Petite histoire 22
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Petite histoire 22
SHANE WOLF Autoportrait et nu Les secrets d’un 22 Pratique des Arts-Spécial huile LA PEINTURE DE SHANE WOLF BRISE LE MOULE DES CORPS, POUSSE AUDELÀ DU MASQUE, SONDE L’ESPRIT DU MODÈLE. TOUT SON ART SE CONCENTRE DANS LA REPRÉSENTATION DE L’HOMME : SES COLORIS PRÉCIS TENDENT À MAGNIFIER LA BEAUTÉ DES FORMES, LA GRÂCE DES POSES, L’EXPRESSION DU VISAGE, LES VARIATIONS DE L’ÉPIDERME. FINESSE DE LA TOUCHE ET ÉNERGIE DES ÉCLATS ONT UN OBJECTIF COMMUN : LA MANIFESTATION DE LA VIE. Texte et photos : Arnaud Dimberton Études de grimaces : 27 x 36 cm PORTRAIT Né en 1976 à Cincinnati, dans l’Ohio, Shane Wolf ne s’est pas tout de suite destiné au métier de peintre. Ce graphiste de formation a effectué un long voyage de seize mois durant lequel il a réalisé un carnet de croquis et pris soudainement conscience de l’importance de l’art dans sa vie. De 2005 à 2009, il entame une formation à l’Angel Academy of Art de Florence ; il y enseignera après l’obtention de son diplôme. Sa première exposition individuelle, « Eidolon Series », fruit de deux années de peinture, s’est déroulée cette année à la galerie L’Œil du Prince, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Aujourd’hui, l’artiste travaille dans un atelier à Montreuil et enseigne au Pavillon Choiseul. maître P our faire un bon portrait, mieux vaut bien connaître son modèle », conseille Shane d’un fort accent américain. Normal que l’autoportrait, exercice tant redouté des peintres, se soit imposé à lui. « C’est un peu par hasard que j’ai commencé, mon atelier était très mal chauffé, je ne pouvais pas y faire venir de modèles. J’ai donc amorcé une série de onze autoportraits. L’idée des grimaces m’est venue à la suite de l’exposition des 49 têtes sculptées de Franz Xaver Messerschmidt, présentée au musée du Louvre en 2011. En plus de redécouvrir des détails sur ton visage, tu apprends le fonctionnement des muscles du visage. » Ces instants figés reflètent tout le savoir-faire du peintre qui se dit fasciné par Van Dyck, Rubens, Singer Sargent et, plus proche de nous, Pietro Annigoni. Le traitement expressif, la touche juste et délicate soulignent avec majesté un front qui se plisse, des yeux qui regardent, un nez qui respire… Pour cet autoportrait grimaçant, l’artiste a changé sa méthode habituelle puisqu’il n’a pas réalisé d’études préparatoires. Il s’est donc reposé sur sa technique et sa connaissance de l’anatomie pour le mener à terme. Pratique des Arts- Spécial huile 23 SHANE WOLF REPÈRES ANATOMIQUES Il serait trop long d’évoquer tous les repères anatomiques du corps humain. Reste que certains points sont d’un grand secours dès lors qu’on les connaît bien. La peinture est une affaire d’observation. Le caractère de chacun et le procédé influent sur le résultat final. Shane Wolf, d’un tempérament calme et flegmatique, procède donc avec ordre et méthode. Quels sont ses secrets pour retranscrire l’harmonie, l’expressivité et la justesse d’un visage ? « Pour l’esquisse, dessinez plutôt des lignes droites que des courbes. Les grandes structures du portrait ressortiront davantage. L’œil a une certaine façon de voyager dans une peinture. L’on sait qu’il commence par le point de contraste le plus élevé. Puis le champ de vision augmente à partir de ce point. » La composition joue également un rôle fondamental dans la sensation que provoque un portrait. Il faut savoir jouer avec ces codes. « Cherchez des accroches pour pouvoir bloquer le regard. C’est ce que j’appelle le “click-in spot”, la prise de repères. Il est intéressant par exemple d’avoir l’œil le plus grand au premier plan et dans l’ombre, cela renforce le drame. En peignant des grimaces, vous relevez encore la difficulté puisque cela génère des fluctuations dans le sang ; par exemple, au bout d’un certain temps de pose, le menton devient rouge. » Enfin, il rappelle l’une des grandes difficultés de l’autoportrait. « Étant le sujet de la peinture, tu ne peux jamais te reculer et voir le modèle et le sujet sur le même plan. Du coup, la critique des traits s’avère bien plus délicate. Mais ce défi ajoute du piment à l’exercice. » PEINDRE SANS VIOLENCE L’approche ordonnée de Shane Wolf relève presque des mathématiques. Dans sa peinture, il n’habille pas ses modèles de touches extravagantes, de larges empâtements. Préférant se concentrer sur la représentation la plus juste possible de la couleur, de la tonalité d’une peau, de l’expression d’un visage de l’équilibre des proportions. Régulièrement, il prend de la distance, fait les cent pas, s’interroge à voix basse avant de revenir au chevalet modifier une ligne, ajouter une précision. « Je suis toujours fasciné de voir à quel point une minuscule touche de couleur peut modifier une expression. Je crois que c’est ce que j’aime le plus dans la peinture. Mes toiles doivent pouvoir se regarder à toutes les distances. J’aime le flou presque abstrait que l’on découvre en s’approchant, mais je suis aussi attiré par l’aspect purement graphique d’une œuvre que l’on aperçoit loin. L’unité, voilà ce que l’on cherche dans un portrait ou un nu » confie-t-il. Face au modèle, il reste précis, le serre de près, scrute minutieusement son corps, l’oriente sans hésiter. Progressivement, il capte l’expression, s’approche de la ressemblance. RÉINTERPRÉTER LE « GRAND STYLE The Grand Manner, after Van Dyck. 2008. 65 x 45 cm. 24 Pratique des Arts-Spécial huile » Héritier d’une longue tradition, Shane Wolf aime jouer avec les codes de la peinture classique. Le « Grand Style » (Grand Manner en anglais) est une source d’inspiration pour lui. Cette approche du portrait répond à des codes stricts : par exemple, la position du sujet dans la toile, ses proportions naturelles, la note très contrastée sous le cou, un contour plus foncé que le fond lui-même. Associée à des peintres comme Van Dyck ou Rembrandt, cette méthode permet de valoriser le sujet. L’œil attiré au centre de la toile remonte lentement vers le visage, souvent hautain et aristocrate. « Certaines de mes toiles détournent ces codes. Ce maniérisme poussé à l’extrême a un côté assez ridicule qu’il est intéressant d’utiliser à des fins plus modernes. » ■ Flow. 2012. Huile sur toile, 116 x 73 cm. La ligne blanche (linea alba en latin) ligne médiane de l’abdomen, coupe le corps en deux en passant par le nombril jusqu’au pubis. Day Dream 2. 2012. Huile sur toile, 50 x 100 cm CONSEILS ESSENTIELS Pour le nu… Shane Wolf rappelle l’importance de la linea alba ou ligne blanche, cette ligne médiane de l’abdomen coupant le corps en deux . « Le travail sur cette zone doit se penser dans l’ensemble, car chaque modification à son niveau influencera le reste de la composition. C’est un travail à la fois intellectuel et visuel, qui s’apprend en pratiquant. Lorsque l’on travaille sur un nu, il faut songer au corps dans sa globalité. Pensez aux os sous la peau, à l’épine dorsale qui traverse le dos, aux vertèbres et aux côtes… L’exactitude anatomique permet de donner vie à un sujet. » « Bien regarder son sujet et maîtriser les éléments techniques et anatomiques sont des qualités essentielles pour un peintre. » Pour le portrait… Autre accroche à contrôler, le septum nasal séparant les deux narines : « Si le nez participe peu à l’expression, il faut tout de même le peindre correctement du point de vue de l’anatomie. » Septum nasal séparant les deux narines : un axe de construction du visage très important. Concernant la représentation correcte de l’œil, le peintre rappelle que « la largeur de l’iris fait plus ou moins 1/3 de l’ensemble de l’œil. En le peignant, essayez de visualiser la forme du globe oculaire. Pour les éclats dans l’œil, il faut intégrer que la lumière a tendance à percer la cornée et qu’elle ressort donc souvent du côté opposé à l’œil. » De haut en bas : Saint Simpleton. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm. In the spirit of Albert. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm. After the donuts in the audi. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm. Pratique des Arts- Spécial huile 25 SHANE WOLF AUTOPORTRAIT ASTUCES DE PEINTRE DÉBUSQUER LES ERREURS Placez votre main devant votre visage dans l’axe de la toile. Utilisez-la pour obstruer certaines zones de l’œuvre, vérifiez séparément le haut puis le bas de la peinture. Les erreurs apparaîtront plus nettement. Répétez l’opération régulièrement pour rendre votre travail plus réaliste. ÉTUDE DU DÉGRADÉ Sur une chute de toile, expérimentez vos couleurs à l’huile et travaillez vos dégradés. Je ne peux que vous encourager à le faire, sur une sphère ou toute autre forme géométrique. PRÉPARER SA PALETTE Le soin apporté à la préparation de la palette est essentiel. Cela permet de se préparer mentalement à la peinture. De comprendre le dosage des mélanges, d’améliorer sa méthode. Essayez par exemple de poser vos couleurs de façon hiérarchique, du plus clair au plus foncé ou inversement. Au bout d’un moment, on a tellement mémorisé sa palette que l’on n’a plus besoin de regarder où l’on trempe son pinceau. 26 Pratique des Arts-Spécial huile - Deux chevalets à patins Mabef - Toile de lin sur châssis agrafé, format 55 x 45 cm - Médium : huile de lin - Diluant : essence de pétrole (je trouve l’essence de térébenthine trop résineuse) - Spalter en caoutchouc - Pinceau en soies de porc. - Ocre jaune : Winsor & Newton - Terre d’ombre naturelle : Winsor & Newton - Terre d’ombre brûlée : Old Holland - Terre d’ombre rougeâtre : Old Holland - Rouge perse : Old Holland - Noir d’ivoire : Winsor & Newton - Rouge de cadmium : Winsor & Newton - Blanc d’argent : Blue Ridge 1 INSTALLATION ET ÉCLAIRAGE Il faut absolument choisir une dominante dans la lumière ou l’ombre. En règle générale, il faut un rapport 2/3 de lumière et 1/3 d’ombre, ou l’inverse. Choisissez une ampoule blanche pour retrouver des carnations correctes. En nu, j’utiliserais plutôt la lumière naturelle. Si l’ombre est au premier plan, cela va renforcer l’effet dramatique, la lumière très contrastée doit venir racler les formes, ce qui aide le peintre dans ses choix. 5 conseils d’atelier Avant Après 2 CHERCHER UNE BONNE EXPRESSION Je passe toujours du temps à me regarder avant d’attaquer un nouvel autoportrait. Il faut choisir une expression assez forte, surtout avec ce thème des grimaces que je travaille depuis plus d’un an. N’hésitez pas à tester plusieurs configurations, tout en gardant à l’esprit qu’elle doit être agréable à tenir : les crampes sont souvent de la partie ! 3 UTILISER UN MIROIR DE POCHE Lorsqu’on réalise un autoportrait, on a souvent le bras tendu pour peindre, car il faut essayer de garder la même position tout en travaillant. La distance entre le modèle et le miroir fait que certains détails peuvent nous échapper. Pour remédier à ce problème, j’utilise un miroir de petite taille, idéal pour observer de plus près des variations de lumière ou de teintes. 4 PALETTE CARNATION (AVANT ET APRÈS) Je trouve toujours intéressant de voir la palette avant et après son utilisation. Avant parce qu’elle montre l’attitude du peintre en terme d’organisation de la palette, et après car cela met en exergue les combinaisons de couleurs utilisées. L’on est vraiment dans le processus créatif, ce qui est passionnant. Pour le travail sur les carnations, la difficulté est d’obtenir une palette homogène, surtout dans les mi-tons. EN PRATIQUE : LES BONNES RECETTES « OILING IN » Après une pause de plusieurs jours, je remarque que certaines couleurs se sont transformées. Pour retrouver de l’éclat et éliminer les embus (zones mates ou brumeuses dans un ensemble brillant), je pratique le « oiling in » ou « oiling out » (selon les enseignants). Il s’agit d’huiler la toile avant de la peindre. Pour cela, j’utilise essence de pétrole, huile de lin et vernis dammar (en proportions égales) que j’applique à l’aide dune éponge à maquillage. Il faut utiliser le médium avec lequel on va peindre. Cela ranime les couleurs, c’est une étape préventive, à réaliser avant de continuer la peinture. RECETTE MAISON 5 LE FOND À LA RACLETTE J’utilise une raclette à vitres pour mes fonds, cela donne de grands aplats et des irrégularités dans le tracé, que je trouve très graphique. UN FOND BIEN PRÉPARÉ J’ai réalisé un encollage avec de la colle de peau de lapin. L’apprêt est de type universel même si normalement j’utilise un apprêt gras au blanc d’argent. La toile est en lin et le châssis agrafé. Pour le fond, j’applique (avec une brosse) un mélange RECETTE MAISON assez liquide à base de terre d’ombre brûlée et de blanc d’argent. Je cherche une valeur demi-ton, c’est-à-dire une valeur de carnation de transition entre le foncé et le clair. Avec l’expérience, on apprend à préparer un fond correspondant à la tonalité du modèle. Comptez au moins trois jours de séchage. Pratique des Arts- Spécial huile 27 SHANE WOLF AUTOPORTRAIT en 1 Positionner le visage. Pour la mise en place du croquis, j’utilise une terre d’ombre brûlée Old Holland, une ou deux gouttes d’huile de lin et d’essence de pétrole. J’aime l’huile de lin, qui est un liant traditionnel très souple. Je me sers d’un pinceau plat, synthétique, assez rigide. Les premières lignes (préférez des droites aux courbes) permettent de trouver les dimensions et d’installer la structure. La taille du visage est-elle correcte ? Un conseil, excentrez le regard. Au centre, positionnez la zone la plus éclairée du visage, en l’occurrence le nez. 2 Peindre les ombres. Je cherche à bloquer une position de 3/4 et à établir les valeurs. Le coin de l’œil aide à contrôler la position du corps et l’orientation du regard. Dans la largeur temporale (protubérance pariétale), on doit pouvoir placer cinq yeux. C’est un écart constant. Ensuite, je joue avec la masse des cheveux qui apporte formes et ombres étranges. La chevelure, que je laisse souvent à l’état d’esquisse, confère du graphisme à la composition. Je termine en traçant des lignes calligraphiques qui marquent le col. 3 Renforcer les valeurs. À mesure que je progresse dans le dessin, j’utilise moins de diluant pour concentrer le pigment. En revanche, je conserve du liant pour garder une texture convenable. Je reprends ensuite mes valeurs sombres. La ligne de la paupière inférieure est assez délicate et participe de la bonne tenue d’un portrait ; elle courbe légèrement pour rentrer à l’intérieur du crâne. Je prends du recul et adoucis certaines lignes à l’aide d’un pinceau, cela pour travailler les dégradés de la carnation plus habilement. 7 Poser les tonalités demi-tons. Toujours dans le frais, je pose les tonalités demi-tons, qui servent de transition entre les zones les plus lumineuses et les plus sombres du tableau. La couleur de fond que j’ai utilisée est proche de cette valeur. D’ailleurs, certaines zones vont rester vierges pour laisser le fond transparaître. Il faut tout de même reprendre certaines parties du visage, et jouer sur les tonalités de transition. Observez le haut du front, on voit bien les couleurs employées pour adoucir le passage de la lumière à l’obscurité. 8 Les yeux. La couleur de l’œil n’est jamais blanche, elle tire vers le gris, et varie fortement selon l’âge du modèle. Chez un enfant, l’œil sera froid tandis que chez une personne âgée il aura tendance à jaunir. La santé du modèle influe aussi sur la température de la couleur. Pour le mélange, j’utilise du noir d’ivoire, du blanc d’argent et de la terre d’ombre naturelle. J’ai les yeux vairons (un œil vert et un œil bleu), je vais donc utiliser du vert que j’obtiens en combinant du jaune, du noir d’ivoire et de la terre d’ombre naturelle. Pour les yeux, j’aime bien commencer avec une couleur assez agressive que je vais atténuer ensuite, car il vaut mieux adoucir la teinte que la durcir. J’ajoute de petits éclats sur le nez pour confirmer le regard. 9 Mettre en place le fond. Après avoir ranimé les yeux et les cheveux (voir l’encadré « Oiling In » p. 27), je vais réaliser mon fond. Normalement, je le travaille plus tôt, mais je me suis accordé un temps de réflexion supplémentaire. Je vais peindre avec un gris tirant légèrement sur le vert. Pour obtenir cette tonalité, je combine un brun Van Dyck, du noir d’ivoire et de la terre d’ombre naturelle. Le mélange doit être de la même valeur que mon fond. Je l’applique à l’aide d’une raclette à vitres. 28 Pratique des Arts-Spécial huile 10 étapes clés 4 Critiquer le dessin. Lorsqu’on progresse dans le dessin, on intervient davantage sur l’expression. On dispose pour cela de connaissances anatomiques qui, transférées à la peinture, sont autant de repères. Les accroches de l’expression sont les paupières, le coin de l’œil, la commissure des lèvres, la ligne blanche, le septum nasal… Ces informations permettent de jouer sur l’inclinaison du visage, son orientation, ce travail intellectuel s’affine avec la pratique, il devient petit à petit un réflexe. Après cette critique de mon dessin, le visage exprime une forme de circonspection. 5 Poser la note la plus claire. Après une journée de séchage, j’attaque la carnation. Je prépare mes couleurs et organise soigneusement ma palette (du clair au foncé). Je commence par des couleurs ciblées. J’essaye de préparer des nuances qui se rapprochent de la teinte finale. J’ai besoin d’être dans le contraste, mon premier mélange sera à base d’ocre jaune, de terre d’ombre rougeâtre, de blanc d’argent et de rouge de cadmium. Je pose cette tonalité lumineuse sur l’endroit le plus éclairé : le nez. 6 Travailler par zones. C’est l’étape du travail dans le mouillé qui permet de marquer les lumières et donner l’architecture du visage. Je procède avec différentes valeurs, sur les zones les plus grandes et les plus exposées à la lumière. Évitez les zones de transitions, qui seront traitées en demi-tons. J’alterne l’utilisation des couleurs de ma palette. Remplissez certaines courbes tout en préservant les ombres. Attention, si vous modifiez vos mélanges (avec de l’ocre et du jaune), répétez cet ajout à vos autres couleurs pour conserver une unité de valeur. TABLEAU TERMINÉ 10 Le col blanc. Dans l’esprit « Grand Style », j’ajoute un col blanc qui amène un point de contraste. Cela va permettre de guider le regard du spectateur de bas en haut. Je conserve un aspect graphique un peu abstrait qui va compléter le sujet sans prendre le dessus sur le portrait. Avant cet ajout, j’avais la sensation d’être plus dans l’étude que dans la réalisation d’un tableau. Derniers détails. Pour donner l’illusion de la pilosité, j’utilise des pinceaux ronds assez abîmés. Ils vont créer des lignes aléatoires. La couleur est réalisée avec un mélange de ma base utilisée par les carnations que je rehausse de terre d’ombre naturelle et de blanc pour un aspect plus verdâtre. Pour les bleus de la peau, j’utilise la même base, mais cette fois rehaussée avec du noir d’ivoire et du blanc. Quant à la veste, je reprends la couleur du fond avec davantage de brun Van Dyck et de noir d’ivoire : cela va combler l’espace et repositionner le visage au centre de la toile. LE COMMENTAIRE DE L’ARTISTE Le côté hautain dans le style classique me plaît. J’ai essayé de jouer avec les codes du « Grand Style ». Dans l’ensemble, cet autoportrait est très crédible et naturel, moins forcé que mes précédents travaux, probablement parce que j’ai peint sans réaliser d’esquisse. J’aimerais que le visage soit plus orienté à gauche. J’ajouterai un peu d’éclats dans la paupière gauche. Il y a des subtilités intéressantes : le contraste par exemple entre l’œil détendu et l’autre, plus ouvert. Pratique des Arts- Spécial huile 29 SHANE WOLF NU alla prima CE PAS À PAS AVEC MODÈLE VIVANT A ÉTÉ RÉALISÉ ALLA PRIMA, C’EST-À-DIRE DANS LE FRAIS, EN UNE SEULE SÉANCE, EN APPLIQUANT LES COUCHES LES UNES SUR LES AUTRES SANS ATTENDRE QU’ELLES SÈCHENT. LES COULEURS NE SE MÉLANGEANT PAS, ON OBTIENT AINSI UN BEL EFFET DE « FLOU ». CELA IMPLIQUE DE TRAVAILLER RAPIDEMENT SUR TOUTE LA SURFACE DE LA TOILE ET NON DE PEINDRE CHAQUE DÉTAIL TOUR À TOUR . MATÉRIEL - Chute de lin de 43 x 43 cm - Deux chevalets à patins Mabef - Médium : huile de lin - Diluant : essence. LA BONNE POSE J’oriente mon modèle pour obtenir un éclairage satisfaisant. Il se déplace sur mes indications et j’essaye de trouver la bonne position. Je place un rideau au-dessus de lui afin de casser un peu la lumière, car j’aime les éclairages plus marqués. Casser la douceur de la lumière. REPÈRES Une fois que tout est en place, je colle des repères au sol pour que le modèle puisse reprendre la bonne position entre les temps de pose. PALETTE - Ocre jaune : Winsor & Newton - Terre d’ombre naturelle : Winsor & Newton - Terre d’ombre brûlée : Old Holland - Terre d’ombre rougeâtre : Old Holland - Noir d’ivoire : Winsor & Newton - Rouge de cadmium : Winsor & Newton - Blanc d’argent : Blue Ridge. LES VERTUS DE LA PEINTURE RAPIDE ALLA PRIMA Avant de mettre en route la séance, je ne peux que conseiller de fixer quelques règles. Tant pour le confort du modèle que pour ne pas transformer cet exercice qui doit se faire vite en un long chemin de croix. Il faut bien garder en tête qu’il s’agit d’un travail rapide : pour cette pose, j’ai donc convenu d’un temps de pose de trois heures avec modèle. Du chauffage, quelques fruits et un verre d’eau sont installés à portée de main du modèle pour qu’il puisse se restaurer lors des repos. Techniquement, il est intéressant de préparer la base 30 Pratique des Arts-Spécial huile de sa palette avant la peinture proprement dite. Il est toujours possible de jouer sur la palette lors de l’exercice. La peinture dans le frais de sujet nu permet au peintre de s’exercer tant d’un point de vue anatomique que pour maîtriser la justesse des carnations, fluidifier les transitions, améliorer son travail sur les contrastes, comprendre le couple liant/diluant. Cette technique picturale s’applique bien entendu à tous les styles. Pour le support aussi il faut faire simple. Personnellement, j’utilise un reste de toile déjà apprêtée, ce qui me permet de gagner du temps et d’utiliser des restes de toiles. Certains peintres aiment utiliser la grisaille des restes de palette pour le fond. Le résultat des peintures alla prima est souvent très graphique, et plus flou, car moins détaillé qu’une peinture classique. Reste qu’en pratiquant régulièrement cet exercice, l’on arrive rapidement à un très beau résultat. J’aime travailler avec les mêmes personnes, il me semble plus intéressant d’apprendre à connaître un corps en profondeur plutôt que de changer souvent de modèle. De haut en bas : Marie. 42 x 60 cm. Flore. 42 x 60 cm. À droite : Thrust. Huile sur toile, 51 x 30 cm. « J’essaye d’avoir toujours conscience de la surface que je suis en train de peindre. Sa forme, son orientation, ses spécificités morphologiques… » LIMITES DE TEMPS Pour mon travail d’après modèle, j’ai adopté le principe de vingt-trois minutes de pose et sept minutes de repos (cumulée, la séance va durer trois heures). Ce rythme régulier permet de se fixer des objectifs. Chaque temps correspond à une étape. Pratique des Arts- Spécial huile 31 SHANE WOLF NU alla prima avec modèle GESTES CLÉS Pour créer des aberrations sur mon fond, je gratte le lit de la peinture avec une brosse assez rigide. Cela va apporter du caractère à l’image. 1 2 3 4 DÉTAILS. Le coude doit passer au premier plan, il est comme en suspension. La main prend appui sur la hanche du modèle. 1 Préparation du fond et de la palette. Sur une chute de toile de lin, je prépare un fond brossé avec un reste de ma palette précédente pour limiter les pertes. En règle générale, ce mélange donne un gris, mais ce fond tire sur le violet, car il devait y avoir des restes de rouge perse dans le mélange. J’ajoute de l’essence de pétrole. Préparez votre fond plusieurs jours avant, pour qu’il puisse sécher correctement. 2 Mise en place du dessin. Sur ma palette, je mélange de la terre d’ombre brûlée et du blanc d’argent, l’idée étant de réaliser un croquis rapide et de travailler dans le frais 32 Pratique des Arts-Spécial huile car j’ai besoin d’une pâte assez liquide. Mon croquis se compose essentiellement de lignes droites. L’intérêt de travailler d’après modèle réside dans le fait qu’il bouge légèrement, ce qui permet de choisir certains éléments dans le mouvement. Il faut toujours chercher l’expressivité dans ce type d’exercice. 3 Poser les ombres. J’aime peindre les poses du dos. L’épine dorsale va me guider. L’ensemble du corps est tenu par cette ligne. Partant d’un fond clair, j’inverse ma palette et je commence donc par les tonalités les plus sombres. L’imprimatur n’est pas le demi-ton de la peau du modèle. Les demi-tons sont directement posés en contact avec mes ombres les plus sombres. 4 Équilibrer les valeurs. Je commence à équilibrer les ombres dans le frais. Je monte d’un demi-ton plus clair en apportant un peu d’essence de pétrole à mon mélange. La touche est ainsi plus fluide. Veillez à avoir en tête le relief lorsque vous peignez, cela permet d’orienter les touches de façon plus efficace. 5 Poser les tons clairs. Je grise un peu la carnation et j’apporte un peu de chaleur CORRIGER LE COU Voilà tout l’intérêt de ce genre d’exercice : apprendre à regarder et corriger ses erreurs dans le frais. Ici, il manquait des vertèbres au niveau du cou. 5 6 7 8 GESTUELLE DES TRANSITIONS Soigner les transitions permet d’obtenir une peau plus naturelle. En plaçant correctement votre pinceau, essayez de tirer le pigment vers la ligne externe, du clair vers l’obscur. TABLEAU TERMINÉ à la peau avec une combinaison terre d’ombre brûlée et ocre jaune, car je veux baisser d’environ deux tons et couvrir tout le volume du corps. Ce travail peut se faire aussi pendant le temps de repos du modèle, du moins si l’on est en mesure de garder en mémoire l’éclairage et les accroches sur le corps. Une fois que mes volumes et carnations sont installés, je peux commencer à rentrer dans les détails. 6 Poursuivre l’étude. J’attaque la courbe du dos, l’épaule et l’omoplate. C’est une zone intéressante à travailler car elle regroupe toute la gamme des valeurs. Pour obtenir de belles transitions, il faut essayer de tirer le pigment vers la ligne externe, du clair au sombre. Trouvez une position confortable et travaillez délicatement. Enfin, je précise les obliques externes au niveau des hanches. Fiez-vous à l’observation du modèle. Finitions. Je remarque qu’il manque deux vertèbres dans le cou du modèle, je les ajoute. Je peins quelques rehauts, en particulier sur la septième cervicale. Ces éclats sont essentiels et soulignent la présence des os. Je reprends les cheveux avec du noir d’ivoire et du blanc. J’utilise 7 un pinceau éventail pour enlever les points hauts. Je précise la jambe d’appui, cela renforce la composition, ainsi que l’arrière de la cuisse. J’apporte un peu de rouge de cadmium sur les zones où les muscles se contractent. 8 La séance et la toile se terminent. Les transitions de valeurs, notamment dans le dos, sont correctement peintes. J’aime la position suspendue du coude et aussi celle de la main en appui qui vient asseoir et soutenir la composition. La note légèrement rosée de la peau donne l’illusion de la vie. Pratique des Arts- Spécial huile 33