La soirée promettait d`être longue Année 1930 en pleine prohibition

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La soirée promettait d`être longue Année 1930 en pleine prohibition
La soirée promettait d’être longue
Année 1930 en pleine prohibition.
New York, la neige, un 18 décembre, les pneus du taxi crissaient à chaque virage.
Avant d’arriver à mon premier rendez-vous, je jetai un œil à mon carnet de visite.
Cinq noms étaient inscrits sur le calepin. La soirée promettait d’être longue. Arrivé
devant le club, j’offris un bon pourboire au chauffeur de taxi et entrepris de remettre
en ordre ma veste. Je redressai mon chapeau puis m’enfilai une gorgée du mauvais
bourbon qui traînait dans ma flasque avant d’entrer dans le bar. Deux colosses
surveillaient l’entrée. Je n’eus qu’à montrer ma plaque pour qu’ils me conviassent à
entrer. Salle enfumée, belles aux chapeaux et élégants en costumes, ça empestait
l’argent facile et la débauche. Une contrebasse et un pianiste jouaient en fond
sonore. Je me dirigeai calmement vers le comptoir et y commandai une vulgaire
limonade. Rapidement un des gardes s’approcha d’un vieux distingué en me
désignant du regard. Le patron. Bien, tout se passait comme prévu. Je m’installai sur
une table inoccupée dans un coin de la salle, posai mon chapeau et arrosai
discrètement mon verre de bourbon. Les bruyants éclats de rires et les quelques
fêtards avachis près de la scène révélaient la face cachée de ce lieu. Un speakeasy,
un club ne respectant pas la prohibition et augmentant son chiffre d’affaire par la
vente d’alcool de contrebande. Une rumeur circulait que le gérant était un
indépendant. Pas d’appartenance à un gang ou à une famille. Il devait avoir du cran.
D’un coup le brouhaha général cessa. Le patron était monté sur l’estrade. Sous un
tonnerre d’applaudissements, il nous annonça son étoile montante, Lili. Lentement,
on la vit traverser les rideaux de velours sur une mélodie languissante jouée au
piano. Grande, brune, sa robe de velours carmin contrastait avec sa peau d’opaline.
D’une voix suave, elle répondait au saxophone tout en se déplaçant, lascive, de table
en table. Fascinés, tous suivaient du regard cette délicieuse créature s’asseyant sur
les genoux des uns, lançant un clin d’œil aguicheur aux autres. Elle avait dû en
envoûter plus d’un avant d’échouer dans ce club de seconde zone. Une rumeur
disait qu’elle avait été une des favorites de Scarface. Je n’en savais rien, mais une
chose était sûre, elle devait avoir encore de l’influence dans le milieu pour qu’on
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m’ait donné ce job. Dommage, ça paraissait être une chouette fille. Je me ressaisis, il
fallait que je cesse de penser, ça allait finir par me mener à ma perte. Je repris une
lampée de mon mauvais whisky, attendis la fin du show et me dirigeai vers le patron.
« Bonjour, je suis le commissaire John O’Naran de la brigade des mœurs », lui dis-je
en tendant ma plaque. Je le vis pâlir. Nul gérant de club n’aimait voir les fédéraux
s’intéresser de trop près à son établissement.
« Que puis-je faire pour vous monsieur O’Naran ? demanda-t-il
.
- Je voudrais voir mademoiselle Émilie Farewell au sujet d’une affaire en cours, lui
répondis-je calmement.
- Émilie… ah oui Lili. C’est à quel sujet précisément ? me questionna-t-il en ayant
bien du mal à refréner son angoisse.
- Affaire d’État, je ne peux rien vous révéler. Pourriez-vous m’indiquer sa loge ? Je
n’ai pas toute la nuit à consacrer aux affaires concernant Mlle Farewell. Je suis déjà
en retard pour mon prochain rendez-vous, rajoutais-je après avoir consulté l’heure
sur ma montre à gousset.»
Craignant pour l’avenir de son club, le patron tenta de gagner mes faveurs en
m’emmenant lui-même dans les coulisses.
« Vous êtes bien jeune pour un commissaire. Vous avez dû avoir un parcours hors
du commun pour arriver si tôt à un tel grade. Peut-être un fait d’armes exemplaire
vous a valu un tel statut ? » me questionna-t-il en farfouillant dans ses poches. Il était
facile d’imaginer qu’il essayait d’estimer le prix de la discrétion d’un jeune officier à la
manière dont il m’auscultait.
« Non monsieur. Il m’a suffi de faire preuve de zèle et d’intégrité. Par les temps qui
courent il s’agit de deux qualités très recherchées dans nos bureaux» lui répondis-je
de la manière la plus glaciale possible.
Refroidi, il resta silencieux. Nous arrivâmes rapidement à la loge. Devant, un homme
de main montait la garde arme à l’épaule. Voyant mon air soucieux il crut bon de se
justifier.
« Vous savez, vu l’époque troublée que l’on traverse, un peu de prudence vaut
mieux que de mauvaises surprises. »
Je remerciai le gérant et demandai à ne pas être dérangé durant mon entretien avec
Mlle Farewell. Le patron parti, j’interrogeai le garde pour connaître l’épaisseur des
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murs de la loge. Il me répondit que le club avait été construit sur une vieille chapelle.
Il n’y avait donc pas de risque que l’on entende ma conversation avec l’étoile
montante. Je frappai trois coups à la porte, déclinai mon identité, puis attendis
patiemment que l’on m’invite à entrer. La pièce était moins exiguë que je l’avais
imaginée. À dominante rouge et jonchée de coussins de velours, elle semblait sortie
d’un autre temps, un temps propice aux passions fougueuses et dévastatrices. Des
malles de costumes encombraient les coins du salon tandis qu’un immense miroir
reflétait, au bout de la pièce, la dame qui siégeait face à lui dans un confortable
fauteuil vermeil. Le parfum envoûtant de la lady me faisait tourner la tête. Me
concentrer, il fallait impérativement que je reprenne mes esprits. Tout en
m’approchant de la délicieuse créature, j’enlevai mon chapeau et remis mes gants
en cuir.
« Madame, je suis le commissaire O’Naran. J’aimerais votre soutien dans une
affaire. N’ayez crainte, il ne s’agit que d’une affaire de faible importance. Il s’agit juste
d’une vérification de votre état civil. Figurez-vous qu’un incendie a eu lieu au central
de l’administration, détruisant ainsi quelques dossiers dont les vôtres. Vous êtes bien
âgée de vingt-trois ans et habitée bien le quartier St Louis ? »
« Oui » convint-elle tout en continuant de se coiffer face au miroir.
« Vous avez bien fréquenté le Moe’s bar au courant de l’année dernière dans lequel
vous avez rencontré monsieur Ridelchi ?
- En quoi cela fait-il partie d’un dossier d’état civil ?» me rétorqua-t-elle trop
rapidement. J’avais touché un point sensible.
« Répondez seulement à mes questions mademoiselle. Sitôt celles-ci finies, je
partirai.
- Effectivement j’ai rencontré au Moe’s bar monsieur Ridelchi, mais je ne connais rien
de ses activités. » Dans ses yeux brillait une lumière nouvelle. Elle avait compris que
je devais être plus qu’il n’y paraissait. Son comportement à mon égard changea
subrepticement. Plutôt que de jouer l’indifférence hautaine, il était toujours plus aisé
de se débarrasser des fouineurs par la séduction. Elle se leva donc de son fauteuil et
ramassa une robe soyeuse noire sur le sol.
«Cela vous dérange-t-il que je me change pendant que nous discutons ? Je dois être
prête pour le prochain spectacle qui aura lieu dans une trentaine de minutes. »
Après mon approbation, elle s’installa derrière un paravent. La lampe située de son
côté me faisait profiter d’un spectacle d’ombres chinoises des plus déstabilisant.
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J’éprouvais de plus en plus de difficultés à me concentrer. Il me fallait rapidement
arriver à mon but ou j’échouerais.
« Avez-vous eu des relations intimes avec monsieur Ridelchi ?
- Un gentleman ne pose pas ce genre de question monsieur O’Naran.
- En service je ne peux me soumettre au code de courtoisie. Répondez à ma
question ce ne sera plus long.
- Je reconnais avoir entretenu avec monsieur Ridelchi des rapports plus que
cordiaux. En avez vous encore pour longtemps ?
- Non madame, le reste sera bref. » Sa dernière réponse m’avait, hélas, fourni ce
que j’étais venu chercher. Je plongeais ma main dans ma poche à la recherche de
mon outil de travail lorsqu’elle sortit de derrière son paravent et me demanda de lui
boutonner sa robe. À contre cœur, j’acceptai. Le parfum de ses cheveux agressait
mes sens. Elle cambrait les hanches et se donnait une posture suggestive pour me
faire renoncer à mes devoirs policiers et m’inciter à adopter une attitude plus
entreprenante à son égard. Une fois ses boutons mis, elle me demanda de lui passer
au cou une rivière de diamants. Voyant là une opportunité, je la saisis. Ce n’est que
lorsqu’elle sentit le mordant de la corde à piano qu’elle comprit. Elle tenta de se
débattre, mais je n’en n’étais pas à mon coup d’essai. Privé d’oxygène, son corps
splendide était traversé de soubresauts. Bientôt tout fut fini. Je ramassai mon
instrument, déplaçai le corps sur le fauteuil vermeil et posai sur Mlle Farewell le mot
que l’on m’avait transmis : «Pour m’avoir trompé, Corneone. »
J’ouvris doucement la porte pour ne pas surprendre la sentinelle.
« Dame Lili vous demande de veiller à ce qu’on ne la dérange pas. Elle a pris du
retard dans ses préparatifs. Elle vous demande donc de garder sa porte jusqu'à
nouvel ordre. »
Tranquillement, je franchis le couloir qui me séparait de la salle de spectacle. Là
j’annonçai au patron que j’avais eu les renseignements que j’étais venu chercher et
le remerciai chaleureusement de son aimable coopération. Je ressortis donc du bar,
ma tâche accomplie. Une fois dans la rue, je traversai rapidement le boulevard pour
me fondre dans l’obscurité. Hors de vue, je jetai ma fausse plaque, enlevai ma
moustache postiche et vidai d’un trait le reste de ma flasque. Maudit métier. J’ouvris
ensuite mon carnet ou je rayai le nom d’Émilie Farewell. Il restait quatre noms. Je
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sélectionnai celui de la Belle Henriette, prostituée ayant été au mauvais endroit au
mauvais moment, et hélai un taxi. La soirée promettait d’être encore longue.
Alexandre CLABAULT
ème
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Prix Collège Etudiants