Petite histoire 22

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Petite histoire 22
SHANE WOLF
Autoportrait et nu
Les secrets d’un
22 Pratique des Arts-Spécial huile
LA PEINTURE DE SHANE WOLF BRISE
LE MOULE DES CORPS, POUSSE AUDELÀ DU MASQUE, SONDE L’ESPRIT
DU MODÈLE. TOUT SON ART SE
CONCENTRE DANS LA REPRÉSENTATION
DE L’HOMME : SES COLORIS PRÉCIS
TENDENT À MAGNIFIER LA BEAUTÉ
DES FORMES, LA GRÂCE DES POSES,
L’EXPRESSION DU VISAGE, LES
VARIATIONS DE L’ÉPIDERME. FINESSE
DE LA TOUCHE ET ÉNERGIE DES
ÉCLATS ONT UN OBJECTIF COMMUN :
LA MANIFESTATION DE LA VIE.
Texte et photos : Arnaud Dimberton
Études de grimaces : 27 x 36 cm
PORTRAIT
Né en 1976 à Cincinnati, dans l’Ohio,
Shane Wolf ne s’est pas tout de suite destiné
au métier de peintre. Ce graphiste de
formation a effectué un long voyage de
seize mois durant lequel il a réalisé un carnet
de croquis et pris soudainement conscience
de l’importance de l’art dans sa vie.
De 2005 à 2009, il entame une formation à
l’Angel Academy of Art de Florence ; il y
enseignera après l’obtention de son diplôme.
Sa première exposition individuelle, « Eidolon
Series », fruit de deux années de peinture,
s’est déroulée cette année à la galerie
L’Œil du Prince, dans le XVIIe arrondissement
de Paris. Aujourd’hui, l’artiste travaille
dans un atelier à Montreuil et enseigne au
Pavillon Choiseul.
maître
P
our faire un bon portrait, mieux vaut bien
connaître son modèle », conseille Shane
d’un fort accent américain. Normal que
l’autoportrait, exercice tant redouté des
peintres, se soit imposé à lui. « C’est un peu par
hasard que j’ai commencé, mon atelier était très
mal chauffé, je ne pouvais pas y faire venir de
modèles. J’ai donc amorcé une série de onze autoportraits. L’idée des grimaces m’est venue à la suite
de l’exposition des 49 têtes sculptées de Franz Xaver
Messerschmidt, présentée au musée du Louvre en
2011. En plus de redécouvrir des détails sur ton
visage, tu apprends le fonctionnement des muscles
du visage. » Ces instants figés reflètent tout le
savoir-faire du peintre qui se dit fasciné par
Van Dyck, Rubens, Singer Sargent et, plus proche
de nous, Pietro Annigoni. Le traitement expressif, la touche juste et délicate soulignent avec
majesté un front qui se plisse, des yeux qui regardent, un nez qui respire… Pour cet autoportrait
grimaçant, l’artiste a changé sa méthode habituelle puisqu’il n’a pas réalisé d’études préparatoires. Il s’est donc reposé sur sa technique et sa
connaissance de l’anatomie pour le mener à terme.
Pratique des Arts- Spécial huile
23
SHANE WOLF
REPÈRES ANATOMIQUES
Il serait trop long d’évoquer tous
les repères anatomiques du corps
humain. Reste que certains points
sont d’un grand secours dès lors
qu’on les connaît bien.
La peinture est une affaire d’observation. Le caractère de chacun et le procédé influent sur le résultat final. Shane Wolf, d’un tempérament calme et
flegmatique, procède donc avec ordre et méthode.
Quels sont ses secrets pour retranscrire l’harmonie, l’expressivité et la justesse d’un visage ?
« Pour l’esquisse, dessinez plutôt des lignes droites
que des courbes. Les grandes structures du portrait ressortiront davantage. L’œil a une certaine
façon de voyager dans une peinture. L’on sait qu’il
commence par le point de contraste le plus élevé.
Puis le champ de vision augmente à partir de ce
point. » La composition joue également un rôle
fondamental dans la sensation que provoque un
portrait. Il faut savoir jouer avec ces codes.
« Cherchez des accroches pour pouvoir bloquer le
regard. C’est ce que j’appelle le “click-in spot”, la
prise de repères. Il est intéressant par exemple
d’avoir l’œil le plus grand au premier plan et dans
l’ombre, cela renforce le drame. En peignant des
grimaces, vous relevez encore la difficulté puisque
cela génère des fluctuations dans le sang ; par
exemple, au bout d’un certain temps de pose, le
menton devient rouge. » Enfin, il rappelle l’une des
grandes difficultés de l’autoportrait. « Étant le sujet
de la peinture, tu ne peux
jamais te reculer et voir le
modèle et le sujet sur le même
plan. Du coup, la critique des
traits s’avère bien plus délicate. Mais ce défi ajoute du
piment à l’exercice. »
PEINDRE SANS
VIOLENCE
L’approche ordonnée de
Shane Wolf relève presque
des mathématiques. Dans sa
peinture, il n’habille pas ses
modèles de touches extravagantes, de larges empâtements. Préférant se concentrer sur la représentation la
plus juste possible de la couleur, de la tonalité d’une peau,
de l’expression d’un visage de l’équilibre des proportions. Régulièrement, il prend de la distance,
fait les cent pas, s’interroge à voix basse avant
de revenir au chevalet modifier une ligne, ajouter
une précision. « Je suis toujours fasciné de voir à
quel point une minuscule touche de couleur peut
modifier une expression. Je crois que c’est ce que
j’aime le plus dans la peinture. Mes toiles doivent
pouvoir se regarder à toutes les distances. J’aime
le flou presque abstrait que l’on découvre en
s’approchant, mais je suis aussi attiré par l’aspect
purement graphique d’une œuvre que l’on aperçoit loin. L’unité, voilà ce que l’on cherche dans un
portrait ou un nu » confie-t-il. Face au modèle, il
reste précis, le serre de près, scrute minutieusement son corps, l’oriente sans hésiter. Progressivement, il capte l’expression, s’approche de la
ressemblance.
RÉINTERPRÉTER
LE « GRAND STYLE
The Grand Manner, after Van Dyck. 2008. 65 x 45 cm.
24 Pratique des Arts-Spécial huile
»
Héritier d’une longue tradition, Shane Wolf aime
jouer avec les codes de la peinture classique. Le
« Grand Style » (Grand Manner en anglais) est une
source d’inspiration pour lui. Cette approche du
portrait répond à des codes
stricts : par exemple, la position du sujet dans la toile, ses
proportions naturelles, la
note très contrastée sous le
cou, un contour plus foncé
que le fond lui-même.
Associée à des peintres
comme Van Dyck ou
Rembrandt, cette méthode
permet de valoriser le sujet.
L’œil attiré au centre de la
toile remonte lentement vers
le visage, souvent hautain et
aristocrate. « Certaines de mes
toiles détournent ces codes.
Ce maniérisme poussé à l’extrême a un côté assez ridicule
qu’il est intéressant d’utiliser
à des fins plus modernes. » ■
Flow. 2012. Huile sur toile, 116 x 73 cm.
La ligne blanche (linea alba en latin) ligne
médiane de l’abdomen, coupe le corps en deux
en passant par le nombril jusqu’au pubis.
Day Dream 2. 2012. Huile sur toile, 50 x 100 cm
CONSEILS
ESSENTIELS
Pour le nu…
Shane Wolf rappelle l’importance de la linea alba ou ligne blanche,
cette ligne médiane de l’abdomen coupant le corps en deux .
« Le travail sur cette zone doit se penser dans l’ensemble, car
chaque modification à son niveau influencera le reste de la
composition. C’est un travail à la fois intellectuel et visuel, qui
s’apprend en pratiquant. Lorsque l’on travaille sur un nu, il faut
songer au corps dans sa globalité. Pensez aux os sous la peau,
à l’épine dorsale qui traverse le dos, aux vertèbres et aux côtes…
L’exactitude anatomique permet de donner vie à un sujet. »
« Bien regarder son sujet et maîtriser les
éléments techniques et anatomiques sont
des qualités essentielles pour un peintre. »
Pour le portrait…
Autre accroche à contrôler, le
septum nasal séparant les deux
narines : « Si le nez participe peu
à l’expression, il faut tout de
même le peindre correctement
du point de vue de l’anatomie. »
Septum nasal séparant les deux
narines : un axe de construction
du visage très important.
Concernant la représentation
correcte de l’œil, le peintre
rappelle que « la largeur de
l’iris fait plus ou moins 1/3
de l’ensemble de l’œil. En le
peignant, essayez de visualiser
la forme du globe oculaire.
Pour les éclats dans l’œil, il
faut intégrer que la lumière a
tendance à percer la cornée
et qu’elle ressort donc souvent
du côté opposé à l’œil. »
De haut en bas : Saint Simpleton. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm.
In the spirit of Albert. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm.
After the donuts in the audi. 2011. Huile sur toile, 80 x 80 cm.
Pratique des Arts- Spécial huile
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SHANE WOLF
AUTOPORTRAIT
ASTUCES DE PEINTRE
DÉBUSQUER LES ERREURS
Placez votre main devant votre visage
dans l’axe de la toile. Utilisez-la pour
obstruer certaines zones de l’œuvre,
vérifiez séparément le haut puis le bas
de la peinture. Les erreurs apparaîtront
plus nettement. Répétez l’opération
régulièrement pour rendre votre travail
plus réaliste.
ÉTUDE DU DÉGRADÉ
Sur une chute de toile, expérimentez
vos couleurs à l’huile et travaillez
vos dégradés. Je ne peux que vous
encourager à le faire, sur une sphère
ou toute autre forme géométrique.
PRÉPARER SA PALETTE
Le soin apporté à la préparation de
la palette est essentiel. Cela permet de
se préparer mentalement à la peinture.
De comprendre le dosage des mélanges,
d’améliorer sa méthode. Essayez par
exemple de poser vos couleurs de
façon hiérarchique, du plus
clair au plus foncé ou
inversement.
Au bout d’un
moment, on
a tellement
mémorisé sa
palette que l’on
n’a plus besoin
de regarder
où l’on trempe
son pinceau.
26 Pratique des Arts-Spécial huile
- Deux chevalets à patins
Mabef
- Toile de lin sur châssis
agrafé, format 55 x 45 cm
- Médium : huile de lin
- Diluant : essence de pétrole
(je trouve l’essence de
térébenthine trop résineuse)
- Spalter en caoutchouc
- Pinceau en soies de porc.
- Ocre jaune :
Winsor & Newton
- Terre d’ombre naturelle :
Winsor & Newton
- Terre d’ombre brûlée :
Old Holland
- Terre d’ombre rougeâtre :
Old Holland
- Rouge perse : Old Holland
- Noir d’ivoire :
Winsor & Newton
- Rouge de cadmium :
Winsor & Newton
- Blanc d’argent : Blue Ridge
1
INSTALLATION ET ÉCLAIRAGE Il faut absolument
choisir une dominante dans la lumière ou
l’ombre. En règle générale, il faut un rapport
2/3 de lumière et 1/3 d’ombre, ou l’inverse.
Choisissez une ampoule blanche pour retrouver
des carnations correctes. En nu, j’utiliserais plutôt
la lumière naturelle. Si l’ombre est au premier plan,
cela va renforcer l’effet dramatique, la lumière
très contrastée doit venir racler les formes, ce qui
aide le peintre dans ses choix.
5 conseils d’atelier
Avant
Après
2
CHERCHER UNE BONNE EXPRESSION Je passe toujours du temps à me regarder avant d’attaquer
un nouvel autoportrait. Il faut choisir une expression assez forte, surtout avec ce thème des
grimaces que je travaille depuis plus d’un an. N’hésitez pas à tester plusieurs configurations, tout
en gardant à l’esprit qu’elle doit être agréable à tenir : les crampes sont souvent de la partie !
3
UTILISER UN MIROIR
DE POCHE
Lorsqu’on réalise
un autoportrait, on a souvent
le bras tendu pour peindre,
car il faut essayer de garder la
même position tout en
travaillant. La distance entre
le modèle et le miroir fait que
certains détails peuvent
nous échapper. Pour remédier
à ce problème, j’utilise un
miroir de petite taille, idéal
pour observer de plus
près des variations de lumière
ou de teintes.
4
PALETTE CARNATION (AVANT ET APRÈS) Je trouve
toujours intéressant de voir la palette
avant et après son utilisation. Avant parce
qu’elle montre l’attitude du peintre en terme
d’organisation de la palette, et après car cela met
en exergue les combinaisons de couleurs utilisées.
L’on est vraiment dans le processus créatif, ce qui
est passionnant. Pour le travail sur les carnations,
la difficulté est d’obtenir une palette homogène,
surtout dans les mi-tons.
EN PRATIQUE : LES BONNES RECETTES
« OILING IN »
Après une pause de
plusieurs jours, je
remarque que certaines
couleurs se sont
transformées. Pour
retrouver de l’éclat et
éliminer les embus (zones
mates ou brumeuses dans
un ensemble brillant),
je pratique le « oiling in »
ou « oiling out » (selon les
enseignants). Il s’agit
d’huiler la toile avant de la
peindre. Pour cela, j’utilise
essence de pétrole, huile
de lin et vernis dammar
(en proportions égales)
que j’applique à l’aide
dune éponge à maquillage.
Il faut utiliser le médium
avec lequel on va peindre.
Cela ranime les couleurs,
c’est une étape préventive,
à réaliser avant de
continuer la peinture.
RECETTE
MAISON
5
LE FOND À LA RACLETTE J’utilise une raclette
à vitres pour mes fonds, cela donne de
grands aplats et des irrégularités dans
le tracé, que je trouve très graphique.
UN FOND BIEN PRÉPARÉ
J’ai réalisé un encollage
avec de la colle de peau
de lapin. L’apprêt est de
type universel même si
normalement j’utilise un
apprêt gras au blanc
d’argent. La toile est en lin
et le châssis agrafé. Pour
le fond, j’applique (avec
une brosse) un mélange
RECETTE
MAISON
assez liquide à base de
terre d’ombre brûlée et
de blanc d’argent.
Je cherche une valeur
demi-ton, c’est-à-dire une
valeur de carnation de
transition entre le foncé et
le clair. Avec l’expérience,
on apprend à préparer un
fond correspondant à
la tonalité du modèle.
Comptez au moins
trois jours de séchage.
Pratique des Arts- Spécial huile
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SHANE WOLF
AUTOPORTRAIT en
1 Positionner le visage. Pour la mise en place du
croquis, j’utilise une terre d’ombre brûlée
Old Holland, une ou deux gouttes d’huile de lin et
d’essence de pétrole. J’aime l’huile de lin, qui est un
liant traditionnel très souple. Je me sers d’un
pinceau plat, synthétique, assez rigide. Les premières
lignes (préférez des droites aux courbes) permettent
de trouver les dimensions et d’installer la structure.
La taille du visage est-elle correcte ? Un conseil,
excentrez le regard. Au centre, positionnez la zone
la plus éclairée du visage, en l’occurrence le nez.
2 Peindre les ombres. Je cherche à bloquer une
position de 3/4 et à établir les valeurs. Le coin
de l’œil aide à contrôler la position du corps et
l’orientation du regard. Dans la largeur temporale
(protubérance pariétale), on doit pouvoir placer
cinq yeux. C’est un écart constant. Ensuite, je joue
avec la masse des cheveux qui apporte formes
et ombres étranges. La chevelure, que je laisse
souvent à l’état d’esquisse, confère du graphisme à
la composition. Je termine en traçant des lignes
calligraphiques qui marquent le col.
3 Renforcer les valeurs. À mesure que je progresse
dans le dessin, j’utilise moins de diluant pour
concentrer le pigment. En revanche, je conserve
du liant pour garder une texture convenable.
Je reprends ensuite mes valeurs sombres. La ligne
de la paupière inférieure est assez délicate et
participe de la bonne tenue d’un portrait ; elle
courbe légèrement pour rentrer à l’intérieur du
crâne. Je prends du recul et adoucis certaines
lignes à l’aide d’un pinceau, cela pour travailler
les dégradés de la carnation plus habilement.
7 Poser les tonalités demi-tons. Toujours dans le frais,
je pose les tonalités demi-tons, qui servent de
transition entre les zones les plus lumineuses et les
plus sombres du tableau. La couleur de fond que
j’ai utilisée est proche de cette valeur. D’ailleurs,
certaines zones vont rester vierges pour laisser le
fond transparaître. Il faut tout de même reprendre
certaines parties du visage, et jouer sur les tonalités
de transition. Observez le haut du front, on voit
bien les couleurs employées pour adoucir
le passage de la lumière à l’obscurité.
8 Les yeux. La couleur de l’œil n’est jamais blanche,
elle tire vers le gris, et varie fortement selon l’âge
du modèle. Chez un enfant, l’œil sera froid tandis
que chez une personne âgée il aura tendance à
jaunir. La santé du modèle influe aussi sur la
température de la couleur. Pour le mélange, j’utilise
du noir d’ivoire, du blanc d’argent et de la terre
d’ombre naturelle. J’ai les yeux vairons (un œil vert
et un œil bleu), je vais donc utiliser du vert que
j’obtiens en combinant du jaune, du noir d’ivoire et
de la terre d’ombre naturelle. Pour les yeux, j’aime
bien commencer avec une couleur assez agressive
que je vais atténuer ensuite, car il vaut mieux
adoucir la teinte que la durcir. J’ajoute de petits
éclats sur le nez pour confirmer le regard.
9 Mettre en place le fond. Après avoir ranimé les yeux
et les cheveux (voir l’encadré « Oiling In » p. 27),
je vais réaliser mon fond. Normalement, je le
travaille plus tôt, mais je me suis accordé un temps
de réflexion supplémentaire. Je vais peindre avec
un gris tirant légèrement sur le vert. Pour obtenir
cette tonalité, je combine un brun Van Dyck, du
noir d’ivoire et de la terre d’ombre naturelle.
Le mélange doit être de la même valeur que mon
fond. Je l’applique à l’aide d’une raclette à vitres.
28 Pratique des Arts-Spécial huile
10 étapes clés
4 Critiquer le dessin. Lorsqu’on progresse dans le
dessin, on intervient davantage sur l’expression. On
dispose pour cela de connaissances anatomiques
qui, transférées à la peinture, sont autant de
repères. Les accroches de l’expression sont les
paupières, le coin de l’œil, la commissure des
lèvres, la ligne blanche, le septum nasal… Ces
informations permettent de jouer sur l’inclinaison
du visage, son orientation, ce travail intellectuel
s’affine avec la pratique, il devient petit à petit
un réflexe. Après cette critique de mon dessin,
le visage exprime une forme de circonspection.
5 Poser la note la plus claire. Après une journée de
séchage, j’attaque la carnation. Je prépare mes
couleurs et organise soigneusement ma palette
(du clair au foncé). Je commence par des couleurs
ciblées. J’essaye de préparer des nuances qui se
rapprochent de la teinte finale. J’ai besoin d’être
dans le contraste, mon premier mélange sera
à base d’ocre jaune, de terre d’ombre rougeâtre,
de blanc d’argent et de rouge de cadmium.
Je pose cette tonalité lumineuse sur l’endroit
le plus éclairé : le nez.
6 Travailler par zones. C’est l’étape du travail dans
le mouillé qui permet de marquer les lumières et
donner l’architecture du visage. Je procède avec
différentes valeurs, sur les zones les plus grandes
et les plus exposées à la lumière. Évitez les zones
de transitions, qui seront traitées en demi-tons.
J’alterne l’utilisation des couleurs de ma palette.
Remplissez certaines courbes tout en préservant les
ombres. Attention, si vous modifiez vos mélanges
(avec de l’ocre et du jaune), répétez cet ajout à vos
autres couleurs pour conserver une unité de valeur.
TABLEAU TERMINÉ
10 Le col blanc. Dans l’esprit « Grand Style », j’ajoute
un col blanc qui amène un point de contraste.
Cela va permettre de guider le regard du spectateur
de bas en haut. Je conserve un aspect graphique
un peu abstrait qui va compléter le sujet sans
prendre le dessus sur le portrait. Avant cet ajout,
j’avais la sensation d’être plus dans l’étude que
dans la réalisation d’un tableau.
Derniers détails. Pour donner
l’illusion de la pilosité,
j’utilise des pinceaux ronds
assez abîmés. Ils vont créer
des lignes aléatoires.
La couleur est réalisée avec
un mélange de ma base
utilisée par les carnations que
je rehausse de terre d’ombre
naturelle et de blanc pour
un aspect plus verdâtre.
Pour les bleus de la peau,
j’utilise la même base, mais
cette fois rehaussée avec
du noir d’ivoire et du blanc.
Quant à la veste, je reprends
la couleur du fond avec
davantage de brun Van Dyck
et de noir d’ivoire : cela va
combler l’espace et
repositionner le visage au
centre de la toile.
LE COMMENTAIRE DE L’ARTISTE
Le côté hautain dans le style classique me plaît. J’ai essayé de jouer avec les codes du « Grand Style ». Dans l’ensemble,
cet autoportrait est très crédible et naturel, moins forcé que mes précédents travaux, probablement parce que j’ai peint
sans réaliser d’esquisse. J’aimerais que le visage soit plus orienté à gauche. J’ajouterai un peu d’éclats dans la paupière
gauche. Il y a des subtilités intéressantes : le contraste par exemple entre l’œil détendu et l’autre, plus ouvert.
Pratique des Arts- Spécial huile
29
SHANE WOLF
NU alla prima
CE PAS À PAS AVEC MODÈLE VIVANT A ÉTÉ RÉALISÉ
ALLA PRIMA, C’EST-À-DIRE DANS LE FRAIS, EN UNE
SEULE SÉANCE, EN APPLIQUANT LES COUCHES LES
UNES SUR LES AUTRES SANS ATTENDRE QU’ELLES
SÈCHENT. LES COULEURS NE SE MÉLANGEANT PAS,
ON OBTIENT AINSI UN BEL EFFET DE « FLOU ».
CELA IMPLIQUE DE TRAVAILLER RAPIDEMENT
SUR TOUTE LA SURFACE DE LA TOILE ET NON DE
PEINDRE CHAQUE DÉTAIL TOUR À TOUR .
MATÉRIEL
- Chute de lin de 43 x 43 cm
- Deux chevalets à patins Mabef
- Médium : huile de lin
- Diluant : essence.
LA BONNE POSE
J’oriente mon modèle pour
obtenir un éclairage
satisfaisant. Il se déplace
sur mes indications et
j’essaye de trouver la bonne
position. Je place un rideau
au-dessus de lui afin de
casser un peu la lumière,
car j’aime les éclairages plus
marqués. Casser la douceur
de la lumière.
REPÈRES
Une fois que tout
est en place,
je colle des repères
au sol pour que
le modèle puisse
reprendre la bonne
position entre les
temps de pose.
PALETTE
- Ocre jaune : Winsor & Newton
- Terre d’ombre naturelle : Winsor & Newton
- Terre d’ombre brûlée : Old Holland
- Terre d’ombre rougeâtre : Old Holland
- Noir d’ivoire : Winsor & Newton
- Rouge de cadmium : Winsor & Newton
- Blanc d’argent : Blue Ridge.
LES VERTUS DE LA PEINTURE RAPIDE ALLA PRIMA
Avant de mettre en route la
séance, je ne peux que conseiller
de fixer quelques règles.
Tant pour le confort du modèle
que pour ne pas transformer cet
exercice qui doit se faire vite en
un long chemin de croix. Il faut
bien garder en tête qu’il s’agit
d’un travail rapide : pour cette
pose, j’ai donc convenu d’un
temps de pose de trois heures
avec modèle. Du chauffage,
quelques fruits et un verre d’eau
sont installés à portée de main
du modèle pour qu’il puisse
se restaurer lors des repos.
Techniquement, il est
intéressant de préparer la base
30 Pratique des Arts-Spécial huile
de sa palette avant la peinture
proprement dite. Il est toujours
possible de jouer sur la palette
lors de l’exercice. La peinture
dans le frais de sujet nu permet
au peintre de s’exercer tant
d’un point de vue anatomique
que pour maîtriser la justesse
des carnations, fluidifier les
transitions, améliorer son travail
sur les contrastes, comprendre
le couple liant/diluant.
Cette technique picturale
s’applique bien entendu à tous
les styles. Pour le support aussi
il faut faire simple.
Personnellement, j’utilise un
reste de toile déjà apprêtée,
ce qui me permet de gagner du
temps et d’utiliser des restes de
toiles. Certains peintres aiment
utiliser la grisaille des restes de
palette pour le fond. Le résultat
des peintures alla prima est
souvent très graphique, et plus
flou, car moins détaillé qu’une
peinture classique. Reste qu’en
pratiquant régulièrement cet
exercice, l’on arrive rapidement
à un très beau résultat.
J’aime travailler avec les mêmes
personnes, il me semble
plus intéressant d’apprendre
à connaître un corps en
profondeur plutôt que de
changer souvent de modèle.
De haut en bas :
Marie. 42 x 60 cm.
Flore. 42 x 60 cm.
À droite :
Thrust. Huile sur toile,
51 x 30 cm.
« J’essaye d’avoir toujours conscience de la surface
que je suis en train de peindre. Sa forme, son
orientation, ses spécificités morphologiques… »
LIMITES DE TEMPS
Pour mon travail d’après
modèle, j’ai adopté le
principe de vingt-trois
minutes de pose et
sept minutes de repos
(cumulée, la séance va
durer trois heures).
Ce rythme régulier
permet de se fixer des
objectifs. Chaque temps
correspond à une étape.
Pratique des Arts- Spécial huile
31
SHANE WOLF
NU alla prima avec modèle
GESTES CLÉS
Pour créer des aberrations
sur mon fond, je gratte le lit
de la peinture avec une brosse
assez rigide. Cela va apporter
du caractère à l’image.
1
2
3
4
DÉTAILS.
Le coude doit passer au
premier plan, il est comme
en suspension. La main
prend appui sur la hanche
du modèle.
1 Préparation du fond et de la palette.
Sur une chute de toile de lin, je prépare un
fond brossé avec un reste de ma palette
précédente pour limiter les pertes. En règle
générale, ce mélange donne un gris, mais ce
fond tire sur le violet, car il devait y avoir
des restes de rouge perse dans le mélange.
J’ajoute de l’essence de pétrole. Préparez
votre fond plusieurs jours avant,
pour qu’il puisse sécher correctement.
2 Mise en place du dessin. Sur ma palette,
je mélange de la terre d’ombre brûlée et du
blanc d’argent, l’idée étant de réaliser un
croquis rapide et de travailler dans le frais
32 Pratique des Arts-Spécial huile
car j’ai besoin d’une pâte assez liquide.
Mon croquis se compose essentiellement
de lignes droites. L’intérêt de travailler
d’après modèle réside dans le fait qu’il
bouge légèrement, ce qui permet de choisir
certains éléments dans le mouvement.
Il faut toujours chercher l’expressivité dans
ce type d’exercice.
3 Poser les ombres. J’aime peindre les poses
du dos. L’épine dorsale va me guider.
L’ensemble du corps est tenu par cette
ligne. Partant d’un fond clair, j’inverse ma
palette et je commence donc par les
tonalités les plus sombres. L’imprimatur
n’est pas le demi-ton de la peau du modèle.
Les demi-tons sont directement posés en
contact avec mes ombres les plus sombres.
4 Équilibrer les valeurs. Je commence à
équilibrer les ombres dans le frais. Je monte
d’un demi-ton plus clair en apportant un
peu d’essence de pétrole à mon mélange.
La touche est ainsi plus fluide. Veillez à
avoir en tête le relief lorsque vous peignez,
cela permet d’orienter les touches de façon
plus efficace.
5 Poser les tons clairs. Je grise un peu la
carnation et j’apporte un peu de chaleur
CORRIGER LE COU
Voilà tout l’intérêt de ce genre
d’exercice : apprendre à regarder
et corriger ses erreurs dans le frais.
Ici, il manquait des vertèbres
au niveau du cou.
5
6
7
8
GESTUELLE DES TRANSITIONS
Soigner les transitions permet
d’obtenir une peau plus naturelle.
En plaçant correctement votre
pinceau, essayez de tirer le pigment
vers la ligne externe, du clair
vers l’obscur.
TABLEAU TERMINÉ
à la peau avec une combinaison terre
d’ombre brûlée et ocre jaune, car je veux
baisser d’environ deux tons et couvrir tout
le volume du corps. Ce travail peut se faire
aussi pendant le temps de repos du
modèle, du moins si l’on est en mesure de
garder en mémoire l’éclairage et les
accroches sur le corps. Une fois que mes
volumes et carnations sont installés, je
peux commencer à rentrer dans les détails.
6 Poursuivre l’étude. J’attaque la courbe du
dos, l’épaule et l’omoplate. C’est une zone
intéressante à travailler car elle regroupe
toute la gamme des valeurs. Pour obtenir
de belles transitions, il faut essayer de
tirer le pigment vers la ligne externe,
du clair au sombre. Trouvez une position
confortable et travaillez délicatement.
Enfin, je précise les obliques externes
au niveau des hanches. Fiez-vous à
l’observation du modèle.
Finitions. Je remarque qu’il manque
deux vertèbres dans le cou du modèle,
je les ajoute. Je peins quelques rehauts,
en particulier sur la septième cervicale.
Ces éclats sont essentiels et soulignent la
présence des os. Je reprends les cheveux
avec du noir d’ivoire et du blanc. J’utilise
7
un pinceau éventail pour enlever les points
hauts. Je précise la jambe d’appui, cela
renforce la composition, ainsi que l’arrière
de la cuisse. J’apporte un peu de rouge
de cadmium sur les zones où les muscles
se contractent.
8 La séance et la toile se terminent.
Les transitions de valeurs, notamment dans
le dos, sont correctement peintes. J’aime
la position suspendue du coude et aussi
celle de la main en appui qui vient asseoir
et soutenir la composition. La note
légèrement rosée de la peau donne
l’illusion de la vie.
Pratique des Arts- Spécial huile
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