Sauvetage par hélicoptère: ses obstacles et ses dangers

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Sauvetage par hélicoptère: ses obstacles et ses dangers
Sécurité du travail et promotion de la santé
Sauvetage par hélicoptère: ses obstacles et ses dangers
Anna Aznaour, [email protected]
Au cours de l’année 2011, plus de 14 000 missions de sauvetage par hélicoptère ont été menées en Suisse par nos trois
compagnies de secours aérien: Rega, Air-Glaciers et Air-Zermatt. Confrontés, jour après jour, à des situations aussi urgentes
que périlleuses, quatre sauveteurs chevronnés lèvent un coin de voile sur les obstacles et les dangers qui les guettent lors de ces
interventions.
«C’était la nuit, au Servant, avec du mauvais temps, du brouillard. J’avais auparavant déposé le chef de la colonne de secours pour aider un blessé. Mais rien ne
s’était passé comme prévu. Arrivé à l’endroit où il y avait l’accidenté, il s’était
rendu compte qu’il ne pouvait rien faire à
cause d’un immense bloc de rocher, qui
risquait de tomber à tout moment. Alors
il m’a appelé pour dire: «Si tu ne viens pas
tout de suite, on va mourir.» Il fallait vraiment risquer tout pour sortir le blessé et
le chef de la colonne de secours». Parmi
les 3200 missions de sauvetage accomplies en 20 ans par le pilote et le directeur
d’Air-Zermatt, Gerold Biner, c’était, sans
commune mesure, la plus risquée.
La météo hostile et l’altitude sont les
deux dangers les plus cités par les pilotes
d’hélicoptère de sauvetage. Tout entre en
ligne de compte: les nuages, le vent, la
mauvaise visibilité. Et pour un engin
dont la limite de puissance se situe à
4’500 mètres d’altitude, les secours en
haute montagne sont particulièrement
délicats. Mais c’est le quotidien de
l’équipe de monsieur Biner, puisque la région de Zermatt compte 28 sommets qui
culminent à plus de 4 000 mètres d’altitude. Parmi l’ensemble de leurs interventions, 70% concernent les pistes de ski, et
dans un tiers de ces cas, les gens sont secourus à l’aide d’un treuil, car en altitude,
le plus grand problème est l’impossibilité
d’atterrir pour cause de manque de place.
Les 30% restants concernent les accidents de circulation, les maladies et les
transferts inter-hospitaliers.
D’après les statistiques de la période
2000–2011 de la Rega, les accidents de
sport d’hiver, qui se trouvent à la
deuxième place des causes d’intervention
pour les missions héliportées, après celles
des maladies, ont connu une progression
de 29% en 11 ans. «Actuellement, de plus
en plus de gens pratiquent des activités à
l’extérieur, comme des randonnées, du
Gerold Biner, pilote,
directeur d’Air-Zermatt
ski, etc. Le fait qu’il y ait plus de monde
augmente le nombre potentiel d’accidents. De nos jours, les gens ont trop
confiance dans la technique. Ils partent
en randonnée avec un GPS et leur téléphone portable, mais ils oublient que,
quand il fait vraiment mauvais temps,
nous ne pouvons pas voler avec les hélicoptères dans les montagnes. Dans ces
conditions, une simple entorse, qui empêche la personne de se déplacer, peut
vite dégénérer en lutte pour la survie.
Surtout lorsque l’endroit n’est pas accessible par hélicoptère et que les secours
terrestres, qui vont prendre beaucoup de
temps pour atteindre les lieux, sont la
seule solution. La trop grande confiance
dans les technologies a tendance à déresponsabiliser les gens», constate Dominique Michellod, responsable des guides
sauveteurs à la Maison François-Xavier
Bagnoud du sauvetage de Sion de la compagnie Air-Glaciers.
Mais comment s’organise une opération
de sauvetage? Après avoir reçu l’appel de
détresse, la centrale 144 transfère les renseignements communiqués par les appelants à l’une des trois compagnies de secours aérien: Rega, Air-Glaciers ou
Air-Zermatt. Les missions sont dispatchées en fonction de l’emplacement géo-
graphique des demandeurs de secours.
En principe, Air-Zermatt s’occupe de la
partie alémanique du canton du Valais et
Air-Glaciers de sa partie francophone.
Pour tout le reste de la Suisse, c’est la
Rega qui est sollicitée. Les informations
demandées concernent le lieu, le nombre
de personnes impliquées, la situation et
les problèmes auxquels les sauveteurs
vont devoir faire face ainsi que les conditions météo sur place. En cas de mission
dite simple, c’est-à-dire quand l’endroit
est bien connu, l’équipage est composé
de 3 personnes: le pilote, l’assistant de vol
et le médecin. Quant aux missions libellées «délicates», c’est-à-dire sans possibilité d’atterrissage ou en milieu périlleux,
l’équipage est complété par un guide de
montagne paramedic. Dans ces cas, une
fois arrivés sur place, les sauveteurs repèrent l’endroit de l’accident et préparent
l’opération d’hélitreuillage qui consiste à
descendre, à l’aide d’un treuil, le médecin
et le guide sur les lieux de l’accident pour
prendre les premières mesures, sécuriser
le patient et lui apporter les soins de base
avant de l’évacuer.
Lors du vol de secours, les pilotes sont
régulièrement confrontés à des obstacles,
comme les câbles, les antennes et les pylônes. Dans les câbles, il faut distinguer
les lignes à haute tension, qui sont, en
principe, répertoriées et donc mentionnées sur les cartes. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas des petites lignes
comme celles du téléphone qui passent
d’une porte à l’autre ou encore sortent de
la forêt pour longer une route. Sans parler des lignes utilisées par les paysans
pour, par exemple transporter le foin.
Elles représentent le plus grand danger,
dans la mesure où elles sont souvent peu
visibles. Mais ce n’est pas le seul obstacle.
Il y a aussi tous les objets qui peuvent
s’envoler à l’approche d’un hélicoptère,
comme par exemple les bouts de tôle. Effectivement, quand un hélicoptère est en
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Dominique Michellod lors d’une
opération de treuillage (Air-Glaciers)
Photo: Maison François-Xavier
Bagnoud du Sauvetage
Dominique Michellod (Air-Glaciers),
responsable des guides sauveteurs à la
maison de sauvetage de SionPhoto:
Maison François-Xavier Bagnoud du
Sauvetage
phase stationnaire, le souffle qu’il dégage
peut aller jusqu’à 120 kilomètres par
heure. Ce danger est également très présent dans une forêt où les branches d’arbres peuvent céder sous l’effet du vent.
Pour pouvoir braver tous ces obstacles,
les pilotes sont équipés d’un matériel très
pointu comme, entre autres:
● carte électronique synchronisée avec la
position GPS de l’appareil. Elle
contient les câbles et les antennes répertoriés et annoncés. En cas de proximité, un signal rouge s’active sur
l’écran;
● système Floice où ces mêmes obstacles sont répertoriés ; en cas de proximité, une alarme audio et visuelle se
met en marche;
● cartes
topographiques suisses à
l’échelle 100 000 où tous les obstacles
sont indiqués;
● coupe-câbles composé de deux pinces,
dont chaque hélicoptère de la Rega est
équipé, et qui peuvent couper les
lignes, sauf celles de haute tension, de
moins de 12 millimètres de diamètres;
● lunettes spéciales de vision nocturne
pour amplifier la lumière en cas de vol
de nuit, etc.
ble en composant le numéro d’appel
d’urgence de la Rega 1414. Le démontage
et l’élimination gratuits de ces obstacles
sont assurés par des spécialistes qualifiés.
Toutefois, les dangers et les obstacles matériels ne sont pas les seuls ennemis des
sauveteurs. Soumis quotidiennement à
des situations très stressantes, ils n’ont,
malgré tout, pas droit à l’erreur. «Lors de
la mission, nous avons des directives à
suivre, et le fait de devoir agir vite aide à
maîtriser ses émotions parce que nous
avons des choses urgentes et précises à
faire. Par la suite, les images restent et il
faut apprendre à vivre avec, on ne peut
pas porter tous les malheurs du monde
sur ses épaules», confie Dominique Michellod. Tandis que, pour Werner Marty,
pilote et chef de base auprès de la Rega,
«chaque intervention est différente. Une
mission banale peut devenir rapidement
très émotionnelle. Contrairement aux
médecins et aux sauveteurs professionnels qui s’occupent du patient, le pilote
est en retrait, et c’est vers lui que se tournent le plus souvent les proches. En cas
de situation de réanimation, par exemple,
nous sommes assiégés de questions
comme: «Est-ce qu’il/elle va s’en sortir?»
et c’est d’autant plus éprouvant quand il
s’agit d’un enfant. Trouver les bons mots
n’est pas toujours facile.»
Par ailleurs, l’action intitulée Remove,
lancée par la Rega, tente de diminuer les
risques d’accident lors des missions de
sauvetage. Il s’agit d’un appel national
adressé aux propriétaires de câbles et des
installations hors service, qui sont priés
d’annoncer ce matériel hautement nuisi3/12
Évacuer alors le plus rapidement possible
les charges émotionnelles permet aux
sauveteurs de préserver leur équilibre
psychologique et les prémunit contre le
Werner Marty (Rega), pilote,
chef de base de Lausanne
burn-out. L’intensité de la douleur et du
chagrin ressentis sur le moment où tout
le monde a vu la même chose mais où
chacun l’a perçue et vécue différemment,
s’estompe grâce au débriefing d’équipe.
La dédramatisation de la situation est essentielle dans ce métier. «Parler de nos
émotions est indispensable. Ça nous aide
à exprimer notre vécu par des mots. Et
plus cet échange intervient vite après une
mission émotionnellement chargée et
mieux c’est, comme dans le cas de cette
intervention où un très jeune enfant avait
été tué par un chien. Le fait de se retrouver seul à ressasser dans sa tête les images
des situations difficiles les grave plus profondément dans nos esprits et nos mémoires», explique Walter Schneibel, pilote et instructeur de vol à la Rega.
Mais est-ce que tout le monde en serait
capable? La prévention commence dès la
sélection des aspirants pilotes de sauvetage. Certaines candidatures sont éliminées dès le premier tour. Il s’agit en premier lieu des têtes brûlées qui auraient
l’inclination prononcée à prendre de
grands risques en mettant ainsi la vie de
tout l’équipage en péril. Il faut, en effet,
avoir un certain pedigree pour devenir
sauveteur, comme l’explique Werner
Marty, pilote expérimenté et ancien de
Swissair. Les prérequis indispensables
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sont le tempérament calme et pondéré, le
sang-froid, la capacité d’analyse, la résistance au stress, l’esprit d’équipe et surtout l’aptitude à prendre rapidement les
bonnes décisions en prenant le minimum
de risques. Une fois la sélection terminée,
commence la période de formation qui
va durer entre 5 et 7 ans et coûter en
moyenne 200 000 CHF à la compagnie,
comme l’indique Gerold Biner, jusqu’à
ce que l’apprenti pilote arrive au niveau
exigé. Par la suite, ce sont les examens annuels de suivi et les débriefings après
chaque mission qui permettent de continuer à se former sans cesse. Malgré ce
que peut penser d’eux la population, les
sauveteurs interrogés se jugent euxmêmes comme étant des gens tout à fait
ordinaires qui, comme les autres, essayent simplement de faire un travail de
qualité.
Cela dit, si la profession de sauveteur
n’est pas à la portée de tout un chacun, la
1414 Rega
145 centre d’information toxicologique
114 conseils médicaux avant l’arrivée des
secours
112 urgence européenne
D’après une récente enquête menée par
la Bâloise Assurances et l’Alliance suisse
des samaritains (ASS), une fois sur deux,
les secours arrivent trop tard car plus de
la moitié de la population ne connaît pas
ces numéros. À bon entendeur.
Walter Schneibel (Rega), Pilote et
instructeur de vol
capacité de porter assistance à son prochain en détresse est dans les cordes de
n’importe qui. Pour ce faire, il suffit juste
de mémoriser les 7 numéros d’urgence
suivants:
144 urgence médicale
117 police
118 pompiers
Liens utiles
Air-Glaciers www.air-glaciers.ch
Air-Zermatt www.air-zermatt.ch
Rega www.rega.ch
Interventions de la Rega 2000-2011
www.rega.ch/pdf/medien/2012/Einsatzstatistik_2011_fr.pdf
Projet Remove: annonce des câbles et des installations non utilisés
www.rega.ch/fr/medias/publications.aspx
Constat alarmant: une personne sur deux seulement connaît le numéro d’urgence 144
www.baloise.ch/fr/unser-unternehmen/medien/medienmitteilungen/basler-versicherungen/2012/alarmierend-nur-jeder-zweite-kenntdie-notrufnummer-144.html
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