Les Mégalithes de la rivière la Sensée (Nord)
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Les Mégalithes de la rivière la Sensée (Nord)
Léon Desailly Les Mégalithes de la rivière la Sensée (Nord) In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1923, tome 20, N. 6. pp. 183-192. Citer ce document / Cite this document : Desailly Léon. Les Mégalithes de la rivière la Sensée (Nord). In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1923, tome 20, N. 6. pp. 183-192. doi : 10.3406/bspf.1923.7400 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1923_num_20_6_7400 SOCIÉTÉ PREHISTOHIQUE FRANÇAISE 183 Les Mégalithes «le la rivière la Sensée (I4'ord). l'Ail L. DESAILLY Nous désignons sous ce titre un groupe de cinq monuments très voisins, érigés autour des étangs créés par la rivière la Sensée, entre les villages de Lécluse et de Palluel (Nord) (1). Ces mégalithes ont été très souvent décrits, mais il nous a paru intéressant de donner un aperçu de l'état dans lequel la guerre les a laissés et d'y joindre, en même temps, quelques observations per sonnelles suggérées par leur étude. Ils se trouvent à 12 kilomètres environ au sud de Douai, juste à la limite des départements du Nord et du Pas-de Calais. Deux d'entre eux ont été élevés le long de la voie soit disant romaine, jetée jadis Fia. 1. au travers des marécages du village de Lécluse, dans le but de former une digue de retenue des eaux. Ces divers mégalithes sont les sui vants: le menhir de Lécluse (Nord), le Menhir du Trinquige (Nord) ; la pierre de Tortequenne (Pas-de-Calais), le menhir d'Oisy-le-Verger (Pas-de-Calais), le dolmen de Hamel (Nord). On pourrait y joindre le tumulus des sept bonnettes, de Sailly-enOstrevent. (1) Consulter la carte, Douai, S.-O. au 1/50.000*. 184 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 1° Menhir de Lécluse (1). Ce superbe menhir, incontestablement le plus beau de toute la région du Nord de la France, fut culbuté par les allemands durant l'occupation. Ils en provoquèrent la rupture en interposant dans la direction où ils l'abattirent, les blocs de calage, a, qui formèrent une arête sur laquelle ce grès, en tombant, se brisa en deux pièces. L'opération fut très facile : une fouille au pied du menhir, une traction par corde à sa partie supérieure suffirent pour jeter à bas cette pierre colossale. Je me suis empressé de signaler ce trait de vandalisme à M. le Mi nistre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. Celui-ci, après une demande de projet de réparation et de devis, a bien voulu m'informer, par une lettre datée du 22 novembre 1922, qu'il avait donné l'ordre au service des monuments historiques du Nord, de faire procéder en 1923 aux travaux de remise en état de ce menhir. L'acte de sauvagerie des allemands a permis de constater que le mégalithe était très peu enfoncé dans le sol : 1 mètre à peine au lieu des 4 à 5 mètres indiqués par les divers auteurs, comme résultant de fouilles faites en 1788 par le marquis de la Ryandcrie (2). Le menhir de Lécluse est généralement appelé la pierre du diable, quelquefois la pierre des pierres, la roche des pierres (3). Le nom de pierre du diable provient de ce qu'on a cru apercevoir sur l'une de ses faces la figure d'un diable à profil humain, à très longue queue, et ayant dans son bras une tète de bélier. Il nous a été impossible de distinguer ces diverses gravures. Si jamais elles existent réellement, elles doivent figurer sur la face de la pierre actuellement engravée dans la terre par suite de sa chute. (1) Voir de Moktjllet. — Revue Anthropologique, nos 7 et 8, 1917. (2) P. de Givenciiy. — Mémoires de la Société des Antiquaires de la Mor in te , 1834. (3) Et non l'Rpierre, comme» l'écrit M. de Mortu.let. SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 18o Pour montrer avec quelle facilité se créent les légendes dans les villages, il n'est pas sans intérêt de signaler ici que de divers côtés il nous a été affirmé que ce grès, pourtant d'une dureté extrême, avait été scié par les allemands pour en provoquer la rupture. 2° Le Menhir du Trinquige. Nous appelons ainsi une pierre signalée par Terninck au Congrès archéologique d'Arras en 1880, comme se trouvant sur le territoire de Tortequcnne. En fait, c'est sur celui de Lécluse qu'elle a été élevée, à 25 mètres du pont de la rivière le Trinquige, séparant les deux communes et les deux départements. M. de Mortillet la décrit comme suit (1) : « On a signalé à la limite de Tortequenne (Pas-de-Calais) et celle Fig. 3. « « « « « « « de Lécluse (Nord) un menhir. C'est un bloc naturel de grès de forme assez bizarre dont la surface est complètement lisse. Le sommet de la pierre est orné de deux bourrelets qui sont fortement renflés à la partie supérieure et soudés l'un à l'autre. Les renflements ont la même forme, mais l'un d'eux est un peu plus long et plus gros que l'autre. Cette pierre a été presque complètement enterrée lorsqu'on a rehaussé la route qui réunit les deux villages. (1) De Mortillet. — Congrès S. P. A. S. de Boulogne-sur-Mer, 18У9 ; il n'en fait plus mention dans sa note de 1917. 186 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FHANÇAISE « On n'en voit plus actuellement que le sommet qui ne dépasse laterre « que d'une vingtaine de centimètres et mesure quarante-huit centi« mètres de largeur, nous ignorons la longueur de ce grès. Après quelques recherches, je suis parvenu à retrouver cette pierre absolument enfouie sous le sol. J'ai fait exécuter une fouille autour d'elle jusqu'à une profondeur de 1 m. 25 environ. J'ai constaté que les bourrelets signalés par M. de Mortillet se prolongeaient en profondeur. Un vieil habitant du pays, présent à la fouille, m'a indiqué qu'il s'en trouvait sept consécutifs. Les trois premiers mis à découvert, dessinent la forme d'un bouclier ogival rappelant celle d'un écusson. Fig. 4. Cette pierre doit émerger de l'ancien sol de plus de 4 mètres ; je me disposais à la faire fouiller jusqu'au pied, lorsque je fus avisé qu'elle se trouvait à nouveau enfouie sous les décombres d'une mai son voisine abîmée par la guerre. On pourrait facilement de dégager ce menhir et de l'isoler des remblais du chemin par des murs appropriés. Quoiqu'il s'agisse d'un bloc naturel, non travaillé par l'homme, il serait fort intéressant d'en assurer la conservation. 3° Pierre de Torlequenne. L'existence de ce grès n'a pas encore été signalée. Il est dressé dans la cour d'une ferme du village de Tortequenne, assez voisine de la rivière le Trinquige. Il ressemble étrangement à son voisin le menhir duTrinquige,mèmes bourrelets, même forme d'écusson ogival ; malheureusement il a été mutilé comme l'indique le croquis (Fig. 5). Il est également engagé dans un remblai et ne saillit du sol actuel que de 0 m. 55 environ. SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 187 Ce grès se trouvant dans une propriété particulière ne peut guère être fouillé. C'est cependant la seule façon de savoir s'il constitue réellement un menhir. Cette pierre et sa voisine du Trinquige ne sont peut-être autre chose que des grès dressés et conservés à cause de leur forme spé ciale rappelant celle signalée par le Rouzic dans son opuscule intitulé « Carnac » (1913). Fig. 5. 4° Menhir d'Oisy-le-Verger, aussi appelé le gros caillou du Vieux Marais. Malgré le voisinage du grand canal du Nord, pour la possession duquel se sont donnés tant de violents combats, le menhir d'Oisyle-Vergé est resté intact ; il est vrai qu il se trouve au milieu d'un immense marais récemment asséché et par conséquent peu access ible. La tradition prétend que ce mégalithe était autrefois complète ment recouvert par les eaux, et, à l'appui de ce dire, les habitants du pays et spécialement les pêcheurs affirment que dans les étangs voisins, il existe encore plusieurs pierres plantées debout. Comme il est évident que les hommes préhistoriques n'ont pu dresser des pierres dans l'eau, ni même dans des marais où le niveau de celle-ci affleure presque à la surface, il faut nécessairement admettre que le Menhir d'Oisy-le-Verger a été édifié sur le sol argileux-glaiseux, imperméable, qui existait dans la région avant la formation de la tourbe, sur laquelle il semble aujourd'hui reposer. On est ainsi fixé sur l'époque géologique de son érection. 188 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE II est, en effet, impossible d'accepter les traditions ayant cours dans le pays et d'après lesquelles, ce mégalihe, planté dans le dépôt tourbeux, s'y enfoncerait d'année en année, au point qu'il s'y trou verait enterré de plus de 8 mètres (1). La vérité est que les étangs et les marécages qui entourent le lit de la Sensée, sont d'une formation relativement moderne, et que le ig. 6. monument d'Oisy-le-Verger a été élevé avant l'affaissement qui leur a donné naissance. Cet accident géologique s'est produit durant la période holocène, c'est-à-dire au quaternaire supérieur. A cette époque, qui corres(1) Brkan, de Mortillet, etc. SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 189 pond a un réchauffement de la température résultant du recul des glaces, il y eut tout d'abord un exhaussement du Continent du Nord de la France par rapport au niveau de la mer (1), qui permit aux hommes de s'y établir. Mais plus tard, un affaissement lent et pro gressif provoqua une nouvelle inondation des vallées, où une eau courante et peu profonde favorisa la formation de la Tourbe. En fait, tous les dépôts tourbeux des rivières du Nord de la France appartiennent à cet âge géologique correspondant à ceux de la pierre polie et du bronze. La tourbe, en se déposant, enveloppait les objets élevés sur le sol primitif. C'est ainsi qu'à Abbeville, par exemple, on a trouvé dans 5 à 6 mètres d'épaisseur de tourbe, des arbres sur pied, encore enracinés dans la terre végétale. Le Menhir d'Oisy-le -Verger est dans le même cas que ces arbres : édifié durant l'époque holocène, il fut, par la suite, entouré par les dépôts tourbeux desquels il émerge actuellement. Ce monument porte sur ses faces diverses perforations. Sur lune d'elles, on y voit, dit-on, le Soleil. En effet, on remarque sur la face exposée au Midi, un creux de forme circulaire, d'un diamètre à peu près régulier de 0m50 {Fig. 6), mais de profondeur inégale, dû à un éclatement naturel. Toutefois, il reste à se demander si с est volon tairement que cette cavité circulaire a été exposée précisément du côté où se montre le Soleil. Sur la face Noťd, à la partie supérieure de la pierre, on remarque deux cavités oblongues de 0m06 de lon gueur, dont l'ensemble présente la forme générale d'un pied de bovidé. Ici encore, on doit voir un Jeu de la nature. 5° Le Dolmen de Hamel (2). Ce dolmen a été fort souvent décrit, et si nous y revenons c'est pour parler des gravures que porte la face supérieure de sa table. Celle-ci, aujourd'hui tombée de ses supports, mesure 3m25 sur2m50. Sa surface supérieure est parsemée d'une douzaine de cavités cylin driques de la capacité d'un verre à boire ordinaire, de 7 à 8 centi mètres de diamètre, et autant de profondeur. Celles qui se trouvent dans la partie haute de la pierre, au nombre de huit, sont complét ées par des rigoles ayant toutes des directions sensiblement paral lèles et d'une longueur de 0ml0 à O'"12. Ces cupules, avec la rigole attenante, sont comparables à la trace que laisserait dans la glaise un coup de talon violemment donné. Aussi, les paysans ont très bien interprété la forme de ces gravures, puisqu'ils ont donné à ce monument le nom de Pierres aux savates, • (1) Gosselet. — Esquisses géologiques du Nord de la France. (2) Voir de Mortillet. — Revue Anthropolagique, n° 7, 1917. 190 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE ou Pierre savate, qu'ils prononcent dans leur patois chavatte ou chawatte, selon la grossièreté de leur prononciation (1). Toutes les personnes du pays que j'ai interrogées sur place sont unanimes à indiquer cette etymologie, tellement bien établie qu'elle m'a été confirmée, au dolmen même, par un gamin d'une dizaine d'années, qui me fit voir sur la pierre les gravures dont la forme a motivé le nom populaire. C'est donc à tort que tous les auteurs, d'ailleurs étrangers au pays, ont cru voir dans le mot cbavatte ou chawatte, le nom patois de Chouette; il n'en existe d'autre, pour désigner cet oiseau, que celui de « Cahuant » (2). Fig.l. — Gravure en forme de savate de l'arrière-pied. Que la table du dolmen de Hamel soit la Pierre aux savates, ou aux chouettes (3), il n'en est pas moins constant qu'elle porte à sa partie supérieure, huit gravures ayant la forme d'une savate de l'arrière-pied, encore munie du talon. Il en existe quelques autres simplement cylindriques dépourvues des rigoles adjacentes, mais toutes ressemblent à des petits pots. De là un autre nom donné à cette pierre, c'est celui de Cuisine des Sorciers. La tradition veut, en effet, que les sorciers composaient leurs filtres dans de petits pots. Ici encore, l'imagination populaire n'est pas en défaut. Malgré l'opinion des savants archéologues qui ont parlé de ces cupules, je suis absolument convaincus qu'elles ne sont nulle ment naturelles ; je sais par expérience, et pour les avoir fait exploiter pendant plus de trente ans, que les grès tertiaires fo rmant le dolmen de Hamel, portent parfois des perforations des diverses formes. Mais ce n'est pas le cas ici, celles qu'on y voit ont été creusées, ou tout au moins régularisées par l'homme qui leur a donné la même forme, les mêmes dimensions et les a polies, pour la plupart. ■ (1) Le patois de Yalenciennes-Douai n'est nullement le Wallon. Il dérive du patois picard. (2) IIécaht. — Dictionnaire Houchi français. (3) Pourquoi ce nom ? Rien n'établit que ces oiseaux y font un séjour quel conque et habituel. S0C11ÍTÉ PUKH1ST0R1QUE FRANÇAISE l9l De plus, elles ont été volontairement disposées pour que leur ensemble représente une constellation qui est celle de la Grande Ourse. A vrai dire, on y trouve huit cavités au lieu des sept habituelles, mais il est permis de croire que cette huitième pourrait constituer le pied postérieur gauche, étoile de troisième grandeur, que l'on considérait jadis comme faisant partie du système. Fig. 8. — La Pierre aux savates du dolmen de Hamel. Les cupules 1, 2, 3, 4, sont cylindriques, les autres ont la forme d'une savate de l'arrière-pied. — Echelle : 0"03 par mètre. Est-ce que le hasard est capable de fournir un pareil ensemble ? Nous ne le pensons pas et nous n'hésitons pas à conclure que la table du dolmen de Hamel est une pierre à cupules donnant un dessin de la constellation de la Grande Ourse. La pratique de des siner la Grande Ourse sur des monuments funéraires se pratique encore aujourd'hui dans l'Annam (1). (t) Gaillard. — Astronomie préhistorique, p. 156. 192 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 6° Le Tumulus des Sept Bonnettes à Sailly- en-Ostrevent (1). Ce monument a beaucoup souffert de la guerre. Situé à la cote la plus élevée du pays, il fut naturellement choisi par les Allemands pour l'installation de batteries. Une galerie descendante pour refuge fut creusée sous sa butte. L'une des six bonnettes restantes fut brisée. J'en ai informé le Préfet du Pas-du-Calais, qui, par l'organe du président de la Société historique de ce département, m'a informé qu'il allait faire procéder à la réparation. J'aurais voulu donner une description détaillée de ce monument, en relevant mathématiquement ses diverses dimensions et orien tations, maia j'ai reconnu que les instruments dont j'étais porteur lors de ma visite, étaient insuffisants pour donner à notre travail les précisions nécessaires. J'y reviendrai en 1923. Mais d'ores et déjà, je peux mentionner les points suivants : 1. Le tumulus est absolument de forme allongée, les deux axes présentant une différence d'environ 10 mètres (38 X 28m). 2. Les bonnettes à peine calées au terrain par des pierres sèches n'ont pu servir de fondation à des constructions exigeant de la solidité, — un moulin, par exemple. 3. Les pierres ne portent aucunes traces de chauffage. 4. Le nom de « bonnettes » pourrait dériver du patois : on con naît la légende attribuée à ce monument : sept jeunes filles qui avaient dansé sur le Tumulus pendant les offices furent transfor mées en pierres. Or, on lit dans le Dictionnaire Rouchi-français d'Hêcart, au mot « bonnette », les explications suivantes : Bonnette, par antiphrase pour méchante, s'emploie d'une manière absolue : ch'est eune bonnette. (1) Voir de Mortillet. — Reçue d'Anthropologie, 1918. AVIS AUX AUTEURS Les dessins qui sont fournis à l'appui des communications faites doivent, pour être reproduits convenablement et... économiquement, être établis sur papier très blanc, avec de l'encre très noire ; par conséquent, ne pas employer d'encre de couleur. Tous les traits, toutes les indications, les chiffres, les inscriptions, doivent être assez gros pour rester lisibles après les réductions nécessaires. J. BOSSAVY, Gérant. — Le Mans, Imp. Сн. Monnoyer, 1923.