Les ingénieurs des Ponts au Maroc la promo 59, l`enthousiasme et l

Transcription

Les ingénieurs des Ponts au Maroc la promo 59, l`enthousiasme et l
Les ingénieurs des Ponts a u Maroc
la promo 59, l'enthousiasme
et l'amitié des années 6 0 ,
l'héritage d'André Boulloche
Comme on le sait, les ingénieurs des ponts ont largement contribué, un peu partout dans
le monde, à préparer et à mettre en œuvre le grand mouvement de décolonisation de la
fin des années 50, puis, dans les années 60, 70, 80 à participer dans le cadre de la "coopération" bilatérale ou multilatérale au développement des pays duTiers Monde.
Jacques B O U R D I L L O N
50
Mustapha FARIS
59
L ' e x e m p l e du M a r o c est signific a t i f à bien des égards, et nous
souhaitons lui consacrer ces quelques
lignes au-delà de ce que nous avions
déjà écrit dans le numéro du Pont de
février 1997. (Voir les articles de j .
Bourdillon "35 ans d'amitié franco-marocaine, années 60 ensemble au service
du Maroc, années 90 les liens se resserrent" et de Mustapha Faris "Témoignage sur l'exemplarité des relations
entre anciens élèves français et marocains").
^
Un ouvrage collectif consacré aux Travaux Publics
Français en Afrique Subsaharienne et à Madagascar (l'Harmattan 1991) décrit la préparation des
indépendances dès 1946 dans le cadre du budget
Fides, puis, le développement de la coopération
jusqu'en 1985 dans ce secteur géographique. Il
met en évidence le rôle des Ingénieurs des Ponts
dans les différents domaines de leur compétence.
Il est certainement regrettable que le même travail
n'ait pas été fait, ni pour les pays de l'ancienne Indochine, ni pour ceux du Maghreb. Les matériaux
existent encore pour combler cette lacune, et ces
questions ont déjà été largement évoquées par "le
Pont" dans trois numéros importants : janvier
997 Enpc 250 ans, février 1997 le Maroc, janvier
998 l'année anniversaire.
La fin du p r o t e c t o r a t
français au Maroc,
la mission
d ' A n d r é Boulloche
I 6 novembre 1955 est la date du ret o u r à Rabat de Mohammed V après trois ans
d'exil à Madagascar, le 2 mars 1956 est la fin du
protectorat français et le 7 avril 1956 est celle du
protectorat espagnol et du retour du Maroc à l'indépendance, En août 1955, André Boulloche Ingénieur Général des Ponts et Chaussées, grand résistant, ancien déporté et compagnon de la libération, est appelé par Gilbert Granval au poste de
directeur général des Travaux Publics du Protectorat en remplacement de Georges Girard dont
l'œuvre avait été unanimement appréciée.
Quelques mois plus tard, il accepte le poste de
secrétaire général du Ministère des Travaux Publics auprès d'un jeune Ministre M'Hamed Douiri
(X 48) son cadet d'une quinzaine d'années. En se
mettant au service du Maroc indépendant, il estime qu'il continue de servir la France. En
lanvier 2004
Le nouveau Maroc
à la veille des années 60
quelques mois, il règle un certain nombre de
questions délicates, contribue à un véritable renouveau dans le domaine des travaux publics et
notamment à une relance spectaculaire de la formation des futurs cadres du nouveau Maroc. En
58, il devient ministre du Général de Gaulle. Il est
alors remplacé dans les mêmes fonctions par son
collègue et ami Pierre Parinet (43) assisté de Mohammed Imani (57) et de Jacques Deschamps
(50). Le Maroc indépendant est en phase
du décollage. La promo 59 des ponts que l'on
pourrait qualifier de "promotion Boulloche" comprend 6 marocains : Mohammed Bel Hadj Soulami, Abdelaziz Benjelloun, Mustapha Faris, Ahmed
Lasky, Moussa Moussaoui, Saïd Ben Ali, parmi lesquels trois futurs ministres et un futur ambassadeur... les ingénieurs marocains vont bientôt
prendre la l r e place parmi les élèves étrangers de
l'ENPC
• Le dernier Résident Général aura donc été Gilbert Granval. Il y a désormais à Rabat un Ambassadeur de France, doyen du Corps Diplomatique :
Alexandre Parodi à qui succède bientôt Roger
Seydoux. Le premier est assisté par Jacques Viot
et Pierre-Louis Blanc, le second par Jean FrançoisPoncet et Christian Graeff, l'un et l'autre se montrent particulièrement soucieux de l'efficacité et
des capacités de dialogue des fonctionnaires français encore en service dans l'administration marocain.
• La fonction de Premier ministre est confiée à
Abdallah Ibrahim, assisté d'un Vice-Premier ministre, M. Abderrahim Bouabid, chargé de toutes
les questions économiques et financières du pays,
et grand homme d'Etat.
• Le Ministère des travaux publics fonctionne de
façon parfaite sous l'autorité du ministre Abderrahmane Abdellali assisté de Pierre Parinet, Mohammed Imani et Jacques Deschamps : on va
bientôt assister au développement spectaculaire
des routes, des ports maritimes, des aéroports,
des distributions d'eau et d'électricité sous l'impulsion de Paul Clos (42), Edouard Krau (47S), et
Paul-Louis Girardot (58). La route de l'unité,
Fès-Taounate, devient le symbole de la réunification des deux zones anciennement
sous protectorats français et espagnol.
• Par ailleurs, il existe une administration du Plan
sous l'autorité de Smaïl Mahrough futur ministre
des Finances de l'Algérie indépendante, une
Caisse de Dépôts et de Gestion animée par Mamoun Tahiri, futur brillant ministre des Finances,
une Banque Nationale pour le développement
économique confiée à Aminé Benjelloun assisté
par deux inspecteurs de finances français Jacques
de Chalendar et Michel Albert dont le développement des deux carrières sera prestigieux.
Le décoilage économique
des années 60 : l'urbanisme,
les irrigations
Nous voudrions tenter de faire revivre le climat
d'amicale coopération dans laquelle de
jeunes ingénieurs des ponts marocains et
français, nouvellement arrivés au Maroc,
ont coopéré pour contribuer au développement
économique du Maroc dans les 2 secteurs clés :
l'urbanisme et les irrigations.
• Pendant la période du protectorat, le maréchal
Lyautey intelligemment conseillé par Léon-Henri
Prost avait organisé un urbanisme à la fois
respectueux des villes traditionnelles et
ouvert sur la modernité. Par la suite, le grand
urbaniste Michel Ecochard avait été appelé à s'occuper de Casablanca avec le succès que l'on sait.
Le 29/02/1960 survient la catastrophe du
séisme d'Agadir. Le pays tout entier se met
alors au travail pour une reconstruction originale
sous l'impulsion du Docteur Mohammed Benhima,
nommé Gouverneur de la province d'Agadir et de
Tarfaya, et tout de suite après, ministre des Travaux Publics, assisté par Arnaud de Montmarin
(42). Mustapha Faris (59) prend en charge le déblaiement et les travaux d'urgence. Après son départ d'Agadir, Mohammed Bel Hadj Soulami (59)
est nommé Haut Commissaire à la reconstruction
d'Agadir, il succède dans ces fonctions à M. Mohamed Imani (57). Sous l'impulsion de Pierre Mas,
de nombreux architectes de talent marocains et
français apporteront leur contribution au projet
de reconstruction : en particulier Mme Castelnau,
Faraoui, de Mazières, Ben Mbarek, Tastemain, Verdugo et beaucoup d'autres. Mais Agadir ne doit
pas faire oublier le reste : la construction de logements économiques reste un objectif essentiel :
Pierre Watel (57) et Jean-Paul Garcia (64) seront
des éléments moteurs de cette politique.
jet, avec la complicité de trois ingénieurs du génie
rural (Dutard, Perrier et Rainaut). Beaucoup
d'autres apporteront leur contribution à l'Oni,
nous pensons à Henri Boumendil (49), à Dimitri
Cavassilas (36), à Haïm Benisty (60), à Nesim Bensoussan (65) et à Robert Orsini (69). Quelques
années plus tard, l'Oni éclatera en une série d'offices régionaux : la Basse Moulouya, le Tadla, le
Gharb, les Doukkalas, le Haouz de Marrakech, le
Souss et le Loukkos. Pendant cette période relativement courte, un travail considérable a été entrepris : la plupart des grandes études régionales indispensables au pays ont été lancées,
une impulsion décisive a été donnée à la relance
de l'équipement des périmètres irrigués et à la
construction de sucreries (y compris leur alimentation en betteraves ou en cannes à sucre). A cet
égard il faut évoquer l'excellent article que Raymond Aubrac avait publié dans le Pont de février
1997 "Le sucre au Maroc".
La"ScetCoop"
main gauche de la coopération
franco marocaine
• Dans le domaine de l'hydraulique et des irrigations, le nouveau Maroc va se montrer exceptionnellement imaginatif et efficace : il est décidé de créer sous l'autorité de Mohammed Tahiri
l'Office National des Irrigations (Oni) qui
regroupera les moyens des Ponts et Chaussées et
du Génie Rural. Trois ingénieurs des ponts d'expérience : Raymond Aubrac (37), Claude Rattier
(46), et Mustapha Faris (successivement directeur
de l'Equipement, puis directeur général adjoint)
vont jouer un rôle capital dans cet ambitieux pro-
Le départ, programmé à relativement court terme, des fonctionnaires français encore en service
dans l'administration marocaine avait rendu nécessaire la mise en place, au moins pour un
temps, d'un dispositif d'assistance technique indirecte. C'est la raison pour laquelle François
Bloch Laine a voulu installer au Maroc dès 1959
une antenne des filiales que la Caisse des Dépôts
avait créées pour être dans les pays ayant accédé
à l'indépendance "la main gauche de la coopération française". Jacques Bourdillon a eu
l'honneur d'être pendant 5 ans le responsable à
Rabat de l'antenne commune de la Scet Coopération, de la Sedes, et de la Sermi (parrainée par
Louis Armand, ancien grand patron de la SNCF).
Nous étions une équipe nombreuse et aux compétences diversifiées, nous citerons donc quelques
noms : René Guidez, André Vallette, Jean-Paul
Garcia, Alfred Costes, Pierre Drillien, François
Monnier, Henri Maziol, Claude Vignaud, Jean Paul
Faivre Dupaigre, Michel Delavalle, Jean-Michel Daniel, Baudoin Fanneau de la Hone... Nous aurons
apporté notre contribution à la plupart de ces
projets : reconstruction d'Agadir, études régionales pour l'Oni en liaison et sous le contrôle de
Raymond Aubrac, Mustapha Faris et des hydro-
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géologues Hazan et Ambroggi, contrôle du barrage de Médira Klilla sur la Moulouya, étude de
l'évacuation du minerai de Gara Djebilet, sans oublier une mission de recherche agronomique auprès du haut fonctionnaire et brillant ministre que
fut Noureddine El Ghorfi. Il en est résulté une
amitié indéfectible entre tous les acteurs marocains et français.
rocaine. Une nouvelle génération d'ingénieurs marocains est désormais au pouvoir : ceux des promotions des années 70, 80, 90 et suivantes. Elles
sont beaucoup plus nombreuses que celles des
années 60, et l'on y trouve de plus en plus de
femmes. C'est à ces jeunes promotions que l'avenir appartient.
Le "pèlerinage" de mai 2003
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Quarante ans après le décollage de i960, un certain nombre de camarades marocains et français
se sont réunis à Rabat avec leurs épouses pour le
plaisir pour une semaine de retrouvailles : Mustapha Fans, Abdelaziz Benjelloun, Moussa Moussaoui, Saïd Ben Ali ont eu le grand plaisir (largement partagé) de retrouver Raymond Aubrac,
Claude Rattier, Jacques Deschamps, Jacques Bourdillon, Jacques Brunet, et Paul Louis Girardot.
Ils n'ont pas oublié l'extraordinaire journée qu'ils
ont vécue ensemble à l'occasion des funérailles de
Mohammed V (29/02/61), ils n'oublieront jamais
le travail en commun au service du développement du Maroc notamment la reconstruction
d'Agadir et la création de l'Office national des irrigations (régionalisé par la suite).
Ils ont évoqué ensemble la mémoire de ceux qui
nous ont quittés : le docteur Benhima (un très
grand serviteur de l'Etat, Premier ministre et plusieurs fois ministre), Mohammed Imani (57)
brillant ministre des Travaux Publics, André Boulloche, Arnaud Marin de Montmarin.
Les c o m m é m o r a t i o n s
et les festivités de I 997...
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1997 Henri Cyna (51) préside l'association du
250e anniversaire de l'école, Abdelaziz Meziane
Belefkih (74) est ministre des TP. Les ingénieurs
des ponts marocains sont désormais 250, chiffre
hautement symbolique. Une délégation marocaine
présidée par Abdelaziz Meziane Belefkih vient assister à la cérémonie d'inauguration par Jacques
Chirac de la nouvelle école à Marne-la-Vallée le
23 octobre 1997. A cette occasion, le Maroc décerne à l'ENPC la décoration du Ouissam
Alaouite. Quelques jours plus tard, l'Amicale marocaine organise à Rabat sous la Présidence de
Chakib Benmoussa un colloque international sur
le thème : infrastructures de base moteur de la compétitivité économique et du développement régional.
Les ingénieurs des Ponts sont un peu partout au
service du pays : au Cabinet royal, dans les Ministères, les banques, les entreprises publiques et privées... certains ont été promus ambassadeurs,
gouverneurs de provinces et walis (super préfets).
Plus de quarante ans ont passé. L'Amicale des
Ponts du Maroc (désormais présidée par Mohammed Boussaïd Pont 86) se veut toujours plus efficace et plus utile, ses adhérents sont plus que jamais au service de l'Etat et de l'amitié franco-ma-
Ils ont rendu visite à Karim Ghellab (90), ministre
de l'Equipement et des Transports, et rencontré
Adil Douiri (85), ministre du Tourisme. Ils ont pu
évaluer ensemble les progrès considérables réalisés au Maroc dans de nombreux domaines : la
surface des cultures irriguées est passée de
quelque 300 000 ha à plus d'un million d'ha, de
nouveaux barrages ont été construits, les sucreries
marocaines fournissent désormais plus de 60 % de
la consommation de sucre du Royaume, le nouveau port de Jorf Lasfar a été créé, le réseau autoroutier totalement inexistant en 1960 est évalué
en 2002 à près de 500 kilomètres et atteindra rapidement les I 000 kilomètres, les aéroports ont
été modernisés et multipliés, le doublement de la
voie ferrée a été entrepris entre Casablanca,
Rabat et Kenitra. Les infrastructures de base
(routes, ports, aéroports, adduction d'eau, électricité) de l'ex-Sahara espagnol ont été complètement revues et modernisées. La réalisation de
grands projets d'infrastructure est actuellement en
cours, en particulier, dans les provinces du Nord
(nouveau Port de Tanger-Méditerranée, création
de zone franche industrielle, différents accès ferroviaires et routiers, de très grands chantiers d'habitation dans un programme national de 100 000
logements sociaux par an, etc.).
Tous fréquentent encore la rue des Saints-Pères à
Paris et savent que l'on peut se réunir dans une
salle qui porte le nom d'André Boulloche, mort
dans un accident d'avion le 16/01/78, ils n'oublieront pas ce serviteur de l'Etat, grand résistant, inspirateur d'une amitié franco-marocaine, profonde,
constructive et durable.
En particulier, les six ingénieurs marocains de la
promotion Boulloche n'oublieront jamais l'accueil
qui leur a été réservé à Paris par André Boulloche
dans son bureau de Ministre du Général de
Gaulle, chargé de la réforme administrative. Au
cours de cette mémorable rencontre et du déjeuner qui a suivi, André Boulloche leur a tenu un
brillant discours où il leur a rappelé les défis qu'ils
doivent relever pour contribuer au développement de leur pays, les qualités de travail, d'abnégation, de rectitude morale et intellectuelle de ceux
qui servent l'Etat, l'intérêt général et la collectivité
nationale. Les six camarades précités ont toujours
pris comme exemple André Boulloche et en ont
fait un idéal qui les a guidés durant leurs carrières
respectives. Son exemple restera vivace dans l'esprit de chacun d'entre eux et sera le modèle à
suivre pour les générations futures.
•
Aquarelles : Michel Montigné - PC 69
BONAR FLOORS S.A.S.
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