Analyse du film F for Fake (Mensonges ou vérités) d`Orson Welles

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Analyse du film F for Fake (Mensonges ou vérités) d`Orson Welles
F for Fake d’Orson Welles
Explications, analyse, et avis personnel
par Billy Felicie, 2A
ESBA TALM 2015
Les années 1970 sont marquées par une agitation politique et artistique importante.
L’art a évolué par la Nouvelle Vague française (tout autant dans l’art plastique qu’au cinéma)
et les dadaïstes. La société va remettre en cause de nombreuses politiques de l’époque, ayant
un côté protectionniste trop marqué. C’est par exemple le cas de la censure au cinéma portée
par l’Office National du Film. Orson Welles fait partie de ces artistes censurés par l’ONF ou
les producteurs. C’est en produisant ses propres films qu’il pourra s’émanciper de la censure.
Influencé par les nouveaux mouvements artistiques de l’époque (Jean-Luc Godard pour n’en
citer qu’un) et par une censure inexistante, il va réaliser son dernier film F for Fake (Mensonges
et Vérités). Ce documentaire de 1973 traite à première vue du faux ; l’histoire de plusieurs
faussaires, des débuts de Welles à la radio, d’Oja Kodar… Dès le début du film, Orson Welles
annonce :
« Ce film traite de tricherie, de fraude, de mensonges... Racontée chez soi, dans la rue ou au
cinéma, toute histoire est presque sûrement un mensonge. Mais pas celle-ci ! Tout ce que vous
verrez dans l'heure qui suit est absolument vrai »
Je vais tenter de m’intéresser à ce film qui a indéniablement changé notre perception du cinéma, afin de proposer un avis personnel et constructif. Je commencerai par une description
technique de ce film, avant de l’analyser et l’interpréter, afin d’en conclure par mon ressenti et
mon avis personnel sur ce film.
F for Fake est un documentaire. Larousse définit ce genre comme « à caractère didactique, visant à faire connaitre […] ». Cette définition s’applique à ce long métrage, qui
cherche à « faire connaitre » la vie de différents faussaires. Mais il n’est pas composé que de
l’histoire d’Elmyr ou d’Irving, mais d’une multitude d’autres histoires. Il faut donc qualifier ce
film d’essai sur la création cinématographique et sur le mensonge. Il est composé de tours de
magie, d’interviews réelles, de manipulation d’évènements qui n’ont pas tous eu lieu...
Le réalisateur utilise de nombreux stock footages qui proviennent des chutes d’un autre film,
mais également de passages inédits qu’il a filmé lui-même, ou que sa femme Oja Kodar a
réalisé. A l’origine, Welles a voulu en effet utiliser les chutes d’un documentaire réalisé par
François Reichenbach sur le faussaire Elmyr de Hory, tout en les combinant avec d’autres
images. Mais pendant la réalisation du film, l’actualité parlait d’un tout nouveau faussaire ;
Clifford Irving aurait réalisé une fausse autobiographie du faussaire Elmyr. Se retrouvant avec
deux menteurs, il recommence son film en décidant de s’y inclure en tant que troisième faussaire via ses débuts dans la radio et sa pièce radiophonique The War of the World. Il va également monter une histoire entre Picasso et Oja Kodar, qu’il va ensuite avouer fausse.
Il y a 6 histoires entremêlées dans F for Fake. Les deux premières sont les histoires d’Elmyr
et d’Irving, deux faussaires. La troisième histoire est celle de Welles, qui va parler de ses
débuts en tant qu’« illusionniste » par la pièce radiophonique The War of the Worlds (La Guerre
des mondes, 1938)1. La quatrième histoire concerne celle du milliardaire invisible Howard
Hughes, la cinquième celle d’Oja Kodar, et la dernière moins évidente étant celle de la création
du film lui-même. Ces histoires vont suivre la même temporalité, celle du documentaire, du
raisonnement.
Ironiquement, Byron Haskin va proposer une adaptation en 1953 de La Guerre des mondes qu’il va également bidouiller à sa sauce. Des
scènes sont rajoutées, les aliens vont rencontrer le président des Etats-Unis. Les martiens vont être un substitut évident aux troupes communistes. (Ils viennent de la planète rouge après tout !). Ce film n’est vraiment pas terrible. Un faussaire de plus, donc.
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Schématisation (un peu brouillon, j’admets) de l’enchaînement des différentes histoires au début du film.
Cette analyse technique de ce documentaire nous permet de l’interpréter en détail.
Le terme « documentaire » que nous avons défini plus tôt me semble sujet à controverse, car
il n’est pas systématiquement le reflet de la réalité. Lorsqu’un cinéaste enregistre le réel, il
sélectionne ce qu’il veut montrer à l’écran. Il va choisir ce qui restera dans le champ (le sujet)
et ce qui sera hors-champ (Ce qu’il va juger inutile). De plus, il va choisir les personnages du
documentaire, de façon à avoir un équilibre dans la narration. Il est également question des
mouvements de caméra, du montage, etc. Donc il semblerait justifier de penser qu’un documentaire est forcément une fiction quoiqu’il arrive. On ne peut donc pas parler de fidélité parfaite au réel dans tous les cas. C’est d’ailleurs l’avis du réalisateur Frederick Wiseman :
« En réduisant une action à deux ou trois heures (…) on élimine tout le fardeau de
l’ennui. Par exemple, quand j’ai tourné Hospital, il y avait des jours où il ne se passait rigoureusement rien, et puis, tout à coup, se présentaient toutes sortes d’événements. Finalement, le
film montre plus ces événements-là que la longue période où il ne se passe rien... (...). Dans un
documentaire, il y a toujours distorsion : d’une certaine manière, le film documentaire reste
une fiction du réel... » 2
Il convient également d’étudier la structure du film. Trey Parker,
co-créateur de South Park, va proposer une méthodologie de
montage lors d’une conférence à New York University3. Une
histoire se compose d’une multitude d’évènements reliés entre
eux. Ce lien entre ces évènements ne peut être « And then »
(Et puis), car l’on se retrouve avec une succession d’évènements sans valeur, qui sont interchangeable entre eux. C’est
généralement ce qui arrive au cinéma Hollywoodien, où le héros va choisir de faire une action,
puis une autre, puis une autre… Ce lien doit être relié à une logique, celle du « Therefore»
(« Par conséquent ») et « But » (« Mais »).
« Rencontre avec Frederick Wiseman », Revue du cinéma, mars 1979, n° 337.
Conférence à la Tish School of the Arts à Ney York ; « Storytelling Strategies », http://www.mtvu.com/shows/stand-in/trey-parker-mattstone-surprise-nyu-class/ (2011)
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3
Ce processus est utilisé par Orson Welles. Sauf qu’au lieu de connecter des évènements, il
connecte des idées. Voici un exemple tiré du film :
 Séquence 1
« You’re a painter… Why do you want people to do fakes ? »
BUT
« Because fakes as good as the real ones, and there’s a market and a demand! »
 Séquence 2
THEREFORE
« If you didn’t have an art market, then fakers could not exist. »
L’intégralite du long métrage s’articule de cette façon, via une connexion logique d’idée entre
les séquences.
Le second point concernant la structure du film est la présence de multiples histoires étudiées
en parallèlle. Hitchcock appelle ce phénomène « Meanwhile, back at the ranch »4 ; Lorsqu’on
atteint le climax d’une situation, on retourne à l’autre. On remonte l’intérêt de ce dernier, avant
de repasser à celle qu’on avait laisser. Welles va également utiliser ce procéder.
Cette addition de deux techniques cinématographiques permet d’obtenir un essai artistique
convaincant, nous restons concentrés durant tout le long du film sans se perdre dans le fil des
différentes histoires.
4
Commentaires audio de John Sturges du film Bad Day at Black Rock (1955)
Nous ne nous perdons pas, mais nous restons incertains. Et c’est là tout l’intérêt du film, ce
qui le rend unique : le fait que le narrateur soit indéfinissable. Durant le visionnage il semble
presque impossible de déterminer si Welles est DANS le film, ou s’il en est EXTERIEUR. Nous
comprenons, mais restons confus. Il semble également intéressant de noter qu’il est difficle
d’admettre Orson Welles comme réalisateur total du film. Comme nous l’avons vu dans la
première partie, nous ne savons pas de qui proviennent les séquences. Certaines sont des
chutes d’un autre film qui n’a presque rien à voir, d’autres ont été réalisées par Oja Kodar,
d’autres par Welles...5
La première heure du film est consacrée à une histoire de faussaires. Orson nous a prévenu,
néanmoins, que cette heure sera l’unique moment où la vértié serait racontée.
La séquence de la cathédrale de Chartres sert de pivot au film, c’est le moment où l’on passe
de vérité à mensonges. La cathédrale de Chatres est un symbole de son idéologie.
L’architecture se suffit à elle-même, irréductible aux artistes qui en sont l’auteur. Welles va
étendre cette vision à l’art pendant le film, en disant explicitement « Il n’y a pas d’artistes,
seulement des œuvres ». A partir de ce moment, le film prend une tournure de faux : l’histoire
avec Picasso et Oja Kodar, inventée de toutes pièces.
Ou serait-ce un point de pivot de mensonges à vérité ? Toute l’histoire de faussaires… est
fausse. La preuve en est : il n’y a jamais deux personnages sur le même plan.
La scène du débat où ils se regardent un moment sans se parler est intéressante. Elmyr dit
« Je n’ai jamais signé un seul tableau. », un mensonge qui laisse Irving sans voix. Nous,
spectateurs, ressontons la scène. Nous ressentons dans le regard d’Irving la haine qu’il
éprouve, nous pourrions presque nous attendre à ce qu’il s’énerve contre lui « Mais tu
rigoles !? »
C’est une situation intéressante car justement, à cette époque, l’image de Welles a été tachée par des rumeurs sur son implication dans
Citizen Kane (1941).
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Alors que cette scène n’existe pas. Elles furent tournées à deux instants différents, dans des
contextes fatalement différents. C’est selon moi la scène la plus prenante et intéressante du
film (Bien plus que la scène de la cathédrale, qui ne transmet qu’une idée).
Cette histoire de faussaires est fausse… mais l’histoire de Picasso et d’Oja Kodar n’est pas si
fictive. Après avoir lu une partie de sa biographie sur Oja Kodar6, j’ai réalisé que Picasso était
en fait Orson Welles. Ce n’est pas Picasso qui va avoir un nouveau style par la rencontre de
cette femme, mais Orson Welles qui change littéralement de style. Joseph McBride l’appelle
« La période Oja » (The Oja Period)7. Le film retrace donc sa propre vie, celle avec Oja Kodar,
et avec son combat contre les producteurs8.
J’ai personnellement du mal à comprendre pourquoi ce film est considéré comme une
œuvre mineure. J’ai trouvé la juxtaposition des histoires agréable. J’ai trouvé intéressant le fait
de réfléchir, pendant le film, sur la réalité d’une scène par rapport à l’autre. C’est pendant le
second visionnage du film, après analyse, que j’ai réellement profité pleinement de l’œuvre
d’Orson Welles, à chercher pourquoi il relait une séquence à une autre. Ce qui me bluffe, c’est
l’écriture instanée du film. J’ai eu cette impression que Welles tournait certaines scènes du
film au fur et à mesure qu’il le montait.
Ce film est selon moi unique, tout aussi bien sans le sujet abordé que dans sa structure. Il
amène à une certaine réflexion sur le cinéma, sur la technique, et sur notre expérience en tant
que spectateur. Il semble assez décevant de savoir qu’il était pourtant considéré comme « peu
rentable » par les producteurs.9 Il reste néanmoins indégnable que F for Fake a ouvert la voie
vers une édition plus moderne du cinéma.
Welles, Orson; Bogdanovich, Peter; Rosenbaum, Jonathan (1992). This is Orson Welles. New York: HarperCollinsPublishers
What Ever Happened to Orson Welles?: A Portrait of an Independent Career, par Joseph McBride
8 Certains de ses films ont même eu le droit à de nouvelles scènes. C’est le cas de The Magnificent Ambersons (1942) ou Touch of Evils
(1958).
9 Article du Huffington Post « La soif du mal d’Orson Welles ».
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/07/11/2545739_a-ne-pas-manquer-la-soif-du-mal-d-orson-welles-sur-arte.html
6
7
Post-Scriptum
J’ai eu du mal à trouver des avis concrets sur ce film. En général les commentaires parlent de la
magnificience du tournant du film, avec la cathédrale de Chartres. Je n’ai vraiment pas trouvé cette
scène « si » intéressante que ça, j’ai cette impression qu’elle est utilisée dans les critiques pour sa
simplicité. C’est le tournant du film, on passe de vérité à mensonges, symbolisme sur l’authenticité
d’une œuvre, et hop’ j’écris une critique de film réussie. Selon moi la vraie réussite, ce sont les
dialogues, comme ce jeu de regards pendant le débat. J’ai du mal à comprendre comment une
critique peut parler de ce film sans parler de cette scène.
Je suis allé à la médiathèque afin de trouver des livres intéressants sur le sujet. J’ai également fouillé
sur internet, mais c’est vrai qu’on se retrouve avec des auteurs qui survolent le sujet. J’ai utilisé des
articles comme « Le réalisme au cinéma » par Denis Levy, « Analyse de F for Fake » par Dimitri
Panopoulos, « L’épreuve du réel à l’écran : Essai sur le principe de réalité documentaire » par
François Niney

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