Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme
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Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme
CLINIQUE Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme d’Agadir (Maroc) de 1960 N. KADRI (1), S. BERRADA, S. DOUAB, I. TAZI, D. MOUSSAOUI Post-traumatic stress disorder in survivors of the Agadir earthquake (Morocco) in 1960 Introduction. Agadir City is geologically located on a seismic line. This city witnessed an earthquake in February 1960 with a magnitude of 6° in Richter scale. During this disaster more than 17 000 people died and 60 % of the town was destroyed. Objectives. Forty years later, the objective of this study was to assess post-traumatic stress disorders at the time of the disaster and currently among this population. Methods. Two groups, matched by gender and age were included : 1) a group (G1) of 80 earthquake survivors with an age varying from 45 to 70 years ; 2) a control group (G2) with 80 people who experienced accidental events other than the earthquake. The instruments used were : a questionnaire concerning socio-demographic data, and the Post-traumatic Stress Diagnosis Scale-Edna Foa-1995 for the diagnosis of PTSD which was translated in Moroccan Arabic language. The epidemiological survey was conducted in two steps during 13 months. The first step consisted in the inclusion of the first group : victims of the disaster. One hundred and two survivors were contacted and 80 accepted to participate in the study. The second step, concentrated on the inclusion of the other group, according to gender and age of the survivors group. All interviews were conducted in the homes of the participants. Data analysis was performed on a PC microcomputer using Epi info 6.04 French version (Center for disease control and prevention CDC, Atlanta, USA). The statistical analysis was based on the descriptive techniques of statistics. Results. The main results were : 1) after the traumatic events and retrospectively, survivors from the earthquake had statistically more PTSD than G2 : 38.8 % vs 20 % ; 2) at the time of the study, the prevalence of PTSD between the two groups was not significantly different : 10 % for the survivors of the earthquake vs 7.5 % for G2 (victims of accidents) while the dates of trauma differed ; 3) forty years later, the socio-professional life of the survivors was still perturbed. Discussion. These results are in accordance with the literature, even if the methodological differences constitute a limiting factor for the comparison. Nevertheless, the persistence of symptoms of PTSD many years later might be explained by the severity of the trauma, the existence of external stimuli, such as the frequent tremors felt in Agadir, the noise, the storms, the earthquake happening in other cities… create a persistent state of hyper-vigilance which maintains and/or worsens the symptoms of PTSD. Conclusion. In conclusion, 40 years later, survivors are in need of care to overcome symptoms of PTSD. Preventive measures for victims of disasters should perhaps be developed. Key words : Agadir ; Earthquake ; Post-traumatic stress disorder ; Survivors. Résumé. Le but de ce travail est l’étude de la prévalence du syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme d’Agadir de 1960. Deux groupes appariés par sexe et par âge ont été étudiés : un groupe (G1) de 80 survivants du séisme d’Agadir dont l’âge varie de 45 à 70 ans, et un groupe témoin (G2) constitué de 80 personnes ayant vécu des événements accidentels. Le diagnostic du SSPT a été fait grâce au questionnaire PDSTM (Post-traumatic Stress Diagnosic Scale-Edna Foa-1995). Les résultats essentiels de cette étude ont été les suivants : 1) le SSPT après les événements traumatiques prévaut significativement chez les survivants du séisme par rapport à G2 : 38,8 % contre 20 % ; (1) Professeur de Psychiatrie, Centre Psychiatrique Universitaire Ibn Rochd, rue Tarik Ibn Ziad, Casablanca, Maroc. Travail reçu le 5 avril 2004 et accepté le 28 janvier 2005. Tirés à part : N. Kadri (à l’adresse ci-dessus). L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 215 N. Kadri et al. 2) au moment de l’étude, les prévalences du SSPT ne diffèrent pas significativement entre les deux groupes : 10 % pour les survivants du séisme contre 7,5 % pour G2, alors que les dates des traumatismes sont différentes ; 3) la vie socioprofessionnelle est perturbée chez les survivants du séisme, même 40 ans après. Ces résultats concordent avec ceux de la littérature même si les différences méthodologiques constituent une limite pour la comparaison. Quarante ans plus tard, les survivants continuent à avoir besoin de prise en charge pour traiter le SSPT. Mots clés : Agadir ; Survivants ; Syndrome de stress post-traumatique ; Tremblement de terre. INTRODUCTION L’histoire de l’humanité est périodiquement traversée par des traumatismes collectifs et celle des individus est parfois ponctuée par des événements graves portant atteinte à leur intégrité physique et/ou psychique. Aux États-Unis, 26,4 % de la population ont été exposés à un tel événement au cours de leur vie, alors que 29,3 % de la population y ont été exposés à plusieurs reprises (6). Au Maroc, l’exposition aux événements traumatiques au niveau de la population de Casablanca est estimée à 12,1 % de la population (12). Beaucoup d’études ont révélé des prévalences de SSPT variant de 1 % à 14 % selon la population étudiée. Des prévalences plus élevées ont été notées chez les patients blessés, qui pouvaient varier de 17,5 % à 42 % 1 à 6 mois après le traumatisme (5). Au Maroc, la prévalence est estimée à 3,4 % (12). Sur le plan national, le tremblement de terre d’Agadir représente la catastrophe naturelle la plus importante que notre pays ait connue durant le XXe siècle. La ville d’Agadir située géologiquement sur une ligne sismique a été frappée par un tremblement de terre le 29 février 1960 (3e jour du mois de Ramadan) à 23 h 41 mn, dont la magnitude a été de 6° sur l’échelle de Richter ; il a duré entre 10 à 12 secondes. Cette catastrophe a fait plus de 17 000 morts alors que la population comptait environ 37 000 habitants à l’époque et 60 % de la ville ont été détruits. Les buts de cette étude, qui à notre connaissance est la première à explorer les conséquences psychologiques parmi les survivants du tremblement de terre d’Agadir, sont l’exploration du syndrome de stress post-traumatique, et d’en déterminer la prévalence après le séisme (rétrospective) et la prévalence actuelle. SUJETS ET MÉTHODES Deux groupes ont été étudiés. 1) Groupe principal (G1) Il est constitué par les survivants du séisme d’Agadir de 1960 des deux sexes, sélectionnés dans la population générale d’Agadir. 216 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 Critères d’inclusion : – personnes habitant Agadir ; – survivants du séisme avec ou sans autre événement traumatique ; – consentement éclairé oral pour participer à l’étude ; – âge de 45 à 70 ans, c’est-à-dire ayant été âgé de 5 ans et plus au moment du séisme. 2) Groupe témoin (G2) Il comporte des personnes qui n’ont pas vécu le séisme, mais qui ont eu un autre événement traumatique répondant aux critères du DSM IV (1). Pour que le groupe soit homogène, on a sélectionné les personnes qui ont vécu des événements d’ordre accidentel (accident de la voie publique, incendie, accident de travail). Critères d’inclusion : – personnes habitant Agadir ; – consentement après explication du but de l’étude et du rôle du témoin ; – personnes dont le sexe et l’âge (± 2 ans) correspondent à ceux des survivants du séisme, la tranche d’âge étant de 43 à 72 ans ; – personnes n’ayant pas vécu le séisme d’Agadir ou une autre catastrophe naturelle, mais ayant eu un accident significatif répondant aux critères DSM IV de l’événement traumatique. Instruments 1) Fiche sociodémographique qui s’enquiert de toutes les données sociodémographiques. 2) Questionnaire : le questionnaire utilisé pour faire le diagnostic du SSPT est le PDSTM (Post-traumatic Stress Diagnosic Scale – Edna Foa-1995) (11). Il comprend 49 items regroupés en 4 parties dont la structure et le contenant correspondent aux critères diagnostiques DSM IV du SSPT. La 1re partie comprend une liste d’événements traumatiques. La 2e partie permet de préciser : – l’événement le plus marquant ; – le délai entre l’événement traumatique et l’administration du questionnaire (date des traumatismes) ; – l’atteinte corporelle (blessures) et les réactions immédiates de terreur et d’impuissance. La 1re et la 2e partie correspondent au critère A du DSM IV : l’exposition à l’événement traumatique. La 3e partie permet de préciser : – les symptômes du SSPT rapportés durant le mois précédant l’enquête ; – les symptômes de reviviscence de l’événement traumatique, de l’item 22 à 26 correspondant au critère B du DSM IV ; – les symptômes d’évitement, de l’item 27 à 33 correspondant au critère C du DSM IV ; – les symptômes d’hypervigilance, de l’item 34 à 38 correspondant au critère D du DSM IV ; L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme d’Agadir (Maroc) de 1960 – la durée des symptômes (l’item 39) correspondant au critère E du DSM IV ; – l’item 40, une spécificité du PDS, qui permet d’évaluer le délai entre l’événement et le début des symptômes. La 4e partie permet de préciser le retentissement fonctionnel (critère F du DSM IV). Le PDS étant en anglais dans sa version originale, nous avons procédé à sa traduction en arabe dialectal. Vu l’ancienneté du séisme et comme le questionnaire évalue le SSPT seulement dans la période précédant l’enquête, on a dû répliquer la 3e et la 4e parties (symptômes, durée et retentissement) pour pouvoir recueillir les données de ces 2 parties après l’événement (donc diagnostic rétrospectif) et durant le mois précédant l’enquête. Déroulement de l’étude Présentation de la zone d’étude : la Wilaya d’Agadir (9) Sur le plan administratif, la Wilaya d’Agadir est constituée de 3 préfectures : Agadir-Ida Outanane contenant la ville d’Agadir, Anza, Bensergao et Tikiouine ; la préfecture Inezgane-Ait Melloul et enfin la préfecture Chtouka Ait Baha. La zone de notre enquête intéressait la préfecture d’Agadir-Ida-Outanane et la préfecture Inezgane-Ait Melloul. Accès à la population Après autorisation des autorités locales pour la passation des interviews, l’enquête épidémiologique s’est déroulée en 2 phases s’étalant sur 13 mois (de janvier 1999 à février 2000). La première phase consistait en une sélection de G1, puis la deuxième phase a été menée pour G2. • Première phase L’enquête intéressait la zone connue hébergeant le plus grand nombre de survivants et qui est constituée de quartiers construits juste après le séisme ou des quartiers qui y ont résisté (Yehchach, Talborjt, quartier industriel, Anza, Inezgane…). L’accès aux adresses personnelles ou professionnelles des participants a été possible grâce à une enquête libre (porte-à-porte) ou aux renseignements donnés par les habitants de ces quartiers. Nous avons rencontré au cours de cette enquête 102 survivants. Six personnes avaient moins de 45 ans et 16 sujets, dont 10 femmes, ont refusé de participer, les uns par méfiance, les autres pour éviter, selon eux, les souvenirs du séisme, réduisant ainsi la taille de l’échantillon à 80 personnes. • Seconde phase G2 a été sélectionné parallèlement selon la même méthode d’échantillonnage des survivants du séisme, avec la différence qu’on a élargi la zone de l’enquête vers le reste de la Wilaya d’Agadir. La probabilité de trouver une personne pour G2 (ayant vécu ou étant témoin d’un accident ou ayant perdu un proche après un tel événement) était approximativement de 1/10. Ce groupe est constitué de 80 personnes dont 45 étaient victimes d’un accident, 22 personnes étaient témoins d’accidents graves et 13 personnes ont perdu des proches après de tels événements. Procédure Tous les entretiens se sont passés au niveau du lieu de résidence des personnes concernées. Après explication aux participants du but de l’étude et après leur accord, l’entretien se déroulait en langue arabe dialectale ou en berbère. On commençait la passation par le recueil des données sociodémographiques, l’administration du questionnaire du syndrome de stress post-traumatique, dans sa version arabe, si la personne appartenait au G1. Les questionnaires et échelles étaient remplis par l’évaluateur qui maîtrisait l’arabe et le berbère. Difficultés 1) L’ancienneté du séisme limite la description exacte de quelques symptômes rapportés après le sinistre, et leur fréquence, surtout pour les personnes qui étaient enfants en 1960. 2) Certaines personnes qui pouvaient être plus touchées par l’événement traumatique (séisme ou accident), surtout les femmes, ont refusé de participer. 3) Certaines personnes ont refusé de participer, considérant les données de la fiche sociodémographique comme privées, malgré un anonymat assuré. 4) Le refus de participation au niveau de la population témoin était plus important, certaines personnes ne comprenant pas l’intérêt des groupes contrôles par rapport aux survivants du séisme. Caractéristiques des événements traumatiques Groupe principal Événements vécus : le séisme était le seul événement traumatique dans la vie de 80 % des participants de ce groupe, alors qu’à côté du séisme 12,5 % ont eu des accidents de la voie publique et 7,5 % ont eu d’autres traumatismes. Événements marquants : dans notre échantillon, 3,8 % ont considéré que les accidents de la voie publique qu’ils ont eus étaient plus marquants que le séisme. Date des événements : le séisme remonte à 40 ans et 10,4 % des personnes qui ont eu des AVP en plus du séisme les ont eu il y a moins de 3 ans, alors que les autres (89,6 %) ont eu leur accident il y a plus de 5 ans ; de même pour les personnes qui ont eu d’autres traumatismes à côté du séisme. 217 N. Kadri et al. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 TABLEAU II. — Répartition des sujets recrutés selon les tranches d’âge et les groupes. Atteinte corporelle : des blessures corporelles existaient chez 30 % des survivants du séisme. Tranche d’âge au moment du traumatisme (années) Groupe témoin Événements vécus : 88,8 % des personnes ont eu des AVP, 3,8 % des incendies graves, 6,3 % des accidents de travail et une personne (1,3 %) a assisté à la noyade de plusieurs personnes dont son fils. Événements marquants : ces accidents étaient des événements marquants pour tous les participants. Date des accidents : 84 % des personnes ont eu leur accident il y a plus de 5 ans, 12,5 % l’ont eu il y a 3 à 5 ans et 3,8 % il y a moins de 3 ans. Atteinte corporelle : des blessures corporelles étaient présentes chez 46,3 % des personnes. Caractéristiques socio-démographiques (tableaux I et II) Le recueil des 160 questionnaires a été fait sur ordinateur PC. L’analyse statistique a été pratiquée grâce au logiciel Epi Info dans sa 6e version (Center for Disease Control and Prevention, CDCP, Atlanta, USA) qui a permis une analyse descriptive ainsi que l’analyse univariée. G1 (N/%) G2 (N/%) 5-6 6-10 11-15 16-20 21-25 26-30 4/5 12/15 14/17,5 24/30 21/26,2 5/6,3 5/6,3 13/7,3 14/17,5 23/28,8 16/20 9/11,3 Total 80 80 N : nombre de sujets ; % : pourcentage de sujets. L’analyse statistique a fait appel aux différents moyens statistiques (fréquence, écart type, moyenne). Le test de χ2 a été utilisé pour les variables qualitatives et le test du Student pour les variables quantitatives. Les tests étaient significatifs lorsque le seuil de significativité était inférieur à 5 %. Le calcul de l’odds ratio a été aussi utilisé, notamment pour quantifier l’association de 2 variables. RÉSULTATS Étude descriptive TABLEAU I. — Caractéristiques socio-démographiques. Sexe (%) Hommes Femmes Âge (moyenne) G1 G2 57,5 42,5 57,5 42,5 57,40 ± 56,46 ± 6,68 ans 6,94 ans Statut marital (%) Célibataires Mariés Veufs(ves) Divorcé(e)s 6,3 71,2 17,5 5 3,8 72,5 22,4 1,3 Nombre d’enfants (%) ≥5 1-4 0 53,8 39,9 6,3 53,8 42,4 3,8 Niveau d’instruction Illettrés (%) Primaire Secondaire Universitaire 38,8 20 36,2 5 22,5 30 41,2 6,3 Profession (%) Fonctionnaires Fonction libérale Artisans Cadres supérieurs Retraités Sans profession 42,5 13,6 2,5 1,3 11,3 28,8 33,8 7,4 1,3 2,5 23,8 31,2 Religion (%) Musulmans Juif 98,7 1,3 100 G1 : groupe des survivants du séisme ; G2 : groupe témoin (groupe avec traumatismes). 218 Prévalence Le SSPT marqué juste après les événements traumatiques prévalait significativement chez les survivants du séisme par rapport au groupe témoin : 38,8 % contre 20 % (p = 0,04). Les prévalences actuelles du SSPT (tableau III) ne diffèrent pas significativement entre les deux groupes : 10 % pour les survivants du séisme contre 7,5 % pour le groupe témoin (p = 0,1) alors que les dates des traumatismes sont très différentes. TABLEAU III. — Prévalences du SSPT durant le mois précédant l’enquête. Tranche d’âge actuel/ au moment du traumatisme (ans) G1 G2 45-46/5-6 46-50/6-10 51-55/11-15 56-60/16-20 61-65/21-25 66-70/26-30 0 3 0 3 2,2 0 0 2 1 1 2 0 Total (n/%) 8/10 % 6/7,5 % N : nombre de sujets ; % : pourcentage de sujets. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme d’Agadir (Maroc) de 1960 Sévérité des symptômes du SSPT 1) Après les événements : l’intensité des symptômes était minime chez 6,5 % des survivants, modérée dans 12,9 % de cas et d’intensité sévère dans 80,6 %. Pour les sujets de G2 ayant un SSPT, cette intensité était modérée chez 12,5 %, modérée à sévère chez 6,3 % et sévère chez 81,3 %. On ne note pas de différence significative entre les deux groupes (p = 0,39). 2) Au moment de l’enquête : l’intensité des symptômes était minime chez 25 % des survivants, modérée chez 37 % et sévère chez 37,5 % d’entre eux. Pour G2, cette intensité était minime chez 83,3 %, modérée chez 16,7 %. La différence entre les deux groupes est non significative (p = 0,07). Délai entre les traumatismes et le SSPT Le délai entre le séisme et l’apparition des troubles était de moins de 6 mois chez 93,5 % des survivants du séisme et chez 93,8 % des sujets du groupe témoin. La différence est non significative (p = 0,73). Niveau de retentissement fonctionnel 1) Après les événements : le retentissement du SSPT était sévère sur le fonctionnement socioprofessionnel chez 58,1 % des survivants contre 56,2 % des victimes d’accident. Il était modéré chez 26,6 % des survivants contre 37,5 % des accidentés. La différence entre les deux groupes est non significative (p = 0,17). 2) Au moment de l’étude (figure 1) : au moment de l’enquête, la moitié (50 %) des survivants avec SSPT avait un retentissement sévère sur leur fonctionnement socioprofessionnel, alors qu’il n’existe aucun sujet de G2 avec un tel retentissement. En revanche, le retentissement était modéré chez 12,5 % de G1 contre 66,7 % de G2. Ainsi, le retentissement fonctionnel actuel est plus sévère chez les survivants du séisme que chez les personnes qui ont vécu des accidents. La différence est significative (p = 0,05). Étude analytique SSPT et sexe 1) Après les événements : pour G1, 48,4 % de femmes et 51,6 % d’hommes avaient un diagnostic positif de SSPT juste après le séisme, la différence n’étant pas significative (p = 0,34). Pour G2, 62,5 % des personnes avec un SSPT sont des femmes. La différence est significative (p = 0,003). 2) Au moment de l’étude : au moment de l’étude, 62,5 % des survivants présentant un SSPT étaient des femmes, mais sans significativité (p = 0,44). Par ailleurs, 66,7 % des accidentés avec SSPT étaient des femmes. Cependant, la corrélation n’était également pas significative (p = 0,21). 66,7 % 70 % 60 % 50,0 % 50 % 37,5 % 40 % 33,3 % 30 % 12,5 % 20 % 0,0 % 10 % 0% Sévère Modéré Groupe principal Minime Groupe témoin FIG. 1. — Retentissement fonctionnel du SSPT au moment de l’étude. SSPT et âge Aucune corrélation significative n’a pu être retrouvée entre l’âge du traumatisme et la survenue du SSPT, ni après les événements, ni au moment de l’enquête et ceci pour les deux groupes. SSPT et atteinte corporelle Pour les deux groupes, juste après les événements et au moment de l’enquête aucune corrélation significative n’a pu être retrouvée entre l’atteinte corporelle et la survenue de SSPT. DISCUSSION Prévalences du SSPT Les prévalences du SSPT étaient plus importantes chez les survivants du séisme d’Agadir que chez les sujets ayant vécu des événements accidentels, malgré l’ancienneté du séisme par rapport aux autres événements. La différence était significative juste après les événements, alors qu’elle ne l’est pas pour les prévalences actuelles. Les différences de méthodologie de travail limitent la comparaison entre d’autres études de la littérature, notamment la durée de 40 ans entre le tremblement de terre et l’étude. Pour le séisme de Newcastle en Australie il a été trouvé des prévalences variant de 44 à 47 % 2 ans après la catastrophe (7). Lors des inondations de BuffaloGreek aux États-Unis, 59 % des personnes avaient un SSPT juste après le traumatisme, et 14 ans plus tard 10 % présentaient encore le trouble (15). Huit mois après l’éruption volcanique d’Armero en Colombie, 42 % des personnes présentaient un SSPT (13). Une étude effectuée 14 mois après le tremblement de terre d’Istanbul en Turquie a trouvé une prévalence de 14 % de SSPT (2). 219 N. Kadri et al. Dans cette étude, la prévalence est plus élevée que dans la série de Schnyder qui n’a trouvé le SSPT que chez 4 % des victimes des accidents sur un échantillon de 121 personnes, dont la moyenne d’âge variait de 18 à 68 ans (18). Boyer et al. rapportent que 7 des 43 personnes interrogées (16 %) souffraient d’un SSPT après un accident de métro (4). Dans le groupe témoin, l’exposition à l’événement accidentel n’a pas été directe pour tous les participants, ce qui pourrait constituer une limite pour la comparaison avec les études antérieures où les sujets étaient des victimes directes de leur traumatisme. Cependant Côté rapporte que le décès d’un conjoint ou d’un enfant dans un accident d’automobile laisse des effets durables sur les membres de la famille (8). La catastrophe naturelle que nous avons étudiée était plus pourvoyeuse de SSPT que les différents accidents du groupe contrôle parallèlement à d’autres désastres naturels décrits dans la littérature. Cependant, la nature de l’événement traumatique n’est pas le seul facteur déterminant un SSPT. Les résultats dépendent de la sévérité de l’événement traumatique, des traumatismes antérieurs, de la prémorbidité et la comorbidité du SSPT à la dépression et/ou à l’anxiété (17). SSPT et sexe Pour le groupe des victimes d’accidents, une corrélation significative entre le SSPT et le sexe juste après les événements a été retrouvée. Au moment de l’étude, la prévalence du SSPT était plus élevée chez les femmes des deux groupes mais sans significativité. Côté rapporte que les femmes étaient quatre fois plus à risque que les hommes de développer une symptomatologie de SSPT (8). Selon Breslau et al., la susceptibilité de la femme pour le SSPT est plus grande pendant l’enfance qu’après l’âge de 15 ans. La même étude a trouvé qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux sexes si le traumatisme survient après la troisième décennie de la vie. Ainsi, d’autres facteurs doivent être étudiés à côté du sexe, notamment les troubles anxieux ou dépressifs préexistants, les antécédents familiaux et la nature de l’expérience traumatique (5). L’absence de corrélation significative entre le sexe et le SSPT dans G1 pourrait être expliquée par le fait que les femmes qui ont refusé de participer à l’étude pourraient être les plus touchées. En outre, certaines femmes participantes évitaient de décrire quelques symptômes éveillant chez elles les souvenirs et les différents aspects du séisme. SSPT et âge On n’a pas trouvé de corrélation significative entre l’âge et le SSPT pour les deux groupes, aussi bien après les événements qu’au moment de l’étude. Miller et al. n’ont pas trouvé de corrélation significative entre le SSPT et l’âge, dans une série de 141 personnes dont la moyenne d’âge est de 39 ans, victimes d’événements d’ordre inten220 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 tionnel (vol de banques) (16). Selon Carr et al., les sujets âgés victimes du séisme de Newcasle (1989) sont particulièrement vulnérables au SSPT (7). L’ancienneté du séisme limite l’étude rétrospective exacte du SSPT, bien que certaines personnes en aient décrit beaucoup de symptômes malgré leur jeune âge au moment du séisme. SSPT et atteinte corporelle On n’a pas trouvé de corrélation significative entre l’atteinte corporelle et le SSPT aussi bien pour les survivants du séisme que pour le groupe témoin. Selon Malt et al., la sévérité de l’accident ou de l’atteinte corporelle ne corrèle pas nécessairement avec les conséquences psychiatriques (14). Retentissement fonctionnel Il était sévère chez plus de la moitié des sujets ayant fait un SSPT après des événements traumatiques, aussi bien pour G1 que G2. Au moment de l’enquête, le retentissement était plus sévère chez G1. En fait, c’est l’impact de ce trouble sur le fonctionnement socio-professionnel qui nous a poussés à faire cette étude, dans la mesure où nous avions remarqué que les survivants du séisme avaient un comportement particulier dans la vie quotidienne. Ce travail ne vient que confirmer l’observation de tous les jours. Selon Bissel et al., l’impact psychologique et émotionnel des catastrophes naturelles peut affecter le fonctionnement pendant plusieurs années qui suivent (3). Délai entre les événements et le SSPT Un même délai a été constaté (< 6 mois) entre les événements et l’apparition des symptômes du SSPT chez plus de 93 % des survivants du séisme et les sujets du groupe témoin. Le délai entre les traumatismes et le SSPT a été décrit dans la littérature sans prendre en compte la nature du traumatisme. D’après Oster et al., ce délai peut varier de 1 semaine à 30 années (17). Évolution du SSPT Lors de cette étude, les prévalences du SSPT ont été recherchées immédiatement après les événements traumatiques (étude rétrospective) et au moment de l’enquête, et cela sans explorer l’évolution du trouble entre les deux périodes. Plusieurs études se sont intéressées aux facteurs de risque d’un SSPT chronique, les trois premiers mois en seraient déterminants (8). Ses facteurs de risque sont la sévérité du traumatisme, les facteurs génétiques, les antécédents psychiatriques personnels et familiaux, les facteurs environnementaux y compris les événements stressants et l’exposition à des traumatismes récurrents (19). L’Encéphale, 2006 ; 32 : 215-21, cahier 1 Syndrome de stress post-traumatique chez les survivants du séisme d’Agadir (Maroc) de 1960 D’après Ehole et al., les symptômes du SSPT présents à 1 mois prédisent significativement les symptômes à 1 an, ainsi les symptômes précoces peuvent être associés au développement et au maintien du trouble (10). C’est le cas dans cette étude, dans la mesure où les sujets du groupe principal et du groupe témoin qui présentaient un SSPT au moment de l’enquête ont eu des symptômes précoces juste après les événements. De plus, cette étude cumule les facteurs de risque de maintien du SSPT : – la sévérité des traumatismes, notamment le séisme ; – l’existence de stimuli externes en rapport avec les événements traumatiques recensés lors de cette étude, à savoir les secousses fréquentes que la ville d’Agadir connaît, les bruits, les intempéries, les séismes survenant dans d’autres pays… créant un état d’hypervigilance persistant chez les survivants du séisme et que les participants rapportaient lors des entretiens. D’autre part, la fréquence des AVP au Maroc consiste un stimulus de reviviscence des événements traumatiques pour le groupe témoin ; – d’autres facteurs contribueraient au maintien du SSPT, comme cela a été décrit dans les études précitées, mais qui n’étaient pas le sujet de notre travail, à savoir les facteurs de prédisposition personnelle et familiale, les antécédents psychiatriques personnels et familiaux… CONCLUSION Les prévalences du syndrome de stress post-traumatique sont plus élevées chez les survivants du séisme d’Agadir de 1960 que chez les sujets ayant vécu ou assisté à des événements accidentels. D’autre part, il y a persistance du syndrome de stress post-traumatique 40 ans après le séisme d’Agadir, ce qui témoigne de l’ampleur et de la chronicité de ce trouble après des désastres aussi sévères. L’impact psychique à long terme des événements traumatiques sous forme de SSPT s’est révélé important et cela avec des répercussions négatives sur le quotidien des personnes qui en souffrent. La nécessité de traiter le SSPT paraît nécessaire, même 40 ans plus tard, afin de diminuer la souffrance des victimes et d’améliorer leur fonctionnement social et professionnel. Enfin, il est nécessaire d’instaurer des mesures préventives par une prise en charge psychologique des personnes victimes de catastrophes le plus précocement possible. Références 1. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th Edition. Washington, DC : American Psychiatric Association, 1994. 2. BASOGLU M, KILIC C, SALCIOGLU E et al. Prevalence of posttraumatic stress disorder and comorbid depression in earthquake survivors in Turkey : an epidemiological study. J Trauma Stress 2004 ; 17 (2) : 133-41. 3. BISSEL RA, BECKER BM. 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