Bordeaux : la polémique Tariq Ramadan

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Bordeaux : la polémique Tariq Ramadan
T Ramadan padak
Bordeaux : la polémique Tariq Ramadan
A la Une / Bordeaux / Publié le 25/03/2016 . Mis à jour à 08h27 par denis lherm
Virginie Calmels, première adjointe LR au maire de Bordeaux, Naïma Charaï, conseillère régionale PS,
s’opposent à la venue du théologien musulman, ici en 2011 à Bordeaux. ©
photos archives fabien cottereau, céline levain et thierry david
Article abonnés La venue de l’islamologue ce samedi suscite un
tollé, de droite à gauche. Mais sa conférence aura bien lieu.
«Les clés du vivre ensemble ». C'est sur ce thème bien
consensuel que l'islamologue suisse Tariq Ramadan est
censé intervenir au Palais des congrès de Bordeaux,
samedi soir. Mais sa venue déclenche depuis hier une
vive polémique. Du Parti socialiste au Front national,
tout l'échiquier politique...
«Les clés du vivre ensemble ». C'est sur ce thème bien
consensuel que l'islamologue suisse Tariq Ramadan est
censé intervenir au Palais des congrès de Bordeaux,
samedi soir. Mais sa venue déclenche depuis hier une
vive polémique. Du Parti socialiste au Front national, tout l'échiquier politique se dit scandalisé par sa
venue. Et jusqu'à la dauphine d'Alain Juppé, Virginie Calmels, qui a publié sur le site Internet d'actualité «
Huffington Post » une tribune sous ce titre : « Monsieur Tariq Ramadan, renoncez à venir à Bordeaux ».
Selon elle, sa venue pose « un problème moral ». Il viendra et, tant pis pour celle qui est promise à la
succession de Juppé, il se produira au Palais des congrès, édifice municipal géré par CEB (Congrès
Expositions de Bordeaux), sur délégation de la mairie… Tariq Ramadan est habitué à ces polémiques. Avant
de venir à Bordeaux, il s'est produit à Carros, près de Nice, la semaine dernière. Là-bas, c'est un conseiller
municipal FN qui a saisi le juge des référés pour essayer d'empêcher sa venue. En vain. Le tribunal a rappelé
la loi de juin 1881 : « Les réunions publiques peuvent avoir lieu sans autorisation préalable. » Le magistrat a
aussi rappelé que Ramadan n'a jamais fait l'objet de poursuites pénales et qu'il n'est pas établi que ses
propos ont pu porter une atteinte grave aux principes des droits de l'homme et de la tradition républicaine.
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« À 300 000 lieues »
À Bordeaux, c'est la conseillère régionale PS Naïma Charaï, présidente de l'Agence nationale pour la
cohésion sociale et l'égalité des chances, qui a tiré la première. Mercredi soir, elle a exhorté Alain Juppé à
prendre position sur la venue de l'islamologue. « Il vient de faire son entrée à l'Union mondiale des savants
musulmans, dont le président est homophobe, sexiste, antisémite et auteur d'une fatwa qui autorise les
attentats suicides. » Le cabinet d'Alain Juppé nous a déclaré, hier, que le maire de Bordeaux « est à 300 000
lieues des idées de Ramadan, dont il s'est régulièrement démarqué », mais, ajoute, qu'« il n'est pas dans les
pouvoirs d'un maire de faire interdire une réunion dès lors que le préfet ne redoute pas un trouble à l'ordre
public ». Or, sollicitée, la préfecture n'a émis aucune réserve. Toutefois, Alain Juppé aurait bien aimé être
prévenu plus tôt par CEB, l'exploitant du Palais des congrès, de la tenue d'un événement si embarrassant.
Qui prend une tournure particulière, au lendemain des attentats de Bruxelles qui a fait 31 morts.
Hier, découvrant la tribune où Virginie Calmels semble supplier Ramadan de rester chez lui, le conseiller
municipal socialiste Matthieu Rouveyre dit être « tombé de sa chaise ». Peu après, la Fédération du PS en
Gironde a officiellement interpellé les élus et les pouvoirs publics. Pour le premier secrétaire fédéral,
Thierry Trijoulet, « le climat actuel nous impose la mesure et l'apaisement, nous dénonçons avec force
les propos de ce fondamentaliste qui alimentent les sentiments de haine et de rejet de l'autre ». L'élu FN
Jacques Colombier, lui, a envoyé une lettre ouverte à Alain Juppé, lui demandant d'interdire la conférence,
rappelant que le Palais des congrès est « un établissement public municipal ». Dont Ramadan a pour l'instant
les clés.
«Le prince du double langage »
Né à Genève en 1962, marié, père de quatre enfants, citoyen suisse d’origine égyptienne, Tariq Ramadan est
un islamologue controversé. Professeur d’études islamiques contemporaines à Oxford (poste obtenu, dit-on,
suite aux pressions du sultan d’Oman), consulté comme expert par le gouvernement de Tony Blair après les
attentats de Londres en 2005, il est marqué en France par une réputation sulfureuse. Intellectuel incompris et
caricaturé pour les uns, leader d’opinion ambigu pour les autres, qui n’ont de cesse de rappeler ses
ascendances familiales, dont son grand-père, Hassan el-Banna, l’un des fondateurs des Frères musulmans.
Il dit avoir été condamné comme dangereux par Daesh car non musulman, et se voir reprocher en France de
l’être trop. Il semble toujours s’amuser, voire profiter, de la dualité qu’on lui prête.
Surnommé « le prince du double langage », un discours pour les uns ici, un langage différent pour les autres
là, séducteur dans l’âme, il se présente comme toujours réformiste. Il manie la rhétorique comme personne.
Jusqu’à demander la nationalité française, au tout début de 2016, « pour voir ». Il a donné de nombreuses
conférences en France, mais sa réputation semble maintenant dans la position d’un Dieudonné, que l’on finit
par résumer à ses provocations. Il a récemment condamné les attentats de Bruxelles, avec cette précision : «
Les actions mais jamais définitivement les hommes, parce que je n’ai pas cette autorité. »
D. L.
Le « no comment » des musulmans de Gironde
Ni l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou, ni Mahmoud Doua, l’imam de Cenon, au nom de l’Association des
musulmans de Gironde, n’ont voulu commenter la polémique hier. « Étant donné le contexte, après les
attentats de Bruxelles, le moment n’est pas aux polémiques. C’est un moment de deuil », indiquait
Mahmoud Doua, joint par « Sud Ouest ». Néanmoins, Mahmoud Doua ajoute : « Nous nous en tenons à
rappeler les principes : Tariq Ramadan, comme chacun, est libre de s’exprimer. Rien ne démontre qu’il
représente un trouble à l’ordre public. » Et de conclure : « Nous préférons ne pas nous exprimer au-delà.
D’autant moins que le Front national s’est emparé du sujet. »
Tariq Ramadan est samedi l’invité d’une association fondée en 2014, jusqu’ici discrète, In Peace Event, dont
le siège est à Floirac et le local à Bordeaux Bastide, organisatrice, selon sa page Facebook, de tournois de
futsal, de séjours à la neige, ou partie prenante de « maraudes » auprès des précaires avec l’ONG bordelaise
Graines de solidarité. Nous n’avons pas pu joindre le président d’In Peace Event (IPE), Azzedine Majnani,
hier soir. Tariq Ramadan devait partager la tribune samedi avec Edgar Morin, avec lequel il a publié un
dialogue intitulé « Au péril des idées » aux Presses du Châtelet. Selon le site d’IPE, le philosophe s’est
désisté en raison d’un engagement en Tunisie.
Auparavant, le théologien musulman suisse avait été l’invité en avril 2011 du Forum Events de Bordeaux
École Management. Le 11 octobre 2008, sous l’égide de l’Association des musulmans de Gironde, il avait
tenu un débat avec Tareq Oubrou sur le thème « Religion : entre émotion et raison ». Des captures vidéo de
ce débat sont visibles sur Youtube et Dailymotion. Mais les relations entre l’AMG et le théologien suisse,
professeur à Oxford, se sont ensuite dégradées.