. La modularité est variable selon les concepts. Ainsi par exemple, dans
le cas NuScale elle est plus forte (45 MWe) que dans le cas IRIS (225 MWe)
qui est considéré comme un tout. L’îlot enveloppe du système NuScale permet d’introduire jusqu’à 12 modules pour une puissance électrique totale de
540 MWe. Chaque module représenté à la gauche de la figure 1 dispose de sa
chaudière nucléaire et de son équipement classique turbo-alternateur propre
pour la fourniture d’électricité. L’îlot enveloppe est doté de l’équipement nécessaire pour la manipulation et la gestion des combustibles frais et usés,
ainsi que d’une salle de contrôle commune pour les modules indépendants.
Le système est conçu de manière à assurer une souplesse maximum, avec au
départ la construction des équipements communs, suivie de l’apport des modules au fur et à mesure de l’apparition des besoins. On mesure aisément à
l’aune des impératifs financiers d’aujourd’hui, l’intérêt de ce système par rapport aux systèmes traditionnels. Comme dans le cas éolien, les retombées financières des sommes investies ont une échelle de temps nettement plus
courte que celle des réacteurs de grande taille.
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revue des questions scientifiques
Figure 1. Un module du concept NuScale (45 MWe) [7]
 voir image couleur page 213
Le coût annoncé par le concepteur NuScale Power LLC pour une installation de 540 MWe est de 4.000 US$/kWe. Ce chiffre doit être confirmé. Il
faut également se garder d’un optimisme exagéré à propos d’un déploiement
rapide de ces systèmes car tous les problèmes sont loin d’être résolus. En particulier les processus de licensing actuels sont adaptés aux systèmes de grande
puissance et doivent être revus pour tenir compte des caractéristiques propres
des systèmes modulaires. Le terrain n’est toutefois pas aussi inexploré qu’il y
paraît. Plusieurs de ces systèmes constituent en fait des versions plus développées de concepts de réacteurs de recherche pour lesquels un retour d’expérience de plusieurs dizaines d’années existe. Ce sont d’ailleurs les bonnes
conditions d’exploitation de ces réacteurs de recherche qui ont stimulé l’intérêt de la communauté scientifique pour les SMR. Il convient de souligner, à
travers l’exemple donné ici, la capacité d’adaptation de la technologie à des
exigences fortes.
NuScale Power LLC a conclu en mars 2012 un accord avec le Département de L’Energie (USDOE) pour l’utilisation d’une partie du site de Savannah River (Caroline du Sud) afin d’y construire une première installation.
Des accords semblables ont été signés entre le DOE et les sociétés Holtec Internationsl (HI-SMUR) et Gen 4 Energy (HPM).
Les systèmes WSMR de Westinghouse-Toshiba, mPower (Babcock &
Wilcox) et HI-SMUR (Holtec Intern.) sont, comme NuScale, de type inté-
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gré et modulaire, les modules étant produits en usine et acheminés pour assemblage sur place. Ils sont tous trois de puissance plus élevée. Le système
WSMR, dérivé du concept IRIS, développe une puissance de 225 MWe avec
les caractéristiques de cœurs de réacteurs Westinghouse. La sûreté passive du
système est telle qu’en cas d’accident, le délai avant intervention est porté à 7
jours. Le cœur du concept mPower (180 MWe) utilise un combustible standard qui se présente sous la forme d’une cartouche permettant une durée
d’exploitation de l’unité pendant 4 ans entre deux opérations de rechargement. Ce système, dont le coût estimé est de 6.000 US$/kWe, est conçu pour
une durée de vie de 60 ans. Un des avantages du concept modulaire construit
en usine est de réduire de manière significative les temps de construction.
Ainsi, le système HI-SMUR de Holtec International (160 MWe) dont le coût
estimé est de 5.000 US$/kWe pourrait être construit en deux ans. La durée de
vie annoncée de ce système est portée à 80 ans
Parmi les différents SMR de type à eau légère, mentionnés au tableau 1,
le système KLT-40S est un cas intéressant dont une installation pilote est en
cours de réalisation. Ce concept russe est un réacteur PWR de 35 MWe, version modifiée du réacteur de propulsion navale équipant les brise-glaces utilisés dans l’océan arctique, pour lesquels la Russie dispose d’une longue
expérience d’exploitation. Le système KLT-40S est destiné à produire de
l’électricité et de la chaleur à basse température (voir [9]).
Le vaste territoire qu’est la Sibérie est dépourvu de réseau électrique étendu et interconnecté. Les besoins d’électricité et de chaleur industrielle pour
les communautés urbaines ainsi que pour les industries extractives sont couverts par des réseaux locaux alimentés en combustibles classiques (fuel, gaz…)
Le transport de ces combustibles est difficile et très pénalisant du point de vue
économique [10]. De ce constat est née l’idée de doter les réseaux locaux (généralement situés le long de la côte nord ou de rivières se jetant dans l’Océan
glacial arctique) d’une source d’énergie permettant de faire de la co-génération pour couvrir les besoins locaux. Cette source d’énergie de type ‘clé sur
porte’ est composée de deux réacteurs KLT-40S disposés sur une barge. La
barge est amenée par voie navigable (océan, rivière…) depuis l’usine de montage jusqu’à l’extrémité du réseau, choisie comme endroit de production. À
l’épuisement du combustible emporté (permettant l’exploitation du réacteur
durant environ 10 ans), la barge est renvoyée en usine et remplacée. La durée
de vie projetée d’une telle installation est de 40 ans. La sécurité concerne par-
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revue des questions scientifiques
ticulièrement les événements externes. Une barge appelée Academic Lomonosov est en cours d’équipement dans les chantiers de la Baltique par le
constructeur Afrikantov OKBM et devrait être installée dans la péninsule du
Kamtchatka en 2016 pour la production d’électricité et le dessalement d’eau
de mer. Des pays tels le Canada, la Chine, la Corée, qui connaissent des problèmes similaires, s’intéressent beaucoup à ce concept.
La société OKBM développe d’autres concepts SMR à eau légère comme
RITM-200 (55 Mwe) pour la propulsion navale et VK-300, un réacteur
BWR de puissance plus élevée (250 Mwe) pour la production d’électricité et
de chaleur (chauffage urbain, dessalement) en co-génération.
2. 2 Les réacteurs SMR à haute température refroidis au gaz.
Les réacteurs HTR ont une sûreté intrinsèque réputée plus élevée que
celle des LWR (forte inertie thermique, température élevée de fusion du combustible) et ce à juste titre. Mais leur technologie est délicate, car elle suppose
le recours à l’hélium dans un cycle direct (cycle de Brayton) utilisant des turbines à gaz de manière à optimiser le rendement. Ceci pose de nombreux
problèmes technologiques pour lesquels il n’existe pas encore de solution satisfaisante. Peu de projets de réacteurs HTR ont abouti jusqu’à présent suite aux
échecs des projets THTR-300 (RFA) et Fort St Vrain (USA). Deux prototypes de réacteurs HTR sont en fonctionnement aujourd’hui au Japon et en
Chine, dans le but de certifier les propriétés de sûreté intrinsèque du concept,
de valider les codes d’analyse de sûreté, de faire progresser la technologie et
d’explorer les applications dans le domaine des hautes températures (production d’hydrogène). Ce sont les réacteurs HTTR et HTR-10 construits au
JAERI (Japon) et à l’Université Tsinghua (Chine) [11].
HTR-10 est un réacteur à boulets (pebble bed) de 10 MWt modéré au
graphite et refroidi à l’hélium avec au stade actuel, un cycle de Rankine destiné à être remplacé ultérieurement par un cycle de Brayton. Son principal
objectif est la réalisation d’expériences de sûreté, mais il produit de l’électricité et de la chaleur à l’échelle locale. La température du gaz à la sortie du
cœur est de 700°C. Le réacteur est alimenté en combustible TRISO, un combustible mis au point dans le cadre des projets allemands AVR et THTR-300
au cours des années 60. L’élément combustible se présente sous la forme d’une
sphère de graphite de 6cm de diamètre dans laquelle sont dispersées des particules de 1 mm de diamètre contenant un noyau d’UO2 (ou d’UO2 /PuO2)
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entouré de couches de carbure de silicium et de carbone pyrolytique pour le
confinement des gaz de fission. Le combustible est enrichi à 17% en U235 et
brûlé jusqu’à un taux d’épuisement de 80 GWj/t. Les sphères de combustible
sont introduites au sommet du réacteur et descendent lentement par gravité.
Elles sont recyclées jusqu’à 3 passages dans le cœur au-delà desquels elles atteignent leur fin de vie La conduite du réacteur est opérée par des barres de
contrôle placées dans le réflecteur.
HTR-10 a été soumis en 2003-2004 à une série de tests d’accidents sévères ATWS7 par mise à l’arrêt de la source de refroidissement d’hélium et par
retrait de barres de contrôle. Dans une première phase, les tests ont été faits à
puissance réduite (voir [12]) puis, dans une deuxième phase, à puissance nominale. La montée en température du cœur induisant un coefficient Doppler
négatif entraîne une chute de puissance avec effets rétroactifs qui induisent
un retour à la criticité suivi de petites oscillations de puissance à des niveaux
réduits. En aucun cas la température des éléments combustibles n’a excédé
1600°C, valeur au-delà de laquelle le combustible TRISO perd son intégrité.
Ces expériences constituent une étape essentielle dans le processus de démonstration de la sûreté intrinsèque des réacteurs HTR. Un réacteur de
même type et de puissance plus élevée, HTR-PM (210Mwe) est en projet. La
Chine envisage la construction de centrales de 420 Mwe équipées de deux
réacteurs HTR-PM pour la production d’hydrogène.
Le réacteur japonais HTTR (30 MWt) a été rendu crtique en 1998.
Comme HTR-10, ce réacteur utilise un combustible à base de particules enrobées dans des couches de carbure de silicium. Toutefois les éléments combustibles sont de forme prismatique. Le réacteur est également refroidi à
l’hélium avec une température de sortie de 950°C. Les applications en vue
sont la production d’hydrogène par voie thermochimique à partir de l’eau.
2. 3 Les réacteurs SMR refroidis aux métaux liquides.
Le troisième ensemble de réacteurs SMR est celui des LMFBR. Plusieurs
projets innovants existent. Ils sont repris en colonne 3 du tableau 1. Le seul
réacteur parmi eux qui soit en fonctionnement est le réacteur rapide chinois
CEFR, un dispositif expérimental de 20 MWe, prototype de réacteurs industriels futurs. Ce réacteur refroidi au sodium liquide utilise aujourd’hui un
combustible hautement enrichi (64%) destiné à être remplacé par du MOX à
7.
Anticipated Transient Without Scram.
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revue des questions scientifiques
enrichissement plus faible. Le réacteur indien PFBR n’est pas à proprement
parler un SMR. Ce réacteur de 500 Mwe refroidi au sodium, prototype de
futurs réacteurs commerciaux, est en cours de construction et devrait être mis
en service en 2013.
Certains projets américains et japonais de SMR à neutrons rapides (4S,
STAR, HPM, TWR) ont une particularité qui les distingue de tous les
concepts antérieurs : ils visent à mettre au point des batteries nucléaires, c’està-dire des systèmes susceptibles de fournir de l’énergie en co-génération (électricité, chaleur) avec une charge initiale de combustible leur permettant de
fonctionner pendant de nombreuses années (de 10 ans à 40 ans) sans recharge
et avec un minimum de maintenance. Ceci est particulièrement intéressant
pour l’installation de systèmes de puissance dans des territoires isolés, voire
dans des contrées où la main-d’œuvre qualifiée est peu abondante.
Le concept 4S (‘Super-Safe, Small and Simple’) est un premier exemple
de batterie nucléaire développé par Toshiba-Westinghouse. Ce réacteur est
refroidi au sodium liquide avec une température de sortie du cœur de 550°C,
qui permet la production conjointe d’électricité et de chaleur (production
d’hydrogène). La sûreté intrinsèque du système réside dans le coefficient de
température négatif. Le réacteur utilise un combustible métallique U-Zr (ou
U-Pu-Zr) enrichi à moins de 20% en U235 avec des éléments de contrôle classiques. Un système ingénieux de réflecteur radial pouvant être soulevé au
cours du temps, permet de maintenir la criticité du système pendant une très
longue période. Le concept existe en deux versions respectivement de 30 et
135 MWth. Les deux versions sont équipées d’un circuit secondaire de sodium couplé à un cycle de Rankine classique pour la production d’électricité.
Les dimensions du cœur étant modestes (un cylindre de 1,2m de diamètre et
de 2,5m de hauteur pour la version de 135 MWth), le système est fabriqué en
usine puis amené sur le site où il est logé dans un espace situé en dessous du
niveau du sol. Une charge du réacteur 4S est susceptible de faire fonctionner
celui-ci durant 30 ans. Un projet de construction d’une unité près de la ville
de Galena (Alaska) est à l’étude.
Le réacteur PRISM (‘Power Reactor Innovative Small Module’) est
l’aboutissement d’une série de concepts de réacteurs à neutrons rapides développés par General Electric, avec comme points de départ les réacteurs EBR1
(1951) et SIG (1954). Ce dernier fut conçu pour assurer la propulsion du sous-
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
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marin Sea Wolf et resta le seul de son type. PRISM est un système modulaire
de réacteur piscine (pool type) refroidi au sodium, de 300 MWe et utilisant un
combustible métallique (U appauvri, Pu et actinides). La température du sodium en sortie du cœur est de 500°C. L’objectif visé est la production d’énergie (électricité, chaleur) et, dans la perspective Gen-IV (voir Section 3), la
fermeture du cycle du combustible. Le projet PRISM est articulé avec une
installation de retraitement de combustible usé (‘Advanced Recycling Center’,
ARC) de réacteurs LWR par le procédé pyro-métallurgique. Dans cette installation l’uranium imbrûlé est recyclé dans des réacteurs de type CANDU
ou ré-enrichi en U235 pour utilisation dans des LWR, tandis que les produits
de fission sont vitrifiés et mis en couche géologique. Le Pu et les actinides
mineurs sont conditionnés pour être introduits dans un module PRISM.
PRISM n’est pas une batterie et fait l’objet de rechargements selon les procédures habituelles avec une périodicité de 2 ans.
Deux autres concepts de batteries nucléaires sont les systèmes STAR (Argonne National Laboratory) et HPM (Gen4 Energy). Ces deux concepts sont
des réacteurs rapides refroidis au Pb-Bi. Le système STAR (‘Secure Transportable Autonomous Reactor’) d’une puissance inférieure ou égale à 400 MWth
est alimenté par un combustible métallique de type nitrure. Il est modulaire
et est destiné à être fabriqué en usine puis amené sur le site. La sûreté intrinsèque de ce concept est élevée (coefficient de température négatif, très faible
réactivité chimique du complexe Pb-Bi, évacuation de la chaleur résiduelle
par circulation d’air etc…). STAR et ses variantes (SSTAR, STAR-H2) sont
prévus pour fonctionner sans rechargement pendant de longues durées pouvant aller de 15 (STAR) à 30 ans (SSTAR).
Le concept HPM (‘Hyperion Power Module’) de plus petite puissance
(25 MWe) est lui aussi alimenté à l’aide d’un combustible nitrure enrichi à
20% en U235 et il est refroidi au Pb-Bi. Ses caractéristiques sont très semblables
à celles du système STAR.
De tous les systèmes présentés jusqu’ici, c’est le concept à neutrons rapides TWR (‘Traveling Wave Reactor’) de TerraPower qui est certainement
le plus novateur. Il n’a pas de précédent fondé sur le même principe, à savoir
le ‘breed and burn’ (B&B). Pourtant, ce principe remonte à la fin des années
50. Après être tombé dans l’oubli, il a resurgi à la fin des années 90 sous cette
forme et aussi sous le nom de CANDLE (‘Constant Axial shape of Neutron
52
revue des questions scientifiques
flux During Life of Energy production’), la similitude avec une bougie étant
assez parlante [14].
Le principe du système B&B consiste à utiliser au départ une masse
d’uranium naturel (voire même plutôt d’uranium appauvri) de facteur de
multiplication k<1. En supposant que cette masse ait la forme d’un barreau de
longueur L, on introduit à une des extrémités un combustible enrichi de telle
sorte que le système devienne critique (k=1). La valeur instantanée de la densité de puissance qui en résulte a la forme d’une onde solitaire, avec des valeurs
plus élevées là où la matière fissile est en quantité plus importante [15]. Le soliton se déplace au cours du temps, les réactions de fission provoquant l’épuisement progressif des noyaux fissiles là où ils sont concentrés (burn) et
l’apparition de nouveaux noyaux fissiles par capture neutronique dans les
noyaux fertiles (breed) situés dans le voisinage. Le soliton a en fait deux composantes : l’onde breed et l’onde burn, la première précédant l’autre. La vitesse
de propagation de ces deux ondes est relativement lente (inférieure à 1 cm/
mois).
Le système TWR ne nécessite ni retraitement ni recyclage du combustible. Une fois le réacteur mis en route, il peut fonctionner avec la même
charge de combustible durant environ 60 ans. Au stade actuel le concept est
prévu pour éliminer le stock d’uranium appauvri du programme militaire
américain et pour en retirer de l’énergie moyennant l’utilisation d’une charge
d’uranium enrichi pour l’ignition du système. Le combustible se présente
sous une forme métallique et le cœur est refroidi par un métal liquide (Na, Pb
ou Pb-Bi) associé à un cycle de Rankine. Le taux d’épuisement du combustible usé peut monter à des niveaux beaucoup plus élevés que dans le cas des
LWR où il est limité aux alentours de 6%. De nombreux éléments réclament
encore des éclaircissements et la société TerraPower, filiale d’Intellectual Ventures, vise à optimiser le concept et à construire un prototype aux alentours
de 2025-2030. Il n’est pas sûr non plus que l’on puisse parler à son propos de
SMR, dans la mesure où la puissance annoncée d’une première installation
(1000 MWe) le place dans les réacteurs de grande taille. Le prototype devrait
cependant être suivi d’unités de plus petites tailles.
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
53
3. Génération-IV
Le recours à des énergies primaires de moins en moins carbonées est un
processus historique entamé dès le début de l’ère industrielle [16]. Pour de
nombreuses raisons (changement de la nature des besoins, plus grande commodité d’utilisation, lutte contre la pollution) on est passé progressivement de
l’usage du bois à celui du gaz naturel8 comme source principale de combustible
pour le transport et les besoins domestiques. L’objectif escompté aujourd’hui
est une réduction drastique des sources anthropogéniques de CO2 par substitution de l’hydrogène (H2) aux sources de combustibles carbonés. L’énergie
nucléaire possède de puissants atouts pour la mise en œuvre d’un tel système
énergétique. Mais, dans l’état actuel des choses elle n’est pas à même de le faire
de manière optimale, quoiqu’il existe déjà des concepts très prometteurs
comme on l’a vu en Section 2. L’initiative GIF est née de ce constat. Elle vise
d’une part à rendre obsolètes les arguments des opposants au nucléaire, d’autre
part à optimiser les conditions de mise en œuvre de chacune des différentes
filières identifiées pour la qualité de leurs réponses aux besoins de la société.
Goals for Generation IV Nuclear Systems
1/ Sustainability
– Generation IV nuclear energy systems will provide sustainable energy generation that meets clean air objectives and promotes long-term availability of systems and effective fuel utilization for worldwide energy production.
– Generation IV nuclear energy systems will minimize and manage their nuclear
waste and notably reduce the long-term stewardship burden, thereby improving
protection for the public health and the environment.
2/ Economics
– Generation IV nuclear energy systems will have a clear life-cycle cost advantage
over other energy sources.
– Generation IV nuclear energy systems will have a level of financial risk comparable to other energy projects
3/ Safety and Reliability
– Generation IV nuclear energy systems operations will excel in safety and reliability.
– Generation IV nuclear energy systems will have a very low likelihood and degree
of reactor core damage
– Generation IV nuclear energy systems will eliminate the need for off-site emergency response.
4/ Proliferation
resistance and Physical
Protection
– Generation IV nuclear energy systems will increase the assurance that they are a
very unattractive and the least desirable route for diversion or theft of weaponsusable materials, and provide increased physical protection against acts of terrorism.
Tableau 3. Objectifs fixés par le GIF pour les installations Gen IV (voir [17]).
8.
Avec des rapports atome de carbone par atome d’hydrogène C/H égaux successivement
à 10 (bois), 2 (charbon), 0,5 (pétrole), 0,25 (gaz). La prochaine étape est C/H=0.
54
revue des questions scientifiques
Les travaux du Forum International de Génération IV (GIF) commencèrent au début des années 2000. Les membres du groupe étaient à l’époque au
nombre de neuf (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Canada, Corée du Sud,
France, Japon, Royaume Uni et USA) qui signèrent la charte du GIF en 2001.
Ils furent rejoints par la Suisse (2002), l’Union Européenne (2003), la Russie
(2006) et la Chine (2006). La première tâche du GIF fut d’établir une feuille
de route (roadmap) visant à définir les critères de base devant être respectés
par des installations Gen-IV puis, à identifier celles-ci sur base de leur conformité aux critères sélectionnés. Les critères retenus en 2002 furent au nombre
de 4 : 1/ développement durable, 2/ sûreté/fiabilité, 3/ économie et 4/ absence
de risques de prolifération et/ou de terrorisme. Ces critères sont présentés en
détails dans le tableau 3.
Sur base de ces quatre critères, six familles de concepts de réacteurs ont
été identifiées comme les mieux à même de satisfaire ceux-ci et de répondre
aux besoins futurs de la société. Il s’agit des :
• VHTR (Very High Temperature Reactors), réacteurs à haute température et à gaz),
• SFR (Sodium Fast Reactors), réacteurs rapides refroidis au sodium,
• SCWR (Super Critical Water Reactors) réacteurs à eau légère supercritique9,
• GFR (Gas Fast Reactors), réacteurs rapides refroidis au gaz,
• LFR (Lead Fast Reactors) réacteurs rapides refroidis au Pb ou Pb-Bi,
• MSR (Molten Salt Reactors), réacteurs à sels fondus.
L’objectif du GIF est d’orienter et de coordonner les travaux de R&D
nécessaires pour aboutir à des réalisations industrielles dans chacune des 6
familles. Il est également de stimuler la coopération internationale afin d’éviter la dispersion des efforts et les duplications inutiles de travaux de recherche
(voir [18]).
Trois familles de systèmes Gen-IV sont constituées de réacteurs à neutrons rapides (SFR, GFR, LFR), deux, de réacteurs à neutrons thermiques
9.
On désigne sous le nom d’eau supercritique de l’eau légère placée dans des conditions
thermodynamiques (température, pression) situées au-delà du point critique (374°C, 22
MPa) où la phase liquide et la phase vapeur deviennent indifférenciées. Un réacteur
SCWR est un réacteur à un seul circuit de refroidissement (équivalent en quelque sorte
à un BWR) mais fonctionnant dans une plage de conditions thermodynamiques
(520°C, 25 MPa) très différentes de celles des réacteurs BWR (285°C, 8 MPa).
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
55
(VHTR, SCWR10) tandis que les réacteurs à sels fondus (MSR) existent dans
les deux versions. L’importance des rapides est liée à la fermeture du cycle du
combustible (premier critère). Une certaine expérience existe déjà pour plusieurs des familles identifiées (SFR, LFR, VHTR, MSR), y compris pour les
réacteurs à sels fondus qui ont fait l’objet de réalisations aux USA dans les
années 50 avant de tomber dans l’oubli11.
Les réacteurs VHTR ne sont autres que des réacteurs HTR refroidis à
l’He dans un cycle de Rankine avec échangeur de chaleur intermédiaire. L’objectif à plus long terme est l’utilisation d’un cycle de Brayton, dont la température de sortie des gaz peut être particulièrement élevée (1000°c). L’expérience
des rapides refroidis au gaz (GFR) et des réacteurs à eau supercritique (SCWR)
est quasi inexistante, sauf que dans le dernier cas, des centrales classiques à
eau supercritique existent depuis de nombreuses années et fonctionnent sans
problème. L’intérêt du concept est d’ordre économique, ces réacteurs ayant
une ‘architecture’ beaucoup plus simple et un rendement thermodynamique
plus élevé que les centrales LWR actuelles.
Dix des treize signataires de la charte du GIF se sont formellement engagés à poursuivre des recherches sur certains des six concepts identifiés. Ils ont
signé un Framework Agreement (FA) qui constitue la charte de cet engagement. Trois pays (Argentine, Brésil et Royaume Uni) ne sont pas allés au-delà
de la signature de la charte de base du GIF et jouent donc davantage un rôle
d’observateur. Les dix pays intéressés par des coopérations dans le domaine de
la R&D sur certains des six concepts identifiés, ont signé des protocoles (System Arrangements, SA) pour mettre en œuvre ces coopérations, conformément aux termes du FA. Quatre concepts parmi les six font l’objet de SA :
VHTR, SCWR, SFR et GFR. En ce qui concerne les concepts LFR et MSR
pour lequel l’intérêt manifesté sur le plan international était moindre, les SA
ont été remplacés par deux protocoles d’entente (Memorandum Of Understanding, MOU). Le tableau 4 donne la liste des engagements de chacun des pays
10. Ceci doit être nuancé dans la mesure où une version rapide du SCWR est envisagée
depuis quelque temps qui devrait permettre de fermer le cycle du combustible.
11. Les expériences ARE (Aircraft Reactor Experiment, 1954) et MSRE (Molten Salt Reactor Experiment, 1964). MSRE construit à Oak Ridge (ORNL) a fonctionné de 1965 à
1969. Ce réacteur à sel fondu de faible puissance (7,5 MWth) était un breeder à neutrons
thermiques alimenté en U235 et U233 obtenu par conversion de Th232. Le combustible se
présentait sous le forme d’un sel fondu de fluorure de Thorium. Le réfrigérant était lui
aussi un sel fondu, fluorure de Be et de Li.
56
revue des questions scientifiques
signataires du FA envers les protocoles (SA) relatifs aux six concepts retenus.
On s’aperçoit sans surprise que les systèmes pour lesquels l’engagement international est le plus fort sont les réacteurs à haute température (dans le but
d’assurer une transition rapide vers l’utilisation de l’hydrogène) et les rapides
refroidis au sodium (dans le but d’augmenter les ressources en matière fissile
et de fermer le cycle du combustible). Ce sont aussi les systèmes pour lesquels
l’expérience technologique acquise à ce jour est la plus forte. L’Europe a manifesté son désir d’être présente dans la R&D de chacun des systèmes retenus.
CA
VHTR
SFR
SCWR
GFR
LFR
MSR
X
X
EU
X
X
X
X
X
X
FR
X
X
X
X
JP
X
X
X
X
X
CN
X
X
KR
X
X
ZA
X
RU
X
X
X
CH
X
X
Tableau 4. Engagements des signataires du FA envers les 6 concepts retenus
par le GIF
US
X
X
X
X
Les projets de recherche pour chacun des systèmes retenus s’articulent autour de thèmes propres à ces concepts. Ainsi pour les 4 concepts
faisant l’objet d’un SA on a les thèmes suivants :
• VHTR : production d’hydrogène, combustible et cycle, matériaux,
• SFR : combustible avancé, démonstration à l’échelle internationale du
cycle du combustible, conception des composants et de la partie classique de l’installation, sûreté et opération,
• SCWR : matériaux et chimie, thermo-hydraulique et sûreté,
• GFR : conception de l’installation et sûreté.
Chacun des dix projets mentionnés ci-dessus est piloté par un comité de
gestion (Project Management Board, PMB). Chaque PMB fait rapport (évolution du projet, résultats récents, questions soulevées) au comité de pilotage
relatif au concept auquel il se rattache, appelé System Steering Committee
(SSC). Enfin, les quatre SSC font rapport au GIF Policy Group (PG), clé de
voûte du système, chargé des responsabilités au niveau supérieur.
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
57
Chaque État signataire du FA dispose de deux représentants au sein du
PG, la présidence étant accordée à l’un des États pour un mandat de durée
limitée. La présidence actuelle est assurée par le Japon (Y. Sagayama).
Le PG est l’organe suprême du GIF, en charge de la mise en œuvre et de
la poursuite des objectifs fondamentaux énoncés dans la charte du GIF. Pour
assurer cette tâche il est assisté d’un groupe d’experts qui suivent de manière
critique l’évolution des travaux dans les différents projets. Par ailleurs, un
conseil consultatif, composé de membres issus des principales industries
concernées, le Senior Industry Advisory Panel, alimente également les réflexions au niveau du PG. Les tâches de coordination et de secrétariat au jour
le jour sont assurées par la branche NEA (Nuclear Energy Agency) de
l’OCDE.
La feuille de route du forum GIF établie en 2002 prévoyait que les activités de R&D pour les six concepts retenus seraient subdivisées en trois
phases de durées différentes :
1/ Phase d’étude pré-conceptuelle (phase de viabilité) des systèmes
avec des aspects relatifs au cycle du combustible, à la tenue des matériaux, aux
systèmes de conversion d’énergie, ainsi qu’une analyse préliminaire des coûts
(durée de 5 à 15 ans)
2/ Phase d’étude conceptuelle (phase de performance) comportant la
certification complète des systèmes requis pour la préparation d’un prototype
de démonstration, la validation de la stratégie de gestion des déchets, une
analyse détaillée des coûts (durée de 5 à 10 ans)
3/ Phase de démonstration (phase de préparation du concept industriel) comportant la démonstration des caractéristiques de sécurité, de la stratégie de protection contre les risques de prolifération et de terrorisme (durée
de 3 à 6 ans).
Ce sont essentiellement les phases 1 et 2 qui constituent la tâche principale du GIF en ce qui concerne la coordination des efforts de recherche.
Le GIF a adopté dès le départ une politique très ouverte de communication avec l’opinion publique. Son site web (http://www.gen-4.org) est une mine
d’informations à propos des activités qui le concernent. Le rapport annuel y
est disponible et permet de prendre connaissance de l’évolution des travaux.
58
revue des questions scientifiques
Si le projet GIF symbolise presque quasi exclusivement la notion de génération 4, il n’est pas la seule initiative consacrée aux réacteurs du futur.
L’AIEA a également pris des initiatives dans ce sens, en particulier le projet
INPRO (International Project on Innovative Nuclear Reactors and Fuel
Cycles). Les acteurs des deux projets entretiennent des relations étroites. Ces
initiatives n’ont pas les mêmes buts, GIF visant surtout à concevoir des systèmes innovants et INPRO à discerner la façon dont ces systèmes innovants
pourraient contribuer à satisfaire les besoins accrus d’énergie dans le monde.
4. Conclusion
Les développements réalisés dans le domaine des réacteurs modulaires
ont jusqu’ici été relativement indépendants des réflexions du GIF. À terme
une liaison plus étroite entre les deux sera établie dans le cas des filières HTR,
LMFBR et MSR. À l’horizon des années 2050 l’importance de ces réacteurs
devrait croître pour optimiser l’utilisation des ressources naturelles (U et Th)
et assurer la fermeture du cycle du combustible par le recyclage in situ du Pu
et l’incinération des actinides mineurs.
À plus brève échéance l’extension du parc de réacteurs Gen-III ou GenIII (AP1000, EPR, ABWR, ESBWR…) sera poursuivie mais probablement
à un rythme plus lent, compte tenu de l’impact de Fukushima-Daiichi. Pour
des raisons économiques, les constructeurs de réacteurs Gen-III et Gen-III+
n’abandonneront pas aisément ces systèmes pour se tourner vers des systèmes
de taille plus réduite. Des concepts nouveaux, fruits des développements issus
des activités du GIF, verront progressivement le jour et seront adaptés au type
d’application (électricité, chaleur) pour lesquels les besoins se feront sentir.
Certains de ces systèmes auront peut-être des tailles excédant les 1000 MWe
si l’environnement économique et/ou géographique les y pousse. Ce qui
semble assuré, c’est que la panoplie des installations futures au point de vue
taille sera beaucoup plus diversifiée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il faut d’ailleurs
qu’elle le soit dans la mesure où l’énergie nucléaire pourrait être appelée à une
pénétration plus importante du marché de l’énergie primaire si, comme tout
semble l’indiquer, les énergies renouvelables ne fournissent pas les solutions
adéquates pour couvrir tous les besoins.
+
quelle énergie nucléaire pour après fukushima
59
Références
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(MASLWR) passive safety systems’, Nuclear Engineering and Design, 237, pp.
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[10] A.P. Shadrin, ‘Problems of the Northern Fuel Delivery and Possible Role of
Mini Nuclear Power Plants (MNPP)’, in Proceedings of the 5th International Conference Asian Energy Cooperation: Mechanisms, Risks, Barriers (AEC-2006),
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39, pp. 103-110 (2007).
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revue des questions scientifiques
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[13] Z. Zhang et al., ‘Current status and technical description of Chinese
2x250 MWth HTR-PM demonstration plant’, Nuclear Engineering and
Design, 239, pp. 1212-1219 (2009)
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27, pp. 1505-1521 (2000)
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