ROGER SINOT : « LA VIE SANS FIN » (extraits) MIRAGE ÉPHÉMÈRE
Transcription
ROGER SINOT : « LA VIE SANS FIN » (extraits) MIRAGE ÉPHÉMÈRE
ROGER SINOT : « LA VIE SANS FIN » (extraits) MIRAGE ÉPHÉMÈRE « Telle une étoile tu es entrée dans ma vie : Resplendissante, envoutante, ivre de chaleur et de lumière. Ma vie n’était pas encore plongée dans la nuit d’un passé sans lendemain, mais déjà elle somnolait dans la pénombre d’une insidieuse nostalgie. J’oubliais peu à peu, combien il peut être délicieux d’offrir à l’être aimé les faveurs de Madame La Lune. Au rythme de pensées spontanées, je gaspillais les jours et les secondes, redoutant souvent l’amertume d’un matin sans histoire, l’aube qui s’étire avec tristesse, la froideur d’un après-midi sans tendresse. Sans autorisation, tu as voulu mettre bon ordre à une telle situation. Tu t’es cachée sous une aventure afin de mieux me séduire et poser en cachette les jalons de notre futur. L’air innocent, tu m’as fait conjuguer les verbes au présent, corrigeant d’un baiser ce qui te semblait imparfait. Tu m’as appris à téléphoner sans motif particulier, uniquement pour feindre de découvrir que tu m’aimais. Combien d’heures avons-nous passées ainsi, à la fois si proches et si lointains, à rire ou pleurer sur nos humeurs respectives sans se douter que Cupidon nous avait élus couple de l’éternité ? Du lundi au dimanche, tu m’as fait rapidement inverser le fil du temps en me persuadant que du dimanche au lundi c’était quasiment la même chose, et que j’avais peu de temps pour simplement te signifier mes doux émois. Soucieux de ne pas te contrarier, j’ai cru bon de ne pas vérifier cette attirante mathématique, et mon cœur en baluchon, je suis venu définitivement dormir dans ton lit. Je voudrais m’éveiller la nuit pour te regarder dormir, percer le secret de tes rêves, oser te serrer follement sans troubler ton adorable repos. Sans m’en douter, je suis devenu prisonnier de ton corps, délicieusement troublé par la magie de nos étreintes. Quand je suis dans toi, j’oublie le monde et ton plaisir m’entraîne dans un tourbillon merveilleux. Tu es belle mon amour, quand tu t’étonnes de mes audaces, tu les guettes, tes courbes cherchant l’effleurement d’une main impatiente, fermant les yeux pour mieux savourer l’indiscrète caresse, souriant quand le vertige s’éloigne, gémissant quand il réapparaît. Tu es venue comme une étoile. Sans attendre la nuit, j’observe ton parcours à chaque instant et prie souvent le ciel de préserver ta douce splendeur. Madame La Lune m’a encore donné des idées folles : Ce soir, à la lueur des bougies, je te donnerai cette lettre et si tu insistes, je crois bien que je te dirai que je persiste et que je signe » RUPTURE « Un soleil qui brille d’une manière inhabituelle, une maison trop silencieuse, des objets qui au hasard du geste me donnent un léger frisson, un dimanche interminable avec ses fausses occupations qui perpétuent l’illusion : La célébration de ta nouvelle absence est implacable et m’emporte dans le noir, dans le néant du présent. Voilà bien longtemps qu’une musique volontairement nostalgique n’avait eu un tel impact sur mes pensées. Sans relâche, avec obsession, elles reviennent vers toi, m’interdisant de concevoir et d’assimiler l’évènement. Sans cesse, je me revoie, ce soir de catastrophe au milieu de la route, contemplant ta voiture qui s’éloigne pour un trajet sans retour. Que deviendra ma vie sans l’éclat de tes sourires et le charme infini de ce qui était ton amour ? Le chemin de mes prochaines semaines, désormais désert, froid et sans signification dans le fracas de ton douloureux départ, glace mon cœur et me fige sur place. J’ai l’impression qu’un voile s’est déchiré afin de mieux me montrer tout ce que j’ai perdu. Je réalise enfin combien je t’aimais, combien je t’aimerai encore au travers d’une désespérante obstination. Ton visage dansera devant mes yeux au hasard d’une conversation citadine, la sonnerie du téléphone me fera parfois tressaillir au gré d’un espoir insensé. Je chercherai l’oubli dans des nuits sans sommeil et des étreintes anonymes en essayant de chasser l’angoisse du nouveau matin. Combien, au coin d’une rue, me demanderont des nouvelles de toi sans se douter de l’implacable tourbillon qui surgira dans ma tête. Saurai-je un jour être réellement indifférent à des photos qui ne savent plus jaunir ? Et pourtant dans quelques jours, les lumières de Noël vont scintiller dans la magie d’une nuit pas comme les autres. Les boucles blondes de Nicolas vont s’étourdir devant les paquets multicolores apportés par le vieil homme mystérieux que l’on ne voit jamais. Ses lèvres en forme de gourmandise me mangeront de milliers de bises et sa frimousse subjuguée par la fête me donnera l’envie de me ruiner en sucettes à la menthe. Nicolas, mon fils, dis-moi que les grandes personnes sont bien trop compliquées, que la vie est belle, que demain sera une journée extraordinaire, que tu m’aimes, qu’il est bon de rire et qu’il est dommage que Noël soit si rare…. La sonnette dans l’entrée retentit. L’homme rangea précipitamment les quelques feuilles éparses sur la table et se leva. Il sourit en entendant le rire cristallin d’un enfant de trois ans et ouvrit la porte. C’était un dixneuf décembre, il était quinze heures. » RENOUVEAU « Alors que la ville dort dans la sagesse d’un milieu de semaine, quelques lumières attardées me font imaginer l’amour sauvage de couples sans visage. Ma porte s’est refermée sur une silhouette aux contours aguichants, qui dans un éclat de rire désarmant m’a donné un dernier baiser brûlant. Gagné par l’indicible paresse que donne le plaisir, je ne peux m’empêcher de sourire, me sentant comme complice de ces élans tardifs. Les vêtements épars succédant à l’ordonnance d’un dîner aux chandelles, ma chère musique rythmant mes audaces successives, je l’ai entraînée, elle, l’inconnue du mois dernier, vers l’île déserte qu’était devenu mon cœur...... A cause de tout cela, ce soir, une force invisible m’a donné l’envie de t’écrire une dernière fois pour te dire que le Verlaine des mauvais jours avait dit adieu à ses tourments. Que décembre me paraît loin ! Je n’ai eu aucune nouvelle de toi, me gardant bien de les rechercher. Pendant tous ces mois, je n’ai eu qu’une drôle de vie. Celle qui n’était peuplée que de gestes et de pensées mécaniques, laissant trop souvent la place à ce que j’imaginais pour toi ; un nouveau bonheur rehaussé par mon absence. Abasourdi par la tempête de notre rupture, j’avais acquis l’affreuse certitude d’un échec sans appel. Je m’habillais le matin comme si j’avais encore à te plaire alors que le soir j’évitais soigneusement les endroits qui nous servaient de repaires. Je découvre aujourd’hui toute la relativité de mes émois, la fragilité du doute face à l’amour de la vie, la frénésie de connaître de nouvelles certitudes. Les papiers tachés de mon existence gisaient en désordre un peu partout. Puis l’infatigable cupidon me les a fait ranger au fond d’une armoire dont il a caché la clef. Ce soir je veux t’écrire et pourtant, une voix intérieure, celle qui dit toujours non, surtout quand on a dit oui, me reproche avec véhémence cette envie, en me démontrant dans un tourbillon de pensées lancinantes l’absence de tout intérêt à cette démarche et l’inutilité de revenir en arrière. Il est vrai, que depuis que je suis sur terre, je suis régulièrement agressé par ma voix intérieure qui ne connaît que légitimité et continuité sans jamais vouloir faire de rime avec intimité. Malicieuse, elle va sans doute me conseiller un simple temps de réflexion supplémentaire, me rappeler que je n’ai pas de timbre ou plus insidieusement m’accaparer par les soucis du lendemain. Et pourtant, moi seul, sait, au milieu de la nuit, dans la plénitude d’une joie retrouvée, que le rideau noir s’est enfin levé sur l’horizon de mes émois. Au petit matin, je téléphonerai à ma nouvelle sirène pour savourer le délicieux plaisir de prononcer son nom, d’entendre le gazouillis de sa douce voix et fixer l’heure de nos retrouvailles. Je lui cacherai l’existence de ces mots. En effet, comment lui expliquer au milieu de mille baisers qu’au-delà de mes regrets, tu es devenue une simple amitié ? Est-il nécessaire de la troubler par le doute qu’engendre le passé ? Bien sûr que non, car dans peu de temps je n’aurai qu’une impatience : Pouvoir m’entendre lui dire au hasard d’une rencontre fortuite « tiens, je te présente une amie », sans ajouter « dont je suis guéri ». Ne répond surtout pas à ces mots car je sais que tu ne pourrais que m’offrir de nouveaux maux. »