Elise, Armelle, Adèle et les autres

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Elise, Armelle, Adèle et les autres
Prix Charles Gide (Fondation Crédit Coopératif - année 2007)
Sarah GANDILLOT – IPJ Paris – 2ème Prix
Elise, Armelle, Adèle et les autres
L'association ELISE met en place la collecte de tous types de papiers, cartons et autres déchets de
bureau dans les entreprises de l’agglomération lilloise. L’association emploie des personnes en rupture
avec le marché de l’emploi, et des travailleurs handicapés.
Le ciel est chargé de nuages. Un crachin insolent tombe sur Wambrechies, petite ville au nord de Lille. Alexis
Pelluault, les pieds dans la boue, clope au bec, fait les cent pas devant les préfabriqués où sont installés les
bureaux du staff d’ELISE, l’entreprise de collecte de papier qu’il a créée, avec Bruno Meurat, voilà dix ans.
Un peu plus loin derrière lui se dresse l’immense entrepôt en brique rouge de 1000 m2 où les salariés
d’ARMELLE, la petite sœur d’ELISE, trient et stockent le papier avant qu’il ne soit envoyé à un sous-traitant
qui le recycle. Les camionnettes estampillées ELISE, déchargent le contenu de la collecte du matin. Puis
repartent aussitôt. Le ballet est impeccablement orchestré. Plus de 800 entreprises de la région ont aujourd’hui
choisi ELISE pour recycler leur papier. Car selon une loi de juillet 2002, toute entreprise est censée trouver
une solution de valorisation de ses déchets ; une loi assez peu appliquée dans les faits. « Avec 90 000
corbeilles distribuées dans la région, ELISE est aujourd’hui devenue championne de France du tri », se
félicite Alexis Pelluault, directeur de l’association. Les employés d’ELISE récupèrent le contenu des
corbeilles aussi souvent que nécessaire. D’une fois par jour à une fois par mois, selon les besoins du client.
C’est à la carte. Ensuite, les employés d’ARMELLE s’occupent du sur-tri. Il existe onze sortes de qualité de
papier. Il faut le trier pour pouvoir le recycler efficacement et le revendre ensuite, plus cher, aux papetiers.
Produire une tonne de papier recyclé, c’est économiser 17 arbres, 20 000 litres d’eau et 3m3 de décharge
publique. Sans commentaires.
5000 francs et une camionnette orange
L’idée a germé dans l’esprit de Bruno Meurat en 1997. Dans l’agence de pub où il travaille alors, on gâche
beaucoup trop de papier. Un constat simple qui fait tilt dans l’esprit de cet homme à la fibre environnementale
très développée. Alexis Pelluault, juriste à l'époque, propose d’apporter au projet de Bruno Meurat sa fibre
sociale. Les deux hommes décident de créer une association qui donnerait du travail à des gens en processus
d’insertion. Ils ont démarré avec 5000 francs et une camionnette orange pour la collecte. Aujourd’hui, ELISE
est une association autofinancée par son activité et qui ne cesse de s’agrandir. ELISE, comme le prénom de la
fille de Bruno Meurat. Mais aussi, en cherchant bien, comme Entreprise Locale d’Initiatives au Service de
l’Environnement. I comme initiatives et non pas, contre toute logique, comme insertion. Le terme indispose
Alexis Pelluault. Lui n’a pas le sentiment de faire dans le social. « Nous allons chercher les CV de fond de
bannette, par l’intermédiaire des missions locales, explique Alexis Pelluault. Des CV que personne ne
regarde. Mais je ne veux pas savoir ce que ces personnes là ont fait avant. A eux de me montrer qui ils sont
aujourd’hui, tout simplement. » En somme, les employés d’ELISE ont en commun un passé compliqué qui
leur bloque l’accès à des entreprises plus classiques. Des jeunes sans qualification, des chômeurs de longue
durée, des personnes parties, à un moment donné, dans la mauvaise direction. Alexis Pelluault a choisi de
compter sur eux. « Ces gens font l’effort de venir, de se lever tôt, de faire un travail fatiguant physiquement,
c’est tout ce qui importe », insiste-t-il. Les quelques cinquante employés d’ELISE (dont 13 chez ARMELLE)
sont tous embauchés en CDI, aux 35 heures. Ils ont des tickets restaurant et sont payés au Smic. « On est dans
une perspective de résultat, de rentabilité. On fait du business, mais différemment, c’est tout », confirme
Alexis Pelluault. Seule différence avec une autre entreprise : ici on laisse le temps aux gens. Le temps de
s’adapter, de se former, de faire ses preuves. « Parfois ça ne fonctionne pas. Et il faut renoncer. Nous avons
parfois été obligés de licencier pour faute grave. », concède le directeur.
Chaque jour est un match
ARMELLE, la petite sœur d’ELISE, emploie, à 80 %, des travailleurs handicapés. Elle est née il y a un peu
plus d'un an. Grâce aux bons résultats d’ELISE et au CV de Thomas, un jeune malentendant. En recevant sa
candidature, Alexis Pelluault s’est demandé comment faire évoluer ELISE vers un meilleur accueil des
personnes handicapées. Comment adapter l’association à ce public là. Il a donc créé ARMELLE. Armelle,
comme le prénom de sa fille, et comme, en cherchant bien, Activité de Recyclage pour le Maintien d’Emplois
Locaux Liés à l’Environnement.
Dans cet immense entrepôt treize employés, déficients mentaux pour la plupart, s’affairent comme dans une
ruche. Chez ARMELLE, on trie 30 à 40 tonnes de papier par jour. En plein milieu de l’entrepôt trône une
immense table sur laquelle s’amoncelle une montagne de paperasse en vrac. Tout autour, les petites mains
s’agitent. Sur le mur, les onze catégories de papier à distinguer sont inscrites à la craie. Un pense-bête bien
utile au quotidien. Listing, blanc, afnor, plastique, brochure, couleur, carion, gros mag… Pas évident de s’y
retrouver. D’ailleurs, Fabrice Mazoyer, le responsable d’ARMELLE est sans cesse sur le qui vive. « Je dois
être vigilant. C’est un travail de communication permanente. Certains ont besoin d’être très encadrés,
d’autres moins. Mon rôle est d’orienter les gens vers des activités précises. Chacun a son problème, sa
difficulté et j’en tiens compte », explique-t-il. Pour motiver ses troupes et rendre le travail ludique, Fabrice
Mazoyer a ses petits trucs. « J’organise des matchs, à la fin on voit qui a trié le plus vite sur un temps donné.
J’essaye de les associer à la réalisation de la journée afin qu’ils apprennent eux-mêmes à évaluer leur travail,
et qu’ils rentrent contents d’eux le soir. », s’enthousiasme-t-il.
« Une occasion d’aller au boulot, ça ne se rate pas »
Emmanuel, 36 ans, travaille chez ARMELLE depuis cinq mois. Auparavant, il était dans l’espace vert.
« L’ambiance est dynamique ici. La communication passe bien entre nous. Je suis bien tombé », assure-t-il.
Même s’il avoue rejoindre sa couette avec plaisir le soir venu.
Nadia, 38 ans, un sourire jusqu’aux oreilles en toute circonstance, combinaison grise et casque bleu sur la tête,
scanne les codes barres de magazines publicitaires retournés à l’envoyeur. Ceux-ci sont ensuite récupérés par
le distributeur, puis réexpédiés à d’autres destinataires. Une autre façon de ne pas gâcher le papier. A cause de
ses problèmes de dos, Nadia ne peut pas prendre place autour de la table de tri. Elle n’est pas capable de
retourner les bacs pleins de papier. Nadia est la seule fille chez ARMELLE. « Au début, ça n’a pas été facile
avec tous ces garçons. Mais maintenant j’ai fait ma petite place, tranquille, s’amuse-t-elle. Le plus dur pour
moi c’est de me lever le matin. » Tout en discutant, Nadia continue d’accomplir sa tâche, consciencieusement.
« Avant je travaillais dans un CAT, raconte-t-elle, mais je voulais connaître le milieu ordinaire. Je me suis
battue pour avoir quelque chose de convenable. Une bonne entreprise comme ça, c’est formidable. Tout le
monde y met du sien. Quand on a une occasion d’aller au boulot, on n’a pas le droit de louper ça », conclutelle.
Une fois le papier trié, il est acheminé vers le deuxième entrepôt, tout aussi grand que le premier, et déversé
dans d’immenses bennes bleues de 30 m3 chacune. Yann et Thomas, sourds-muets, pèsent les bacs. Fabrice
Mazoyer communique avec eux en langue des signes. Tout le staff d’ELISE prend des cours le mercredi
après-midi.
Côté bureau, une dizaine de personnes gèrent l’association, dans un préfabriqué, au milieu de nulle part, à côté
des entrepôts. Francis Desmulier est le directeur administratif et financier d’ELISE. Avant de rejoindre
l’association, il était gérant d’une entreprise de poids lourds. Lui ne connaissait pas ce versant là du monde de
l’entreprise. Aujourd’hui, il avoue faire plus du social que de la finance. Ce qui n’est pas pour lui déplaire.
« Ce n’est pas toujours évident de travailler avec ce public là. Il faut être patient. On leur réapprend à gérer
leur budget, le logement, la santé, on tente de trouver des solutions pour les cas de surendettement. Mais c’est
très enrichissant pour nous. Ça ouvre notre regard », témoigne-t-il. Côté finances, il a tout de même de quoi
faire. Car ELISE ne cesse de grandir. En 2003, ADELE a vu le jour, à Douai. Et en décembre 2005 s’est créée
CEDRE, « filiale » d’ELISE à Paris. Seule ombre au tableau… Adèle ne semble être la fille de personne.
Sarah Gandillot

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