1989 - Accueil
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*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de l'année *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *1967-2004 *Type : *texte,publication en série imprimée *Langue : * Français *Format : *application/pdf *Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date> *Identifiant : *ISSN 04494733 *Source : *Larousse, 2012-129536 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 509 Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1990 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 509 CHRONOLOGIE 1989 Janvier Dimanche 1er FRANCE Commémoration. L’ouverture des festivités du Bicentenaire de la Révolution française est célébrée dans les 98 chefs-lieux de département de France et d’outre-mer par l’envol de mongolfières. Immigration. Le ministère de l’Intérieur annonce quatre circulaires destinées à « corriger » la « loi Pasqua » du 9 septembre 1986 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. CANADA ! ÉTATS!UNIS Relations économiques. Entrée en vigueur du traité de libre-échange prévoyant la suppression totale en dix ans des barrières tarifaires entre les deux pays. Lundi 2 BELGIQUE Vie politique. Le départ du maire francophone de la commune flamande des Fourons supprime l’une des causes de crise institutionnelle du pays devenu, le 1er, un État fédéral. Mercredi 4 MÉDITERRANÉE Incident militaire. Au large des côtes de la Libye, deux F-14 américains appartenant au porte-avions « USS-John-F.-Kennedy » abattent deux Mig-23 libyens, dont le comportement était jugé hostile. Le 11, la tension retombe entre les deux pays qui s’accordent à considérer que « l’incident est clos ». SAHARA OCCIDENTAL Conflit. À Marrakech, le roi Hassan II reçoit pour la première fois une délégation officielle du Front Polisario. Jeudi 5 FRANCE Affaires. M. Pierre Bérégovoy évoque publiquement et avec « sérénité » les rumeurs de délits d’initiés portant sur l’opération de rachat, en novembre 1988, d’American National Can (ANC) par Pechiney. Le 14 décembre 1988, la Commission des opérations de Bourse downloadModeText.vue.download 3 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 2 (COB) avait ouvert une enquête à ce sujet après avoir été prévenue par la SEC, son homologue américaine, de l’achat massif d’actions Triangle, la société mère d’ANC, avant la date du rachat (20, 23 et 31). Vendredi 6 FRANCE Faits divers. Un groupe de jeunes royalistes perturbe le récital de chansons révolutionnaires d’Hélène Delavault au théâtre des Bouffes-duNord et bouscule la cantatrice. Trois suspects sont inculpés le 13. INDE Troubles. Les deux militants sikhs reconnus coupables du meurtre, le 31 décembre 1981, du Premier ministre Indira Gandhi sont pendus. Les jours suivants, en représailles, les séparatistes sikhs assassinent plusieurs hindous au Pendjab. Samedi 7 La conférence internationale sur les armes chimiques, annoncée par le président Reagan le 26 septembre 1988 à la tribune de l’ONU, se tient à Paris jusqu’au 11 en présence des délégations de 149 États. Le 8, M. Édouard Chevardnadze annonce que l’URSS commencera à détruire ses stocks avant la fin de l’année. Le document final appelle à la rapide conclusion à Genève d’une convention interdisant la fabrication, l’usage et le stockage de ce type d’armes (11). URSS Art. Pour la première fois depuis soixante ans, le pouvoir autorise l’exposition à Moscou de deux cents oeuvres du peintre Kazimir Malevitch (1878-1935), pionnier de l’art abstrait. JAPON Mort d’un symbole Le plus ancien souverain du monde s’éteint le 7 janvier à Tokyo après 62 ans de règne. Hirohito, empereur du Japon, meurt des suites d’un cancer au duodénum, au terme de plus de trois mois d’agonie. Il avait 87 ans. L’heure est venue pour lui, selon la tradition, de prendre le nom de son règne, Showa. Ce n’est pas sa première transformation : en 1946, le descendant d’Amaterasu, déesse du Soleil, était devenu un monarque constitutionnel et le demi-dieu, un simple mortel. Cette mutation de l’institution impériale est à l’image de celle du Japon lui-même, dont le règne de Hirohito constitue une étape charnière de l’histoire. Celui-ci parvenait en effet à être à la fois le petit-fils de l’empereur Meiji, qui fit passer sans transition le pays du Moyen Âge au XXe siècle, et le père du prince Akihito, qui est le premier à être sorti du palais impérial pour fréquenter l’université et épouser une roturière. Entre l’impérialisme militariste d’hier et l’impérialisme économique d’aujourd’hui, c’est lui qui aura connu l’humiliation de la première et seule défaite de son pays et subi le jugement de l’histoire. Certains le considèrent comme un criminel de guerre, d’autres le jugent héroïque d’avoir su imposer la capitulation à son état-major belliciste. Le processus de démocratisation instauré par les Américains dans l’empire du Milieu l’obligea à renoncer à ses origines divines. Les Japonais purent enfin le regarder et certains, même, lui serrer la main. La Constitution de 1946 réduisit son rôle à celui de simple « symbole de l’unité nationale ». Ce symbole sera désormais incarné par le prince héritier Akihito, né en 1933, qui succède immédiatement à son père. Lors d’une cérémonie, le grand chambellan lui remet solennellement les sceaux impériaux ainsi que les attributs de sa souveraineté. Mais c’est le gouvernement qui choisit de nommer la nouvelle ère « Heisei », ce qui signifie « accomplissement de la paix à l’intérieur comme au dehors ». L’ambiguïté demeure donc et les questions resurgissent depuis plusieurs années. Le shinto, culte national d’un État laïque ? Et l’empereur, représentant de la nation à l’« existence sacrée » ? downloadModeText.vue.download 4 sur 509 CHRONOLOGIE 3 L’intégration des rites shinto aux funérailles nationales de l’empereur, qui se déroulent le 24 février, laisse à réfléchir. Dimanche 8 GRANDE!BRETAGNE Catastrophe aérienne. Un Boeing-737de la compagnie British Midlands Airways, qui assurait la liaison Londres-Belfast, s’écrase non loin de l’aéroport d’East-Midlands. Le bilan de cet accident, qui pourrait être dû à une inversion des circuits de détection d’incendie, est de 44 morts et 82 rescapés. Lundi 9 AFGHANISTAN Conflit. Les négociations entre les Soviétiques et les représentants de la résistance sont rompues. Les jours suivants, l’URSS reprend le retrait de ses troupes du pays (27). Mardi 10 FRANCE Faits divers. Les cadavres des « disparus de Fontainebleau » sont retrouvés dans la forêt, non loin de l’endroit où l’on avait perdu leurs traces, le 31 octobre 1988. Gilles Naudet, Anne-Sophie Vandamme et leur chien ont été tués par balles. Sociétés. Le constructeur de chaudières nucléaires Framatome annonce la réussite de son OPA amicale sur la firme américaine Burndy, spécialisée dans la fabrication de connecteurs électriques et électroniques. La prise de contrôle de la société française Souriau, le 26, lui permet de devenir le deuxième fabricant mondial de ce secteur derrière l’américain AMP. Énergie nucléaire. Le gouvernement autorise le redémarrage provisoire du surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère). La centrale était arrêtée depuis le 26 mai 1987 à la suite d’une défaillance technique. Mercredi 11 RFA Armes chimiques. Le gouvernement reconnaît la participation de firmes ouest-allemandes à la construction de l’usine chimique libyenne de Rabta. En décembre 1988, les Américains avaient affirmé que cette usine produisait des gaz de combat (7). Jeudi 12 FRANCE Partis politiques. Le PC et le PS signent un accord en vue de la présentation de listes communes lors des prochaines élections municipales. L’UDF et le RPR avaient fait de même le 5. Toutefois, plusieurs « primaires » sont organisées localement, à gauche comme à droite. Relations économiques v. Algérie URSS Nationalités. Le présidium du Soviet suprême décide de rattacher provisoirement au pouvoir central l’administration du Haut-Karabakh. Son statut de région autonome de la République d’Azerbaïdjan est maintenu bien que ses habitants, à 75 % arméniens, réclament depuis onze mois son rattachement à la République d’Arménie. downloadModeText.vue.download 5 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 4 ALGÉRIE Relations économiques. Après deux ans et demi de contentieux, Gaz de France et la Sonatrach signent à Alger un compromis sur le prix du gaz algérien acheté par la France. Cet accord intervient après l’octroi par le gouvernement français, le 8, d’un crédit de sept milliards de francs à l’Algérie. Vendredi 13 FRANCE Catastrophe. À Vaujany (Isère), huit techniciens sont tués dans la chute de la cabine d’un téléphérique géant en cours d’essai. Sociétés. M. Bernard Arnault, P-DG de FinancièreAgache, prend la direction de Louis Vuitton – Moët-Hennessy, numéro un mondial de l’industrie de luxe. À cette occasion, la COB décide d’ouvrir une enquête sur les mouvements boursiers suspects ayant abouti, au début du mois, à l’augmentation de 20 % du titre et à l’échange de 8 % du capital de la société. Politique musicale. M. Pierre Berge, président de l’Association des théâtres de l’Opéra de Paris, limoge Daniel Barenboim, directeur musical de l’Opéra Bastille. Accusé de s’être éloigné des objectifs qui lui avaient été fixés, ce dernier refusait en outre d’accepter la réduction de ses pouvoirs. Peinture. L’exposition de quarante tableaux de Laurent de La Hyre (1606-1656), qui s’ouvre au Musée des beaux-arts de Grenoble, témoigne de la redécouverte du classicisme français. GRANDE!BRETAGNE Sociétés. Menacé par une OPA, le groupe GEC annonce la fusion de ses secteurs européens d’électronique médicale, d’électroménager et de distribution électrique avec son homonyme américain General Electric. SPORT Rallye. Le Finlandais Ari Vatanen remporte le Pa- ris-Dakar après avoir, le 7, tiré la première place à pile ou face avec le Belge Jacky Ickx à la demande de Peugeot, leur écurie commune. Le Français Gilles Lalay, sur Honda, l’emporte chez les motards. Samedi 14 FRANCE Justice. Un procès anachronique Un dialogue de sourds pour un verdict sans alternative possible, c’est en résumé la leçon du procès des quatre membres d’Action directe accusés de l’assassinat de Georges Besse, qui se déroule du 9 au 14 janvier devant la cour d’assises de Paris, présidée par M. Xavier Versini et composée pour la circonstance de magistrats professionnels. Les faits sont encore dans toutes les mémoires. Le 17 novembre 1986, le P-DG de la Régie Renault, qui rentre chez lui, est abattu de plusieurs balles devant son domicile du boulevard Edgar-Quinet par deux jeunes femmes à visage découvert. Le 21 février 1987, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron, Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani sont arrêtés dans une ferme de Vitry-aux-Loges, où la police découvre les armes du crime, des lambeaux de la serviette de Georges Besse, les plans de l’attentat ainsi que les brouillons du texte de revendication. Envoyé seulement dix jours plus tôt, celui-ci justifie au nom du « commando Pierre-Overney », « l’exécution de la brute Besse », qui incarnait « la place prépondérante du secteur public industriel dans la stratégie impérialiste de concentration économique ». Le ton est donné, inspiré de la phraséologie gauchiste des années soixante-dix. Mais, dix-sept ans après le meurtre de Pierre Overney devant les usines Renault, l’évocation de son nom pour justifier l’assassinat de l’actuel P-DG de la Régie paraît totalement downloadModeText.vue.download 6 sur 509 CHRONOLOGIE 5 anachronique. Les accusés le ressentent-ils, qui affirment durant toute l’instruction n’avoir « rien à dire » ? Se réclamant de « la guérilla ouest-européenne du prolétariat » et se défendant d’être « des citoyens de votre système », les quatre membres d’Action directe exigent un « procès politique ». Mais, signe des temps, plus personne aujourd’hui ne songe à établir de relations entre le degré d’exploitation de la classe ouvrière et la nostalgie criminelle de quatre illuminés. Les témoins ne relèvent que la froide détermination des deux meurtrières qu’ils reconnaissent. Expulsés de la salle d’audience pour insolence dès le premier jour du procès, ils n’y réapparaissent qu’une seule fois, le lendemain, pour lire un discours assommant avant de se retirer définitivement. Ils sont condamnés tous les quatre à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de dix-huit ans. Médecine. À la maternité de Port-Royal, à Paris, une jeune femme qui suivait un traitement contre la stérilité donne naissance à des sextuplés. Exposition. Au Grand Palais, à Paris, s’ouvre la plus grande rétrospective depuis 1949 des oeuvres de Paul Gauguin. Celle-ci réunit plus de deux cents oeuvres venues du monde entier. Musique. Le Nouvel Orchestre philharmonique de Radio-France ouvre l’année consacrée à Dimitri Chostakovitch en interprétant, sous la direction de Marek Janowski, la 14e symphonie du compositeur soviétique décédé en 1975. BELGIQUE Relations internationales. Le gouvernement suspend son aide en faveur du Zaïre après la décision prise par ce pays de cesser le remboursement de ses créances et de dénoncer les traités le liant à son ancienne puissance coloniale. Enlèvement. L’ancien Premier ministre Paul Vanden Boeynants est enlevé à son domicile de Bruxelles (13 février). ZAÏRE v. Belgique Dimanche 15 CSCE La troisième conférence-bilan des accords d’Helsinki de 1975, qui réunit à Vienne depuis le mois de novembre 1986 les représentants de trente-cinq pays, adopte par consensus son document final. Celui-ci porte principalement sur le renforcement des droits de l’homme, sujet sur lequel la Roumanie déclare ne prendre « aucun engagement ». Il prévoit également l’ouverture, en mars, à Vienne, des négociations entre les États membres de l’OTAN et du pacte de Varsovie sur la stabilité conventionnelle en Europe (NSC). TCHÉCOSLOVAQUIE Troubles. La police se livre jusqu’au 20 à une sévère répression et à de nombreuses arrestations lors des manifestations organisées à la mémoire de l’étudiant martyr Jan Palach. Lundi 16 ÉTATS!UNIS Troubles. Des affrontements dont le bilan s’élève à deux morts opposent pendant deux jours la police à certains habitants des quartiers noirs de Miami. downloadModeText.vue.download 7 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 6 Mardi 17 FRANCE Éducation nationale. M. Lionel Jospin présente en Conseil des ministres, puis autour d’une « table ronde », les grandes lignes du futur projet de loi d’orientation sur l’enseignement. Le 18, il expose aux syndicats, qui les critiquent vivement, ses propositions concernant la revalorisation de la profession d’enseignant (27). ISRAËL Territoires occupés. Le ministre de la Défense annonce un renforcement de l’arsenal de répression judiciaire et militaire contre les « lanceurs de pierres ». Mercredi 18 CEE Le Parlement européen vote en faveur du transfert à Bruxelles de certaines sessions spéciales de l’Assemblée de Strasbourg et d’un millier de fonctionnaires basés à Luxembourg. FRANCE Relations internationales v. Bulgarie BULGARIE Relations internationales. M. François Mitterrand effectue jusqu’au 19 la première visite d’un chef d’État français à Sofia, où il défend les valeurs de la démocratie occidentale. POLOGNE Vie politique. Le Comité central du parti communiste (POUP) adopte une résolution prévoyant le rétablissement progressif et conditionnel du pluralisme syndical (22). Jeudi 19 FINANCES MONDIALES Les taux directeurs des banques centrales européennes subissent une hausse concertée (de 3,5 % à 4 % en RFA, de 7,75 % à 8,25 % en France) destinée à enrayer l’augmentation du dollar, qui atteint 1,86 DM, 129 yens et 6,38 francs. FRANCE Académie française. Élu le 23 mars 1988 au fauteuil du duc Louis de Broglie, l’ancien Premier ministre Michel Debré est reçu sous la Coupole par le professeur Jean Bernard. YOUGOSLAVIE Gouvernement. M. Ante Markovic, un Croate, est désigné pour succéder à M. Branko Mikulic qui avait démissionné de son poste de Premier ministre le 31 décembre 1988. ÉTATS!UNIS Justice. L’envoi de convocations judiciaires à 250 courtiers révèle au grand jour l’enquête que menaient depuis deux ans des agents du FBI infiltrés à la Bourse de commerce et sur le marché des matières premières de Chicago ; leurs investigations avaient permis de déceler des fraudes de plusieurs millions de dollars sur les transactions. Médecine. Pour la première fois, des manipulations génétiques de cellules humaines sont officiellement autorisées dans le cadre du traitement d’une forme grave de cancer de la peau (22 mai). Vendredi 20 FRANCE Affaires. Le directeur de cabinet de M. Pierre Bérégovoy, M. Alain Boublil, démissionne afin de pouvoir se défendre publiquement downloadModeText.vue.download 8 sur 509 CHRONOLOGIE 7 contre les « rumeurs » dont il fait l’objet dans le cadre de l’affaire Pechiney (5, 23 et 31). ÉTATS!UNIS Vie politique. Dans son discours d’investiture, le président George Bush déclare vouloir donner à sa « nation un visage plus aimable et au monde un aspect plus doux ». Samedi 21 FRANCE Cinéma. Le grand prix du 17e festival du film fantastique d’Avoriaz est décerné à Faux Semblants, réalisé par l’Américain David Cronenberg et interprété par le Britannique Jeremy Irons. Dimanche 22 POLOGNE Vie politique. Malgré le meurtre, la veille à Varsovie, d’un prêtre proche de l’opposition, le syndicat Solidarité accepte l’offre de négociation faite par le pouvoir sur le principe du pluralisme syndical (18). LIBAN Conflit. Estimant avoir reçu des « garanties crédibles » pour la sécurité de ses délégués, le Comité international de la Croix-Rouge (CIRC) décide de reprendre ses activités dans le pays, suspendues le 20 décembre 1988. ÉGYPTE Archéologie. La mise au jour de cinq statues datant de la XVIIIe dynastie, dans la cour d’Aménophis III (1408-1372 av. J.-C.) du temple de Louxor, constitue la plus importante découverte égyptologique des dix dernières années. Lundi 23 FRANCE Justice. Inculpé le 27 octobre 1987 de forfaiture sur plainte de Radio-Larsen, M. Michel Droit bénéficie d’une ordonnance de non-lieu délivrée par le juge rennais chargé de l’instruction du dossier après le dessaisissement du juge parisien Claude Grellier. Bourse. L’Élysée dément les informations du Monde daté des 22-23 selon lesquelles un rapport des renseignements généraux sur l’affaire Pechiney mettant en cause l’homme d’affaires Roger-Patrice Pelat, ami personnel de M. François Mitterrand, aurait été remis à ce dernier (5, 20 et 31). ESPAGNE Dali entre au musée « L’issue du chef-d’oeuvre, si Dali y parvenait, serait la mort », écrivait le peintre catalan. Ce 23 janvier, à 10 h 13, les aiguilles de toutes les « montres molles » s’arrêtent. Très diminué depuis plusieurs années, Salvador Dali meurt à l’hôpital de Figueras à l’âge de 84 ans. En fait de chef-d’oeuvre, sa légende avait depuis longtemps détrôné sa peinture. Gardera-t-on de lui l’image de l’ancien élève de l’Académie des beaux-arts de Madrid séduit par le surréalisme et adopté par André Breton, qui produit, du Jeu lugubre de 1929 à la Prémonition de la guerre civile de 1936, ses plus beaux tableaux au contact de son égérie Gala ? Ou bien celle du mégalomane « fou du chocolat Lanvin » que le même Breton baptise dès 1940 de l’anagramme « Avida Dollars » lorsque, abandonnant la bohème de Montparnasse, il se lance sur le marché de Walt Disney en brisant avec une baignoire la vitrine d’un grand magasin new-yorkais ? Dali est tout cela à la fois, ou plutôt tour à tour. Sa peinture de facture académique, inspirée par Millet, Ernst ou downloadModeText.vue.download 9 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 8 Arcimboldo, où se mêlent baroquisme, onirisme et symbolisme, par la suite dopée d’effets empruntés à l’holographie et à la chimie nucléaire, est bientôt dévoyée par une abondante production de lithographies à l’authenticité douteuse. Son militantisme surréaliste se transforme peu à peu en gesticulation mondaine et en exhibitionnisme médiatique. Son amitié pour Federico Garcia Lorca laisse place à une admiration inconditionnelle pour le général Franco. Sa méthode « paranoïaque-critique » s’efface peu à peu devant une théorie économique et publicitaire autrement plus rentable. Les poils de sa moustache encaustiquée au « sperme de crapaud » deviennent plus célèbres que ceux de ses pinceaux. Accoucheur parmi d’autres de l’esprit du siècle, Dali se laisse prendre au piège de sa proche création. À force de vouloir ériger de son vivant la folie en classicisme, le « Divin » en devient « vieux jeu ». Nulle folie dans ses obsèques qui ont lieu le 25 janvier dans le musée mausolée de Figueras, où il avait choisi de reposer. Nulle surprise à l’ouverture de son testament, qui apprend à l’entourage avide de ses héritiers potentiels qu’il lègue toute sa fortune, estimée à 10 milliards de pesetas, soit 552,5 millions de francs environ, à l’État espagnol. Installé depuis longtemps dans la légende, Dali est à présent définitivement entré au musée, momifié dans son cercueil. GRÈCE Terrorisme. Le procureur Anastassios Vernardos est assassiné à Athènes par un commando d’extrême gauche. Les 11 et 18, deux autres magistrats avaient été grièvement blessés dans des circonstances similaires. ARGENTINE Troubles. Trente-sept personnes sont tuées au cours de l’attaque, par un commando de guérilleros d’extrême gauche, de la caserne de La Tablada, dans la banlieue ouest de Buenos-Aires. Mardi 24 FRANCE Conflits sociaux. Les mécaniciens d’entretien d’Air France reprennent le travail après trois mois d’un conflit qui a coûté plus de 350 millions de francs à la compagnie. Audiovisuel. Le président de la République désigne M. Jacques Boulet, ancien président de TF1, à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le 17, le Conseil constitutionnel avait validé l’essentiel de la loi créant le CSA. Celui-ci entre en fonctions le 30. Mercredi 25 FRANCE Pêche. Le Premier ministre Michel Rocard tranche dans le conflit opposant depuis plusieurs mois les pêcheurs de Saint-Malo à ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon en accordant une priorité à ces derniers. URSS Politique économique. Tirant les leçons des mauvais résultats de l’économie soviétique, un des proches conseillers de M. Mikhaïl Gorbatchev annonce le report de la réforme du système des prix, clé de voûte de la perestroïka économique. ÉTATS!UNIS Justice. Le groupe financier Drexel Burnham Lambert est officiellement accusé de six délits boursiers pour lesquels il accepte de payer une amende de 650 millions de dollars (4 milliards de francs environ). Jeudi 26 OLP M. Yasser Arafat est reçu officiellement à Madrid, où, le lendemain, il rencontre downloadModeText.vue.download 10 sur 509 CHRONOLOGIE 9 les ministres des Affaires étrangères d’Espagne, de Grèce et de France chargés par la Communauté européenne de promouvoir l’effort de paix au Proche-Orient. Vendredi 27 PACTE DE VARSOVIE Désarmement. Après l’URSS le 7 décembre 1988 et la RDA le 23 janvier, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie annoncent à leur tour des réductions de 10 à 15 % de leur budget militaire respectif. FRANCE Éducation nationale. Plusieurs syndicats d’enseignants de lycées et de collèges manifestent dans la capitale contre les projets du ministre, M. Lionel Jospin (17). PAYS!BAS Amnistie. Deux criminels de guerre nazis détenus depuis 1946 sont expulsés vers la RFA après avoir fait l’objet d’une mesure de grâce en raison de leur âge. AFGHANISTAN Conflit. L’annonce de la fermeture de l’ambassade américaine à Kaboul entraîne le départ, les jours suivants, d’autres représentations diplomatiques occidentales (9). Samedi 28 FRANCE Justice. Trois huissiers lyonnais sont inculpés de vol, destruction d’indices et faux en écritures publiques. Ils sont accusés d’avoir, en août 1986, volé de l’argent et détruit des documents trouvés dans un appartement ayant servi à des membres d’Action directe. TIBET Vie politique. La mort du panchen-lama, second chef religieux tibétain, prive la Chine de son seul allié dans cette région. Dimanche 29 FRANCE Vie politique. Bernard Tapie (majorité présidentielle) remporte l’élection législative partielle organisée dans les Bouches-du-Rhône après l’invalidation du scrutin de juin 1988 favorable à M. Guy Tessier (UDF). Justice. Les auteurs présumés des attentats racistes dirigés contre des foyers Sonacotra de la Côte d’Azur sont inculpés et écroués. Il s’agit d’activistes marginaux proches des milieux d’extrême droite. Outre-mer v. Réunion RFA Vie politique. Les républicains, une formation d’extrême droite issue d’une scission de la CSU, réussissent une percée électorale en remportant 7,5 % des voix et onze sièges lors du renouvellement du Sénat de Berlin-Ouest. RÉUNION Catastrophe naturelle. Le passage du cyclone tropical « Firinga » cause la mort de trois personnes et provoque des dégâts évalués à un milliard de francs. SPORT Tennis. Vainqueur de son compatriote Miloslav Mecir, le Tchécoslovaque Ivan Lendl remporte pour la première fois les Internationaux d’Australie (6-2, 6-2, 6-2). La veille, l’Allemande de l’Ouest Steffi Graf l’avait downloadModeText.vue.download 11 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 10 emporté chez les femmes en battant la Tchécoslovaque Helena Sukova (6-4, 6-4). Lundi 30 Le prince Alphonse de Bourbon, duc d’Anjou et de Cadix, chef de la maison Bourbon, se tue à l’âge de 52 ans dans cident de ski, à Beaver Creek, dans le rado (États-Unis). Son fils unique, le Louis de Bourbon (15 ans), lui succède tête de la dynastie capétienne. LIBAN Conflit. de un acColoprince à la Après un mois de violents combats, les milices chiites rivales d’Amal et du Hezbollah signent un accord de cessez-le-feu imposé par leurs alliés respectifs, la Syrie et l’Iran. VANUATU Élection présidentielle. À la suite de la crise politique ayant abouti, le 12, à la destitution du président George Sokomanu, M. Fred Timakata est élu à la tête de l’État (21 déc. 1988, éd. 1989). Mardi 31 FRANCE Justice. Les trois derniers inculpés dans l’affaire dite des « espions » de la fusée Ariane bénéficient d’une ordonnance de non-lieu. Cette affaire, qui remonte au 16 mars 1987, aurait été, selon leurs avocats, « montée de toutes pièces par la DST ». Affaires. Rendu public, le rapport de la COB concernant l’affaire Pechiney confirme l’existence d’un délit d’initiés commis en France sans toutefois en identifier les responsables. Le dossier est immédiatement transmis à la justice (5, 20 et 23). ANTARCTIQUE Pollution. Le naufrage d’un navire-ravitailleur argentin, le Bahia Paraiso, transportant 950 000 litres de gazole provoque la première marée noire subie par ce continent. Le mois de Jean Dausset Janvier 1989 marque sans doute un tournant dans l’histoire de la médecine. Le 19 janvier, le National Institute of Health américain donnait pour la première fois l’autorisation d’injecter à l’homme des cellules dont le patrimoine génétique avait été préalablement modifié. L’expérience consiste à prélever des cellules sur des malades atteints d’une forme grave et très évoluée de cancer de la peau (mélanome) et à introduire dans ces cellules un gène conférant une résistance à un antibiotique. Cette expérience est un préliminaire à une nouvelle thérapeutique anticancéreuse : l’injection de cellules « tueuses » spécifiques spécialement stimulées qui pourront agir contre les cellules tumorales. On en conçoit aisément la portée et l’espoir qui s’y attache. Cette expérience est la première application à l’homme de la récente et formidable conquête qu’est la maîtrise de la vie. Encore faut-il être précis et tracer des limites à ce pouvoir. L’introduction d’un gène dans une cellule du corps d’un malade est sans doute appelée à un grand avenir dans le traitement des maladies génétiques. Sur le plan technique, il y a encore de grandes difficultés à surmonter. En particulier, le gène introduit, afin de s’exprimer correctement, doit trouver sa place normale sur la longue chaîne qui porte notre code génétique (l’ADN). Cette thérapeutique par le gène ne pose aucun problème éthique. Il s’agit, en effet, d’une simple « greffe » sur une cellule non reproductrice du corps d’un malade. La modification n’est pas héréditaire. On ne peut en dire autant d’une autre technologie déjà appliquée chez l’animal qui consiste à introduire un gène dans une cellule reproductrice car, dans ce cas, il sera transmis aux générations futures. Le patrimoine génétique de l’humanité se trouverait ainsi définitivement modifié. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est clair que cette technologie ne doit en aucun cas être appliquée à l’homme. Les craintes qu’engendre la génétique moderne dans le grand public sont dues à une fréquente confusion entre l’acquisition des connaissances downloadModeText.vue.download 12 sur 509 CHRONOLOGIE 11 et leur utilisation. L’acquisition des connaissances a fait de l’homme ce qu’il est, grâce à un savoir patiemment accumulé. Il n’est donc pas question de limiter la recherche fondamentale (à condition bien sûr que les méthodes de recherche respectent la liberté et la dignité de l’homme). Il faut, en revanche, s’élever avec vigueur contre toute application néfaste, abusive, dévoyée des nouvelles connaissances. C’est pourquoi le Mouvement universel de la responsabilité scientifique (MURS) a pris en 1989 l’initiative de proposera l’ONU l’addition d’un nouvel article à la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Les connaissances scienti- fiques ne doivent être utilisées que pour servir la dignité, l’intégrité et le devenir de l’homme mais nul ne peut en entraver l’acquisition. » Enfin, en ce qui concerne la génétique, il serait hautement souhaitable que l’ONU explicite l’article précédent en énonçant solennellement le principe suivant : « Le patrimoine génétique de l’homme, dans l’état actuel de nos connaissances, ne doit pas être modifié de façon héréditaire. » JEAN DAUSSET prix Nobel président du MURS (127, BD SAINT-MICHEL, 75005 PARIS) downloadModeText.vue.download 13 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 12 Février Mercredi 1er EUROPE Télécommunications. Début de l’exploitation commerciale du premier satellite privé européen, Astra. À terme, celui-ci doit retransmettre douze chaînes. FRANCE Affaires. La Commission des opérations de Bourse (COB) ouvre une enquête au sujet de l’offensive boursière qui a permis à M. Georges Pébereau et à ses alliés d’acquérir en 1988 près de 10 % du capital de la Société générale (23). Sport. Paris pose officiellement sa candidature à l’organisation du Mondial de football de 1998. HONGRIE ! CORÉE DU SUD Relations. La Hongrie est le premier pays communiste à établir des relations diplomatiques avec la Corée du Sud. Jeudi 2 URSS v. Chine CHINE Relations internationales. M. Édouard Chevardnadze effectue jusqu’au 4 la première visite depuis trente ans d’un ministre soviétique des Affaires étrangères à Pékin. Il confirme la venue en mai de M. Mikhaïl Gorbatchev. AFRIQUE DU SUD Vie politique. Hospitalisé depuis le 18 janvier à la suite d’un accident cérébral, le président Pieter Botha démissionne de la direction du Parti national. Il est remplacé par M. Frederik Willem De Klerk, ministre de l’Éducation, qui devient ainsi le candidat favori à la succession du chef de l’État. PARAGUAY Coup d’État. Après trente-cinq ans de pouvoir, le général Alfredo Stroessner est renversé par son ancien collaborateur, le général Andres Rodriguez. Ce dernier promet un retour à la démocratie et fixe au 1er mai la date de l’élection présidentielle à laquelle il sera candidat (1er mai). Vendredi 3 FRANCE Relations internationales v. Inde INDE Relations internationales. À Bombay, au terme d’une visite officielle de trois jours, M. François Mitterrand préside l’inauguration de l’« année de la France en Inde », qui donne lieu à de somptueuses festivités. downloadModeText.vue.download 14 sur 509 CHRONOLOGIE 13 Samedi 4 FRANCE Syndicats. À l’issue d’un congrès confédéral animé, M. Marc Blondel est élu secrétaire général de Force ouvrière avec 53,6 % des voix. Le défenseur d’un « syndicalisme de combat » l’emporte ainsi sur M. Claude Pitous, tenant d’un « syndicalisme d’accompagnement » et favori de M. André Bergeron. Dimanche 5 FRANCE Relations internationales v. Iran IRAN Relations internationales. M. Roland Dumas effectue la première visite d’un ministre français à Téhéran depuis l’avènement de la République islamique. Le 6, son homologue iranien, M. Ali Akbar Velayati, accuse la France d’avoir manqué à sa parole en n’ayant pas relâché le terroriste libanais Anis Naccache après la libération des derniers otages français du Liban. Lundi 6 FRANCE Conflits sociaux. Mécontents du rapport Bonnemaison sur la modernisation du service public pénitentiaire publié le 3, les syndicats des surveillants de prison appellent leurs adhérents à la grève. Leur principale revendication porte sur l’abaissement de l’âge de la retraite. Pendant plusieurs jours, la tension est très vive entre grévistes et policiers avant de retomber à la fin du mois. Éducation nationale. Après les récentes manifestations des enseignants, M. Lionel Jospin accepte de faire des concessions aux syndicats. Il renonce à la création d’un corps de professeurs de col- lège et aligne le recrutement et la carrière des instituteurs sur ceux des professeurs. POLOGNE Pays de l’est Réformistes et conservateurs C’est à l’aune du mouvement de fond qui agite depuis quelque temps l’Union soviétique que se mesure aujourd’hui l’avance ou le retard aux pendules de Budapest, de Varsovie ou de Prague. Si certains événements récents autorisent un relatif optimisme quant à l’évolution politique de la Hongrie, voire de la Pologne, d’autres laissent en revanche sceptique quant à celle de la Tchécoslovaquie, tout au moins à court terme. En Hongrie, le 12 février, un Premier ministre évoque, pour la première fois en Europe de l’Est, la possibilité pour le Parti communiste de perdre des élections ! Le 11, le comité central du PSOH (PC hongrois) réuni en session plénière a en effet adopté le principe d’une « transition graduelle » vers le multipartisme, « dans le respect du socialisme ». Cette réunion était destinée à résoudre la crise ouverte par l’affirmation récente de M. Imre Pozsgay, membre réformateur du bureau politique, selon laquelle les événements de 1956 n’étaient pas une « contre-révolution » mais bien une « insurrection populaire ». Le comité central a ainsi choisi le compromis. Les insurgés de 1956 resteront au purgatoire ; mais un des acquis de cette période sera réhabilité : il y aura peutêtre bientôt des élections – presque – libres en Hongrie. En Pologne, le 16 février, le pouvoir et Solidarité annoncent qu’ils sont enfin parvenus à un accord sur les conditions de légalisation du syndicat dissous en 1982. C’est le premier résultat de la « table ronde » réunie depuis le 6 pour discuter du pluralisme syndical et politique et des réformes économiques. Les conditions de cet accord paraissent toutefois très sévères. La première porte sur le respect par l’opposition d’une sorte de contrat économique et social. M. Lech Walesa a déjà obtenu des ouvriers polonais qu’ils ne recourent pas à la grève durant les négociations. La seconde condition est que l’opposition accepte de cautionner un processus de démocratisation limité downloadModeText.vue.download 15 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 14 qui ne lui permettra pas d’obtenir une représenta- tion supérieure à 40 % au Parlement. En Pologne, le dialogue existe, mais la liberté est encore pour après-demain. En Tchécoslovaquie, le 21 février, le dramaturge signataire de la charte 77 Vaclav Havel est condamné à neuf mois d’emprisonnement. Il est accusé d’avoir pris part, le 16 janvier, à une manifestation interdite à l’occasion du vingtième anniversaire du sacrifice de l’étudiant Jan Palach. Pourtant, son pays n’avait-il pas adopté la veille, à Vienne, le document final de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) consacré à la protection des droits de l’homme ? Le fossé se creuse à l’Est entre réformistes et conservateurs. Peu avant le procès, l’union officielle des écrivains hongrois avait exprimé son « inquiétude » à l’ambassadeur tchécoslovaque. Quatre jours après le verdict, le Premier ministre polonais assiste symboliquement, à Varsovie, à la représentation d’une pièce de Vaclav Havel. ÉTATS!UNIS Économie. Le président George Bush présente son plan de sauvetage des caisses d’épargne, dont cinq cents sur trois mille sont en difficulté pour des raisons de conjoncture ou de gestion déficiente ou frauduleuse. Mardi 7 FRANCE Environnement. Après l’entrée en vigueur, le 1er janvier, du protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone, le gouvernement signe avec des industriels français plusieurs conventions prévoyant une diminution de l’utilisation des produits incriminés, CFC (chlorofluorocarbones) et halons. ISRAËL v. États-Unis ÉTATS!UNIS Relations internationales. Dans son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme dans le monde, le secrétariat d’État dénonce la répression menée par Israël dans les territoires occupés. Mercredi 8 FRANCE Emploi. M. Michel Rocard présente en Conseil des ministres le projet de « crédit-formation », qui figurait en bonne place dans la Lettre à tous les Français du candidat François Mitterrand. Ce plan devrait permettre à 100 000 personnes dans un premier temps d’acquérir un diplôme équivalent au niveau CAP. AÇORES Catastrophe aérienne. Cent quarante-cinq passagers et membres d’équipage trouvent la mort dans l’accident d’un Boeing 707 appartenant à une compagnie charter américaine, qui s’écrase sur une colline de Santa Maria, l’une des îles de l’archipel. ALGÉRIE v. Maroc MAROC Relations internationales. La signature avec l’Algérie d’un accord sur la construction d’un gazoduc reliant les deux pays conclut la première visite, entamée le 6, du président Chadli Bendjedid à Rabat. Jeudi 9 GRANDE!BRETAGNE Santé. La presse divulgue un rapport gouvernemental confidentiel qui fait état du développement à travers tout le pays d’une épidémie de salmonellose résultant de la consommation d’oeufs de poules infectées. Une polémique à ce sujet avait provoqué la downloadModeText.vue.download 16 sur 509 CHRONOLOGIE 15 démission du secrétaire d’État à la Santé le 16 décembre 1988. ÉTATS!UNIS Budget. Le président George Bush présente au Congrès son premier projet de loi de finances, qui reprend, bien que de façon timide, l’essentiel de ses promesses électorales : réduction du déficit budgétaire, gel des dépenses de défense, mesures sociales en faveur des plus défavorisés ; le tout sans impôt nouveau. JAMAÏQUE Élections législatives. Le Parti national populaire (PNP, socialdémocrate) de l’ancien Premier ministre Michael Manley remporte 45 des 60 sièges au Parlement. Avec 15 sièges seulement, le Parti travailliste jamaïcain (JLP, conservateur) est victime des effets de la politique économique libérale de son chef, le Premier ministre sortant, Edward Seaga. Vendredi 10 ÉTATS!UNIS Partis politiques. Élu à la tête du Parti démocrate, M. Ronald Brown est le premier Noir à diriger une grande formation politique américaine. Proche du pasteur Jesse Jackson, il incarne l’aile libérale du parti. Samedi 11 SPORT Boxe. À Grenoble, René Jacquot devient le premier Français champion du monde depuis près de trente ans en battant aux points l’Américain Don Curry, tenant du titre des super-welters (WBC). Dimanche 12 FRANCE Vie politique. Invité de l’émission télévisée 7 sur 7, M. François Mitterrand évoque les « affaires » politico-boursières pour condamner l’« argent facile ». Il réaffirme par ailleurs sa fidélité à l’« union des forces populaires » et défend le principe d’une « Europe sociale ». URSS Relations internationales. L’inauguration du futur Centre culturel juif de Moscou constitue un signe supplémentaire du réchauffement entre l’URSS et Israël, bien que les deux pays n’entretiennent toujours pas de relations diplomatiques. ISRAËL v. URSS SPORT Ski alpin. Avec chacune trois médailles d’or, l’Autriche et la Suisse se partagent les premières places des championnats du monde, qui se déroulent depuis le 2 à Vail, au Colorado (États-Unis). Carole Merle obtient la seule médaille française en se classant deuxième dans le slalom géant. Sa compatriote Christelle Guignard, arrivée troisième dans la même épreuve, est disqualifiée peu après pour dopage. Voile. Le plus vieux record de navigation, établi en 1854 entre New York et San Francisco via le cap Horn par le clipper Flying Cloud (89 jours), est battu de 8 jours et 12 heures par l’Américain Warren Luhrs à bord de son sloop de 60 pieds (18,28 m), Thursday Child. downloadModeText.vue.download 17 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 16 Lundi 13 FRANCE Musique. L’exécution de l’intégrale des symphonies et lieder de Gustav Mahler débute au Théâtre musical de Paris-Châtelet. Ce cycle réunit jusqu’au 10 mai onze orchestres internationaux parmi les plus prestigieux. BELGIQUE Enlèvement. L’ancien Premier ministre Paul Vanden Boeynants, enlevé le 14 janvier, est libéré contre le versement d’une forte rançon. L’enquête révèle que « VDB » a été détenu en France, dans une villa du Touquet. Ses ravisseurs sont rapidement identifiés et certains d’entre eux, arrêtés. Mardi 14 FRANCE Architecture. Le projet de MM. Jean Nouvel et Jean-Marc Ibos remporte le concours du Triangle de la Folie, situé à la Défense. Il s’agit d’une tour de 400 mètres de haut qui sera érigée à proximité du CNIT et de la Grande Arche. IRAN Islam Satanés versets ! Le 14 février est un jour sombre pour ceux espéraient un prochain retour de l’Iran au concert des nations. Ce jour-là, en effet, Khomeyni lance un appel à l’exécution d’un toyen britannique ! qui sein du l’imam ci- L’origine de l’affaire remonte à septembre 1988, lorsque paraît à Londres le quatrième roman de Salman Rushdie, écrivain anglais d’origine indienne et de culture musulmane. Les Versets sataniques sont une transposition très libre d’un épisode connu de l’histoire de l’islam au cours duquel le Prophète, après avoir été mis en difficulté par le Démon, renonce au culte des idoles pour suivre la voie du monothéisme. Le livre poursuit sa carrière normale jusqu’au 5 octobre, date à laquelle le gouvernement indien décide de l’interdire pour des raisons propres à sa sécurité interne. La véritable campagne de dénigrement est lancée quelques jours plus tard par des milieux proches de l’Arabie Saoudite, qui voit là l’occasion de renforcer sa position de garante d’un islam pur et dur. Le 14 octobre, à Bradford (G-B), des musulmans intégristes brûlent en public des exemplaires du livre. La plupart des pays islamiques interdisent sa publication. L’affaire rebondit le 12 février lorsqu’une manifestation contre la sortie des Versets sataniques aux États-Unis cause la mort de cinq personnes à Islamabad, au Pakistan. L’imam ne peut laisser son rival le roi d’Arabie Saoudite, porte-drapeau de l’intégrisme sunnite, tirer seul le profit de cette agitation. N’est-ce pas en outre l’occasion pour lui, au lendemain du dixième anniversaire de la révolution islamique, de peser sur le conflit qui oppose, à Téhéran, les « durs », qu’il soutient, aux « pragmatistes », favorables au rapprochement avec l’Occident ? C’est donc aux musulmans du monde entier qu’il transmet, le 14 février, l’ordre « divin » d’exécuter l’auteur ainsi que les éditeurs de l’ouvrage blasphématoire. En Occident, les intellectuels se mobilisent pour défendre la liberté d’expression tandis que les gouvernements s’indignent, tout en regrettant de voir s’éloigner les perspectives offertes par l’ouverture du marché iranien. Le 20, les ministres des Affaires étrangères de la CEE décident de rappeler en consultation leurs ambassadeurs à Téhéran et de suspendre les visites à haut niveau dans ce pays. L’Iran riposte en adoptant les mêmes mesures. En Inde et au Pakistan, les violences meurtrières redoublent. À Paris, après la manifestation qui rassemble dans les rues un millier d’intégristes le 26, M. Michel Rocard affirme que « tout nouvel appel au meurtre » sera poursuivi. Le 28, le Parlement iranien exige la rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne si les Versets sataniques n’y sont pas condamnés dans un délai d’une semaine. Il ne reste plus qu’à l’URSS, dont le ministre des Affaires étrangères revient tout juste de Téhéran, à entrer en jeu en proposant ses « bons offices ». À Londres, Salman Rushdie se cache. downloadModeText.vue.download 18 sur 509 CHRONOLOGIE 17 INDE Justice. La Cour suprême condamne la firme chimique américaine Union Carbide à verser 470 millions de dollars (3 milliards de francs environ) d’indemnités aux victimes de la tragédie de Bhopal. La partie civile réclamait à l’origine 2,4 milliards de dollars. Le bilan de la fuite de gaz toxique survenue dans une usine de pesticides le 3 décembre 1984 s’élève à ce jour à plus de 3 300 morts. AMÉRIQUE CENTRALE Plan de paix. À l’issue de la conférence des cinq chefs d’État de la région (Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Salvador), réunie depuis la veille au Salvador, le président du Nicaragua, M. Daniel Ortega, s’engage à entamer immédiatement « un processus de démocratisation et de réconciliation nationale » dans son pays et à avancer la date des élections générales au mois de février 1990. Mercredi 15 FRANCE Catastrophe. Dans le centre-ville de Toulon, un immeuble ancien de cinq étages s’effondre à la suite d’une explosion, causant la mort de quatorze personnes. LIBAN Conflit. Au terme de deux jours d’affrontements meurtriers pour le contrôle du secteur chrétien de la capitale, un cessez-le-feu est conclu entre l’armée du général Michel Aoun, par ailleurs Premier ministre de Beyrouth-Est, et la milice chrétienne des Forces libanaises de M. Samir Geagea. AFGHANISTAN Conflit. Les troupes soviétiques achèvent leur retrait total du pays à la date prévue par les accords de Genève du 14 avril 1988. SRI LANKA Élections législatives. Le Parti national unifié (PNU) du président Ranasinghe Premadasa remporte 125 des 225 sièges à pourvoir au Parlement. Le bilan des violences qui ont marqué la campagne s’élève à plus de 700 morts. ÉTATS!UNIS Justice. L’ancien amant de Rock Hudson obtient 14,5 millions de dollars (90 millions de francs environ) de dommages et intérêts en compensation du préjudice subi pour avoir été tenu dans l’ignorance de l’état de santé de l’acteur, mort du SIDA en 1985. Jeudi 16 FRANCE Justice. Ami personnel du président de la République, M. Roger-Patrice Pelat est inculpé avec quatre autres personnes dans le cadre de l’instruction de l’affaire Pechiney. Il est poursuivi pour recel de délit d’initié (7 mars). URSS Nationalités. Le Sajudis, mouvement lituanien qui soutient la perestroïka, se prononce en faveur de l’autodétermination de la république balte. AFRIQUE DU SUD Apartheid. Le Front démocratique uni (UDF), principale organisation antiapartheid, se désolidarise de Mme Winnie Mandela, l’épouse du leader noir assigné à résidence. Il désavoue les agissements suspects des adhérents du Mandela Football Club, crée par downloadModeText.vue.download 19 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 18 celle-ci, dont deux membres sont inculpés de meurtre le 21. Vendredi 17 FRANCE Justice. Plusieurs dirigeants de la Société auxiliaire d’entreprise Rhône-Alpes-Méditerranée (SORMAE) sont inculpés de faux, usage de faux et de corruption dans une affaire de fausses factures impliquant une dizaine d’élus municipaux. Pour cette dernière raison, la Cour de cassation avait, le 15, annulé tous les actes de procédure effectués depuis le 2 par le tribunal de Marseille et fait transférer le dossier à Paris. MAGHREB Union économique. À Marrakech, les chefs d’État qui participent depuis le 15 au deuxième sommet maghrébin (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) signent le traité créant l’Union du Maghreb arabe (UMA), organe de coopération économique. Samedi 18 AFGHANISTAN Conflit. La proclamation de l’état d’urgence annonce un durcissement du régime du président Najibullah. Le 20, le limogeage du Premier ministre Hassan Sharq, adepte de la « réconciliation nationale », permet au Parti populaire démocratique (PPDA), procommuniste, de renforcer son pouvoir. Le 23, au Pakistan, l’assemblée des moudjahidins, ou « choura », nomme de son côté le président et le Premier ministre d’un gouvernement intérimaire de la résistance, qui ne sont pas reconnus par les partis chiites. Lundi 20 URSS v. Proche-Orient PROCHE!ORIENT Relations internationales. Après avoir fait étape en Syrie et en Jordanie, M. Édouard Chevardnadze entame en Égypte la première visite d’un ministre soviétique des Affaires étrangères depuis 1974. Le 22, il y rencontre le chef de la diplomatie israélienne, M. Moshe Arens, ainsi que le leader de l’OLP, M. Yasser Arafat. Il se rend ensuite en Iraq et en Iran. Mardi 21 FRANCE Sociétés. Le gouvernement annonce une série de mesures destinées à faciliter l’accès des personnes handicapées aux transports en commun. Pollution. Le tribunal de Chicago chargé du dossier de l’Amoco-Cadiz réévalue fortement le montant prévu des indemnités que devra verser la société américaine aux victimes de la marée noire du 16 avril 1978 ainsi qu’à l’État français. Cette somme, de 645 millions de francs, ne représente toutefois que la moitié de celle réclamée à l’origine par la France. ÉTATS!UNIS Justice. La première audience du procès de M. Oliver North, personnage clé de l’affaire de l’Irangate, se tient à Washington après plusieurs semaines de débats préliminaires (5 juillet). downloadModeText.vue.download 20 sur 509 CHRONOLOGIE 19 Mercredi 22 FRANCE Conseil constitutionnel. Le président de la République, le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale nomment respectivement MM. Maurice Faure (ministre d’État, ministre de l’Équipement et du Logement), Jean Cabannes (premier avocat général à la Cour de cassation) et Jacques Robert (professeur de droit public à l’université Paris II) membres du Conseil en remplacement de MM. Georges Vedel, Robert Lecour et Louis Joxe. Secteur public. M. Michel Rocard présente en Conseil des ministres son plan de rénovation du secteur public. D’une durée de trente mois, celui-ci prévoit une meilleure formation des responsables, une plus grande mobilité des agents, un dialogue social élargi, l’adoption de nouvelles méthodes de travail et un plus grand souci de l’usager. Jeudi 23 FRANCE Société. Un accord est conclu entre la direction de la Société générale et les acteurs de l’offensive boursière menée entre juin et octobre 1988, avec l’appui de l’État, contre la banque privatisée en 1987 par M. Édouard Balladur. Le principal assaillant, M. Georges Pébereau, se retire du capital de la banque, qui est restructuré : avec 6 % des parts, la Caisse des dépôts devient le principal actionnaire (1er). ALGÉRIE Institutions. 73,43 % des électeurs approuvent par référendum la nouvelle Constitution, qui ne fait plus allusion au socialisme et reconnaît le multipartisme. Vendredi 24 SUISSE Terrorisme. La cour pénale fédérale condamne à la réclusion à vie le Libanais chiite Mohamed Hariri, auteur en juillet 1987 du détournement d’un avion d’Air Afrique sur l’aéroport de Genève et du meurtre d’un passager français. JAPON Funérailles impériales. 163 délégations nationales comptant de nombreux chefs d’État ou de gouvernement assistent aux obsèques de l’empereur Hirohito, décédé le 7 janvier. HAWAII Catastrophe aérienne. Neuf passagers d’un Boeing 747 de United Airlines sont aspirés dans le vide à la suite de la perte d’une partie du fuselage de l’appareil quelques minutes après son décollage d’Honolulu. ÉTATS!UNIS Finances. La Réserve fédérale relève son taux d’es- compte de 6,5 % à 7 % en raison des signes de reprise de l’inflation. Samedi 25 EUROPE Météo. Durant deux jours, une violente tempête sévit sur le sud-ouest de l’Europe, en Méditerranée et dans le golfe de Gascogne. Elle est la cause du naufrage de deux cargos et de la mort d’une soixantaine de personnes. FRANCE Chasse. Différentes manifestations réunissent plus de cent mille chasseurs à Marseille, Périgueux et Rennes. Cette campagne, commencée à Rochefort le 7 janvier et poursuivie à Amiens le 18 février, est dirigée contre downloadModeText.vue.download 21 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 20 des directives européennes qui aboutissent à réduire la durée de la saison de la chasse des oiseaux migrateurs. Dimanche 26 URSS v. Iran IRAN Relations internationales. Poursuivant sa tournée au Moyen-Orient, le ministre soviétique des Affaires étrangères, M. Édouard Chevardnadze, est reçu par l’imam Khomeyni, qui exprime la volonté de son pays d’établir de « fortes relations » avec l’URSS. CHINE Relations internationales. La visite à Pékin de M. George Bush est troublée par le refus des autorités chinoises de laisser le dissident Fang Lizhi assister au banquet organisé par l’ambassade américaine, auquel il était invité. ÉTATS!UNIS v. Chine Lundi 27 ÉTHOLOGIE L’ami des oies On gardera de lui le souvenir d’un grand vieillard à barbe blanche suivi d’une procession d’oies cendrées. Le 27 février, le médecin autrichien Konrad Lorenz s’éteint dans sa retraite d’Altenberg à l’âge de 85 ans. Docteur en médecine, mais aussi en philosophie – il obtient en 1941 la chaire de « grand penseur » de l’université de Königsberg –, Konrad Lorenz est considéré comme le père de l’éthologie, la science du comportement des espèces. Il fonde en 1949 à Altenberg le premier centre de recherche sur le comportement et crée en 1961 le centre d’éthologie de l’Institut Max-Planck avant de prendre sa retraite, en 1973. Cette année-là, il reçoit, avec deux autres zoopsychologues, le prix Nobel de médecine. Mais ses livres l’avaient rendu célèbre dès la fin des années soixante, particulièrement le premier, qui s’intitulait Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons (1968). La première révolution que Konrad Lorenz ait introduite dans l’étude du comportement animal consistait simplement à sortir du laboratoire pour la pratiquer dans la nature. L’observation des animaux dans leur milieu naturel, qui n’excluait pas de les apprivoiser, lui avait fait découvrir l’existence chez eux d’un sens très marqué de la hiérarchie ainsi que d’une agressivité naturelle qu’il assimilait à un instinct de survie. Le comportement était d’ailleurs selon lui plus affaire d’instinct que d’éducation, plus déterminé par la biologie que par la culture. Sa mise en évidence du caractère naturel de la hiérarchie et de l’agressivité, sa défense de l’inné par rapport à l’acquis, son adhésion aux principes du darwinisme le plus extrême et surtout son extrapolation à l’homme des observations faites sur les animaux ne manquèrent pas de lui attirer des critiques. L’uniformité née du mélange des cultures et la dégradation génétique constituaient pour lui les principaux dangers menaçant l’humanité avec, bien sûr, la destruction des milieux naturels du fait du progrès. Cette dernière préoccupation l’avait incité à rejoindre les rangs des écologistes. On pourra regretter que le culte de la nature l’ait amené à entretenir une certaine confusion entre écologie, éthologie et sociologie. On l’enviera néanmoins d’avoir su trouver toutes les réponses dans l’amour de ses oies. FRANCE Conflits sociaux. Le ministre de la Santé, M. Claude Évin, et les syndicats de praticiens hospitaliers parviennent à un accord prévoyant une revalorisation des carrières et une augmentation du tarif des gardes. Ces concessions incitent les autres catégories hospitalières à faire valoir leurs revendications. downloadModeText.vue.download 22 sur 509 CHRONOLOGIE 21 YOUGOSLAVIE Nationalités. Après une semaine de grève observée par la population d’origine albanaise du Kosovo, des « mesures d’exception » sont instaurées dans cette province autonome de la République de Serbie. Le lendemain, une manifestation de soutien à la minorité serbe rassemble des centaines de milliers de personnes à Belgrade. Mardi 28 FRANCE Assurances. Lors de l’assemblée générale des actionnaires de la Compagnie du Midi, premier groupe privé français du secteur, M. Claude Bébéar, favorable au renforcement de l’activité d’assurance de la société, l’emporte sur le P-DG sortant, M. Bernard Pagézy, partisan de la diversification. P-DG d’AXA, M. Bébéar était devenu le principal actionnaire du Midi après avoir été appelé, il y a neuf mois, par M. Pagézy pour contrer l’assaut du groupe d’assurances italien Generali. Culture. M. Jack Lang, ministre de la Culture, annonce une série de mesures destinées à consolider l’essor pris par la danse en France dans les années 80. Celles-ci correspondent à une augmentation de 30 millions de F du budget consacré à cet art. URSS Nationalités. À Erevan, des centaines de milliers d’Arméniens défilent dans le calme pour célébrer le premier anniversaire du pogrom de Soumgaït, en Azerbaïdjan, au cours duquel plusieurs dizaines d’Arméniens avaient été massacrés par des Azéris. ISRAËL Élections municipales. Les résultats du scrutin local marquent une avancée du Likoud, le parti du Premier ministre Itzhak Shamir, au détriment du Parti travailliste. À Jérusalem, l’électorat arabe s’abstient massivement à l’appel de la direction unifiée du soulèvement. VENEZUELA Troubles. Le couvre-feu est instauré dans plusieurs villes du pays après les violentes émeutes provoquées, depuis la veille, par l’entrée en vigueur du plan d’austérité décrété par le chef de l’État. Les affrontements se prolongent jusqu’au 2 mars, entraînant la mort de plus de 300 personnes. Le mois d’André Bergeron Le 4 février 1989, j’ai donc abandonné le secrétariat général de Force ouvrière. J’assumais cette responsabilité depuis plus d’un quart de siècle. J’ai eu beaucoup de chance. En effet, depuis la guerre, la condition sociale a été considérablement améliorée. Du fait de mes responsabilités syndicales, je crois y avoir modestement contribué. Pour moi, tout a commencé à Belfort en 1945, à la tête du syndicat typographique, puis à l’Union des syndicats FO du Territoire. Ensuite, j’ai été élu au bureau de la Confédération Force ouvrière, pour finalement en devenir, en novembre 1963, le secrétaire général. Après avoir imposé, en 1950, le retour à la liberté de négociation des salaires, dans le cadre des conventions collectives, et obtenu le salaire minimum, le mouvement syndical a signé les accords instituant l’assurance chômage et l’indemnisation du chômage partiel, puis, petit à petit, ceux créant les régimes de retraites complémentaires, qui ont transformé la condition sociale des personnes âgées. La durée des congés payés a été allongée. De deux semaines, on est passé à trois, puis à quatre, pour en arriver aujourd’hui à cinq. La durée hebdomadaire du travail se situait, dans les années d’après-guerre, autour de 53 heures. Elle a été progressivement ramenée à 39. De multiples accords ont été conclus dans les domaines de la formation professionnelle, de l’emploi, des rémunérations, etc. downloadModeText.vue.download 23 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 22 Pour moi, en février 1989, une page – et quelle page – s’est tournée. En guise d’épilogue à cette longue histoire, je voudrais rappeler – notamment aux jeunes – que rien de tout cela n’aurait pu être accompli sans l’action collective. Je voudrais dire que rien n’est définitivement acquis. Tout doit sans cesse être consolidé et, si possible, amélioré. Mais cela suppose l’engagement de tous ; c’est-à-dire le contraire de l’illusion du « chacun pour soi ». Le combat entre le chômage et le devenir de la protection sociale collective seront, sans doute, les aspects essentiels des préoccupations sociales de ces prochaines années. Au soir du 4 février, j’ai souhaité que ceux qui ont désormais en charge le destin de la Confédération préservent l’indépendance du mouvement à l’égard des partis et des gouvernements. J’ai souhaité aussi qu’on fasse preuve de tolérance. L’expérience m’a, en effet, appris que personne ne détient seul la vérité et que, en tout état de cause, l’efficacité de l’action syndicale suppose la cohésion interne, laquelle ne peut résulter que du compromis entre les positions des uns et celles des autres. J’ai exprimé le voeu que ceux qui m’ont succédé ne cèdent jamais à la tentation de la démagogie et par conséquent du mensonge. J’ai souhaité qu’en toutes circonstances, ils respectent celles et ceux au nom desquels ils prétendent parler. Cela suppose avant tout qu’on dise ce qu’on croit être la vérité. J’ai souhaité enfin que les militants responsables résistent à la tentation « de la gloriole » et qu’ils trouvent en eux la force de ne jamais se croire plus que ce qu’ils sont. En d’autres termes, que sans cesse ils fassent preuve d’humilité et, comme le disait mon prédécesseur Robert Bothereau, « qu’ils ne croient pas à ce qu’ils sont mais à ce qu’ils font ». C’est tout cela qui a habité mon esprit durant « mon mois » de février 1989. ANDRÉ BERGERON downloadModeText.vue.download 24 sur 509 CHRONOLOGIE 23 Mars Mercredi 1er ÉGLISE CATHOLIQUE Discipline. La profession de foi, désormais obligatoire pour tous ceux qui exercent une fonction officielle dans l’Église, prévoit l’acceptation de « définitions irrévocables » se rapportant à la « loi naturelle », allusion à des textes récents sur la contraception et la bioéthique ; elle est assortie, en ce qui concerne les théologiens, de la prestation d’un « serment de fidélité ». Jeudi 2 CEE Environnement. Les douze ministres concernés fixent des normes plus rigoureuses que celles prévues par le protocole international de Montréal sur la protection de la couche d’ozone, entré en vigueur au début de l’année ; l’objectif est de réduire d’ici cinq ans d’au moins 85 % – au lieu de 50 % – le niveau actuel d’utilisation des CFC (chlorofluorocarbones) (7 février 1989). FRANCE Justice. Devant le tribunal correctionnel de Nanterre s’ouvre le procès du commissaire Yves Jobic, inculpé de proxénétisme aggravé et de corruption passive de fonctionnaires. Son déroulement donne lieu à de très vifs affrontements entre le juge d’instruction, M. Jean-Michel Hayat, et la direction de la police judiciaire (28 avril). Vendredi 3 RFA Espionnage. Une information judiciaire est ouverte par le parquet de Karlsruhe contre huit pirates de l’informatique ouest-allemands soupçonnés d’espionnage au profit du KGB. Ils seraient parvenus à percer les défenses de plusieurs banques de données occidentales très sensibles. Samedi 4 FRANCE Cinéma. Camille Claudel, le film de Bruno Nuytten, triomphe lors de la quatorzième Nuit des Césars ; il reçoit cinq récompenses. Isabelle Adjani – son interprète sacrée meilleure actrice – rend hommage au romancier Salman Rushdie en lisant en public un passage des Versets sataniques. La Vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatilliez obtient quatre Césars, l’Ours de Jean-Jacques Annaud et le Grand Bleu de Luc Besson, chacun deux ; Bagdad Café de l’Allemand Percy Adlon est élu meilleur film étranger de l’année. Ventes. La bibliothèque de Tristan Tzara, l’initiateur du dadaïsme, est dispersée aux enchères salle Drouot, à Paris. Le produit total de la vente s’élève à près de 15 millions de F, soit trois fois les estimations. ÉTATS!UNIS Sociétés. Devant les risques d’OPA, Time, géant de la presse, du livre et de la télévision, et Warner, célèbre société de production de films et de disques, annoncent leur fusion. Ils dedownloadModeText.vue.download 25 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 24 viennent ainsi le premier groupe mondial de communication. Dimanche 5 TIBET Chine Le bourbier tibétain Le 30e anniversaire du soulèvement antichinois qui avait provoqué la mort de 10 000 Tibétains et l’exil en Inde de leur chef spirituel, le dalaï-lama, s’annonçait d’autant plus chaud qu’il correspondait à la première commémoration des émeutes sanglantes de 1988. Les autorités chinoises semblent pourtant avoir été incapables de prévenir l’explosion de violence qui secoue à nouveau Lhassa à partir du 5 mars. Les forces de l’ordre paniquées et désorganisées reculent devant l’assaut de la foule avant de revenir à la charge en tirant au fusil de guerre. Des atrocités sont commises de part et d’autre. « Choc nécessaire », selon le Quotidien du peuple, la loi martiale est proclamée le 7 après trois jours d’émeutes qui causent plusieurs dizaines – ou centaines ? – de morts. Les autorités avoueront 600 victimes depuis les émeutes de septembre 1987, qui viennent s’ajouter au million de morts estimés de la révolution culturelle. Les jours suivants, les étrangers sont expulsés et la répression s’abat sur le Tibet coupé du monde. De toute évidence, les Chinois connaissent mal et comprennent encore moins bien cette région autonome « libérée » en 1950 et soumise depuis à une domination de type colonial. La relative libéralisation de ces dernières années n’y a suscité qu’un surcroît d’agitation et d’espérance déçue. Le Tibet reste en effet sous le contrôle des derniers nostalgiques du maoïsme. La mort, le 28 janvier, du seul allié de Pékin dans la région, le panchenlama, ajoutée aux crises économique et politique qui secouent la Chine ne place pas ses dirigeants en situation d’accepter les concessions du dalaïlama ; ce dernier propose en effet le maintien de liens organiques avec la Chine, une fois reconnu le droit du Tibet à l’autodétermination. Et la Chine se débat aujourd’hui dans un bourbier qui résulte à la fois du durcissement de sa position et du rejet croissant chez les Tibétains des appels à la modération et à la non-violence du dalaï-lama. Mais le plus grand risque, aux yeux du gouvernement chinois, est celui de l’internationalisation du conflit, qu’il a su jusque-là éviter. N’était-ce pas pour empêcher toute mise en cause de sa politique au Tibet que la Chine a choisi d’occuper le siège de vice-président de la Commission des droits de l’homme de l’ONU ? Aussi est-ce de façon particulièrement virulente que Pékin fait connaître au Parlement européen et au Sénat américain son « indignation extrême » après l’adoption, le 16, par ces deux instances, de résolutions condamnant la violation des droits de l’homme au Tibet. SOUDAN Vie politique. Le Premier ministre Sadek el Mahdi se soumet aux exigences de l’armée en acceptant de former un gouvernement de coalition nationale, chargé de mettre fin à la guerre civile. Le 26, celui-ci adopte l’accord de paix conclu le 16 novembre 1988 entre le parti unioniste démocratique (PUD) et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS). Lundi 6 EST!OUEST Désarmement. Les négociations sur la stabilité des forces classiques en Europe s’ouvrent à Vienne en présence des représentants des 23 pays membres de l’OTAN ou du pacte de Varsovie. Ces rencontres sont considérées comme un test de la nouvelle détente entre les deux blocs. Mardi 7 FRANCE Affaires. Inculpé de recel de délit d’initié dans l’affaire Pechiney le 16 février, M. Roger-Patrice Pelat, ami personnel du président François Mitterrand, meurt à l’hôpital parisien où il séjournait depuis le 27 janvier. M. Max Théret, principale personnalité visée par le rapdownloadModeText.vue.download 26 sur 509 CHRONOLOGIE 25 port de la COB, avait été inculpé à son tour, le 3, de délit d’initié, complicité et recel. GRANDE!BRETAGNE v. Iran AFGHANISTAN Conflit. Les moudjahidins lancent une vaste offensive contre Djalalabad, la troisième ville du pays. L’URSS accuse le Pakistan de participer aux côtés de la résistance au siège de la ville, qui se renforce au cours du mois (9 janvier et 18 février). IRAN Relations internationales. Une semaine après l’ultimatum adressé à la Grande-Bretagne, le gouvernement iranien annonce la rupture des relations diplomatiques avec ce pays. Mercredi 8 FRANCE Faits divers. À Belfort, l’incendie criminel d’un immeuble de meublés cause la mort de quinze personnes. Son auteur, un jeune marginal instable, est inculpé le 11. Bourse. Le Conseil des ministres approuve le projet de loi sur la sécurité et la transparence des marchés financiers, qui prévoit le renforcement des pouvoirs de la Commission des opérations de Bourse (COB) et un contrôle accru des offres publiques d’achat (OPA). Jeudi 9 ONU Droits de l’homme. Coparrainée par la Hongrie, une résolution condamnant les violations des libertés fondamentales en Roumanie est adoptée par la commission de Genève grâce à l’abstention de plusieurs pays socialistes, dont l’URSS. FRANCE Relations internationales v. Algérie ROUMANIE v. ONU ALGÉRIE Relations internationales. Le président François Mitterrand effectue une visite de 24 heures à Alger, symbole du soutien de la France à la politique de réformes engagée par le président Chadli Bendjedid. ETATS!UNIS L’argent, l’alcool... et les femmes La traditionnelle lune de miel entre le nouveau président et le Congrès est terminée. La politique de « main tendue » que George Bush entendait pratiquer à l’égard des démocrates, majoritaires dans les deux chambres, se voit opposer une brutale fin de non-recevoir le 9 mars. Ce jour-là, le Sénat rejette, par 53 voix contre 47, la nomination de M. John Tower au poste de secrétaire à la Défense. C’est seulement la huitième fois que cela se produit en deux siècles de gouvernement des États-Unis. L’argent, l’alcool et les femmes : tels sont les penchants supposés, et jugés incompatibles avec ses fonctions pressenties, de M. Tower. Menée par les démocrates, l’accusation n’hésite pas à mêler histoires anciennes et rumeurs invérifiables que l’enquête du FBI ne parvient d’ailleurs pas à confirmer. Le fait que M. Tower a été dans le passé le conseiller largement rémunéré de plusieurs firmes d’armement aurait pu suffire. Le scandale est plus sûr ! C’est en vain que M. Tower s’abaisse à faire le serment devant les caméras de télévision de ne plus boire une goutte d’alcool, de même qu’il est inutile aux sénateurs républicains de proposer, de façon tout aussi incongrue, de le mettre à l’épreuve pour six mois. Derrière son candidat downloadModeText.vue.download 27 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 26 au Pentagone, c’est en effet le président qui est visé. La cible est atteinte. Déjà accusé d’inaction, M. George Bush connaît une première et sévère défaite avant même d’avoir véritablement en- gagé le combat. Cette manoeuvre se double du calcul personnel de M. Sam Nunn, puissant président démocrate de la commission des forces armées du Sénat et « tombeur » de M. Tower. M. Nunn ne souhaitait pas avoir comme interlocuteur au secrétariat à la Défense un homme qui l’avait précédé à la tête de la commission et qui en connaissait donc toutes les ficelles. Mais, après M. Tower et M. Bush, le Sénat ne risque-t-il pas d’être à son tour victime de cette affaire ? En dehors même du recours condamnable à des arguments du type « il n’y a pas de fumée sans feu » de la part des juristes confirmés que sont censés être les membres du Sénat, les débats qui s’y sont déroulés sont loin d’avoir eu la dignité et la sérénité que l’on aurait pu attendre en de telles circonstances. La tradition d’équité de la chambre haute en aura certainement souffert. Une fois cette défaite infligée au président Bush, il suffit d’une semaine au Sénat pour confirmer, le 17 mars, la nomination de M. Richard Cheney au poste de secrétaire à la Défense. Vendredi 10 IRAN Exécutions. À Téhéran et 81 personnes de drogue et sont pendues dans 26 autres villes du pays, reconnues coupables de trafic d’autres « pratiques amorales » en public. ÉTATS!UNIS Dette internationale. Le secrétaire au Trésor, M. Nicholas Brady, rejoint la position de la France et du Japon en présentant un plan d’allégement de 20 % en trois ans de la dette privée des 39 principaux pays débiteurs du tiers monde (2 avril et 24 mai). SPORT Boxe. Le Français Fabrice Bénichou devient champion du monde des super-coq (IBF) en battant aux points, en douze reprises, le Vénézuélien José Sanabria. Samedi 11 ENVIRONNEMENT Une conférence internationale « sur la protection de l’atmosphère du globe » se tient à La Haye en présence des représentants de 24 pays parmi lesquels ne figurent ni les États-Unis, ni l’URSS, ni la Chine. Les participants – dont MM. François Mitterrand et Michel Rocard – appellent à la mise en place d’une autorité mondiale de l’environnement. Cette conférence intervient après le colloque de Paris, le 4, et la conférence de Londres, du 5 au 7, consacrés à la protection de la couche d’ozone. Dimanche 12 EUROPE Vie politique. Les élections municipales de Francfort (RFA) et les élections régionales en Carinthie, à Salzbourg et au Tyrol (Autriche) sont marquées par les progrès respectifs du NPD, parti néo-nazi ouest-allemand, et du Parti libéral, formation de la droite ultranationaliste autrichienne. MADAGASCAR Élection présidentielle. La réélection pour un troisième mandat de M. Didier Ratsiraka avec « seulement » 62 % des suffrages illustre la relative démocratisation du régime. Lundi 13 CEE Audiovisuel. Les ministres des Douze parviennent à un compromis sur le projet de directive « Télévision sans frontière », qui ouvre la voie à la libre circulation des images en Europe occidentale. Au grand mécontentement des downloadModeText.vue.download 28 sur 509 CHRONOLOGIE 27 professionnels, ni cet accord ni la convention sur le même sujet adoptée le 15 par le Conseil de l’Europe ne retiennent le principe d’un quota de 60 % d’oeuvres européennes défendu par les créateurs. FRANCE Société. À Suresnes (Hauts-de-Seine), une jeune Marocaine de 19 ans est assassinée par ses deux frères, âgés de 18 et 24 ans, qui se suicident ensuite. Ils reprochaient à leur soeur de fréquenter un jeune homme français non musulman. AFRIQUE DU SUD Vie politique. Infligeant un désaveu à M. Pieter Botha souffrant depuis le mois de janvier, le Parti national au pouvoir demande que son nouveau chef, M. Frederik Willem De Klerk, devienne président de la République « dans l’intérêt du pays ». M. Botha reprend toutefois ses fonctions le 15. Le 21, les deux hommes parviennent à un compromis prévoyant le maintien de M. Botha au pouvoir jusqu’aux prochaines élections législatives (2 février). Mardi 14 FRANCE Médecine. Une équipe médicale de l’hôtel-Dieu de Lyon annonce qu’elle a pratiqué, le 30 juin 1988, pour la première fois au monde, une greffe in utero de cellules foetales sur un embryon de 28 semaines atteint d’un déficit immunitaire mortel. AUTRICHE!HONGRIE Famille impériale La dernière impératrice Zita de Bourbon, princesse de Parme, dernière impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, retirée depuis 1962 à l’abbaye de Zizers, en Suisse, meurt le 14 mars à l’âge de 96 ans. Mariée à l’archiduc Charles d’Autriche en 1911, Zita était devenue impératrice par un concours de circonstances. Mayerling puis Sarajevo avaient amené son époux à assumer l’héritage de son grand-oncle François-Joseph à la mort de celuici, en 1916. La période ne se prêtait pas à de longs règnes. Les négociations secrètes de paix auxquelles Zita incita Charles échouèrent et les réformes politiques et sociales qu’ils entreprirent n’eurent pas le temps de se réaliser. En 1918, ils remettaient « temporairement » leurs droits sur l’Autriche et quittaient le pays. Charles mourait en 1922 à Madère. L’exil de Zita, qui refusa toujours de faire allégeance à la République, dura le restant de sa vie, entrecoupé d’une seule visite à Vienne, en 1982. Respectueuse du cérémonial austère et digne hérité d’Espagne par les maisons de Habsbourg et de Bourbon, Zita avait fait appeler son fils Otto et son petit-fils Karl deux jours avant sa mort, pour prendre congé d’eux. C’est avec le même soin qu’elle avait prévu le déroulement de ses obsèques, dessinant elle-même le parcours du cortège. Le 1er avril, à Vienne, sa dépouille reçoit des funérailles d’État et est inhumée dans la crypte des Capucins, où reposent les restes des Habsbourg. Le respect gourmand que Vienne voue à la mort tient une large place dans la réussite de la reconquête symbolique de l’ancienne capitale impériale par les Habsbourg. La calèche mortuaire de François-Joseph est sortie du musée pour l’occasion. L’hymne impérial de Joseph Haydn résonne de nouveau sous les voûtes de la cathédrale Saint-Étienne. Mais Otto, qui s’est fait accueillir à bras ouverts à Budapest le mois précédent, n’oublie pas qu’il est député européen. Et la nostalgie sincère de la quarantaine de milliers de fidèles, mêlés de badauds, qui se pressent sur le parcours, s’inscrit dans le cadre d’une Mitteleuropa où l’Autriche n’a jamais été aussi proche de la Hongrie, mais pour des raisons autres que dynastiques. LIBAN Conflit. Le général Michel Aoun, chef de l’armée et du gouvernement chrétiens, défie le président Hafez El Assad en appelant ses compatriotes à une « guerre de libération » contre « l’occupation syrienne ». Les bombardedownloadModeText.vue.download 29 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 28 ments – les plus violents qu’ait connus Beyrouth depuis plusieurs années – reprennent entre les deux secteurs de la capitale. SPORT Boxe. Mis KO lors de son combat contre l’Américain Terrence Ali à Lyon, le 4, l’Ivoirien David Thio meurt sans avoir repris connaissance. Mercredi 15 CEE Le Parlement européen adopte une résolution demandant aux Douze d’accorder le droit de vote aux étrangers ressortissants de la Communauté pour les élections municipales. FRANCE Conflits sociaux. Le gouvernement conclut avec les internes des hôpitaux un accord concernant leur rémunération et leur carrière, tandis que les mouvements de revendications continuent d’agiter d’autres catégories de personnels de santé. URSS Agriculture. Devant le Comité central du PCUS, M. Mikhaïl Gorbatchev dresse un constat critique de la situation agricole. Le lendemain, il fait adopter de nouvelles mesures en faveur de la décollectivisation des exploitations. ISRAËL!ÉGYPTE Territoires. Au terme d’une longue bataille juridique et diplomatique remontant au retrait israélien du Sinaï, en avril 1982, la minuscule enclave de Taba, sur le golfe d’Akaba, est officiellement restituée à l’Égypte. Jeudi 16 FRANCE Conflits sociaux. M. Lionel Jospin signe avec les syndicats d’enseignants du supérieur un accord sur la revalorisation des carrières universitaires. Son projet de loi d’orientation suscite de nouveaux mouvements de protestation de la part des instituteurs et professeurs de collège. Pollution. Après le naufrage du cargo panaméen Perintis dans la Manche, un conteneur de 5 tonnes de lindane – insecticide très toxique – est perdu au cours de son remorquage et reste introuvable malgré les recherches entreprises. Académie française. Élu le 16 juin 1988, l’écrivain et diplomate Pierre-Jean Rémy est reçu sous la Coupole par Jacques de Bourbon Busset et prononce l’éloge de son prédécesseur, Georges Dumézil. ISLAM Affaire Rushdie. L’Organisation de la conférence islamique (OCI), réunie en session à Riyad depuis le 13, condamne les Versets sataniques et qualifie Salman Rushdie d’apostat, mais ne cautionne pas les appels au meurtre lancés par les dirigeants iraniens. Vendredi 17 FRANCE Sport. Ayant délibérément pris beaucoup de liberté avec les règlements, Isabelle et Paul Duchesnay n’obtiennent que la médaille de bronze des championnats du monde de patinage artistique qui se déroulent au Palais omnisport de Bercy, à Paris. Ils sont les premiers Français à monter sur un tel podium depuis 1971. downloadModeText.vue.download 30 sur 509 CHRONOLOGIE 29 ITALIE Catastrophe. Quatre personnes sont tuées dans l’effondrement de la Torre Civica (tour Civique) de Pavie, édifice de 78 mètres de haut attenant à la cathédrale et datant du XIe siècle. Samedi 18 URSS Vie politique. À Moscou, une manifestation regroupe une dizaine de milliers de partisans de M. Boris Eltsine, ancien membre du bureau politique du PCUS, limogé en 1987 pour radicalisme réformateur et candidat aux prochaines élections du Congrès du peuple (26). SPORT Rugby. Le XV de France remporte le Tournoi des cinq nations pour la quatrième fois consécutive. Dimanche 19 FRANCE Élections municipales. Les résultats du second tour confirment ceux du 12 en laissant inchangé le rapport des forces politiques issu des législatives de juin 1988, hormis une poussée des Verts et un tassement du Front national. Le Parti socialiste efface son échec de mars 1983 en conquérant 35 villes de plus de 20 000 habitants, dont Strasbourg, Brest, Dunkerque et Aix-en-Provence, aux dépens de toutes les autres grandes formations politiques. La participation est inférieure à 75 %. GRÈCE Scandale. Après la coalition des forces de gauche le 15, c’est au tour de l’opposition conservatrice d’organiser à Athènes une manifestation contre la corruption du gouvernement socialiste de M. Andréas Papandréou, à laquelle participent près d’un million de personnes. Le 6, dans une interview accordée à Time depuis sa prison américaine, le banquier Georges Koskotas, au centre du scandale politico-financier qui porte son nom, avait mis nommément en cause le Premier ministre, ainsi que M. Agamemnon Koutsoyorgas, ministre de la Présidence du Conseil et numéro deux du régime, qui donne sa démission le 14. SALVADOR Élection présidentielle. M. Alfredo Cristiani, candidat de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA) d’extrême droite, est élu dès le premier tour avec 53,82 % des suffrages. 43 personnes sont tuées lors d’affrontements entre l’armée et la guérilla du Front Farabundo-Marti de libération nationale (FMLN), qui appelle au boycottage des élections et empêche près de la moitié des inscrits d’aller voter. Lundi 20 CEE Relations internationales. Un mois après avoir rappelé en consultation leurs ambassadeurs en Iran à la suite de l’affaire Rushdie, les ministres des Affaires étrangères des Douze décident de les renvoyer en poste. FRANCE Conflits sociaux. M. Michel Rocard propose vainement une « concertation approfondie » aux fonctionnaires corses en grève depuis quatre semaines. Ceux-ci réclament une prime d’insularité destinée à compenser le coût élevé de la vie dans l’île. Sociétés. M. Pierre Bérégovoy autorise le rapprochement entre la Banque nationale de Paris (BNP) et l’Union des assurances de Paris (UAP), première banque commerciale et première compagnie d’assurances françaises, toutes deux nationalisées. Il en downloadModeText.vue.download 31 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 30 limite toutefois l’étendue à des prises de participations croisées minoritaires. IRAN v. CEE CHINE Économie. Le Premier ministre, M. Li Peng, présente à l’Assemblée nationale populaire un programme d’austérité d’au moins deux ans rendu nécessaire par l’augmentation de l’inflation. Mardi 21 FRANCE Commémoration. La journée des « lébrée dans plus donne lieu, dans des explications française. Arbres de la liberté » est céde 10 000 communes. Elle les écoles, à des lectures et de textes sur la Révolution Mercredi 22 ONU Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Les délégués de 115 pays réunis à Bâle depuis le 20 adoptent une « convention sur les mouvements transfrontières de déchets dangereux » que 34 pays, dont la France, signent immédiatement. FRANCE Justice. Après certains dirigeants de l’entreprise générale du bâtiment SORMAE, des élus municipaux et régionaux sont à leur tour inculpés dans la même affaire de fausses factures (17 février). ITALIE Vie politique. Lors de son XVIIIe congrès, le Parti communiste de M. Achille Ochetto adopte un programme d’essence nettement social-démocrate. ÉTATS!UNIS!OLP La deuxième rencontre américano-palestinienne se tient à Carthage (Tunisie). L’éventualité de discussions directes officieuses entre l’OLP et Israël est évoquée. Jeudi 23 SCIENCES Énergie nucléaire. Deux électrochimistes, le Britannique Martin Fleischmann et l’Américain Stan Pons, affirment avoir produit une réaction de fusion nucléaire au cours d’une expérience très simple effectuée à température ambiante. Vendredi 24 FRANCE Syndicalisme. En signant – après la CGC, le 21, et contrairement à FO, la CGT et la CFTC – le protocole d’accord sur l’aménagement du temps de travail en discussion depuis octobre 1988, la CFDT se pose en interlocuteur du patronat. ÉTATS!UNIS Politique étrangère. Le président George Bush et les leaders démocrates et républicains du Congrès s’accordent sur le principe de la poursuite d’une aide humanitaire à la Contra jusqu’aux élections de février 1990 au Nicaragua. Pollution Alaska : Marée et colère noires Dans un décor de montagnes enneigées, semée d’innombrables îles et entaillée de fjords profonds, la baie du Prince-Guillaume, sur la côte sud downloadModeText.vue.download 32 sur 509 CHRONOLOGIE 31 de l’Alaska, a tout, à la belle saison, du paradis terrestre. Au fond de l’un de ces fjords se trouve le port de Valdez, terminal du pipe-line Alaskeya qui achemine le pétrole en provenance de la baie de Prudhoe, sur l’océan Arctique. Le 24 mars, le superpétrolier Exxon-Valdez, qui vient de remplir ses soutes, s’éventre sur le récif de Blight, à la sortie du fjord, déversant 40 000 tonnes de brut dans la baie. C’est la plus grande marée noire de l’histoire des États-Unis. L’accident est impardonnable. Connu pour son ivrognerie, Joseph Hazelwood, le commandant de l’Exxon-Valdez, cuvait dans sa cabine au moment du choc. L’officier qui a jeté le bateau sur des récifs figurant sur toutes les cartes n’était pas qualifié pour tenir la barre. Mais l’incurie des secours est encore plus scandaleuse. La compagnie pétrolière assurait pouvoir juguler toute marée noire en cinq heures : il faut un jour et demi avant que les premières mesures soient mises en place. L’inaccessibilité des côtes rend, certes, cette marée noire autrement plus difficile à traiter que celle – six fois supérieure – de l’Amoco-Cadiz. Mais que penser de l’indisponibilité de la barge chargée de disposer les bouées flottantes, de l’insuffisance du nombre de bateaux employés à « écrémer » les eaux de la baie, de l’inefficacité une fois de plus vérifiée des procédés de brûlage ou de dispersion chimique de la nappe, de la lenteur de réaction des autorités locales et fédérales ? À Valdez, la fureur le dispute à la résignation. Obligée pour des raisons d’intérêt national d’accueillir le terminal (25 % du pétrole américain provient d’Alaska), la ville en tire en retour 90 % de ses revenus, pour endormir une méfiance toujours en éveil. Le contrat est aujourd’hui rompu. « Rien ne sera plus comme avant. » La baie du Prince-Guillaume était une véritable arche de Noé. Les oiseaux et les loutres de mer sont les premières victimes de la pollution. Mais on craint pour les baleines et les ours. De plus, on est à quelques semaines de l’époque de la ponte des harengs, de la reproduction des phoques, de la descente des rivières des saumons. La jurisprudence récente laisse espérer une compensation de l’ordre de 100 millions de dollars quand une seule saison de pêche en rapporte déjà 80. Tandis que les Américains boycottent la marque Exxon, la marée noire s’étend dans le golfe d’Alaska. Samedi 25 FRANCE Conflits sociaux. À Paris, une tentative de négociation entre l’intersyndicale des fonctionnaires corses et le gouvernement échoue, tandis que l’île est totalement paralysée par les grèves. Dans une interview au Figaro, le ministre délégué au Budget, M. Michel Charasse, affirme que « tout l’argent distribué par l’État en Corse ne va pas dans les bonnes poches ». Dimanche 26 URSS Élections législatives. Les résultats du scrutin pour la désignation du Congrès des députés du peuple constituent une victoire pour les rénovateurs et un désaveu des candidats officiels du PCUS et des membres de l’appareil du parti. M. Boris Eltsine est triomphalement élu à Moscou. Exploration spatiale. Six mois après une la sonde Phobos-1, contact radio avec ambitieuse mission lite de Mars. défaillance similaire de la perte irréversible de Phobos-2 met fin à une d’exploration du satel- TURQUIE Vie politique. Les résultats des scrutins locaux, mais de portée nationale, confirment le recul électoral du Parti de la mère patrie (ANAP) du Premier ministre Turgut Ozal, qui arrive en troisième position avec seulement 21,9 % des voix. GUATEMALA Prisons. Une mutinerie éclate à la prison d’El Pavon, dans la banlieue de la capitale, où une centaine des 1 500 détenus prennent plus de 600 personnes en otages. Les rebelles se rendent le 30 après avoir obtenu l’amélioration de leurs conditions de détention et downloadModeText.vue.download 33 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 32 le remplacement du directeur de l’établissement. Le bilan de la révolte s’élève à douze morts. Lundi 27 YOUGOSLAVIE Nationalités. Au Kosovo, région autonome de la République de Serbie, des affrontements, qui opposent pendant deux jours des manifestants qualifiés de « nationalistes et séparatistes » aux forces de l’ordre, font 24 morts. Ces troubles interviennent après l’adoption, le 23, par le Parlement du Kosovo, d’amendements à la Constitution de la Serbie qui enlèvent aux régions autonomes de nombreuses prérogatives. Mardi 28 FRANCE Vie politique. La proposition de M. Charles Millon (UDF) de présenter aux élections européennes une liste réunissant la nouvelle génération des rénovateurs de l’UDF, du RPR et du CDS fait rapidement des émules parmi les jeunes élus locaux de l’opposition. IRAN Vie politique. L’ayatollah Hossein Ali Montazeri, qui avait récemment dressé un sombre bilan de dix ans de révolution islamique et s’était prononcé en faveur du multipartisme tout en stigmatisant l’incompétence de certains dirigeants, est démis de son statut de successeur désigné de l’ayatollah Khomeyni. Mercredi 29 FRANCE Transports. La SNCF fête le cent-millionième voyageur du TGV dont la ligne Paris-Lyon a été inaugurée dans sa totalité le 22 septembre 1981. Cinéma Sortie de l’artiste L’élève emprunté d’Entrée des artistes n’est plus. Bernard Blier meurt à Neuilly-sur-Seine le 29 mars à l’âge de 73 ans. En 150 films et 50 ans de carrière, l’un des plus grands seconds rôles du cinéma français était devenu l’un de ses derniers monstres sacrés. Le public s’attendait à la nouvelle depuis la Nuit des Césars, le 4 mars, lorsque, flottant dans son smoking trop large et titubant sur la scène, Bernard Blier était venu recevoir son César d’honneur des mains d’un Michel Serrault étreint par l’émotion. Cette formalité jusqu’alors négligée prenait soudain l’allure d’un poignant adieu. Dans le film précité de Marc Allégret (1938), Bernard Blier donne la réplique à Louis Jouvet, qui joue quasiment son propre rôle. Le jeu n’en est presque pas un. C’est Jouvet, son professeur au Conservatoire, qui a « fait » Blier, ne se trompant que sur deux points : il lui a prédit une carrière théâtrale et pense qu’il ne percera pas avant 50 ans. Or, Blier abandonne le théâtre après la guerre pour devenir rapidement célèbre comme acteur de cinéma. Sa rondeur physique s’affirmant, les rôles d’amoureux transi, timide et naïf de ses débuts font place à des compositions de mari bafoué où il excelle. Il est ainsi successivement victime de Paulette Dubost et d’Arletty dans Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938), de Suzy Delair dans Quai des Orfèvres d’Henri-Georges Clouzot (1947), de Simone Signoret dans Dédée d’Anvers de Marc Allégret (1947). Mais le « masque » de râleur goguenard qu’il acquiert bientôt le fait s’orienter, à partir du milieu des années cinquante, vers les rôles de flic véreux, de truand donneur, de salaud de toutes espèces. Il campe ainsi un excellent Javert dans la version des Misérables de Jean-Paul Le Chanois (1957). Mais l’« affreux » ne se départ jamais de downloadModeText.vue.download 34 sur 509 CHRONOLOGIE 33 son humour. On le constate dans les Tontons flingueurs (1963) et dans d’autres films de Georges Lautner, dont il devient l’un des interprètes favoris. Michel Audiard lui écrit des dialogues à la mesure de sa gouaille avant de le faire tourner à son tour. Le cinéma italien le demande. Il répond jusqu’à la fin de sa carrière aux offres de Mario Monicelli, Luchino Visconti, Ettore Scola ou Luigi Comencini, pour ne citer que les plus grands. Il atteint la quintessence de son art dans Buffet froid, sous la direction de son fils Bertrand (1979). Le rôle de flic cynique qu’il y incarne, le personnage veule et lâche de Série noire, d’Alain Corneau (1979), et le « valeureux » humaniste de Mangeclous, de Moshe Misrahi (1988), présentent un résumé de l’étendue de son talent. Musée. Précédant de peu le public, le président François Mitterrand inaugure l’ouverture de la pyramide qui marque l’entrée du Grand Louvre, ainsi que les nouveaux espaces d’exposition situés au sous-sol de la cour Napoléon. Dans ces locaux, le laboratoire de recherche des musées de France abrite AGLAÉ, le premier accélérateur de particules au monde destiné à l’étude d’objets artistiques et archéologiques. BELGIQUE Islam. Assassinats du recteur saoudien de la mosquée de Bruxelles, Abdullah Ahdel, et du bibliothécaire tunisien du centre culturel islamique, qui avaient adopté une position modérée dans l’affaire des Versets sataniques. Les meurtres sont revendiqués le 31 par un groupe islamique antisaoudien, l’« Organisation des soldats du droit ». ÉTATS!UNIS Cinéma. À Hollywood, les Oscars du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur acteur récompensent Rain Man, de l’Américain Barry Levinson, interprété par Dustin Hoffman. Ce film avait déjà obtenu l’Ours d’or au festival de Berlin, le 21 février. Jeudi 30 FRANCE Relations culturelles v. URSS URSS Relations culturelles. M. Roland Dumas participe au lancement de la saison française en inaugurant une exposition de peintures et de sculptures du XXe siècle au musée Pouchkine de Moscou. D’autres manifestations, en particulier théâtrales, doivent s’échelonner sur plusieurs mois. URSS!ÉTATS!UNIS Relations économiques. Six géants de l’industrie américaine signent avec un consortium soviétique un accordcadre prévoyant la création de 25 sociétés à capitaux communs. Celui-ci correspond à un investissement occidental de près de 10 milliards de dollars (64 milliards de F environ) sur vingt ans. Vendredi 31 FRANCE Commémoration. La cérémonie de l’inauguration de la tour Eiffel est reconstituée pour célébrer le centenaire de l’édifice. FRANCE!CANADA Pêche. L’accord conclu par les deux pays sur les droits de pêche au large de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon met fin à un contentieux vieux de trois ans. Le mois de Jean-Jacques Annaud Depuis des mois, je suis marchand « d’ours » à travers l’Europe. downloadModeText.vue.download 35 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 34 Fin février, je reviens d’Israël. Je n’y suis pas allé pour parler de mon film, mais pour bavarder tranquillement avec ma fille aînée. Elle voulait vérifier si on pouvait véritablement lire son journal assis dans l’eau épaisse de la mer Morte : mission accomplie. Je passe le premier jour du mois avec mon « complice » – scénariste Gérard Brach. Nous rêvons à l’avenir. Je reprends ma valise le lendemain pour Lisbonne où je présente l’Oso. La réception est aussi chaude que le printemps précoce : je regrette que mon ours ne soit pas sorti aux « beaux » jours frileux de l’hiver lorsque les baigneurs préfèrent le velours des fauteuils de cinéma au sable des plages. Je termine mes interviews le matin du samedi 4, juste à temps pour rentrer à Paris : c’est le jour des Césars. L’Ours est nommé six fois. On me largue à l’aéroport. L’avion a 9 heures de retard. Pour une fois, il ne s’agit pas d’un appareil d’Air France dont les pilotes ont empoisonné ma vie pendant des mois avec leur navrante grève corporatiste. Le chef d’escale de la compagnie portugaise a beau- coup aimé Sean Connery dans le Nom de la Rose. Il m’a vu à la télé la veille : il me trouve une place miraculeuse sur le vol de fin d’après-midi. Une voiture m’attend à Orly avec femme et smoking. Nous fonçons à l’Empire. J’arrive en retard et en sueur. Je n’ai pas chaud longtemps. L’ambiance est polaire. Je me surprends à espérer ne rien gagner pour éviter d’affronter un public aussi tendu. On m’appelle sur scène. Je me sens généralement à l’aise devant un micro. Ce n’est pas le cas ce soir-là. Je me retrouve avec mon lourd cadeau de bronze dans la salle de presse, triste de ne pas avoir le droit de montrer ma joie. Le lundi matin, ma femme et moi prenons le premier vol pour Amsterdam. Un petit coup de musée, une interminable avalanche d’interviews, une petite balade sur les canaux et une première « royale » pour couronner le tout. Sa Majesté est une reine charmante. Je lui trouve toutes les qualités : elle a adoré le film et me le dit longuement dans un français impeccable. Je regrette qu’elle ne soit pas critique de cinéma au Telegraph ou je suis traité de débile mental. Je passe la troisième semaine du mois à contempler mon bébé. Pour la première fois depuis bien longtemps, je peux passer quelques heures à la maison. Je vais souvent chez Brach qui affûte ses crayons. Je vois quelques amis. Nous organisons même deux ou trois dîners. Le 23, je souffle avec ma femme les bougies de son gâteau d’anniversaire. Deux jours plus tard, je suis à Los Angeles. Les conseils de guerre se succèdent. Il s’agit de savoir comment « lancer » mon plantigrade pour qu’il retombe solidement sur ses quatre pattes dans les territoires de langue anglaise. On s’agite pour m’obtenir de toute urgence un visa pour l’Australie... JEAN-JACQUES ANNAUD Météo : l’Hiver La période allant du 21 décembre aux premiers jours de janvier est marquée par la persistance de conditions anticycloniques et l’absence quasi générale de précipitations. Les pluies fines et les bruines observées dans l’Ouest, le Nord et le Nord-Est du 22 au 24 et le 27 décembre sont le fait de perturbations peu actives. Une sécheresse hivernale exceptionnelle et préoccupante En ce début d’hiver, les réserves en eau des sols sont très faibles ; au 31 décembre, le rapport R/ RU de la réserve en eau disponible à la réserve utile est inférieur à 35 % en Berry, Touraine et Aquitaine, dans le Poitou-Charentes et le MidiPyrénées. En janvier, les déficits pluviométriques sont très importants sur l’ensemble du territoire comme l’attestent les chiffres records suivants : 19,7 mm à Toulouse-Blagnac (normale 19511980 : 56,5 mm) ; 8 mm à Chamonix au heu de 11 mm en 1953 ; 11,6 mm à Lyon-Satolas au lieu de 25,2 en 1983 (normale 62 mm)... Cette sécheresse, imputable aux très hautes pressions qui se sont installées durablement sur la France, l’Allemagne et l’Italie (à Hyères, la pression moyenne mensuelle a été de 1 029 hPa au lieu de 1 027 en 1983 ; à Avord : 1 032,8 hPa au lieu de 1 029,8 en 1964...) et exacerbée par des températures supérieures aux normales, a contribué à l’aggravation du bilan hydrique des sols, notamment au sud de la ligne Dinard-Nice. Ce manque d’eau, qui a retardé la levée des céréales dans certaines régions, pourrait, s’il se prolongeait, avoir des conséquences sur la phénologie des plantes cultivées et sur la production agricole. downloadModeText.vue.download 36 sur 509 CHRONOLOGIE 35 En stabilisant une énorme masse d’air doux, l’anticyclone a favorisé la formation de brouillards épais et persistants dans les vallées de la Saône, du Rhône, de la Seine ou du Pô et l’augmentation de la pollution atmosphérique au-dessus de Paris, de Lyon ou de Milan. Le 27 janvier, dans cette dernière ville, la concentration en dioxyde de soufre a atteint 431 microgrammes par m3 et celle de dioxyde d’azote 426 microgrammes par m3 alors que les seuils consentis en Europe sont de 250 et 200 microgrammes respectivement ! La situation météorologique qui a prévalu en janvier explique la faiblesse de l’enneigement dans tous les massifs ; Avoriaz : 40-65 cm ; Megève : 20-70 ; l’Alped’Huez : 60-80 ; Chamrousse : 20-30 ; Serre-Chevalier : 5-15 ; Font-Romeu : 45-55 ; les Rousses : 5-20 ; Superlioran : 10-10... Trois ans après Clotilda, Firinga ravage la Réunion Le 29 janvier, l’île de la Réunion est dévastée par le cyclone Firinga ; le bilan est très lourd : 3 morts, des dizaines de blessés, des milliers de personnes sans abri ; les dégâts sont évalués à 1,5 milliard de F. Aux États-Unis, des températures de l’ordre de – 25 °C sont mesurées dans le Montana ; elles sont les premières manifestations de la vague de froid qui, du 1er au 12 février, affecte tout l’Ouest. En février, les températures ont été, selon les régions, de 1 à 2 degrés supérieures aux normales. Seuls les premiers jours du mois ont connu des températures basses, des brouillards localement givrants et une importante nébulosité. Les pluies ont été légèrement excédentaires dans l’Ouest et le Sud-Ouest, normales ou faiblement déficitaires sur le reste du pays. L’essentiel des pluies et des chutes de neige a été enregistré entre le 22 et le 28, période au cours de laquelle se sont succédé des perturbations très actives, accompagnées de vents forts. Du 24 au 27, une tempête d’une violence inhabituelle a sévi sur le Portugal, l’Espagne, la France méridionale et l’Italie. Outre son bilan très lourd (52 morts, des dizaines de blessés et des dégâts matériels), cette tempête a été downloadModeText.vue.download 37 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 36 marquée par des valeurs de pression atmosphérique exceptionnellement basses sur tout l’ouest et le sud-ouest de l’Europe : 957,8 hPa à ParisMontsouris ; 958,2 hPa à Rennes ou 964,6 hPa à Nevers le 25 et des vents très forts tant dans les régions littorales qu’à l’intérieur des terres (144 km/h à Carteret, 102 km/h à Orléans le 25). Au 28 février, l’enneigement est aussi médiocre qu’à la fin de janvier. Hors de France, l’actualité météorologique a été dominée par la froidure calamiteuse qui s’est abattue sur l’ouest des ÉtatsUnis pendant la première décade (– 35 °C à San Francisco), par les effets dévastateurs du cyclone Harry en Nouvelle-Calédonie les 11 et 12 février, par les pluies diluviennes observées aux Canaries les 16 et 17 ou par la pire sécheresse de l’histoire néo-zélandaise. Mars quasi estival en France, quasi polaire en Californie Le mois de mars, avec des températures supérieures de 3 °C aux normales, est un mois d’hiver étonnamment chaud, un des plus chauds depuis 1957 ; citons par exemple ces quelques températures maximales records : 20,4 °C à Paris-Montsouris le 6, 21,8 °C à Ambérieu, 23,5 °C à Mende, 22,1 °C à Auxerre et 25,6 °C à Gourdon le 12 mars. Les trois épisodes pluvieux de la période allant du 1er à l’équinoxe ont profité au nord et à l’ouest du pays ; dans les autres régions, la pluviométrie a été déficitaire à très déficitaire : 20 % dans le Nord- Est, 34 % dans le Sud-Ouest, 77 % dans le Sud-Est. Le 21 mars, la sécheresse est préoccupante dans une grande partie du territoire ; le rapport R/RU est inférieur à 60 % en Poitou-Charentes, en Aquitaine, en Provence, en Corse, en Languedoc-Roussillon et dans le sud du Massif central. En cette fin d’hiver, il existe un risque précoce d’incendies de forêts. L’enneigement n’est satisfaisant que dans les stations de haute montagne ; La Clusaz : 20180 cm ; La Plagne : 120-200 ; les Deux-Alpes : 10270... Ainsi, l’hiver 1989 restera dans les mémoires comme un hiver anormalement doux et sec. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 38 sur 509 CHRONOLOGIE 37 Avril Samedi 1er NAMIBIE Conflit. Le processus d’indépendance prévu par les accords de Washington du 22 décembre 1988 est troublé dès le jour de sa mise en oeuvre par l’infiltration dans le nord du pays, à partir de l’Angola, de maquisards du mouvement indépendantiste de la SWAPO (Organisation du peuple du Sud-Ouest africain). Les combats qui opposent ceuxci aux forces namibiennes et sud-africaines causent près de 300 morts. Le 9, un accord est conclu entre les délégations angolaise, sud-africaine et cubaine. Le retrait de Namibie des troupes de la SWAPO se poursuit tout au long du mois sous le contrôle des forces de l’ONU. TCHAD Troubles. Une tentative de coup d’État contre le régime du président Hissène Habré échoue. Dirigé par trois proches collaborateurs du chef de l’État – le ministre de l’Intérieur, le commandant en chef des forces armées et le conseiller militaire de la présidence –, ce coup de force était motivé par des rivalités ethniques et par l’hostilité de certains compagnons de route de M. Habré à l’ouverture politique du régime en direction des anciens opposants ralliés. Ce complot envenime les relations avec le Soudan, où certains rebelles se sont réfugiés. Dimanche 2 FINANCES MONDIALES L’allégement de la dette des pays en voie de développement et la stabilité du dollar sont les principaux dossiers défendus à Washington tant par les ministres des Finances du groupe des Sept (États-Unis, Japon, RFA, Grande-Bretagne, France, Italie, Canada) que lors de la réunion, les 3 et 4, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BIRD). URSS v. Cuba TUNISIE Élections générales. Les scrutins présidentiel et législatif anticipés confortent la position du président Zine El Abidine Ben Ali, candidat unique, réélu avec 99,27 % des voix. Son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique, remporte les 141 sièges de la Chambre des députés. Le courant islamiste s’affirme comme la seconde force politique du pays. CUBA Relations internationales. À l’occasion d’une visite officielle qu’il effectue jusqu’au 4 à La Havane, M. Mikhaïl Gorbatchev, chef de l’État soviétique, réaffirme son appui au régime cubain ainsi qu’à celui du Nicaragua ; mais il exprime aussi de nouveau son hostilité à l’« exportation de la révolution » ainsi que son soutien à un « règlement politique » de tous les conflits en Amérique centrale – positions aujourd’hui partagées par Fidel Castro. downloadModeText.vue.download 39 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 38 HAÏTI Troubles. Une tentative de coup d’État militaire s’achève le 8 par la reddition des rebelles, obtenue après des combats meurtriers. Lundi 3 AGRICULTURE MONDIALE Le comité de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), réuni à Rome jusqu’au 7, exprime ses inquiétudes face à la précarité de l’équilibre alimentaire mondial pour 1989-1990. Cette situation résulte tant des perturbations climatiques qui ont affecté les récoltes de 1988 que de la persistance de dysfonctionnements structurels dans les économies du tiers-monde. FRANCE Relations internationales v. URSS URSS Relations internationales. Après 12 ans d’absence de contacts entre les responsables militaires des deux pays, le ministre français de la Défense, M. JeanPierre Chevènement, se rend à l’invitation de son homologue soviétique, le général d’armée Dimitri Iazov. Mardi 4 FRANCE Solidarité internationale. Devant l’ambassade du Liban à Paris, six cents manifestants viennent soutenir la démarche symbolique d’une soixantaine de personnalités françaises qui demandent la nationalité libanaise. Musique. La treizième édition du Printemps de Bourges accueille pour la première fois trois groupes de rock soviétiques, Kino, Zvouki Mou et Auktsion. ESPAGNE Terrorisme. L’organisation séparatiste basque ETA, qui menait à Alger des négociations avec les autorités madrilènes, annonce la rupture de la trêve en vigueur depuis le 8 janvier. Cette décision, qui résulte de la surenchère des éléments « durs » de l’organisation, est suivie par la reprise des attentats à la bombe. Mercredi 5 POLOGNE Vie politique. À Varsovie, les représentants du pouvoir et de l’opposition concluent un accord « historique » au terme de deux mois de négociations. Celui-ci prévoit le rétablissement du pluralisme syndical ainsi que la création d’une fonction de président de la République dotée de pouvoirs étendus, l’élection au scrutin libre d’un Sénat et la possibilité pour l’opposition de détenir 35 % des sièges à la Diète (17). CAMBODGE Conflit. Sans attendre l’intervention d’un règlement politique, le Viêt-nam annonce officiellement le retrait du pays, sous contrôle international, de la totalité de ses troupes d’ici la fin du mois de septembre (30). VIÊT!NAM v. Cambodge Jeudi 6 FRANCE Sport. Le désengagement du groupe Matra du football professionnel, annoncé par M. Jean-Luc Lagardère, met fin à l’avendownloadModeText.vue.download 40 sur 509 CHRONOLOGIE 39 ture onéreuse et sans résultats probants de l’équipe du Matra-Racing. ISRAËL v. États-Unis ÉTATS!UNIS Relations internationales. Lors de sa visite officielle, entamée le 4, le Premier ministre israélien Itzhak Shamir présente au président George Bush son plan de règlement du conflit israélo-palestinien. Celui-ci prévoit l’organisation d’élections dans les territoires occupés en vue de désigner des représentants palestiniens aux négociations destinées à définir, après une période test d’autonomie interne, le statut permanent de la Cisjordanie et de Gaza. Bien accueilli à Washington, ce plan est rejeté par l’OLP. Vendredi 7 EST!OUEST v. Grande-Bretagne GATT À Genève, les pays membres parviennent à un accord grâce aux concessions américaines sur les subventions agricoles de la CEE. Celui-ci permet de relancer l’Uruguay Round, bloqué depuis la session ministérielle du 5 décembre 1988 à Montréal. FRANCE Médecine parallèle. M. Guy-Claude Burger, fondateur du centre d’instinctothérapie de Montramé (Seine-etMarne), qui prétend guérir de nombreuses maladies grâce aux aliments crus, est inculpé d’exercice illégal de la médecine, de publicité mensongère pour méthodes thérapeutiques et d’escroquerie. AUTRICHE Meurtres. Accusées d’avoir tué au moins 49 vieillards depuis six ans, quatre aides-soignantes de l’hôpital de Lainz, près de Vienne, sont arrêtées. GRANDE!BRETAGNE Relations internationales. En visite à Londres depuis le 5, M. Mikhaïl Gorbatchev déclare que toute décision de l’OTAN en faveur de la modernisation des armes tactiques en Europe affecterait les négociations de Vienne sur le désarmement conventionnel (12). URSS Relations internationales v. Grande-Bretagne Accident naval. L’incendie, puis le naufrage dans les eaux internationales de la mer de Norvège, d’un sous-marin nucléaire expérimental soviétique cause la mort de 42 des 69 membres d’équipage. LIBAN Difficile oecuménisme humanitaire En ce début du mois d’avril, le dossier libanais resurgit brusquement sur le devant de la scène politique française alors que, depuis trois semaines, Beyrouth est de nouveau le théâtre de violents affrontements. Le 4, tandis que M. Jean-François Deniau est envoyé par le gouvernement en mission d’information dans la capitale libanaise, le président François Mitterrand lance un appel solennel à la « conscience universelle ». Le lendemain, le Quai d’Orsay annonce que la France a décidé de « proposer aux autorités libanaises une assistance humanitaire pour les populations victimes des affrontements ». Le 7 avril, le navire-hôpital la Rance et le pétrolier Penhors appareillent à destination de Beyrouth. Le gouvernement syrien et ses alliés libanais accusent aussitôt la France de partialité en faveur des seuls chrétiens. De retour à Paris, M. Deniau ne déclare-t-il pas, le 9, que le général Michel Aoun parle « au nom du Liban tout entier » ? Gêné downloadModeText.vue.download 41 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 40 par des propos aussi peu diplomatiques envers la Syrie, le gouvernement s’empresse de s’en désolidariser. Décidée sous la pression de l’opinion publique, et sans concertation préalable avec ses destinataires, l’aide humanitaire française ne fait pas non plus l’unanimité dans le camp chrétien, où certains la jugent inutile et ambiguë. Qui, se demandent-ils, la France veut-elle aider ? Les Libanais ? Ignoret-elle qu’il n’existe plus à Beyrouth que des chrétiens d’une part et des musulmans de l’autre ? M. Bernard Kouchner, secrétaire d’État à l’Action humanitaire, envoyé superviser sur place l’opération française, s’en aperçoit rapidement. Arrivé le 11 à Beyrouth en déclarant que l’aide française ne se déroulera « qu’avec l’accord de tous », M. Kouchner se trouve bien vite écartelé entre les tentatives de récupération de sa mission par les deux bords. Le camp chrétien, diplomatiquement isolé, y voit l’occasion de faire la preuve de l’appui de la France. Le camp musulman tente quant à lui de marchander son accord en demandant aux dirigeants français de « clarifier leur position à l’égard de la crise libanaise ». Le 12, M. Mitterrand réaffirme la « position constante » de la France, qui « se veut l’amie des Libanais de toutes confessions, de toutes les communautés », tandis que M. Dumas déclare « comprendre le souci de sécurité de la Syrie ». Le lendemain, le gouvernement de Damas donne son accord à l’opération française. Amer, le général Aoun commente : « Celui qui veut aider la victime ne demande pas la permission à son bourreau. » Le 14, 12 blessés chrétiens sont évacués à bord de la Rance ; 77 blessés musulmans les rejoignent le 18, après d’ultimes discussions avec le gouvernement de M. Selim Hoss. Le 23, enfin, le Penhors décharge sa cargaison de 7 000 tonnes de fuel. Le 13, le Liban était entré dans sa quinzième année de guerre. Samedi 8 DJIBOUTI Catastrophe naturelle. Le bilan des pluies torrentielles qui s’abattent depuis le 6 sur tout le pays s’élève à huit morts et plus de 150 000 sans-abri. La capitale est sinistrée à 70 %. Dimanche 9 URSS Nationalités. La violente répression par les forces de l’ordre d’une manifestation nationaliste à Tbilissi, capitale de la Géorgie, entraîne la mort de 20 personnes selon un bilan officiel. Les jours suivants, les principaux responsables de la république sont limogés et M. Édouard Chevardnadze, ministre des Affaires étrangères, natif de Géorgie, est envoyé sur place pour calmer les esprits et laver le Kremlin de toute responsabilité. Le couvre-feu est levé le 18. ÉTATS!UNIS Société. Plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent dans les rues de Washington en faveur du maintien du droit à l’avortement, admis par un arrêt de la Cour suprême datant de 1973. Elles s’élèvent contre les tentatives de remise en cause de ce droit, favorisées par les déclarations du président George Bush et le remplacement progressif des juges suprêmes libéraux par des conservateurs. Lundi 10 FRANCE Catastrophe aérienne. Un Fokker-27 de la compagnie Uni-Air assurant la liaison Paris-Valence, qui volait à une altitude anormalement basse, s’écrase sur les contreforts du Vercors, dans la Drôme. Il n’y a pas de survivants parmi les 22 passagers et membres d’équipage. ITALIE Presse. En prenant le contrôle du groupe Espresso, qui possède notamment le quotidien la Repubblica, les éditions Mondadori de downloadModeText.vue.download 42 sur 509 CHRONOLOGIE 41 M. Carlo de Benedetti deviennent le plus important groupe de presse italien. Mardi 11 FRANCE Conflits sociaux Corse : où va l’argent ? Jusqu’à présent, l’agitation en Corse avait pour origine essentielle la revendication séparatiste que quelques rares militants opposaient à l’État. C’est au contraire pour réclamer l’égalité de traitement avec leurs collègues continentaux que les fonctionnaires de l’île se mettent progressivement en grève à partir de la fin du mois de février. Prétextant du coût de la vie en Corse, ils exigent une « prime d’insularité » de 1 000 francs annuels et le classement de la région en « zone zéro » – zone de vie chère entraînant des augmentations de traitement. Cette revendication catégorielle est également, nul ne s’y trompe, une demande de reconnaissance du particularisme de l’île. Et le problème s’avère d’autant plus complexe que sa solution se heurte à l’incorruptible logique gouvernementale de sauvegarde des grands équilibres économiques. Rapidement relayé par l’ensemble de la population corse, le mouvement de grève paralyse bientôt l’île entière, soumise à un blocus total. Le 11 avril, afin de mettre un terme à un face-àface qui n’a pas évolué depuis sept semaines et de limiter le coût politique du conflit, le gouvernement suspend les négociations avec l’intersyndicale et fixe unilatéralement le montant d’une indemnité compensatoire de transport – 300 francs par mois pour une famille de deux enfants. C’est à ses yeux le prix du règlement d’un conflit social classique. Le « traitement de fond » des problèmes de la Corse est réservé aux participants des tables rondes qui doivent se réunir à partir du 2 mai. C’est la première fois que la tranquillité de l’île n’est pas achetée à prix fort. Le 12, tandis que douze mille personnes se livrent à un baroud d’honneur dans les rues d’Ajaccio, le Premier ministre proclame à la tribune de l’Assemblée qu’« il faut que chacun abandonne l’idée que, lorsqu’une catégorie descend dans la rue, l’État paie ». Le travail reprend progressivement à la fin du mois. Où va l’argent ? La question est au centre du débat. Que deviennent les 750 millions de francs consacrés chaque année par l’État à la « continuité territoriale » et destinés à compenser les surcoûts inhérents à l’acheminement des produits ? Où passent les 500 millions d’exemption fiscale accordés annuellement à la Corse dans le même souci de modération des prix ? Car cet argent ne profite guère à ses destinataires. La très faible concurrence et l’archaïsme des structures commerciales de l’île expliqueraient une partie de l’« évaporation » des subventions ; mais celles-ci se dilueraient aussi dans les réseaux de clientèle des différents clans entre les mains desquels transite l’argent. Les tables rondes vont devoir s’attacher à démêler l’écheveau enserrant une île qui a hérité de structures sociales farouchement antiétatiques mais où l’État reste le premier employeur et le premier payeur. ÉTATS!UNIS ! GRANDE!BRETAGNE Sociétés. Les groupes américain Smithkline Beckman et britannique Beecham annoncent leur fusion. Celle-ci leur permet de devenir le deuxième fabricant mondial de médicaments, juste derrière l’américain Merck et devant l’allemand Hoechst. Mercredi 12 EST!OUEST Désarmement. La proposition du pacte de Varsovie d’ouvrir des négociations sur la réduction des missiles à courte portée (SNF) en Europe est rejetée par l’OTAN, elle-même partagée sur ce point. Le 27, le chancelier ouestallemand Helmut Kohl demande en effet l’ouverture de telles négociations, s’attirant les critiques de la Grande-Bretagne et des États-Unis (29 mai). downloadModeText.vue.download 43 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 42 FRANCE Santé. M. Claude Évin présente en Conseil des ministres les grandes lignes de sa politique pour les trois ans à venir. Celle-ci privilégie la prévention, la prise en compte des droits des malades, le décloisonnement de l’hôpital par rapport à son environnement et la maîtrise du prix des médicaments et des honoraires médicaux. Culture. M. Jack Lang dévoile les grandes lignes du projet de la future Bibliothèque de France, destinée à désengorger la Bibliothèque nationale. Elle serait implantée rive gauche, près du pont de Tolbiac, et accueillerait tous les livres imprimés après 1945 ainsi que des documents sonores et visuels ; toutefois, le principe de cette coupure chronologique est bientôt contesté par les usagers de la Bibliothèque nationale (21 août). ROUMANIE Dette extérieure. Le président Nicolae Ceaucescu annonce le remboursement total de la dette de son pays, qui s’élève à 10 milliards de dollars environ. La réalisation de cet objectif, poursuivi depuis 1983, s’est faite au prix de restrictions, qui pèsent lourdement sur la population. Jeudi 13 ENVIRONNEMENT La tournée mondiale d’information du chanteur anglais Sting, accompagné du chef indien Raoni, en faveur du sauvetage de la forêt amazonienne débute à Paris. Elle s’efforce de réunir des fonds en vue d’agrandir le parc naturel du Xingu, au Brésil. FRANCE Partis politiques. Cinq jours après le Conseil national du RPR, celui de l’UDF se prononce en faveur d’une liste RPR-UDF menée par M. Valéry Giscard d’Estaing pour les élections européennes du 18 juin ; les « rénovateurs » de l’opposition renoncent à constituer leur propre liste et déclarent qu’ils ne seront candidats sur aucune autre. Le 23, le CDS annonce la constitution d’une liste du centre conduite par Mme Simone Veil (28 mars). FRANCE!RFA Relations industrielles. Confrontés au ralentissement des commandes de centrales nucléaires dans le monde, les constructeurs de chaudières français Framatome et allemand KWU (groupe Siemens) signent un accord de coopération en matière d’exportation. Parallèlement, les gouvernements des deux pays décident d’ouvrir les dossiers du retraitement des déchets nucléaires et du « marché unique de l’énergie ». RFA Gouvernement. M. Helmut Kohl annonce un profond remaniement de son gouvernement destiné à faire sortir de son marasme la coalition CDU-CSU. Le changement le plus notable est le passage de M. Gerhard Stoltenberg du ministère des Finances – où il est remplacé par le chef de la CSU, M. Theo Waigel – à celui de la Défense. Vendredi 14 FRANCE Opéra. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg et les choeurs de l’Opéra du Rhin sous la direction de Claude Schnitzler créent l’opéra-oratorio Orphée de Renaud Gagneux. SUISSE Finances. Pour la cinquième fois depuis le mois de juillet 1988, la Banque nationale (BNS) procède au relèvement de ses taux directeurs afin de prévenir l’inflation et d’enrayer la baisse de sa monnaie, qui ne cotait plus que 3,82 francs français. downloadModeText.vue.download 44 sur 509 CHRONOLOGIE 43 ÉTATS!UNIS Vie politique. Le compromis entre la Maison-Blanche et le Congrès à majorité démocrate sur le budget 1990, qui prévoit la réduction du déficit au-dessous de 100 milliards de dollars sans impôts nouveaux, constitue une victoire pour le président George Bush (9 février). Samedi 15 FRANCE Cinéma. Acteur dans plus de deux cents films depuis 1922, Charles Vanel meurt à l’âge de 96 ans. GRANDE!BRETAGNE Mortelles tribunes Ce 15 avril, à Sheffield, ils sont encore deux à trois mille supporters de Liverpool à stationner à l’extérieur du stade de Hillsborough quelques minutes avant le coup d’envoi de la demi-finale de la Coupe d’Angleterre opposant leur club à celui de Nottingham-Forest. Certains sont ivres. Ils n’ont pas tous de billet. Les policiers à cheval sont bientôt débordés par leur agitation. Pour éviter le drame, un officier ordonne l’ouverture des grilles. La foule se précipite alors vers la tribune la plus proche, déjà saturée. En quelques minutes, 95 spectateurs meurent étouffés contre les grillages qui les séparent du terrain ou piétines dans la mêlée. Toujours Liverpool ! Entre la violence préméditée des hooligans « tueurs » du Heysel et le comportement irresponsable des supporters du stade de Sheffield, quelle différence ? Ces deux drames en reflètent un autre : celui des laissés-pour-compte de la politique libérale de Mme Margaret Thatcher, qui trouvent dans le soutien « musclé » de leur équipe favorite un exutoire à leur misère sociale. Sont-ils les seuls coupables ? Cela fait quatre ans que la Fédération anglaise de football fait expier aux supporters de Liverpool le crime du Heysel. À Sheffield encore, une semaine pourtant après l’annonce par l’UEFA de la probable sortie des clubs anglais du purgatoire européen, elle ne leur délivre que 23 000 billets alors qu’ils sont 40 000, tandis que les fans de Nottingham, moitié moins nombreux, s’en voient offrir 28 000 ! Alors que, les jours suivants, les abords des terrains de Sheffield et de Liverpool se couvrent de bouquets et de foulards rouges, aux couleurs du club, à Londres, la polémique sur la sécurité dans les stades rebondit. Mme Thatcher est cette fois résolue à faire adopter une réforme du football dont la principale mesure consisterait à doter les supporters d’une carte informatique qui permette de contrôler leur identité. Dans un pays où n’existe aucun document d’identité officiel, le projet soulève des réticences jusque dans les rangs des conservateurs. En outre, les barrières destinées à protéger les joueurs des spectateurs seraient abattues et les places debout supprimées, tout cela à la charge des clubs. Par un hasard du calendrier, le jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles sur le drame du stade du Heysel, où 39 personnes avaient trouvé la mort le 29 mai 1985, est rendu le 28 avril. La clémence du verdict reflète l’impuissance de la répression face aux tragédies collectives. Quatorze supporters britanniques sont condamnés à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis, ce qui devrait leur permettre d’être bientôt libérés. Les onze autres sont acquittés. Deux peines de prison avec sursis sont prononcées à rencontre du responsable du maintien de l’ordre et de l’organisateur de la rencontre. ITALIE Justice. Le verdict du troisième grand procès de la Mafia sicilienne, commencé il y a un an devant la cour d’assises de Palerme, suscite de vives réactions ; 40 personnes sont condamnées, dont six à la réclusion à perpétuité, mais 82 autres sont acquittées, parmi lesquelles Michele Greco, chef de l’organisation selon les témoignages de nombreux repentis. Dimanche 16 LIBAN Conflit. À Beyrouth, des bombardements particulièrement meurtriers causent la mort de 46 personnes durant le week-end, dont downloadModeText.vue.download 45 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 44 celle de l’ambassadeur d’Espagne, Pedro Manuel de Aristegui (27). URUGUAY Amnistie. 60 % des électeurs ratifient par référendum la loi d’amnistie votée en 1986, au nom de la réconciliation nationale, en faveur des militaires accusés de violation des droits de l’homme sous la dictature, entre 1973 et 1985. Lundi 17 CEE Le « comité Delors », formé en juin 1988 sous la direction du président de la Commission, remet son rapport sur l’union économique et monétaire européenne. Celui-ci admet la progressivité du processus mais exige des gouvernements un engagement politique. Il préconise la mise au point d’un nouveau traité (27 juin). FRANCE Santé. La nouvelle Agence de lutte contre le SIDA lance une campagne officielle de communication sur le thème « les préservatifs préservent de tout, de tout sauf de l’amour ». Bourse. Battant son record du 26 mars 1987 (460,4), l’indice CAC atteint son plus haut niveau historique à 465,1. POLOGNE Vie politique. La légalisation officielle du syndicat Solidarité coïncide avec l’octroi par le gouvernement américain d’un prêt de 1 milliard de dollars et la promesse d’une aide économique de la France. Le 18, M. Lech Walesa et le général Wojciech Jaruzelski se rencontrent pour la première fois depuis le mois de novembre 1981. Le 20, M. Walesa est longuement reçu au Vatican par le pape Jean-Paul II. CHINE Manifestation. Plusieurs centaines d’étudiants se rassemblent sur la place Tiananmen, à Pékin, en vue de rendre hommage à Hu Yaobang, secrétaire général du PCC écarté le 16 janvier 1987 et qui vient de mourir le 15 à l’âge de 73 ans ; ils réclament sa réhabilitation ainsi que la démission du gouvernement et l’avènement de la démocratie. Soutenues par la population, les manifestations s’amplifient les jours suivants jusqu’à réunir plusieurs centaines de milliers de personnes le 27 (4 mai). Mardi 18 FRANCE Finances. Pour la première fois, l’État lance un emprunt en écus ; d’un montant de sept milliards de francs environ et d’une durée de huit ans, il est très bien accueilli par les investisseurs. SUISSE Justice. Arrêté à Berne en exécution d’un mandat américain, l’homme d’affaires saoudien Adnan Khashoggi est placé en détention provisoire aux fins d’extradition. Aux États-Unis, il est accusé du recel de 6 milliards de dollars pour le compte de la famille de l’ancien dirigeant philippin Ferdinand Marcos. JORDANIE Troubles. Des émeutes contre la vie chère éclatent dans plusieurs villes du sud du pays deux jours après l’adoption par le gouvernement, en accord avec le FMI, de sévères mesures de hausse des prix. Ces manifestations prennent fin le 21 après avoir causé la mort de huit personnes selon un bilan officiel. downloadModeText.vue.download 46 sur 509 CHRONOLOGIE 45 Mercredi 19 GRANDE!BRETAGNE Ma cousine Daphné On la croyait disparue depuis longtemps, tant son oeuvre appartient intimement à l’époque révolue de la première moitié du siècle. Daphné Du Maurier n’était que retirée dans le village de Par, en Cornouailles. C’est là qu’elle meurt, le 19 avril, à l’âge de 81 ans. Daphné Du Maurier était l’auteur de nombreuses nouvelles et d’une trentaine de romans parmi lesquels certainement trois des plus populaires du siècle, l’Auberge de la Jamaïque (1931), Rebecca (1938) et Ma cousine Rachel (1951), tous trois portés à l’écran. Mais on ignore généralement qu’Alfred Hitchcock s’était inspiré de l’un de ses textes pour réaliser son chef-d’oeuvre, les Oiseaux. Le rapprochement avec Hitchcock, qui tourna aussi Rebecca, n’est pas fortuit. Bien qu’obstinément qualifiée de romantique par une critique qui ne l’aimait guère, Daphné Du Maurier appartenait plutôt à la catégorie des auteurs de romans à suspense. L’atmosphère oppressante de ses décors, la perversité de certains de ses personnages et son sens aigu des rebondissements concouraient certainement plus à tenir ses lecteurs en haleine que son style, assez indigent. Pour trouver des sujets romanesques, Daphné Du Maurier n’avait qu’à puiser dans sa généalogie. Sa bisaïeule était une célèbre courtisane qui avait ruiné le duc d’York avant d’épouser un inventeur français qui mourut fou et endetté, Louis Du Maurier. Son grand-père George était un illustrateur de renom également connu pour avoir écrit, notamment, Peter Ibbetson. Son père Gérald enfin, qu’elle adorait, était un acteur et metteur en scène de théâtre célèbre à Londres au début du siècle. Fidèle à cette lignée, la jeune fille allait mener sa jeunesse de façon excentrique pour l’époque, s’affichant en pantalons, conduisant sa voiture et publiant à 24 ans son premier roman, la Chaîne d’amour (1931). Devenue lady Browning et mère de famille, elle ne conservait comme lien avec ce passé que l’écriture et ne vivait désormais plus ses passions qu’à travers ses livres. Fuyant Londres et ses mondanités, Daphné Du Maurier entrait alors dans le club très fermé de ces romancières anglaises qui allient une imagination créatrice confinant à l’horreur et au macabre avec une existence des plus rangées. La mort de son mari en 1965 et l’obligation de quitter « Menabilly », son cher manoir, la faisaient peu à peu sombrer dans la dépression. Après la parution de son autobiographie, Growing Pains (1977), elle renonçait à écrire. La vieille dame rejoignait alors prématurément le paradis de papier des auteurs qui furent populaires. ÉTATS!UNIS Accident naval. Au cours d’un exercice de tir au large de Porto Rico, l’explosion de la tourelle du cuirassé Iowa cause la mort de 47 marins. Jeudi 20 FRANCE Vie politique. Invité de l’émission télévisée l’Heure de vérité, le Premier ministre Michel Rocard déclare que « l’économie française est encore en convalescence » et que « la France ne veut pas d’une Europe sans règle du jeu ». Audiovisuel. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ouvre la voie à une économie mixte dans ce secteur en attribuant les cinq canaux du satellite TDF 1 à une duplication de Canal +, à Canal + Allemagne, à la SEPT, à Sport 2/3, à Canal Enfants et Euromusique, ces deux dernières chaînes devant se partager le même canal. FRANCE!RFA Relations. À l’occasion du 53e sommet franco-allemand, MM. François Mitterrand et Helmut Kohl président la première réunion du conseil de défense et de sécurité commun aux deux pays, créé par un protocole annexe au traité de l’Élysée, signé le 22 janvier 1988. URSS Vie politique. L’ancien dissident Andreï Sakharov est élu au Congrès des députés du peuple. Il y siédownloadModeText.vue.download 47 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 46 gera en tant que représentant de l’Académie des sciences. Vendredi 21 FRANCE Trafic. La Direction de la surveillance du territoire (DST) interpelle en flagrant délit trois membres de l’Ulster Résistance, groupe protestant clandestin d’Irlande du Nord, un Américain et un diplomate sud-africain dans le cadre d’une enquête sur la fourniture à l’Afrique du Sud d’un missile solair volé dans une usine de Belfast. Après le gouvernement français le 28, celui de Londres décide à son tour le 5 mai l’expulsion de trois diplomates sud-africains pour protester contre cette tentative de tourner l’embargo décrété par l’ONU sur les ventes d’armes à l’Afrique du Sud. Ventes. Lors de la dispersion aux enchères de la bibliothèque du colonel américain Daniel Sickles, la plus grande collection privée de manuscrits et d’ouvrages français du XIXe siècle, une édition originale des Fleurs du mal de Charles Baudelaire est adjugée 1,3 million de francs. Samedi 22 SÉNÉGAL!MAURITANIE Racisme à l’africaine Les deux pays sont voisins et leurs relations frontalières, intenses. L’économie, l’histoire et la culture lient les deux États. Cela n’empêche pas Sénégalais et Mauritaniens de nourrir les uns envers les autres des pulsions xénophobes et racistes qui, au-delà des préjugés profondément ancrés, fonctionnent comme exutoires de conditions d’existence précaires. Ainsi, les 22 et 23 avril, à Dakar (Sénégal), des milliers de boutiques traditionnellement tenues par des petits commerçants mauritaniens sont pillées et dévastées par de jeunes vandales. Cette flambée de violence fait suite aux incidents survenus au début du mois à la frontière. Plusieurs personnes avaient alors trouvé la mort lors d’accrochages opposant des paysans sénégalais à des nomades mauritaniens dont les troupeaux de chameaux sont accusés de causer des dommages aux cultures. L’hebdomadaire d’opposition sénégalais Sopi de Me Abdoulaye Wade, principal adversaire du président Abdou Diouf, a exploité l’affaire, évoquant « les bruits de bottes [qui] se font entendre de l’autre côté du fleuve ». Le désoeuvrement, le mécontentement social et la haine de l’Arabe ont fait le reste. Le contentieux entre Maures et Négro-Africains remonte à l’indépendance. Les dirigeants mauritaniens n’ont cessé depuis lors de tenter de réduire le pouvoir que les Noirs, sédentaires, avaient acquis dans l’administration française, tandis que, dans le même temps, le nombre des Mauritaniens d’origine négro-africaine augmentait. À cela s’ajoute l’accusation formulée à l’encontre du Sénégal d’héberger les dirigeants du Front de libération africain de Mauritanie (FLAM) qui prônent l’instauration d’un pouvoir noir à Nouakchott. Aussi les autorités mauritaniennes ne font-elles rien pour prévenir les réactions qui ne manquent pas de se produire aux événements de Dakar, paraissant prêtes à tolérer deux jours de pillages en réponse à deux jours de pillages. Mais les représailles tournent rapidement à la chasse aux Noirs. Quand le couvre-feu est instauré à Nouakchott et Nouadhibou, le 25, il est déjà trop tard : on dénombre plus de deux cents morts. Poussé par son opposition, qui le taxe de mollesse, le gouvernement sénégalais élève une « vive protestation » auprès des autorités mauritaniennes. C’est donc une population prête à en découdre qui recueille les récits d’atrocités faits par les premiers réfugiés d’origine sénégalaise arrivés à Dakar et qui s’en prend de nouveau, le 27, aux Mauritaniens en instance de rapatriement. Plusieurs dizaines sont victimes de ces nouvelles violences. À partir du 29, un pont aérien est établi entre les deux pays avec l’aide de la France. Selon des bilans officiels, 80 000 Sénégalais et 170 000 Mauritaniens sont rapatriés jusqu’à la fin du mois de mai, tandis que le chef de l’État malien, M. Moussa Traoré, président en exercice de l’OUA, tente d’imposer des mesures d’apaisement. downloadModeText.vue.download 48 sur 509 CHRONOLOGIE 47 Dimanche 23 FRANCE Relations internationales. Entamant à Paris une tournée qui doit le mener dans huit autres capitales européennes, le président nicaraguayen Daniel Ortega obtient l’augmentation de l’aide économique française à son pays. ÉTATS!UNIS Armement. Choisissant la voie du compromis avec le Congrès, le secrétaire d’État à la Défense Richard Cheney annonce à la fois la mise en chantier des missiles « nains » Midgetman transportés sur camions, en plus des fusées MX montées sur wagons, et le ralentissement du programme IDS (initiative de défense stratégique). Lundi 24 RFA Musique. Nommé en avril 1955 « chef à vie » de l’Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan, âgé de 81 ans, présente sa démission. Très diminué physiquement par une maladie osseuse, il entretenait des relations de plus en plus mauvaises tant avec l’administration de la ville qu’avec ses musiciens. Mardi 25 FRANCE Sécurité routière. Le Livre blanc remis au Premier ministre par la « commission Giraudet » dans le but de réduire l’hécatombe et de civiliser les automobilistes préconise notamment un développement de l’information et de l’éducation, la création d’un permis de conduire provisoire pour les jeunes conducteurs, l’instauration d’une répression plus efficace et la limitation de la vitesse des véhicules à la construction. URSS Vie politique. Au lendemain d’un appel de la Pravda à l’« autoépuration » du Parti, M. Mikhaïl Gorbatchev renforce sa position en annonçant la mise à la retraite de 110 membres ou suppléants réputés conservateurs du comité central ou de la commission de révision du Parti et la promotion de 24 réformateurs. CORÉE DU SUD Terrorisme. Mlle Kim Hyun-hee, responsable de l’attentat contre le Boeing-707 de la KAL, le 29 novembre 1987, est condamnée à mort par un tribunal de Séoul. Elle avait avoué avoir agi sur les ordres du régime nord-coréen, ce que ce dernier a toujours démenti. JAPON Vie politique. Impliqué dans le scandale politico-financier Recruit-Cosmos, Noboru Takeshita, Premier ministre depuis novembre 1987, présente sa démission, qui doit prendre effet après le vote du budget. Son indice de popularité était tombé à 3,4 %. Mercredi 26 FRANCE Conflit du travail. Revenant sur la décision du juge des prud’hommes du 17 février, la cour d’appel de Versailles annule la réintégration des dix militants CGT de l’usine de Renault-Billancourt licenciés de la Régie pour avoir commis des violences lors des manifestations de l’été 1986. Justice. La cour d’assises du Nord amnistie ou acquitte six des sept accusés dans l’affaire du hold-up de la perception de Condé-sur-l’Escaut par des militants libertaires, le 29 août 1979. Leur dossier étant passé du qualificatif de « politique » à celui de « droit comdownloadModeText.vue.download 49 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 48 mun », les accusés n’avaient pas pu bénéficier de l’amnistie votée en 1981. Remis en liberté, ils ont attendu huit ans avant d’être jugés. Croix-Rouge. Mme Georgina Dufoix est élue à la tête de la section française de l’association humanitaire, qui traverse une crise avec un déficit d’exploitation de plus de 28 millions de francs pour 1988. GRANDE!BRETAGNE Racket. Le ministère de l’Intérieur confirme la découverte de petits pots pour bébés contenant des substances dangereuses. Une demande de rançon de 1 million de livres (11 millions de francs) est parvenue aux deux groupes alimentaires fabriquant les produits visés. BANGLADESH Catastrophe naturelle. Une tornade ravage le centre du pays, provoquant la mort de plus de 700 personnes. Jeudi 27 FRANCE Justice. Chargé du dossier sur les attentats terroristes de 1986 à Paris, le juge d’instruction Gilles Boulouque délivre sept mandats d’arrêt contre des membres de l’organisation chiite pro-iranienne du Hezbollah basée au Liban. Sociétés. Premier et second voyagistes français, le Club Méditerranée et Nouvelles Frontières annoncent leur alliance en vue de constituer l’un des premiers groupes européens (28 août). RFA Économie. Présentant devant le Bundestag la nouvelle politique de son gouvernement, le chancelier Helmut Kohl annonce la suspension, à partir du 1er juillet, de la retenue à la source sur les revenus de l’épargne instituée le 1er janvier. Cette décision constitue un pas en arrière sur la voie de l’harmonisation fiscale européenne. LIBAN Conflit. Après un mois et demi de bombardements qui ont provoqué près de 300 morts, le comité de la Ligue arabe pour le Liban décrète un cessez-le-feu « définitif » qui n’est respecté que quelques heures. Vendredi 28 FRANCE Vie politique. M. Michel Rocard engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi approuvant le Xe Plan (1989-1992), discuté en première lecture. L’opposition ne déposant pas de motion de censure, le texte est adopté. Justice. Poursuivi pour proxénétisme aggravé et corruption passive de fonctionnaire, le commissaire Yves Jobic bénéficie d’un jugement de relaxe très critiqué par certaines associations de magistrats (2 mars). Affaires. Un rapport de la commission d’enquête sénatoriale dénonce le rôle joué par la Caisse des dépôts et consignations dans la tentative de prise de contrôle de la Société générale et fait état de « pressions » de la part des pouvoirs publics. URSS Art. La première exposition consacrée en Union soviétique à Wassily Kandinsky s’ouvre à la galerie Tetriakov, à Moscou. ÉTATS!UNIS!JAPON Armement. Le développement et la production conjointe du FSX (Fighter Support ExperidownloadModeText.vue.download 50 sur 509 CHRONOLOGIE 49 mental), avion de chasse destiné à remplacer le F-16, font l’objet du premier accord de ce type passé entre les deux pays. Le coût global de cet avion est estimé à 7,2 milliards de dollars. Samedi 29 FRANCE Écologie. Malgré la suspension des travaux annoncée la veille par le secrétaire d’État à l’environnement, M. Brice Lalonde, des milliers de personnes manifestent dans les rues du Puy contre le projet de barrage de Serrede-la-Fare (Haute-Loire) avant de défiler le lendemain sur le site, occupé depuis le 11 février. Loisirs. Le parc nautique Aquaboulevard ouvre ses portes en bordure du 15e arrondissement de Paris ; le lendemain, le parc Astérix, dédié au personnage de Goscinny et Uderzo, fait de même à Plailly (Oise). Violence. Un instituteur de l’école de Déols, dans l’Indre, est transporté à l’hôpital dans un coma profond après avoir été frappé au visage par un parent d’élève qui est inculpé et écroué. Sport. Le match nul contre la Yougoslavie (00) rend presque certaine l’élimination de l’équipe de France de la Coupe du monde de football. Pour la première fois depuis 1974, elle ne devrait donc pas participer au Mondial, qui se tiendra en 1990 en Italie. Dimanche 30 CAMBODGE Constitution. L’Assemblée nationale adopte une nouvelle loi fondamentale, qui ne fait plus référence au socialisme. De « république populaire », le Cambodge devient un « État neutre, pacifique et non aligné ». Le bouddhisme est érigé en religion d’État, certaines libertés fondamentales sont reconnues et l’économie de marché est rétablie. SPORT Tennis. L’Argentin Alberto Mancini (19 ans) remporte l’Open de Monte-Carlo en battant en finale l’Allemand de l’Ouest Boris Becker (7-5, 2-6, 7-6, 7-5). Le mois de Jean-François Deniau Au mois d’avril 1989, les croûtes de notre vieille planète craquent un peu partout. Les cicatrices des conflits anciens apparaissent, mais percent aussi les bourgeons de nouveaux espoirs. La France, trop attentive aux seuls jeux de sa politique intérieure, regarde ce printemps du monde comme un vague spectacle où se succèdent une révolte ici, une guerre plus loin, une élection ailleurs, un massacre là. Et pourtant, quelque part, s’est levé le souffle puissant et chaud du vent de la liberté. Le 3, je préside à Bourges le bureau du conseil général du Cher. Le 4, très tôt, un Mystère 20 m’emmène au Liban, en guerre depuis 15 ans et de nouveau en crise. Je fais la navette entre l’Est et l’Ouest sous les bombardements. Le 7, dans la nuit, je rends compte à Paris de mes entretiens avec le général Aoun et le docteur Hoss sur l’affaire des « ports illégaux », sur les besoins d’aide en carburant et sur les réformes politiques. Le 10, je suis désavoué pour avoir dit notamment qu’il y avait des troupes syriennes au Liban. Le 11, veillée de prières à Notre-Dame. De l’Orient compliqué, je suis revenu avec une leçon simple : c’est la coexistence entre communautés religieuses différentes qui justifie l’existence du Liban. Si les chrétiens s’isolent, il n’y a plus de Liban ; mais, si les chrétiens disparaissent, il n’y a plus de Liban non plus. N’entendent pas cette leçon les fanatiques de tous bords et ceux dont les intérêts sont autres. Terrorisme en Espagne, annonce de retrait au Cambodge, principe d’un accord « historique » entre Solidarnosc et le général Jaruzelski en PodownloadModeText.vue.download 51 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 50 logne. Un sous-marin militaire soviétique prend feu au large de la Norvège. Que fait Greenpeace ? Émeutes en Géorgie. En France, le gouvernement met à l’ordre du jour la maîtrise du prix des médicaments et des honoraires médicaux. Le CDS conduira sa propre liste aux Européennes, les « rénovateurs » renoncent. Du 16 au 18 avril, je suis à Washington avec la mission du Bicentenaire. Séance de travail au département d’État sur l’Afghanistan. Le 20, à Paris, je reçois officiellement le Dalaï Lama à l’Assemblée nationale. Méditation à haute voix sur la violence engendrant la violence. Le 21, à Bourges, conférence à l’IUT. Le 23, réception des maires du canton de Saint-Martin-d’Auxigny, de nouveau bureau du conseil général et assemblée du comité du tourisme du Cher. Le 26, à Paris, réunion sur le Laos, pays oublié. L’ambassadeur d’Espagne au Liban a été tué dans sa résidence par un obus tiré depuis le secteur pro-syrien. Le Comité Delors relance « l’Union économique et monétaire » européenne. Quelques centaines d’étudiants chinois commencent à se rassembler à Pékin sur la place Tien An Men. À Moscou, M. Gorbatchev « démissionne » 110 membres du Comité central, qu’il appelle des « âmes mortes ». En France, dans l’Indre, un instituteur est dans le coma après avoir été attaqué par un parent d’élève irascible qui n’avait pas admis qu’on sanctionnât son enfant. On continue à célébrer le bicentenaire des Droits de l’homme. Et les devoirs ? JEAN-FRANÇOIS DENIAU downloadModeText.vue.download 52 sur 509 CHRONOLOGIE 51 Mai Lundi 1er FÊTE DU TRAVAIL La célébration du 1er-Mai est placée en France sous le signe de la division et de la démobilisation syndicale. Elle donne lieu en Turquie, en Tchécoslovaquie, au Chili et en Corée du Sud à de violents affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. PARAGUAY Élections générales. Lors des premières élections libres organisées depuis 1928, l’auteur du coup d’État du 2 février (2 févr.), le général Andres Rodriguez, est élu président pour quatre ans par 74,18 % des voix. Le parti Colorado, auquel il appartient, conserve la majorité dans les deux chambres. Mardi 2 FRANCE Politique extérieure France-OLP : « Caduque » La plupart des ministres des Affaires étrangères occidentaux ont déjà rencontré M. Yasser Arafat, des diplomates américains s’entretiennent désormais périodiquement, à Tunis, avec des représentants de l’OLP et le leader palestinien a déjà été officiellement reçu par le roi d’Espagne Juan Carlos et par le pape Jean-Paul II. La poignée de main échangée le 2 mai sur le perron de l’Élysée avec le président François Mitterrand constitue toutefois pour M. Arafat une distinction particulière. Sa visite officielle à Paris, qui dure jusqu’au 4, lui donne par ailleurs l’occasion d’une nouvelle « percée » diplomatique. La France a été la première à se démarquer des autres grands pays occidentaux en votant, en novembre 1970, une résolution de l’ONU stipulant que « le respect des droits des Palestiniens est un élément indispensable à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient ». En octobre 1974, elle a appuyé la candidature de l’OLP comme observateur à l’ONU, et son ministre des Affaires étrangères a été le premier officiel occidental à rencontrer le leader palestinien. Élu président, M. Mitterrand ne cache pas sa profonde amitié pour Israël. Cela ne l’empêche pas d’affirmer devant la Knesset, en mars 1982, qu’« il appartient aux Palestiniens de décider eux-mêmes de leur sort ». Mais c’est l’aggiornamento de l’OLP, fin 1988, qui décide de la normalisation des relations franco-palestiniennes. Dans son message adressé le 26 avril à la communauté juive de France, émue de la visite de M. Arafat à Paris le jour de la commémoration du génocide, le chef de l’État tient toutefois à préciser qu’« entendre n’est pas adhérer ». Soucieuse de contribuer à la résolution du conflit israélo-palestinien, la France « entend recevoir confirmation de la volonté de paix » exprimée par le leader de l’OLP, déclare le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas. C’est dans cet esprit que le chef de l’État demande à M. Arafat de « mettre les choses au net » concernant la charte nationale palestinienne, texte fondateur de l’OLP, que M. Mitterrand juge « contraire sur des points importants au programme adopté le 15 novembre 1988 par le Conseil national palestinien d’Alger ». Sans mentionner explicitement l’élimination de l’État hébreu, celle-ci appelle en effet à « liquider la présence sioniste en Palestine » (art. 15). Tandis que les partisans de la visite du chef de l’OLP scandent dans les rues de Paris « nous sommes tous des Palestiniens », ses adversaires, parmi lesquels des personnalités de l’opposition, se rassemblent rue Copernic aux cris de « Mitterrand, trahison ! » Le soir même, lors d’une interview à TF1, M. Arafat affirme que la charte de l’OLP est « caduque ». Soigneusement choisi, le mot connaît un succès downloadModeText.vue.download 53 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 52 immédiat. La déclaration est jugée « bien venue » par les autorités américaines. Elle suscite en revanche un certain embarras à Jérusalem, où le radicalisme de la charte palestinienne justifiait les accusations de double langage proférées à l’encontre de l’OLP. De leur côté, les groupes palestiniens extrémistes condamnent la « trahison » de M. Arafat. Corse. Les travaux des « tables rondes » prévues pour favoriser le « traitement au fond » des problèmes de l’île débutent à Ajaccio tandis que la reprise du travail est générale chez les fonctionnaires. Danse. Au Grand Palais, à Paris, le Béjart Ballet de Lausanne donne la première représentation du spectacle 1789... et nous. Cette commande officielle inaugure le programme « Danse en Révolution ». HONGRIE Frontières. Le démantèlement du réseau de clôtures et d’alarme protégeant la frontière avec l’Autriche ouvre une première brèche dans le « rideau de fer » entre l’Europe de l’Est et celle de l’Ouest. Mercredi 3 FRANCE Enseignement. Les deux principaux syndicats du primaire et du secondaire, le SNI-PEGC et le SNES, signent l’accord sur la revalorisation de la fonction enseignante. Justice. Le jury de la cour d’assises des Bouches-duRhône acquitte un père accusé du meurtre de son enfant nouveau-né mongolien. PAYS!BAS Gouvernement. À la suite d’un désaccord avec son allié libéral M. Ruud Lubbers, Premier ministre chrétien-démocrate du gouvernement de coalition au pouvoir depuis 1982, présente sa démission à la reine Béatrix (6 sept.). CAMBODGE Conflit. Au terme de deux jours d’entretiens à Djakarta (Indonésie), le prince Norodom Sihanouk et le Premier ministre cambodgien Hun Sen évoquent les « progrès considérables » accomplis sur la voie d’un règlement politique. SPORT Navigation en solitaire. Parti de Brest le 28 décembre 1988, à la barre de son trimaran « Un autre regard », le Français Olivier de Kersauson améliore de quatre jours le précédent record du tour du monde à la voile, détenu depuis 1987 par son compatriote Philippe Monnet. Jeudi 4 FRANCE Politique sociale. Le conseil des ministres adopte le projet de loi de M. Jean-Pierre Soisson, ministre du Travail, sur la prévention des licenciements économiques et le droit à la reconversion. Il honore ainsi un engagement pris par le président de la République dans sa Lettre à tous les Français, sans pour autant revenir sur la suppression de l’autorisation administrative de licenciement. Commémoration. À Versailles, 300 000 personnes environ assistent à la reconstitution de la procession du Saint-Sacrement qui avait précédé l’ouverture des États généraux de mai 1789. CHINE Manifestations. Malgré l’interdiction des autorités, 300 000 étudiants défilent jusqu’à la place Tiananmen pour l’anniversaire de la première manifestation d’intellectuels en fadownloadModeText.vue.download 54 sur 509 CHRONOLOGIE 53 veur de la démocratie, en 1919. Les forces de l’ordre n’interviennent pas (13). NOUVELLE!CALÉDONIE La malédiction d’Ouvéa La cérémonie du 4 mai sur l’île d’Ouvéa devait marquer la fin du deuil canaque. Elle en inaugure un nouveau. Alors qu’ils assistent à une manifestation à la mémoire des 19 Canaques tués un an plus tôt lors de l’assaut de la grotte de Gossanah par l’armée et la gendarmerie, Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS, et son principal adjoint, Yeiwéné Yeiwéné, tombent sous les balles d’un extrémiste canaque, Djoubelly Wéa, qui est immédiatement abattu. Évincé des discussions de Matignon, cet ancien pasteur refusait de reconnaître la validité des accords du 26 juin 1988 et poursuivait depuis cette date « sa » guerre au nord de l’île d’Ouvéa, transformée par ses soins en zone retranchée, de facto indépendante. Son geste est la réponse d’un chef de tribu vexé et amer à la « trahison » de Tjibaou. Tjibaou, traître à la mémoire des morts de Hienghène et d’Ouvéa pour avoir serré la main de M. Jacques Lafleur, président du RPCR ? C’est négliger l’assassinat de deux de ses frères dans l’embuscade de Hienghène ; c’est oublier le « plus jamais ça ! » exprimé par le leader indépendantiste après le premier drame d’Ouvéa. Contre l’avis des siens et de son parti dans un premier temps, Tjibaou avait choisi la paix. Il avait imposé cette modération commune au paysan madré, au fin diplomate et à l’homme sage qu’était tout à la fois ce prêtre défroqué, ancien étudiant à l’École des hautes études, entré en politique en 1977 lors de son élection à la mairie de Hienghène. La classe politique quasi unanime condamne le double assassinat et exprime son inquiétude quant à l’avenir du processus politique en cours d’application dans l’île. Le Premier ministre Michel Rocard envisage tout d’abord de différer la date des élections provinciales prévues le 11 juin. Il revient toutefois sur sa décision en constatant sur place, où il assiste le 7 aux obsèques des deux hommes, la détermination des modérés caldoches et canaques de mener à bien les réformes institutionnelles. Responsabilité collective ? On a certainement sous-estimé le traumatisme de la communauté canaque et la contestation au sein du mouvement indépendantiste, encore attisée par un contentieux né des élections municipales. Le Front uni de libération canaque (FULK), groupe maximaliste de Yann Céléné Uregeï, hostile aux accords de Matignon, ne déclare-t-il pas, le 9, qu’il ne « condamne pas » l’assassinat de Tjibaou et Yeiwéné ? Cela tend à accréditer la thèse invérifiée d’un complot fomenté par les membres d’un « front du refus », ou « comité antinéocolonia- liste », rassemblé autour du FULK et dirigé contre l’Union calédonienne, composante principale du FLNKS présidée par Tjibaou. Les jours suivants, le fossé se creuse entre le FNLKS, dont le bureau politique confirme, le 11, son attachement aux accords de Matignon, et le FULK, qui appelle au boycottage des élections du 11 juin. Le 20, M. François Burck, qui affirme disposer de « racines canaques et de branches européennes », succède à Jean-Marie Tjibaou à la tête de l’Union calédonienne. ÉTATS!UNIS Justice. Au terme de plus de deux mois de procès, le lieutenant-colonel Oliver North, principal protagoniste de l’Irangate, est reconnu coupable de trois chefs d’inculpation sur douze, pour lesquels il encourt théoriquement dix ans de prison. Le condamné annonce son intention de faire appel. Espace. La navette spatiale Atlantis procède au lancement de la sonde Magellan, qui doit approcher et photographier Vénus en août 1990. Cette mission constitue la première exploration interplanétaire américaine depuis onze ans. Vendredi 5 ENVIRONNEMENT Le protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone s’enrichit de l’engagement de ses 81 signataires, réunis depuis le 2 à Helsinki (Finlande), à cesser toute prodownloadModeText.vue.download 55 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 54 duction et toute utilisation des chlorofluorocarbones (CFC) d’ici l’an 2000. CONSEIL DE L’EUROPE La Finlande est le 23e et dernier pays d’Europe occidentale à devenir membre de l’organisation, qui fête son 40e anniversaire. FINLANDE v. Conseil de l’Europe IRAN Terrorisme d’État. Le président du Parlement iranien, M. Hachemi Rafsandjani, lance aux Palestiniens un appel au meurtre d’« Américains, de Britanniques ou de Français » en représailles à « la brutalité sioniste en Palestine ». Devant l’ampleur de la réaction internationale, M. Rafsandjani, qui était jusque-là considéré comme un modéré, tente, le 10, de minimiser la portée de ses propos. Samedi 6 ÉGLISE CATHOLIQUE Le pape Jean-Paul II achève un voyage en Afrique commencé le 28 avril à Madagascar et poursuivi à la Réunion, en Zambie et au Malawi. À Saint-Denis de la Réunion, où il est accueilli le 1er mai par M. Michel Rocard, le souverain pontife procède à la béatification de frère Scubilion, un missionnaire des Écoles chrétiennes arrivé dans l’île Bourbon en 1833. ÉTATS!UNIS Drogue. Le chef de la secte des « narcosataniques », Adolfo de Jesus Constanzo, d’origine cubaine, est tué lors d’un affrontement avec la police. Depuis deux ans, cette bande se livrait à des sacrifices humains destinés à « couvrir » un trafic de stupéfiants entre les États-Unis et le Mexique. Un charnier de quinze corps avait été découvert près de la frontière le 12 avril. Dimanche 7 FRANCE Théâtre. La troisième Nuit des molières consacre meilleurs spectacles de l’année le Foyer d’Octave Mirbeau, mis en scène par Régis Santon, et l’Avare de Molière, mis en scène par Jacques Mauclair. Le Hamlet de William Shakespeare, mis en scène par Patrice Chéreau et interprété par Gérard Desarthe, reçoit quatre récompenses. Sont aussi distingués Eugène Ionesco, Maria Casarès, Raymond Devos et le couple Colette Brosset et Robert Dhéry. BOLIVIE Élections générales. Aucun des trois candidats arrivés en tête à l’élection présidentielle n’obtient la majorité absolue : M. Gonzalo Sanchez de Lozada (MNR au pouvoir, centre droit) réalise 23,07 % des voix, le général Hugo Banzer (ADN, droite) 22,70 % et M. Jaime Paz Zamora (MIR, social-démocrate) 19,64 %. C’est donc le nouveau Congrès qui doit désigner le 6 août le successeur du président Victor Paz Estenssoro. PANAMA Élections générales. À l’issue d’un scrutin marqué par des fraudes massives, la Coalition de libération nationale (COLINA) au pouvoir, soutenue par le général Manuel Noriega, tout comme l’Alliance d’opposition (ADOC) déclarent vainqueur leurs candidats respectifs, M. Carlos Duque et M. Guillermo Endara. Le 10, après la répression brutale d’une manifestation de l’opposition, le gouvernement annonce l’annulation des résultats des scrutins. Le 11, les États-Unis décident downloadModeText.vue.download 56 sur 509 CHRONOLOGIE 55 d’envoyer des renforts militaires dans la zone du canal. Lundi 8 POLOGNE Presse. Le journal de Solidarité, Gazetta Wyborcza (« Gazette électorale »), est le premier quotidien indépendant à voir le jour dans un pays de l’Est depuis la guerre. Dans son éditorial, M. Lech Walesa appelle à la mobilisation pour les élections du 11 juin. URSS Religion. Invité de l’Église russe orthodoxe depuis le 29 avril, l’archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, décide d’écourter son voyage après que le Patriarcat de Moscou lui a refusé l’autorisation de se rendre à Kiev, en Ukraine, berceau du christianisme en Russie. ÉTATS!UNIS Pollution nucléaire. Le Pentagone confirme la présence d’une bombe H immergée depuis décembre 1965 par 5 000 mètres de fond au large de l’île d’Okinawa à la suite de l’accident d’un chasseur-bombardier de l’US Navy. Il affirme le 12 que les 15 kilos de plutonium se sont depuis longtemps dissous sans causer de dommages. Mardi 9 FRANCE Commémoration. M. Michel Rocard inaugure à Paris la « Grande fête des Tuileries 89 », qui doit accueillir pendant six mois des spectacles, des expositions et des boutiques de souvenirs liés à la Révolution française. Deux « tours de la liberté » supportant des voilures de toile et d’acier surplombent l’ensemble des installations. Code pénal. La discussion du projet de refonte du code Napoléon élaboré par M. Robert Badinter, alors garde des Sceaux, débute au Sénat. Le nouveau texte privilégie « la défense de la personne humaine » contre toutes les atteintes à « sa vie, son corps, ses libertés, sa sûreté, sa dignité, son environnement ». Meurtre. À Aix-en-Provence, un adolescent de seize ans égorge, à la suite d’une dispute, un camarade de son âge ainsi que la mère de ce dernier. Loisirs. À Maizières-lès-Metz (Moselle), M. Jacques Delors inaugure le parc d’attraction des Schtroumpfs. Le président de la Commission des Communautés européennes salue cette opération de reconversion d’un site sinistré créatrice de 800 emplois nouveaux, réalisée grâce au soutien financier de la CEE. GRANDE!BRETAGNE Partis politiques. Le chef du parti travailliste, M. Neil Kinnock, obtient du comité exécutif national de sa formation l’abandon de la doctrine « unilatéraliste » de désarmement nucléaire en vigueur depuis trente ans ainsi que la limitation du programme de renationalisation aux services du téléphone et de la distribution d’eau. ÉTATS!UNIS Ventes. Adjugé pour 47,85 millions de dollars (plus de 300 millions de francs) chez Sotheby’s, à New York, un autoportrait peint par Picasso en 1901, Yo Picasso, devient le deuxième tableau le plus cher du monde après les Iris de Van Gogh (11 nov. 1987, éd. 1988). downloadModeText.vue.download 57 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 56 Mercredi 10 CONSEIL DE L’EUROPE Mme Catherine Lalumière, ancien secrétaire d’État français aux Affaires européennes, est élue secrétaire générale de l’organisation européenne. Elle prône l’ouverture de celleci aux pays d’Europe centrale et orientale, le jour même où M. Lech Walesa vient recevoir le Prix européen des droits de l’homme décerné par le Conseil. FRANCE Sécurité routière. Les députés entament l’examen du projet de loi instaurant notamment le permis de conduire à points, qui fonctionne sur le principe du bonus-malus. Ils votent le 11 un texte un peu assoupli. Racisme. L’agression d’un Tunisien, grièvement blessé par un jeune ouvrier agricole à Nice, suscite une réaction du gouvernement de son pays qui exprime sa vive préoccupation quant à l’insécurité de ses ressortissants vivant sur la Côte d’Azur. Jeudi 11 FRANCE Instruction civique. Dans le cadre d’une opération menée par les ministères des Finances et de l’Éducation, M. Michel Rocard et son ministre du Budget, M. Michel Charasse, soutiennent devant les enfants d’une classe de CM2 du 14e arrondissement de Paris que le principe démocratique de l’impôt date de la période révolutionnaire. Prix littéraires. Le Grand Prix du roman de l’Académie française est attribué à Geneviève Dormann pour le Bal du dodo (Albin Michel). URSS Désarmement. Profitant de la visite à Moscou du secrétaire d’État américain James Baker, M. Mikhaïl Gorbatchev annonce la réduction unilatérale de 500 ogives de son arsenal nucléaire tactique en Europe et propose le retrait symétrique de tous les missiles à courte portée avant 1991. Il présente également un programme très élaboré de réduction des armes conventionnelles. LIBAN Conflit. Le deuxième cessez-le-feu décrété par les émissaires de la Ligue arabe à Beyrouth est relativement respecté, hormis dans le secteur du littoral chrétien soumis au blocus par les bombardements syriens. Vendredi 12 OMS L’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé ajourne d’un an sa décision concernant la demande d’adhésion de l’OLP à titre de membre de plein droit. Les États-Unis avaient menacé de quitter l’organisation, dont ils assurent le quart du financement, si cette demande était acceptée. FRANCE Musique. Au cours des Rencontres d’Évian, le violoncelliste Mstislav Rostropovitch présente la création française de Rayok (1948), une cantate satirique de Dimitri Chostakovitch qui ridiculise le discours de Staline sur la « musique formaliste ». GRANDE!BRETAGNE Sociétés. La fusion entre le numéro un britannique du textile, Coats Vyella, et le numéro trois, Tootal, donne naissance au nouveau leader mondial du secteur avec 80 000 employés et un chiffre d’affaires de l’ordre de 35 milliards de francs. downloadModeText.vue.download 58 sur 509 CHRONOLOGIE 57 ÉTATS!UNIS Politique étrangère. Le Président George Bush prononce son premier discours programme sur les relations soviéto-américaines. Prônant « l’intégration de l’URSS à la communauté des nations », il met à l’épreuve la bonne volonté de M. Mikhaïl Gorbatchev en l’invitant notamment à permettre l’inspection aérienne de son territoire. Samedi 13 CHINE Manifestations. Malgré les appels à la raison lancés par le secrétaire général du PCC, M. Zhao Ziyang, deux à trois mille étudiants entament une grève de la faim sur la place Tiananmen, à Pékin ; les jours suivants, ils sont soutenus par des centaines de milliers de manifestants, et la contestation s’étend aux autres grandes villes du pays (20). ÉTATS!UNIS Transports. L’entrée en atelier de la dernière rame couverte de « tags » marque le terme d’un programme de nettoyage du métro de New York qui a mobilisé un millier de personnes pendant cinq ans et coûté 52 millions de dollars par an (333 millions de francs environ). Dimanche 14 ARGENTINE Douloureuse transition M. Raul Alfonsin rêvait d’être le premier président élu à terminer normalement son mandat depuis 1928. Son rêve s’est évanoui. En fixant la date des élections générales sept mois avant la passation des pouvoirs prévue le 10 décembre – la Constitution lui interdit de se représenter –, il pensait prendre l’inflation de vitesse et sauver au moins une majorité parlementaire. Ultime manoeuvre, ultime échec. Le 14, le candidat péroniste du mouvement justicialiste, M. Carlos Saul Menem, remporte l’élection présidentielle dès le premier tour avec 49,2 % des suffrages et la majorité des grands électeurs, tandis que son parti s’octroie la majorité des sièges au Parlement. M. Eduardo Angeloz, candidat néolibéral du parti de l’Union civique radicale au pouvoir, n’obtient que 36,9 % des voix. Ce dernier est victime des échecs économiques répétés du président Alfonsin. Avec une dette extérieure de 60 milliards de dollars et une inflation de 2 % par jour, l’Argentine est aujourd’hui en voie de sous-développement. Doté d’un « look » de « gaucho », d’un charisme certain et d’un programme tenant en un mot, « Sigame ! » (« suismoi ! »), M. Menem a su, de son côté, redonner l’espoir aux Argentins en reprenant le flambeau du célèbre caudillo Juan Peron. Soutenu par la CGT – le tout-puissant syndicat unique péroniste – et ami du général rebelle emprisonné Mohammed Ali Seineldin, cet obscur gouverneur de la lointaine province de la Rioja a acquis la sympathie du peuple et des militaires. Face à l’aggravation brutale de la crise économique – l’inflation atteint 78 % en mai – et en l’absence d’accord avec M. Menem sur une passation anticipée des pouvoirs, le président Alfonsin forme un « cabinet de crise » et annonce, le 28, un plan économique draconien. Le lendemain, une explosion de colère suscitée par l’annonce d’une énième hausse des prix dans un supermarché de Rosario, à 300 km au nord-ouest de la capitale, dégénère en pillage de tous les magasins de la ville. L’état de siège est décrété dans tout le pays. Les militaires refusent toutefois d’intervenir contre la population pauvre, dont ils se sentent solidaires. La répression par la police de ces « émeutes de la faim », qui cessent le 31 après s’être étendues à la banlieue de Buenos Aires, cause la mort de quatorze personnes selon un bilan officiel. Le gouvernement se contente d’organiser la distribution de soupes populaires et d’arrêter des dirigeants d’extrême gauche considérés comme les instigateurs des pillages. Spectateur impuissant de la crise économique, le président Alfonsin renâcle à se faire le complice objectif du second responsable de sa chute : l’armée. Il refuse, avant de partir, d’endosser la responsabilité d’amnistier les officiers supérieurs encore poursuivis pour les crimes qu’ils auraient downloadModeText.vue.download 59 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 58 commis sous la dictature, comme le lui demande M. Menem. Le 12 juin, il annonce sa démission pour la fin du mois. Tout en protestant de se faire ainsi « forcer la main », M. Menem accepte, le lendemain, cette transmission anticipée du pouvoir : il doit entrer en fonctions le 8 juillet. Lundi 15 URSS v. Chine CHINE Relations internationales. La visite officielle que M. Mikhaïl Gorbatchev entreprend jusqu’au 19 est fortement perturbée par les manifestations qui continuent de regrouper des centaines de milliers de personnes dans les rues de Pékin et de Shanghai. Le 16, sa rencontre avec M. Deng Xiaoping scelle la fin de trente années de brouille sino-soviétique. Le chef du Kremlin propose la démilitarisation de la frontière commune et annonce des réductions de troupes en Asie. Un différend subsiste toutefois au sujet du Cambodge. Mardi 16 SANTÉ Le Comité international d’éthique sur le SIDA, créé en 1987 à l’initiative du président François Mitterrand, tient sa première réunion à Paris en présence de représentants des Douze, du Japon, des États-Unis et du Canada. FRANCE Vie politique. 79 députés de l’opposition, parmi lesquels les présidents de groupe RPR et UDF, refusent la motion de censure de la politique européenne du gouvernement déposée par les « rénovateurs ». LIBAN Conflit. Le chef de la communauté sunnite, cheikh Hassan Khaled, est tué à Beyrouth dans un attentat à la voiture piégée dont les chrétiens et les musulmans se rejettent la responsabilité. ÉTHIOPIE Troubles. Une tentative de coup d’État menée par des militaires partisans de la paix en Érythrée et de la démocratie est déjouée. Le président Mengistu Haïlé Mariant procède les jours suivants à une sévère épuration du haut commandement militaire. Mercredi 17 FRANCE Immigration. Le Conseil des ministres adopte le projet de loi présenté par M. Pierre Joxe sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Très critiqué par l’opposition, ce texte abroge de nombreuses dispositions de la « loi Pasqua » du 9 septembre 1986 et garantit de nouveaux droits aux étrangers vivant régulièrement sur le territoire tout en maintenant les dispositifs de contrôle aux frontières. POLOGNE Église catholique. La Diète adopte une série de lois sur la normalisation des relations entre l’État et l’Église. Celle-ci ne dépendra plus que du Vatican et se verra accorder la personnalité juridique. PORTUGAL Justice. La Cour suprême décide la libération de M. Otelo Saraiva de Carvalho, héros de la « révolution des oeillets », et de 28 de ses compagnons. Arrêtés en 1984 sous l’accusation de constituer une « association criminelle » d’extrême gauche responsable de nombreux attentats et attaques de banques, downloadModeText.vue.download 60 sur 509 CHRONOLOGIE 59 ils avaient été condamnés en 1987 à de lourdes peines de prison. La Cour demande une nouvelle instruction du dossier. RFA Justice. Accusé d’avoir participé, en juin 1985, au détournement d’un avion de la TWA au cours duquel un citoyen américain avait trouvé la mort, le militant chiite libanais Mohamed Hamadé est condamné par le tribunal de Francfort à la réclusion criminelle à perpétuité au terme de huit mois de procès. TCHÉCOSLOVAQUIE Justice. Arrêté le 16 janvier pour avoir participé à une manifestation interdite à la mémoire de Jan Palach et condamné en appel le 21 mars à huit mois de prison ferme, le dramaturge et ancien porte-parole de la charte 77 Vaclav Havel est libéré après avoir purgé la moitié de sa peine. Jeudi 18 FRANCE Vie politique. Au cours d’une conférence de presse consa- crée à la politique internationale et à la défense, le président François Mitterrand fait connaître son arbitrage à propos des dépenses militaires pour les quatre prochaines années : les armées devront faire des économies, mais aucun grand programme ne sera abandonné. D’autre part, il s’oppose au principe de l’option triple zéro tout en déclarant que la décision de moderniser les armes tactiques en Europe n’est pas urgente. Exposition. La Grande Halle de La Villette et le Centre Georges-Pompidou présentent les Magiciens de la Terre, une sélection d’oeuvres d’art contemporaines originaires du monde entier. Vendredi 19 GRANDE!BRETAGNE Espionnage. Le gouvernement procède à l’expulsion de huit diplomates et de trois journalistes soviétiques. Le 20, les autorités de Moscou prennent des mesures identiques à l’encontre d’un même nombre de Britanniques. ITALIE Gouvernement. Des rivalités entre démocrates-chrétiens et socialistes sont à l’origine de la chute du cabinet de coalition de M. Ciriaco De Mita (DC), au pouvoir depuis 13 mois. NAMIBIE Conflit. L’Afrique du Sud, Cuba et l’Angola signent un accord destiné à relancer le processus d’accession à l’indépendance à la suite du retrait total des maquisards de la SWAPO qui s’étaient infiltrés dans le territoire le 1er avril (1er avril). Samedi 20 FRANCE Relations internationales v. États-Unis Faits divers. Le vol d’une centaine d’animaux de laboratoire dans les locaux de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de Lyon est revendiqué par un groupe d’opposants aux expérimentations sur les bêtes. Sport. Victorieux d’Auxerre (2-1), l’Olympique de Marseille, qui ne peut plus être rejoint par le Paris-Saint-Germain, remporte le championnat de France de football. ESPAGNE Justice. Le verdict clément dans le procès de l’affaire des huiles frelatées responsables de la mort downloadModeText.vue.download 61 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 60 de 650 personnes en 1981 suscite une vive émotion dans l’opinion. CHINE Troubles. Alors que les dirigeants paraissent désemparés face à la poursuite des manifestations, la loi martiale est décrétée à Pékin ; mais la progression des militaires est stoppée par la foule. Après quelques jours de débats internes au pouvoir, le Premier ministre Li Peng réapparaît le 25 à la télévision après avoir obtenu le soutien de M. Deng Xiaoping, des militaires et de la vieille garde du régime. La ligne dure l’emporte ainsi sur celle, favorable à la conciliation, du secrétaire général du PCC, M. Zhao Ziyang, qui est démis de ses fonctions. ÉTATS!UNIS Relations internationales. Au cours de la visite de deux jours effectuée par M. François Mitterrand en Nouvelle-Angleterre, M. George Bush salue « l’émergence de l’Europe comme partenaire du leadership mondial » et se félicite de la position modérée de la France au sein de l’OTAN. Dimanche 21 RELIGION OEcuménisme. Les 638 représentants catholiques, orthodoxes et protestants, réunis pour la première fois à Bâle (Suisse) depuis le 15, adoptent un message appelant les 500 millions de chrétiens européens à se mobiliser pour la défense de la paix, de la justice et de l’environnement. FRANCE Transports. La violente agression de trois contrôleurs sur la ligne Paris-Meaux provoque les jours suivants un mouvement de grèves sur le réseau banlieue de la SNCF. Le travail reprend après l’annonce par le Premier ministre, le 24, de la création d’une police des chemins de fer. Lundi 22 ÉTATS!UNIS Relations internationales. Le secrétaire d’État James Baker durcit le ton à l’égard d’Israël, qui réclamait des autorités américaines un « soutien sans condition » au plan de paix de M. Itzhak Shamir, adopté par son gouvernement le 14. Il engage les dirigeants israéliens à renoncer au « grand Israël » et les Palestiniens à « l’illusion d’un contrôle sur toute la Palestine ». Médecine. La première expérience de manipulation génétique sur l’homme à des fins thérapeutiques est réalisée avec l’accord des autorités sanitaires au National Cancer Institute de Bethesda, dans le Maryland. Des lymphocytes dont le patrimoine génétique avait été modifié sont injectés à un malade atteint d’un cancer de la peau au stade terminal (19 janvier). ISRAËL v. États-Unis Mardi 23 FRANCE Outre-mer. Le Conseil des ministres adopte le projet de loi d’amnistie des crimes et délits commis en Guadeloupe dans le cadre de la lutte pour l’indépendance de ce département. Cinéma Une cure de jouvence Pour sa 42e édition, le festival de Cannes parie sur l’avenir. N’est-ce pas le meilleur service que puisse rendre à un art qu’on dit malade cette prestigieuse manifestation qui promeut le cinéma au moins autant qu’elle le célèbre ? Or, l’avenir est par excellence le domaine de l’imprévu. downloadModeText.vue.download 62 sur 509 CHRONOLOGIE 61 On s’attend donc à l’inattendu, faisant pour cela confiance au réalisateur allemand Wim Wenders, plus jeune président du jury de l’histoire du festival. Entamée par la fin, la lecture du palmarès établi le 23 mai défie tous les pronostics. Celuici est à l’image de la cure de jouvence subie par le Lawrence d’Arabie de David Lean, présenté en ouverture dans sa version intégrale restaurée. L’attribution du dernier prix, celui de la Commission supérieure technique du cinéma, à Pluie noire de Shohei Imamura (Japon) donne le ton. La Palme ne sera pas « politique ». Ce récit des retombées mortelles de la bombe d’Hiroshima était le favori des films fondés sur la tragique réalité du monde, parmi lesquels on peut aussi citer Do the Right Thing, de Spike Lee (États-Unis), consacré aux rapports entre Noirs et Blancs à New York, et l’Ami retrouvé, de Jerry Schatzberg (Grande-Bretagne – France – RFA), tiré du célèbre roman de Fred Uhlman. Le prix du jury, décerné à Jésus de Montréal, de Denys Arcand (Canada), vision d’un Christ très contemporain, est trop modeste pour constituer la revanche du dernier film de Martin Scorsese. Le prix de la meilleure contribution artistique surprend aussi. Jim Jarmush, auteur de Mystery Train (États-Unis) est réputé comme le plus fidèle disciple de Wenders. Il pouvait espérer mieux. Arrive le moment du prix d’interprétation masculine. On songe à Michel Blanc pour sa composition dans l’adaptation d’un roman de Simenon par Patrice Leconte, Monsieur Hire (France). C’est James Sprader qui l’emporte pour son rôle dans Sexe, mensonges et vidéo, de Steven Soderbergh (États-Unis). Chacun se réjouit de cette récompense indirectement attribuée à un premier film prometteur. C’est Hollywood qui décroche le prix d’interprétation féminine, attribué à Meryl Streep, seule star couronnée, pour son rôle de mère injustement accusée d’infanticide dans Un cri dans la nuit, de Fred Schepisi (Australie – Grande-Bretagne). Le prix spécial du jury est double. Il récompense une confirmation, Trop belle pour toi, paradoxale histoire d’amour de Bertrand Blier (France), et une révélation, Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore (Italie), qui met en scène l’âge d’or d’un cinéma de quartier, préféré au Splendor d’Ettore Scola, sur le même thème. C’est à une autre vision du cinéma, moins nostalgique, plus dynamique, que revient enfin la palme d’or. Sexe, mensonges et vidéo – puisqu’il s’agit encore, à la surprise générale, de cet outsider – raconte le fantasme d’un impuissant qui filme en vidéo des femmes évoquant leur sexualité. Du cinéma comme principe de jouissance, en quelque sorte. C’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher cette « nouvelle frontière » dont le festival de Cannes se veut le pionnier. LIGUE ARABE Le sommet extraordinaire qui se tient à Casablanca jusqu’au 26 est marqué par la réintégration de l’Égypte, suspendue de l’organisation le 31 mars 1979 après la signature du traité de paix avec Israël. Les pays arabes apportent leur soutien à l’initiative de paix palestinienne fondée sur la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël et s’abstiennent de condamner la présence syrienne au Liban. SOUDAN Troubles ethniques. Le gouvernement annonce que de récents accrochages dans l’ouest du pays entre des tribus arabes et l’ethnie africaine des Fours ont causé plus de 450 morts. Mercredi 24 FRANCOPHONIE Le troisième sommet des pays « ayant en commun l’usage du français » se tient à Dakar jusqu’au 26. Il donne l’occasion au président François Mitterrand d’annoncer l’annulation de la dette de 35 pays négroafricains envers le Trésor français, soit 16 milliards de francs. FRANCE Justice. L’ancien chef du service de renseignement de la milice de Lyon en 1943 et 1944, Paul Touvier, est arrêté à Nice dans un établissement religieux intégriste. Deux fois condamné à mort par coutumace, gracié en 1971 puis recherché pour crimes contre l’humanité, il a bénéficié, durant ses 45 ans de fuite, de diverses protections ecclésiastiques. downloadModeText.vue.download 63 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 62 SPORT Football. À Barcelone, l’équipe italienne du Milan AC, présidée par M. Silvio Berlusconi, remporte la Coupe d’Europe des clubs champions en battant les Roumains du Steaua Bucarest (4-0). Jeudi 25 FRANCE Politique musicale. M. Pierre Berge, président des théâtres de l’Opéra de Paris, annonce la nomination du chef sud-coréen Myong Whunchung comme directeur musical de l’Opéra Bastille. URSS Vie politique. M. Mikhaïl Gorbatchev est élu chef de l’État par les 2 250 membres du Congrès des députés du peuple réunis pour la première fois au Kremlin. Le 26, les élections des deux chambres du Soviet suprême avantagent les conservateurs. Dans son discours d’orientation prononcé le 30, M. Gorbatchev annonce le renforcement de la politique de réformes et du rôle des institutions parlementaires. AFRIQUE DU SUD Justice. La Cour suprême condamne à mort un an- cien policier afrikaner membre d’un groupuscule d’extrême droite, coupable d’avoir abattu huit Noirs de sang froid en novembre 1988 à Pretoria. Le 26, quatorze Noirs sont condamnés à la peine capitale pour avoir participé au meurtre d’un policier noir lors des émeutes de novembre 1985. ÉTATS!UNIS Politique commerciale. En application de la loi sur le commerce votée au mois d’août 1988, l’administration dénonce les pratiques « déloyales » du Japon, du Brésil et de l’Inde. Elle dispose de 18 mois pour tenter de résoudre ces litiges par la négociation avant d’appliquer des sanctions. Cette décision est vivement critiquée par les pays membres de l’OCDE réunis à Paris le 31. Vendredi 26 FRANCE Opéra. Le Grand Théâtre de Nancy donne en création française Lady Macbeth du district de Mzensk (1934) de Dimitri Chostakovitch, mis en scène par Antoine Bourseiller. L’interdiction de cette oeuvre par Staline en 1936 avait conduit son auteur au bord du suicide. DANEMARK Moeurs. Le Parlement adopte une loi permettant aux homosexuels de faire enregistrer officiellement leur « union » et de disposer ainsi de certaines garanties économiques. JAPON Politique monétaire. Inversant sa politique de baisse en vigueur depuis 1980, la Banque du Japon décide de relever son taux d’escompte de 2,5 % à 3,25 % en raison de l’accélération de l’inflation et de la forte hausse du dollar, qui a dépassé, le 24 à Paris, le seuil psychologique des 2 marks (143 yens ou 6,81 F). Samedi 27 GRANDE!BRETAGNE Islam. À Londres, la plus grande manifestation musulmane jamais organisée dans le pays rassemble 20 000 personnes contre le roman de Salman Rushdie. Elle donne lieu à des affrontements entre pro-iraniens et pro-irakiens, qui doivent être séparés par la police. downloadModeText.vue.download 64 sur 509 CHRONOLOGIE 63 Dimanche 28 BELGIQUE Criminalité. Patrick Haemers, le cerveau du gang qui avait organisé l’enlèvement de l’ancien Premier ministre Paul Vanden Boeynants le 14 janvier, est arrêté à Rio de Janeiro, au Brésil. Il avoue le rapt mais nie avoir une quelconque relation avec les « tueurs fous du Brabant ». MADAGASCAR Élections législatives. L’Avant-garde de la révolution malgache (AREMA), le parti au pouvoir, remporte 120 des 137 sièges à pourvoir au Parlement. Lundi 29 OTAN Le sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays membres est dominé par la présentation du plan de désarmement du président George Bush. Celui-ci prévoit une réduction de 15 à 20 % des effectifs des troupes américaines basées en Europe, une diminution de 10 à 15 % du nombre d’avions et d’hélicoptères détenus par l’OTAN et par le pacte de Varsovie ainsi que l’ouverture de négociations avec l’URSS sur une réduction partielle du nombre de missiles nucléaires à courte portée (SNF) en Europe après la mise en oeuvre d’un accord sur le désarmement conventionnel. Ce compromis est bien accueilli par les membres de l’OTAN et les autorités soviétiques. Mardi 30 EST!OUEST CSCE. La première réunion de suivi de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe consacrée aux droits de l’homme se tient à Paris jusqu’au 23 juin en la présence des représentants des 35 pays membres. La Tchécoslovaquie, la Bulgarie et surtout la Roumanie y sont les principaux accusés. Mercredi 31 FRANCE Audiovisuel. FR3 retransmet la soirée inaugurale de la SEPT, la chaîne culturelle européenne diffusée par le satellite TDF1, que seuls quelques dizaines de milliers de spectateurs équipés d’une antenne parabolique captent directement. Les abonnés de certains réseaux câblés peuvent aussi la recevoir. Abandon. Atteinte de troubles psychiques, la mère du petit garçon de 21 mois prétendument disparu le 29, à Nice, avoue avoir tenté de s’en débarrasser en l’abandonnant dans une carrière. L’enfant est retrouvé sain et sauf. Sa mère est inculpée le 1er juin de tentative d’assassinat. Opéra. L’activité lyrique du palais Garnier s’achève sur l’ultime représentation du Maître et Marguerite, adapté du roman de Mikhaïl Boulgakov par l’Allemand York Höller. L’ancien théâtre de l’Opéra de Paris doit se consacrer exclusivement à la danse après l’inauguration de l’Opéra Bastille. ÉTATS!UNIS Vie politique. M. Jim Wright, président démocrate de la Chambre des représentants, donne sa démission tout en se défendant des accusations de corruption portées contre lui par le comité d’éthique. Ventes. Chez Christie’s, à New York, le portrait de Cosme Ier de Médicis par Jacopo Carucci, dit le Pontormo (1494-1557), est attribué au Musée Getty de Los Angeles pour une somme de 35,2 millions de dollars (225 millions de francs environ), un record mondial pour un tableau de maître ancien. downloadModeText.vue.download 65 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 64 CHILI Institutions. Le gouvernement et l’opposition parviennent à un accord sur la réforme de la Constitution. Le mois de Geneviève Dormann Le 11 mai 1989, le grand prix du roman de l’Académie française m’a été attribué pour mon roman le Bal du dodo, ce qui m’a semblé parfaitement normal car : a) ce livre à quoi j’ai beaucoup travaillé n’est pas mauvais et b) l’âge aidant, je compte quelques amis parmi les Immortels du quai Conti. À l’étonnement de me voir mêlée à cette histoire de grandes personnes a succédé un plaisir certain. En effet, j’ai été très flattée de m’apercevoir que, parmi les soixante-quinze écrivains couronnés qui m’ont précédée depuis 1915, figuraient des auteurs tels que Pierre Benoit, Carco, Chardonne, Bernanos, La Varende, sans compter Kléber Haedens et Pascal Jardin qui me manquent tous les jours. Je rejoignais donc ainsi une famille spirituelle dont les pages m’aident à vivre. De plus, mon éditeur était très content, et chacun sait que, lorsque les éditeurs sont contents, ils vous invitent en souriant à manger des huîtres. Enfin, je me suis aperçue que, grâce à ce prix, je m’étais fait des ennemis tout frais, ce qui rajeunit. Ce n’est pas moi qui le dis mais Cioran : « On commence à vieillir quand on se contente des ennemis qu’on a sous la main. » Pourquoi des ennemis ? Parce que le grand prix du roman de l’Académie française étant réputé le marche-pied de l’Académie tout court, des confrères qui le guignaient ont pensé que c’était vraiment du gâchis que de le donner à une femme bien décidée à ne jamais porter le bicorne et le cabas, qui remplace l’épée pour les dames. En effet, plus que jamais, je pense qu’il faut laisser ce club du jeudi exclusivement aux hommes. Ils ont besoin d’être seuls entre eux, de temps en temps. Et puis, quand ils sont au dictionnaire, ils ne sont pas au bistro. Autrefois, quand les hommes étaient seuls à l’Académie, une femme écrivain pouvait les embrasser et même les inviter à dîner sans que les esprits chagrins y voient malice. Ce qui est devenu impossible depuis que Mme Yourcenar a posé son séant flamand parmi les académiciens français. C’est bien triste. GENEVIÈVE DORMANN downloadModeText.vue.download 66 sur 509 CHRONOLOGIE 65 Juin Jeudi 1er ÉGLISE CATHOLIQUE v. Scandinavie FRANCE Sociétés. La fusion des activités touristiques de la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) et du Club Aquarius donne naissance au holding Groupe A, qui se place, par son chiffre d’affaires, au deuxième rang des voyagistes français. Art. Le premier tableau fauve de Georges Braque, l’Estaque, l’embarcadère, estimé à 20 millions de francs, est volé en plein jour au Musée national d’art moderne du Centre Georges-Pompidou, à Paris. IRLANDE DU NORD Justice. À l’issue d’un procès de huit semaines au cours duquel le tribunal a visionné plus de dix-sept heures de films de télévision, Harry Maguire et Alex Murphy sont condamnés à la réclusion à perpétuité pour leur par- ticipation au lynchage de deux caporaux britanniques lors des funérailles d’un sympathisant de l’IRA, en mars 1988, à Belfast. PORTUGAL Institutions. Le Parlement adopte une nouvelle Constitution qui ne fait plus mention de la « transition vers le socialisme », de « l’appropriation collective des moyens de production » ni du « caractère irréversible des nationalisations ». Elle est promulguée le 7 juillet par le président Mario Soares et entre en vigueur le 8 août. SCANDINAVIE Visite pontificale. Le pape Jean-Paul II effectue jusqu’au 10 une visite en Norvège, en Islande, en Finlande, au Danemark et en Suède, pays de tradition protestante. Vendredi 2 JAPON Gouvernement. Le Parlement élit M. Sosuke Uno (66 ans) au poste de Premier ministre après sa désignation comme président du Parti libéraldémocrate (PLD). Ce proche de M. Noboru Takeshita était ministre des Affaires étrangères dans le cabinet démissionnaire (25 avril). Samedi 3 URSS Nationalités. À Fergana, dans la République d’Ouzbékistan, des troubles éclatent entre les Ouzbeks sunnites et les Meskhs chiites. Déplacés sous Staline, ces derniers demandent à retourner en Géorgie. Les affrontements causent la mort d’une centaine de personnes (17). Accident ferroviaire. Dans la région de Kouibychev, au pied des monts Oural, l’explosion d’un gazoduc bordant la voie transsibérienne au moment du downloadModeText.vue.download 67 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 66 passage de deux trains provoque la mort de près de 500 personnes. IRAN La mort du guide Il avait affirmé, en juillet 1988, que le cessez-lefeu avec l’Irak était un « poison » qu’on l’obligeait à boire. Il aura mis dix mois à en mourir. L’imam Ruhollah Khomeyni, guide de la révolution islamique, s’est éteint le 3 juin à l’âge de 89 ans. L’homme qui avait mobilisé le peuple contre le régime impérial, qui avait intrigué l’Occident avant d’embarrasser les États-Unis, qui avait opposé à son puissant voisin irakien une résistance sans merci ne pouvait survivre longtemps à un échec qui révélait l’essoufflement d’une révolution épuisée. Quasiment absent des célébrations du dixième anniversaire de la révolution islamique, au début du mois de février, l’imam n’était sorti de sa retraite politique, quelques jours plus tard, que pour jeter l’anathème contre Salman Rushdie. Mais ce combat participait déjà d’une autre guerre : celle pour sa propre succession. Celle-ci est à ce point délicate que l’assemblée des experts, soucieuse de combler au plus vite le vide béant laissé par la mort de l’imam, désigne dès le 4 juin l’hodjatoleslam Ali Khamenei, chef de l’État iranien, aux fonctions de guide religieux. La Constitution prévoit pourtant que celui-ci doit être une « source d’imitation », ce que le falot Khamenei n’est assurément pas. Le constat est lucide : Khomeyni étant irremplaçable, le pouvoir de l’imam ne peut que disparaître avec lui. Son successeur est suffisamment transparent pour recueillir l’allégeance des chefs des deux clans rivaux, M. Hachemi Rafsandjani, puissant président du Parlement iranien, et M. Ahmed Khomeyni, inspirateur des dernières décisions de son père. Le testament de l’imam, ouvert le 5, ne contient qu’un message d’intransigeance révolutionnaire, celui de « rester éloigné de l’Est comme de l’Ouest », étranger aux préoccupations du moment. L’heure est en effet à la consolidation d’un pouvoir fragilisé par la disparition de celui qui suffisait à l’incarner. Orphelins, les Iraniens se priveront-ils encore longtemps de pain et de liberté ? Les funérailles de l’imam, le 6, sont l’occasion d’une gigantesque démonstration d’unité autour du régime. Bénéficiant d’une couverture médiatique inhabituelle, la cérémonie réunit sur le chemin du cimetière de Behechte Zahra, dans la banlieue de Téhéran, les mêmes millions de personnes qui avaient accueilli l’imam à son retour en février 1979. Relayées par les télévisions du monde entier, les images de la foule des fidèles qui psalmodient des heures durant des prières en se frappant le visage puis, gagnés par l’hystérie, bousculent le cercueil et arrachent le linceul sont impressionnantes. Plongé dans une expectative inquiète, l’Occident guette les signes d’une normalisation des relations entre l’Iran et la communauté internationale. CHINE Troubles. Après que la population a une nouvelle fois fait reculer les soldats désarmés qui tentaient de gagner le centre de Pékin, la tension monte dans la capitale. Dans la nuit du 3 au 4, les blindés investissent la ville, et les soldats ouvrent le feu à l’arme lourde sur les manifestants, causant des milliers de morts. La répression s’étend les jours suivants à la province. Tandis que les étrangers quittent en masse le pays, les États occidentaux adoptent des mesures de sanction limitées (9). Dimanche 4 SANTÉ La 5e conférence internationale sur le SIDA réunit huit cents intervenants et dix mille participants jusqu’au 9 à Montréal. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à six millions le nombre probable de malades en l’an 2000. POLOGNE Élections législatives. Les résultats du scrutin accordent une victoire éclatante aux candidats de Solidarité. Au terme du second tour, disputé le 18, ceux-ci s’adjugent les 161 sièges qu’ils pouvaient briguer à la Diète (35 % de la totadownloadModeText.vue.download 68 sur 509 CHRONOLOGIE 67 lité) et 99 des 100 sièges du nouveau Sénat. Dans le collège réservé au POUP (parti communiste) et à ses alliés, presque aucun conservateur n’est élu. SPORT Marche. Le policier parisien Roger Quémener s’impose dans la course Paris-Colmar, couvrant les 521 km en 64 h 35′ (8,113 km/h). Avec cette septième victoire, il devient le nouveau détenteur du record de l’épreuve. Lundi 5 FRANCE Relations internationales v. Tunisie Environnement. Les autorités interdisent l’importation d’ivoire en vue de contribuer au sauvetage des éléphants d’Afrique massacrés par les braconniers (18 juillet et 17 août). TUNISIE Relations internationales. Le président François Mitterrand effectue une visite officielle de deux jours à l’issue de laquelle est conclu un accord sur la diffusion d’Antenne 2 en Tunisie. Mardi 6 FRANCE Immigration. L’Assemblée nationale repousse la motion de censure déposée par l’opposition contre le projet de loi sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Justice. La cour d’assises de l’Oise condamne à la réclusion perpétuelle Pascal Dolique, un garçon charcutier de 29 ans, pour l’assassinat, en octobre 1983, de six membres de la famille d’une jeune fille qui l’avait repoussé. Sociétés. Premier groupe agroalimentaire français, BSN annonce le rachat des cinq filiales européennes mises en vente par la firme américaine RJR Nabisco pour 2,5 milliards de dollars (17 milliards de francs environ). Il devient ainsi le leader européen de la biscuiterie. FRANCE!RFA Énergie. Les sociétés française COGEMA et allemande VEBA signent un accord d’intention sur le retraitement des déchets nucléaires, qui prévoit la participation de la seconde à la construction d’une nouvelle unité de l’usine de La Hague (Manche). SURINAM Accident aérien. Un DC-8 de la compagnie nationale avec 188 personnes à son bord s’écrase près de l’aéroport de Paramaribo après deux tentatives d’atterrissage. Il y a 174 victimes. Mercredi 7 OPEP La conférence ordinaire de l’organisation réunie à Vienne depuis le 5 s’achève par un compromis précaire entre les positions divergentes de l’Arabie Saoudite, favorable à l’augmentation des prix du pétrole, et du Koweït, partisan d’un relèvement des quotas de production. FRANCE Sociétés. Le cimentier Lafarge Coppée annonce la prise de contrôle du suisse Cementia AG et son entrée dans le capital de l’espagnol Asland. Cet investissement de 5 milliards de francs lui permet de devenir le numéro downloadModeText.vue.download 69 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 68 deux mondial du ciment derrière le suisse Holderbank. Jeudi 8 CONSEIL DE L’EUROPE Le statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée de l’organisation européenne, adopté en mai en vue de favoriser les relations entre les deux Europes, est accordé à l’URSS, à la Pologne, à la Hongrie et à la Yougoslavie. FRANCE Vie politique. Un débat télévisé exceptionnel réunit sur TF1 les six principales têtes de liste en compétition pour le scrutin européen. Industrie aéronautique. Inauguré par M. François Mitterrand, le 38e Salon du Bourget bénéficie de la conjoncture très favorable des marchés. Accident aérien. Au Salon du Bourget, un chasseur soviétique Mig-29 qui effectuait une démonstration est victime d’une défaillance technique et s’écrase au sol après l’éjection du pilote. Justice. Interpellée le 6 en compagnie de sa fille Darie Boutboul, qui est remise en liberté le lendemain, Mme Marie-Élisabeth ConsBoutboul est inculpée de complicité d’homicide volontaire et écrouée par le juge d’instruction havrais chargé de l’enquête sur l’assassinat d’un représentant de commerce, Bruno Dassac, commis au Havre en mai 1988. HONGKONG Manifestation. Un million de personnes descendent dans les rues pour dénoncer les massacres perpétrés par l’armée en Chine et exprimer leur inquiétude pour l’avenir de la colonie britannique, qui doit passer sous souveraineté chinoise le 30 juin 1997. Vendredi 9 CEE Environnement. Les ministres des Douze aboutissent à un compromis sur le renforcement, à partir de 1992, des normes antipollution pour les voitures de cylindrée inférieure à 1,4 litre, qui seront dotées de pots catalytiques permettant l’usage de carburant sans plomb. Cet accord mécontente certains constructeurs européens, dont Peugeot. CHINE Troubles. Après vingt-quatre jours d’absence, M. Deng Xiaoping reparaît à la télévision, entouré du Premier ministre Li Peng et de membres de la vieille garde conservatrice, pour féliciter les généraux responsables de l’application de la loi martiale tout en appelant à la poursuite de la politique de réformes et d’ouverture. Précédée par une campagne d’encouragement à la délation, une vague d’arrestations déferle à partir du 10 (3, 9). Samedi 10 FRANCE Sport. Champion de France de football 1989, l’Olympique de Marseille remporte la Coupe de France en battant Monaco (4-3) et réalise ainsi le second doublé de son histoire après celui de 1972. Dimanche 11 NOUVELLE!CALÉDONIE Élections provinciales. Les résultats du scrutin, qui se déroule dans le calme et enregistre un taux de participation de 69,29 %, constituent une nette victoire pour les signataires des accords de Matignon. Le RPCR remporte la majorité dans la province du Sud, 44,46 % des voix au total et 27 des 54 sièges au Congrès du downloadModeText.vue.download 70 sur 509 CHRONOLOGIE 69 territoire ; le FLNKS conserve son emprise sur les provinces du Nord et les îles Loyau- té, obtenant au total 28,65 % des suffrages et 19 sièges. SPORT Tennis. L’Américain d’origine chinoise Michael Chang remporte à 17 ans les Internationaux de France au stade Roland-Garros en battant en finale le Suédois Stefan Edberg (61, 3-6, 4-6, 6-4, 6-2). La veille, l’Espagnole Arantxa Sanchez, âgée également de 17 ans, l’avait emporté sur l’Allemande de l’Ouest Steffi Graf (7-6, 3-6, 7-5). Automobile. Pour sa première participation officielle aux 24 Heures du Mans depuis le drame de 1955 qui avait causé la mort de 82 spectateurs, l’écurie Mercedes remporte l’épreuve d’endurance. Cyclisme. Le Français Laurent Fignon remporte le Giro (Tour d’Italie). Lundi 12 IRAN Relations internationales. La France et la RFA sont les derniers pays de la CEE – hormis la Grande-Bretagne, qui a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran – à annoncer le retour de leur ambassadeur à Téhéran (7 et 20 mars). CANADA Sport. Le sprinter canadien Ben Johnson, qui avait été disqualifié pour dopage après sa victoire dans le 100 mètres lors des jeux Olympiques de Séoul en 1988, reconnaît devant une commission d’enquête qu’il utilisait régulièrement des stéroïdes anabolisants depuis 1981. ÉTATS!UNIS Environnement. Rompant avec la politique de « dérégulation » de son prédécesseur, le président George Bush présente un ambitieux plan de lutte contre la pollution atmosphérique des grandes cités. Mardi 13 OCÉAN ATLANTIQUE L’épave du Bismarck, le cuirassé allemand coulé par la flotte britannique le 24 mai 1941, est repérée par une équipe américaine par plus de 4 000 mètres de fond, à un millier de kilomètres au large de Brest. FRANCE Prisons. Le traditionnel décret de grâce collective signé par le président de la République à l’occasion du 14-Juillet prévoit la libération de 3 091 détenus. Le conseil donné le soir même par M. Jacques Chirac de gracier le terroriste libanais Anis Naccache en vue de prévenir une éventuelle reprise des attentats à Paris étonne l’ensemble de la classe politique. Privatisations. L’Assemblée nationale adopte définitivement le projet de loi rendant leur liberté aux actionnaires des « noyaux durs » des sociétés privatisées par le gouvernement de M. Jacques Chirac en 1986. RFA Relations internationales. Au cours de sa première visite officielle à Bonn et à Stuttgart du 12 au 15, M. Mikhaïl Gorbatchev, chef de l’État soviétique, signe avec le chancelier Helmut Kohl une déclaration commune qui engage leurs deux pays à tenter de « surmonter la division de l’Europe ». downloadModeText.vue.download 71 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 70 URSS v. RFA Mercredi 14 ONU À Genève, la conférence internationale sur les réfugiés indochinois adopte le plan d’action présenté par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Celui-ci préconise le retour volontaire des boat people économiques vietnamiens et laotiens, sans exclure, à terme, leur retour forcé, qui est demandé par les pays de premier accueil. FRANCE Relations internationales v. Pologne PAYS!BAS Musique. La Dixième Symphonie de Franz Schubert, oeuvre inachevée « complétée » par le compositeur italien contemporain Luciano Berio sous le titre Rendering, est créée à Amsterdam par l’Orchestre royal du Concertgebouw dirigé par Nikolaus Harnoncourt. Le 20, l’oeuvre est présentée au Festival de Paris. POLOGNE Relations internationales. Lors de la première effectue à Varsovie François Mitterrand d’aide à l’économie visite officielle qu’il jusqu’au 16, le président présente un vaste plan polonaise. Jeudi 15 FRANCE Académie française. L’avocat, historien et romancier Jean-Denis Bredin est élu au premier tour de scrutin au fauteuil de Marguerite Yourcenar, décédée le 17 décembre 1987. Vendredi 16 CEE L’Espagne annonce l’entrée de sa monnaie, la peseta, dans le système monétaire européen (SME) à partir du 19. FRANCE Affaires. Une ordonnance de non-lieu est rendue dans l’affaire des ventes d’armes illicites à l’Iran entre 1982 et 1986 par la société Luchaire. Celle-ci avait été accusée, en novembre 1987, d’avoir versé des pots-de-vin au Parti socialiste. Tout comme l’indépendance de la justice, l’absence de collaboration du ministère de la Défense est mise en cause. JUSTICE La cour d’assises des Bouches-du-Rhône condamne à deux ans de prison avec sursis le gardien de la paix Jean-Pierre Aveline, coupable d’avoir tué par erreur un jeune homme lors d’un contrôle de police, en février 1988, à Marseille. Le 30, Éric Laignel, un autre gardien de la paix accusé d’avoir tué, en juin 1986, à Fontenay-sous-Bois, un voleur présumé qui s’enfuyait, est acquitté par la cour d’assises du Val-de-Marne. ESPAGNE v. CEE HONGRIE Réhabilitation. L’ancien Premier ministre Imre Nagy, exécuté en 1958 en raison du rôle qu’il avait joué lors de l’insurrection de 1956 et dont le corps avait été jeté dans une fosse commune, reçoit des funérailles solennelles, auxquelles assiste une foule nombreuse. Cette cérémonie est critiquée par la Roumanie et par la RDA. downloadModeText.vue.download 72 sur 509 CHRONOLOGIE 71 Samedi 17 FRANCE Commémoration. La fête « Paris 89 », organisée par la Ville de Paris en l’honneur du centenaire de la tour Eiffel, rassemble un demi-million de personnes. URSS Nationalités. Des affrontements sanglants éclatent au Kazakhstan entre Kazakhs autochtones et Caucasiens immigrés (3). Dimanche 18 CEE Les élections au Parlement européen, qui ont déjà eu lieu le 15 dans cinq pays, sont marquées par un fort taux d’abstentions (41,5 % en moyenne). La poussée des travaillistes britanniques renforce le groupe socialiste à Strasbourg. Les écologistes et l’extrême droite réalisent également une percée. GRÈCE Élections législatives. Avec 125 sièges (– 36) sur 300, le PASOK (parti socialiste), au pouvoir, perd la majorité au Parlement sans que la Nouvelle Démocratie (conservateur), avec 145 sièges (+ 19), ne parvienne à la conquérir. La liste regroupant le Parti communiste et divers autres partis de gauche obtient 28 sièges (1er juillet). LUXEMBOURG Élections législatives. Les trois grands partis – chrétiens-sociaux (22 élus ; – 3) et socialistes (18 élus ; – 3), au pouvoir, et démocrates (libéraux ; 11 élus ; – 3) – perdent des sièges au profit des écologistes (4 élus ; + 2) et d’un parti défendant l’uniformisation des régimes de retraite (4 élus ; + 4). Lundi 19 EUROPE Technologie. La septième conférence ministérielle d’Eurêka réunie à Vienne adopte un projet de coopération dans le domaine des composants électroniques nommé JESSI (Joint European Submicron Silicon), dont le budget (27 milliards de francs) représente les deux tiers des sommes engagées depuis 1985 dans le programme technologique européen. CEE Finances. Les ministres des Douze adoptent une directive sur la libéralisation de l’activité bancaire au sein de la Communauté. À partir du 1er janvier 1993, toute banque d’un État membre bénéficiera d’un « agrément unique » l’autorisant à ouvrir des succursales dans les onze autres pays. FRANCE Vie politique. Le Premier ministre Michel Rocard est contraint d’engager la responsabilité de son gouvernement sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel public, qui institue une présidence commune à Antenne 2 et FR 3. En l’absence d’une motion de censure, le texte est considéré comme adopté par les députés. GRANDE!BRETAGNE Ventes. Chez Sotheby’s, à Londres, un marchand d’art français acquiert un manuscrit enluminé du XVe siècle pour près de 20 millions de francs, un record pour une telle oeuvre. NORVÈGE Accident naval. Un paquebot soviétique, le Maxime-Gorki, heurte un iceberg au large du Spitzberg. Il downloadModeText.vue.download 73 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 72 n’y a pas de victimes en raison de la rapidité des secours. Mardi 20 FRANCE Vie politique. Le Conseil des ministres adopte le projet de loi sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales. L’émotion suscitée par la disposition prévoyant l’amnistie des infractions commises dans ce domaine contraint toutefois le gouvernement à différer l’examen parlementaire du texte. Le 28, M. Michel Rocard affirme sa volonté de voir la justice conduire à leur terme les enquêtes sur les différentes « affaires ». Restauration. La pose des répliques des quatre statues, détruites en 1793, qui ornaient le lanternon de l’église Saint-Louis-des-Invalides parachève les travaux de rénovation du dôme, qui ont duré dix mois et nécessité douze kilos d’or fin. URSS Relations internationales. L’Asie centrale et l’Afghanistan sont au centre des discussions au cours de la visite que le président du Parlement iranien, M. Hachemi Rafsandjani, effectue jusqu’au 23 à Moscou, à Leningrad et à Bakou. IRAN v. URSS ISRAËL Troubles. À Ariel, implantation juive du nord de la Cisjordanie, le Premier ministre Itzhak Shamir est insulté et bousculé par des colons israéliens lors des funérailles de l’un d’entre eux, assassiné le 17 par des Palestiniens. Mercredi 21 FRANCE Restauration. Après un an de nettoyage et de remise en état, l’arc de triomphe de l’Étoile est présenté au président François Mitterrand par M. Valéry Giscard d’Estaing, qui a organisé le financement des travaux. CHINE Troubles. À Shanghaï ont lieu les trois premières exécutions capitales de « contre-révolutionnaires » condamnés à mort le 15. Sept autres ont encore lieu à Pékin le 22 malgré les pressions occidentales (9). ÉTATS!UNIS Cour suprême Les dossiers de la Cour Des trois principales décisions rendues par la Cour suprême au cours de la session qui s’achève, la première déclenche les passions, la seconde laisse l’opinion quasiment indifférente, la troisième réveille un vieux conflit de société. Elles ont respectivement trait au drapeau américain, à la peine de mort et à l’avortement. Le 21 juin, statuant en appel d’un cas précis, la Cour admet à son corps défendant que brûler le drapeau national peut être assimilé à l’exercice de la liberté d’expression telle que la garantit le premier amendement de la Constitution. À cette occasion, les voix des juges suprêmes, majoritairement conservateurs, ne se répartissent pas selon la ligne de partage idéologique habituelle. Trois juges votent « contre leur camp ». L’indignation est générale. Au Congrès, démocrates et républicains font assaut de discours patriotiques tandis qu’un sondage paru dans Newsweek montre que 71 % des personnes interrogées souhaitent interdire la profanation de la bannière étoilée. Tout en affirmant son respect pour la justice, le président George Bush annonce son intention de demander l’introduction d’un amendement constitutionnel susceptible de casser la décision de la Cour. Cela fait pourtant quinze à vingt ans qu’il est passé de downloadModeText.vue.download 74 sur 509 CHRONOLOGIE 73 mode de brûler le drapeau américain sur les campus de Californie. La criminalité est en revanche un sujet toujours actuel. L’arrêt rendu le 26 juin par la Cour selon lequel rien ne s’oppose à l’exécution de condamnés à mort âgés de seize à dix-huit ans au moment des faits, pas plus qu’à celle de criminels malades mentaux, provoque pourtant peu de réactions. Comme en 1976, lorsqu’elle avait légalisé à nouveau la peine de mort, la Cour estime qu’un condamné mineur ou débile ne peut invoquer le huitième amendement de la Constitution qui interdit « les châtiments cruels et inhabituels ». Sur les quelque deux mille condamnés à mort dans l’attente de leur exécution aux États-Unis, vingtsept ont moins de dix-huit ans. La troisième décision de la Cour suprême, rendue le 3 juillet, est la plus attendue. Le débat sur l’avortement a rassemblé dans les rues, ces derniers mois, des milliers de partisans du « droit à la vie » et de défenseurs du « droit au libre choix ». Les juges refusent de revenir sur la légalisation de l’avortement, décidée par la Cour en 1973, mats ils autorisent l’État du Missouri à interdire toute forme d’aide publique à sa pratique. Une dizaine d’autres États pourraient lui emboîter le pas. Le président Bush, qui s’était montré durant sa campagne partisan de la criminalisation de l’avortement, paraît aujourd’hui fort préoccupé par ce dossier qui refait surface. Technologie. Afin de lutter contre la suprématie japonaise en matière de composants électroniques, sept sociétés informatiques investissent 1 milliard de dollars (6,5 milliards de francs environ) dans un consortium commun dirigé par IBM et baptisé US Memories Inc. en vue de produire des mémoires d’une puissance de quatre mégabits. Jeudi 22 FRANCE Partis politiques. Devant le conseil national du RPR, M. Jacques Chirac rejette le projet de fusion RPR-UDF proposé par M. Valéry Giscard d’Estaing à la suite de la victoire de la liste d’union de l’opposition aux élections européennes (27). Affaires. Quatre nouvelles inculpations pour fausses factures sont notifiées dans l’affaire de la SORMAE, dont celle de M. Gilbert Monate, l’un des principaux collecteurs de fonds du Parti socialiste (17 février). Académie française. Élu le 24 novembre 1988 au fauteuil de Jean Delay, le commandant Jacques-Yves Cousteau est reçu sous la coupole par Bertrand Poirot-Delpech. ANGOLA Conflit. À l’issue de la réunion de dix-huit chefs d’État africains organisée au Zaïre par le président Mobutu Sese Seko, le président angolais Jose Eduardo Dos Santos et le chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), M. Jonas Savimbi, signent un accord de cessez-le-feu après quinze années de guerre civile. Des négociations de paix s’ouvrent le 28 à Kinshasa (Zaïre). Vendredi 23 FRANCE Justice. La cour d’assises de la Dordogne condamne à la réclusion criminelle à perpétuité Francis Leroy, surnommé l’« assassin de la pleine lune », reconnu coupable de dix agressions dont un meurtre et deux viols. Sociétés. Les instituts Mérieux et Pasteur regroupent leurs activités dans le domaine de l’immunologie en vue de renforcer la position française sur le marché mondial des vaccins et des produits issus des biotechnologies. downloadModeText.vue.download 75 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 74 Samedi 24 HONGRIE Vie politique. Le comité central du PSOH (communiste) procède à un large remaniement de la direction du parti sous la pression de l’aile réformatrice. M. Reszo Nyers est nommé président du PSOH avec des pouvoirs accrus par rapport à ceux de son prédécesseur, M. Janos Kadar. Il est aussi nommé à la tête de la nouvelle direction collégiale, composée également du secrétaire général du parti, Karoly Grosz, à présent isolé, du Premier ministre Miklos Nemeth et du chef de file des réformateurs, Imre Pozsgay. TURQUIE Bulgarie-Turquie Têtes de Turcs Après les troubles sanglants survenus dans le Caucase soviétique et le Kosovo yougoslave et l’exode forcé de la minorité hongroise de Roumanie, les rivalités nationalistes et religieuses en Europe de l’Est frappent à leur tour les Bulgares musulmans d’origine turque. Entre le début du mois de juin et la fin d’août, ils sont 300 000 à être contraints de rejoindre la « mère patrie ». Tout commence par une sorte de défi. Le 29 mai, à la veille de l’ouverture à Paris de la réunion de suivi de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) consacrée aux questions humanitaires, le gouvernement d’Ankara dénonce la répression dont sont victimes les populations bulgares de souche turque. Souvent accusée de violer les droits de l’homme, la Turquie ne laisse passer aucune occasion de se poser en martyre. La Bulgarie, qui ne jouit pas d’une meilleure réputation, relève aussitôt le gant. Le jour même, M. Todor Jivkov déclare à la télévision : « En tant que président du Conseil d’État, je demande à la Turquie d’ouvrir ses frontières à tous les musulmans de Bulgarie qui veulent se rendre en Turquie ou y vivre. » En quelques jours, l’incitation au départ se fait pressante. Les mesures d’intimidation apparaissent. L’exode commence. La minorité turque de Bulgarie est estimée à un million et demi de personnes – sur neuf millions d’habitants –, que le régime n’est jamais parvenu à intégrer. C’est dans les années soixantedix qu’apparaît la première campagne anti-islamique. Les écoles turques sont fermées et la presse turque, interdite. En 1985, les autorités de Sofia décrètent que « l’État-nation bulgare ne comprend pas d’autre peuple que les Bulgares ». Cette fiction assimilant tous les musulmans à des « Pomaks », c’est-à-dire à des Bulgares convertis de force à l’islam durant l’occupation ottomane (1396-1878), sert de justification à une vaste campagne de slavisation des noms propres et des noms de villages. Cette politique d’assimilation forcée entraîne des troubles meurtriers en 1986. La reprise de l’agitation au mois de mai provoque à nouveau des morts. Au rythme de plusieurs milliers par jour, les Turcs de Bulgarie affluent en Turquie, où la plupart ont déjà de la famille. Les autres s’entassent dans des camps. Le trop-plein menace : la Turquie, aux 3,5 millions de chômeurs, doit en effet déjà faire face à l’afflux de réfugiés kurdes irakiens. Le 24, une manifestation antibulgare réunit à Istanbul plus de trente mille personnes en une démonstration d’unité nationale destinée tout autant à la Bulgarie qu’à l’Occident et qu’à l’URSS. De leur côté, le 4 juillet, les autorités bulgares décrètent la « mobilisation civile » afin de pallier l’hémorragie de main-d’oeuvre provoquée par l’exode des Turcs. Le gouvernement turc décide enfin de rétablir à partir du 22 août les visas d’entrée pour les ressortissants bulgares en attendant que les autorités de Sofia acceptent de signer une convention d’immigration. CHINE Vie politique. Révoqué pour « erreurs graves », M. Zhao Ziyang est remplacé à la tête du PCC par M. Jiang Zeming, chef du Parti à Shanghaï. Dimanche 25 YOUGOSLAVIE Religion. La consécration de la nouvelle cathédrale de Saint-Sava à Belgrade, la plus grande église orthodoxe au monde avec 6 400 mètres cardownloadModeText.vue.download 76 sur 509 CHRONOLOGIE 75 rés de superficie, illustre le réveil de l’Église orientale dans ce pays. Lundi 26 FRANCE Grands travaux. M. Pierre Bérégovoy et ses collaborateurs prennent possession des locaux du nouveau ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, installé à Bercy, dans le XIIe arrondissement de Paris. Leurs anciens bureaux de la rue de Rivoli doivent être intégrés au musée du Grand Louvre en 1993, après réaménagement. Justice. Le tribunal correctionnel de Montpellier condamne le promoteur bordelais André Orta à quatre ans de prison ferme et à un million de francs d’amende pour abus de confiance, faux et usage de faux. Il est reconnu coupable du détournement de 67,4 des 71 millions de francs qui lui avaient été confiés par la municipalité de Carcassonne pour construire un espace international de séjour. ROUMANIE Frontières. Les autorités annoncent le démantèlement des barrières de barbelés qu’elles avaient commencé à faire ériger sur la frontière commune avec la Hongrie pour empêcher la fuite vers ce pays des minorités magyares victimes d’une politique d’assimilation forcée. Mardi 27 CEE Le Conseil européen réuni depuis la veille à Madrid aboutit à un compromis entre la Grande-Bretagne et ses onze partenaires au sujet de l’union économique et monétaire, dont la première étape doit débuter le 1er juillet 1990. FRANCE Vie politique. Le RPR, l’UDF et le CDS décident de former un intergroupe de l’opposition à l’Assemblée nationale (22). Mercredi 28 FRANCE Administration. Dans son rapport public annuel remis au président de la République, la Cour des comptes critique la gestion du Fonds national pour l’emploi, du palais omnisport de Paris-Bercy, de la mission « Banlieues 89 », des Charbonnages de France, du Plan câble et du Minitel ainsi que le coût de la formation des agents de la Sécurité sociale. Patrimoine. M. Jacques Chirac inaugure les nouveaux locaux du musée Carnavalet, à Paris. L’aménagement de l’hôtel Le Peletier de SaintFargeau permet de doubler les surfaces d’exposition du musée, consacré à l’histoire de la capitale. YOUGOSLAVIE Nationalités. La commémoration du six centième anni- versaire de la bataille de Kosovo est célébrée par plus d’un million de nationalistes serbes. Jeudi 29 EUROPE Armement. Réunis à Lisbonne, les ministres européens de la Défense des pays membres de l’alliance atlantique décident de lancer un programme de recherches technologiques à des fins militaires baptisé Euclid (European Coopération for the Long-term in Defense), inspiré du programme civil Eurêka. downloadModeText.vue.download 77 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 76 FRANCE Justice. Au terme de 32 jours d’audience, la cour d’assises du Rhône, spécialement composée, rend son verdict dans le jugement des dix-neuf membres de la branche lyonnaise d’Action directe impliquée dans trois homicides volontaires et trente-quatre attaques à main armée en six ans. André Olivier, Maxime Frérot et Émile Ballandras sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Des peines de prison sont prononcées à rencontre des autres accusés. Logement. L’Assemblée nationale adopte définitivement la proposition de loi sur les rapports entre propriétaires et locataires qui modifie la « loi Méhaignerie » de 1986. Le gouvernement peut désormais limiter par décret les hausses de loyer. C’est la troisième loi sur le sujet depuis sept ans. Fonction publique. L’accord cadre sur la formation continue est le premier jamais conclu entre le gouvernement et les syndicats de fonctionnaires dans un autre domaine que celui des salaires. ISRAËL Troubles. L’expulsion de huit Palestiniens vers le Liban porte à 53 le nombre de personnes ayant fait l’objet de mesures de bannissement depuis le début du soulèvement dans les territoires occupés. Vendredi 30 FRANCE Opéra. L’oratorio de Marius Constant intitulé Des Droits de l’homme est créé à Marseille sous la direction du compositeur. URSS Édition. L’Union des écrivains, organe officiel, autorise la publication de l’Archipel du Goulag, d’Alexandre Soljenitsyne. Ce dernier avait été banni de son pays au mois de février 1974 après la parution de son livre à Paris. SOUDAN Coup d’État. Un putsch militaire dirigé par le général Omar El Bechir renverse le gouvernement de M. Sadek El Mahdi, accusé d’incurie dans le règlement de la crise économique et de la guerre civile. Le mois de Marius Constant Octobre 1988 : la cour de l’hospice de la Vieille Charité ; visite des lieux destinés à la création de l’oratorio Des droits de l’homme, que je me suis engagé à écrire et à composer, à la demande de la municipalité de Marseille. Quelques essais acoustiques et des décisions sur la localisation des choeurs, de l’orchestre, des récitants et des solistes. J’imagine un discours musical dense, qui demande des masses « berlioziennes ». « Vous aurez deux chorales venant d’Estonie, une de Hongrie, plus les choeurs et l’orchestre philharmonique de Marseille et le groupe de Musique expérimentale. Avec vos solistes : 300 participants ! » Après l’euphorie, l’angoisse de la page blanche ; je plonge dans les dizaines de livres écrits sur le sujet. I. Origines. Un survol de six siècles : Magna Carta, premier pacte de la Confédération helvétique, Habeas Corpus, Bill of Rights, Constitution américaine... Le personnage de La Fayette fait naturellement la transition avec son (II. Initiation) maçonnique à la loge « la Candeur » de Paris. L’ésotérisme de cette cérémonie m’incite à écrire un choeur de maçons (pardon Mozart !) sur le symbolisme de la lettre G... Le profane La Fayette, humble devant le grand maître de la loge, se transforme en (III. Versailles) un personnage sûr de lui, arrogant, devant Louis XVI. En uniforme de général américain, il fait l’éloge de la liberté et de la tolérance, rencontrées outre-Atlantique. Le roi : « Sachez Monsieur que la loi souveraine est la dépendance et la subordination ! » downloadModeText.vue.download 78 sur 509 CHRONOLOGIE 77 C’est le point central. Il faut décrire musicalement l’effervescence et l’explosion de 1789 : le clavecin présent tout le long de ce tableau, avec sa connotation « Ancien Régime », est agressé, déchiqueté par un orchestre fou. IV. Doléances. Un lamento en triple choeur sur les taxes, dîmes et autres gabelles, un texte sur l’émancipation des femmes et, à la fin, un cantique protestant chanté en contrepoint avec le « Schéma Israël » (célébration de la liberté des cultes). V. La Déclaration. Le texte, admirable d’intentions, mais rédigé dans un style notarial, devait être récité par un grand tragédien. D’autre part, une lecture continue des dix-sept articles allait casser le rythme général de l’ouvrage. J’ai dessiné des entrelacs : la voix tonnante d’Alain Cuny est ornée de cinq airs (sur des textes de Lou Bruder) chantés par la jeune soprano Marie Atger. VI. Final. Un chant d’espoir, – large polyphonie des choeurs – finissant à l’unisson : « La vie est venue se poser sur mon épaule comme une colombe apprivoisée. » Marseille, le 30 juin 1989 : la Première. Silence total du public durant l’exécution et merveilleux accueil. Dans la nuit, une deuxième grande joie : l’URSS autorise la publication de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne. MARIUS CONSTANT Météo : le Printemps De l’équinoxe à la fin de mars, les hautes pressions situées sur l’Europe centrale favorisent l’advection d’air chaud depuis le sud et entretiennent des types de temps estivaux. Les températures maximales atteignent de nouveaux records mensuels : 23,5 °C à Trappes, 21,9 °C à Langres, 24,7 °C à Paris-Montsouris... le 29 mars, 25 °C à Luxeuil, 25,6 °C à Romorantin, 25,5 °C à Colmar le 30. Les pluies sont peu abondantes ; le 31, cependant, de violents orages accompagnés de rafales de vent et de grêle s’abattent dans les régions de Samatan, de Bordes-sur-Arize et de Lannemezan. La douceur et la sécheresse qui prévalent depuis plus de trois mois sont brusquement interrompues par la disparition des hautes pressions et l’installation durable d’un régime perturbé. Du 31 mars au 8 avril, les perturbations circulant dans un flux de nord entraînent une chute de 13 à 22 °C des températures maximales ! Il neige même le 4 sur tout le quart nord-ouest du pays. Que d’eau en avril ! Le mois d’avril, qui n’a connu qu’un court épisode de douceur, du 8 au 12, a été plutôt frais. Les températures moyennes régionales ont été inférieures aux normales 1951-1980, comme à celles de mars. Entre le 25 et le 30 avril, des températures maximales anormalement basses sont relevées : 7 °C à Chartres le 25 ; 6,4 °C à Troyes, 7,5 °C à Mâcon, 10,6 °C à Nîmes le 26 ou encore 10,2 °C à Dax le 29. Mais avril 1989 est surtout un mois extrêmement pluvieux qui, depuis 1957, n’a eu d’égal qu’avril 1986. Il est vrai que l’ensemble du pays a subi, tout au long du mois, l’influence de perturbations généralement actives venues du nord (du 31 mars au 7 avril), de l’Atlantique (du 9 au 22 et du 24 au 30) ou de remontées de masses d’air chaud imputables à des dépressions situées sur l’Espagne ou la Méditerranée. À l’échelle régionale, les hauteurs mensuelles représentent 1,7 à 2,7 fois les hauteurs normales ; à l’échelle locale, de nombreux records mensuels sont battus : 121 mm à Aulnat (a.r. : 115 mm en 1983), 154,2 mm à Vichy (a.r. : 132.3 mm), 229 mm à Mont-de-Marsan au lieu de 151,1 en 1986... Des pluies journalières remarquables par leur abondance sont mesurées dans la moitié sud du pays : 66 mm à Pau le 17,115 mm à Murat, 96 mm à Castans, 71 mm à Mâcon le 25. Ces abats provoquent dans la région lyonnaise, en Ardèche et dans le Gard la crue brutale de nombreux cours d’eau. Des chutes de neige ont été observées le 14 avril dans les Alpes centrales, dans le massif du Queyras et même dans les monts de Lacaune. Au 30 avril, le bilan hydrique des sols est redevenu normal à excédentaire sur la quasi-totalité du territoire. Le rapport R/RU de la réserve disponible à la réserve utile demeure cependant inférieur à 60 % dans l’Aude, le Roussillon, les Bouches-du-Rhône et dans les régions de Toulon et de Nîmes. D’autres régions du monde sont affectées par des pluies torrentielles et des inondations : Djibouti, une des régions les plus arides de la planète, du 7 au 10 avril ; l’État de Ceara au N.-E. du Brésil, du 10 au 12 ; en Nouvelle-Calédonie, le 10, au moment du passage du cyclone Lily. Le 26, la région de Manikganj, au Bangladesh, est ravagée par une tornade meurtrière (1 600 morts, 12 000 blessés). downloadModeText.vue.download 79 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 78 Sécheresse en mai Mai, à l’inverse d’avril, est exceptionnellement chaud et sec. Les températures moyennes sont, selon les régions, de 1,4 à 4,2 °C supérieures aux normales ; elles se placent au 1er ou au 2e rang des valeurs mesurées depuis 1957. Beaucoup de records ponctuels sont battus ; pour les températures minimales élevées, notons par exemple 17,2 °C à Vannes le 20, 15,4 °C à Saint-Dizier le 23, 19,3 °C à Bordeaux le 24 et, pour les températures maximales : 27,6 °C à Beauvais, 27,9 °C à Metz le 20, 29,1 °C à Dinard le 21 mai. Dans maintes stations, les températures moyennes mensuelles flirtent avec les records absolus et le nombre de jours chauds (jours où la température maximale est supérieure à 25 °C) est très élevé : 16 jours à Nîmes, 13 jours à Saint-Yan et à Bourges, 12 à Angers et Lorient... Au plan de la pluviométrie, mai 1989 se classe parmi les mois de mai les plus secs observés depuis 32 ans. Les déficits sont supérieurs à 39 % dans le Centre-Est, à 66 % dans l’Ouest et le Nord, à 80 % dans le Sud-Est et en Corse. La nébulosité étant très faible, la durée de l’insolation a atteint des valeurs inhabituelles : 315 heures à Paris-Montsouris au lieu de 288 en 1944, 350 heures à Reims au lieu de 255 en 1952, 320 heures à Angers au lieu de 280 en 1952. À la fin du mois, les réserves en eau des sols sont très faibles dans le sud de la Bretagne, en Berry, en downloadModeText.vue.download 80 sur 509 CHRONOLOGIE 79 Poitou-Charentes et au sud de la ligne LibourneAlbi-Nice, où R/RU est inférieur à 40 %. Juin qui finit bien Du 31 mai au 9 juin, l’ensemble du pays, à l’exception du Midi méditerranéen, connaît les effets d’un régime perturbé de nord, puis de nordouest. Brumes et nuages bas de début de matinée, averses ou pluies orageuses alternant avec de brèves éclaircies entretiennent des températures minimales et maximales inférieures aux normales (4 à 8°C et 16 à 19 °C respectivement dans les Pays de Loire et le Centre par exemple). Ce temps frais et maussade fait place, à partir du 10, à des types de temps qui, caractérisés par un bon ensoleillement, des températures élevées, de brefs orages de chaleur et une sécheresse accusée dans certaines régions, sont vraiment estivaux. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 81 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 80 Juillet Samedi 1er CEE La France assure pour six mois la présidence de la Communauté européenne. FRANCE Législation. Le Parlement adopte les lois relatives à la prévention du licenciement économique, au Xe Plan, à la sécurité et à la transparence du marché financier, à la sécurité routière. GRÈCE Vie politique. Le Parti communiste annonce que le Rassemblement de la gauche et du progrès qu’il préside accepte de soutenir un gouvernement minoritaire dirigé par M. Tzannis Tzannétakis, numéro deux de la Nouvelle Démocratie (conservateur). Mis en place le 2 pour trois mois, celui-ci a pour mission de rétablir le fonctionnement normal des institutions et de moraliser la vie politique. HONGRIE Audiovisuel. Balaton Channel, première chaîne de télévision privée des pays de l’Est, commence à émettre. Ses programmes comprennent des films, des clips et des émissions d’information en langues hongroise et allemande. URSS Nationalités. Dans une allocution télévisée, M. Mikhaïl Gorbatchev lance une sévère mise en garde contre la montée des nationalismes et les affrontements interethniques qui menacent la perestroïka et « l’intégrité de l’État ». Dimanche 2 URSS Vie politique. Ministre des Affaires étrangères de 1957 à 1985 et chef de l’État de 1985 à 1988, Andreï Gromyko meurt à l’âge de 79 ans. Le 5, ses obsèques ne donnent lieu qu’à une cérémonie brève et discrète. ALGÉRIE Vie politique. Les députés adoptent la loi sur les associations à caractère politique qui autorise le multipartisme et met ainsi fin au monopole du FLN au pouvoir depuis 1962. Lundi 3 FRANCE Audiovisuel. Le Parlement adopte la loi instituant une présidence commune pour Antenne 2 et FR3. ARGENTINE Justice. Le tribunal de Mar del Plata condamne l’ancien champion de boxe Carlos Monzon à onze ans de prison pour le meurtre de sa compagne, commis au mois de février 1988. Mardi 4 FRANCE Relations internationales. Le chef de l’État soviétique, M. Mikhaïl Gorbatchev, entame à Paris une visite officielle downloadModeText.vue.download 82 sur 509 CHRONOLOGIE 81 de trois jours. Le 5, il signe avec le président François Mitterrand une déclaration réaffirmant l’indépendance et la souveraineté du Liban. Le 6, à Strasbourg, il expose aux parlementaires du Conseil de l’Europe le principe de maison commune européenne et réitère ses propositions de négociation sur les armes nucléaires tactiques. Éducation nationale. Le Parlement adopte la loi d’orientation. Les polémiques autour du texte se sont apaisées après les concessions de M. Lionel Jospin. BELGIQUE Accident aérien. Après avoir survolé pendant plus d’une heure la RFA, les Pays-Bas et une grande partie de la Belgique, un Mig 23 soviétique dont le pilote s’était éjecté au-dessus de la Pologne s’écrase près de Courtrai à court de carburant, causant la mort d’une personne. URSS v. France Mercredi 5 FRANCE Audiovisuel. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) exige des chaînes de télévision qu’elles ne diffusent pas de films interdits aux mineurs avant 22h30. Cette décision suscite une protestation des professionnels. ISRAËL Vie politique. Lors de la réunion du comité central du Likoud, le Premier ministre Itzhak Shamir cède aux exigences de l’aile droite de son parti menée par M. Ariel Sharon en acceptant d’apporter des restrictions à son plan de paix qui prévoit des élections dans les territoires occupés. Le 23, un compromis évite aux travaillistes de quitter la coalition gouvernementale. AFRIQUE DU SUD Vie politique. Au Cap, le président Pieter Botha rencontre en secret le leader noir du Congrès national africain (ANC) Nelson Mandela, emprisonné depuis 27 ans, qui se prononce en faveur d’une « évolution pacifique » du pays. ÉTATS!UNIS Justice. Reconnu coupable le 4 mai d’obstruction à l’enquête menée par le Congrès sur les ventes d’armes à l’Iran, de destruction de documents et d’acceptation illégale d’un don en nature, le lieutenant-colonel Oliver North, principal accusé du procès de l’Irangate, est condamné à trois ans de prison avec sursis. Il décide de faire appel. Jeudi 6 ÉGLISE CATHOLIQUE Miracle. L’archevêque de Catane (Italie) reconnaît officiellement la guérison, à Lourdes en 1976, de Delizia Cirolla, une jeune Sicilienne atteinte d’un sarcome d’Ewing. SCIENCES Énergie nucléaire. L’hebdomadaire britannique Nature présente un bilan négatif des tentatives de vérification de l’expérience de fusion à froid (ou fusion nucléaire de l’hydrogène à température ambiante) que les chercheurs Martin Fleischmann et Stanley Pons avaient affirmé avoir effectuée (23 mars). FRANCE Météorologie. La violente tempête qui frappe le Sud-Ouest durant toute la nuit provoque de gros dégâts, en particulier dans certains vignobles du bordelais, dont ceux de Sauternes. HONGRIE Vie politique. Secrétaire général du PSOH (Parti communiste) depuis la fin de l’insurrection de 1956 downloadModeText.vue.download 83 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 82 jusqu’au mois de mai 1988, puis nommé au poste honorifique de président du Parti, Janos Kadar meurt à l’âge de 77 ans. Il avait été exclu du Comité central le 8 mai. Le même jour, la Cour suprême réhabilite officiellement Imre Nagy, l’ancien président du Conseil exécuté le 16 juin 1958. ISRAËL Terrorisme. Un accident d’autobus provoqué par un Palestinien sur l’autoroute Tel-Aviv-Jérusalem cause la mort de quatorze personnes. TIERS MONDE Dette. Le président américain George Bush annonce l’annulation de la dette publique des pays de l’Afrique subsaharienne pour un montant de 1 milliard de dollars. Vendredi 7 FRANCE Justice. La cour d’appel de Paris confirme un jugement du tribunal de Fontainebleau relatif à l’indemnisation d’une victime de la route contaminée par le virus du Sida après une transfusion en janvier 1985. Le dépistage automatique du virus avant les transfusions n’étant pas alors obligatoire, la cour impute la responsabilité du dommage à l’auteur de l’accident qui devra payer 2 300 000 F de réparations. CUBA Overdose C’était un combattant de la première heure de la sierra Maestra, le vainqueur de la guerre de l’Ogaden en 1978, le commandant en chef des troupes castristes en Angola en 1987-1988 et l’un des six « héros de la République de Cuba ». Le 7 juillet, le général de division Arnaldo Ochoa est condamné à mort pour trafic de drogue. Au terme d’une enquête ordonnée en avril par Fidel Castro, le général Ochoa est arrêté le 14 juin en compagnie d’autres officiers. Parmi eux se trouve le colonel Antonio de la Guardia qui dirige, au ministère de l’Intérieur, le service chargé de lutter « par tous les moyens » contre le blocus économique imposé par les États-Unis. Ils sont accusés d’avoir fait transiter par Cuba, grâce au réseau du colonel de la Guardia, six tonnes de cocaïne et plusieurs tonnes de marijuana en provenance de Colombie et à destination des États-Unis, pour un profit de 3,4 millions de dollars. Le 27, un jury d’honneur composé de hauts responsables militaires déclare les six hommes coupables de « trahison » et réclame à leur encontre la peine de mort. Tout est joué. L’épreuve est douloureuse pour le régime castriste qui prétend, en cette année du trentième anniversaire, défendre la pureté du dogme marxiste-léniniste face à la perestroïka jugée corruptrice. De plus, le scandale donne raison aux États-Unis qui dénonçaient l’existence d’une « Cuban connection » depuis le début des années 80. A-t-on jugé le moment opportun pour procéder à une épuration que la précision croissante des accusations américaines rendait chaque jour plus nécessaire ? Le castrisme a toujours montré du goût pour les procès à grand spectacle. Celui qui s’ouvre le 30 juin devant la cour martiale, dont le procureur n’est autre que le ministre de la Justice, ne fait pas exception. Tous les accusés plaident coupables. D’étranges zones d’ombre subsistent toutefois dans le dossier. Jusqu’à quel point le trafic de drogue n’était-il pas, pour le colonel de la Guardia, le moyen – toléré – de mener à bien une mission de plus en plus coûteuse ? Mais, surtout, de quoi le général Ochoa est-il vraiment coupable ? Le « héros de la République » était l’unique personnalité cubaine, en dehors de Fidel Castro, à déclencher des applaudissements spontanés dans les rues. Le général, que le ministre des Forces armées et frère du « lider máximo » Raul Castro accuse d’avoir eu des tendances « populistes », allait recevoir le commandement de l’armée occidentale chargée de la défense de la capitale. A-t- on craint l’éclat de son étoile montante ? Le général Ochoa, le colonel de la Guardia et deux de leurs coaccusés sont fusillés le 13 après que le Conseil de l’État dirigé par Fidel Castro leur a refusé sa grâce. downloadModeText.vue.download 84 sur 509 CHRONOLOGIE 83 Samedi 8 FRANCE Commémoration. En réaction aux fastes des cérémonies officielles du bicentenaire de la Révolution française, la Ligue communiste révolutionnaire (trotskiste), le chanteur Renaud et l’écrivain Gilles Perrault organisent, sous le slogan Ça suffat comme ci, une manifestation à Paris contre « le sommet des riches, la dette du tiers monde, la faim, l’apartheid et les dernières colonies », suivie d’un grand concert gratuit place de la Bastille. Justice. Le Conseil constitutionnel rejette l’amendement socialiste qui élargissait la loi d’amnistie des militants indépendantistes guadeloupéens et corses, votée le 3, aux licenciés pour « faute lourde ». Il aurait permis de réintégrer dans leur entreprise les dix militants CGT de Renault-Billancourt exclus en octobre 1986 pour avoir commis des violences dans l’usine. La CGT proteste et exige l’intervention directe du chef de l’État. Le 10, le ministre de Travail désigne un médiateur. Conflits sociaux. Un accord industriel et social concernant l’avenir du site de construction navale de La Ciotat est signé entre les pouvoirs publics, les collectivités locales et les syndicats. Il met fin à 276 jours de conflit et d’occupation du chantier. SPORT Boxe. Victime d’une entorse après deux minutes de combats, le Français René Jacquot perd son titre de champion du monde des superwelters (WBC) face à l’Ougandais John Mugabi au cours d’un combat organisé dans le parc d’attraction de Mirapolis (Val-d’Oise). Dimanche 9 POLOGNE Relations internationales. Accueilli avec enthousiasme, le président George Bush effectue une visite de deux jours à Varsovie et à Gdansk au cours de laquelle il présente un plan d’aide économique américaine d’ampleur modeste (11). SOUDAN Vie politique. Dix jours après le coup d’État du général Omar El Bechir, la nomination d’un gouvernement composé de proches de l’organisation des Frères musulmans confirme l’orientation islamique du nouveau régime (30 juin). ÉTATS!UNIS v. Pologne SPORT Tennis. Les Allemands de l’Ouest réalisent leur premier doublé dans un tournoi du grand chelem lors des Internationaux de GrandeBretagne au stade de Wimbledon. Boris Becker l’emporte en finale sur le Suédois Stefan Edberg (6-0, 7-6, 6-4) et Steffi Graff sur l’Américaine Martina Navratilova (6-2, 6-7, 6-1). Lundi 10 FRANCE Paris. Le préfet de police informe le Conseil de Paris des mesures exceptionnelles relatives à la circulation et au stationnement dans le centre de la capitale durant la semaine où doivent se dérouler les fêtes du bicentenaire de la Révolution française et le sommet des Sept. Un renforcement de la présence policière et militaire ainsi que la surveillance downloadModeText.vue.download 85 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 84 aérienne des zones sensibles à l’aide d’un dirigeable sont prévus. Bourse. L’introduction des titres du groupe de couture et de parfum Yves Saint-Laurent sur le second marché connaît un fort succès. Seuls 3,72 % des ordres d’achat peuvent être servis. Cinéma. Dans la salle de la Géode de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, le président François Mitterrand assiste à la présentation de J’écris dans l’espace, de Pierre Etaix. Il s’agit du premier film de fiction réalisé en procédé Omnimax, qui permet la diffusion d’une image sur 180 degrés. URSS Conflits sociaux. Dans le Kouzbass, en Sibérie, les mineurs de charbon déclenchent un mouvement de grève qui s’étend au Donbass, en Ukraine, à partir du 17. Les salaires, les conditions de travail et de vie ainsi que la lenteur des réformes sont à l’origine de ce conflit d’une ampleur sans précédent qui accentue les divergences entre réformateurs et conservateurs. Les accords passés le 19 entre le gouvernement et les mineurs du Kouzbass permettent une reprise progressive du travail en Sibérie. La grève cesse à la fin du mois en Ukraine. Mardi 11 FRANCE Musique. Le Festival d’Aix-en-Provence présente la reconstitution de la version scénique de The Fairy Queen, de Purcell, dirigée par William Christie et mise en scène par Adrian Noble. GRANDE!BRETAGNE Théâtre. L’un des plus grands acteurs shakespeariens du siècle, sir Laurence Olivier, meurt à l’âge de 82 ans. HONGRIE Relations internationales. Le président américain George Bush séjourne jusqu’au 13 à Budapest où il plaide, comme en Pologne, en faveur d’une Europe « réconciliée, entière et libre » (9). ÉTATS!UNIS v. Hongrie Mercredi 12 FRANCE Massacre. À Luxiol (Doubs), un agriculteur, saisi de folie meurtrière, tue au fusil de chasse quatorze personnes, dont trois enfants, avant d’être maîtrisé par les gendarmes. Théâtre. En ouverture du Festival d’Avignon, Jeanne Moreau et Lambert Wilson interprètent la Célestine (1499), de Fernando de Rojas, mis en scène par Antoine Vitez dans la cour d’honneur du palais des Papes. IRLANDE Gouvernement. Le Parlement accorde sa confiance au quatrième cabinet dirigé par M. Charles Haughey (Fianna Fail ; nationaliste), qui a dû se résoudre à former une coalition avec les Démocrates progressistes. Jeudi 13 FRANCE Commémoration. Les manifestations officielles des fêtes du bicentenaire de la Révolution débutent, à midi, par une célébration des Droits de l’homme sur le parvis du Trocadéro à laquelle assistent, autour du président downloadModeText.vue.download 86 sur 509 CHRONOLOGIE 85 François Mitterrand, les trente-deux chefs d’État ou de gouvernement invités pour l’occasion. Les hôtes du chef de l’État se rendent le même soir à l’Opéra Bastille, qui est inauguré par un spectacle lyrique mis en scène par Bob Wilson et dirigé par Georges Prêtre, avec la participation de June Anderson, Teresa Berganza, Placido Domingo, Barbara Hendricks, Ruggero Raimondi. KURDES M. Abdel Rahman Ghassemlou, secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) et principal dirigeant kurde iranien, en lutte contre le gouvernement de Téhéran, est assassiné à Vienne avec deux autres responsables du PDKI au cours d’une entrevue avec des émissaires iraniens. ÉTATS!UNIS Sociétés. La multinationale anglo-néerlandaise Unilever annonce l’achat des firmes Fabergé et Elizabeth Arden pour 1,55 milliard de dollars (10 milliards de francs environ). Elle contrôle ainsi 10 % du marché des cosmétiques et rattrape son concurrent l’Oréal. Vendredi 14 SCIENCES Physique. Le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) met en service le LEP (Large Electron Positron Collider), plus grand accélérateur de particules au monde. Cet anneau souterrain de 27 kilomètres de circonférence, bâti sur la frontière franco-suisse près de Genève, permet d’analyser des faisceaux de particules d’une puissance de 100 GeV (gigaélectronvolt). GROUPE DES SEPT Un sommet révolutionnaire Le choix du président de la République de faire coïncider la réunion annuelle des pays les plus industrialisés avec la célébration du bicentenaire de la Révolution française, en juillet, à Paris, ne fait pas l’unanimité. Les sans-culottes d’aujourd’hui ne sont-ils pas ces habitants du tiers monde écra- sés par leur dette envers les pays occidentaux ? Tandis que le chanteur Renaud prête son nom, le 8, à une manifestation « contre le sommet des riches », « l’autre sommet économique », qui réunit chaque année des représentants de sept pays parmi les plus pauvres, connaît une renaissance. Enfin, l’initiative prise la veille de l’ouverture du sommet de Paris par les présidents du Sénégal, de l’Égypte, du Venezuela et de l’Inde, invités aux festivités du Bicentenaire, de réclamer la tenue de sommets Nord-Sud réguliers se veut un rappel des relations existant entre développement des uns et croissance des autres. Inauguré le 14 sous la pyramide du Louvre pour se poursuivre les 15 et 16 au trente-cinquième étage de la nouvelle Arche de la Défense, le sommet des Sept (Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon, RFA) s’achève sur un bilan qui privilégie toutefois l’axe Est-Ouest. Ses conclusions n’en sont pas moins « révolutionnaires ». Après s’être félicités du processus de réformes en cours en Pologne et en Hongrie, les Sept se disent prêts à « envisager, selon les besoins et d’une façon coordonnée, une aide économique destinée à transformer et à ouvrir leurs économies d’une manière durable ». Cette proposition fait écho à la lettre adressée le 14 à M. François Mitterrand par M. Mikhaïl Gorbatchev, dans laquelle ce dernier évoque la destruction des « vieilles barrières artificielles entre les systèmes économiques ». Cette déclaration illustre également la nouvelle répartition des rôles entre Européens et Américains. C’est en effet à la Commission de Bruxelles – dont le président Jacques Delors assiste au sommet – que les Sept confient le soin de coordonner l’aide occidentale. Révolutionnaire aussi, malgré l’absence de mesures nouvelles au sujet de la dette du tiers monde, la déclaration économique avertit dès ses premières lignes que « le sommet de l’Arche marque le début d’un nouveau cycle ». N’annonce-t-il pas la transformation du club que formaient les Sept à l’origine en ce « directoire » mondial qu’ils se défendaient alors de constituer ? Après le Sud, les Sept élargissent leur champ d’action à l’Est. Mais leurs préoccupations vont aussi, pour la première fois, à l’environnement – plus du tiers de la déclaration économique y est consacré downloadModeText.vue.download 87 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 86 – et à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela fait longtemps que les puissances occidentales n’étaient pas apparues aussi souveraines. FRANCE Vie politique. Dans sa traditionnelle allocution télévisée à l’occasion de la fête nationale, le président François Mitterrand propose de réviser la Constitution afin de permettre à chaque citoyen de saisir directement le Conseil constitutionnel « s’il estime ses droits fondamentaux méconnus ». Commémoration. Les chefs d’État et de gouvernement invités aux festivités du bicentenaire de la Révolution assistent, sur les Champs-Élysées, à un défilé militaire particulièrement fourni, placé sous le thème de « l’armée et la nation ». Le soir, au même endroit, se déroule sous leurs yeux – et ceux de centaines de milliers de Parisiens – une grande parade imaginée par le publicitaire Jean-Paul Goude, que retransmettent les télévisions de cent deux pays. Terrorisme. Trois membres présumés de l’IRA sont interpellés par la DST au péage autoroutier de Saint-Avold (Moselle). Soupçonnés d’avoir participé à des attentats contre les forces britanniques stationnées en RFA, ils sont inculpés et écroués le 18 à Paris. SOMALIE Troubles. À Mogadiscio, des émeutes suscitées par l’arrestation de dignitaires musulmans sont l’objet d’une sanglante répression. Samedi 15 URSS Nationalités. Dans la République autonome d’Abkhazie (Géorgie), des affrontements meurtriers opposent des Géorgiens, chrétiens, à des Abkhazes, musulmans, qui revendiquent un statut de république fédérée pour leur région. Les troubles s’étendent au cours du mois à l’ensemble de la Géorgie. Dimanche 16 MUSIQUE Requiem Chef d’orchestre génial, star internationale, homme d’affaires avisé : avec Herbert von Karajan, décédé le 16 juillet à Salzbourg à l’âge de 81 ans, la musique perd son démiurge. Homme d’un orchestre – le Philharmonique de Berlin –, d’un lieu – le Festspielhaus de Salzbourg –, d’une maison de disques – Deutsche Grammophon –, Karajan a servi la musique autant qu’elle l’a servi, pour la plus grande gloire de l’art et de l’artiste. Si ce musicien au talent fou a toujours fait figure d’homme pressé, c’est que l’ambition qui le portait était trop haute pour être jamais satisfaite. Né à Salzbourg en 1908, diplômé chef d’orchestre à 21 ans, il est aussitôt engagé à l’Opéra d’Ulm alors même qu’il n’a jamais dirigé d’oeuvre lyrique. Il n’hésite pas à s’affilier au parti nazi dès avril 1933 pour mieux gravir les échelons qui le mènent de l’Opéra d’Aix-la-Chapelle en 1935, à celui de Berlin en 1941. Après la guerre – et sa réhabilitation –, il entame une carrière internationale à la Scala de Milan. Tenu à l’écart de Vienne et de Salzbourg par Wilhelm Furtwängler, il est consacré, en 1955, « chef à vie » du Philharmonique de Berlin. L’année suivante, il prend enfin la direction de l’Opéra de Vienne. Il en claque la porte en 1964. Trois ans plus tard, comme une sorte de défi à Vienne et à Bayreuth, il lance un festival Wagner à Salzbourg. En 1969, il est nommé conseiller musical de l’Opéra de Paris, poste qu’il abandonne deux ans plus tard faute de pouvoir y consacrer suffisamment de temps. Berlin, Vienne et Salzbourg deviennent alors les capitales de son empire musical et économique. Le premier, en 1938, à comprendre l’importance de l’enregistrement, Karajan a vendu au cours de sa carrière 115 millions de disques pour la seule marque à l’étiquette jaune. Il s’est aussi intéressé au cinéma et au vidéodisque et a créé dans ces deux domaines des sociétés qui ont engrangé downloadModeText.vue.download 88 sur 509 CHRONOLOGIE 87 des heures de témoignages audiovisuels. Mais qu’on le décrive comme un technocrate arriviste ne l’empêche pas, sitôt au pupitre, d’entraîner son public dans un monde de perfection et de beau- té. Jamais vénéré à l’instar de Bruno Walter, Arturo Toscanini ou Wilhelm Furtwängler, il les dépasse tous par son charisme sans égal. Souffrant de polyarthrite, il subit en 1975 une première opération de la colonne vertébrale. Plus sa santé décline, plus il charge son programme. Monter au pupitre devient pour lui un calvaire, même si la musique le transfigure dès les premières mesures. À la douleur physique s’ajoute une épreuve morale. À partir de 1982, un conflit l’oppose aux musiciens du Philharmonique de Berlin, excédés par son autoritarisme. Sa démission de la direction de cette formation, en avril de cette année – venant après sa brouille avec les organisateurs du festival de Salzbourg –, résonne comme un coup de grâce. Lundi 17 CEE L’Autriche dépose officiellement sa demande d’adhésion à la Communauté européenne, mais sa neutralité rend sa candidature problématique. AUTRICHE v. CEE POLOGNE!VATICAN Diplomatie. Le gouvernement de Varsovie et le SaintSiège rétablissent leurs relations rompues au mois de septembre 1945. ÉTATS!UNIS Défense. Surnommé l’« avion furtif » pour sa capacité à échapper à la détection des radars, le bombardier B-2 effectue son premier vol en Californie. Mardi 18 ÉGLISE CATHOLIQUE Édifices cultuels. Après trois mois de réflexion, le pape JeanPaul II accepte le don de la basilique NotreDame-de-la-Paix, réplique de Saint-Pierre de Rome, édifiée sur l’initiative du président Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, son village natal devenu capitale de la Côte-d’Ivoire. FRANCE Banditisme. Quatre appelés parachutistes de la base aéroportée de Toulouse-Francazal, auteurs présumés d’une série de viols et de meurtres, sont arrêtés à l’issue d’une cavale mouvementée. Ils sont inculpés et écroués le 20. Architecture. M. Michel Rocard inaugure la Grande Arche de la Défense conçue par l’architecte danois décédé Otto von Spreckelsen et achevée par le Français Paul Andreu. Il visite l’exposition la Traversée de Paris consacrée à l’histoire de la capitale. L’édifice doit abriter, entre autres, les bureaux du ministère de l’Équipement et du Logement. CÔTE!D’IVOIRE v. Église catholique KENYA Braconnage. Dans le parc national de Nairobi, le président Daniel Arap Moi allume un immense brasier dans lequel douze tonnes d’ivoire provenant de saisies sont détruites (5 juin, 17 août et 20 octobre). Mercredi 19 FRANCE Justice. Le juge d’instruction J.-L. Bruguière accepte de lever l’interdiction absolue de communiquer qu’il avait ordonnée à l’égard downloadModeText.vue.download 89 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 88 des quatre « chefs historiques » d’Action directe condamnés à la prison à vie au mois de janvier 1989. Le 21, ceux-ci cessent la grève de la faim qu’ils menaient depuis le 20 avril afin d’obtenir le statut de « prisonnier politique ». Finances. M. Pierre Bérégovoy présente en Conseil des ministres le plan d’épargne populaire (PEP) qui est destiné à développer une épargne longue. Il doit remplacer, à partir de janvier 1990, le plan d’épargne retraite (PER) institué par M. Édouard Balladur au mois de juin 1987. Édition. Les Versets sataniques, le roman qui a valu à son auteur Salman Rushdie d’être condamné à mort par l’imam Khomeyni, paraissent dans leur traduction française aux éditions Christian Bourgois. POLOGNE Élection présidentielle. Candidat unique, le général Wojciech Jaruzelski est élu par la Diète à une seule voix de majorité. Le 30, le Premier ministre sortant, M. Mieczyslaw Rakowski, le remplace au secrétariat général du POUP (Parti communiste). SUISSE Justice. Arrêté le 18 avril en exécution d’un mandat américain, l’homme d’affaires saoudien Adnan Kashoggi est extradé vers les États-Unis avec son accord. Incarcéré à New York, il est remis en liberté le 27, après avoir payé une caution de 10 millions de dollars et accepté de porter un bracelet électronique permettant de contrôler ses allées et venues. ÉTATS!UNIS Catastrophe aérienne. Après l’explosion d’un de ses réacteurs qui provoque une panne générale de ses circuits hydrauliques, un DC-10 de la compagnie United Airlines s’écrase près de Sioux-City, dans l’Iowa. Il y a 110 morts et 183 rescapés. Jeudi 20 FRANCE Loisirs. Après plusieurs accidents mortels et dans l’attente d’une réglementation spécifique, le ministère de l’Intérieur demande aux maires d’interdire la pratique du saut à l’élastique qui consiste à se jeter dans le vide, accroché par un câble élastique. ÉTATS!UNIS Espace. Dans un discours prononcé à l’occasion du vingtième anniversaire de la première mission humaine sur la Lune, le président George Bush annonce la poursuite du programme d’exploration spatiale américain, de nouveau vers la Lune, puis vers Mars. Vendredi 21 URSS Gouvernement. La composition du nouveau Conseil des ministres présenté par son président, M. Nicolaï Ryjkov, illustre un certain renouvellement des dirigeants et une diminution du nombre des portefeuilles. ÉTATS!UNIS Espionnage. Le département d’État annonce qu’un diplomate américain, M. Felix Bloch, fait l’objet d’une enquête du FBI. Un film de l’agence de contre-espionnage diffusé à la télévision le montre en train de remettre une mallette à un agent soviétique, à Vienne où il était le numéro deux de l’ambassade américaine. downloadModeText.vue.download 90 sur 509 CHRONOLOGIE 89 Samedi 22 POLOGNE Conflit religieux. L’expiration du délai fixé en 1987 par les autorités juives et chrétiennes pour le déménagement du carmel d’Auschwitz relance la polémique entre les deux communautés (rubrique Religion). Dimanche 23 FRANCE Catastrophes naturelles. D’abondantes pluies contribuent à mettre fin aux gigantesques incendies qui ont détruit 5 000 hectares de pinèdes dans la région de Lacanau et du Porge (Landes) depuis le 18. ITALIE Gouvernement. Après 64 jours de crise, M. Giulio Andreotti forme un nouveau cabinet composé des cinq partis qui dirigent le pays depuis 1981 : les démocrates-chrétiens, les socialistes, les libéraux, les républicains et les sociaux-démocrates. MEXIQUE Dette. En concédant au gouvernement de Mexico une réduction de 35 % des 54 milliards de dollars de sa dette commerciale, les banques occidentales appliquent pour la première fois la théorie exposée le 10 mars par le secrétaire d’État au Trésor américain, Nicholas Brady (10 mars). SPORT Cyclisme. L’Américain Greg Lemond remporte pour la deuxième fois le Tour de France en comblant son retard de 50 secondes sur Laurent Fignon lors de la dernière étape contre la montre Versailles-Paris, et en devançant finalement celui-ci de 8 secondes. Lundi 24 CEE Aide alimentaire. Les ministres de l’Agriculture des Douze accordent à la Pologne une aide de 770 millions de francs sur deux ans. GRANDE!BRETAGNE Gouvernement. Confrontée à de nombreuses difficultés – échec électoral, reprise de l’inflation, conflits sociaux –, Mme Margaret Thatcher procède à un profond remaniement de son cabinet. POLOGNE v. CEE JAPON Gouvernement. Le Premier ministre Sosuke Uno annonce sa démission après la défaite enregistrée par le Parti libéral-démocrate (PLD) aux élections sénatoriales partielles du 23. Le PLD a perdu la majorité qu’il détenait depuis 1955 à la Chambre haute, où la représentation du Parti socialiste (PSJ) de Mme Takako Doi progresse fortement (9 août). OUA M. Hosni Moubarak, chef de l’État égyptien, est élu président de l’Organisation de l’unité africaine. Le 26, M. Salim Ahmed Salim, ministre de la Défense tanzanien, devient secrétaire général. ÉTATS!UNIS Un grand mariage L’enjeu de la bataille juridico-financière qui oppose durant plus d’un mois les sociétés américaines Time, Warner et Paramount n’est pas seulement spéculatif. Il s’agit surtout de ravir le downloadModeText.vue.download 91 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 90 premier rang mondial dans le domaine de la communication. Le 24 juillet, la Cour suprême de l’État du Delaware tranche en donnant son accord définitif au rachat de Warner par Time. C’est le 4 mars que ces deux groupes, hantés par le risque d’une OPA (offre publique d’achat) hostile, annoncent leur prochaine fusion par simple échange d’actions, c’est-à-dire sans endettement. Cette alliance a tout du mariage de l’eau et du feu. Time Incorporated, c’est le géant de la presse, de l’édition et de la télévision, au chiffre d’affaires de 4,5 milliards de dollars, dirigé par Richard Munro, garant de la respectabilité des magazines Time ou Fortune, des chaînes de télévision à péage Home Box Office et Cinemax, du principal réseau câblé des États-Unis et de plusieurs maisons d’édition. Le P-DG de Warner Incorporated, Steven Ross, s’est quant à lui illustré dans les pompes funèbres avant de sauver les prestigieux studios Warner de la faillite et de constituer autour d’eux un groupe de production de films et de disques qui pèse au jourd’hui 4,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Les rares magazines qu’il édite ont pour titre DC Comics – des bandes dessinées – ou Mad. Les fiançailles de New York avec Hollywood inquiètent les nombreux autres groupes audiovisuels américains qui craignent de faire les frais de cette monstrueuse restructuration. Elles indisposent également Martin Davis, patron de la puissante Paramount, qui exclut de se voir privé, à si bon compte pour ses concurrents, du premier rang mondial. Le 6 juin, quelques jours avant la réunion des conseils d’administration qui doivent entériner la fusion de Time et Warner, il lance une OPA d’un montant de 10,7 milliards de dollars sur le capital du groupe de presse, proposant 175 dollars aux actionnaires de Time pour un titre qui en vaut 125. L’affaire rebondit de nouveau le 16 : Time annonce le rejet de l’OPA de Paramount et le rachat de Warner avec lequel il devait à l’origine simplement fusionner. Lui-même traîné en justice, Paramount demande aux tribunaux d’invalider l’OPA de Time qui n’a pas consulté ses actionnaires, tout en portant son offre à 200 dollars par action. Sans résultat, sinon celui de forcer ses principaux concurrents à s’endetter – de 15 milliards de dollars environ –, ce qui devrait limiter leur expansion durant quelque temps... SURINAM Guerre civile. Le gouvernement et les rebelles du Jungle Commando de Ronnie Brunswijk signent un accord de paix qui met fin à trois ans de conflit. Il intervient après la conclusion du cessez-le-feu, le 7 juin, et la décision des Pays-Bas, le 12 juillet, de reprendre leur aide au développement, interrompue en 1982. Mardi 25 CEE Parlement européen. À la suite d’un accord entre les groupes socialiste et démocrate-chrétien, M. Enrique Baron Crespo, socialiste espagnol, est élu président en remplacement de lord Plumb, conservateur britannique. Le discours inaugural du doyen, M. Claude Autant-Lara, élu du Front national, est très largement boycotté. FRANCE Sociétés. La commission antitrust de Bruxelles autorise le groupe Rhône-Poulenc à racheter au géant américain Monsanto quatre unités de fabrication d’aspirine et de paracétamol. Cette opération lui permet de devenir le premier fabricant mondial d’analgésiques et d’antipyrétiques. POLOGNE Vie politique. M. Lech Walesa rejette le principe d’un gouvernement de coalition entre le POUP (communiste) et Solidarité. Il revendique le droit pour son mouvement d’occuper tous les postes ministériels. Mercredi 26 FRANCE Défense. Le Conseil des ministres adopte le plan Armées 2000 présenté par M. Jean-Pierre ChedownloadModeText.vue.download 92 sur 509 CHRONOLOGIE 91 vènement, qui fixe les limites des nouveaux commandements territoriaux et réorganise les forces opérationnelles. La dissolution du corps d’armée de Metz est confirmée. BELGIQUE!ZAÏRE Relations. Les ministres belge et zaïrois des Affaires étrangères signent à Rabat un accord mettant fin au différend qui opposait leurs deux pays depuis le mois d’octobre 1988. Le texte prévoit notamment la réduction de près de 11 milliards de francs belges (1,7 milliard de francs français) de la dette zaïroise envers la Belgique. Jeudi 27 FRANCE Haute couture. Le Dé d’or de la collection automne-hiver 1989 est attribué au couturier italien Gianfranco Ferré, qui a succédé à Marc Bohan chez Dior. Sociétés. Le groupe d’assurances Victoire accède au deuxième rang national derrière l’UAP en signant un accord de participation majoritaire dans le groupe ouest-allemand Colonia. Archéologie. Le ministère de la Culture annonce la découverte, dans la grotte du Placard (Charente), de gravures rupestres d’un grand intérêt, contemporaines de celles de Lascaux. SUÈDE Justice. La cour d’assises de Stockholm condamne à la réclusion perpétuelle Christer Pettersson, ancien repris de justice, reconnu coupable de l’assassinat, le 28 février 1986, du Premier ministre Olof Palme. Les deux juges membres du jury contestent le verdict qu’ils n’estiment pas suffisamment étayé par le témoignage de Mme Lisbet Palme (12 octobre). URSS Nationalités. Le Soviet suprême adopte une résolution qui prévoit le passage à l’autonomie comptable pour les trois Républiques baltes à partir du 1er janvier 1990, premier pas vers l’« autonomie économique ». LIBYE Accident aérien. Un DC-10 de Korean Airlines (KAL) transportant 199 personnes s’écrase à l’atterrissage sur l’aéroport de Tripoli. L’accident, lié aux mauvaises conditions météorologiques, cause la mort de 75 personnes. Vendredi 28 FRANCE Immigration. Saisi par les parlementaires de l’opposition et par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel annule un article de la loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, votée le 4, qui prévoyait la possibilité de saisir l’autorité judiciaire d’une décision administrative de reconduite à la frontière. Justice. Un jeune toxicomane et trafiquant de drogue séropositif est inculpé d’empoisonnement par un juge d’instruction de Mulhouse pour avoir mordu jusqu’au sang, dans le but de le contaminer, le gardien de la paix venu l’interpeller. Bourse. Statuant sur le recours formé par les sénateurs de l’opposition, le Conseil constitutionnel censure certaines dispositions de la loi sur la sécurité et la transparence des marchés financiers, votée le 1er, relatives à des prérogatives jugées exorbitantes de downloadModeText.vue.download 93 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 92 la Commission des opérations de Bourse (COB). Bourse. Pour la première fois depuis sa création en 1982, l’indice CAC, baromètre de la Bourse de Paris, franchit la barre des 500 points à 503,3. IRAN Élection présidentielle. Opposé à un adversaire symbolique, M. Hachemi Rafsandjani est élu président de la République islamique par 94,51 % des suffrages. Le référendum constitutionnel destiné à entériner l’extension des pou- voirs du chef de l’État recueille 97,38 % de « oui ». ISRAËL v. Liban LIBAN Otages. À Jibchit, dans le sud du pays, un commando israélien enlève un haut dignitaire chiite, Cheikh Abdel Karim Obeid, responsable régional du Hezbollah pro-iranien (31). Samedi 29 SRI LANKA Troubles. Implanté dans le nord de l’île depuis le mois d’août 1987 à la demande des autorités dans le but de mater le soulèvement séparatiste tamoul, le corps expéditionnaire indien entame son retrait, selon les voeux du nouveau président Ranasinghe Premadasa, nationaliste et anti-indien. SPORT Athlétisme. Lors des championnats des Caraïbes disputés à Porto Rico, le Cubain Javier Sotomayor, qui n’avait pas pu disputer les jeux Olympiques de Séoul en 1988 en raison du boycott décidé par Fidel Castro, améliore son propre record du monde de saut en hauteur en franchissant 2,44 mètres. Dimanche 30 URSS Vie politique. Sur l’initiative de MM. Boris Eltsine et Andreï Sakharov, les députés réformateurs du Soviet suprême se constituent en groupe parlementaire. CAMBODGE Conflit. La première session ministérielle de la conférence internationale sur le Cambodge s’ouvre à Paris. Organisée à la demande du prince Norodom Sihanouk et sur l’initiative de la France, elle rassemble les quatre parties cambodgiennes, les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, les six membres de l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique), un représentant des non-alignés et le secrétaire général de l’ONU. Le 1er août, un compromis intervient au sujet de l’organisation et des objectifs des commissions d’experts (30 août). MOZAMBIQUE Vie politique. Réuni à Maputo depuis le 24, le cinquième congrès du FRE-LIMO (Front de libération du Mozambique), parti unique au pouvoir, s’engage à mettre fin à vingt-cinq ans de guerre civile, entérine l’ouverture économique et politique vers l’Occident entreprise par le président Joaquim Chissano et adopte un programme qui ne fait plus référence au marxisme-léninisme. CHILI Référendum. 85,7 % des électeurs approuvent les réformes constitutionnelles qui leur étaient soumises. Les principales dispositions concernent la réduction du mandat présidentiel à quatre ans, l’annulation de la mise hors-la-loi des downloadModeText.vue.download 94 sur 509 CHRONOLOGIE 93 partis « marxistes » et l’abolition du droit du chef de l’État de bannir des opposants. Lundi 31 FRANCE Bourse. La Commission des opérations de Bourse (COB) transmet à la justice son rapport concernant le raid effectué par M. Georges Pébereau sur la Société générale entre les pois de juin et de décembre 1988. À la demande de M. Pierre Bérégovoy, le nom des personnes mises en cause n’est pas rendu public. LIBAN Otages. L’organisation des Opprimés dans le monde annonce l’exécution de l’officier américain membre des forces de l’ONU, William R. Higgins, enlevé le 17 février 1988, qu’elle avait menacé de pendre si Cheikh Obeid, capturé par l’armée israélienne le 29, n’était pas libéré. Entre l’heure de l’expiration de l’ultimatum et celle du communiqué des extrémistes pro-iraniens, les autorités de Jérusalem avaient proposé d’échanger le dignitaire chiite contre les trois soldats israéliens et tous les otages occidentaux détenus au Liban (2 août). Conflit. Dénonçant la Syrie comme le principal obstacle à la paix, le comité arabe tripartite (Algérie, Arabie Saoudite, Maroc) dresse un constat d’échec de la mission de pacification dont l’avait chargé la Ligue arabe le 26 mai. downloadModeText.vue.download 95 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 94 Août Mardi 1er FRANCE Réfugiés. Un premier groupe de 183 Kurdes irakiens en provenance de la frontière turque arrive à Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, où ils sont hébergés dans un centre de l’armée, sur l’initiative de la Fondation France-Liberté de Mme Danielle Mitterrand. Il en arrive 152 autres le 3. La Turquie héberge encore 34 000 réfugiés kurdes. Audiovisuel. La disjonction du système d’alimentation du satellite de télévision directe TDF1 lancé le 28 octobre 1988 provoque la perte d’un canal de diffusion – encore inutilisé – sur les cinq existants. GRANDE!BRETAGNE v. Argentine POLOGNE Économie. L’entrée en vigueur des mesures de libération des prix agroalimentaires provoque de très fortes hausses qui entraînent bientôt une nouvelle vague de grèves, en particulier dans le secteur public. Le 8, le pouvoir et l’opposition concluent un accord prévoyant certaines augmentations de salaires. ARGENTINE Relations internationales. Le gouvernement annonce la levée des restrictions au commerce avec la GrandeBretagne en vigueur depuis la guerre des Malouines en 1982 (16). Mercredi 2 IRAN v. États-Unis ÉTATS!UNIS Relations internationales. À la suite de l’exécution du lieutenant-colonel William R. Higgins, le 31 juillet, le département d’État demande au président iranien Hachemi Rafsandjani d’intervenir afin de faciliter la libération des otages occidentaux encore détenus au Liban. Le 4, M. Rafsandjani offre son « aide » aux ÉtatsUnis à la condition que ceux-ci renoncent à recourir à la force (6). Jeudi 3 FRANCE Incendies de forêt Le Midi rouge La sécheresse et la chaleur exceptionnelles de l’été favorisent le développement de nombreux incendies dans les régions particulièrement sensibles du Sud-Est et de Corse. Entre le 31 juillet et le 3 août, les feux de forêts atteignent une ampleur catastrophique. Le nombre et la dispersion des foyers et la force du mistral concourent à la destruction de dizaines de maisons et de voitures et de trente-cinq mille hectares de garrigues, maquis et forêts en Provence et en Corse. Les flammes menacent Nîmes (Gard) et Hyères (Var). De nombreux lieux de villégiature doivent être évacués. Quatre personnes périssent carbonisées. À partir du 28 et jusqu’au 30, sans que les incendies aient jamais totalement cessé depuis le dédownloadModeText.vue.download 96 sur 509 CHRONOLOGIE 95 but du mois, des feux particulièrement violents ravagent à nouveau les départements du Midi. La principale victime est la montagne SainteVictoire chère à Cézanne. Le bilan des incendies s’élève cette année à 12 morts, 30 blessés et environ 68 000 hectares de végétation détruits. Aussi l’indignation des habitants des départements méditerranéens est-elle légitime. Mais il ne faut pas se tromper de responsables. C’est ce que déclare le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe qui entame, le 3, une tournée sur le front des incendies où combattent 30 000 sapeurs-pompiers. « Faire croire aux Français que le seul moyen de lutter contre les feux de forêts consiste à acheter des Canadair serait une imposture. » La France ne possède-t-elle pas une flotte aérienne de défense contre l’incendie supérieure à celle du Canada ? Mais la politique de prévention préconisée est difficile à mettre en oeuvre, tant les communes intéressées sont parfois négligentes. Ainsi, en quatre ans, seuls 175 des 2 500 hectares de la superbe forêt de Ramatuelle (Var) ont été débroussaillés, alors que cette activité est subventionnée à 95 % ! Les maires n’aiment guère infliger des amendes aux particuliers qui n’entretiennent pas leurs terrains. Il est électoralement beaucoup plus rentable de réceptionner un camion rouge ou de réclamer des Canadair supplémentaires. Réagissant à l’arrestation de 22 suspects, au début du mois, M. Haroun Tazieff, ancien secrétaire d’État aux risques majeurs, affirme que les pyromanes et les incendiaires « mettent le feu, certes, mais n’allument pas l’incendie ». Jusque dans les années 50, remarque-t-il, la forêt était habitée et propre et les incendies rarissimes. Pourtant, il y avait à cette époque beaucoup plus de bergers en Corse qui pratiquaient l’écobuage qu’aujourd’hui. Tourisme. Alors que le maire de Ramatuelle envisage de réaménager la célèbre plage de Pampelone menacée par le développement anarchique des équipements de loisir, Brigitte Bardot dénonce « la saleté humaine qui se répand comme une marée noire » dans une lettre ouverte au maire de Saint-Tropez. Accident. Deux ouvriers meurent dans l’effondrement d’un immeuble en réfection rue Pierre-Demours, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Vendredi 4 GRANDE!BRETAGNE Justice. Le rapport du juge chargé de l’enquête publique sur le drame survenu le 15 avril au stade de Sheffield met en cause les chefs de la police locale et les employés du club de football. URSS Vie politique. Dans son discours de clôture de la 1re session du nouveau Soviet suprême ouverte le 26 juin, M. Mikhaïl Gorbatchev déclare que celle-ci a constitué « une véritable école de politique » pour les Soviétiques et confirme que cette assemblée est bien « l’organe suprême du pouvoir ». ÉTATS!UNIS Finances. Six mois après avoir été annoncé, un plan de sauvetage des caisses d’épargne d’un montant de 159 milliards de dollars (1 000 milliards de francs environ) est adopté par le Congrès (6 février). NICARAGUA Vie politique. Le gouvernement sandiniste et l’opposition concluent un accord sur l’organisation des élections générales du 25 février 1990 (7). Samedi 5 BOLIVIE Élection présidentielle. Le Parlement désigne M. Jaime Paz Zamora, candidat du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, social-démocrate) comme président de la République. Arrivé en troisième position lors du premier tour du 7 mai, M. Zamora a passé une alliance avec l’ex-dictateur Hugo Banzer (droite) downloadModeText.vue.download 97 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 96 pour battre le candidat de la formation du président démocrate-chrétien sortant. Dimanche 6 FRANCE Presse Le Monde sur les épaules Ce pessimiste avait bâti le Monde sur une morale et avait été le premier étonné de son succès. La mort à Fontainebleau d’Hubert Beuve-Méry, le 6 août, à 87 ans, a endeuillé une corporation normalement peu encline au respect : celle des journalistes qui le considéraient comme un modèle d’intégrité, et comme celui qui avait démontré qu’une presse capable de résister aux pressions de l’argent et des pouvoirs n’était pas une chimère. Il était né à Paris, d’une famille sans ressources. Il avait réussi à faire des études de droit. Professeur à l’Institut français de Prague, il devint aussi correspondant de grands journaux parisiens. Il mesura alors la vénalité d’une certaine presse, son mépris de toute vérité dérangeante. Il démissionnera de tous. En 1940, après la défaite, il devient directeur des études à l’École des cadres d’Uriage. Il y participe à la création d’une sorte d’ordre de chevalerie moderne. Avec Uriage, il prend le maquis. Après la Libération, il accepte de répondre à un souhait du général de Gaulle de voir se créer un journal de référence. Mais il entend conserver sa liberté à l’égard du pouvoir politique, quel qu’il soit. Il refuse l’aide de l’État et refusera toujours les propositions des grandes entreprises financières et industrielles. Le premier numéro du Monde paraît le 18 décembre 1944. Son directeur mène de dures batailles à la fois pour la survie matérielle du journal et pour une indépendance qui l’amène à entrer en conflit avec les divers gouvernements, notamment sur la politique étrangère de la France. Opposé à la poursuite de la guerre d’Indochine, il s’élève, pendant la guerre d’Algérie, contre les méthodes qui y sont pratiquées. Position morale avant d’être politique. Plus tard, il aboutit à la conclusion que l’indépendance de l’Algérie est à la fois nécessaire et inéluctable. Après le retour au pouvoir du général de Gaulle qu’il a accepté non sans réserves, il n’épargne pas ses critiques au nouveau pouvoir dont il craint une dérive autoritaire. Sous son pseudonyme de Sirius, il engage avec le chef de l’État une sorte de dialogue qui se situe au-dessus des simples péripéties. En 1969, le général et Hubert Beuve-Méry quittent en même temps le devant de la scène. Le fondateur du Monde conserve jusqu’en ses dernières années cette passion de la montagne où se reflètent cette austère rigueur et ce goût sans concession des larges horizons qui ont marqué toute sa vie. Propriété artistique. Après plus d’un an de procédure judiciaire l’opposant aux héritiers de John Huston, la cinquième chaîne diffuse une version colorisée de Quand la ville dort, en vertu de l’autorisation que lui a accordée le 6 juillet la cour d’appel de Paris. Le film est précédé d’un avis indiquant la réprobation des héritiers du réalisateur. LIBAN Otages. L’Organisation de la justice révolutionnaire (OJR) propose l’échange des otages occidentaux qu’elle détient contre Cheikh Abdel Karim Obeid ainsi que les Palestiniens et les militants chiites détenus en Israël. Elle souhaite que la Syrie joue le rôle de médiateur (28 juillet et 2 août). Lundi 7 FRANCE Sécurité. Des représentants des Guardians Angels, association de bénévoles non armés qui se donnent pour mission de défendre les usagers du métro dans plusieurs grandes villes des États-Unis, séjournent durant downloadModeText.vue.download 98 sur 509 CHRONOLOGIE 97 une semaine dans le métro parisien. Leur présence suscite de vives réserves. Législation sociale. La direction de la chaîne suédoise de meubles Ikea renonce à ouvrir le dimanche son magasin des Lisses (Essonne), après avoir, treize semaines de suite, payé une astreinte de 300 000 F à l’union départementale CGT qui l’avait fait condamner par le tribunal d’Évry (21). GRANDE!BRETAGNE Sociétés. Un des principaux producteurs mondiaux d’or, de platine et de cadmium, le groupe minier Consolidated Gold Fields, passe sous le contrôle du conglomérat anglo-américain Hanson, au terme d’une OPA d’un montant de 3,5 milliards de livres (36 milliards de francs environ). NOUVELLE!ZÉLANDE Gouvernement. Premier ministre depuis le mois de juillet 1984, le travailliste David Lange, dont la popularité est au plus bas et qui est désavoué par son propre parti, présente sa démission. Il est remplacé le 8 par le vice-Premier ministre Geoffrey Palmer. AMÉRIQUE CENTRALE Paix. Les cinq chefs d’État centraméricains réunis depuis le 5 à Tela, au Honduras, parviennent à un accord concernant le démantèlement des groupe de « contras » nicaraguayens, qui doivent remettre leurs armes à une commission internationale avant la fin de l’année. Mardi 8 ESPACE La fusée européenne Ariane-4 lance le satellite allemand de télédiffusion TVSAT-2, qui commence à émettre dès le 18, et le satellite européen Hipparcos d’observation astronomique. Une panne de son moteur d’apogée empêche ce dernier de rejoindre son orbite, ce qui limite fortement ses capacités. FRANCE Sociétés. L’annonce par la Compagnie financière de Suez du lancement d’une OPA sur la Compagnie industrielle, principal actionnaire du groupe d’assurance Victoire, provoque une très vive bataille boursière (5 septembre). OLP La principale composante de l’Organisation Fath, réunie en congrès depuis le 3 à Tunis, entérine les initiatives de paix de M. Yasser Arafat tout en appelant à la poursuite de la lutte armée dans les territoires occupés par Israël. Mercredi 9 FRANCE Sécurité. À la suite des nombreux accidents, mortels pour certains, occasionnés en bordure des plages méditerranéennes par les véhicules nautiques à moteur, en particulier les scooters des mers, le ministre de la Mer nomme une mission chargée d’organiser une meilleure formation des plaisanciers (12). Sociétés. Les actionnaires des cristalleries SaintLouis, créées sous Louis XV, préfèrent l’offre d’achat présentée conjointement par le groupe d’articles de luxe Hermès et le flaconnier Pochet aux propositions du groupe verrier américain, Brown Forman. JAPON Gouvernement. Désigné le 8 à la présidence du Parti libéral-démocrate avec la mission d’en redorer l’image ternie par les scandales, M. Toshiki Kaifu est élu Premier ministre par la Diète. La composition de son gouvernement illustre sa volonté de renouveler le personnel downloadModeText.vue.download 99 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 98 politique conservateur, tout en se pliant à la logique des clans. Jeudi 10 FRANCE Télévision. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) désigne M. Philippe Guilhaume à la présidence commune d’Antenne 2 et de FR3. Le président de la Société française de production (SFP) est préféré à M. Hervé Bourges et à Me Georges Kiejman, pourtant considérés comme favoris. URSS Économie. Afin de stimuler le développement des cultures de céréales et d’oléagineux, le gouvernement annonce que les agriculteurs pourront être désormais payés partiellement en devises. Vendredi 11 SANTÉ Épidémies. Un rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèle une forte recrudescence du paludisme, dont on détecte cent millions de cas environ chaque année et qui menace plus de 1,7 milliard de personnes. FRANCE Transports. Dans la région de Toulon, près de 12 000 voyageurs restent bloqués pendant une partie de la nuit dans une vingtaine de trains immobilisés à la suite d’une panne d’électricité provoquée par un orage. Industrie. Le groupe maritime américain Lexmar propose une offre de reprise du site de construction navale de La Ciotat, qu’il affirme plus avantageuse que celle présentée par la banque Worms pour le compte de l’État. Samedi 12 FRANCE Sécurité. Quarante plaisanciers sont l’objet de procès-verbaux pour excès de vitesse ou défaut de sécurité lors d’une opération « coup de frein en mer » menée par la gendarmerie maritime dans le golfe de Saint-Tropez (9). URSS Musique. Exactement vingt ans après la manifestation de Woodstock, aux États-Unis, un concert de hard-rock rassemble pendant le week-end près de 200 000 personnes au stade Lénine de Moscou. Les recettes de cette manifestation sont destinées à la lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie. CORÉE DU SUD Vie politique. Président du Parti pour la paix et la démocratie (PPD) et principale figure de l’opposition au régime du président Roh Tae-woo, M. Kim Dae-jung est accusé par le parquet de Séoul d’avoir reçu de l’argent de la Corée du Nord. Il dénonce la campagne de dénigrement lancée contre lui et l’arrêt du processus de démocratisation engagé durant l’été 1987. Dimanche 13 IRLANDE DU NORD Troubles. À Belfast et à Londonderry où de très nombreuses forces de police sont déployées, le vingtième anniversaire de l’intervention britannique est marqué par des manifestations catholiques et protestantes ponctuées de quelques incidents. downloadModeText.vue.download 100 sur 509 CHRONOLOGIE 99 Lundi 14 AVIATION Record. Un Boeing 747-400 livré à la compagnie australienne Quantas réalise le vol sans escale le plus long de l’histoire de l’aviation commerciale en parcourant d’une seule traite les 17 600 kilomètres séparant Londres de Sydney. FRANCE v. Liban LIBAN Conflit. La France annonce le renforcement de sa présence navale en Méditerranée orientale. Le 19, le porte-avions Foch quitte Toulon pour une mission de « sauvegarde » et d’« assistance » destinée « à tous les Libanais ». Le 23, face aux réactions suscitées par l’opération, le dispositif naval français est allégé. TURQUIE Finances. Après la levée presque complète du contrôle des changes, la livre turque devient entièrement convertible sur les marchés internationaux. Signe de la bonne santé de l’économie, cette décision illustre également la volonté du Premier ministre Turgut Ozal de faire de son pays un candidat sérieux à l’adhésion à la CEE. AFGHANISTAN Conflit. Deux médecins français, collaborateurs de l’association humanitaire Handicap international, sont pris dans une escarmouche opposant les moudjahidin avec lesquels ils circulaient à des troupes régulières. Vincent Gernigon est tué et Xavier Lemire blessé et fait prisonnier (14 septembre). CHINE Boycottage. Au terme d’un raid de 11 000 kilomètres, les concurrents du deuxième rallye ParisPékin rebroussent volontairement chemin au poste-frontière entre le Pakistan et la Chine après avoir remis à un officier un message d’amitié à la jeunesse chinoise. ÉTATS!UNIS!OLP La quatrième rencontre américano-palestinienne à Carthage (Tunisie) depuis le 16 décembre 1988 permet un rapprochement des positions des deux parties autour du principe selon lequel les élections dans les territoires occupés ne sont qu’une étape d’un règlement de paix au Proche-Orient. Mardi 15 FRANCE Commémoration. À l’appel de l’association 15-août-1989 opposée aux célébrations du Bicentenaire, plusieurs dizaines de milliers de personnes se regroupent devant l’église Saint-Germainl’Auxerrois, à Paris, pour assister à une messe, avant de suivre une procession dans le quartier en expiation des « crimes de la Révolution ». LIBAN Conflit. L’appel au cessez-le-feu lancé par le Conseil de sécurité de l’ONU est suivi d’un apaisement des combats, particulièrement violents depuis le 10. Les efforts diplomatiques de la France et de l’URSS n’empêchent pas la reprise des tirs d’artillerie à partir du 30. AFRIQUE DU SUD Vie politique. Le conflit déclaré opposant le président Pieter Botha à son successeur désigné, M. Frederik De Klerk, chef du Parti national depuis le mois de février, s’achève par la démission de M. Botha. M. De Klerk assure l’intérim de la fonction jusqu’à la désignation d’un nouveau chef de l’État par le collège spécial downloadModeText.vue.download 101 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 100 qui sera issu des élections du 6 septembre (25). Mercredi 16 FRANCE Islam. À Charvieu-Chavagneux, dans l’Isère, où la communauté musulmane représente 11 % de la population, la destruction au bulldozer, « par erreur », d’une mosquée provisoire provoque, le 17, des représailles contre des bâtiments publics. Le 28, après l’intervention du ministre de l’Intérieur, le maire et la communauté musulmane concluent un accord offrant à cette dernière la possibilité de disposer d’un lieu de culte dans la commune. GRANDE!BRETAGNE!ARGENTINE Relations. Après cinq ans d’absence totale de contacts, des représentants des deux pays, qu’un conflit au sujet de la souveraineté des îles Malouines avait opposés en 1982, renouent secrètement le dialogue à New York. Le 18, les deux délégations annoncent une reprise des négociations directes pour octobre (1er). TCHÉCOSLOVAQUIE Histoire. Le parti communiste hongrois condamne l’intervention des forces du pacte de Varsovie à Prague en 1968. Il est imité le 17 par une majorité de députés de la Diète polonaise. Jeudi 17 ASTRONOMIE Lune. Un milliard d’habitants de la Terre peuvent assister à une éclipse totale du satellite. CEE Environnement. La Commission européenne adopte un règlement interdisant l’importation d’ivoire provenant d’éléphants d’Afrique (5 juin et 18 juillet). FRANCE Racisme. Le ministre de la Justice engage des poursuites contre M. Jean-Marie Le Pen pour « diffamation raciale ». Dans un entretien publié le 11 dans le quotidien d’extrême droite Présent, le président du Front national avait dénoncé le rôle de l’« internationale juive » et de la franc-maçonnerie dans la « création de l’esprit antinational ». IRAK Accident. Près de Al Hillah, au sud de Bagdad, une explosion dans une usine de fabrication de missiles cause la mort de 19 personnes selon les autorités. Diverses sources occidentales font état de 700 à 1 500 morts, parmi lesquels de nombreux Égyptiens. IRAN Vie politique. Lors de sa prestation de serment devant le Parlement (Majlis), le président Hachemi Rafsandjani se fixe comme principale mission le redressement économique de son pays. Le 19, il présente au Majlis un gouvernement composé de technocrates qui est investi le 29. JAPON Relations économiques. Le ministère des Affaires étrangères annonce la reprise progressive de l’aide de son pays à la Chine, suspendue à la suite de la répression du mois de juin. Vendredi 18 FRANCE Visite officielle v. Pacifique Sud Affaires. M. Michel Pezet, député socialiste des Bouches-du-Rhône, est la 33e personne downloadModeText.vue.download 102 sur 509 CHRONOLOGIE 101 et le 9e élu à être inculpé dans l’affaire des fausses factures de la SORMAE. PACIFIQUE SUD M. Michel Rocard effectue jusqu’au 26 un voyage qui le mène successivement en Australie, en Nouvelle-Calédonie – où il constate les progrès réalisés dans l’application des accords de Matignon –, à Fidji, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française. COLOMBIE Drogue. L’assassinat par la mafia de la drogue du sénateur Luis Carlos Galan, favori de l’élection présidentielle de 1990, conduit le président Virgilio Barco à décréter une « guerre totale » aux narco-trafiquants. Samedi 19 ÉGLISE CATHOLIQUE Les nouveaux croisés Ils sont venus des régions d’Espagne et du Portugal, mais aussi de France et d’Italie, ou bien encore d’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud, d’Asie ou du Liban. Ils ont fait le chemin de SaintJacques-de-Compostelle en car, en train ou en bateau, à cheval ou à patins à roulettes, ou plus simplement à pied. Ils ont pour la plupart entre 15 et 25 ans. Ils appartiennent à toutes les sensibilités catholiques. On les attendait au nombre de 250 000, les 19 et 20 août, dans ce sanctuaire de la chrétienté ; ils sont le double. Ce demi-million de jeunes catholiques a répondu à l’appel de Jean-Paul II, lancé le jour des Rameaux 1988, à le rejoindre au pied du tombeau de l’apôtre Jacques à l’occasion du quatrième anniversaire de la Journée mondiale des jeunes qu’il a instituée en 1985. Ressuscitant un pèlerinage qui connut son heure de gloire au XIIe siècle, ces « jac- quets » ont répété les gestes de leurs ancêtres. Ils ont convergé vers le Monte del Gozo – le mont de la Joie – qu’ils ont gravi avant d’apercevoir enfin les tours de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils ont parcouru pieds nus les dernières centaines de mètres les séparant de la cathédrale où ils ont posé la main sur la colonne représentant l’arbre de Jessé et embrassé la statue de l’apôtre avant de passer sous l’encensoir géant. Puis ils ont installé leur bivouac dans un désordre bon enfant. L’intendance mise en place par les autorités de la province de Galice était depuis longtemps débordée. Lassés de fréquenter des églises vides, ces jeunes attendaient un message de l’homme qu’ils vénèrent comme un « père ». C’est un véritable discours-programme que Jean-Paul II prononce devant eux, le 19, dans le vaste amphithéâtre creusé dans le mont de la Joie. Au pays de la Reconquista, le pape appelle à une « nouvelle christianisation de l’Europe ». Face à « la permissivité aliénante de la société moderne », les méthodes d’apostolat doivent changer. Au moment où « la conscience de la vocation chrétienne commune devient obscure », il ne suffit plus d’annoncer l’Évangile mais d’engager une entreprise de reconquête spirituelle en affirmant massivement son identité chrétienne. « Soyez, à l’aube du troisième millénaire, les apôtres du monde moderne », répète le pape dans toutes les langues. Le message passe. Lors de leurs premières rencontres avec le souverain pontife, les jeunes étaient présumés « aimer le chanteur, mais pas la chanson ». Jean-Paul II n’a pas changé son texte. Mais, aujourd’hui, la liesse atteint son comble lorsqu’il fustige « l’hédonisme, le divorce, le contrôle des naissances, les moyens de contraception ». Le 20, les nouveaux croisés, l’esprit apaisé, se recueillent au même endroit, au cours de la plus grande messe jamais célébrée. AFRIQUE DU SUD Apartheid. Forçant le blocus du pays en vigueur depuis une vingtaine d’années dans le domaine sportif, vingt-sept rugbymen originaires de six nations, dont huit Français, participent jusqu’au 2 septembre, à titre individuel et malgré les pressions de leurs gouvernements, à une tournée mondiale organisée pour célébrer le centenaire de la Fédération sud-africaine de rugby. downloadModeText.vue.download 103 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 102 Dimanche 20 GRANDE!BRETAGNE Catastrophe. À Londres, 57 personnes trouvent la mort dans la collision entre une barge et un bateau-discothèque sur la Tamise. HONGRIE Religion. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblent devant la cathédrale SaintÉtienne, à Budapest, pour assister à la première procession depuis plus de quarante ans en l’honneur du fondateur de l’État hongrois mort en 1038. Le président de la République, le président du Parlement et le maire de la ville y participent. KENYA Braconnage. Célèbre spécialiste de la faune africaine, le Britannique George Adamson est assassiné par des braconniers dans la réserve nationale de Kora où il vivait. Lundi 21 ONU Droits de l’homme. La sous-commission de Genève publie les fragments d’un rapport accablant sur la situation en Roumanie que son expert roumain Dimitru Mazilu, retenu dans son pays depuis 1986, lui a fait parvenir clandestinement. Les autorités de Bucarest répliquent en mettant en cause la « capacité intellectuelle » de M. Mazilu. FRANCE Législation sociale. Le rapport de M. Yves Chaigneau sur l’ouverture des magasins le dimanche préconise un assouplissement négocié des conditions du travail dominical (7). Culture. Au cours d’une conférence de presse consacrée à la présentation du projet lauréat du jeune architecte Dominique Perrault pour l’édification de la Bibliothèque de France, le ministre de la Culture Jack Lang annonce que l’ensemble des livres de la Bibliothèque nationale sera transféré dans le nouveau bâtiment, contrairement à ce qui avait tout d’abord été décidé (12 avril). ROUMANIE v. ONU TCHÉCOSLOVAQUIE Manifestation. À Prague, deux mille personnes environ, rassemblées place Venceslas pour exiger « la liberté et la démocratie », à l’occasion du 21e anniversaire de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, sont dispersées par la police qui procède à de nombreuses arrestations. SÉNÉGAL Diplomatie. Quatre mois après les affrontements interethniques entre Sénégalais et Mauritaniens, le gouvernement de Dakar annonce la rupture de ses relations avec celui de Nouakchott. Mardi 22 FRANCE Corse. Les trois derniers militants nationalistes encore incarcérés sont mis en liberté conditionnelle. Justice. Après l’inculpation de huit personnes pour le vol d’animaux de laboratoire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de Lyon, le 20 mai, un arrêt de la cour d’appel de cette ville ordonne la restitution des vingt-huit singes retrouvés (20 mai). Sociétés. Le groupe nationalisé Thomson acquiert tout ou partie de trois filiales de Philips spécialisées dans l’électronique militaire, downloadModeText.vue.download 104 sur 509 CHRONOLOGIE 103 domaine où il se place déjà au deuxième rang mondial. Mercredi 23 FRANCE Gendarmerie Ras-le-képi ! À partir de la fin du mois de juillet se développe une campagne de protestation au sein de la gendarmerie nationale. Elle prend la forme de lettres anonymes – devoir de réserve oblige – adressées au Premier ministre puis à la presse et dénonçant la précarité des conditions de vie et de travail des gendarmes. Cette action revendicatrice conduit le ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement à réunir une table ronde le 23 août, afin de débattre avec les intéressés. Née dans la région Rhône-Alpes, la contestation s’étend rapidement à l’ensemble du territoire. Dans leurs lettres, les gendarmes évoquent les nombreuses heures de permanence et les 70 à 80 heures de travail hebdomadaires qui rendent toute vie de famille impossible. Ils critiquent la modicité de leur solde – 7 000 F mensuels pour un jeune gendarme –, le carriérisme des chefs et le sous-équipement des brigades. Mais, surtout, ils dénoncent leur isolement et l’absence de considération pour leur travail. Le 17, au lendemain de la mise aux arrêts d’un sous-officier de Perpignan accusé d’avoir utilisé le système de transmission interne pour diffuser un message de protestation, M. Chevènement s’adresse à son tour aux contestataires. Les assurant de sa compréhension, il affirme toutefois que « la ligne jaune vient d’être franchie », faisant allusion aux demandes de création d’un syndicat. Il invite les gendarmes à prochainement « discuter, d’homme à homme et en toute liberté, des problèmes qui se posent ». Le 23, à l’issue de la réunion de concertation qui rassemble autour du ministre de la Défense 87 gendarmes tirés au sort parmi les milliers de volontaires, M. Chevènement présente une série de mesures, dans l’attente d’un plan de réorganisation plus complet. Elles concernent des augmentations d’effectifs – 4 000 emplois sur quatre ans –, la revalorisation de certaines primes, l’affectation de crédits supplémentaires à l’équipement des hommes et des locaux. Enfin, le ministre annonce la création de commissions permanentes de concertation à l’échelon national et à l’échelon régional... Le même jour, M. Charles Barbeau remplace M. Régis Mourier à la direction générale de la gendarmerie. Le 28, sur l’antenne d’Europe 1, le ministre de la Défense dénonce la récente « campagne orchestrée par une partie de la droite et de l’extrême droite » et relayée par la presse. En 1974, le gouvernement de M. Jacques Chirac, aux prises avec les « comités de soldats », s’en prenait à la gauche. Les gouvernements passent, le malaise dans l’armée subsiste. Agriculture. M. Henri Nallet présente en Conseil des ministres un plan d’un montant de 580 millions de francs destiné à venir en aide aux agriculteurs les plus touchés par la sécheresse. Les organisations syndicales le jugent insuffisant. Détournement d’avion. Un Algérien expulsé tente en vain de détourner un appareil d’Air France sur la ligne Paris-Alger. Il prétendait agir au nom de la cause libanaise. URSS Nationalités. Plusieurs centaines de milliers de Baltes participent à une chaîne humaine de près de mille kilomètres de long, organisée par les Fronts populaires de Lituanie, d’Estonie et de Lettonie pour marquer le 50e anniversaire du pacte germano-soviétique qui prévoyait l’annexion des trois Républiques par l’Union soviétique (26). GAMBIE v. Sénégal SÉNÉGAL Relations internationales. Le président Abdou Diouf propose à la Gambie le gel de la Confédération de la SédownloadModeText.vue.download 105 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 104 négambie, constituée en 1981 et dont l’existence ne s’était pas traduite dans les faits. Jeudi 24 POLOGNE À l’Est, du nouveau ! La Pologne semblait être allée trop loin pour reculer. Le 24, M. Tadeusz Mazowiecki devient le premier non-communiste à diriger le gouvernement d’un pays membre du pacte de Varsovie depuis plus de quarante ans. Pour la première fois, le caractère irréversible du communisme est battu en brèche en Europe de l’Est. Cette révolution ne se déroule pas dans la liesse spontanée des lendemains de victoire électorale. Elle résulte d’un marchandage raisonné entre dirigeants lucides, sur fond de faillite économique et de grèves. Le 2, c’est tout d’abord le général Czeslaw Kiszczak qui est nommé Premier ministre par la Diète. Après l’élection en juillet du général Wojciech Jaruzelski comme chef de l’État et son remplacement aux fonctions de secrétaire général du POUP (communiste) par M. Mieczyslaw Rakowski – ancien Premier ministre –, la désignation à la tête du gouvernement de l’ancien ministre de l’Intérieur apparaît à l’opposition comme une réédition du coup d’État de 1981. Solidarité refuse les portefeuilles qu’on lui propose. Le 7, M. Lech Walesa appelle les dirigeants du Parti paysan (ZSL, 76 sièges à la Diète) et du Parti démocrate (SD, 27 sièges) à composer une coalition gouvernementale avec sa propre formation. Très partagés sur leur rôle d’alliés traditionnels du POUP, ceux-ci tergiversent. Le 11, le « grand frère » soviétique manifeste son inquiétude devant les risques de « déstabilisation ». Le 14, le général Kiszczak renonce à former un gouvernement et préconise que cette tâche soit confiée au président du ZSL, M. Roman Malinowski, proche du POUP. Le 15, M. Walesa revient sur son opposition à la participation de communistes à un gouvernement de « responsabilité nationale » auquel le ZSL et le SD acceptent, le 16, de collaborer. Le 17, le principe d’une coalition animée par Solidarité, à participation communiste minoritaire, est accep- té par le général Jaruzelski. La désignation par ce dernier, le 19, de M. Tadeusz Mazowiecki, intellectuel catholique membre de Solidarité, comme Premier ministre suscite toutefois de nombreux remous au sein du comité central du POUP. La partie de bras de fer qui s’engage au sujet du programme et de la composition du gouvernement est marquée, le 22, par l’intervention de M. Mikhaïl Gorbatchev, qui estime « impossible » d’exclure la participation de ministres communistes. Le 24, M. Mazowiecki est investi par la Diète par 378 voix contre 4 et 41 abstentions. Déclarant son intention de rétablir une économie de marché, il affirme que le succès de son entreprise « dépend de son acceptation par la population », tandis que M. Walesa s’efforce, les jours suivants, d’obtenir l’arrêt des grèves. La Pologne a franchi le pas ; mais tout reste à faire. ANGOLA Conflit. Devant l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations de paix menées au Zaïre et la rupture effective de la trêve décrétée au mois de juin, le chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), M. Jonas Savimbi, appelle ses troupes à la reprise des combats. ÉTATS!UNIS Bourse. À New York, l’indice Dow Jones des valeurs industrielles atteint 2 734,63 points, son plus haut niveau historique, dépassant de douze points le précédent record établi le 25 août 1987. Vendredi 25 ESPACE Neptune. Lancée le 20 août 1977, la sonde américaine de 850 kilos Voyager-2 aborde la dernière phase de sa mission au cours de laquelle elle a déjà survolé Saturne et Uranus. Elle s’approche à moins de 5 000 kilomètres de la surface de Neptune, située à 4,5 milliards de kilomètres de la Terre. Les scientifiques, réunis au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de Pasadena, en Californie, reçoivent pendownloadModeText.vue.download 106 sur 509 CHRONOLOGIE 105 dant huit jours des images en direct de la planète et de son plus gros satellite, Triton. SCIENCES Génétique. Un groupe de biologistes canadiens et américains annonce qu’il est parvenu à identifier le gène responsable de la mucoviscidose, l’une des plus fréquentes et des plus graves maladies héréditaires. Cette découverte est due à l’application à la médecine des nouvelles techniques de biologie moléculaire. FRANCE Logement. Huit personnes trouvent la mort dans l’incendie d’origine criminelle d’un hôtel meublé de Clichy (Hauts-de-Seine) habité principalement par des immigrés. FRANCE!RFA Fiscalité. À Tegernsee, en Bavière, lors de la réunion du Conseil économique et financier commun aux deux pays, M. Pierre Bérégovoy rallie son homologue ouest-allemand Theo Waigel à ses positions sur l’harmonisation de la TVA dans le cadre communautaire. AFRIQUE DU SUD Relations internationales. Rompant l’isolement diplomatique de son pays, le président Frederik De Klerk rencontre le président zaïrois Mobutu avant de se rendre le 28 en Zambie. Samedi 26 FRANCE Commémoration. À l’occasion du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme, M. François Mitterrand inaugure à la Défense la Fondation de l’Arche de la fraternité, présidée par M. Claude Cheysson. L’actualisation du célèbre texte, rédigée par les jeunes de 80 pays, réunis autour de l’Association pour la Déclaration du 26 août 1989 (AD 89), est remise au président de la République. POLOGNE Vie religieuse. Le pape Jean-Paul II publie une condamnation ferme de l’antisémitisme. Le même jour, le cardinal Joseph Glemp, primat de Pologne, prend vivement à partie la communauté juive internationale, avec laquelle l’Église catholique est en discussion au sujet du carmel d’Auschwitz (rubrique Religions). URSS Nationalités. Trois jours après les manifestations dans les pays Baltes (23), le comité central du PCUS dénonce « l’hystérie nationaliste ». Le 27, un rassemblement est organisé à Kichinev, capitale de la Moldavie, pour protester contre l’annexion du pays par l’Union soviétique en 1944. Dimanche 27 SPORT Cyclisme. Les vainqueurs des Tours de France 1989, Greg Lemond et Jeannie Longo, remportent les championnats du monde sur route organisés à Chambéry (Savoie). Lundi 28 FRANCE Sociétés. En désaccord sur la distribution de leurs produits et sur la question du transport aérien, le Club Méditerranée et Nouvelles Frontières renoncent à leur projet d’alliance annoncé le 27 avril. ÉTATS!UNIS Espace. À la suite de l’arrêt de l’exploitation commerciale de la navette spatiale par la NASA, un satellite – le britannique Marco-Polo-1 downloadModeText.vue.download 107 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 106 – est mis sur orbite par un lanceur privé construit par McDonnell Douglas. Mardi 29 FRANCE Vie politique. M. Jean-Paul Huchon, directeur de cabinet du Premier ministre, présente les grandes lignes de l’action gouvernementale à venir. Ce qu’il appelle « les onze travaux d’Hercule » marque l’ancrage à gauche de M. Michel Rocard, qui est de plus en plus critiqué au sein du Parti socialiste. Logement. Le Journal officiel publie le décret réglementant l’augmentation des loyers à Paris et en région parisienne. Des exceptions sont toutefois prévues à cette limitation basée sur l’évolution de l’indice du coût de la construction. Islam. Malgré l’hostilité d’associations de riverains, M. Michel Noir, maire de Lyon, signe le permis de construire d’une mosquée, qui sera édifiée boulevard Pinel, dans le VIIIe arrondissement. Viticulture. Dans le Bordelais, les vendanges débutent en août pour la première fois depuis 1893, en raison des conditions climatiques exceptionnelles. GRÈCE Histoire. Un projet de loi sur « les séquelles de la guerre civile » est adopté à l’unanimité en commission parlementaire. Le même jour, dix-sept millions de dossiers de police, accumulés depuis cette époque et jusqu’à la fin du régime des colonels, sont détruits, malgré les protestations des historiens et des anciens combattants. JAPON Sociétés. La fusion annoncée entre deux des principaux établissements financiers, Mitsui et Taiyo Kobe, donne naissance au numéro deux mondial du crédit derrière le géant Dai-Ichi Kangyo, également japonais. Mercredi 30 FRANCE Déréglementation. Le rapport de M. Hubert Prévôt sur la réforme des PTT préconise de séparer la Poste des Télécommunications. Il suscite les protestations de plusieurs syndicats représentatifs du demi-million de fonctionnaires de ce secteur. CAMBODGE Conflit. Après quatre semaines de travaux en commissions, la Conférence internationale de Paris sur le Cambodge suspend ses activités. Illustrant l’échec des négociations, la déclaration finale indique qu’« il n’est pas encore possible de parvenir à un règlement global » (30 juillet). CHINE Répression. Les informations recensées dans le rapport qu’Amnesty International remet à la Chine et à l’ONU au sujet de l’écrasement du « printemps de Pékin » font état d’au moins 1 300 morts et de beaucoup plus que les 4 000 arrestations reconnues par les autorités chinoises. D’autres témoins parlent de 10 000 exécutions et de 100 000 arrestations. Jeudi 31 LIBYE!TCHAD Territoire. À Alger, les ministres libyen et tchadien des Affaires étrangères signent un accord-cadre qui met fin à seize ans de guerre. Conclu sous l’égide de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il prévoit le règlement pacifique du contentieux entre les deux pays au downloadModeText.vue.download 108 sur 509 CHRONOLOGIE 107 sujet de la bande d’Aozou, annexée par la Libye en 1973. PANAMA Vie politique. Le Conseil d’État, au sein duquel siège le général Noriega, désigne M. Francisco Rodriguez au poste de président de la République ; il remplace M. Manuel Solis Palma, dont le mandat arrive à expiration. Le président américain George Bush fait part de la « frustration » des États-Unis devant cette décision. Le mois de Dominique Perrault Premières lézardes, premières fissures dans les murs et les rideaux : un premier « Premier ministre » issu de Solidarité pour la Diète polonaise et le début des migrations, via la Hongrie, vers l’Allemagne de l’Ouest. À Paris, après l’inauguration en juillet de la Fenêtre ouverte, c’est-à-dire l’Arche de la Défense, et le défilé « unité de contrastes » de Jean-Paul Goude, pour fêter le 14 juillet de cette année révolutionnaire, le président de la République choisit en août un projet de Bibliothèque pour la France, transparente, avec grande place publique et jardins méditatifs. « Glasnost »..., désormais le monument contemporain ne surveille plus et ne punit plus : il se démocratise ; il met en évidence ses qualités d’accueil à un large public et d’ouverture à l’ensemble des champs de la connaissance en s’inscrivant dans un réseau de relations multiples avec le monde. Les murailles de nos Bibliothèques-Temples s’envolent pour donner « à voir » et rendre « disponible » notre trésor culturel. Cette absence d’enceinte physique confère à l’Architecture, expression symbolique de notre culture, une approche contemporaine de l’institution, qui s’accompagne d’une vision nou- velle de l’urbanité du monument dans la ville, inclue plutôt qu’exclue. Tel est le thème majeur de cette fin de siècle, qui rassemble et condense les différences pour faire apparaître des identités nouvelles. Au travers de cette alchimie, l’architecture française trouve grandeur d’esprit et générosité de coeur. Dès lors, que dire de cette émotion profonde de deux destinées qui s’emmêlent, celle du prince et celle de l’architecte ? Que dire aussi du bonheur de cette rencontre consensuelle autour d’un projet, lorsque la veille nous croyions être si peu à partager une telle conviction ? Ici, les mots viennent à manquer. Seul, l’achèvement du projet donnera la mesure de nos engagements et de nos espoirs. Alors, en retour, l’inquiétante violence de notre environnement ne fait que nous renforcer dans notre détermination à laisser une trace profonde et lisible du passage de notre civilisation. DOMINIQUE PERRAULT downloadModeText.vue.download 109 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 108 Septembre Vendredi 1er FRANCE Politique sociale. M. Michel Rocard présente son projet de « pacte de croissance », qui doit permettre de financer la création d’emplois, l’éducation, la formation, la recherche et l’investissement ainsi que l’augmentation du pouvoir d’achat. Télévision. Lors de l’émission d’Apostrophes consacrée à la rentrée littéraire, Bernard Pivot annonce que son magazine, créé sur Antenne 2 au mois de janvier 1975, sera présenté pour la dernière fois en « juin ou juillet 1990 ». Samedi 2 FRANCE Terrorisme. Cinq Italiens – trois hommes et deux femmes – soupçonnés d’appartenir à la branche « internationale » des Brigades rouges sont interpellés à Paris en possession d’armes et de munitions. Ils sont inculpés d’association de malfaiteurs et écroués le 6. Lundi 4 LIT TÉRATURE Une pipe qui s’éteint Georges Simenon est mort trois fois. La première en 1978, quand le suicide de sa fille de vingt-cinq ans, Marie-Jo, le terrasse. La deuxième en 1981, date à laquelle paraissent ses Mémoires intimes, suivis du Livre de Marie-Jo, qui seront délibérément son dernier livre. La troisième enfin le 4 septembre, lorsqu’à Lausanne, sa pipe s’éteint pour de bon. Il avait 86 ans. Son héritage comprend plus de quatre cents titres tirés à ce jour à cinq cents millions d’exemplaires en cinquante-cinq langues. Aucun d’entre eux ne se distingue des autres. C’est ce que l’on appelle une oeuvre. Georges Simenon est né à Liège, le 13 février 1903, dans un milieu modeste. Son grand-père était chapelier, son père employé dans une compagnie d’assurances ; sa mère dut travailler comme vendeuse à la mort de ce dernier. Le décor est posé, les personnages de ses romans s’agitent déjà sous ses yeux. Il entre à seize ans à la Gazette de Liège et écrit son premier roman à dix-neuf. À vingt-cinq ans, établi à Paris, il vit de sa plume et plutôt bien. Certains de ses livres sont rédigés en trois jours ! Dans Pietr le Letton, écrit en 1929 et publié en 1931, il donne vie au commissaire Maigret. Il a trente-cinq ans lorsque André Gide le salue comme le plus grand écrivain de son temps. Et pourtant, il n’aime pas la « littérature » : « La phrase fluide, la belle description, c’est cela que j’appelle la littérature, je supprime, je supprime ! » Supprimés, les adjectifs et les adverbes. Supprimées, même, l’intrigue et l’atmosphère « polar ». Reste la vie. Les bistrots, la pluie, les gares, les pavillons de banlieue, les canaux, l’ennui, la fatigue, la vie et la mort des gens ordinaires, ses personnages, pour qui il a une immense tendresse. Maigret se meut au milieu d’eux, posément, la pipe à la bouche. Il lit à livre ouvert dans leurs entrailles, « sans pitié et sans haine ». N’est-il pas l’un des leurs ? Incarné au cinéma et à la télévision, avec plus ou moins de bonheur, par de multiples acteurs, Maigret devient très populaire ; mais, en même downloadModeText.vue.download 110 sur 509 CHRONOLOGIE 109 temps, Simenon apparaît aux yeux de certains qui ne le lisent pas comme un auteur de littérature de gare. « Vous passez pour un auteur populaire alors que vous vous adressez aux délicats », lui écrivait Gide. Avait-il songé au solide boeuf miroton et aux bigoudis de Mme Maigret ? FRANCE Antisémitisme. À la suite des réactions suscitées par la publication dans le mensuel Globe de propos déplacés de M. Claude Autant-Lara à l’égard de Mme Simone Veil, celui-ci donne sa démission du Parlement européen, où il était l’élu du Front national. Le 8, le ministre de la Justice fait engager contre lui des poursuites pour injures raciales. URSS Nationalités. Le mouvement de grève générale lancé en Azerbaïdjan afin d’affirmer l’autorité azerbaïdjanaise sur le Haut-Karabakh s’accompagne d’un blocus de cette région autonome revendiquée par les Arméniens (12 janvier et 28 février). Mardi 5 FRANCE Sociétés. Au terme d’une OPA d’un montant record de 26 milliards de francs et après un accord entre leurs dirigeants, la Compagnie financière de Suez prend le contrôle de la Compagnie industrielle, principale actionnaire du groupe Victoire, deuxième assureur français (8 août et 16 décembre). ÉTATS!UNIS Drogue Guerre totale La drogue est « la plus grave menace intérieure à laquelle ait à faire face notre nation » affirme le président George Bush en présentant son plan de lutte en direct à la télévision, le 5 septembre, jour de la rentrée scolaire. Le président colombien Virgilio Barco ne pense pas différemment lorsqu’il décide, le 6, d’extrader Eduardo Martinez Romero, trésorier présumé du cartel de Medellin, vers les États-Unis. Déclaration de guerre : de part et d’autre, le terme n’est pas trop fort. Six millions d’Américains sont officiellement considérés comme toxicomanes ; 80 % de la cocaïne consommée aux États-Unis provient de la Colombie. Le 18 août, les hommes de main des « barons » colombiens de la drogue assassinaient le sénateur Luis Carlos Galan, favori de l’élection présidentielle de 1990. Devant cette menace directe contre la vie politique de son pays, le président Barco se décidait à agir. Il annonçait le jour même la remise en vigueur du traité d’extradition entre son pays et les États-Unis, signé en 1979 et suspendu depuis 1987. Le 19 août, une vaste opération de police lancée à travers le pays conduisait à l’arrestation de nombreux suspects – dont Martinez Romero, sur qui pesait une demande d’extradition – et à la séquestration de leurs propriétés. La mafia de la drogue, avec laquelle le gouvernement refusait de négocier, décrétait la « guerre totale » aux autorités le 24 août, menaçant de faire exécuter dix juges pour chaque trafiquant extradé. La croisade engagée par le gouvernement colombien recevait aussitôt l’appui technique et financier des États-Unis, qui mettaient à sa disposition du matériel de surveillance et d’intervention et lui octroyaient une aide d’urgence de 65 millions de dollars. D’un montant global de 7,9 milliards de dollars (plus de 51 milliards de francs), le plan de lutte du président Bush comprend aussi un programme d’aide de 2 milliards de dollars sur cinq ans destiné aux pays andins. Trop peu, affirme le quotidien colombien la Prensa, qui fait remarquer que la chute actuelle des cours du café – que les ÉtatsUnis refusent d’enrayer – coûte plus aux Colombiens que ne leur apporte l’aide américaine. Or, la solution du problème passe par la substitution, au sein des économies latino-américaines sinistrées, d’autres activités à celles – très lucratives – liées à la drogue. Le plan Bush est également critiqué aux ÉtatsUnis. Privilégier comme il le fait l’interdiction et la répression, n’est-ce pas oublier les effets bénéfiques de la « prohibition » sur la prospérité des trafiquants ? N’est-ce pas croire que la construcdownloadModeText.vue.download 111 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 110 tion de prisons peut résoudre les problèmes exprimés par la toxicomanie ? Mercredi 6 FRANCE Fiscalité. Le Conseil des ministres décide d’abaisser de 28 % à 25 % le taux de la TVA sur les automobiles et le matériel hi-fi. Cette deuxième baisse en deux ans s’inscrit dans la perspective de l’harmonisation des fiscalités européennes. PAYS!BAS Élections législatives. Lors du scrutin anticipé organisé à la suite de la crise gouvernementale du mois de mai, le Parti chrétien-démocrate (CDA) du Premier ministre Ruud Lubbers conserve 54 des 150 sièges au Parlement. Le Parti du travail (PVDA ; socialiste) perd 3 sièges (49) et le Parti libéral (WD), membre de la coalition sortante, 5 (22), au profit des petites formations. L’élection inattendue de M. Hans Janmaat, chef du Parti des démocrates (extrême droite), suscite de vives réactions. LIBAN Conflit. Au lendemain d’une manifestation de chrétiens qui estiment que les États-Unis ont « vendu le Liban à la Syrie », les diplomates américains procèdent à l’évacuation de leur ambassade à Beyrouth. AFRIQUE DU SUD Élections législatives. Lors du renouvellement des trois chambres – blanche, métisse et indienne –, le Parti national au pouvoir conserve la majorité absolue à la chambre blanche (93 députés sur 166) mais subit une érosion de son électorat. Il perd 30 sièges au profit du Parti conservateur (droite ; 39 députés ; + 17), favorable à l’apartheid, et du Parti démocrate (centre gauche ; 33 députés ; + 13), qui y est opposé. La grève décrétée la veille par les mouvements anti-apartheid est très suivie. Dans la région du Cap, de violents affrontements causent la mort de 23 personnes. ÉTATS!UNIS v. Liban Jeudi 7 NON!ALIGNÉS Le neuvième sommet, réuni à Belgrade depuis le 4, adopte une résolution finale modérée sous l’influence de la Yougoslavie. Le texte prône une approche pragmatiste des réalités économiques et évoque la défense de l’environnement et les droits de l’homme. La présence syrienne au Liban n’est pas mentionnée. FRANCE Escroquerie. L’ancienne présentatrice de télévision Danièle Gilbert est inculpée d’escroquerie et de publicité mensongère et écrouée pour avoir fait la promotion d’une bague magique dont les acquéreurs non satisfaits n’avaient jamais été remboursés. Pour cela, elle avait perçu 4 millions de francs. Le 14, elle bénéficie d’une ordonnance de mise en liberté sous caution. ÉTHIOPIE Conflit. En vue de mettre fin à un conflit vieux de vingt-huit ans, des négociations entre des représentants du gouvernement et du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE) s’engagent à Atlanta (États-Unis) sous l’égide de l’ancien président Jimmy Carter. Le même jour, La Havane annonce le retrait, à partir du 9, du dernier contingent cubain stationné dans le pays. downloadModeText.vue.download 112 sur 509 CHRONOLOGIE 111 Vendredi 8 GRANDE!BRETAGNE Sociétés. Au terme d’une bataille juridique et boursière de neuf mois, le groupe de matériel électrique General Electric Company (GEC), allié à l’allemand Siemens, prend le contrôle de Plessey, entreprise spécialisée dans l’électronique de pointe, notamment militaire, pour un montant de 2 milliards de livres (21 milliards de francs environ). RFA Sociétés. En dépit de l’avis contraire de l’Office des ententes, le gouvernement autorise la fusion entre le constructeur automobile Daimler-Benz et le groupe aéronautique Messerschmidt Bolkow Blohm (MBB) à la condition que ces deux entreprises, qui créent ainsi le troisième groupe industriel européen, abandonnent leurs activités dans les domaines de la construction navale et de l’armement. Dimanche 10 RDA!RFA RDA Ça craque ! Les Allemands de l’Est sont nombreux, depuis le début de l’été, à partir en – « vacances » en Hongrie. Profitant du récent démantèlement du « rideau de fer » avec l’Autriche, ils passent à l’Ouest par centaines, abandonnant leurs automobiles Trabant pour traverser la très perméable « frontière verte ». Illégalement. Le 10 septembre, les autorités hongroises décident d’autoriser officiellement les réfugiés est-allemands à gagner « le pays de leur choix ». À la fin du mois, ils sont près de vingt-cinq mille à avoir transité par la frontière austro-hongroise pour se rendre en RFA. En 1988, plus discrètement, les Allemands de l’Est avaient été quarante mille à émigrer en RFA, dont trente mille légalement. Jeunes et qualifiés pour la plupart, ces émigrés sevrés de liberté et de consommation occidentale contribuent à combler le déficit démographique et de maind’oeuvre que connaît la RFA. Lié à l’« albanisation » croissante de la RDA au sein d’un bloc de l’Est en pleine évolution, le caractère massif de leur exode en 1989 apparaissait le 19 août lorsque cinq cents d’entre eux forçaient le passage au poste-frontière situé entre la ville hongroise de Sopron et le village autrichien de Saint-Margarethen à l’occasion d’un « pique-nique paneuropéen » animé par l’archiduc Otto de Habsbourg ! Déjà éprouvées par l’afflux de réfugiés dans les ambassades de RFA des pays de l’Est, les relations entre les deux Allemagnes s’assombrissaient encore après cette fuite collective – la plus importante depuis la construction du mur de Berlin, en 1961. Le 25 août, la visite à Bonn du Premier ministre magyar Miklos Nemeth traduisait l’embarras de la Hongrie, coincée entre une RDA consciente que sa seule raison d’être est idéologique et une RFA favorable à l’évolution libérale de sa voisine permettant une réunification en douceur. À partir du 29 août, des centres d’accueil de grande capacité sont installés en Bavière. Les milliers de réfugiés est-allemands regroupés dans les camps hongrois doivent pourtant attendre le 11 septembre à 0 h pour franchir les barrières de la liberté en montrant leur passeport ouest-allemand délivré par l’ambassade. Tandis que l’URSS met en garde la RFA contre « une mise en cause du statu quo de l’après-guerre » sans jamais critiquer la position hongroise, la RDA accuse le gouvernement de Budapest de violer le traité d’alliance bilatéral de 1969. Le 30, afin de désamorcer la crise avant les cérémonies du 40e anniversaire de la RDA, le gouvernement de Berlin-Est autorise, pour des raisons « humanitaires », le transfert en RDA de plus de six mille Allemands de l’Est réfugiés dans les ambassades de RFA à Prague et à Varsovie. Le 25 à Leipzig, huit mille de leurs concitoyens avaient exprimé leur volonté de changer leur pays de l’intérieur au cours de la plus grande manifestation qu’ait connue la RDA depuis 1953 (3 et 9 octobre). ALGÉRIE Gouvernement. Le président Chadli Bendjedid nomme M. Mouloud Hamrouche Premier ministre en remplacement de M. Kasdi Merbah, downloadModeText.vue.download 113 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 112 qui déclare cette décision illégale avant de s’incliner. Le 16, M. Hamrouche présente un gouvernement resserré, principalement composé de techniciens. SPORT Tennis. L’Allemand de l’Ouest Boris Becker remporte l’Open des États-Unis au stade de Flushing Meadow en battant en final le Tchèque Ivan Lendl (7-6, 1-6, 6-3, 7-6). Le 9, sa compatriote Steffi Graf s’était imposée face à l’Américaine Martina Navratilova (36, 7-5, 6-1). Lundi 11 NORVÈGE Élections législatives. Le mécontentement des électeurs se traduit par une défaite des deux grands partis, les Travaillistes au pouvoir – qui n’obtiennent que 64 sièges (– 7) sur les 165 que compte le Folketing – et les Conservateurs (37 sièges ; – 37), au profit des Progressistes (populistes ; 21 sièges ; + 19) et des Socialistes de gauche (17 sièges ; + 11). Mardi 12 FRANCE Corse. Synthèse des tables rondes réunies après le mouvement de grève des fonctionnaires au printemps, le rapport de M. Michel Prada affirme que les disparités entre l’île et le continent ne justifient pas de « mesures exceptionnelles ». Il préconise une normalisation des régimes fiscaux, une amélioration des structures économiques existantes et un développement de l’activité touristique. ESPAGNE Terrorisme. Mme Carmen Tagle, procureur spécialisé dans les affaires de terrorisme, est assassinée à Madrid par un commando de l’ETA militaire. POLOGNE Gouvernement. Le cabinet formé par M. Tadeusz Mazowiecki est investi par la Diète par 402 voix contre 0 et 13 abstentions. Il comprend treize membres de Solidarité, quatre du POUP (communiste), quatre du Parti paysan (ZSL) et trois du Parti démocrate (SD). Solidarité contrôle les Affaires étrangères et les postes économiques ; le POUP détient l’Intérieur, la Défense, les Transports et le Commerce extérieur. Mercredi 13 FRANCE Politique sociale. Un an après le premier, le gouvernement annonce un deuxième plan pour l’emploi. Celui-ci vise à favoriser l’embauche par la réduction des charges des entreprises et privilégie la réinsertion des chômeurs de longue durée. Protocole. M. Michel Rocard présente en Conseil des ministres le décret relatif aux « cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires », destiné à la remise à jour de dispositions qui datent pour la plupart de 1907 (Le mois de Jacques Gandouin). AFRIQUE DU SUD Apartheid. Grâce à l’intervention du président intérimaire Frederik De Klerk, plus de trente mille personnes peuvent participer dans le calme, au Cap, à la première manifestation antiapartheid autorisée (14). Jeudi 14 FRANCE Justice. La cour d’assises de Paris condamne Christian David à quinze ans de réclusion pour le downloadModeText.vue.download 114 sur 509 CHRONOLOGIE 113 meurtre du commissaire de police Maurice Galibert, au mois de juillet 1966. L’accusé avait obtenu quatre fois en deux ans le report de son procès en se blessant volontairement ou en avalant divers objets. AFGHANISTAN Conflit. Le kinésithérapeuthe français Xavier Lemire, capturé par l’armée le 14 août, obtient sa libération à la suite de l’intervention du président François Mitterrand et du secrétaire général des Nations unies (14 août). AFRIQUE DU SUD Élection présidentielle. Le collège électoral parlementaire confirme à l’unanimité M. Frederik De Klerk à la tête de l’État pour cinq ans. Celui-ci promet d’accorder les droits politiques à la majorité noire (13). NAMIBIE Vie politique. De retour dans son pays après trente années d’exil, M. Sam Nujoma, chef de la SWAPO, lance un appel à la réconciliation nationale malgré l’assassinat, le 12, d’un dirigeant blanc de son mouvement, avocat au barreau de Windhoek. Vendredi 15 FRANCE Audiovisuel. M. Philippe Guilhaume, président commun des deux chaînes de télévision publique, désigne respectivement comme directeurs généraux et directeurs des programmes M. Jean-Michel Gaillard et Mme Ève Ruggieri pour Antenne 2, Mme Dominique Alduy et M. Jean-Marie Cavada pour FR3. FRANCE!RFA Transport aérien. Face à la concurrence mondiale, Air France et Lufthansa annoncent le renforcement de leur coopération technique et commerciale. ITALIE Cinéma. Le Lion d’or de la Mostra de Venise est attribué à la Ville du chagrin, de Hou Hsiao Hsien (Taiwan). SALVADOR Conflit. Réunis depuis le 13 dans la capitale mexicaine, des représentants du gouvernement du nouveau président Alfredo Cristiani (extrême droite) et du Front Farabundo Marti (FMLN, guérilla d’extrême gauche) concluent un accord qui prévoit un calendrier de négociations en vue de l’établissement d’un cessez-le-feu. Samedi 16 FRANCE Commémoration. Dans la Marne, M. François Mitterrand préside la célébration de la bataille de Valmy du 20 septembre 1792 tout au long d’un parcours spectacle intitulé Naissance d’une nation. Le président de la République en profite pour défendre l’amélioration « des conditions matérielles et morales » des militaires. BELGIQUE Banditisme. À Tilff, près de Liège, trois malfaiteurs, dont le Français Philippe Delaire, connu des services de police, prennent en otage le gérant d’une banque, qui réussit cependant à s’évader, et sa famille. Le 22, après la libération des enfants contre rançon, les ravisseurs prennent la fuite. Après avoir libéré leur dernier otage, ils sont cernés par downloadModeText.vue.download 115 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 114 la police ; Philippe Delaire se suicide et ses deux complices se rendent. LIBAN Conflit. Après avoir repris ses activités le 13, le comité tripartite arabe (Algérie, Arabie Saoudite, Maroc) présente son plan de paix, qui prévoit un cessez-le-feu, la levée des blo- cus et la réunion de l’Assemblée nationale libanaise hors du pays afin de discuter des réformes institutionnelles. Le camp chrétien lui reproche de ne pas envisager le retrait de l’armée syrienne du Liban avant deux ans (31 juillet, 22 et 30 septembre). Dimanche 17 FRANCE Justice. Interpellé le 13, M. Claude Cornilleau, président du Parti nationaliste français et européen (extrême droite), est inculpé d’association de malfaiteurs et écroué dans le cadre de l’enquête sur les attentats commis en mai et en décembre 1988 contre les foyers Sonacotra de Cannes et de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). URSS Nationalités. À Lvov, en Galicie, plus de cent mille catholiques ukrainiens assistent à des messes en plein air afin de réclamer la légalisation de l’Église uniate, de rite byzantin, intégrée de force à l’Église orthodoxe en 1946. Le même jour, des dizaines de milliers de personnes manifestent pour marquer le cinquantième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine occidentale par l’armée rouge et afin de réclamer une plus grande autonomie pour leur république. GUADELOUPE Rase-Terre « La Guadeloupe est à reconstruire. » Tel est le constat unanime dressé au lendemain de la nuit de cauchemar du 16 au 17 septembre, au cours de laquelle le cyclone Hugo a dévasté l’archipel des Antilles françaises. Né, comme la plupart des hurricanes, au contact des eaux chaudes baignant les îles du Cap-Vert, Hugo a augmenté de puissance en se déplaçant vers l’ouest au-dessus de l’Atlantique tropical. Épargnant la Martinique, il a provoqué les premiers dégâts à la Dominique avant de traverser de part en part la Guadeloupe, puis de ravager toutes les îles séparant celle-ci de Porto Rico, qu’il a atteint le 18. S’orientant au nord, le cyclone a ensuite effleuré la République dominicaine et les Bahamas avant de dévaster le port de Charleston et toute la Caroline du Sud (États-Unis), le 19. C’est sous forme de tempête tropicale qu’il est allé ensuite se dissiper au-dessus du Canada. Le bilan est lourd : cinq morts à la Guadeloupe – auxquels il faut ajouter les huit passagers d’un hélicoptère de l’armée française tombé en mer pendant les opérations de secours, le 20 –, une vingtaine de victimes dans les autres îles des Caraïbes, vingt-neuf aux États-Unis, près de deux cent mille sans-abri sur l’ensemble des terres dévastées. Les économies fragiles de nombreuses îles sont ruinées. Il en est ainsi de celle de la Guadeloupe. Eau, électricité et communications coupées, habitations détruites, marinas décimées et palmiers arrachés, mais aussi et surtout infrastructures hôtelières inutilisables, plantations de canne à sucre, de bananes et de fleurs entièrement dévastées et industrie locale hors service. L’arrivée rapide de nombreux secours, aussitôt débordés par l’étendue de la tâche, et la visite du ministre des DOM-TOM, qui ne peut offrir que des promesses d’indemnisation, n’empêchent pas que naisse bientôt dans la population le sentiment que la Guadeloupe ne se relèvera pas sans l’aide des Guadeloupéens eux-mêmes. Le passage du cyclone révèle à la fois les méfaits pressentis d’une situation d’assistanat total vis-àvis de la métropole et les bienfaits insoupçonnés d’une organisation parallèle qui ne doit rien à downloadModeText.vue.download 116 sur 509 CHRONOLOGIE 115 l’État. Le vent a balayé les trompeuses apparences du dieu Tourisme, d’une agriculture subventionnée à 100 %, de la surconsommation de produits d’importation et de la combine élevée au rang de règle coutumière. Durement sonné, l’archipel se réveille plus lucide. Hugo serait-il donc une chance pour la Guadeloupe ? Lundi 18 HONGRIE!ISRAËL Diplomatie. La Hongrie est le premier des membres du pacte de Varsovie qui avaient rompu leurs relations avec Israël en 1967 à procéder à leur rétablissement. ÉGYPTE Diplomatie. Le président Hosni Moubarak présente son plan de paix au Proche-Orient au ministre israélien de la Défense Itzhak Rabin (travailliste), en visite au Caire. Ce projet est un aménagement de la proposition israélienne d’élections dans les territoires occupés (6 avril). BURKINA FASO Coup d’État. Victimes d’une machination destinée à éliminer les dernier chefs historiques de la révolution burkinabé après l’assassinat du président Thomas Sankara en octobre 1987, les ministres de la Défense et de la Promotion économique sont exécutés sans procès aussitôt après une tentative de coup d’État contre le président Blaise Compaoré. Mardi 19 VATICAN Un communiqué du Saint-Siège évoque pour la première fois l’affaire du carmel d’Auschwitz. Il prend position en faveur de l’installation des carmélites dans le centre d’information, de dialogue et de prières situé hors du camp d’extermination, comme le prévoient les accords de Genève signés le 22 février 1987 (21). NIGER Accident aérien. Peu après son décollage de N’Djamena, au Tchad, un DC-10 de la compagnie française UTA assurant la liaison Brazzaville-Paris disparaît avec 171 personnes à son bord. Le 20, les débris de l’appareil, qui a explosé en vol, sont retrouvés dans le désert du Ténéré (23). ÉTATS!UNIS Justice. La division d’appel de la Cour suprême de l’État de New York redonne la Coupe de l’America au Yacht Club de San Diego (Californie), qui en avait été dépossédé au profit du Mercury Bay Boating Club d’Auckland (Nouvelle-Zélande). Le 28 mars, cette même cour avait estimé que le catamaran utilisé par les Américains lors des épreuves du mois de septembre 1988 n’était pas conforme au règlement de l’épreuve. Mercredi 20 FRANCE Économie. Le Conseil des ministres adopte le projet de budget 1990. Celui-ci prévoit la diminution du déficit de 100 à 90 milliards de francs malgré un accroissement des dépenses publiques de 5,3 %. Sont aussi proposés une augmentation du nombre des fonctionnaires, un allégement de certains impôts mais un alourdissement de l’ISF. Transports. Le Premier ministre Michel Rocard inaugure la ligne à grande vitesse Paris-Le Mans. Atteignant la vitesse de pointe de 300 km/h, le TGV Atlantique parcourt la distance en une heure ; il met Nantes et Rennes à deux heures de Paris, et Brest, à quatre. Théâtre. La représentation de la Mort de Danton, de Georg Büchner, au théâtre des Amandiers downloadModeText.vue.download 117 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 116 de Nanterre dans une mise en scène de Klaus Michael Grüber, inaugure le Festival d’Automne de Paris. GRÈCE Scandales. Le Parlement se prononce en faveur de la comparution de l’ancien Premier ministre socialiste Andréas Papandréou devant une Cour spéciale pour écoutes téléphoniques. Le 28, il prend une décision identique à propos de son rôle dans l’affaire Koskotas (19 mars). URSS Vie politique. À l’issue d’un plénum de deux jours, le comité central du PCUS procède à un profond remaniement du bureau politique, dont plusieurs conservateurs sont exclus et remplacés par des réformateurs. D’autre part, il adopte à l’unanimité une « plateforme sur les nationalités » qui prévoit une plus grande autonomie pour les républiques fédérées. Jeudi 21 FRANCE Musique. En ouverture du Festival d’art sacré de Paris, Jean Guillou inaugure le nouvel orgue de l’église Saint-Eustache, oeuvre de deux jeunes facteurs hollandais, les frères Van Heuvel. POLOGNE Religion. Auteur de déclarations controversées sur le déménagement du Carmel d’Auschwitz, le cardinal Joseph Glemp, primat de Pologne, se rallie à la position conciliatrice du Vatican (19). ARABIE SAOUDITE Justice. Reconnus coupables d’attentats à la bombe lors du pèlerinage annuel de La Mecque au mois de juillet, seize Koweïtiens chiites sont publiquement décapités au sabre. Vendredi 22 EST!OUEST Désarmement. À Jackson Hole, dans le Wyoming, au cours de sa rencontre avec le secrétaire d’État américain James Baker, le ministre soviétique des Affaires étrangères Édouard Chevardnadze annonce que son pays renonce à lier la conclusion d’un accord START sur la réduction des armements stratégiques à l’abandon par les États-Unis du programme IDS de bouclier spatial antimissile. FRANCE Sociétés. Le rachat du groupe américain UniroyalGoodrich pour 4,5 milliards de francs permet à Michelin de devenir le premier fabricant de pneumatiques au monde devant l’américain Goodyear. GRANDE!BRETAGNE Terrorisme. À Deal, dans le Kent, un attentat à la bombe revendiqué par l’IRA dévaste l’école de la fanfare des Royal Marines, faisant dix morts et vingt-deux blessés. LIBAN Conflit. L’acceptation du plan de paix du comité arabe tripartite par le général chrétien Michel Aoun ramène le calme dans la capitale libanaise, très éprouvée par plus de six mois de combats qui ont causé près de mille morts. Le 27, toutefois, le général Aoun demande aux députés chrétiens de n’accepter aucune réforme politique avant d’avoir obtenu le retrait syrien du pays (16 et 30). downloadModeText.vue.download 118 sur 509 CHRONOLOGIE 117 Samedi 23 FINANCES MONDIALES À Washington, les ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés (G7) s’engagent à stopper la hausse du dollar, qui a coté 2 DM, 149 yens et 6,75 F le 15. FRANCE Attentat. Le ministère des Transports confirme la thèse de l’attentat contre le DC-10 d’UTA détruit en vol au-dessus du Niger le 19 en révélant la présence d’explosif dans les soutes de l’appareil (19). Dimanche 24 FRANCE Élections sénatoriales. Le renouvellement du tiers des sénateurs (102 sièges) se traduit par un rééquilibrage de la droite (65 sièges ; + 2) au profit du RPR et par la stabilité de la gauche (37 sièges ; + 0). Réfugiés politiques. À Paris, des dissidents chinois de toutes origines créent la Fédération pour la démocratie en Chine, première organisation d’opposition au régime de Pékin ; son éminence grise est M. Chen Yizi, ancien conseiller de M. Zhao Ziyang. Lundi 25 EST!OUEST Désarmement. Lors de la séance d’ouverture de la 44e Assemblée générale de l’ONU, le président américain George Bush présente un plan de réduction radicale des arsenaux chimiques des deux Grands. Le 26, le ministre soviétique des Affaires étrangères réclame à la même tribune l’élimination totale de ce type d’armes. FRANCE Accident. Une fuite se déclare dans le tuyau d’alimentation de la réserve souterraine de gaz de Chémery (Loir-et-Cher), la plus grande d’Europe. Elle est colmatée le 27 après avoir libéré 5 millions des 5,5 milliards de mètres cubes de méthane entreposés à 1 000 mètres de profondeur. ESPAGNE Relations internationales. Le roi Hassan II du Maroc effectue jusqu’au 27 sa première visite officielle à Madrid. ÉGYPTE Culture. L’équipe du Norvégien Kito Thorson remporte le concours international d’architecture pour la construction de la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie ; cette dernière doit succéder à celle qui avait été bâtie il y a 23 siècles par Démétrios de Phalère. MAROC v. Espagne CANADA Élections provinciales. Au Québec, le Parti libéral (PLQ) du Premier ministre Robert Bourassa conserve la majorité à l’Assemblée de la province (92 sièges sur 125 ; – 6) malgré la remontée du Parti québécois (indépendantiste ; 29 sièges ; + 10) et le mécontentement des électeurs anglophones, qui profite au Parti de l’Égalité (4 sièges ; + 4). Mardi 26 FRANCE Culture. Au Grand Palais, à Paris, M. Jack Lang lance l’Année de l’archéologie en inaugurant une exposition consacrée à « Trente ans de découvertes » archéologiques en France. downloadModeText.vue.download 119 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 118 GRANDE!BRETAGNE Sociétés. L’annonce d’un plan de restructuration du conglomérat BAT provoque l’échec de l’OPA de 13,4 milliards de livres (134 milliards de francs environ) lancée par Sir James Goldsmith, tout en lui donnant raison. GRÈCE Terrorisme. Le député Pavlos Bakoyannis, porte-parole de la Nouvelle Démocratie (conservateur), parti membre de la coalition au pouvoir, est assassiné à Athènes par un groupe terroriste qui lui reprochait d’être impliqué dans le scandale Koskotas (20). CAMBODGE Conflit. Le retrait du pays des dernières unités du corps expéditionnaire vietnamien, mis en doute par le prince Norodom Sihanouk, marque le terme officiel d’une intervention entamée à la fin de l’année 1978 contre le régime des Khmers rouges. Mercredi 27 OPEP À Genève, où ils sont réunis depuis le 23, les Treize décident d’augmenter le plafond global de leur production de pétrole de 19,5 à 20,5 millions de barils par jour sans régler le problème de la révision des quotas accordés à chaque membre. FRANCE Conflits sociaux. Pour la troisième fois en un an, les personnels pénitentiaires entament un mouvement de grève qui force le gouvernement à faire appel à l’armée pour assurer le fonctionnement des prisons. Architecture. Installé dans l’espace réaménagé du CNIT, à La Défense, le Centre de communication et d’échange ouvre ses portes au monde de l’entreprise auquel il est destiné. Musique. Successeur de Daniel Barenboïm, Bychkov ouvre à la salle Pleyel saison à la tête de l’Orchestre dirigeant la Deuxième Symphonie tav Mahler. Semyon sa première de Paris en de Gus- YOUGOSLAVIE Républiques. Malgré l’opposition du gouvernement fédéral, le Parlement de Ljubljana adopte une révision de la Constitution de la Slovénie prévoyant le droit de cette dernière à l’autodétermination. ÉTATS!UNIS Sociétés. Le groupe électronique japonais Sony annonce l’achat de la société cinématographique Columbia pour un montant de 3,4 milliards de dollars (près de 20 milliards de francs). Jeudi 28 FRANCE Art. À Paris, au musée des Arts décoratifs, une exposition rassemble quarante carnets de dessins de Picasso. PHILIPPINES L’ancien dictateur Ferdinand Marcos, au pouvoir de 1965 à 1986, décède à l’âge de 72 ans, à Honolulu (Hawaï), où il vivait en exil, poursuivi par la justice de son pays. Vendredi 29 ÉTATS!UNIS Drogue. Vingt-deux tonnes de cocaïne découvertes dans un entrepôt de la banlieue de Los Angeles constituent la plus grosse saisie jamais effectuée. Cette marchandise aurait permis de fabriquer plus d’un milliard de downloadModeText.vue.download 120 sur 509 CHRONOLOGIE 119 doses de crack pour un prix de vente de 7 à 10 milliards de dollars (44 à 63 milliards de francs). Samedi 30 LIBAN Conflit. 62 des 73 députés libanais se réunissent à Taëf (Arabie Saoudite) afin de débattre du « document d’entente nationale » proposé par le comité arabe tripartite (16 et 22 septembre, 22 octobre). Le mois de Jacques Gandouin Dans une actualité mondiale et omniprésente, un événement pousse l’autre au créneau de l’actualité pour en disparaître le plus souvent presque aussitôt. Dans ce flot continu, trois faits principaux auront suscité ma réflexion au cours du mois de septembre : le courageux combat engagé par le gouvernement colombien contre les géants de la drogue ; l’institution en Pologne d’un gouvernement dirigé par un non-communiste et l’incroyable exode des Allemands de l’Est ; l’explosion criminelle d’un DC-10 de l’UTA et la mort de 171 passagers... Au regard de tels événements celui dont je vais parler pourrait paraître quelque peu dérisoire. Cependant, il ne m’a pas semblé inutile de l’évoquer : il s’agit de la publication du décret du 13 septembre 1989 relatif aux « cérémonies publiques, préséances, honneurs civiles et militaires ». Dans ses Mémoires, Louis XIV disait des règles protocolaires que ceux qui s’imaginent que ce ne sont que des affaires de cérémonies se trompent lourdement. Ces règles reflètent en effet les principes qui inspirent les institutions, la forme du gouvernement, l’histoire et les caractères de chaque peuple. Nombre de textes sont intervenus au cours de notre histoire pour définir les règles du protocole. Mais c’est le décret napoléonien du 24 messidor an XII qui définit d’une manière complète et cartésienne l’ensemble des règles relatives aux cérémonies publiques, préséances et honneurs. Il aura fallu cent trois ans pour passer de ce texte au décret du 16 juin 1907 malgré les changements successifs de régime politique et les nombreux incidents qui ne cessaient de se produire. Puis quatre-vingt-deux ans auront été nécessaires pour que soit approuvé un nouveau décret, les travaux des commissions nommées avant et après 1958 étant restés sans suite. Cela montre combien il est difficile de toucher à un ordre établi dont chacun affirme qu’il n’y attache aucune importance mais fronce terriblement le sourcil dès qu’il s’agit de son rang, alléguant que ce n’est pas pour lui-même mais pour l’organisme qu’il représente. J’ai l’honneur d’avoir été désigné par le président de la République pour effectuer une refonte complète du décret de 1907 qui était devenu obsolète. Pour cela, j’ai consulté les responsables de tous les organismes concernés et je me suis référé aux principes qui avaient inspiré le décret de 1907 et ceux découlant de la Constitution de 1958 ; j’ai également tenu compte des mutations opérées par la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation et les textes subséquents. Événement ou non événement, la publication de ce décret du 13 septembre 1989, après quatrevingt-deux ans de tentatives successives vouées à l’échec ? Je ne saurais le dire. La presse écrite, radiodiffusée et télévisée l’a cependant plus que largement relatée. Elle n’a pas manqué, à cette occasion, de rappeler que, quinze ans auparavant, j’avais été très temporairement sanctionné pour avoir apostrophé un peu rudement une paire de truands qui avaient pris, dans la Sarthe, une famille en otage et obtenu grâce à cela sa libération. Paradoxe ou ironie de l’existence ? J’aurais écrit de nombreux articles, deux ouvrages sur le protocole et rédigé celui de mon pays ; j’aurais aussi, je crois – qu’on me pardonne ce manque d’humilité –, accompli au service de l’État nombre de tâches d’une certaine importance et j’aurais acquis la notoriété pour avoir prononcé un gros mot, au demeurant d’un usage assez répandu mais dont, pour ma part, je n’use que rarement. JACQUES GANDOUIN downloadModeText.vue.download 121 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 120 Météo : l’Été La dernière décade de juin se caractérise par des températures égales ou légèrement supérieures à la normale, un ensoleillement satisfaisant et des précipitations très faibles dans l’Ouest, le SudOuest, le Sud-Est et le Centre-Est. Au 30 juin, le rapport R/RU de la réserve en eau disponible à la réserve utile n’est supérieur à 40 % que dans le Béarn, la Gascogne et la Basse-Navarre ainsi qu’au nord d’une ligne Avranches – Paris – Thionville. Cette sécheresse, outre qu’elle aggrave les risques d’incendie de forêt est préoccupante pour les cultures de maïs, de tournesol et de betterave à sucre, comme pour les productions fourragères. Précipitations orageuses et pluies diluviennes Le mois de juillet est chaud ; dans les régions de l’Ouest, du Sud-Ouest et du Sud-Est, les températures journalières n’ont jamais été inférieures aux normales. La chaleur a atteint son paroxysme au cours de la 3e décade. De très nombreux records ont été battus ; on peut citer, entre autres valeurs, pour les températures minimales : 19,4 °C à Rennes et 22 °C à Guéret le 21, 23,4 °C à Cognac, 20,3 °C à Langres le 22, 20 °C à Bourges et à Beauvais le 23 et pour les températures maximales : 36,5 °C à Cognac et 32,9 °C à Lann-Bihoué le 20, 36,1 °C à Bourges Je 21, 34 °C à Vannes le 24... À Nîmes, les températures maximales ont été supérieures à 30 °C pendant 23 jours. Les précipitations, souvent orageuses, sont inégalement réparties dans le temps et dans l’espace ; elles sont déficitaires à très déficitaires dans le Nord, l’Ouest, le Sud-Ouest et le Sud-Est, excédentaires dans le reste du pays. Les précipitations remarquables (pluies très intenses et averses de grêle) ont été observées entre le 6 et le 8 du SudOuest à l’Alsace et les 23 et 24 juillet en Gascogne, en Limousin, en Berry, ou encore dans le Vichyssois : 20 mm en 4 heures à Limoges le 6, 54 mm en 6 heures à Lubersac ou 80 mm à Vichy le 24. C’est pendant le premier épisode pluvio-orageux que les vignobles de Sauternes, de Barsac, des côtes de Duras, du Bergeracois, du Beaujolais et de la région de Riquewihr ont subi d’importants dommages. Au 31 juillet, la sécheresse des sols demeure très marquée sur l’ensemble du pays. Elle explique la fréquence et l’importance des feux de forêt ; sont ainsi réduits en cendres : 5 000 hectares de pins dans les communes de Lacanau et du Porge entre le 18 et le 22, 1 600 ha de broussailles dans le Figeacois les 21 et 22. Hors de France, l’actualité météorologique est dominée par les pluies diluviennes et meurtrières qui s’abattent sur le Sichuan en Chine (10-15 juillet), la Corée du Sud (les 24 et 25), l’État de Maharashtra en Inde le 26 et les typhons Gordon et Irving qui dévastent le nord des Philippines (15 et 16 juillet) et la région de Thanh Hoa au Viêt-nam le 24. La sécheresse et la foudre sont à l’origine du gigantesque incendie qui, du 15 au 27, a anéanti 900 000 hectares de forêt dans le Manitoba et le Saskatchewan, au Canada. Chaleur et sécheresse persistantes Août est chaud et sec. Les températures mensuelles ont été de 1 à 2 degrés supérieures aux normales. Précisons, toutefois, que dans le Nord, le Nord-Est et le Centre-Est les écarts des températures journalières aux valeurs saisonnières ont été importants : – 2 à – 4 °C du 1er au 3 août ; – 2 à – 5 °C du 28 au 31 ; + 5 à + 8 °C les 15 et 16 et + 4 à + 6 °C les 20 et 21 août. C’est au cours de ces deux épisodes chauds que des températures records ont été mesurées : 37 °C à Saint-Martind’Hyères le 16, 31,2 °C à Metz-Frescaty le 20... Les conditions anticycloniques ayant prévalu tout au long du mois, les pluies ont été très déficitaires sur l’ensemble du pays à l’exception du Sud-Ouest et de la Corse. Des orages souvent accompagnés de violentes rafales de vent, de grains intenses ou de grêle se sont manifestés dans le Sud-Ouest et le Languedoc entre le 4 et le 10, du 14 au 16 et du 19 au 21 août. Le 5, un véritable déluge s’abat sur Narbonne et ses environs : 221 mm de 11 h 40 à 15 h 15 ! Le 7, chutes de grêlons de 5 cm de diamètre sur Toulouse et sur Malzieu en Lozère. Le 15, violent orage sur Ribérac... Au 31 août, la sécheresse du sol s’est encore accentuée (R/RU < 20 %). Aucune région n’est à l’abri des feux de forêt et, à la fin du mois, plus de 50 000 hectares ont été la proie des flammes. L’Espagne est affectée par une sécheresse catastrophique et on signale, au début de la 3e décade, des pluies diluviennes et des inondations dans la région de Buenos Aires, en Tunisie et au nord du Ghana. Du 1er septembre à l’équinoxe, périodes de fraîcheur (du 1er au 7 et du 11 au 15) et de chaleur (du 8 au 10 et du 16 au 21) alternent. La pluviométrie est déficitaire sauf en Corse où downloadModeText.vue.download 122 sur 509 CHRONOLOGIE 121 les abats, 2,5 fois supérieurs à la normale, sont mesurés le 1er et le 8. Les réserves en eau du sol sont nulles dans les 2/3 du territoire ; les débits d’étiage des cours d’eau atteignent des valeurs records et le niveau des nappes superficielles est au plus bas. Sécheresse et chaleur qui persistent depuis de longs mois ne profitent qu’à la vigne : les vendanges sont très précoces et 1989 serait un millésime comparable à 1929 ou à 1947. Le cyclone fou Les 16 et 17 septembre, le cyclone Hugo, né à proximité du Cap-Vert le 12, ravage la Désirade et la Guadeloupe. Le bilan est très lourd : 16 morts, 105 blessés, 10 000 maisons détruites, 30 000 cases soufflées, plus de 60 % des productions de canne à sucre et de banane réduits à néant. Les dégâts s’élèvent à plusieurs milliards de francs. Du 18 au 22, Hugo sème la désolation dans les îles Vierges, à Porto Rico et sur les côtes de Géorgie et des Carolines, aux États-Unis ; il atteint même les Appalaches avant d’aller mourir au-dessus du Canada. Le 16, le typhon Vera avait dévasté la province chinoise de Zhejiang faisant 500 morts et des centaines de blessés et disparus. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 123 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 122 Octobre Dimanche 1er FRANCE Musique. Le Centre de musique baroque de Versailles dirigé par Philippe Beaussant consacre une journée à la Musique à Versailles en 1789. Il interprète notamment la messe d’ouverture des États généraux, de Gossec, et la symphonie la Reine de France, de Haydn. CHINE Commémoration. Les cérémonies du quarantième anniversaire de la République populaire sont l’objet d’un boycottage de la part de la population chinoise et des pays occidentaux. SPORT Cyclisme. Sur la piste olympique en plein air de Mexico, la Française Jeannie Longo améliore son propre record de l’heure en parcourant 46,352 km pendant cette durée. Lundi 2 SCIENCES Génétique. Cinq cents spécialistes du monde entier réunis à San Diego (Californie) lancent le programme « Génome humain » dont l’objectif est de dresser la carte du patrimoine héréditaire de l’homme. EUROPE Audiovisuel. Réunis depuis le 30 septembre à Paris dans le cadre des Assises européennes de l’audio- visuel, trois cents experts appartenant aux vingt-trois pays membres du Conseil de l’Europe et à quatre pays de l’Est adoptent le plan Eurêka Audiovisuel destiné à renforcer leur capacité de production d’images et leur maîtrise des technologies. FRANCE Sociétés. L’achat de l’activité micro-informatique du groupe américain Zenith pour un montant de 635 millions de dollars (4 milliards de francs environ) fait passer le groupe Bull de la onzième à la sixième place mondiale des constructeurs d’ordinateurs. Mardi 3 CEE Le Conseil des ministres des Affaires étrangères adopte la directive Télévision sans frontières qui régit la circulation des images dans la Communauté. Le texte invite les Douze à accorder une priorité aux programmes européens, sans toutefois imposer de quotas (13 mars). FRANCE Vie parlementaire. Après douze heures de tractations et trois tours de scrutin, le Sénat réélit pour la septième fois à sa présidence M. Alain Poher. Ce dernier, dont la candidature était critiquée au sein même de son groupe, doit son élection à l’appui du RPR et à la division des centristes. BELGIQUE Terrorisme. Le président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, M. Joseph Wybran, est assassiné à Bruxelles. Le downloadModeText.vue.download 124 sur 509 CHRONOLOGIE 123 5, le groupe clandestin arabe des « Soldats du droit » revendique l’attentat, comme il l’avait déjà fait pour l’assassinat, le 29 mars, du recteur de la mosquée de Bruxelles et de son bibliothécaire (29 mars). RDA Exode. Le pouvoir autorise à nouveau plus de huit mille de ses ressortissants, réfugiés dans les ambassades de RFA à Prague et à Varsovie, à gagner la République fédérale. Dans la nuit du 4 au 5, des incidents éclatent à Dresde lorsque de jeunes Allemands de l’Est tentent de monter dans les « trains de la liberté » qui traversent la RDA. PANAMA Coup d’État. Une tentative de putsch dirigée contre le général Manuel Antonio Noriega, « homme fort » du pays, est déjouée. Mis en cause, les États-Unis n’auraient apporté qu’une assistance limitée à l’opération. Mercredi 4 FRANCE Prisons. Les surveillants en grève depuis le 27 septembre reprennent le travail après l’envoi de près de trois cents notifications de révocation. Le dialogue qui s’engage entre les syndicats et le ministère de la Justice aboutit le 16 à la levée des sanctions (27 septembre). Jeudi 5 Le prix Nobel de la paix est attribué au dalaï-lama, chef spirituel et symbole nationaliste du Tibet, réfugié en Inde depuis le mois de mars 1959. Le 7, la Chine qualifie ce choix d’« ingérence dans les affaires intérieures » du pays. EUROPE Finances. À l’instigation de la Bundesbank qui relève son taux d’escompte de 5 % à 6 %, la plupart des banques centrales européennes – imitées le 11 par celle du Japon – augmentent leurs taux directeurs qui atteignent 9,5 % en France (+ 0,75 %). Cette décision collective est la conséquence des engagements de freiner la hausse du dollar, pris le 23 septembre à Washington par le groupe des Sept. Vendredi 6 ÉGLISE CATHOLIQUE Voyage pontifical. Le pape Jean-Paul II entreprend un périple de six jours qui le mène en Corée du Sud, en Indonésie et à l’île Maurice (12). FRANCE Justice. La cour d’assises du Rhône condamne Tahar Aït-Messaoud à dix-huit ans de réclusion criminelle pour avoir commis treize agressions, dont six viols, contre des jeunes femmes, durant l’hiver 1986-1987, dans le quartier de la Croix-Rousse, à Lyon. RDA Commémoration. Invité aux cérémonies du quarantième anniversaire de la création de l’État est-allemand, M. Mikhaïl Gorbatchev exhorte les jeunes à la patience et se déclare convaincu que le régime de Berlin-Est saura répondre aux préoccupations de ses citoyens « en coopération avec toutes les forces nationales » (3, 9). ISRAËL Conflit. Sous la pression du Likoud, le gouvernement rejette le plan Moubarak qui prévoyait une rencontre israélo-palestinienne au Caire en vue de préparer les élections dans les territoires occupés (18 septembre et 10 octobre). downloadModeText.vue.download 125 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 124 Samedi 7 FRANCE Partis politiques. Les députés adoptent en première lecture le projet de loi relatif au financement des partis et des campagnes électorales, amputé des articles concernant l’amnistie des infractions commises en la matière avant le 15 juin 1989. HONGRIE La IVe République Pour la première fois, l’effigie géante de Lénine ne domine pas les débats du congrès extraordinaire du Parti socialiste ouvrier hongrois (PSOH, communiste), qui s’ouvre le 6 octobre à Budapest. Marx non plus n’est pas à la fête. Nepszabadsag, l’organe du Parti, abandonne le même jour le surtitre « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » pour la mention « Quotidien socialiste ». Le 7, à la majorité de 80 %, les délégués décident de fonder un nouveau parti, le Parti socialiste hongrois (PSH). L’enjeu ambigu de ce congrès de rupture consiste précisément à éviter... une rupture et la dangereuse vacance du pouvoir que celle-ci ne manquerait pas d’entraîner. Il s’agit de faire cohabiter au sein de la nouvelle formation les réformateurs « radicaux » conduits par MM. Rezsö Nyers – président du PSOH – et Imre Pozsgay – candidat du Parti aux présidentielles –, adeptes de l’eurogauche, voire de la social-démocratie, et les réformateurs « centristes » dirigés par MM. Karoly Grosz – membre de la direction collégiale du Parti – et Janos Berecz, partisans d’un Parti communiste « renouvelé », dans la lignée du PSOH. La scission est évitée grâce à un compromis concrétisé le 9 par l’élection de M. Nyers à la présidence du PSH et par le choix d’une liste de candidats au présidium, sur laquelle ne figurent ni M. Grosz ni M. Berecz. Les statuts du nouveau Parti socialiste, adoptés le même jour, ne font plus référence aux principes du centralisme démocratique et de la dictature du prolétariat, bien que le PSH s’affirme toujours marxiste. M. Mikhaïl Gorbatchev félicite aussitôt M. Nyers. Le 18, le Parlement adopte par 333 voix contre 5 et 8 abstentions une série d’amendements qui réforment profondément la Constitution communiste de 1949, en attendant la nouvelle, prévue pour l’an prochain. Une loi votée le 19 légalise les partis d’opposition. Le 20, l’adoption d’une nouvelle loi électorale ouvre la voie aux premières élections législatives libres et multipartites depuis 1947. La milice ouvrière, bras armé du Parti, forte de 60 000 hommes, est dissoute. Le 23, tandis que plusieurs milliers de Hongrois célèbrent – pour la première fois légalement – le trente-troisième anniversaire du début du soulè- vement de Budapest réprimé par l’Armée rouge, le chef de l’État par intérim, le président du Parlement, Matyas Szurös, proclame la quatrième « République de Hongrie » qui n’est plus « populaire ». Très émus, les Hongrois n’en restent pas moins sceptiques. Ils sont peu nombreux à adhérer au nouveau PSH. Le 31, le Parlement décide qu’ils choisiront par référendum d’élire leur président au suffrage universel avant les législatives, ou de laisser ce soin aux députés qu’ils auront désignés à cette occasion. SAHARA OCCIDENTAL Conflit. L’offensive menée par le Front Polisario contre le mur de défense marocain dans la région de Guelta-Zemmour met un terme à la relative accalmie observée dans la « guerre des sables » depuis la réconciliation algéro-marocaine entamée au mois de mai 1988. ARGENTINE Justice. En application de son programme de « réconciliation nationale », le président Carlos Menem annonce l’amnistie de 213 militaires poursuivis pour mutinerie ou pour violation des droits de l’homme sous le régime de la dictature, de 64 guérilleros ainsi que des trois commandants en chef en poste durant la guerre des Malouines. downloadModeText.vue.download 126 sur 509 CHRONOLOGIE 125 Dimanche 8 RFA Musique. Les musiciens de la Philharmonie de Berlin élisent Claudio Abbado à la tête de leur orchestre en remplacement d’Herbert von Karajan, décédé le 16 juillet. IRAN Économie. Le président Hachemi Rafsandjani annonce une série de réformes destinées à la relance et à la libéralisation de l’économie. Après dix ans d’autarcie, les capitaux étrangers pourront de nouveau s’investir dans le pays et les entreprises iraniennes emprunter sur le marché international. Lundi 9 Le prix Nobel de médecine est attribué aux chercheurs américains Michael Bishop et Harold Varmus pour leurs travaux sur les oncogènes ou gènes du cancer. Le Français Dominique Stehelin, qui avait eu part aux premières découvertes, proteste. FRANCE Relations internationales v. Venezuela Vie parlementaire. Le rejet de la motion de censure déposée le 5 par le RPR contre le projet de programmation militaire, et boycottée par l’UDF et l’UDC, illustre la division de l’opposition. Justice. Sur la foi d’un nouveau témoignage, Mme Marie-Élisabeth Cons-Boutboul est inculpée de complicité dans l’assassinat de son gendre Jacques Perrot le 27 décembre 1985 (8 juin). RDA Manifestations. À Leipzig, à l’issue de l’office protestant en l’église Saint-Nicolas auquel assistent chaque lundi les opposants au régime, plus de cinquante mille personnes défilent dans les rues en scandant « Gorby » et « Liberté » et en réclamant la légalisation du mouvement Nouveau Forum. Pour la première fois, les forces de l’ordre n’interviennent pas (6 et 16). URSS Politique sociale. Le Soviet suprême adopte une loi qui reconnaît et réglemente l’usage du droit de grève, qui est interdit dans de nombreux secteurs stratégiques. Celui-ci était jusque-là ignoré par la législation soviétique. VENEZUELA Relations internationales. Après une étape à la Guadeloupe, le président François Mitterrand arrive à Caracas pour une visite officielle de deux jours au cours de laquelle il s’entretient avec son homologue Carlos Andres Perez des problèmes de la dette et de la drogue (12). Mardi 10 ISRAËL Territoires occupés v. États-Unis Justice. Militant très populaire du dialogue israélopalestinien, M. Abie Nathan est la première personne emprisonnée en application de la loi du mois d’août 1986 interdisant tout contact entre Israéliens et membres de l’OLP. ÉTATS!UNIS Diplomatie. Le secrétaire d’État James Baker présente un plan moins contraignant pour Israël que celui du président égyptien Hosni Moubarak, en vue de faciliter l’ouverture d’un dialogue israélo-palestinien sur l’organisation des élections dans les territoires occupés (6). downloadModeText.vue.download 127 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 126 Mercredi 11 Le prix Nobel d’économie est attribué au Norvégien Trygve Haavelmo, considéré comme le père de l’économétrie moderne. ISRAËL Protection du territoire. La désertion d’un pilote syrien, qui parvient à poser son Mig-23 sur un aéroport militaire du nord du pays sans avoir été détecté par les radars, entraîne un réexamen du système de défense aérienne israélien. Jeudi 12 Le prix Nobel de physique est attribué aux Américains Norman F. Ramsey et Hans G. Dehmelt et à l’Allemand de l’Ouest Wolfgang Paul pour leurs travaux concernant le développement de la spectroscopie atomique de précision. Le prix Nobel de chimie est attribué au Canadien Sidney Altman et à l’Américain Thomas Cech pour leur découverte des propriétés catalytiques de l’acide ribonucléique (ARN). FRANCE v. Colombie SUÈDE Justice. Condamné au mois de juillet à la réclusion à perpétuité pour l’assassinat du Premier ministre Olof Palme, Christer Pettersson est acquitté à l’unanimité par la cour d’appel de Stockholm qui juge insuffisantes les preuves retenues contre lui (27 juillet). TIMOR Visite pontificale. La messe célébrée par Jean-Paul II à Dili, dans la partie de l’île annexée par l’Indonésie en 1976, est marquée par un vif incident entre partisans du Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental (FRETILIN) et les services de sécurité. COLOMBIE Relations internationales. Au retour de sa visite au Venezuela et en Équateur, où il a rencontré les 11 et 12 le président Rodrigo Borja, M. François Mitterrand effectue une escale improvisée à Bogota. Il assure le président Virgilio Barco de l’appui de la France dans la lutte contre les narco-trafiquants (9). Vendredi 13 FRANCE Meurtre. Six jours après la disparition, en Gironde, du général Jean Favreau, ancien gouverneur militaire de Paris, son corps est retrouvé dans la Dordogne. Son agresseur présumé, un auto-stoppeur, est interpellé le 25. Justice. La cour d’assises de Paris condamne Édouard de Faucigny-Lucinge (23 ans) à huit ans de réclusion criminelle pour vols avec armes et tentatives d’homicides volontaires sur deux gardiens de la paix, place du Panthéon, à Paris, le 9 mars 1987. Ses quatre jeunes complices sont aussi condamnés à des peines de réclusion. Informatique. La rumeur lancée aux Pays-Bas, qui annonçait l’entrée en action, vendredi 13, de virus programmés pour contaminer le parc de micro-ordinateurs, ne se vérifie pas. ÉTATS!UNIS Mini-krach Rien de commun entre le « lundi noir » et ce vendredi 13. Le krach qui ébranle la Bourse de New York le 13 octobre n’a pas l’ampleur de celui du 19 octobre 1987. L’indice Dow Jones chute néanmoins de 190 points, soit 7 %. Avec une progression de 30 % depuis le début de l’année, il enregistrait encore un nouveau record historique quelques jours auparavant. downloadModeText.vue.download 128 sur 509 CHRONOLOGIE 127 Le mini-krach de Wall Street remet à l’heure les pendules boursières. Il met fin à l’euphorie artificiellement entretenue sur les principales places financières depuis plusieurs mois par la succession d’opérations majeures. Dès l’été dernier, alors que les cours retrouvaient leur niveau d’avant octobre 1987, les experts s’inquiétaient de l’inadéquation entre le maintien des grands déséquilibres financiers mondiaux et l’évolution optimiste des valeurs. Aucun fait majeur ne se trouve à l’origine de la secousse de la Bourse américaine. Le 10, le président de la Réserve fédérale laissait entendre qu’il était hostile aux actions engagées par le Groupe des Sept pour faire baisser le dollar et qu’il n’agi- rait pas sur les taux. Ces déclarations suffisaient à alerter les opérateurs. Le 13, l’annonce par le consortium des pilotes et du personnel d’United Airlines, qui avait offert de racheter la deuxième compagnie aérienne américaine pour 6,75 milliards de dollars (43 milliards de francs environ), qu’il n’était pas parvenu à réunir la somme nécessaire, soulevait un vent de panique. Cet échec ébranlait la confiance déjà fragile des investisseurs dans les « junk bonds », titres à haut risque et taux d’intérêt élevé, utilisés pour financer les prises de contrôle d’entreprise. Il laissait présager des difficultés financières de même ordre pour les autres OPA en cours. Il n’en fallait pas plus ! Lundi 17, les places asiatiques et européennes subissent le contrecoup de la secousse enregistrée par la Bourse de New York le vendredi précédent. Malgré le redressement observé les jours suivants, les marchés restent très « volatils ». La tourmente boursière révèle une nouvelle fois la fragilité d’un système financier fondé sur un déséquilibre entre épargne et investissement, et qui s’entretient de lui-même indépendamment de la santé des entreprises. Elle prouve parallèlement la capacité des autorités financières à gérer la crise et à agir de façon pragmatique en vue de sa solution. Elle ne présume en rien de la faculté des spéculateurs à retenir la leçon. Dimanche 15 AFRIQUE DU SUD Apartheid. La libération de sept dirigeants historiques du Congrès national africain (ANC), dont Walter Sisulu, proche collaborateur de Nelson Mandela, emprisonné depuis vingt-six ans, illustre la volonté de dialogue des autorités sud-africaines (29). Lundi 16 NORVÈGE Gouvernement. À la suite des élections législatives du mois de septembre, le cabinet travailliste de Mme Gro Harlem Brundtland, qui a démissionné le 13, cède la place à une coalition tripartite de centre droit minoritaire dirigée par le conservateur Jan Syze (11 septembre). RDA Manifestations. À Leipzig, plus de cent mille personnes assistent au rassemblement désormais rituel du lundi soir en faveur des réformes (9, 18, 23 et 27). ÉGYPTE!LIBYE Relations. Après une longue période de brouille entre les deux pays, le colonel Mouammar Kadhafi rencontre le président Hosni Moubarak à Marsa-Matrouh, en Égypte, où il se rend pour la première fois depuis seize ans. Le 17, les deux hommes poursuivent leurs entretiens à Tobrouk, en Libye. Les relations diplomatiques entre les deux pays, rompues en 1977, ne sont cependant pas rétablies. Mardi 17 MONACO Ventes. Lors de la dispersion chez Sotheby’s de la collection d’imprimés et de manuscrits français appartenant au bibliophile américain Bradley Martin, un exemplaire des Fleurs du mal, de Charles Baudelaire, illustré par Courbet, est adjugé 250 000 F. La BidownloadModeText.vue.download 129 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 128 bliothèque nationale exerce alors son droit de préemption sur six ouvrages. URSS Psychiatrie. À la suite de l’aveu par le délégué soviétique de l’usage de traitements psychiatriques à des fins politiques dans le passé, l’Association mondiale de psychiatrie réunie en congrès à Athènes accepte la réintégration de l’URSS dans ses rangs à la condition de pouvoir opérer sur place une vérification de l’arrêt de ces pratiques. ÉTATS!UNIS « J’ai survécu » Pendant quinze secondes, ce 17 octobre, à 17 h 04 (heure locale), la terre tremble sous les pieds des 4 millions d’habitants de la baie de San Francisco. C’est la troisième secousse depuis le début de l’année. Mais celle-ci est d’une autre ampleur que les deux précédentes. Elle atteint une magnitude de 7,1 sur l’échelle de Richter, équivalente à celle du séisme qui a ravagé l’Arménie, le 7 décembre 1988. Située dans l’une des zones du monde les plus sujettes aux tremblements de terre en raison de l’activité de la faille de San Andréas qui la traverse, la région de San Francisco est prête à subir le pire depuis le séisme destructeur du 18 avril 1906. Aussi les réactions sont-elles rapides et efficaces. L’organisation des secours est parfaite, les communications, l’électricité et le gaz sont rétablis en quelques dizaines d’heures, la discipline et la solidarité des habitants sont exemplaires. Aucune panique n’est à déplorer. Mais, surtout, les réglementations particulières en matière d’urbanisme font une fois de plus la preuve de leur utilité. Aucune des hautes tours dominant le centre des affaires n’est endommagée. Le fameux Golden Gâte, qui date de 1937, est intact. Seuls certains immeubles victoriens du vieux quartier de la Marina s’écroulent, causant quelques victimes et entraînant de rares incendies dus à des fuites de gaz. C’est à Oakland que le drame se joue. Le double tablier du Bay Bridge et la chaussée supérieure de l’autoroute urbaine 880 qui le prolonge – point faible du dispositif antisismique – s’effondrent. Des dizaines de voitures sont écrasées sous des tonnes d’acier et de béton. Il faudra plusieurs jours pour dégager les corps de leurs occupants. Fondées sur le trafic routier habituel à cette heure de la journée, les premières estimations sont élevées. Par chance, beaucoup d’habitants avaient regagné plus tôt leur domicile pour assister à la retransmission d’un match de championnat de base-bail opposant... San Francisco à Oakland. Le bilan s’établit finalement à soixante-douze morts, dont cinquante automobilistes. Le coût matériel du séisme, intégrant les frais de reconstruction et la baisse de productivité, s’élève à près de 10 milliards de dollars (65 milliards de francs environ). Mais les affaires reprennent vite le dessus. Quelques heures à peine après le séisme, des tee-shirts portant l’inscription « J’ai survécu au tremblement de terre » étaient en vente sur les trottoirs de San Francisco. Mercredi 18 RDA Vie politique. À l’issue de la réunion du comité central du SED (communiste), M. Erich Honecker annonce qu’il abandonne ses fonctions en raison de son « état de santé ». Il est remplacé au poste de secrétaire général du Parti par M. Egon Krenz, considéré comme son dauphin. Celui-ci évoque la nécessité de réformes tout en insistant sur le rôle dirigeant du SED (16, 23 et 24). ÉTATS!UNIS Espace. Lancée de cap Canaveral (Floride), la navette Atlantis met sur orbite la sonde Galileo chargée d’une mission d’exploration de l’atmosphère de Jupiter qu’elle atteindra au mois de juillet 1995. SALVADOR Conflit. L’absence d’accord entre les représentants du gouvernement et de la guérilla du Front Farabundo Marti (FMLN) consacre l’échec downloadModeText.vue.download 130 sur 509 CHRONOLOGIE 129 des négociations qui se sont déroulées durant trois jours à San José (Costa Rica) (31). Jeudi 19 Le prix Nobel de littérature est attribué au poète et romancier espagnol Camilo José Cela. FRANCE Peinture. Au Centre Georges-Pompidou s’ouvre une rétrospective de l’oeuvre du peintre néerlandais Bram Van Velde, synthèse originale de l’expressionnisme et du cubisme. Méconnu de son vivant, celui-ci est mort en 1981 à Paris, où il vivait depuis 1924. GRANDE!BRETAGNE Justice. La cour d’appel de Londres reconnaît l’innocence et ordonne la libération de trois Irlandais du Nord et d’une Anglaise condamnés il y a près de quinze ans pour deux attentats à la bombe meurtriers contre des soldats britanniques. URSS Presse. Après avoir fustigé l’« irresponsabilité » de certains journaux réformateurs, le 13, M. Mikhaïl Gorbatchev obtient le départ du rédacteur en chef conservateur de la Pravda, M. Victor Afanassiev. Vendredi 20 ENVIRONNEMENT Faune. Réunis à Lausanne depuis le 9, les pays signataires de la Convention de 1973 sur le commerce international des espèces menacées décident par 76 voix contre 11 d’interdire le commerce de l’ivoire (5 juin, 18 juillet et 17 août). FRANCE Souveraineté. Statuant sur les requêtes déposées après les élections européennes du 18 juin, le Conseil d’État inverse sa jurisprudence en acceptant de faire prévaloir un traité sur une loi postérieure. Conflits sociaux Le gâchis La vie sociale française entre dans l’ère des conflits de l’après-crise. Il devient en effet difficile, pour le patron d’une entreprise privée comme pour le gouvernement, de faire comprendre à ses salariés la nécessité de maintenir une rigueur de gestion alors que la crise s’éloigne. Cette période de convalescence de l’économie française appelle un nouveau type de relations sociales auquel ni le secteur privé ni le secteur public ne semblent préparés. Les agents des Finances, qui reprennent lentement le travail à partir du 20 octobre, tout comme les salariés de Peugeot, qui interrompent le 23 leur mouvement de grève, estiment n’avoir pas été vraiment entendus. Le 15 septembre, la grève déclenchée le 5 à l’usine Peugeot de Mulhouse et le 8 à celle de Sochaux, se durcit après les déclarations du P-DG de PSA qui nie toute « dégradation du climat social » dans son groupe. Les grévistes, dont les moins payés gagnent 5 000 F par mois, réclament des augmentations de 500 à 1 500 francs mensuels. Appelé à engager le dialogue, M. Jacques Calvet refuse de céder. Le 25, la première lettre de licenciement parvient à Mulhouse. Le 27, la publication par le Canard enchaîné de la feuille d’impôts du patron de Peugeot apprend à ses salariés que celui-ci gagne 180 000 F environ par mois. Le 5 octobre, le gouvernement nomme un médiateur, M. Francis Blanchard. Le 13, celui-ci obtient l’évacuation de l’atelier de forge de Mulhouse contre la levée des sanctions et l’ouverture de négociations. Ces dernières aboutissent le 20 au relèvement de 400 F des salaires mensuels les plus bas et à la revalorisation de l’intéressement. Le 15 septembre, le conflit engagé au début du mois de juin par les agents des Impôts au sujet des traitements et des effectifs – mais qui traduit un malaise plus profond – s’étend au Trésor et aux douanes après le frein mis par Matignon aux downloadModeText.vue.download 131 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 130 propositions du ministère des Finances. Rudement interpellé par les parlementaires socialistes, le gouvernement manie la carotte et le bâton. Alors que M. Michel Rocard se veut apaisant en déclarant, le 4 octobre, que « le climat social reste plutôt moins nerveux qu’on veut bien le dire », les agents des Finances qui menaçaient, le 14, de paralyser la paye des fonctionnaires, sont sévèrement mis en demeure d’y renoncer. Au lendemain de la manifestation nationale du 19, M. Bérégovoy, qui affirme être allé « au-delà du possible », propose une revalorisation des indemnités aboutissant à un bonus mensuel de 315 F, auxquels s’ajoute la « prime de croissance » de 1 200 F que doivent recevoir tous les salariés de la fonction publique. L’augmentation des crédits de fonctionnement et des emplois nouveaux sont en outre promis. Peugeot a « perdu » 50 000 véhicules. Les entreprises, les particuliers et l’État lui-même ont lourdement pâti de la paralysie des services des Finances. URSS Finances. Cinq banques occidentales, dont le Crédit Lyonnais, et trois banques soviétiques annoncent la création de l’International Moscow Bank (IMB), société anonyme au capital de 100 millions de roubles (150 millions de dollars au cours officiel), fonctionnant selon les règles de l’économie de marché. Samedi 21 ANTARCTIQUE Exploitation. La quinzième réunion des pays signataires du traité sur l’Antarctique, qui se tient à Paris depuis le 9, s’achève par l’adoption d’une résolution franco-australienne prévoyant de consacrer une réunion spéciale à la protection de l’environnement du continent, en 1990. FRANCE Culture. Durant le week-end, les nombreuses manifestations de la première fête de la lecture, organisée par le ministère de la Culture et baptisée la Fureur de lire, connaissent un grand succès. ÉTATS!UNIS Avortement. Le président George Bush oppose son veto à la loi adoptée par le Congrès, qui prévoyait le remboursement sur fonds publics des interruptions de grossesse en cas de viol ou d’inceste. HONDURAS Accident aérien. Un Boeing 727 de la compagnie hondurienne Sahsa, qui tentait un atterrissage de fortune, s’écrase près de Tegucigalpa. Il y a 131 victimes et 15 rescapés. Dimanche 22 COMMONWEALTH Le sommet des pays de l’ancien empire britannique réuni depuis le 18 à Kuala Lumpur (Malaisie) appelle au renforcement des sanctions économiques envers l’Afrique du Sud, contre l’avis de la Grande-Bretagne. FRANCE Sociétés. En acquérant 13 % du capital du Nuovo Banco Ambrosiano pour 1,3 milliard de francs, le Crédit agricole devient le principal actionnaire de cette future première banque privée italienne et réalise ainsi sa première opération d’envergure à l’étranger. PAYS!BAS Violence. Dans le stade d’Amsterdam, deux bombes de fabrication artisanale lancées par des hooligans blessent quatorze spectateurs du match de football Ajax-Feyenoord Rotterdam. LIBAN Conflit. Après trois semaines de discussions, les députés libanais réunis à Taëf (Arabie Saoudite) adoptent un document d’« endownloadModeText.vue.download 132 sur 509 CHRONOLOGIE 131 tente nationale » qui modifie l’équilibre institutionnel au bénéfice des musulmans et consacre la présence syrienne dans le pays pour au moins deux ans. Le général chrétien Michel Aoun rejette aussitôt l’accord (30 septembre). SPORT Automobile. La disqualification d’Ayrton Senna lors du Grand Prix du Japon – avant-dernière épreuve de la saison – permet à Alain Prost de remporter virtuellement son troisième titre de champion du monde de formule 1 et met fin au duel des deux pilotes de McLaren. Lundi 23 FRANCE Vie parlementaire. L’abstention des communistes et des barristes fait échouer la motion de censure déposée par les groupes RPR, UDF et UDC contre la première partie du projet de budget 1990. Sociétés. La Compagnie financière Paribas lance une OPA sur le capital de la Compagnie de navigation mixte dont elle détient déjà 18,7 % achetés en Bourse. Le 26, la Mixte rejette l’offre. RDA Manifestations. Trois cent mille personnes dans les rues de Leipzig et plusieurs milliers dans d’autres villes du pays réclament la suppression des entraves à la libre circulation des personnes hors des frontières et expriment leur méfiance envers M. Egon Krenz (18 et 24). URSS Politique étrangère. Devant le Soviet suprême, M. Édouard Chevardnadze critique l’ancienne direction du pays pour avoir notamment décidé l’intervention en Afghanistan. Il propose d’autre part la liquidation respective, d’ici l’an 2000, de toutes les bases et de toute présence militaire américaine ou soviétique à l’étranger. Le 25, l’OTAN rejette cette offre. Mardi 24 RDA Vie politique. Le Parlement élit M. Egon Krenz président du Conseil d’État, organe suprême de l’exécutif. Fait remarquable, sur 500 députés, 26 votent contre et 26 s’abstiennent (18, 23, 27 et 30). URSS Institutions. Passant outre aux objections de M. Mikhaïl Gorbatchev, le Soviet suprême se prononce en faveur de l’élection au suffrage universel direct des présidents des différentes républiques de l’Union. ÉTATS!UNIS Justice. Reconnu coupable d’avoir détourné 3 des 158 millions de dollars recueillis par l’intermédiaire de son ministère télévisé, le « télévangéliste » Jim Bakker est condamné à 45 ans de réclusion et 500 000 dollars d’amende. Mercredi 25 CEE M. François Mitterrand déclare devant le Parlement européen de Strasbourg que la construction de l’Europe politique constitue la seule réponse aux événements en cours dans les pays de l’Est. Il soutient qu’une contribution commune des Douze devrait leur être accordée. downloadModeText.vue.download 133 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 132 FRANCE Politique étrangère. Le gouvernement annonce l’octroi d’une aide globale à la Pologne de près de 4 milliards de francs. Outre-mer. Le Conseil des ministres adopte le projet de loi qui complète l’amnistie partielle prévue par le référendum du 6 novembre 1988 en l’étendant aux crimes de sang. POLOGNE v. France URSS Monnaie. La banque d’État s’engage sur la voie de la dévaluation et de la convertibilité du rouble en décidant de relever, à partir du 1er novembre, le taux de change réservé aux touristes jusqu’à un niveau proche de celui du marché noir. NOUVELLE!CALÉDONIE v. France Jeudi 26 ONU Scandale. Le Suisse Jean-Pierre Hocké, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, est contraint à la démission par le secrétaire général de l’ONU, pour son utilisation discutable des fonds du HCR. FRANCE Corse. Prenant le contrepied du rapport Prada, le comité interministériel sur la Corse dirigé par M. Pierre Joxe préconise le maintien des mesures dérogatoires et reconnaît la spécificité de l’île (12 septembre). Sociétés. En décidant d’apporter au Crédit Lyonnais 80 % du capital de sa filiale financière en trois ans en échange de 14 % de celui de la banque, le groupe Thomson-CSF illustre une stratégie inédite dans le secteur public. Académie française. Élue le 24 novembre 1988 au fauteuil d’André Roussin, l’helléniste Jacqueline de Romilly est reçue sous la coupole par M. Alain Peyrefitte. Elle est la deuxième femme, après Marguerite Yourcenar, à devenir « immortelle ». FINLANDE Relations internationales. En visite à Helsinki depuis le 25, M. Mikhaïl Gorbatchev reconnaît officiellement la neutralité du pays. GRANDE!BRETAGNE Gouvernement. Le chancelier de l’Échiquier, M. Nigel Lawson, remet sa démission en raison du désaccord qui l’oppose au conseiller économique personnel de Mme Margaret Thatcher, sir Alan Walters. Vendredi 27 FRANCE Justice. La cour d’assises des Pyrénées-Orientales condamne Roger Knobelspiess à neuf ans de réclusion criminelle pour sa participation à un vol à main armée à Thuir, le 6 avril 1987. RDA Justice. Les autorités décrètent une amnistie pour tous les émigrants et les manifestants illégaux. Les rassemblements en faveur de la libéralisation du régime deviennent quotidiens (16, 18, 23, 24 et 30). AMÉRIQUE Relations internationales. Seize États sont représentés au « sommet des Amériques » qui se tient à San José jusqu’au 28 à l’occasion du centième anniversaire de la République du Costa Rica. Le Canada annonce sa volonté d’adhérer à l’Organisation downloadModeText.vue.download 134 sur 509 CHRONOLOGIE 133 des États d’Amérique (OEA). L’isolement diplomatique du Nicaragua s’accentue. Samedi 28 ESPACE La fusée européenne Ariane 4 place sur orbite Intelsat VI, le plus gros satellite civil de communication jamais construit (2 560 kg), capable de transmettre simultanément 120 000 conversations téléphoniques. TCHÉCOSLOVAQUIE Manifestation. À Prague, la police anti-émeutes disperse plusieurs milliers de manifestants qui célébraient au cri de « Liberté » le 71e anniversaire de la création de la République et qui réclamaient l’organisation d’élections libres (17 novembre). Dimanche 29 ESPAGNE Élections législatives. Les premiers résultats accordent 176 sièges sur 350 (-8), au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) qui conserve de justesse la majorité absolue aux Cortes. La coalition de la Gauche unie (IU), conduite par le Parti communiste, passe de 7 à 17 sièges. ALGÉRIE Catastrophe naturelle. La région située entre Alger, Blida et Cherchell est éprouvée par deux secousses sismiques successives, de magnitude 5,7 et 4,5 sur l’échelle de Richter, qui entraînent la mort de trente personnes. AFRIQUE DU SUD Apartheid. Dans le stade de Soweto, où se sont réunies soixante mille personnes, les dirigeants historiques du Congrès national africain (ANC) récemment libérés président le premier rassemblement autorisé de leur mouvement depuis son interdiction en 1960 (15). ARTS David L’année du bicentenaire de la Révolution française ne pouvait s’achever sans un hommage à celui qui fut, plus qu’un acteur et un témoin, l’un des plus talentueux metteurs en scène de cette période. Les 29 et 31 octobre s’ouvrent au musée du Louvre et au château de Versailles deux riches expositions des oeuvres de Jacques-Louis David. Candidat malheureux au concours du prix de Rome, converti à l’antique par adhésion au goût Louis XVI, David se trouve, au gré de la conjoncture de 1789, en accord avec une jeune Révolution qui exalte la Vertu et le Héros, et qu’il s’empresse d’épouser. Député jacobin à la Convention et régicide, il pourvoit largement la guillotine en tant que membre zélé du Comité de sûreté générale. Nommé à la commission du Muséum, il combat les pouvoirs artistiques qui l’ont rejeté et déclare : « Seul, je vaux une Académie ». Lui qui, la veille, avait promis à Robespierre de boire avec lui la ciguë, échappe au 9-Thermidor parce qu’il choisit ce jour-là pour se purger ! Rallié à Bonaparte auquel il reste fidèle jusqu’aux Cent Jours, il est exilé sous la Restauration pour avoir voté la mort du roi. Peintre officiel de la République puis de l’Empire, David voit son art transfiguré par l’Histoire. Académique et ennuyeux quand il peint le Serment des Horaces en 1784, pompier et mièvre lorsqu’il réalise Mars désarmé par Vénus et les Grâces en 1824, il donne ses plus belles oeuvres dans le tumulte du tournant du siècle. L’Histoire court parfois même plus vite que son pinceau et nombre de ses tableaux restent inachevés parce qu’ils sont dépassés par les événements. Théâtral, il met en scène le Serment du Jeu de paume ou le Couronnement de l’Empereur, comme il le fait du défilé lors de la fête de l’Être suprême, en serviteur d’une idéologie, programmant les sourires des figurants de la même façon qu’il fixe sur la toile ceux de ses personnages. Plus intimiste, il sait également représenter la mort, comme celle de Marat. Il laisse enfin des portraits à l’autorité saisissante, ceux de Louise Pastoret, de downloadModeText.vue.download 135 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 134 Prieur de la Marne, de Madame Récamier ou bien, plus inspirés encore, des autoportraits au modernisme étonnant. Tour à tour néoclassique, révolutionnaire et pompier, David apparaît encore, en 1989, comme ce « composé singulier de réalisme et d’idéal » que voyait en lui Delacroix, son héritier attentif. Lundi 30 FRANCE Immigration. Mis en demeure de ne pas interrompre le fonctionnement normal du service scolaire, le maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) décide de ne pas donner suite aux mesures qu’il avait annoncées le 4 à rencontre de deux directrices d’écoles maternelles qui avaient inscrit des enfants d’immigrés malgré son interdiction. RDA Manifestations. Près d’un demi-million d’Allemands de l’Est défilent dans les rues de Leipzig et d’autres grandes villes du pays, en réclamant des réformes démocratiques (23, 27). URSS Manifestations. À Moscou, un millier de personnes se rassemblent autour de la prison de la Liubianka, siège du KGB, à l’occasion d’une « Journée des prisonniers politiques » organisée par le mouvement Mémorial. CAMBODGE Conflit. Les autorités rétablissent le couvre-feu à Phnom Penh alors que les offensives de la guérilla des Khmers rouges menacent Battambang, principale ville de l’ouest du pays. Mardi 31 FRANCE Presse. Malgré la décision des employés en grève de reprendre le travail, M. Robert Maxwell décide la fermeture de l’Agence centrale de presse (ACP) dont il est l’actionnaire principal. ISRAËL Conflit. L’armée lève le blocus imposé depuis le 21 septembre à la localité cisjordanienne de Beit-Sahour. Ses habitants, qui observent la grève des impôts, étaient l’objet de saisies systématiques. TURQUIE Élection présidentielle. Premier ministre depuis 1983, M. Turgut Ozal est élu président de la République par le Parlement ; les députés de l’opposition boycottent le scrutin. JAPON v. États-Unis ÉTATS!UNIS Sociétés. Mitsubishi Estate, premier groupe immobilier japonais, prend le contrôle de 51 % du capital du Rockefeller Group qui gère quatorze immeubles de bureaux de New York, dont le célèbre Rockefeller Center. SALVADOR Conflit. Un attentat à la voiture piégée dirigé contre la Fédération nationale des travailleurs salvadoriens (FENASTRAS) provoque la mort de dix personnes, dont sept dirigeants du syndicat, réputé proche de la guérilla du Front Farabundo Marti (FMLN) (18). downloadModeText.vue.download 136 sur 509 CHRONOLOGIE 135 Le mois de Jacqueline de Romilly Le mois d’octobre 1989 aura marqué dans ma vie, puisqu’il a été celui de mon entrée à l’Académie française et de ma réception sous la Coupole. Dans la mesure où, après Marguerite Yourcenar, il n’y avait pas eu d’autre femme dans cette compagnie, ce fut aussi une occasion marquant l’assouplissement heureux d’une tradition séculaire. Mais, même dans les joies et les obligations de cette réception, je ne pouvais pas ignorer que, non loin de nous, le monde, bougeait, avec une force et selon un rythme rarement atteints jusqu’alors. On avait vu d’abord les événements de Chine. Mais voici qu’au cours de l’été, puis de l’automne, les mouvements se rapprochèrent et éclatèrent un peu partout, comme d’énormes bulles qui viendraient soulever une substance pesante. Dans beaucoup de cas, ces mouvements entraînèrent des changements considérables. Après la Pologne, on vit les manifestations de Leipzig et de Dresde, qui augmentaient chaque jour en importance. On vit des « trains de la liberté » passer le rideau de fer, des Allemands de l’Est franchir les anciens barrages par la Hongrie ou la Tchécoslovaquie. On vit, en quelques jours, la Hongrie changer soudain son régime, son parti communiste se saborder, et l’étoile rouge dispa- raître des monuments publics. Sans que le même succès s’ensuivît, on vit, même à Prague, les gens descendre dans la rue. Et l’on vit, sur la fin, des troubles se manifester jusqu’en Bulgarie. Tous ces mouvements, partout, se faisaient au nom de la liberté. Il n’est pas question de commenter ici l’aspect proprement politique de ces événements, ou de s’interroger sur les résultats à venir. Mais quand on s’est, comme moi, occupé, à propos de la Grèce antique, de l’idée de liberté, on ne peut pas ne pas saluer, comme une révélation, la leçon morale de ces « révolutions d’octobre ». Elles prouvent à l’évidence la force et le dynamisme de cette idée. Elles montrent le lien étroit qui, dans le monde moderne comme dans le monde grec ancien, unit de façon toute naturelle l’indépendance nationale et la liberté démocratique. Elles attestent surtout que cette idée de liberté peut surgir, s’épanouir et s’imposer – même dans des pays où elle a été, pendant de longues années, écartée de toute forme d’enseignement, de propagande, ou même d’information. Les Grecs d’autrefois ont défini et exalté la liberté ; plus près de nous, les instigateurs des Droits de l’homme ont posé et proclamé des principes ; mais, dans le silence, de façon latente, obstinée, irréductible, comme une braise sous la cendre, cette aspiration à la liberté est là, en tous. Telle est, je crois, l’étonnante mais indiscutable leçon de l’événement d’octobre. JACQUELINE DE ROMILLY downloadModeText.vue.download 137 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 136 Novembre Mercredi 1er LIBAN Terrorisme. L’assassinat du diplomate saoudien Ali Marzouq à Beyrouth-Ouest est aussitôt revendiqué par le Djihad islamique. Cette organisation proche de l’Iran avait promis de venger les seize chiites exécutés à La Mecque au mois de septembre (21 septembre). NICARAGUA Conflit. À la suite de la reprise des attaques de la Contra, le gouvernement annonce la suspension du cessez-le-feu unilatéral prévu par les accords de Sapoa du 23 mars 1988. Les États-Unis et l’opposition dénoncent la menace que cette décision fait peser sur les élections générales prévues pour le mois de février 1990. Jeudi 2 EUROPE Culture. M. Jack Lang réunit pendant deux jours au château de Blois (Loir-et-Cher) les ministres de la Culture des Douze ainsi que diverses personnalités intellectuelles des pays de l’Est, pour une rencontre « informelle ». Les participants abordent les thèmes de la libre circulation des biens culturels et de la propriété littéraire et artistique. Ils se prononcent en faveur de la tenue d’assises européennes de la presse écrite en 1990. GRANDE!BRETAGNE Sociétés. Le conseil d’administration de la firme automobile Jaguar accepte l’OPA de 1,6 milliard de livres (16 milliards de francs environ) présentée par la société américaine Ford, à laquelle General Motors a finalement renoncé à s’opposer. PAYS!BAS Gouvernement. À la suite des élections législatives du 6 septembre, les partis chrétien-démocrate (CDA) et socialiste (PVDA) parviennent à un accord sur le programme d’un gouvernement de coalition de centre-gauche dirigé par le Premier ministre sortant, M. Ruud Lubbers. Celui-ci prête serment le 7. Le socialiste Wim Kok devient vice-Premier ministre. URSS Perestroïka. Une émission de télévision en direct est organisée pour permettre aux téléspectateurs de poser pour la première fois des questions à des officiers du KGB. YOUGOSLAVIE Nationalités. À Pristina, capitale du Kosovo, un affrontement armé oppose pendant plusieurs heures des manifestants de souche albanaise aux forces antiémeutes appuyées par des blindés. Le bilan officiel est de deux morts. Vendredi 3 FRANCE!RFA Relations. Interrogé, à l’issue du 54e sommet francoallemand, qui se tenait à Bonn depuis la veille, sur la position de la France au sujet downloadModeText.vue.download 138 sur 509 CHRONOLOGIE 137 de la réunification des deux Allemagnes, le président François Mitterrand déclare : « Ce qui compte, c’est la détermination du peuple allemand. » Le chancelier Helmut Kohl affirme de son côté : « Les problèmes allemands ne peuvent être résolus que sous un toit européen. » BULGARIE Manifestation. Pour la première fois depuis l’instauration du régime socialiste, cinq mille personnes peuvent défiler librement dans les rues de Sofia aux cris de « démocratie » et de « glasnost » (10). ÉTATS!UNIS Ventes. Chez Sotheby’s, à New York, la vente de la collection de mobilier XVIIIe et XIXe siècle appartenant à l’homme d’affaires américain Roberto Polo, poursuivi pour détournement de fonds, atteint un montant de 9 millions de dollars (56,7 millions de francs), soit plus du double de l’estimation. Une console Louis XVI est adjugée 1,32 million de dollars (8,3 millions de francs). Samedi 4 FRANCE Société Le fichu. À l’automne, la France a brusquement redécouvert ses immigrés musulmans. Il a suffi d’un conflit local – le port d’un foulard islamique par trois adolescentes dans un collège de Creil (Oise) – pour déclencher un débat national. Sur la laïcité d’abord, puis sur l’intégration des immigrés et de leurs enfants. L’objet du délit prêtait lui-même à controverse. Voile ? Foulard ? Tchador ? Hidjeb ? Comment désigner ce fichu, apparu dans certains pays arabes à la fin des années 70, couvrant les cheveux, les oreilles et le cou, pour ne laisser voir que l’ovale du visage ? Il s’agissait, en tout cas, d’un signe religieux. Or, les signes religieux – à moins d’être discrets – sont interdits à l’école publique. Dans un premier temps, le ministère de l’Éducation nationale tenta de favoriser un compromis entre le principal du collège de Creil et les familles. Mais l’accord fut très vite remis en question, sous l’influence de groupes islamistes, de mouvements antiracistes et des médias. Il apparaissait que le foulard n’était que la partie émergée d’un débat plus vaste, portant sur les droits des élèves musulmans dans les écoles de la République : pouvait-on, par exemple, dispenser ceux qui le demandaient de certaines matières (comme la gymnastique) jugées contraires à leur religion ? Interrogé par les députés de l’opposition, le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, adopta, le 25 octobre, une position moyenne. Selon lui, il ne fallait « venir à l’école avec aucun signe » religieux. Si une élève insistait pour porter le foulard islamique, un dialogue devait être engagé. Mais, si la famille refusait de céder, il fallait alors admettre l’intéressée avec son foulard car « l’école ne peut exclure ». Dans la polémique qui suivit, toutes les cartes étaient brouillées. La droite se po- sait en défenseur de la laïcité, tandis que la gauche, divisée, se partageait entre partisans de la tolérance et partisans de la fermeté. Le gouvernement décida alors, le 4 novembre, de saisir le Conseil d’État. Dans l’attente de cet avis, la polémique allait s’élargir à toute la question de l’immigration, sous la pression de forces contradictoires : l’opposition parlementaire qui trouvait là un moyen de mettre le gouvernement en difficulté ; le Front national qui croyait voir triompher ses thèses sur « l’islamisation de la France » ; les défenseurs des immigrés qui réclamaient des mesures pour l’intégration ; les Français qui, pour la première fois, osaient dire à haute voix leurs sentiments ; les médias enfin qui donnaient à tout cela une très forte résonance... L’avis rendu le 27 novembre par le Conseil d’État allait ressembler à un retour à la case départ : le port de signes religieux « n’est downloadModeText.vue.download 139 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 138 pas, par lui-même, incompatible avec la laïcité de l’école publique », mais diverses raisons autorisent un établissement scolaire à l’interdire (si les signes religieux constituent un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande », s’ils portent atteinte « à la dignité ou à la liberté de l’élève », s’ils « troublent l’ordre dans l’établissement », etc.). En clair, il appartient à chaque école de définir son propre règlement, en se fondant sur ces principes généraux. Conséquence politique immédiate : la victoire d’une candidate du Front national, Marie-France Stirbois, à l’élection législative partielle de Dreux, le 3 décembre. L’extrême droite a retrouvé ainsi une place au Parlement. Pressé de divers côtés, le gouvernement de Michel Rocard a mis en place un dispositif pour favoriser l’intégration des immigrés : un comité interministériel, un secrétaire général, pour coordonner l’action des administrations, et un conseil de « sages ». Le premier effort du gouvernement a porté sur le contrôle des flux migratoires, en annonçant une lutte plus active contre les tra- vailleurs clandestins et un traitement plus rapide des demandes d’asile. Trois foulards dans un collège de Creil... Malgré de gros dégâts, cette affaire aura au moins permis de redéfinir le modèle français d’intégration qui, selon Michel Rocard, consiste à intégrer des personnes et non à faire de la France « une juxtaposition de communautés ». Dimanche 5 GRÈCE Élections législatives. Pas plus que celui du mois de juin, le nouveau scrutin ne permet de dégager une majorité stable au Parlement (Vouli). La Nouvelle Démocratie (conservateur) et le PASOK (socialiste) obtiennent respectivement 148 (+ 3) et 128 (+ 3) sièges sur 300. La Coalition de la gauche et du progrès conduite par le Parti communiste ne conserve que 21 députés (– 7) [18 juin et 21 novembre]. ISRAËL Conflit. Le gouvernement accepte avec réserves le plan de dialogue israélo-palestinien proposé par le secrétaire d’État américain James Baker au mois d’octobre (10 octobre). LIBAN Élection présidentielle. Le Parlement, réuni à la base militaire de Qlaiaat, dans le nord du pays, élit le député chrétien René Moawad à la présidence de la République, vacante depuis le 22 septembre 1988, date de l’expiration du mandat d’Aminé Gemayel. Le général chrétien Michel Aoun, qui avait proclamé la dissolution du Parlement la veille, déclare cette élection « anticonstitutionnelle » (22). THAÏLANDE Catastrophe naturelle. Le bilan officiel du passage du typhon Gay, qui a ravagé durant plusieurs jours le sud du pays, s’élève à 437 morts et des centaines de disparus, principalement en mer où la tempête a provoqué le naufrage d’un navire américain de prospection gazière, le 3. MUSIQUE Accord final Il appartenait à la légende musicale du siècle. Son génie très personnel en faisait l’interprète le plus admiré et le plus controversé de l’histoire du piano après Franz Liszt. Après 85 ou peut-être 86 ans d’une vie de triomphes et d’éclipsés, Vladimir Horowitz est mort à New York, le 5 novembre. Né près de Kiev, en Russie, dans une famille de musiciens, le jeune Volodya Gorowitz – son véritable nom – est mis à l’école de la grande tradition pianistique de son pays à l’âge de six ans. Célèbre dès sa sortie du conservatoire en 1922, il joue quelque temps dans les salles glaciales des lendemains de révolution avant d’obtenir un visa de sortie de six mois pour suivre les cours d’Arthur downloadModeText.vue.download 140 sur 509 CHRONOLOGIE 139 Schnabel à Berlin, en 1925. Il ne reviendra dans son pays que soixante et un ans plus tard. Il conquiert tour à tour l’Allemagne, la France, l’Europe et les États-Unis par la puissance et la virtuosité de son jeu. Un véritable don du ciel aidé par un poignet d’acier lui confère la capacité de caresser ou de frapper le clavier sans jamais briser le son. Ravel et Rachmaninov le félicitent. Confronté à lui en 1931, Arthur Rubinstein se retire de la scène pendant six ans, pour se mettre à niveau. En 1932, Horowitz interprète – et enregistre – la fameuse Sonate en si mineur de Liszt. La même année, il fait la connaissance de Toscanini dont il épouse la fille Wanda en 1933. Scarlatti, Liszt, les Russes : son répertoire ignore alors quasiment les Français, le XXe siècle, Schumann. Sa vie conjugale tumultueuse ajoutée à la tension d’un travail sans répit compromettent bientôt une santé et un psychisme délicats. De 1935 à 1937, il connaît la première éclipse de sa carrière. Il disparaît à nouveau complètement de la scène entre 1953 et 1965. Malade, déprimé, dégoûté, il enregistre chez lui Clementi, Scriabine, Beethoven et s’ouvre à Schumann. Dernière parenthèse entre 1969 et 1974. Mais ce génie qui se fait rare renaît à chaque fois pour mettre le monde à ses pieds. Le dandy ombrageux redevient alors le bon vivant ravi de sa propre gloire, au visage pétillant de malice souligné par l’éternel noeud papillon. Retrouvant Carnegie Hall au mois de mai 1965, il entame son récital par la plus émouvante fausse note de l’histoire du piano I Son dernier retour est celui qu’il entreprend en Europe, après tant d’années de bouderie. Il est à Londres en 1982, à Paris en 1985, à Moscou en 1986, à Vienne en 1987. Enfin libéré de sa névrose d’échec, il ne cesse jusqu’à la fin de découvrir de nouveaux pans du répertoire. Mardi 7 ONU Le Conseil de sécurité approuve à l’unanimité la création du Groupe des observateurs des Nations unies en Amérique centrale (ONUCA), en application des accords de San José et de Tela conclus en février et en août par les cinq chefs d’État de la région. Cette force de paix sera chargée de veiller à ce qu’aucun armement ne parvienne à la Contra nicaraguayenne (14 février et 7 août). FRANCE Corse. Un attentat contre deux immeubles de vacances en construction près de PortoVecchio, revendiqué le 16 par l’ex-FLNC, marque la fin de la trêve observée par les nationalistes depuis le mois de juin 1988. Privatisations. Selon le rapport de la commission d’enquête parlementaire présidée par M. Raymond Douyère, député PS, la sous-estimation du prix de vente des sociétés privatisées par le gouvernement de M. Jacques Chirac aurait fait perdre à l’État entre 8,3 et 19,6 milliards de francs. URSS Commémoration. À Moscou, le traditionnel défilé militaire organisé sur la place Rouge en l’honneur de la Révolution d’octobre est beaucoup plus modeste que de coutume. Des contre-manifestations nationalistes ont lieu à travers le pays. ÉTATS!UNIS Élections locales. Pour la première fois, un Noir, M. David Dinkins (démocrate), est élu maire de New York. En Virginie, M. Douglas Wilder (démocrate) devient le premier gouverneur noir d’un État de l’Union. Mercredi 8 RDA Vie politique. Sous la pression de la rue et au lendemain de la démission du gouvernement de M. Willi Stoph, Premier ministre depuis 1964, le bureau politique du parti communiste (SED) est l’objet d’un profond remaniement dès l’ouverture des travaux du comité central. downloadModeText.vue.download 141 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 140 JORDANIE Élections législatives. Les résultats du premier scrutin organisé depuis 22 ans accordent 31 sièges sur 80 à des élus islamistes, dont 20 aux Frères musulmans. Les partisans du régime obtiennent 47 sièges et des proches du FPLP et du FDLP, organisations palestiniennes, 2. Jeudi 9 FRANCE Concurrence. La cour d’appel de Paris confirme la décision rendue le 25 avril par le Conseil de la concurrence et des prix en condamnant des compagnies pétrolières et des distributeurs et revendeurs de carburants à des sanctions pécuniaires pour « entente illicite sur les prix » en Corse. GRANDE!BRETAGNE Énergie. Le nouveau ministre, M. John Wakeham, revient sur la politique de privatisation de l’électricité prévue pour 1990 en annonçant le maintien dans le giron de l’État, faute d’acquéreur, des centrales nucléaires existantes, ainsi que le gel pour cinq ans du programme de construction de nouvelles unités. RDA v. Allemagne La fin du mur Le 9 novembre, les petits groupes de Berlinois de l’Est qui stationnent peu avant minuit aux abords des points de passage à travers le mur sont sceptiques. Quelques heures plus tôt, les autorités est-allemandes ont annoncé que la libre circulation entre les deux Allemagnes serait rétablie à partir du lendemain, zéro heure, sur simple présentation d’un visa délivré dans les commissariats. À l’heure dite, les barrières se lèvent. Commence alors la plus longue nuit d’allégresse qu’ait jamais connue Berlin. Des milliers d’« Ostler » franchissent le mur en produisant leur carte d’identité, document toléré pendant quelques heures. Chaleureusement accueillis par les « Westler », ils arpentent comme dans un rêve le Kurfurstendamm au milieu des vivats, avant de rentrer sagement chez eux. Depuis le début de l’année, 225 000 Allemands de l’Est sont passés à l’Ouest. À partir du 1er novembre, ils pouvaient à nouveau franchir la frontière tchécoslovaque, fermée depuis le 3 octobre, et ne s’en privaient pas. La volonté de réformes affichée à Berlin-Est ne pouvait s’accommoder plus longtemps d’un exode que les changements en cours avaient à peine ralenti. L’ouverture des frontières s’imposait. Le mur ne servait déjà plus à rien. C’était en partie pour enrayer la fuite des Allemands de RDA depuis 1949 qu’avait été prise la décision d’isoler les secteurs occidentaux de Berlin, en pleine guerre froide. Le 13 août 1961, à l’aube, commençait à se dresser sous les yeux des Berlinois impuissants une barrière de fil barbelé et de parpaings qui allait devenir le « mur de la honte » à l’Ouest et le « mur de la paix » à l’Est. En vingt-huit ans, soixante-dix-neuf personnes sont mortes pour avoir tenté de le franchir clandestinement. Des milliers d’autres y sont parvenues malgré les miradors, les patrouilles de « Vopos », les systèmes d’alarme et, jusqu’en 1987, les champs de mines et les dispositifs de tirs automatiques. Samedi 11 novembre, au petit matin, des bulldozers pratiquent les premières brèches dans le mur en prévision de l’afflux de visiteurs. Quatre millions de visas sont délivrés par la police est-al- lemande, dont 700 000 rien qu’à Berlin-Est. Pendant deux jours, ces « Ostler » à qui sont offerts 100 marks de bienvenue font du lèche-vitrine et visitent gratuitement les musées. Dimanche 12, les maires de Berlin-Ouest et de Berlin-Est, MM. Walter Momper et Erhard Krach, échangent une poignée de main au passage réouvert de la Potsdamer Platz. S’il n’est pas supprimé, l’exode massif est toutefois ralenti. Certains Allemands de l’Est réfugiés à l’Ouest décident même de rentrer chez eux. « La question allemande reste ouverte aussi longtemps que la porte de Brandebourg est fermée », disait récemment M. Richard von Weizsëcker, chef de l’État ouest-allemand. Mais la downloadModeText.vue.download 142 sur 509 CHRONOLOGIE 141 porte de Brandebourg, symbole trop évident d’une Allemagne unie et conquérante, est restée fermée. Preuve que la chute du mur, loin de régler la question allemande, la pose avec encore plus d’acuité. TURQUIE Gouvernement. Le nouveau chef de l’État, M. Turgut Ozal, nomme M. Yildirim Akbulut pour lui succéder au poste de Premier ministre. CHINE Vie politique. Âgé de 85 ans, M. Deng Xiaoping annonce sa démission de ses dernières fonctions officielles de président de la commission militaire du Parti communiste. Il n’en demeure pas moins l’« éminence grise » du régime. Vendredi 10 FRANCE Sociétés. La fusion de Rémy-Martin et de Cointreau donne naissance au troisième groupe français du secteur des vins et spiritueux, avec un chiffre d’affaires de plus de 6 milliards de francs. Musique. Au Théâtre musical de Paris-Châtelet est donnée la première d’une série de représentations de l’opéra de Beethoven, Fidelio, mis en scène par Giorgio Strehler et dirigé par Lorin Maazel. BULGARIE Vie politique. Au cours d’une réunion du comité central, M. Todor Jivkov, au pouvoir depuis 1954, annonce sa démission de ses fonctions à la tête du parti communiste et de l’État. Il est remplacé au secrétariat général du parti par M. Petar Mladenov, ministre des Affaires étrangères depuis 1971, qui promet des réformes « dans le cadre du socialisme » (16). RDA Vie politique. À l’issue de son plénum, le comité central du parti communiste (SED) se prononce en faveur d’élections libres (17). URSS Nationalités. À Kichinev, capitale de la République de Moldavie, de violents affrontements opposent les forces de l’ordre à des partisans du Front populaire moldave qui réclament la libération de militants nationalistes emprisonnés et la démission des autorités locales. On dénombre 129 blessés. Le 15, le premier secrétaire du Parti en Moldavie est destitué. Samedi 11 FRANCE Protocole. Les représentants de l’Académie française boycottent les cérémonies commémoratives du 11 novembre afin de protester contre la rétrogradation de leur institution dans la hiérarchie de la République (13 septembre). NAMIBIE Élections législatives. Étape du processus d’accession à l’indépen- dance, le scrutin pour la désignation des députés à l’Assemblée constituante se déroule dans le calme depuis le 7. Avec 57,32 % des suffrages et 41 des 72 sièges, l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO) n’atteint pas la majorité des deux tiers qui lui aurait permis d’élaborer seule la Constitution (22). Lundi 13 FRANCE Conflits sociaux. Fermé depuis six semaines en raison de la grève des employés chargés du nettoyage, le downloadModeText.vue.download 143 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 142 Centre Georges-Pompidou rouvre ses portes au public. Musique. À la Maison de la culture de Bobigny, le metteur en scène américain Peter Sellars présente un Don Giovanni de Mozart transposé dans le quartier new-yorkais de Harlem, qui suscite de nombreuses polémiques. Mardi 14 FRANCE Justice. Inculpé de coups et blessures volontaires le 8 mars 1988 pour avoir effectué une expérimentation sur un sujet en état de coma dépassé dans le cadre du procès des anesthésistes du CHU de Poitiers, le professeur Alain Milhaud bénéficie d’un non-lieu. Cinéma v. États-Unis POLOGNE Relations internationales. Le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl achève une visite officielle de cinq jours à Varsovie. Les Polonais font des concessions sur le statut de la minorité alle- mande de Haute-Silésie. La RFA accepte de remettre une large part de la dette polonaise et promet une aide de 3 milliards de deutschemarks (10,2 milliards de francs environ). La déclaration finale n’aborde pas la question de la reconnaissance définitive de la ligne Oder-Neisse réclamée par la Pologne. RFA v. Pologne ÉTATS!UNIS Culture. À Sarasota (Floride), se tient jusqu’au 19 le premier Festival annuel du cinéma français, dont l’ambition est de devenir le pendant du Festival du cinéma américain de Deauville. Mercredi 15 CONSEIL DE L’EUROPE La Hongrie est le premier pays de l’Est à déposer officiellement sa demande d’adhésion à l’organisation qui regroupe les vingt-trois pays d’Europe occidentale. FRANCE Société. Le secrétaire d’État, Mme Michèle André, organise jusqu’au 5 décembre une campagne nationale de sensibilisation au problème des femmes battues. HONGRIE v. Conseil de l’Europe ÉTATS!UNIS Relations internationales. En visite à Washington depuis le 13, M. Lech Walesa s’adresse au Congrès réuni en séance exceptionnelle, pour appeler les Américains à « investir dans la liberté, la démocratie et la paix ». Jeudi 16 BULGARIE Vie politique. Le comité central du Parti communiste exclut de son bureau politique plusieurs conservateurs proches de M. Todor Jivkov, qui sont remplacés par des réformateurs (18). AFRIQUE DU SUD Apartheid. Le président Frederick De Klerk annonce l’abolition de la ségrégation raciale sur les plages. Vendredi 17 FRANCE Justice. À la suite d’une plainte déposée par plusieurs de ses adversaires politiques, downloadModeText.vue.download 144 sur 509 CHRONOLOGIE 143 M. Jacques Médecin, maire de Nice, est inculpé de délit d’ingérence. Il lui est reproché d’être le propriétaire d’une société éditrice d’un mensuel en partie financé par les publicités d’associations subventionnées par la mairie de Nice. Société. Le personnel RATP de la ligne de métro numéro 9 (Pont-de-Sèvres – Mairie-de-Montreuil) observe une journée de grève afin de protester contre l’insécurité provoquée par l’activité des revendeurs de drogue. Musique. À Paris, un concert donné salle Pleyel dans le cadre du Festival d’automne permet d’entendre la nouvelle oeuvre d’Olivier Messiaen, la Ville d’en haut, et la version définitive de Visage nuptial, de Pierre Boulez. RDA Vie politique. Le nouveau Premier ministre Hans Modrow présente un gouvernement de coalition composé de dix-sept communistes et de onze membres des quatre formations associées au SED au sein du Bloc national. Il annonce des réformes en matière de libertés publiques et d’économie et propose de renégocier le traité qui lie les deux Allemagnes (20). TCHÉCOSLOVAQUIE Manifestation. À Prague, le jour de l’anniversaire du soulèvement antinazi de 1939, les forces antiémeutes se livrent à la répression brutale d’un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, principalement des étudiants, en faveur de la liberté et la démocratie (19). Samedi 18 CEE Les chefs d’État ou de gouvernement de la Communauté se réunissent à l’Élysée sur l’invitation du président François Mitterrand afin de dégager une position commune au sujet de l’évolution dans les pays socialistes. Ils affirment leur solidarité avec les réformes entreprises et évoquent le projet d’une banque européenne pour le développement et la modernisation de l’Europe de l’Est. FRANCE Presse. Le conseil d’administration de l’Agence centrale de presse (ACP) annonce son dépôt de bilan. Le 23, un administrateur judiciaire est nommé pour tenter de trouver un remplaçant à M. Robert Maxwell, détenteur de 66,8 % du capital avant son désengagement (31 octobre). BULGARIE Manifestations. À Sofia a lieu un rassemblement autorisé de cinquante mille personnes en faveur de l’accélération des réformes. Mais, le 20, le bureau politique émet une mise en garde envers ceux qui avancent des « revendications extrémistes » en « contradiction avec la Constitution » (16). ÉTATS!UNIS Défense. Dans une interview au Washington Post, le ministre Richard Cheney préconise une réduction de son budget en raison de la « diminution de la menace militaire des pays du pacte de Varsovie ». Dimanche 19 ÉGLISE CATHOLIQUE Traditionalistes. Au Bourget, vingt mille personnes environ et plusieurs centaines de prêtres et de séminaristes se rassemblent pour fêter les soixante ans de sacerdoce de Mgr Lefebvre. FRANCE Viniculture. Une hausse moyenne de 96,74 % par rapport à 1988 du prix des vins blancs – contre 13,51 % pour celui des vins rouges – est endownloadModeText.vue.download 145 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 144 registrée lors de la vente aux enchères des productions des Hospices de Beaune. Littérature. Présenté comme un antiprix Goncourt, le premier prix Novembre, dont le jury est présidé par l’écrivain et critique Angelo Rinaldi, est attribué à Guy Dupré pour son roman les Manoeuvres d’automne (Olivier Orban). TCHÉCOSLOVAQUIE Opposition. Les représentants de douze mouvements indépendants réunis dans un théâtre de Prague constituent, sur l’initiative de l’écrivain et dramaturge Vaclav Havel, un Forum civique qui propose aux autorités l’ouverture de négociations (24). SPORT Tennis. Au Madison Square Garden de New York, l’Allemande de l’Ouest Steffi Graf remporte le tournoi féminin des Masters en battant l’Américaine Martina Navratilova (6-4, 7-5, 2-6, 6-2). Lundi 20 ONU L’Assemblée générale adopte à l’unanimité la Convention internationale sur les droits de l’enfant. Ce texte complète et actualise la déclaration de 1959. FRANCE Vie parlementaire. Le projet de loi de finances pour 1990 est considéré comme approuvé par l’Assemblée nationale en première lecture après le rejet de la motion de censure déposée par l’opposition à la suite de l’engagement de responsabilité du gouvernement. Affaires. Après la levée par M. Pierre Joxe du secretdéfense imposé à ce dossier, le directeur de la DST révèle que c’est bien le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Charles Pasqua, qui a ordonné la délivrance d’un « vraifaux » passeport à M. Yves Chalier, impliqué en 1986 dans l’affaire du Carrefour du développement. Prisons. Le ministre de la Justice, M. Pierre Arpaillange, annonce une série de mesures destinées à améliorer les conditions de détention des mineurs après la révélation, la veille, des « viols et sévices répétés » subis par un adolescent de dix-sept ans placé en détention provisoire à la prison de Boisd’Arcy (Yvélines). Industrie. Le gouvernement donne son accord à la fermeture en 1992 de l’usine Renault de Billancourt, à Boulogne (Hauts-de-Seine). Construite dans l’île Seguin en 1925, celleci emploie encore 4 000 personnes qui bénéficieront d’un plan social. Littérature. Le prix Goncourt est attribué à Jean Vautrin pour Un grand pas vers le Bon Dieu (Gras- set). Philippe Doumenc reçoit le prix Renaudot pour les Comptoirs du Sud (Seuil). ESPAGNE Terrorisme. Alors que la coalition séparatiste basque Herri Batasuna, proche de l’ETA militaire, avait décidé, le 7, de mettre un terme au boycottage des travaux du Parlement, deux de ses députés sont victimes d’un attentat à Madrid. L’un d’eux, Josu Muguruza, est tué. RDA Manifestations. À Leipzig, une foule de deux cent mille personnes scande des slogans en faveur de la réunification de l’Allemagne (27). ROUMANIE Vie politique. Le quatorzième congrès du Parti communiste réuni à Bucarest est l’objet d’un boycottage de la part des partis frères hongrois, italien, autrichien et finlandais ainsi que des diplomates occidentaux. Le PCF est en revanche représenté. Le 24, M. Nicolae downloadModeText.vue.download 146 sur 509 CHRONOLOGIE 145 Ceausescu, qui condamne les changements en cours à l’Est, est réélu à l’unanimité au poste de secrétaire général. Mardi 21 FRANCE Art. Au Centre Georges-Pompidou, à Paris, est inaugurée l’exposition des nombreuses donations faites au Musée national d’art moderne par le collectionneur et marchand d’art Daniel Cordier. GRÈCE Gouvernement. À la suite des élections législatives du 5, la Nouvelle Démocratie (conservateur), le PASOK (socialiste) et la coalition de gauche conduite par le Parti communiste aboutissent à un accord sur la formation d’un gouvernement provisoire d’union nationale dirigé par M. Xénophon Zolotas, ancien gouverneur de la Banque de Grèce. Mercredi 22 LIBAN Attentat. À Beyrouth-Ouest, le nouveau président René Moawad est tué par l’explosion d’une bombe au passage de sa voiture le jour anniversaire de l’indépendance du pays. L’attentat cause en outre la mort de vingtquatre personnes (5 et 24). NAMIBIE Conflit. Le départ des derniers soldats sud-africains marque la fin d’une occupation du pays entamée en 1915. ÉTATS!UNIS Euthanasie. La Cour suprême de Géorgie autorise un tétraplégique de trente-trois ans à faire débrancher l’appareil qui le maintenait artificiellement en vie depuis quatre ans. SALVADOR Offensive nationale Dans cette Amérique centrale constamment en proie aux rébellions, il est courant que les négociations entre gouvernements et guérillas alternent avec des affrontements armés. Meurtri par dix ans d’une guerre civile qui a déjà fait plus de 70 000 morts, le Salvador en donne au mois de novembre une parfaite illustration. Le 2 novembre, deux jours après l’attentat meurtrier contre le siège du syndicat FENASTRAS à San Salvador, le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) annonçait la suspension des pourparlers engagés au mois de septembre, à Mexico, avec les représentants du régime du président d’extrême droite Alfredo Cristiani. Le 11, il lance une « offensive nationale » dont le but avoué est de contraindre les autorités à négocier sur des bases qui lui soient plus favorables. Le 12, le président Cristiani proclame l’état de siège. Doté de moyens considérables grâce à l’appui des Sandinistes et des Cubains, le FMLN consolide ses positions, notamment dans les quartiers nord de la capitale, où viennent se briser les contre-offensives de l’armée. Celle-ci décide alors de bombarder les cités populaires où sont retranchés les rebelles. Le 14, surpris par son propre succès, le FMLN change de stratégie. Il déclare une grande partie du pays « territoire libéré » et affirme vouloir renverser le gouvernement. Les jours suivants, les combats redoublent de violence alors que la population se montre toujours plus réticente à l’égard de la rébellion. Le 16, six jésuites sont assassinés dans la capitale. Parmi eux se trouve le père Ignacio Ellacuria, recteur de l’Université d’Amérique centrale. Proches des milieux d’extrême gauche, ces tenants de la « théologie de la libération » étaient honnis par l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA) au pouvoir, dont les Escadrons de la mort constituent le bras armé. La responsabilité de ces derniers est unanimement mise en cause. Le président Cristiani assiste aux obsèques aux côtés du principal dirigeant de l’opposition. downloadModeText.vue.download 147 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 146 À partir du 19, les rebelles commencent à se replier. Le 21, ils investissent l’hôtel Sheraton. Ce n’est qu’un baroud d’honneur. Le 22, le FMLN demande un cessez-le-feu immédiat garanti par les Nations unies – que les autorités refusent aussitôt – et n’exclut pas la reprise des négociations. Jeudi 23 URSS Institutions. Le Parti communiste de Leningrad se prononce en faveur d’une loi introduisant le principe du multipartisme. Vendredi 24 TCHÉCOSLOVAQUIE Vie politique. À l’issue du plénum extraordinaire du comité central du Parti communiste, est annoncée la démission en bloc du bureau politique, dont sont exclus les responsables de la répression du « printemps de Prague » de 1968. M. Milos Jakes est remplacé par M. Karel Urbanek au poste de secrétaire général. Des milliers de personnes manifestent leur joie dans les rues de la capitale où elles avaient applaudi, le même jour, la déclaration de M. Alexandre Dubcek, secrétaire général du Parti en 1968, en faveur d’un « socialisme réformé » (27). LIBAN Élection présidentielle. Le Parlement réuni sous protection syrienne à Chtaura, dans le centre du pays, élit le député maronite Elias Hraoui à la présidence de la République (22, 25). Samedi 25 LIBAN Gouvernement. Nommé Premier ministre le 24 par le nouveau président, le sunnite Selim Hoss présente un gouvernement d’union nationale paritaire qui est investi par le Parlement le 26. Les nouvelles autorités sont récusées par le général chrétien Michel Aoun (24, 28). Dimanche 26 HONGRIE Institutions. Première consultation libre dans un pays de l’Est, le référendum sur la date de l’élection présidentielle n’attire que 58,03 % de participants. 50,07 % des votants choisissent le report du scrutin présidentiel après les législatives prévues au printemps 1990. SUISSE Défense. Un référendum d’initiative populaire réclamant la suppression de l’armée recueille 35,6 % de « oui » et 64,4 % de « non ». INDE Élections législatives. Les résultats du scrutin ouvert depuis le 22 illustrent la sévère défaite du parti du Congrès du Premier ministre Rajiv Gandhi, qui perd 222 des 415 sièges qu’il détenait au parlement (545 députés). Le Bharatiya Janata Party (BJP), formation hindouiste de droite, fait une percée inattendue en remportant 88 sièges. Le Front national conduit par le Janata Dal de M. V.P. Singh obtient 145 sièges et les deux partis communistes 44. COMORES Troubles. Autorisé, le 5, par référendum constitutionnel à se présenter pour un troisième mandat, le président Ahmed Abdallah est assassiné dans des circonstances obscures. La Garde présidentielle dirigée par le mercenaire français Bob Denard prend le contrôle de l’archipel (15 décembre). downloadModeText.vue.download 148 sur 509 CHRONOLOGIE 147 HONDURAS Élections générales. Le candidat du Parti national (conservateur), M. Rafael Callejas, est élu président de la République en remplacement de M. José Azcona, du Parti libéral, au pouvoir depuis 1981. Il doit prendre ses fonctions le 27 janvier 1990. URUGUAY Élections générales. Le candidat du Parti blanco, M. Luis Lacalle, est élu président de la République. Il succède à M. Julio Sanguinetti, du Parti colorado, également conservateur, au pouvoir depuis 1985. Il doit prendre ses fonctions le 1er mars 1990. M. Tabaré Vasquez, socialiste marxiste, est élu maire de Montevideo. Lundi 27 CEE!URSS Relations. La Communauté et l’Union soviétique concluent un accord de commerce et de coopération. FRANCE Littérature. Le prix Femina est attribué à Sylvie Germain pour Jours de colère (Gallimard). Serge Doubrovsky reçoit le prix Médicis pour le Livre brisé (Grasset). RDA Manifestations. À Leipzig, des affrontements verbaux opposent partisans et adversaires de la réunification au cours de l’habituel rassemblement du lundi (20). TCHÉCOSLOVAQUIE Manifestations. Le mot d’ordre de grève générale de deux heures lancé par l’opposition regroupée au sein du Forum civique est massivement suivi (19 et 28). COLOMBIE Terrorisme. L’explosion en vol d’un Boeing-727 de la compagnie nationale Avianca cause la mort de cent sept personnes. L’attentat est revendiqué par un groupe de narco-trafiquants. Mardi 28 OPEP La conférence ordinaire des Treize aboutit au relèvement du plafond de production de 20,5 à 22 millions de barils par jour et à une répartition des quotas prenant en compte les capacités d’extraction de chacun. FRANCE Justice. La cour d’assises de Haute-Savoie condamne à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté maximale de trente ans Pascal Le Gac, meurtrier d’une vieille dame et d’un jeune homme en 1988. C’est la première fois qu’une telle peine est prononcée. RFA!RDA Relations interallemandes. Le chancelier Helmut Kohl présente au Bundestag un plan de rapprochement avec la RDA susceptible de conduire par étapes à la réunification des deux Allemagnes. Celui-ci est bien accueilli en RFA mais critiqué à l’Est comme à l’Ouest. ROUMANIE Dissidents. La jeune gymnaste Nadia Comaneci, vedette des jeux Olympiques de 1976, quitte clandestinement son pays. Après avoir transité par la Hongrie, elle se réfugie aux États-Unis le 1er décembre. downloadModeText.vue.download 149 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 148 TCHÉCOSLOVAQUIE Vie politique. À l’issue de négociations entre les représentants du Forum civique et le Premier ministre démissionnaire Ladislav Adamec, ce dernier s’engage à former un gouvernement de coalition (29). URSS Nationalités. Le Soviet suprême approuve la suppression du comité spécial chargé, le 12 janvier, de l’administration directe du Haut-Karabakh, région autonome de la République d’Azerbaïdjan revendiquée par l’Arménie. Cette décision suscite un brusque regain de tension à Bakou comme à Erevan (12 janvier). LIBAN Conflit. Le Premier ministre Selim Hoss annonce le limogeage du général chrétien Michel Aoun de ses fonctions de commandant en chef de l’armée. Des milliers de partisans de ce dernier se rassemblent alors autour du palais présidentiel de Baabda qu’il occupe, après la menace brandie par le nouveau président Elias Hraoui d’attaquer le bâtiment (25, 29). Mercredi 29 TCHÉCOSLOVAQUIE Institutions. Le Parlement procède à une modification de la Constitution aboutissant à l’abolition du rôle dirigeant du Parti communiste. LIBAN Solidarité. Vingt-neuf parlementaires français de l’opposition se rendent à Beyrouth, en secteur chrétien, afin d’apporter leur soutien au général Michel Aoun (28). Jeudi 30 FRANCE Violence. À Lyon, quatre vigiles sont inculpés et écroués pour avoir assassiné un vagabond d’origine nord-africaine, le 24, et en avoir torturé un autre, le 15. Ventes. À la salle Drouot-Montaigne, à Paris, les Noces de Pierrette de Picasso, (1905), sont adjugées 300 millions de francs à un industriel japonais. Le 9, le ministère de la Culture avait autorisé le tableau à sortir de France en échange de la cession, par son vendeur, d’une autre toile de Picasso, la Célestine (1904), aux musées de France. FRANCE!RFA Armement. Les sociétés Aérospatiale et Messerschmidt-Bolkow-Blohm (MBB) signent un contrat de développement d’un montant de 1,885 milliard de deutschemarks (6,41 milliards de francs environ) relatif au projet d’un hélicoptère de combat commun aux armées des deux pays. ITALIE Relations internationales. En visite officielle à Rome depuis la veille, M. Mikhaïl Gorbatchev plaide en faveur du respect des équilibres Est-Ouest en Europe et propose la réunion des trentecinq membres de la CSCE dès 1990 (1er décembre). RFA Terrorisme. M. Alfred Herrhausen, le président de la Deutsche Bank, la plus grosse banque privée allemande, est assassiné à Bad-Hombourg, près de Francfort, dans un attentat à la bombe revendiqué par la Fraction armée rouge (RAF). downloadModeText.vue.download 150 sur 509 CHRONOLOGIE 149 URSS v. Italie Le mois de René Depestre Le jeudi 9 novembre, comme chez tout un chacun en Europe et dans le monde, le chien de la liberté s’est mis à frétiller d’allégresse à ma porte. Le voici tout chaud d’une course de soixantedouze ans sous les tempêtes de neige que la Révolution d’Octobre 1917 en Russie a tramées contre les droits de l’homme. Les révolutions du siècle n’ont changé ni le monde ni la vie. Aucune la russe, la chinoise, la cubaine) n’a su écouter la parole des poètes. Aucune n’a proposé l’oxygène d’un style de vie qui eût agrandi jusqu’aux étoiles l’espace d’émerveillement de l’homme par l’homme. Érigée en personne mythique de l’Histoire, chacune s’est acharnée à faire rentrer par la fenêtre la terreur qui avait pris la porte. Edgar Quinet l’a bien vu : « Par la terreur, les hommes nouveaux redeviennent subitement, à leur insu, des hommes anciens. » L’État ouvrier et paysan a élevé des murs d’ignominie entre les humains et leur rêve sans fin d’émancipation. À Moscou, Varsovie, Budapest, Berlin, Prague, Pékin, Hanoi, La Havane, les hommes anciens du communisme doivent reculer aujourd’hui devant l’impétuosité des forces juvéniles de la liberté. Au carrefour des systèmes sociaux l’idéal des droits de l’homme et de la souveraineté populaire a fini par former à l’horizon de tous un fonds universel d’expériences et de valeurs qui est le trésor indivis du genre humain. Ce destin commun est en train de transcender la dynamique des conflits qui risquaient de mettre fin à l’histoire des sociétés. L’Occident démocratique a les garde-fous qu’il faut contre les dogmes de proie et les intégrismes sans foi ni loi. Ce novembre qui rêve annonce le naufrage des faux prophètes de la raison et des bricoleurs du sacré. Les feux fraternels n’ont plus de mur à franchir. L’imaginaire de l’État, quand il n’est pas l’otage du sacré et de son ersatz totalitaire, parvient à renouveler l’art de vivre en société que les homo sapiens, faber, ludens, eroticus ont la joie de rafraîchir sans cesse aux acquis individuels et collectifs de la condition humaine. Les progrès de la vérité – comme ceux du novembre berlinois soudain éclairé de la chute de son rideau de béton et de fer – débordent les Allemagnes et l’Europe. Ni de l’Est ou de l’Ouest, ni du Nord ou du Sud, ils mesurent le degré de tendresse et de maturité auquel il est donné au vingtième siècle de parvenir dans sa remontée à la justice et à la liberté. Mesdames Thatcher, Aquino, Bhutto ; messieurs Bush, Gorbatchev, Mitterrand, Kohl, Gonzalez, Kaifu, Moubarak, Shamir, Gandhi, Boigny, Andrès, Pérez de Cuellar, Mayor, aidez la famille humaine à dresser l’inventaire des choses belles et principales de l’existence. Appelez-la à tenter à sa limite une percée jamais vue de la solidarité contre l’accumulation des malheurs et des iniquités. Ne manquons pas le songe de cet unique mois de novembre de la vie ! Il y va de l’honneur de l’espèce que les Nations unies réussissent quelque chose d’impossible pour que le monde se constitue en libre et joyeuse humanité ! RENÉ DEPESTRE downloadModeText.vue.download 151 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 150 Décembre Vendredi 1er RDA Institutions. Le Parlement se prononce en faveur de l’abolition du rôle dirigeant du parti communiste (SED) (3). URSS v. Vatican VATICAN Diplomatie. En visite officielle en Italie, M. Mikhaïl Gorbatchev est le premier dirigeant soviétique à rencontrer le pape. Les deux hommes s’entretiennent de la liberté religieuse en URSS, du prochain rétablissement des relations diplomatiques entre les deux États et de la visite de Jean-Paul II à Moscou. INDE Vie politique. À la suite des élections législatives du mois de novembre, le parti du Congrès ayant renoncé à former le gouvernement, M. Vishwanath Pratap Singh (Janata Dal), chef de la coalition du Front national, est désigné comme Premier ministre (26 novembre). PHILIPPINES Vie politique. La sixième tentative de coup d’État, depuis l’arrivée au pouvoir de Mme Corazon Aquino en 1986, est mise en échec grâce à l’appui de l’aviation américaine. Les derniers rebelles regagnent leurs casernes le 9. ALGÉRIE Vie politique. Le congrès extraordinaire du FLN, qui se tient depuis le 28 novembre à Alger, est marqué par un retour en force des partisans de l’ancien président Houari Boumediene (25). Samedi 2 EST!OUEST Sommet. À Malte, la première rencontre entre MM. George Bush et Mikhaïl Gorbatchev a lieu à bord du paquebot soviétique Maxime-Gorki. Le président américain affirme son soutien à son homologue soviétique et annonce son intention d’intégrer l’URSS à la communauté internationale. Les deux hommes saluent le début d’une « ère nouvelle » dans leurs relations. Dimanche 3 FRANCE Élection législative. La victoire de Mme Marie-France Stirbois, qui obtient 61,30 % des voix au second tour du scrutin partiel organisé dans la circonscription de Dreux (Eure-et-Loir), permet au Front national de retrouver un siège à l’Assemblée. RDA Vie politique. À la suite de révélations relatives à des abus de pouvoir dont auraient bénéficié les dirigeants du parti communiste (SED) sous le régime de M. Erich Honecker, le comité downloadModeText.vue.download 152 sur 509 CHRONOLOGIE 151 central et le bureau politique du parti annoncent leur dissolution (6). SPORT Tennis. Au Madison Square Garden de New York, le Suédois Stefan Edberg bat l’Allemand de l’Ouest Boris Becker en finale du tournoi des Masters (4-6, 7-6, 6-3, 6-1). Lundi 4 PACTE DE VARSOVIE La réunion d’information convoquée à Moscou par M. Mikhaïl Gorbatchev au lendemain du sommet de Malte est marquée par la « condamnation » de l’intervention de 1968 en Tchécoslovaquie par les pays qui y ont participé. Mardi 5 FRANCE Violences policières. Devant le Quai d’Orsay, au cours d’une manifestation de soutien au général chrétien libanais Michel Aoun, des parlementaires de l’opposition ceints de leur écharpe sont frappés par des CRS. Transports ferroviaires. Sur la ligne à grande vitesse entre Courtalain et Tours, le TGV Atlantique atteint 482,4 km/h. Il bat ainsi le record du monde de vitesse sur rail détenu depuis 1988 par Tinter City Express (ICE) ouest-allemand, avec 406,9 km/h. Littérature. Le prix Interallié est attribué à Alain Gerber pour le Verger du diable (Grasset). RDA Troubles. Dans diverses villes du pays, les locaux de la Sécurité d’État (Stasi) sont pris d’assaut par des manifestants qui veulent empêcher la destruction de documents compromettants pour les anciens dirigeants, dont certains sont l’objet de procédures judiciaires (7). IRAK Espace. La première fusée de fabrication irakienne, destinée à placer des satellites sur orbite, est lancée avec succès de la base d’Al-Anbar. Mercredi 6 FRANCE Relations internationales v. URSS Immigration. Le Premier ministre Michel Rocard présente en Conseil des ministres les grandes orientations d’une politique d’intégration définie comme « la reconnaissance d’obligation mutuelle ». Sont privilégiés la lutte contre les faux réfugiés politiques ainsi que le logement et l’éducation. Justice. Auteur à succès de la Bicyclette bleue, Régine Deforges est condamnée à verser 2 millions de francs de dommages et intérêts pour contrefaçon aux héritiers de Margaret Mitchell, l’auteur d’Autant en emporte le vent. RDA Vie politique. M. Egon Krenz annonce sa démission de la présidence du Conseil d’État, organe suprême de l’exécutif dont l’intérim est assuré par M. Manfred Gerlach (7). URSS Relations internationales. Le président François Mitterrand rencontre M. Mikhaïl Gorbatchev à Kiev. Il souligne la priorité du renforcement de la Communauté européenne sur la réunification de downloadModeText.vue.download 153 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 152 l’Allemagne et soutient le projet soviétique de réunion d’un « Helsinki II ». ÉGYPTE v. États-Unis ÉTATS!UNIS Diplomatie. Le département d’État juge positive l’acceptation de principe donnée par l’Égypte au plan de paix au Proche-Orient présenté par le secrétaire d’État James Baker et déjà approuvé sous réserves par Israël (10 octobre et 5 novembre). COLOMBIE Attentat. Le siège du Département administratif de la sécurité (DAS), police politique engagée dans la lutte contre les narco-trafiquants, est détruit par une explosion criminelle qui fait 49 morts et plus de 800 blessés. Jeudi 7 FRANCE Partis politiques. Grâce à l’abstention de la majorité des députés des groupes UDC et UDF, l’Assemblée nationale adopte un amendement socialiste au projet de loi relatif au financement des formations politiques. Cet amendement prévoit l’amnistie des délits antérieurs au 15 juin 1989, à l’exclusion de ceux dont se sont rendus responsables les parlementaires et de ceux qui ont permis un enrichissement personnel (22). RDA Vie politique. Les mouvements d’opposition et le parti communiste, réunis autour d’une table ronde, décident d’organiser des élections libres le 6 mai 1990 (9). URSS Institutions. Les Soviets suprêmes des Républiques baltes de Lituanie et d’Estonie se prononcent en faveur de l’abolition du rôle dirigeant du parti communiste inscrit dans leurs Constitutions respectives (25). Vendredi 8 BULGARIE Vie politique. Le plénum du Comité central du parti communiste procède à l’exclusion de M. Todor Jivkov de ses rangs ainsi qu’à un profond remaniement du bureau politique (11). URSS Politique extérieure. Le gouvernement rend publique une déclaration demandant l’arrêt de toute livraison d’armes aux mouvements rebelles d’Amé- rique centrale (12). Samedi 9 CEE Le Conseil européen, qui se tient à Strasbourg depuis la veille, prévoit de réunir, fin 1990, une conférence intergouvernementale chargée de modifier le traité de Rome en vue d’instaurer l’Union économique et monétaire (UEM). La Grande-Bretagne est seule à refuser la charte sociale. Les Douze affirment enfin le droit à l’« autodétermination » du peuple allemand, « dans la perspective de l’intégration européenne ». RDA Vie politique. Le Congrès extraordinaire du parti communiste (SED) désigne M. Gregor Gysi comme président d’un parti rénové qui adopte de nouveaux statuts reconnaissant le « pluralisme politique ». CHINE Relations internationales. En dépit du boycottage décrété par la Maison-Blanche après la répression du « printemps de Pékin », le chef du Conseil national de sécurité et le secrétaire d’État adjoint downloadModeText.vue.download 154 sur 509 CHRONOLOGIE 153 des États-Unis se rendent à Pékin, officiellement pour rendre compte du sommet de Malte. Le 18, le gouvernement américain reconnaît que des émissaires de haut rang se sont rendus en Chine dès le mois de juillet. ÉTATS!UNIS v. Chine Dimanche 10 FRANCE Allocution présidentielle. Sur les chaînes de radio et de télévision, M. François Mitterrand tente de rassurer les Français sur les conséquences des bouleversements à l’Est et se montre ferme à propos de l’immigration clandestine. Lundi 11 ANTARCTIQUE Expédition. Partie le 28 juillet de l’océan Pacifique, l’expédition internationale Transantarctica, dirigée par le Dr Jean-Louis Étienne, atteint le pôle Sud après un trajet de 3 000 km en traîneaux à chiens. Il lui en reste autant à parcourir pour rejoindre l’océan Indien. CEE Le Parlement européen lève l’immunité parlementaire de M. Jean-Marie Le Pen, par 198 voix contre 91 et 18 abstentions. Le gouvernement français confirme les poursuites engagées contre le président du Front national qui avait traité le ministre de la Fonction publique de « Durafour crématoire », le 2 septembre 1988. BULGARIE Institutions. Au lendemain de manifestations réunissant 100 000 personnes dans les rues de Sofia en faveur des réformes, le plénum du Comité central du parti communiste annonce l’organisation d’élections libres au cours du second trimestre de 1990 ainsi que l’abolition prochaine du rôle dirigeant du parti communiste (29). Mardi 12 FINANCES MONDIALES Les événements d’Europe de l’Est et le haut niveau des taux d’intérêts en RFA favorisent la hausse du deutsche Mark aux dépens du dollar qui chute de 1,76 DM à 1,70 DM et de 6 F à 5,81 F à Paris. CEE v. États-Unis FRANCE Politique économique. M. Pierre Bérégovoy annonce l’abolition totale du contrôle des changes pour le 1er janvier 1990. Cette mesure ne concerne que les particuliers, les restrictions frappant les entreprises ayant été progressivement levées depuis trois ans. Commémoration. Le transfert au Panthéon des cendres de l’abbé Grégoire et de Gaspard Monge, auxquels est associé Condorcet, constitue la dernière manifestation publique de la célébration du bicentenaire de la Révolution. L’épiscopat français refuse de s’associer à l’hommage rendu à l’évêque constitutionnel de Blois. GRANDE!BRETAGNE v. Hongkong URSS Institutions. Le Congrès des députés du peuple repousse un débat sur l’abolition du rôle dirigeant du parti communiste, proposé par M. Andreï Sakharov, par 1 138 voix contre 839 et 56 abstentions. HONGKONG Réfugiés. Les autorités britanniques procèdent au rapatriement forcé d’un premier contingent downloadModeText.vue.download 155 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 154 de 51 « boat peuple » vietnamiens, immigrés – selon elles – pour des raisons autres que politiques. Ce geste soulève une large réprobation internationale. ÉTATS!UNIS Politique extérieure. Dans un discours à Berlin-Ouest, le secrétaire d’État américain James Baker propose un resserrement des liens entre son pays et la CEE dans le cadre d’un « nouvel atlantisme » plus politique que militaire, justifié par les bouleversements dans les pays de l’Est. AMÉRIQUE CENTRALE Diplomatie. Réunis depuis le 10 à San José (Costa Rica), cinq chefs d’État centraméricains – dont le Nicaraguayen Daniel Ortega – appellent à la démobilisation de la guérilla salvadorienne du Front Farabundo Marti (FMLN). Mercredi 13 FRANCE Consommation. L’interdiction à la vente des moules et des huîtres en provenance de l’étang de Thau (Hérault), où des analyses ont révélé la présence de salmonelles, suscite une polémique entre les conchyliculteurs et le ministère de la Mer. Jeudi 14 EUROPE Frontières. À la suite de l’ouverture de la frontière interallemande, le gouvernement de Bonn annonce qu’il reporte la signature de la convention de Schengen sur la circulation sans contrôle des personnes entre la Belgique, la France, le Luxembourg, les PaysBas et la RFA, au sujet de laquelle les autres États émettaient aussi des réserves. FRANCE Sociétés. Au terme d’une OPA d’un montant de 5,2 milliards de francs, l’institut Mérieux – déjà associé à Pasteur – acquiert le canadien Connaught, devenant ainsi le premier fabricant mondial de vaccins. URSS Andreï Sakharov, académicien, prix Nobel de la paix 1975, meurt à Moscou d’une crise cardiaque à l’âge de soixante-huit ans. L’ancien dissident avait été élu député du Congrès du peuple au mois d’avril. CHILI Élection présidentielle. Le candidat unique de l’opposition, le démocrate-chrétien Patricio Aylwin, est élu au premier tour avec 55,2 % des voix contre 29,4 % au candidat gouvernemental et 15,4 % à celui du « centre-centre ». Il doit prendre ses fonctions le 14 mars 1990. Vendredi 15 CEE ! ACP Aide. Au terme d’un an et demi de négociations, les douze pays de la Communauté européenne et les soixante-huit pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) signent la quatrième convention de Lomé, qui doit entrer en vigueur le 1er mars 1990 pour une durée de dix ans. Elle prévoit une aide financière renouvelable de 12 milliards d’écus (1 écu = 7 francs), en augmentation de 46 % sur la précédente convention. FRANCE Relations internationales v. Comores Affaires. M. Jacques Gossot (RPR), maire de Toul (Meurthe-et-Moselle) et vice-président du conseil général, est le premier élu à être downloadModeText.vue.download 156 sur 509 CHRONOLOGIE 155 écroué dans le cadre d’une affaire de fausses factures à Nancy. Justice. La cour d’assises de Paris, spécialement composée de sept magistrats, condamne le Tunisien Habib Maamar à la réclusion criminelle à perpétuité pour deux attentats à l’explosif commis à Paris, dont celui dirigé contre le magasin Marks et Spencer, qui avait causé la mort d’une personne, le 23 février 1985. COMORES Troubles. Après quinze jours de négociations, Bob Denard et ses mercenaires de la garde présidentielle quittent l’archipel sous les pressions française et sud-africaine tandis que des parachutistes français débarquent pour assurer l’ordre, à la demande des autorités locales (26 novembre). COLOMBIE Drogue. Considéré comme le numéro deux du cartel de Medellin, Rodriguez Gacha, dit « le Mexicain », est tué lors d’un affrontement avec la police. Samedi 16 FRANCE Société. Après la prise de contrôle de la Compagnie industrielle par Suez, l’assureur UAP achète à ce dernier la minorité de blocage au sein du groupe d’assurances Victoire (5 septembre). FRANCE ! ÉTATS!UNIS Relations. Les présidents François Mitterrand et George Bush se rencontrent dans l’île de Saint-Martin (Antilles) pour évoquer le rôle que les États-Unis souhaitent jouer dans la nouvelle Europe. ROUMANIE Libertate ! Qui aurait prédit que le cours du Danube s’inverserait aussi vite ? Le 16 décembre, des manifestations hostiles au régime de Nicolae Ceausescu éclatent à Timisoara, capitale du Banat, dans l’ouest du pays, à l’instigation de la minorité hongroise. Elles sont réprimées dans le sang par l’armée appuyée par des blindés. On dénombre les premières victimes de la tyrannie depuis celles de la place Tiananmen, en juin. La réprobation internationale est alors quasi générale contre ce régime qui, il y a peu, était encore apprécié à l’Ouest pour son indépendance vis-à-vis de l’URSS... avant que l’URSS ne change. Les jours suivants, les dépêches de l’agence soviétique Tass font état de l’extension des émeutes – et des massacres – à d’autres villes du pays. Le chiffre de quelque 70 000 victimes est même avancé. Le 20, Ceausescu dénonce les « hooligans » et les « fascistes » qui se livrent à des « actes terroristes » avec l’aide « des services d’espionnage étrangers ». Le 21, à Bucarest, un discours du Conducator est interrompu par des slogans hostiles. Là encore, les soldats tirent sur la foule. Le 22, les événements se précipitent. L’état d’urgence est étendu à l’ensemble du pays et le « suicide » du ministre de la Défense, accusé de « trahison », est annoncé. À Bucarest, les militaires fraternisent avec les manifestants et se dirigent vers le palais présidentiel. À 13 h 05, heure locale, sur les ondes de la radio tombée aux mains des insurgés, le poète dissident Mircea Dinescu annonce que les époux Ceausescu sont en fuite. Leur arrestation est annoncée peu après. Un Conseil du front de salut national (CFSN), composé d’anciens dirigeants, de militaires et d’intellectuels, remplace le gouvernement démissionnaire. À sa tête se distingue bientôt M. Ion Iliescu, ancien secrétaire du Comité central du parti, limogé en 1971. Tandis que les Roumains fêtent l’événement dans la liesse, les membres bien armés de la police politique, la Securitate, poursuivent à Bucarest et en province un combat d’arrière-garde meurtrier. Durant le week-end des 23 et 24, la dangereuse anarchie qui règne dans le pays incite la France, downloadModeText.vue.download 157 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 156 la Grande-Bretagne et les États-Unis à appeler de leurs voeux une intervention soviétique en Roumanie, qui fut pourtant le seul pays de l’Est à condamner l’entrée des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, en 1968. Le 25, un communiqué radiodiffusé annonce l’exécution des époux Ceausescu, reconnus coupables, entre autres, du « génocide de plus de soixante mille Roumains ». Des images de la parodie de « procès » sont présentées à la télévision le lendemain. Elles suscitent une joie mêlée en Roumanie et de sérieuses réserves à l’étranger. Le 26, M. Iliescu est nommé président du CFSN et M. Petre Roman, universitaire et scientifique, Premier ministre. Tandis que le calme se rétablit progressivement dans le pays et que l’approvisionnement s’améliore, une partie de la population conteste le maintien en poste de nombreux responsables de l’ancien régime. Enfin sorti de la clandestinité, le CFSN souhaite affirmer son pouvoir et sa cohésion. Le 28, il décrète l’abandon du caractère socialiste de la République roumaine et la disparition des symboles communistes du drapeau national. Il annonce des élections libres pour avril 1990. Le 31, le message du Nouvel An est porteur d’espoir : la peine de mort est abolie, la semaine de cinq jours promise et une opération de redistribution de terres aux paysans annoncée. Dimanche 17 EUROPE Intempéries. La violence tempête qui ravage durant le week-end la façade atlantique provoque dix-huit morts et disparus ainsi que de nombreux dégâts. CEE Adhésion. La Commission émet un avis défavorable sur la candidature de la Turquie en raison de la priorité accordée à la mise en place du grand marché de 1993 et de la situation économique et politique du pays demandeur. POLOGNE Politique économique. Le gouvernement présente un « plan de stabilisation » draconien destiné à lutter contre l’inflation et à renforcer la monnaie. BRÉSIL Élection présidentielle. Le candidat populiste de droite, M. Fernando Collor, est élu président de la République avec 53 % des voix contre 47 % à son adversaire du Parti des travailleurs (PT), Luiz Ignacio da Silva, dit Lula. SPORT Tennis. À Stuttgart, l’Allemagne fédérale remporte la Coupe Davis pour la deuxième année consécutive en battant la Suède par trois victoires à deux. Lundi 18 FRANCE Finances. Pour la quatrième fois de l’année, la Banque de France procède à une hausse de 9,5 % à 10 % de son taux directeur afin de défendre le franc face au deutsche Mark et d’atténuer la surchauffe de l’économie. Mardi 19 FRANCE Fonction publique. M. Michel Durafour et les syndicats entament les négociations sur la réforme de la grille unique des salaires des fonctionnaires, instaurée en 1948. Conflits sociaux. La Cour de cassation rejette les pourvois formés par les « dix » de Renault contre les arrêts de la cour d’appel de Versailles du 26 avril, en vue d’obtenir leur réintégration dans l’usine de Billancourt. downloadModeText.vue.download 158 sur 509 CHRONOLOGIE 157 RFA!RDA Relations. Le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl entame une visite de deux jours à Dresde, où il est chaleureusement accueilli. Il évoque avec son homologue est-allemand Hans Modrow la prochaine mise en place d’une « communauté contractuelle » entre les deux pays. Mercredi 20 FRANCE Relations internationales RDA Budget. Le projet de loi de finances pour 1990 est adopté à l’aide de la procédure de l’article 49-3. Les dépenses programmées s’élèvent à 1 217,7 milliards de francs – en augmentation de 5,3 % – et le déficit prévu est de 90,2 milliards de francs – au lieu de 100,5 en 1989. Le texte autorise la capitalisation des dividendes des SICAV d’actions, dans le cadre de l’harmonisation européenne. Tuerie. Les corps de quatre personnes d’une même famille d’agriculteurs sont découverts à Castelviel (Gironde). Le meurtrier présumé, fils, frère et oncle des victimes, est inculpé le 29. RDA Relations internationales. Au cours de la visite officielle de deux jours qu’il effectue à Berlin-Est, M. François Mitterrand met l’accent sur l’autodétermination du peuple allemand. PANAMA Le canal, la seringue et le bâton Après plus de deux ans de pressions économiques, de gesticulations militaires et d’aide aux tentatives de coups d’État, les États-Unis se décident à appliquer au Panama la bonne vieille « politique du bâton ». Le 20 décembre, ils lancent 24 000 GI’s à l’assaut du quartier général de Manuel Antonio Noriega, homme fort du pays. Les circonstances favorisent l’intervention américaine. Le 15, le Parlement panaméen s’est déclaré en « état de guerre » avec les États-Unis et a confié au général Noriega, chef des forces armées, les fonctions de chef du gouvernement jusqu’à la fin de l’« agression américaine contre Panama ». Le 17, un officier américain a été tué au cours d’un incident avec des soldats panaméens. Les ÉtatsUnis peuvent donc se dire en état de légitime défense. L’objectif avoué de l’opération « Juste Cause » est d’arrêter le général Noriega, inculpé en février 1988 aux États-Unis pour trafic de drogue. Ancien collaborateur de la CIA dans les années soixante-dix – alors que l’agence était dirigée par M. George Bush –, le général Noriega était devenu gênant à la tête d’un régime corrompu et – qui plus est – antiaméricain, à l’approche de la date prévue par le traité Torrijos-Carter de 1977 pour le passage du canal sous souveraineté panaméenne (1999). Les pays occidentaux déclarent « comprendre » l’intervention américaine et l’URSS émet une condamnation de pure forme tandis que l’Organisation des États américains (QEA) stigmatise l’« impérialisme » des États-Unis. Mais Noriega parvient à prendre la fuite. M. Guillermo Endara, vainqueur de l’élection présidentielle du 7 mai, dont les résultats avaient été annulés, prête serment dans une base américaine. Dans les rues de Panama, livrées au pillage et où les combats provoquent de nombreuses victimes civiles, les GI’s se heurtent à une résistance inattendue de la part des partisans du dictateur. Le 24, alors que l’on commence à évoquer l’enlisement des Américains, il se produit un coup de théâtre. Noriega demande asile à la nonciature downloadModeText.vue.download 159 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 158 apostolique de Panama. Le Vatican fait aussitôt savoir qu’en l’absence de convention d’extradition avec les États-Unis il ne leur livrera pas le fugitif. Commencent alors de longues tractations tandis que se creuse l’isolement diplomatique du dictateur, qui est soumis à une véritable guerre psychologique. Hébergé avec un minimum de confort et quasiment maintenu au secret, Noriega ne peut échapper à la tonitruante musique rock que diffusent jour et nuit les haut-parleurs de l’armée américaine qui encercle la nonciature. Le 3 janvier, il se rend aux autorités militaires américaines, officiellement sans contrepartie. Le dénouement de l’affaire est accueilli dans la joie au Panama. Le président Bush déclare que tous les objectifs de l’opération « Juste Cause » ont été atteints. Reste aux États-Unis à juger Noriega et à reconstruire un pays fort éprouvé par les combats dont le bilan établi par les Américains s’élève à 320 militaires – dont 23 GI’s – et 230 civils tués. Jeudi 21 CEE Sociétés. Les ministres des Douze décident qu’à partir du 1er octobre 1990 les concentrations d’entreprises représentant un chiffre d’affaires d’au moins 5 milliards d’écus (1 écu = 7 francs) devront être soumises à l’autorisation de la Commission. Vendredi 22 LET TRES Fin de partie Homme de paroles, il était donc aussi homme de silence. La discrétion était chez lui un art de vivre, et de mourir. Reclus, il voyait peu de gens et n’accordait aucune interview. Ses textes se faisaient de plus en plus rares et de plus en plus brefs. Samuel Beckett est mort le 22 décembre à l’âge de quatre-vingt-trois ans, à Paris. La nouvelle n’a été rendue publique qu’après son enterrement, à sa demande. Samuel Beckett naît dans les faubourgs de Dublin. Il s’installe à Paris en 1937 et commence à écrire en français. En 1951, il fait la rencontre de Jérôme Lindon qui dirige les Éditions de Minuit. Il lui restera fidèle. Deux romans paraissent cette année-là : Molloy et Malone meurt. Mais c’est la publication d’une pièce de théâtre, En attendant Godot, en 1952, mise en scène par Roger Blin l’année suivante, qui le fait accéder à la célébrité. Il la fuira sans cesse. C’est sa période triomphante, qui culmine en 1957 avec sa pièce favorite, Fin de partie. Il s’exprime indifféremment en français et en anglais. En 1962 paraissent presque simultanément son dernier grand roman, Comment c’est, et sa dernière grande pièce, Happy Days. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1969. Ses dernières pages sont éditées en octobre 1989. Elles s’intitulent très justement Soubresauts. Beckett parlant peu, on a beaucoup parlé sur Beckett. Mais Roger Blin affirme : « Dans Godot, il y a tout ce que tout le monde y a vu. Toutes les interprétations du texte les plus farfelues et les plus sérieuses ont été placées là par Beckett. » Seulement, tout cela est de trop. Dans les mises en scène successives de ses pièces, Beckett ne cesse de couper, de simplifier, de dénuder, pour tenter de dire l’impossibilité de dire sur laquelle toute son oeuvre est fondée. Tel est en effet le ressort du pessimisme, du tragique, de la désolation, de l’angoisse beckettienne. Et, si la forme de la narration emprunte aussi bien les voix de la tristesse que du comique, c’est que « rien n’est plus grotesque que le malheur », de même que rien n’est plus impuissant à produire du sens que le verbe. Comme la vie et la mort sont consubstantielles. C’est ce sentiment de l’impossibilité de la littérature qui interdit à Beckett les grands mots, les grandes idées, et fait de lui l’écrivain le plus dé- muni, le plus pauvre qui ait jamais existé. De ceux qui, à force de prouver à quel point nous sommes mortels, nous apprennent à vivre. CEE Diplomatie. À Paris, une conférence destinée à relancer le dialogue euro-arabe amorcé en 1973 réunit les ministres des Affaires étrangères des Douze européens et des vingt-deux États membres de la Ligue arabe, sur l’initiative du président François Mitterrand. downloadModeText.vue.download 160 sur 509 CHRONOLOGIE 159 FRANCE Diplomatie v. CEE Conflits sociaux. Après une semaine de grève qui a gravement perturbé la distribution de la presse, la direction des Nouvelles Messageries de la presse parisienne et le syndicat CGT du Livre signent un accord sur la modernisation des NMPP. Législation. Alors que la session parlementaire s’achève, la loi sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales est définitivement adoptée après la loi de programmation militaire le 18 et la loi d’amnistie des crimes politiques en Nouvelle-Calédonie le 20. Industrie. Le conseil général des Bouches-du-Rhône accorde au groupe américano-suédois Lexmar une concession de six mois sur les terrains de l’ancienne société Normed, à La Ciotat, pour relancer les chantiers navals (11 août). RFA ! RDA Relations. Les maires des deux Berlins inaugurent l’ouverture d’un passage dans le mur à la hauteur de la porte de Brandebourg, symbole de l’unité de l’Allemagne. Dimanche 24 ÉTATS!UNIS Distinction. L’hebdomadaire Times désigne Mikhaïl Gorbatchev comme l’« homme de la décennie ». Lundi 25 URSS Institutions. Devant le plénum du Comité central, M. Mikhaïl Gorbatchev juge « illégale » la décision des communistes lituaniens de proclamer leur indépendance en adoptant pour leur parti un programme et des statuts distincts de ceux du PCUS. ALGÉRIE Partis politiques. Le Comité central du FLN désigne un bureau politique au sein duquel figure un tiers de réformistes mais aucun membre de la « vieille garde » du Front. Mardi 26 FRANCE Partis politiques. Regroupés autour de MM. Félix Damette, Claude Poperen et Marcel Rigout, les « reconstructeurs » du PCF demandent la démission des dirigeants de leur parti en raison de leur attitude passée à l’égard du régime de M. Nicolae Ceausescu. Mercredi 27 ÉGYPTE!SYRIE Diplomatie. Les deux pays annoncent le rétablissement de leurs relations, rompues en 1977 après la visite du président égyptien Anouar el-Sadate à Jérusalem. AUSTRALIE Catastrophe naturelle. À Newcastle, dans l’est du pays, un séisme de magnitude 5,5 sur l’échelle de Richter provoque la mort de huit personnes et de nombreux dégâts. Jeudi 28 ÉTATS!UNIS Terrorisme. La compagnie aérienne Northwest Airlines rend publiques les menaces d’attentat pesant sur le vol Paris-Detroit du 30 et downloadModeText.vue.download 161 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 160 propose à ses passagers de modifier leurs réservations. Vendredi 29 BULGARIE Nationalités. Le Comité central du PCB rétablit les droits de la minorité d’origine turque et autorise la pratique de l’islam. POLOGNE Institutions. Le Parlement se prononce en faveur de l’abolition du rôle dirigeant du Parti ouvrier unifié (POUP) et des articles de la Constitution faisant référence au caractère socialiste et populaire de la République. TCHÉCOSLOVAQUIE Le président Havel En cette fin d’année 1989, les pays de l’Est sont le théâtre de l’Histoire : les unités de temps, de lieu et d’action y sont respectées. L’impression est encore renforcée en Tchécoslovaquie où le héros de la pièce qui se joue sur la scène politique est... un dramaturge. Vaclav Havel, arrêté en janvier et condamné le mois suivant pour avoir pris part-à un rassemblement interdit, libéré en mai, fondateur, au plus fort des manifestations du mois de novembre, du Forum civique – qui voit le jour dans un théâtre –, est élu président de la République, le 29 décembre, à l’unanimité du Parlement. Là encore, les mouvements d’opposition soutenus par la rue ont fait reculer un pouvoir qui ne représentait rien. Le 3 décembre, le Forum civique rejette le « gouvernement de coalition » comportant seize ministres communistes sur vingt et un membres, présenté par le Premier ministre Ladislav Adamec. Le 7, celui-ci démissionne pour être remplacé par M. Marian Calfa. Le Forum civique propose alors ouvertement sa participation au gouvernement. Le 10, pour la première fois depuis quarante ans, le Parti ne détient plus la majorité des postes dans le gouvernement du pays. Des élections libres sont prévues dans les six mois. Le régime communiste a vécu. Sitôt après la prestation de serment du nouveau cabinet d’« entente nationale », le président Gustav Husak démissionne. Des négociations commencent sur le choix du candidat unique à la présidence de la République et sur son mode de désignation. Le parti communiste lui-même tente de « rompre avec le passé ». Le 20, le congrès extraordinaire du PCT supprime le titre de secrétaire général et désigne l’ancien Premier ministre Adamec et l’ancien chef des Jeunesses communistes, M. Vasil Mohorita, respectivement comme président et premier secrétaire en remplacement de M. Karel Urbanek nommé le 24 novembre. Le 21 décembre, les Tchécoslovaques applaudissent à la dissolution de la police politique. La « table ronde » de toutes les forces politiques du pays continue à mettre en place les pouvoirs de transition. Aux postes honorifiques, des symboles s’imposent. Le 28, l’ancien dirigeant du PCT, destitué après la répression du « printemps de Prague », M. Alexandre Dubcek, est élu président de l’Assemblée fédérale. Le 29, enfin, par un juste retour des choses, la République élit à sa tête un homme de théâtre... Dimanche 31 FRANCE Relations internationales. Dans son message de voeux, le président François Mitterrand déclare souhaiter l’avènement, dans les années 1990, d’une « confédération » européenne englobant les pays de l’Est, devenus démocratiques, parallèlement au renforcement de la Communauté européenne. ISRAËL Gouvernement. Le Premier ministre Yitzhak Shamir (Likoud) annonce le limogeage du ministre de la Science Ezer Weizman (travailliste), accusé d’avoir eu des contacts avec l’OLP. Aux termes d’un compromis adopté le 2 janvier, M. Weizman reste au gouvernement mais quitte le cabinet restreint. downloadModeText.vue.download 162 sur 509 CHRONOLOGIE 161 MAROC Pollution. Les autorités font officiellement appel à plusieurs pays européens – dont la France – pour les aider à lutter contre la marée noire qui menace le littoral touristique et des zones de pêche, après l’accident survenu le 19, entre les îles Canaries et la côte marocaine, à un pétrolier iranien transportant 284 000 tonnes de brut. Le mois de Gaston Lenôtre Le monde a la paix au coeur le 1er : le pape JeanPaul II serre la main du no 1 soviétique et je me réjouis car mon ami G. Sender, le seul pâtissier au monde capable de réaliser des pièces gastronomiques du XVIIIe siècle, a enfin trouvé une crèche pour son enfant chéri : avec sa bibliothèque de 6 000 ouvrages gastronomiques, il est accueilli à l’Institut national agronomique de Thiverval-Grignon. C’est un instant de gloire pour la France lorsque trois ministres se donnent la main pour acheter et préserver notre patrimoine culinaire. Les Allemands souhaitent une réunification ; quoi de plus normal ? Pourrait-on imaginer la France coupée en deux pendant des dizaines d’années ? Ce pays désire retrouver son identité et je suis concerné : j’ai des amis allemands et j’aime la qualité de leur travail. Ce sont les premiers à nous avoir choisis et nous présentons une vitrine de la France a Berlin depuis 1975. Jeudi 14 : le professeur Sakharov n’est plus. Il y a tout juste un an, il était à Paris avec Lech Walesa, et, le 21 mai dernier, ses amis physiciens du monde entier l’attendaient à Blois. Nous avions confectionné une pièce montée symbolisant la paix, mais, à la dernière minute, les événements le retinrent à Moscou près de Gorbatchev : le devoir avant tout. Son dernier anniversaire, il n’a pu le fêter avec ses amis. Le 16, des noms commencent à se graver dans nos mémoires : à Timisoara, ils ne se révoltent pas parce qu’ils ont faim et froid, mais pour défendre la liberté, et c’est l’enfer qui commence pour tous. Moi qui cours d’une radio à l’autre, invité à jouer les Père Noël par tous mes amis journalistes, j’apprends qu’une de mes émissions vient d’être annulée sur Europe 1 ; on est le 22 et Ceausescu abandonne le pouvoir. Le monde entier veut aider ces hommes, ces femmes, ces enfants qui tombent sous les balles des agents de la Securitate. C’est pour cela que, le jour de Noël, doit mourir le tyran roumain. On ose à peine entonner un cantique : « Aujourd’hui, jour de joie sur Terre. » Cette semaine encore la démocratie s’essaie à des actions d’éclat : alors que les Américains assiègent Panama City pour tenter de capturer le dictateur Noriega, les ouvriers et les soldats allemands font tomber les dalles de béton armé qui fermaient la porte de Brandebourg. L’équipe Lenôtre reçoit un appel de la Croix-Rouge, une demi-tonne de tablettes de chocolat part en Roumanie avec l’un des convois d’aide d’urgence et nous continuons notre métier comme chaque année, offrant le meilleur de nous-mêmes à nos milliers de clients avec un pincement au coeur en pensant au 31 décembre 1988 et à l’attaque du restaurant du Pré Catelan. Cette année, mon épouse Colette a un aide de valeur : le capitaine Barril s’est proposé pour assurer la sécurité des clients et du personnel. Comme l’histoire ne se reproduit jamais de la même façon, c’est le magasin Lenôtre, 44, rue d’Auteuil, qui est attaqué le 30 au soir. À quand un monde sans papier-monnaie, où l’on pourrait circuler librement ? On peut rêver à l’aube des années 1990. Je préconise le passeport Gourmandise pour remplacer les visas. Ce sont mes ballotins de chocolats qui me permettent de passer les frontières. Mais c’est en France que je me sens bien ; c’est en accompagnant tous mes clients dans les grands événements de leur vie que je comprends ma chance d’être né dans un pays libre. GASTON LENÔTRE Météo : l’Automne De l’équinoxe à la fin du mois de septembre, aucun événement particulier n’a marqué l’actualité météorologique. Du 22 au 26, le passage d’une perturbation évoluant dans un flux de sud et la présence en altitude d’une goutte froide circulant du NNO au SSE sont à l’origine de pluies downloadModeText.vue.download 163 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 162 orageuses localement abondantes. Du 27 au 30, le champ de pression sur l’Europe occidentale et méditerranéenne et le renforcement d’un anticyclone centré sur les îles Britanniques expliquent la baisse sensible des températures (les flux dans les basses couches s’orientent au nord) ainsi que la faiblesse ou l’absence de pluies. Quoi qu’il en soit, la sécheresse persiste sur la majeure partie du territoire et notamment dans l’Ouest : les cumuls pluviométriques mensuels calculés pour les stations de Dinard, Angers et Lann-Bihoué sont, avec 11, 9,8 et 6,7 mm respectivement, les plus faibles depuis plus de 30 ans. Le bel été indien de la Saint-Luc Octobre est un mois chaud et sec. Les températures moyennes doivent leurs valeurs inhabituelles à la canicule automnale qui s’est manifestée pendant la deuxième quinzaine dans le Nord, le Nord-Est, l’Ouest, le Sud-Ouest et le Centre-Est. L’été indien 1989, celui de la Saint-Luc, est celui de tous les records ; parmi les températures maximales élevées, on peut citer les chiffres suivants : 29,8 °C à Dax le 21, 22,5 °C à Lille-Lesquin, 23,4 °C à Beauvais, 27,5 C à Châteauroux le 22, 12 °C au mont Aigoual, 22,8 °C à Belfort, 24 °C à Lyon-Satolas le 26 ; et, parmi les températures moyennes quotidiennes : 17,8 °C à Paris-Montsouris le 24, 17,5 °C à Lyon-Bron le 30. Les précipitations sont quasi normales en Corse et dans le Nord-Est et très déficitaires dans le reste du territoire. Précisons qu’octobre est le sixième mois consécutif à pluviométrie déficitaire. Les pluies les plus remarquables sont le fait des perturbations plus ou moins actives qui ont traversé le pays du 6 au 11, du 18 au 21 et du 28 au 31 : 27 mm à Millau ou 20 mm en 3 heures à Saint-Yrieix le 28. Au 31 octobre, la majeure partie du pays présente un bilan hydrique des plus médiocres. Le rapport R/RU de la réserve disponible à la réserve utile n’est supérieur à 50 % que dans les régions suivantes : le Finistère occidental, les secteurs de Cherbourg, Colmar et Montpellier, le littoral du Pas-de-Calais et le Doubs. La sécheresse qui affecte surtout les régions situées à l’ouest de la ligne Caen-Nice est sans doute – compte tenu de ses multiples effets sur l’élevage, la pisciculture, le remplissage des lacs de retenue, le fonctionnement des cours d’eau (dans la région Centre, plus de 300 km de rivières, ruisseaux ou canaux sont à sec) – la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. D’après le ministère de l’Agriculture, les pertes cumulées s’élevaient à 10 milliards de F le 15 octobre, date à laquelle 22 départements ont été déclarés sinistrés. Novembre est caractérisé par l’alternance de périodes douces, pluvieuses et venteuses et de périodes fraîches ou froides et sèches ; seul le Sud-Ouest a bénéficié d’une étonnante douceur tout au long du mois. Les contrastes thermiques sont attestés par les quelques records suivants : – 8,4 °C le 16 à Apt-Saint-Christol, – 10,9 °C à Colmar, – 4,1 °C à Pontivy le 26, – 9,8 °C à Nevers le 27... ou, pour les températures maximales : 20,7 °C à Brest, 19,5 °C à Lorient le 13, 19,1 °C à Auxerre le 19. Les précipitations, globalement déficitaires, sont inégalement réparties dans le temps et dans l’espace. Si les abats abondants et intenses observés ici et là (71 mm à Ambérieu en 14 heures le 3, 270 mm à Villefort du 20 au 22...) n’ont guère atténué le déficit en eau des sols, ils ont provoqué des inondations dans le Roussillon le 18, moins graves néanmoins que celles qui, cinq jours plus tôt, avaient dévasté l’Andalousie. Ailleurs dans le monde, le typhon Gay a balayé le golfe de Thaïlande le 6 (250 marins portés disparus) ; le 15, Huntsville (Alabama) est ravagée par une tornade meurtrière (19 morts, 450 blessés). Dans les stations, les canons font la neige Décembre est bien le mois de transition entre l’automne et l’hiver. Du 1er au 10, les conditions anticycloniques et les types de temps qui leur sont associés prévalent sur l’ensemble de la France. Les vents de secteur est sont faibles, les nuages bas et les brouillards souvent givrants réduisent l’ensoleillement dans les plaines et les vallées. Les températures minimales varient entre 0 et – 10 °C dans le Nord, le Nord-Est et le Centre-Est. La pollution atmosphérique atteint ou dépasse le seuil d’alerte à Paris, Rouen et Lyon. Seules la façade atlantique et les régions situées au sud de la ligne Bordeaux-Carcassonne-NîmesCastellane jouissent de conditions météorologiques agréables : ensoleillement satisfaisant, températures positives supérieures aux normales saisonnières et pluies qui réduisent quelque peu la sécheresse des sols. Du 7 au 10 décembre, une des plus fortes tempêtes jamais enregistrées dans le golfe du Saint-Laurent provoque le naufrage de plusieurs navires et la mort de 48 marins. À partir du 11 et jusqu’au solstice d’hiver, le pays, traversé par de nombreuses perturbations actives circulant dans un flux d’ouest ou de sud-ouest, downloadModeText.vue.download 164 sur 509 CHRONOLOGIE 163 connaît un épisode doux, pluvieux et venteux. Les températures atteignent en effet des valeurs records : 20,3 °C à Colmar le 16, 14,5 °C à Chartres le 21 ; les précipitations sont abondantes et les vents forts sont fréquents. Le 15, une dépression centrée sur les Açores se déplace rapidement vers l’Irlande ; elle entraîne dans son sillage une tempête qui ravage les littoraux depuis le sud-ouest de la péninsule luso-ibérique jusqu’à l’Écosse. Cette violente tempête (20 morts) occasionne des dégâts matériels importants. Au 21 décembre, la sécheresse perdure, et l’enneigement dans les stations de sports d’hiver est très faible, voire nul. Ainsi l’automne 89 restera-t-il dans les mémoires comme l’automne de tous les contrastes. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 165 sur 509 164 L’Année dans le Monde On ne peut plus désormais parler de la Révolution de 89 sans préciser de laquelle il s’agit. Du massacre de Tiananmen à l’ouverture du mur de Berlin et à la Roumanie, la portée des événements qui se sont succédé en 1989 est telle qu’ils feraient oublier, pour un peu, ceux de 1789. Entre les deux révolutions, à vrai dire, les similitudes ne manquent pas : même culte de la liberté et de la démocratie, même foi dans la nation, même attachement jaloux à son indépendance, mêmes foules dans les rues pour obliger les gouvernements en place à se soumettre ou à se démettre. Avant 1789, dans toute l’Europe, avant 1989, dans celle de l’Est, la légitimité du pouvoir échappait à toute contesta- tion. Louis XVI et ses cousins de Madrid, de Londres ou de Berlin étaient rois parce que Dieu l’avait voulu. Le parti communiste régnait sur l’URSS et les pays de sa zone d’influence parce que la classe ouvrière l’avait voulu. C’est cette légitimité qui a été remise en cause avant d’être abolie. En Pologne, en Hongrie, en RDA, en Tchécoslovaquie et en Roumanie, le parti a dû renoncer à son rôle dirigeant. En 1989 comme en 1789, le sacrilège a donc été non seulement commis mais validé. Le paradoxe veut qu’il y a deux siècles il a entraîné tout naturellement la contestation, puis la persécution de la religion, rempart du trône, alors qu’aujourd’hui il conduit à sa réhabilitation. En se rendant au Vatican, le chef du PC soviétique a implicitement reconnu que le bolchevisme n’était pas parvenu à substituer son paradis à celui du Ciel. Jamais l’échec du communisme n’aura été aussi flagrant. Partout l’économie est à bout de souffle, la productivité pitoyable, la corruption générale. Deng n’a sauvé son pouvoir qu’en faisant tirer sur la foule et Ceausescu a perdu le sien avec la vie. Celui des dirigeants de Berlin-Est s’est effondré aussitôt que Gorbatchev les a invités à ne pas compter sur l’Armée rouge pour réprimer les colossales manifestations de Leipzig, de Dresde ou de la capitale. La Tchécoslovaquie a suivi. Si les mêmes scènes ne se sont pas déroulées à Varsovie et à Budapest, c’est parce que, dans les deux cas, le régime I avait pris les devants et composé avec l’opposition. Écrasé aux élections qu’il avait imprudemment organisées, le PC polonais a dû confier la direction du gouvernement à un dirigeant de Solidarité que Jaruzelski, huit ans plus tôt, avait jeté en prison et les Hongrois sont en train de satisfaire une par une les ambitions qui avaient provoqué en 1956 la sanglante répression soviétique. Quant au Kremlin, qui a abdiqué son rôle impérial, il a déjà bien assez de peine downloadModeText.vue.download 166 sur 509 MONDE 165 à maintenir son autorité sur des j républiques soviétiques qui, du Caucase à la Baltique, parlent avec une audace croissante d’indépendance. Si l’on ajoute que de sévères pénuries frappent de nombreuses agglomérations, que des grèves ont longuement paralysé les mines de charbon, que la criminalité s’étend, que la presse contestataire, au tirage énorme, n’épargne rien ni personne, on comprend que Gorbatchev multiplie les voyages et les gestes de bonne volonté pour soulager son budget militaire et obtenir de l’Occident une aide financière et technologique massive. Que reste-t-il alors de l’ersatz d’ordre sur lequel reposait la paix en Europe ? La grande question est redevenue celle de la réunification de l’Allemagne, pour laquelle Helmut Kohl n’a pas hésité, sans prendre l’avis de qui que ce soit, à présenter un plan en dix points. La communauté européenne saura-t-elle trouver le moyen de faire progresser parallèlement l’unité de l’Allemagne et celle du continent ? Pour une Afrique du Sud qui, sous l’impulsion de son président Frederik De Klerk, paraît enfin décidée à liquider l’apartheid, pour une Malaisie ou une Namibie où le canon et la kalachnikov se sont enfin tus, combien de terres, y compris la plus « sainte », où l’on désespère de voir jamais refleurir la paix. Le dialogue n’est toujours pas engagé entre l’OLP et Israël, et l’intifada continue de plus belle dans les territoires. L’accord de Taëf n’a pas réussi à réconcilier les Libanais, dont le nouveau président, élu après des mois de vaines violences, a été presque aussitôt assassiné. Les Khmers rouges, dont le seul nom évoque les plus sinistres souvenirs, sont à l’oeuvre au Cambodge après le départ des Vietnamiens. On se bat toujours en Afghanistan, en Éthiopie, en Amérique centrale. Les États-Unis n’ont pas hésité à intervenir au Panama pour s’emparer d’un chef d’État accusé de trafic de drogue. La menace du Sida et des pollutions atmosphériques a pris la place, dans la conscience populaire, de l’épée de Damoclès. La France, quant à elle, n’avait pas fini de célébrer le consensus politique et la reprise économique, que l’affaire des foulards islamiques venait montrer la difficulté grandissante de la cohabitation de communautés aux croyances et aux habitudes si distinctes. L’idée d’intégration répond, sur le papier, à la nécessité de réconcilier, par l’acceptation des mêmes valeurs fondamentales, des communautés qui ont du mal à se supporter. La soudaine poussée, aux élections partielles de la fin de l’année, du Front national prouve que l’on est malheureusement loin du compte. ANDRÉ FONTAINE downloadModeText.vue.download 167 sur 509 166 POLITIQUE L’année sans pareille : ainsi les historiens ont-ils baptisé 1789, l’année de la Révolution française, au moment où la France célébrait son Bicentenaire par un grand défilé multicolore et pluriethnique sur les Champs-Élysées. Deux siècles plus tard, l’Europe a vécu à son tour une année sans pareille, qui clôt pour elle un XXe siècle qui fut lourd à porter et ouvre les chemins d’un XXIe siècle placé sous le signe de ce que la Révolution de 1789 eut de meilleur : la conquête de la liberté et l’irruption de la notion de droits de l’homme. Si bien qu’en présentant ses voeux à la nation au soir du 31 décembre 1989, le président de la République, François Mitterrand, a pu faire l’inventaire de toutes les questions qui se trouvent désormais posées et dont les réponses déterminent la vie des Français pour les années qui viennent : celle de la survie ou non des alliances militaires qui partageaient l’Europe en deux camps, celle du niveau souhaitable de désarmement sur ce même vieux continent, celle des contours politiques de cette Europe qui, en quelques mois, est « sortie de Yalta » et va décider de sa place dans le concert des grandes puissances. Le retour de l’histoire Curieux destin que celui d’un homme, François Mitterrand, qui joue ainsi tout à la fois sa « trace » dans l’histoire, le sens de son second septennat et le destin du pays dont il a la charge, alors qu’il s’apprêtait à une gestion paisible et dépassionnée des affaires publiques. Car, vue de France, 1989 restera une année clef : celle du retour de l’histoire, et de l’irruption de problèmes de société qui peuvent remettre en cause les fondements mêmes du consensus républicain. L’histoire ? Le pays en était sorti, au fond, depuis 1962 et la fin de la guerre d’Algérie. Quels qu’aient pu être le talent du général de Gaulle, dont le verbe fit penser aux Français qu’ils appartenaient encore à un grand pays, et l’habileté du président Mitterrand, qui tentèrent de leur faire croire qu’ils étaient, précisément, encore dans l’histoire, il était clair, pour l’opinion, que la France ne pourrait se perpétuer que si elle acceptait de se fondre dans un ensemble plus vaste – la Communauté des Douze –, seul capable de rivaliser avec les États-Unis, l’URSS, la Chine et surtout le Japon. En quelques mois d’un automne flamboyant, à mesure qu’une à une les démocraties dites populaires le devenaient enfin et se libéraient du joug du parti unique, la France a repris toute sa place et se trouve confrontée à des choix qui engagent pour longtemps son devenir. Bien que sous le choc de la révolution roumaine et sollicités par ceux qui, dans l’opposition notamment, ont tenté de récupérer l’émotion provoquée downloadModeText.vue.download 168 sur 509 POLITIQUE 167 en France par la chute de Nicolae et Elena Ceausescu, les Français auront certainement l’occasion de réaliser que la fin du mur de Berlin et l’ouverture de la porte de Brandebourg, la marche forcée du chancelier Kohl vers l’unité allemande et surtout son refus de reconnaître la frontière Oder-Neisse (qui sépare l’actuelle RDA de la Pologne) sont pour eux des événements d’une extrême importance et qui expliquent la démarche des dirigeants français, tout entière tournée vers le binôme réunification de l’Allemagne-accélération de la construction européenne. Car deux questions ont dominé et vont continuer de dominer la scène française : comment répondre à la demande des pays de l’Est qui se libèrent ? Comment continuer de faire vivre la construc- tion européenne? Un débat existe, sur ces sujets, entre, d’un côté, les tenants d’une vision néolibérale selon laquelle, la réunification allemande étant en marche, il faut cesser de s’accrocher à l’Europe des Douze et lui préférer un ensemble plus vaste et plus lâche, une grande zone de libre-échange en quelque sorte, et, de l’autre côté, la démarche obstinée, voire opiniâtre, du président français qui cherche à préserver la CEE et à accélérer son processus d’unification. Pour François Mitterrand, en effet, faire entrer les sept pays de l’Est européen dans la Communauté sonnerait le glas de celle-ci, au moment où son existence même est mise en cause par la politique allemande. Mieux vaut donc bâtir avec eux des programmes bilatéraux et donner un contenu permanent à la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) qui réunit déjà l’Est et l’Ouest européens pour associer les nouveaux venus dans la sphère démocratique sans casser le moteur de la construction européenne et sauver ainsi une Communauté qui, dans un univers devenu instable, constitue un formidable pôle d’attraction et de progrès. Fédération et confédération Déjà, l’Amérique, avec la « doctrine Baker » visant à rapprocher de façon organique les États-Unis et la CEE, mais aussi l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev, qui s’adresse à elle à travers son projet de « maison commune », et les pays du Sud, qui craignent de voir l’aide européenne leur échapper, ont intégré dans leur comportement l’idée d’une Europe forte. Cette donnée-là, qui est au coeur de la vision française, continue de s’imposer malgré l’hypothèque allemande. Pour tenter de surmonter celle-ci, le président français a proposé, au soir du 31 décembre, qu’aille de pair la mise sur pied d’une fédération européenne – celle des Douze – et d’une confédération, entre les Douze et tous les autres, URSS éventuellement comprise. Cette confédération devrait être organisée à partir des accords d’Helsinki, conclus en 1975 par trente-cinq pays européens (à l’exception de l’Albanie), plus les États-Unis et le Canada ; elle est un point commun avec la « maison commune » de Mikhaïl Gorbatchev, mais, pour le président français, elle ne sera possible qu’à certaines conditions : l’instauration, dans les pays de l’Est, du pluralisme des partis, d’élections libres et de la liberté de l’information. Tel semble être en effet le choix qui s’offre à la France et à ses partenaires au seuil de l’année 1990 : poursuivre la construction commudownloadModeText.vue.download 169 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 168 nautaire à Douze, puis lancer ce projet de confédération. Faute de quoi, assure François Mitterrand, l’Europe se retrouverait dans une situation proche de celle qui était la sienne en 1919 : « On connaît la suite »... D’où le langage tenu aux Allemands : l’autodétermination est un droit que la France respecte, mais sachez ne pas bouleverser l’équilibre européen... Le fait que celui-ci soit menacé explique en grande partie la moindre attention accordée à d’autres problèmes cruciaux de la scène mondiale. Ainsi, en d’autres temps, fort proches, l’opération américaine au Panama, baptisée « Juste cause », qui avait pour objet et a eu pour effet de déloger le général Noriega du pouvoir pour le traduire devant une juridiction américaine, sous l’inculpation de trafic de drogue, eût provoqué un tollé contre « l’impérialisme américain ». Tout juste a-t-il été fait mention des réserves de la France, dans un contexte influencé par l’idée qu’il faut peut-être commencer d’admettre un droit d’ingérence des grandes puissances, par exemple pour venir en aide aux Roumains... De même, les responsables occidentaux ont-ils rapidement passé par profits et pertes (précisément pour ne pas perdre l’accès au marché chinois) le bain de sang de la place Tiananmen qui a mis fin, sous la houlette d’un Deng Xiaoping finissant, au printemps de Pékin. Chacun cependant a pu suivre avec passion sur les écrans de télévision – l’Histoire se fait maintenant en direct – cette préfiguration manquée du grand séisme qui allait bientôt secouer un Est plus proche, et s’en affirmer solidaire. En revanche, cette même opinion ne s’est guère émue du prix élevé probablement payé par la France – les 171 passagers d’un DC 10 d’UTA – pour l’opération de dissuasion menée par une flotte française au large du Liban et qui avait évité au général chrétien Michel Aoun de périr sous les bombes syriennes. Le consensus républicain Ressaisie par l’histoire, témoin privilégié du mouvement des peuples, comme en témoigne l’attente, à son égard, des Roumains aussi bien que des Polonais ou des Tchèques, la France a été confrontée à des problèmes de société qui peuvent mettre en cause le consensus républicain. Le débat sur l’intégration des immigrés et la nécessaire maîtrise de l’immigration clandestine a resurgi dans les derniers mois de l’année avec une force insoupçonnée, et dangereuse pour la société elle-même. Il a suffi, en effet, qu’un principal de collège de la grande banlieue parisienne interdise à trois jeunes élèves musulmanes le port d’un foulard en classe pour que la France du consensus se transforme en un vaste champ de bataille sur un sujet qui réunit deux des principaux thèmes des clivages à venir, à savoir les questions éthiques et ethniques. Au nom de la laïcité, presque toute la droite et toute une partie de la gauche ont plaidé pour l’exclusion des jeunes filles. Le gouvernement a cherché à préserver une vision tolérante de la laïcité, n’envisageant l’exclusion qu’après épuisement de toutes les possibilités de dialogue. Cette position a provoqué la levée en masse d’un certain nombre d’intellectuels proches de la gauche qui l’ont considérée comme une nouvelle « défaite de la pensée ». Le gouvernement a plus sagement plaidé pour l’intégration des immigrés régudownloadModeText.vue.download 170 sur 509 POLITIQUE 169 liers, la protection des lois de la République étant, selon lui, le plus sûr rempart contre l’intégrisme. À ce stade, personne n’a plus prêté attention au sort des trois collégiennes de Creil, qui ont finalement accepté de ne porter le voile qu’en cour de récréation. Mais tout le monde a retenu que les gouvernements successifs n’ont pas su prendre la mesure du problème de l’immigration et que le président de la République a opéré, sur ce sujet, un nouvel et important virage idéologique, que certains comparent déjà avec le changement de cap en matière économique des années 1982-1983. Alors que le candidat Mitterrand à sa propre réélection avait souhaité dans sa « Lettre à tous les Français », pouvoir convaincre ses concitoyens d’accorder aux immigrés le droit de vote aux élections locales, celui-ci étant conçu comme un moyen de l’intégration, à l’exemple de ce que pratiquent d’autres démocraties européennes, le président Mitterrand s’est rangé, dans une intervention télévisée prononcée à « chaud », à l’idée non seulement qu’il existe un « seuil de tolérance » en matière d’immigration, mais aussi que celui-ci était bel et bien atteint dans la France de 1989. Formulant le voeu que la France « échappe aux entraînements du racisme », le chef de l’État a tenu le discours de la fermeté, et de la fermeture (autant qu’il est possible à l’heure des frontières ouvertes de la CEE) des frontières françaises à l’immigration, ce que le Premier ministre a traduit en disant que la France ne peut accueillir « toute la misère du monde ». Il est vrai que le pouvoir, et l’ensemble de la classe politique avec lui, a été saisi par le retour en force de l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen, à l’occasion de deux élections législatives partielles organisées en pleine polémique sur le « foulard islamique » et dont l’une, à Dreux, a vu la victoire de la candidate du Front national avec plus de 60 % des voix, face au candidat de la droite soutenu par la gauche. Si cette polémique a incontestablement apporté de l’eau au moulin du chef de file de l’extrême droite, celui-ci profite également d’un jugement globalement négatif à l’endroit des hommes politiques, alimenté tout au long de l’année par une série d’affaires de nature à les discréditer. De l’enquête sur les délits d’initiés commis autour de l’achat par le groupe Pechiney d’une firme américaine, et qui devait indirectement provoquer la mort d’un homme d’affaires, Patrice Pelat, proche compagnon du chef de l’État, à la découverte d’un système généralisé de fausses factures grâce auquel les partis financent leurs activités et surtout les campagnes électorales, la classe politique a eu, et aura encore fort à faire pour redresser une image réellement ternie. Elle s’en est tirée, si l’on peut dire, en votant à l’Assemblée nationale une amnistie des délits liés à ce mode de financement, assortie, il est vrai, pour la première fois dans la démocratie française, d’une législation et d’un contrôle fort contraignants qui devraient obliger les hommes politiques à la vertu. La conscience qu’il faut changer les comportements et les moeurs politiques, ainsi sans doute qu’il est urgent de rendre moins artificielles les frontières partisanes, avait paru, un moment, progresser, sous l’effet notamment des résultats des élections municipales du mois de mars, qui avaient vu le succès de nombreuses personnalités « rénovatrices », en marge des partis ou de leur propre formation, downloadModeText.vue.download 171 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 170 tels Robert Vigoureux à Marseille, Michel Noir à Lyon, Michel Delebarre à Dunkerque. À dire vrai, la « rénovation » était surtout attendue à droite et au centre. Mais, au dernier moment, c’est-à-dire au moment de constituer leur propre liste pour les élections européennes, concurrente de celle dite de l’union de l’opposition, conduite par M. Giscard d’Estaing, les rénovateurs ont renoncé et se sont condamnés à des démarches plus personnelles à l’intérieur de leurs propres partis. Le positionnement « moral » Il reste de ces différents épisodes une société qui, loin d’être bloquée, bouge en profondeur et souhaite une représentation politique plus en phase avec ses propres aspirations ; un paysage politique toujours dominé par le couple exécutif Mitterrand-Rocard qui, avec un bilan de près de deux ans, reste à un haut niveau de popularité, et marqué par la présence forte et menaçante d’un Jean-Marie Le Pen qui s’en prend ouvertement à ceux qu’il nomme « les extrémistes juifs » et joue les martyrs lorsque le Parlement européen lève son immunité pour le conduire à répondre en justice de son fameux et fâcheux calembour sur le « Durafour crématoire » ; tandis que, dans la droite classique, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing prend le meilleur sur un Jacques Chirac désormais dépassé au baromètre de la popularité par Michel Noir et un Raymond Barre énigmatique et pour l’essentiel silencieux. Tous, quoi qu’il arrive, sous le double aiguillon de l’histoire et de la société, seraient bien avisés de se préparer à une renaissance tous azimuts du débat politique, en sachant que le positionnement « moral » importe désormais davantage que des références idéologiques que l’année 1989 a achevé de rendre obsolètes. JEAN-MARIE COLOMBANI downloadModeText.vue.download 172 sur 509 POLITIQUE 171 Le marathon électoral français Une gauche en quête d’union, une opposition modérée en crise d’identité : la bipolarisation est remise en question ; mais, surtout, la montée des abstentions met en péril la démocratie. Et l’Europe sert d’alibi aux jeux de la politique intérieure. Entamé le 24 avril 1988 avec le premier tour de scrutin pour la désignation du président de la République, le plus long marathon électoral qui ait jamais été imposé aux citoyens français n’a pris fin que le 24 septembre 1989 avec le renouvellement triennal du tiers sortant du Sénat. Cet appel aux urnes à répétition avait lassé les électeurs et désorienté les hommes politiques. Les premiers s’étaient réfugiés dans l’abstention qui avait atteint le taux exceptionnellement élevé de 62,96 % le 6 novembre 1988, lors du référendum sur la Nouvelle-Calédonie ; les seconds tentaient d’interpréter le message ambigu que leur avait délivré le peuple français en accordant, le 8 mai 1988, un second septennat à François Mitterrand, mais en refusant de donner, les 5 et 12 juin, à ses partisans à l’Assemblée nationale la majorité absolue qui aurait permis au chef de l’État de légiférer sans risque ni compromis. La gauche en quête d’union La proximité de l’échéance des municipales, fixées de longue date aux 12 et 19 mars 1989, ne leur en laissa pas le loisir. L’occurrence était particulière- ment difficile pour les dirigeants socialistes, qui avaient pourtant remporté les deux dernières consultations électorales. Conscients de l’irrésistible déclin du parti communiste qui ôtait à l’Union de la gauche tout espoir d’obtenir la majorité absolue des suffrages, la plupart d’entre eux, à commencer par le Premier ministre, Michel Rocard, étaient partisans d’une « ouverture au centre » à caractère compensatoire. Préconisé déjà en mai 1988 par le chef de l’État, ce renversement des alliances avait, certes, été accueilli favorablement par quelques responsables centristes ; mais, à en juger tout au moins d’après le résultat des législatives partielles, les électeurs n’avaient pas suivi. Et il avait fallu attendre le 29 janvier 1989 pour que l’homme nouveau de la majorité présidentielle, Bernard Tapie, réussisse à arracher, avec une étroite marge de 623 voix, le siège de la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône que détenait jusqu’alors l’UDF Guy Tessier. Cette « embellie marseillaise » n’était pas suffisante pour convaincre la direction du PS, et son premier secrétaire, Pierre Mauroy, de changer de stratégie. Inébranlablement fidèle à celle de l’Union de la gauche, ce dernier avait ouvert des négociations avec le PCF, dès le 26 octobre 1988. Mais il s’était aussitôt heurté à downloadModeText.vue.download 173 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 172 la méfiance des dirigeants de la place du Colonel-Fabien qui n’avaient pas oublié que leur alliance avec le PS avait accéléré l’hémorragie de leurs voix. Après avoir remis en cause un premier accord, celui du 12 janvier, puis un second, celui du 3 février, ils acceptèrent pourtant de conclure in extremis le compromis du 17 février, permettant la constitution de listes communes socialo-communistes dans 63 % des villes de plus de 30 000 habitants. En revanche, des primaires devaient être organisées dans 37 % d’entre elles, soit parce que le parti socialiste avait fait alliance avec des candidats du Centre, soit parce qu’il avait revendiqué la tête de liste dans des municipalités à direction communiste, mais où les élections présidentielles et législatives de 1988 avaient révélé qu’il était devenu la force politique de gauche la plus importante. Et, cela, le PCF ne pouvait l’admettre. Divisions internes Avec un taux de près de 95 % de listes communes dans ces mêmes villes de plus de 30 000 habitants, l’opposition avait fait mieux. En agissant plus tôt et plus vite, elle avait surpris l’opinion publique qui ne croyait pas qu’elle puisse atteindre un tel résultat après son échec lors de l’élection présidentielle de 1988. Certes, celuici avait nourri bien des rancoeurs et suscité des différences d’interprétations au sein des deux formations politiques qui la composaient. Pire : l’une d’elles, l’UDF, paraissait même menacée d’éclatement par la constitution, sur ses marges et à ses dépens, du groupe parlementaire de l’UDC, qui rassemblait des élus du centre gauche dont on pouvait penser qu’ils rallieraient la majorité présidentielle dans un avenir plus ou moins lointain. C’était oublier la force des pesanteurs sociologiques qu’accroissait une longue pratique de la bipolarisation. Portés par un électorat qui comprenait mal ce qui pouvait bien séparer chacune des trois composantes de l’opposition, ses dirigeants retrouvèrent tout naturellement le chemin de l’unité, non sans avoir préalablement levé l’hypothèque du Front national avec lequel le bureau politique du RPR s’était interdit, le 8 septembre 1988, de contracter toute alliance, fût-elle simplement locale. Politique étrangère Au-delà de la présidence du sommet des pays industrialisés à Paris (du 14 au 16 juillet) et de celle de la Communauté européenne (de juin à décembre), la France a joué un rôle important dans la recherche d’un nouvel équilibre européen, après les bouleversements intervenus à l’Est. Tout en soutenant l’action de Mikhaïl Gorbatchev en faveur de la libéralisation des régimes d’Europe orientale, le gouvernement n’envisage une réduction du potentiel militaire français qu’en échange d’un effort parallèle des Soviétiques. En revanche, Paris n’a pas ménagé son assistance économique à la Pologne, qui a bénéficié des crédits de la CEE et d’une aide française de 4 milliards de francs. Depuis l’ouverture de la frontière interallemande (10 novembre), les dirigeants français ont redoublé leurs efforts pour accélérer l’union politique entre les Douze. Au Conseil européen de Strasbourg (8 et 9 dédownloadModeText.vue.download 174 sur 509 POLITIQUE 173 cembre), François Mitterrand a obtenu d’Helmut Kohl l’ouverture, fin 1990, d’une conférence intergouvernementale destinée à fixer les étapes finales de l’union monétaire. Il a aussi beaucoup contribué à la définition de la position commune des Douze sur la question allemande : la Communauté accepte le retour à l’unité du peuple allemand dans le respect des traités et la perspective de l’intégration européenne. Le 10 décembre, M. Mitterrand a souligné que « la frontière Oder-Neisse devait rester intangible et qu’une Allemagne réunifiée ne devait pas disposer de l’arme nucléaire ». La France a aussi multiplié les démarches afin de ramener la paix au Liban et au Cambodge. Elle est même allée jusqu’à maintenir des relations diplomatiques avec les dirigeants khmers rouges, responsables d’un génocide de deux millions de personnes. Laurent Leblond Les primaires sauvages furent donc relativement peu nombreuses au sein de l’opposition (Aix-en-Provence, Brest, Strasbourg), ce qui permit à cette dernière de ne perdre le contrôle que de downloadModeText.vue.download 175 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 174 32 municipalités de plus de 20 000 habitants les 12 et 19 mars. Elle pouvait se déclarer satisfaite d’un résultat que couronnaient les grands chelems remportés respectivement dans les neuf secteurs de Lyon et, pour la deuxième fois, dans les vingt secteurs de Paris par deux des principaux responsables du RPR : Michel Noir, et surtout Jacques Chirac. Conçue, à l’origine, par Gaston Defferre pour permettre au parti socialiste de conquérir quelques mairies d’arrondissement à partir desquelles il aurait pu affaiblir de l’intérieur les deux principales forteresses municipales de ses adversaires, la loi dite PLM (Paris-Lyon-Marseille) avait eu un effet boomerang à leur avantage. Pire, elle avait facilité dans les huit secteurs de la métropole phocéenne le succès du maire sortant, Robert Vigouroux, qui avait été exclu du PS le 4 janvier 1989 pour avoir refusé de s’effacer au profit du candidat officiel de ce dernier, Michel Pezet. Du fait de ses divisions internes, l’Union de la gauche ne parvenait pas à reconquérir toutes les places perdues lors des élections municipales de 1983. Élargie aux centristes de la majorité présidentielle, elle n’avait rassemblé au premier tour que 48,51 % des suffrages exprimés, contre 47,73 % à l’opposition ressoudée. Et, au soir du second tour, elle contrôlait 204 villes de plus de 20 000 habitants, ses compétiteurs, maîtres de 180 mairies, faisant presque jeu égal avec elle. La bipolarisation en question Cette stabilité du rapport des forces entre la droite et la gauche qui perdurait au moins depuis 1978 traduisait-elle une stabilité analogue du corps électoral ? Il était tout aussi imprudent de l’affirmer que de le nier. En apparence, la bipolarisation restait l’une des données constantes de la vie politique française. La campagne municipale avait pourtant révélé des tendances à la fissuration de chacun des deux blocs. À droite, certains membres du CDS, parfois même du PR, tel Jean-Pierre Soisson à Auxerre, avaient fait liste commune avec des socialistes. À gauche, les dissensions avaient été plus graves et s’étaient traduites par un effritement continu des positions du PCF, qu’affaiblissait de l’intérieur l’action des « rénovateurs », et par une aggravation au sein du PS des divergences entre partisans et adversaires d’une ouverture au centre qui mettait un terme à l’Union de la gauche à laquelle restaient fidèles un grand nombre de dirigeants et de militants. Mais les modalités du scrutin à deux tours ne permettaient pas de mesurer l’audience exacte de deux forces politiques qui disposaient de trop peu de moyens en hommes et en argent pour présenter des listes de candidats dans toutes les communes françaises : le Front national de Jean-Marie Le Pen, qui semblait rallier plus de 10 % de l’électorat dans le Midi méditerranéen et dans l’Est alsacien ; les écologistes d’Antoine Waechter, qui devaient recueillir en moyenne 7,7 % des suffrages exprimés dans les villes de l’Ouest armoricain et de l’Est jurassien ou alsacien. Longtemps marginales, elles avaient perturbé le jeu de « la bande des quatre », ce qui s’était traduit le 19 mars, par la multiplication des triangulaires, voire des quadrangulaires, encore exceptionnelles au second tour en 1983. downloadModeText.vue.download 176 sur 509 POLITIQUE 175 Un tel phénomène qui se manifeste, sous sa double forme, dans un même électorat urbain à Colmar, à Mulhouse, à Strasbourg, contribuant à l’échec, dans ces deux dernières villes, de municipalités en place depuis plusieurs décades, traduit un vote de rejet. Émis par une fraction notable du corps civique d’origine populaire, il ne fait que manifester l’hostilité, voire le désespoir de nombreux Français à l’encontre de formations qui diffèrent moins par l’action que par le discours et qui n’ont su renouveler ni leurs hommes, ni leurs méthodes. Traduite par un taux d’abstention de 27,18 %, taux jamais atteint depuis la Libération lors d’élections municipales, cette discordance entre les citoyens et le monde politique était-elle un mal passager ou une maladie pernicieuse qui minait les bases mêmes de la démocratie française ? Les élections européennes du 18 juin fournirent un élément de réponse ; le scrutin de liste et la répartition des sièges à la proportionnelle dans le cadre national permettaient à toutes les listes dépassant le seuil fatidique des 5 % d’envoyer des représentants siéger au Parlement de Strasbourg. L’Europe : enjeu ou alibi ? L’enjeu était considérable puisque la nouvelle Assemblée devait dessaisir les Parlements nationaux de leurs prérogatives économiques et sociales, fussentelles de caractère politique, à partir du 1er janvier 1993. Pourtant, les 15 et 18 juin, leurs électeurs devaient se rendre downloadModeText.vue.download 177 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 176 aux urnes non pour voter pour ou contre l’Europe, mais pour approuver ou pour sanctionner la majorité en place. Défense Edgar Faure avait coutume de qualifier la discussion budgétaire de « morne litanie ». Exceptionnellement, les débats sur la loi de programmation militaire ont pris cette année un tour étonnamment vif du fait d’un contexte international particulier. Des dépassements de devis pour l’avion Rafale et du char Leclerc aux réductions annoncées des effectifs de l’armée de terre en passant par la remise en question de la modernisation de la triade stratégique, les causes de désaccords n’ont pas manqué. Si la ligne de fracture passe – c’est l’usage – entre majorité et opposition, elle n’a pas manqué de toucher les militaires eux-mêmes. Dans ce contexte, le fameux complexe militaroindustriel a fait un retour remarqué sur la scène médiatique. À l’heure de la rigueur budgétaire – la perspective du marché unique européen rend inévitables les baisses des prélèvements obligatoires –, on s’est interrogé, avec un peu plus d’acuité critique que par le passé, sur la définition des grands programmes d’armements. Ce qui a porté le feu au coeur même du « triangle » ministère de la Défense – états-majors – industries d’armement. Au-delà des joutes parlementaires qui ont, à l’évidence, dépassé les bornes du « consensus défense », le ministre a dû également faire face à la grogne du personnel. À peine la pilule de la réduction des effectifs de l’armée de terre avalée, c’était au tour de la gendarmerie de redonner la parole à la Grande Muette. Et ce dans un climat pro- testataire aux plus purs accents syndicaux : conditions de travail, rémunération, « statut » social, mission, droit à l’expression. Dans le cadre d’un budget serré, la résolution des revendications de la gendarmerie n’ira pas sans poser quelques problèmes. Seule satisfaction pour le ministre de la Défense, les nouveaux uniformes dessinés par le couturier Pierre Balmain n’ont fait à ce jour l’objet d’aucune contestation. Philippe Faverjon En France, cette dérive nationale fut d’autant plus nette et la campagne électorale d’autant plus vive que le scrutin du 18 juin figerait pour quatre années les rapports de force entre la majorité et l’opposition, aucune consultation n’étant inscrite au calendrier avant les législatives de 1993. À gauche, le problème était relativement simple puisque la représentation proportionnelle libérait le parti communiste de son alliance contraignante avec un parti socialiste dont la préoccupation majeure était de s’affirmer comme la première force politique française. Cet objectif ne pourrait être atteint qu’avec le concours de voix centristes qui n’apporteraient leurs suffrages qu’à une liste conduite par des socialistes d’ouverture. Dès janvier, leurs noms étaient propagés par la rumeur publique : Michel Rocard, qui démentait le 6, Jacques Delors, qui laissait planer l’incertitude le 8. À droite, la situation était plus complexe. Le RPR et l’UDF devaient en effet faire un choix : ou présenter des listes séparées pour mesurer leur poids respectif au sein de l’opinion publique et pour ratisser plus large, comme le préconisait encore François Léotard dans une interview publiée dans le Monde du 27 janvier, avec la perspective, quasi assurée, de faire le jeu du parti socialiste ; ou constituer downloadModeText.vue.download 178 sur 509 POLITIQUE 177 une liste unique de l’opposition, comme le souhaitait déjà Valéry Giscard d’Estaing, tirant ainsi tous les enseignements du succès relatif mais inespéré remporté par les candidats de l’URC (Union du Rassemblement et du Centre) les 5 et 12 juin 1988. La détermination du CDS de ne pas lier son destin électoral à celui du RPR, au risque de briser par contrecoup l’UDF, rendait aléatoire son renouvellement et paraissait lourde de conséquences pour l’après-18 juin. Au terme de deux mois de suspense, la situation se décanta brutalement au lendemain du 19 mars, avant même que les hommes politiques n’aient eu le temps d’analyser toutes les conséquences des élections municipales et leur réelle portée. L’entrée en scène des protagonistes À gauche, la désignation des têtes de liste ne donna guère lieu à débat. Nourrie sans doute d’inspirations élyséennes, la candidature de Laurent Fabius était officialisée par le PS le 24 mars et le 30, celle, virtuelle, de Philippe Herzog, libérait le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, des risques d’une aventure européenne. À droite, en revanche, le refus définitif du CDS, Pierre Méhaignerie, annoncé dès le 20 mars, de faire liste commune avec le downloadModeText.vue.download 179 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 178 RPR, suscitait une querelle des anciens et des modernes. Pour tenter d’éviter qu’une liste du centre n’entre en concurrence avec celle de l’union UDF-RPR que devait conduire Valéry Giscard d’Estaing, rallié le 5 avril par François Léotard, les rénovateurs de l’opposition annonçaient, le 6, leur intention de constituer, en dehors et par-dessus les clivages partisans, une liste de jeunes quadragénaires excluant les chefs historiques de leurs formations politiques respectives. Le caractère contradictoire de leur démarche les condamnait à l’échec. Désireux de maintenir à tout prix l’union de l’opposition, comme ils l’affirmèrent dans leur communiqué du 9 avril, comment auraient-ils pu prendre le risque de s’exclure eux-mêmes soit du RPR, soit de l’UDF, dont les conseils nationaux réaffirmaient successivement, le 8 et le 13, leur soutien à la liste d’Union de l’opposition, dirigée par Valéry Giscard d’Estaing et par Alain Juppé ? Pour éviter de s’entre-déchirer, il ne leur restait plus qu’à se retirer sur l’Aventin et à laisser les centristes confier le 27 la tête de leur liste européenne à une libérale, Simone Veil. Condamnée par les dirigeants historiques du CDS, et notamment par Jean Lecanuet, rejetée par les membres de ce parti restés de farouches adversaires de la majorité présidentielle, cette décision désarçonna l’électorat, convaincu, au contraire, que rien de fondamental n’opposait désormais les deux grandes formations politiques de l’opposition. À l’extrême gauche, Claude Llabrès tentait d’entraîner les communistes sur la voie de la rénovation, tandis qu’Ariette Laguiller, au nom de Lutte ouvrière, et Marc Gauquelin, en qualité de trotskiste du MPPPT, se disputaient les voix de ceux qui voulaient construire l’Europe des travailleurs contre l’Europe du capital. À droite, l’opposition n’avait sans doute rien à redouter des listes dont les leaders peu connus Gérard Touati (Génération Europe) et Henri Joyeux (Alliance) prétendaient lui disputer des voix que convoitait également Jacques Cheminade (Rassemblement pour une France libre), que ses positions politiques rapprochaient de celles de Jean-Marie Le Pen. Ce dernier se donnait pour but non seulement de défendre l’identité française au Parlement européen, mais aussi et peut-être surtout de mesurer son audience nationale et de rappeler à l’opposition RPR-UDF que la force qu’il représentait était devenue, le 24 avril 1988, l’une des composantes principales et incontournables du paysage politique ; et donc que, sans le concours qu’il lui proposait et qu’elle rejetait, elle ne pourrait jamais redevenir majoritaire. Législation Des considérations politiciennes et les impératifs de l’unification de la législation européenne justifient l’orientation donnée par le gouvernement de M. Rocard au travail parlementaire. Quelques lois importantes inspirées par le cabinet de M. Chirac sont abrogées ou largement amendées. La loi no 89-25 du 17 janvier 1989 relative à la liberté de communication modifie les dispositions promulguées le 30 septembre 1986. Le CNCL fait place au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) downloadModeText.vue.download 180 sur 509 POLITIQUE 179 dont les pouvoirs de sanction sont renforcés. La loi du 23 décembre 1986, dite « loi Méhaignerie », d’abord remaniée par la loi no 89-18, a été abrogée en grande partie par la loi no 89-642 du 6 juillet, qui constitue le nouveau droit commun des baux d’habitation. Brève mais décisive, la loi no 89-465 du 10 juillet, qualifiée par certains de « dénoyautage », modifie celle du 6 août 1986 relative aux modalités d’application des privatisations. Tandis que les obligations imposées aux groupes d’actionnaires stables (« noyaux durs ») constitués par M. Balladur sont rendues caduques, le ministre des Finances est habilité à s’opposer à toute acquisition supérieure à 10 % du capital des privatisées. La loi no 89-548 du 2 août réforme profondément la législation relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France. Invité par le Conseil des communautés européennes à se prononcer, le législateur français institue, le 13 juin, le Groupement européen d’intérêt économique et modifie l’ordonnance du 23 septembre 1967 sur les GIE. La loi no 89-421 du 23 juin met en conformité le droit national avec des directives européennes en matière de consommation. Elle améliore certains textes anciens, adapte la législation à certaines pratiques commerciales (ventes « à la boule de neige », loteries avec pré- et post-tirages) et comble certaines lacunes (contrat de courtage matrimonial...). Ses 14 articles accroissent d’évidence l’efficacité du droit de la consommation. Pourtant, l’adoption de la loi no 891010 (31 décembre) en révèle les limites. Pour pallier « les difficultés liées au surendettement des particuliers », sont établies des procédures de prévention et de règlement ; l’article 10 institue une procédure collective de redressement judiciaire civil. Le droit pénal connaît de notables modi- fications. Après la réforme de la révision des condamnations pénales (loi no 89-431), le Parlement réécrit les articles du Code de procédure pénale relatifs à la détention provisoire par la loi du 6 juillet (no 89-461). Les dispositions de la loi du 10 juillet (no 89-487) relative à la prévention des mauvais traitements à mineurs posent les premiers jalons d’une protection efficace de l’enfance. Promulguée le 10 juillet, l’amnistie concerne les nationalistes corses et guadeloupéens actuellement détenus. Le Code du travail est encore l’objet de modifications. La loi no 89-18 du 13 janvier, downloadModeText.vue.download 181 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 180 en son titre VIII, facilite l’embauche par divers procédés; celle du 2 août (no 89-549) tend à prévenir le licenciement économique ; celle du 19 décembre (no 89-905) veut favoriser l’insertion professionnelle de ceux qui rencontrent des difficultés particulières d’accès à l’emploi. La loi no 89-899 du 18 décembre révise plusieurs chapitres du Code de la santé publique pour développer la protection de la santé maternelle et infantile. Après les remous causés par les « affaires » Triangle et Pechiney, le ministre de l’Économie sollicite du législateur l’examen de son projet sur la transparence et la sécurité du marché financier. La loi no 89531 du 2 août renforce l’indépendance et les pouvoirs de la Commission des opérations de Bourse (COB) et modifie la réglementation des offres publiques d’achat (OPA). En modifiant une réglementation de 1941, la loi du 1er décembre (no 89-874) entend développer la protection du patrimoine culturel sous-marin. Hervé Robert Ces listes représentaient tous les courants politiques traditionnels, même les plus ténus, de l’opinion publique française. La surprise vint de l’entrée dans l’arène de trois forces nouvelles qui avaient pour point commun la volonté affichée de défendre la nature. Deux d’entre elles étaient pourtant antagonistes : celle des protecteurs de la vie animale dont le plus ardente protagoniste, Arlette Alessandri, condamnait notamment la vivisection ; celle des chasseurs et pêcheurs qui rappelaient, sous l’impulsion d’André Goustat, qu’ils contribuaient à réguler la croissance d’une faune trop prolifique et par là même menaçante pour la survie des espèces végétales, qu’elles soient ou ne soient pas cultivées. Refusant de se situer à droite ou à gauche de l’échiquier électoral, seule la dernière de ces forces, celle des Verts d’Antoine Waechter, donnait à son combat une dimension politique. Désireux de se compter au plan national au lendemain des succès qu’ils avaient remportés localement lors des municipales, ces derniers n’étaient pas antieuropéens comme les « Grünen » allemands. Mais hostiles à l’Europe de l’Acte unique fondée sur des alliances militaires et sur des ententes économiques, ils voulaient lui substituer une Europe des régions et des peuples qui aurait pour ciment le principe de solidarité, alors que les jeunes de la liste IDE, emmenée par Franck Biancheri, entendaient promouvoir une Europe transnationale. Quinze listes en compétition pour quatre-vingt-un sièges à pourvoir, c’était beaucoup. Quinze protagonistes pour débattre de l’Europe devant les caméras de TF1, c’était trop. Laurent Fabius refusait un duel au sommet avec Valéry Giscard d’Estaing sous prétexte de ne pas valoriser la liste RPR-UDF au détriment de celle conduite par Simone Veil en qui il voyait une alliée potentielle. Y faire participer cette dernière et Philippe Herzog, c’était reconstituer « la bande des quatre » en la caricaturant du fait de l’absence de tout représentant du RPR. Il fut donc décidé d’y intégrer Jean-Marie Le Pen et Antoine Waechter. Le Front national et les Écologistes faisaient leur entrée dans la cour des grands. De l’aveu même de l’un de ses participants, Valéry Giscard d’Estaing, l’émission du 8 juin 1989 fut « peu passionnante » et même « un peu contraignante ». Elle accentua la lassitude des Français, appelés à prendre le chemin des downloadModeText.vue.download 182 sur 509 POLITIQUE 181 urnes au minimum pour la sixième fois depuis le 24 avril 1988. La démocratie remise en cause ? Ils répliquèrent par un taux d’abstention exceptionnellement massif : 51,27 %, significatif du peu d’intérêt qu’ils portaient non seulement à l’Europe mais aussi à la classe politique. Ses quatre forces dominantes depuis 1978 (RPR, UDF, PS et PCF) ne recueillaient même pas le tiers des inscrits (34,48 %) et devaient céder les 3e et 4e places aux deux principaux trouble-fête de la campagne : le Front national (5,55 %) et les Écologistes (5,01 %). Absolue le 8 mai 1988, relative le 12 juin 1988, la « majorité présidentielle » ne disposait plus que d’un support électoral minoritaire au soir du 18 juin 1989. À sa gauche, elle ne pouvait plus compter puiser dans le vivier électoral désormais asséché du PCF pour atteindre la barre fatidique de 50 % des votants qui assurerait sa pérennité gouvernementale. À droite, l’échec de Simone Veil prouvait que les électeurs centristes et libéraux avaient préféré voter utile comme le leur avait conseillé Valéry Giscard d’Estaing. Dans le duel à fleuret moucheté qui l’opposait depuis 1981 à François Mitterrand, l’ancien chef de l’État avait remporté un succès important qui restaurait sa légitimité au plan national et rendait de nouveau crédible son éventuelle candidature à la présidence de la République. Il était donc le grand vainqueur de ces élections, mais il n’était pas le seul. Certes, derrière lui, c’était toute la droite traditionnelle qui l’avait emporté dans la diversité des composantes de l’UDF et du RPR, dont le rééquilibrage au profit de ce dernier et au détriment du Centre devait être confirmé le 24 septembre par les grands électeurs, lors du renouvellement du tiers sortant des sénateurs. Vie sociale Comme 1988, l’année 1989 marque une nette recrudescence des conflits après six ans d’apaisement. Les revendications catégorielles dans le secteur public sont permanentes et s’étendent : gardiens de prison, enseignants, agents de la météo, infirmières et milieux hospitaliers, fonctionnaires de la Corse, agents des finances, gendarmes, policiers et douaniers. Le secteur privé reste beaucoup plus calme en dépit d’un certain raidissement, particulièrement à l’automne avec la grève qui touche les usines Peugeot. La multiplication des conflits localisés, mais aussi leur plus grande violence et leur plus longue durée, accompagnée parfois par une véritable volonté de « pourrissement », traduisent un malaise social grandissant. Les salariés notent un « déficit social » croissant. La poursuite de la rigueur salariale, mais aussi l’inégalité devant l’emploi (le chômage, la précarité), alors que l’économie va mieux et que la situation des entreprises ne cesse de s’améliorer, accroissent le sentiment d’injustice. En même temps se développent des revendications plus qualitatives concernant les conditions de travail et le déroulement des carrières. Alors que la CFDT, avec Jean Kaspar élu en novembre 1988, et FO, avec Marc Blondel qui succède à André Bergeron en février, optent pour le changement, la CGT préfère la continuité en reconduisant Henri Krasucki en mai. Si Jean Kaspar se veut favorable à la négodownloadModeText.vue.download 183 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 182 ciation, Marc Blondel, en revanche, oppose syndicalisme de contestation à syndicalisme d’accompagnement et adopte une attitude plus revendicative. Enfin, la CGT poursuit sa tactique de harcèlement (« dix » de Renault, hostilité à l’Europe de 1993, etc.). Le patronat met en avant la construction de l’Europe et les contraintes internationales (la compétitivité) pour exiger toujours plus de liberté (flexibilité, déréglementation et allégement des charges). Pierre Guillen, président de la commission sociale du CNPF (dont il démissionne le 31 mai avant d’être remplacé par Jean-Louis Giral), est un adepte du « girondinisme » ; il défend la décentralisation du dialogue social. Après l’accord interprofessionnel sur l’aménagement du temps de travail conclu en mars, mais qui n’a été signé que par la CFDT et par la CGC, les partenaires préparent ceux sur les conditions de travail et l’égalité professionnelle d’une part et sur la mobilité professionnelle et géographique des salariés d’autre part. Les autres domaines de négociation concernent la nouvelle convention assurance chômage, le problème des retraites complémentaires et l’Europe sociale. Face à la montée des revendications dans la fonction publique, le gouvernement de Michel Rocard ne refuse pas le dialogue mais ne cède pas et reste ferme dans ses choix politiques, estimant l’économie « convalescente » et donc encore nécessaires l’amélioration de la situation des entreprises et la modération salariale. En revanche, le gouvernement change de procédé en passant progressivement du traitement au cas par cas à une méthode plus globale. Face à un parti socialiste de plus en plus critique envers sa politique sociale, le Premier ministre multiplie les initiatives au cours de l’automne. Partisan de la rénovation du secteur public, il propose en septembre un pacte de croissance qu’il inscrit dans le cadre de ses « 11 travaux d’Hercule » : selon le théorème des trois tiers, les fruits de la croissance doivent se répartir équitablement entre l’emploi, l’investissement et la formation, et le pouvoir d’achat. De même, une prime de croissance de 1 200 F est allouée en novembre à tous les fonctionnaires et une réforme de la grille de la fonction publique est engagée. Parallèlement, d’autres mesures plus particulières sont prises en faveur des exclus (loi sur la prévention du licenciement économique, nouveau plan emploi, RMI, logement social et crédit formation). Dominique Colson Mais, parmi les vainqueurs, il fallait aussi compter ceux qui voulaient que le pays soit gouverné autrement : électeurs du Front national qui s’étaient prononcés en fait en faveur de la mise en oeuvre d’une politique de retour en matière d’immigration ; écologistes prêts, au contraire, à favoriser la mutation de la communauté nationale en une communauté multiraciale dont l’énergie devrait être employée moins à l’essor de la production qu’à l’amélioration de la consommation dans le respect des spécificités régionales, qu’elles soient économiques, linguistiques, ethniques ou religieuses ; défenseurs de la chasse et de la pêche, enfin, qui avaient su rassembler les moyens financiers nécessaires pour mener une campagne à l’échelle nationale. Leur appel fut largement entendu, car il ne leur manqua que 0,87 % des suffrages exprimés pour faire leur entrée au Parlement de Strasbourg. Budget Les dépenses publiques sont en assez forte progression (+ 5,3 %) et atteignent downloadModeText.vue.download 184 sur 509 POLITIQUE 183 1 217,7 milliards de francs. La hausse s’explique surtout par l’accroissement des dépenses liées au paiement des intérêts de la dette (+ 17,6 %). Par l’affectation des crédits comme par la création d’emplois (solde positif net de 7 800 postes), les efforts portent dans trois directions. La solidarité s’exerce au moyen de mesures prises en faveur du logement social (+ 17 %), de l’emploi, du Revenu minimum d’insertion (RMI) et par l’aide publique au développement. La préparation de l’avenir passe par les efforts consentis en faveur de l’éducation (+ 8,7 % et création de 13 540 postes), de la formation, de la recherche (+ 7 %) de la culture (+ 7,6 %) et par la modernisation et la rénovation du secteur public : un pacte de croissance a été lancé dans la fonction publique et les secteurs privilégiés, dont la justice (+ 7 % et 2 054 nouveaux emplois) et la police (+ 7,2 %). Avec 1 127,5 milliards de francs, le recettes publiques progressent de 6,8 %. Les allégements d’impôts représentent 16,7 milliards de francs. Dans l’optique du marché unique européen, les principales mesures favorisent les entreprises (baisse de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfice réinvestis et crédits d’impôt pour la recherche et la réduction du temps de travail) et les revenus de l’épargne. D’autres mesures privilégient l’égalité financière : baisse de la TVA et de la taxe d’habitation pour les plus démunis, mais alourdissement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mesure fiscales moins généreuses pour les propriétaires et moralisation des stock options pour les cadres. La réduction du déficit budgétaire reste prioritaire. Il passe de 100,5 à 90,2 milliards de francs. En dépit d’un accroissement des dépenses et d’un allégement des impôts, cet effort es rendu possible par la croissance de l’économie. Dominique Colson Un tel résultat n’est surprenant qu’en apparence. En s’abstenant ou en votant très minoritairement pour les représentants des quatre formations politiques qui se partageaient ordinairement leurs suffrages, les Français ont peut-être exprimé leur lassitude d’un incessant appel aux urnes. Mais ils ont sans doute et surtout manifesté un certain rejet à l’encontre du régime et des hommes qui l’incarnent, élus ou fonctionnaires. Considérés comme « souverains » le temps d’une campagne électorale, ils acceptent de moins en moins bien d’être traités en « sujets » par une administration censée mettre l’État à leur service et qui, en son nom, et nonobstant les aléas électoraux, les infantilise en s’armant sans cesse contre eux des rigueurs (fiscales ou pénales) de la loi. L’avenir de la démocratie est en jeu. À ne pas tenir compte de cet avertissement, les princes qui nous gouvernent – ou ceux qui aspirent à nous gouverner – se réserveraient des lendemains qui déchantent. PIERRE THIBAULT Politique économique Estimant l’économie française encore « convalescente », le gouvernement poursuit la même politique économique. Ses objectifs restent la compétitivité des entreprises, seule capable d’améliorer l’emploi, et la désinflation. La rigueur économique est maintenue : le déficit budgétaire est encore réduit ; la politique monétaire se consacre à la défense du franc par la hausse des taux d’intérêts mais aussi au ralentissement de la croissance exdownloadModeText.vue.download 185 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 184 cessive des crédits ; la modération salariale est toujours recommandée. En revanche, les mesures en faveur de l’emploi se multiplient : la loi relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion est adoptée le 2 août ; un deuxième plan emploi est annoncé le 13 septembre ; il confirme et prolonge le précédent en combinant traitement économique (encouragement à l’embauche par allégement des charges et incitation à la réduction du temps de travail) et traitement social. Partisan du « Ni Ni » (ni nationalisation ni privatisation) et donc de l’économie mixte, le gouvernement fait toutefois passer la loi sur le dénoyautage des privatisées (liberté rendue aux actionnaires mais protection des intérêts nationaux). En ce qui concerne la Bourse, une loi sur la sécurité et la transparence du marché financier est votée en juin, de même qu’est entreprise une réforme de la COB. En outre, l’adaptation de la fiscalité française à celle de l’Europe se poursuit – notamment par la réduction des impôts des entreprises et des prélèvements sur l’épargne et par la baisse de la TVA. Enfin, le Xe plan (1989-1992), adopté le 28 avril, repose sur une croissance non inflationniste encouragée par l’investissement et par l’exportation et cherche à favoriser un haut niveau d’emploi, en vue de l’Europe de 1993. Dominique Colson downloadModeText.vue.download 186 sur 509 POLITIQUE 185 La politique régionale En 1989, l’aménagement du territoire et la réorganisation des collectivités locales se sont poursuivis sous le signe de l’Europe. L’aménagement du territoire C’est en effet sur fond d’Europe que se sont inscrits, quasiment pendant toute l’année 1989, l’aménagement du territoire et l’action de Jacques Chérèque. La réforme de ce que l’on appelle les fonds structurels – c’est-à-dire le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social (FSE) et le Fonds européen d’orientation et de garantie agricoles (FEOGA) – est entrée en vigueur. Et les gouvernements des Douze, ainsi que les autorités régionales, ont été extrêmement vigilants à l’égard de cette réforme, menant avec la Commission de Bruxelles des négociations ardues, car les enjeux financiers sont considérables. La France, pour sa part (DOM, Corse, zones de montagne, bassins industriels), ne s’en est pas trop mal sortie. En effet, entre 1988 et 1992, le volume de ses fonds structurels doit globalement doubler, passant de 7,8 milliards d’écus en 1988 à 13,4 en 1992 (1 écu = 7 francs). Autre tonalité européenne : le 24 novembre, à Nantes, Jacques Chérèque a réuni ses collègues de la CEE en charge de l’aménagement du territoire pour tenter d’harmoniser les points de vue entre les États et la Commission, d’une part, et, d’autre part, pour lancer des initiatives de coopération interrégionales. Un budget correct Sur le plan budgétaire, l’aménagement du territoire a été mieux servi dans la loi de finances 1990 qu’en 1989, qui avait été, sur le plan des crédits publics, une année à marquer d’une « pierre noire ». D’une année sur l’autre, les crédits progressent de 9 %. Et, après une grosse « colère » des membres de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, conduits par M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur, député socialiste de l’Aisne, le ministère des Finances a accepté d’accorder à Jacques Chérèque une rallonge de 500 millions de francs. Du coup, s’il n’est pas mirobolant, le budget de ce département ministériel a retrouvé tout de même un niveau correct pour 1990. 1989 aura aussi été marquée par un changement de taille, celui du délégué à l’aménagement du territoire. M. JeanFrançois Carrez, l’ancien patron de la DATAR, ami du ministre centriste Pierre Méhaignerie, ayant été nommé directeur général de l’Institut géographique national (IGN) ; il a été remplacé, au début d’octobre, par M. Jean-Pierre Duport, quarante-six ans, administrateur civil downloadModeText.vue.download 187 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 186 hors classe, jusqu’alors président de l’Agence foncière et technique de la région parisienne. Dans le même mouvement, la directrice de la DATAR, Mme Claire Bazy- Malaurie, est également partie. C’est donc une nouvelle équipe qui est à la tête de la DATAR, bras droit de Jacques Chérèque. Mais la question, posée déjà depuis pludownloadModeText.vue.download 188 sur 509 POLITIQUE 187 sieurs années, demeure : comment redonner à la DATAR – service dépendant juridiquement du Premier ministre – le « punch » qu’elle avait dans les années 1979-1980 ? Comment l’alléger d’organismes divers, voire parasitaires, qui gravitent autour et qui « l’ankylosent » en l’empêchant de jouer un véritable rôle interministériel, en amont et en aval de toutes les grandes décisions gouvernementales ? Pas plus que l’État d’ailleurs, la DATAR n’a modifié, sur le terrain, ses structures administratives, son organisation en « commissariats », pas toujours bien en phase avec les services préfectoraux, en dépit des grands changements engendrés par la décentralisation. Fin 1988, et pendant tout le premier semestre 1989, Jean-François Carrez avait mené à bien la difficile négociation sur la deuxième génération des contrats de plan entre l’État et les Régions. L’exercice était particulièrement délicat, car il fallait tenir des délais très brefs et, en théorie, conclure les discussions avant la fin 1988. Inévitablement, d’importants retards furent enregistrés. L’effort de l’État Mais, au total, pour la période 19891993, l’État mettra au pot 52 milliards de francs, soit une progression de 25 % des crédits par rapport à la période 19851988. Pour leur part, les conseils régionaux affecteront 43 milliards de francs à des opérations jugées prioritaires conjointement par leurs élus et par l’État. Parmi les secteurs d’équipement privilégiés figurent les infrastructures (routes, ports), la formation, la recherche. Par rapport à une moyenne nationale de 930 francs par habitant, l’effort de l’État va atteindre 2 100 francs en Corse (une région « ultra-prioritaire » au titre de l’aménagement du territoire et qui re- cevra en outre de volumineuses subventions de Bruxelles), 1 530 francs dans le Limousin, 1 340 francs en Lorraine. Certaines régions, dans leur contrat, ont mis l’accent sur la formation (par exemple le Poitou-Charentes et la Franche-Comté), d’autres sur la recherche (LanguedocRoussillon), d’autres, enfin, sur l’enseignement supérieur (Auvergne). Certaines, comme la Bourgogne ou la Picardie, ont cherché à élaborer des programmes d’action concertés du territoire (PACT) pour prendre en compte les handicaps spécifiques de certaines zones rurales touchées par l’exode démographique ou la faiblesse de l’armature urbaine (Morvan, Bresse, Thiérache). L’Île-de-France et le casse-tête des transports Il faut faire un sort spécial au contrat de plan signé entre la Région Île-de-France, présidée par M. Pierre-Charles Krieg (RPR), et l’État, représenté par le préfet de Région, M. Olivier Philip. D’abord, parce que la plus importante Région de France par son poids démographique et économique a été la dernière à approuver définitivement l’opération, la signature n’étant intervenue que fin avril. Ensuite, les sommes en jeu sont non seulement considérables, mais dans un rapport inverse de celles des autres Régions. downloadModeText.vue.download 189 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 188 Sur les 23 milliards à dépenser en 5 ans, 8,5 sont à la charge de l’État, mais 14,5 à la charge de la Région. L’État a voulu non seulement éviter que les contribuables de Bretagne ou du Massif central, à travers le budget national, ne payent pour les Franciliens, réputés « riches », mais que la Région elle-même fasse un effort exceptionnel sur son propre budget pour améliorer le cadre de vie de ses habitants. Sur les 23 milliards, la « part du lion » revient aux infrastructures de communication (18 milliards, dont 12 imputables aux finances régionales). Le contrat comporte aussi un volet relatif à l’enseignement supérieur. La Région prévoit 350 millions pour la création d’une université à Marne-la-Vallée, à condition que l’État accepte que la Région puisse récupérer la TVA sur les travaux de construction. Mais, jusqu’à maintenant, le fisc a dit « non ». Fin octobre, après des mois de consultations et de préparatifs, Michel Rocard a levé un coin du voile sur ce qui, pendant au moins cinq ans, constituera le « grand chantier » de l’Île-de-France. Une première série de mesures a été prise, à propos de l’offre foncière, de l’accroissement du parc de logements sociaux, des transports en commun (projet Éole, entre la gare du Nord et la Défense via Saint-Lazare). Une taxe sur le stock de bureaux, privés et publics, a été décidée avec un montant modulable géographiquement. Le plan, destiné à accélérer les travaux d’amélioration du cadre de vie, a reçu un accueil mitigé de la part des élus d’Île-deFrance. M. Charles Pasqua, président (RPR) du conseil général des Hauts-de-Seine, s’y est déclaré franchement hostile si c’est, pour l’État, l’occasion de reprendre aux collectivités locales des pouvoirs que leur ont conférés les lois de décentralisation depuis 1982. La coopération européenne M. Chérèque aurait voulu que, dans le cadre des contrats de plan, les Régions multiplient les opérations de coopération interrégionales, soit entre Régions françaises, soit au-delà des frontières de l’Hexagone. De ce point de vue, il a été déçu. Sans doute a-t-on vu fleurir les initiatives (accords entre le Nord-Pas-deCalais et la Wallonie, convention de coopération économique entre la Catalogne et Midi-Pyrénées ou Languedoc-Roussillon, communauté de travail du Jura entre la Franche-Comté et quatre cantons suisses), mais jamais avec une programmation financière précise. C’est pour inviter les autorités régionales à jouer avec davantage de détermination la carte de la coopération que la Commission (qui ne déteste pas d’entretenir des relations directes avec les régions des États membres en contournant si nécessaire, pour les besoins de la cause, les gouvernements) a arrêté une série de mesures fin novembre. Comme l’y autorise le nouveau règlement sur les fonds structurels, la Commission peut en effet décider d’elle-même des opérations qualifiées de « projets d’intérêt communautaire ». C’est une enveloppe de 2,1 milliards d’écus qui a été décidée et il restera encore à répartir un reliquat d’un milliard d’écus. La France est intéressée par le premier train de projets puisqu’il s’agit d’aides aux Régions affectées par la crise des charbonnages (programme Rechar) et aux zones côtières particulièrement fragiles sur le plan de l’environnement (Envireg), notamment en Méditerranée. Le programme Stride, lui, doté de 400 millions d’écus, vise à renforcer les capacités régionales de recherche et à faciliter les contacts entre les centres de recherche, les laboratoires et les entreprises. downloadModeText.vue.download 190 sur 509 POLITIQUE 189 200 millions d’écus sont réservés à des programmes spécifiques en faveur des îles ultrapériphériques de la Communauté, à savoir les départements d’Outremer français, les Açores, les Canaries et Madère. Enfin, et c’est l’essentiel, 700 millions sur 2,1 milliards entrent précisément dans le cadre de la coopération transfrontalière. En effet, à partir de 1993, ces zones, dont la caractéristique essentielle était d’être des zones frontières, deviendront des régions charnières, retrouvant non seulement leur unité géographique naturelle mais aussi une fluidité économique totale. Les zones privilégiées pour les aides communautaires sont les deux Irlandes, la frontière entre le Portugal et l’Espagne, la coopération transfrontalière de part et d’autre des Pyrénées, et, peutêtre, demain les « franges » entre l’Europe de l’Ouest et les pays d’Europe de l’Est. On a vu d’ailleurs, à la fin de 1989, se manifester, ici ou là, des idées de coopédownloadModeText.vue.download 191 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 190 ration entre régions occidentales et provinces d’au-delà du rideau de fer. À la conférence de Nantes, le 23 novembre, M. Olivier Guichard, président du conseil régional des Pays de la Loire, a déclaré : « Il serait souhaitable que des régions de l’Europe de l’Ouest s’associent pour engager ensemble une démarche concrète de coopération avec tel ou tel pays de l’Est. » Ainsi les Pays de la Loire pourraient, avec l’Émilie-Romagne ou avec l’Andalousie (avec lesquelles ils sont jumelés), proposer un contrat d’aide à la Hongrie ou à la Pologne sur des objectifs précis comme la formation de cadres. Cette déclaration intervenait quelques jours avant la réunion à Vienne de l’Association des régions d’Europe (ARE), présidée par l’Italien Emilio Bernini, à laquelle participèrent 150 régions occidentales et 25 orientales ainsi qu’un vice-Premier ministre soviétique. Dernière dimension européenne de l’aménagement du territoire : le rôle des métropoles européennes ou, selon un j autre concept, des « eurocités ». Quelles villes françaises peuvent se prévaloir de ce label ? Paris, bien sûr, Lyon, Marseille, Strasbourg et encore Toulouse. Encore ne font-elles que partiellement ou occasionnellement « le poids » face à Londres, Bruxelles, Francfort, Milan, Barcelone... Ce qui n’empêche pas Lille, Montpellier, Bordeaux, Nantes de redoubler d’efforts pour se raccrocher au train des « grands ». Nantes, d’ailleurs, ambitionne de jouer un rôle d’entraînement pour toute la façade ouest atlantique et maritime, non seulement en France, mais de Belfort à Cadix. La métropole de l’estuaire de la Loire, en effet, voit sa situation géopolitique s’améliorer d’année en année avec un réseau d’autoroutes modernes, un aéroport flambant neuf et l’arrivée du TGV depuis septembre. La décentralisation La nouvelle a fait l’effet d’une petite bombe dans le monde politique, à la fin de septembre. Michel Charasse, ministre du Budget, a annoncé que l’État avait décidé de modifier les règles d’attribution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée chaque année aux communes et aux départements. Le but du gouvernement est de faire des économies, d’inviter les collectivités locales à participer à l’effort général de modération des dépenses publiques et de leur demander de se mettre, elles aussi, à l’heure de l’Europe. La DGF Depuis une loi du 3 janvier 1979, la DGF, versée par l’État, était calculée en fonction des taux de TVA en vigueur à cette époque, et qui sont donc aujourd’hui fictifs. D’autant plus que, depuis trois ans, la France doit réduire ses taux, et par conséquent ses rentrées financières de TVA, pour cause d’harmonisation européenne. Jusqu’à ce jour, grâce à des taux garantis et à une bonne conjoncture économique, la DGF connaissait une croissance confortable et aucun élu ne voulait qu’on y touche. La DGF a rapporté 70 milliards de francs en 1987, 73,3 milliards en 1988 et 80,1 milliards en 1989, soit pour cette dernière année une progression – très forte – de 9,28 %. « C’est assez, il faut que les collectivités soient plus raisonnables ; l’État ne peut indéfiniment, en étant prisonnier downloadModeText.vue.download 192 sur 509 POLITIQUE 191 d’automatismes législatifs, alimenter la pompe des finances locales. Une révision s’impose », a lancé Michel Charasse, qui a fait adopter un nouveau système, en dépit de l’hostilité des parlementaires, toutes tendances politiques confondues. Désormais, on prendra pour base d’indexation de la DGF, non les taux fictifs de la TVA de 1979, mais la hausse des prix de la consommation des ménages. Est donc inscrite dans la loi de finances, pour 1990, une DGF de 82,15 milliards, alors que, si l’ancien système était resté en vigueur, les collectivités auraient pu compter sur 87 milliards de francs. (À titre de comparaison, l’ensemble des recettes procurées par les impôts directs locaux représente 165 milliards de F.) Les élus locaux, à qui il est demandé chaque année de prendre à leur charge une part croissante des dépenses publiques, ont évidemment poussé des hauts cris. Et le gouvernement, pour calmer le jeu, a fait savoir qu’il rechercherait un système d’indexation plus équitable. Il serait en effet juste que les collectivités, qui font un effort d’investissement proportionnellement deux fois plus important que celui de l’État, profitent elles aussi, sous forme de redistribution, de l’enrichissement gé- néral du pays. L’entreprise-Région L’année 1989 aura été marquée également par l’amorce d’un débat, dans le contexte européen, sur la taille des Régions françaises à l’échéance de 1993. Mais cette discussion n’a pu être conduite à son terme malgré son intérêt. Y a-t-il trop de Régions, ont-elles des moyens financiers suffisants ? (À titre d’exemple, le budget de la Généralité de Catalogne est trente fois plus important que celui de Midi-Pyrénées.) Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de taille. Des maires, des présidents de Régions ou de départements se comportent de plus en plus comme des patrons d’entreprises. Ils sillonnent le monde, concluent des accords économiques avec les régions étrangères, étendent leurs pouvoirs sur la vie politique, sociale, universitaire, culturelle d’une communauté d’hommes et de femmes, électeurs, citoyens, contribuables. Les villes et les Régions cherchent et trouvent des slogans percutants (« Montpellier au coeur, l’Europe en tête » ; « le Languedoc-Roussillon : le Sud intense »). Bref, les collectivités locales qui, en droit, n’ont d’autres compétences que celles que leur attribuent les lois et les décrets, acquièrent dans les faits, jour après jour et en fonction de la personnalité du maire ou du président qui est downloadModeText.vue.download 193 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 192 à leur tête, une légitimité générale et un pouvoir considérable. L’exemple des ex-chantiers navals Normed de La Ciotat est caractéristique. Le site est propriété du conseil général des Bouches-du-Rhône. C’est donc son président qui a autorité pour accorder ou non au groupe américano-suédois Lexmar (qui en a fait la demande) l’autorisation de rouvrir, par concession sur le domaine public maritime, un chantier naval. M. Lucien Weygand, président socialiste du conseil général, ne doit sa (fragile) majorité qu’à l’appoint des com- munistes favorables à la réouverture du chantier et qui, avec la CGT, militent activement en sa faveur. Or, le projet industriel présenté par Lexmar ne repose sur aucune base solide, financièrement ou économiquement. L’État, pour sa part, se déclare franchement hostile à la solution Lexmar, mais il n’est plus le premier décideur. Conséquence – que certains disent « perverse » – des lois de décentralisation, c’est le conseil général qui a en main les cartes maîtresses et qui a donc downloadModeText.vue.download 194 sur 509 POLITIQUE 193 pu décider, le 22 décembre, d’accorder au groupe une concession provisoire de six mois. RMI : l’exemple des Yvelines Le gouvernement a demandé aux départements (qui ont compétence pour l’action sociale) de participer à la mise en oeuvre du Revenu minimum d’insertion (RMI). La plupart ont répondu rapidement et favorablement. À titre d’exemple, dans les Yvelines, un conseil départemental d’insertion a été créé le 1er mars 1989, par arrêté conjoint du préfet et du président du conseil général et le programme départemental a été défini et approuvé le 1er juillet. Dans ce département, 3 553 personnes ont bénéficié du RMI. Pour l’année 1989, l’ensemble des allocations versées aura atteint 48,2 millions de francs. – 8 commissions locales d’insertion examinent la validité des contrats d’insertion présentés par les instructeurs ; – 4 commissions techniques d’appui fournissent une aide pour l’élaboration des contrats d’insertion, animent et développent les actions d’insertion sur le plan local ; – 5 chargés de mission (2 mis à disposition par l’État et 3 par le département) assurent la mise en place et l’animation du dispositif au sein d’une cellule départementale. Les bénéficiaires sont français à 74 %. 47 % d’entre eux sont hébergés gratuitement. Le montant moyen du RMI est de 1 708 francs par mois. Sur le plan économique, les départements, villes et Régions sont de véritables puissances. L’ensemble de leurs budgets a atteint 610 milliards en 1989, soit 11,1 % du produit intérieur brut. Les budgets des communes progressent raisonnablement d’une année sur l’autre (+ 4,6 %), ceux des départements un peu plus rapidement (+ 6,5 %) et ceux des Régions « s’envolent » (+ 21,4 %). La progression est encore plus marquée lorsqu’on observe la fiscalité, puisque les revenus procurés par les impôts régionaux directs ont augmenté de 29,1 %. Il est vrai que les Régions sont appelées à faire un effort de plus en plus considérable, notamment en prenant en charge toute la rénovation des lycées. Le secrétaire d’État chargé des collectivités locales, M. Jean-Michel Baylet, lui-même président du conseil général de Tarn-et-Garonne, a présenté au Parlement un projet de loi qui élargit les pouvoirs économiques de ces collectivités, notamment des départements. Mais la majorité de centre droit du Sénat, qui avait eu, en fin d’année, à examiner en priorité le texte, l’a taillé en pièces et a vidé les propositions gouvernementales de leur sens. Les sénateurs sont hostiles à tout système d’aide directe aux entreprises ou à la faculté qui serait donnée aux collectivités de souscrire à des titres participatifs émis par des coopératives. Au printemps 1990, l’Assemblée nationale devra reprendre à zéro l’analyse du texte. Les « chantiers » du ministre M. Pierre Joxe s’est attelé à une tâche de longue haleine : la rénovation des structures de l’appareil de l’État, sur le terrain. Ici ou là, il faudra redécouper les downloadModeText.vue.download 195 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 194 arrondissements, regrouper des sous-préfectures, en créer de nouvelles. L’action de l’État est émiettée dans les départements et les Régions face à des collectivités locales puissantes, souples, pragmatiques et souvent plus efficaces. Bref, la mission du préfet est sur la sellette. L’oeil de l’étranger dans l’industrie Les Régions et les villes s’affrontent dans une rude bataille pour attirer les emplois et les investissements. C’est à qui aura son usine japonaise, son « état-major » américain, son centre de recherche ou de logistique scandinave ou canadien. La ville de Gap s’enorgueillit même d’avoir pu décrocher une usine à capitaux brésiliens, qui va fabriquer des sacs en plastique. Mais les Régions n’exercent pas toutes le même attrait sur les investisseurs étrangers. Les entreprises industrielles à participation étrangère emploient 21,4 % de la population active, en moyenne, mais l’éventail va de 36,9 % en Alsace à 9,8 % en Bretagne. En ce qui concerne les investissements, si les entreprises étrangères couvrent 26 % du total dans l’industrie, le chiffre varie de 54 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur à 6,5 % seulement en Basse-Normandie. L’influence américaine s’exerce surtout en Île-de-France, dans le Centre et en Picardie, alors que les capitaux allemands restent en Lorraine ou en Alsace. Toutefois, fin novembre, Bosch (équipement automobile) a annoncé d’importantes créations d’emplois près de Caen. M. Joxe a poursuivi aussi sa réflexion sur le statut de l’élu local. Les maires, leurs adjoints dans les grandes villes, les présidents de Région ou de département font un travail à temps plein. Il faut qu’ils puissent exercer leur métier avec un certain nombre de garanties. Marcel Debarge, sénateur socialiste de SeineSaint-Denis, a été chargé d’un rapport pour « déblayer » le sujet. Les principaux points sur lesquels portera la discussion concernent les crédits d’heures ou les règles d’autorisation d’absence pour les salariés élus, la rationalisation du régime des indemnités financières, le droit à un congé-formation et la mise au point d’un régime de retraite digne de ce nom. Dernier « chantier » du ministre de l’Intérieur : la recherche de solutions pour inciter les communes d’une même agglomération ou de cantons ruraux downloadModeText.vue.download 196 sur 509 POLITIQUE 195 voisins à mieux travailler ensemble et à répartir d’une manière plus juste les ressources fiscales. Dans les agglomérations de 100 000 habitants et plus, le gouvernement semble déterminé à les contraindre à se regrouper dans une communauté urbaine. En milieu rural, la formule serait plus souple, avec une sorte de coopération à géométrie variable. Mais, ce qui est sûr, c’est que l’émiettement actuel de la carte communale française (36 627 communes, dont 80 % ont moins de 2 000 habitants, alors qu’il n’y en a que 8 500 en RFA, 8 070 en Italie et 8 020 en Espagne) compromet toute politique d’équipement efficace. FRANÇOIS GROSRICHARD Entré au Monde en 1969, François Grosrichard est aujourd’hui grand reporter économique. Il a en charge, notamment, les rubriques de l’aménagement du territoire et de la politique économique régionale. downloadModeText.vue.download 197 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 196 À travers les Régions Pour chaque Région ou département d’outremer, les budgets cités sont les états de prévision primitifs de 1989, qui sont susceptibles d’évoluer dans le courant de l’année (source : ministère de l’Intérieur). Alsace L’Alsace intéresse toujours les investisseurs japonais. Une nouvelle unité de production a été inaugurée par Sony à Ribeauvillé ; elle fournit magnétoscopes, Caméscopes et lecteurs de disques compacts. Sharp s’est installé à Soultz pour produire photocopieurs et télécopieurs. Les industries mécaniques et métallurgiques d’Alsace souffrent d’un défi- cit de main-d’oeuvre, car les ouvriers et techniciens qualifiés sont « aspirés » par l’industrie allemande. Plusieurs soludownloadModeText.vue.download 198 sur 509 POLITIQUE 197 tions sont envisagées pour freiner cette pénurie, notamment le recrutement et la formation de jeunes filles (les nouvelles machines rendent moins pénibles les conditions de travail dans ce secteur). Dans le même temps, l’Alsace a confirmé sa vocation frontalière dans plusieurs domaines. L’inauguration du poste-frontière autoroutier de Saint-Louis (HautRhin) permet aux automobilistes de relier Paris à Bâle par l’A35 sans rencontrer un seul feu rouge. La jonction est également réalisée avec l’A36 (Beaune-Mulhouse). L’aéroport de Strasbourg a été agrandi pour pouvoir accueillir deux millions de passagers par an ; il doit s’efforcer d’attirer la clientèle allemande qui passe actuellement par Francfort et Stuttgart. Le « Métro-Rhin », entre Strasbourg et Offenburg (pays de Bade), permet à la métropole alsacienne d’être mieux reliée aux grandes villes d’outre-Rhin (à peine 2 h 30 pour Francfort et 4 h pour Cologne). Un réseau express régional Mulhouse-Bâle-Lörrach (pays de Bade) est à l’étude ; il devrait notamment permettre la desserte ferroviaire de l’Euro-Airport Bâle-Mulhouse-Fribourg, en pleine expansion. Le Centre européen de management, implanté à Colmar, a reçu ses premiers stagiaires. Il répond au besoin spécifique de formation et de soutien des cadres des PME qui doivent affronter l’internationalisation de la concurrence. Il est soutenu par les régions d’Alsace, de Bâle et du Bade-Wurtemberg. Aquitaine Le groupe britannique Pearson (propriétaire du Financial Times et des Échos) a vendu 605 millions de francs les 53,5 % du Château-Latour qu’il détenait au groupe alimentaire, également britannique, Allied Lyons (propriétaire du cognac Courvoisier et du whisky Ballantine), ce qui fixe la valeur totale de cette propriété à 1,2 milliard de francs. Au prix de 23 millions de francs l’hectare, Château-Margaux, avec ses 800 000 m2 et sa renommée mondiale, vaut près de 2 milliards de francs. Forte du succès remporté par « Vinexpo » dont le 5e salon s’est tenu en juin à Bordeaux, la métropole aquitaine revendique le titre de capitale mondiale du vin. Jacques Chaban-Delmas et Jacques Valade ont lancé l’idée de cité mondiale des vins et spiritueux. Le projet prévoit une Vinopolis de 40 000 m2 en plein coeur des Chartrons, centre historique du vin à Bordeaux. La Gironde, premier producteur d’appellation d’origine contrôlée (AOC), compte 100 000 ha de vignes, downloadModeText.vue.download 199 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 198 et un actif sur six vit de la vigne et du négoce du vin. Par ailleurs, le bordeaux représente le quart des exportations françaises d’AOC, soit 4 milliards de francs. La fermeture de l’usine d’aluminium Pechiney de Noguères (Pyrénées-Atlantiques) a été confirmée pour 1991. 570 emplois doivent être supprimés, mais l’entreprise s’est engagée à créer 500 postes dans d’autres établissements. La demande d’eau potable dans le bassin Adour-Garonne augmente de 1,5 % par an ; non pas à cause de la consommation industrielle, mais en raison de la croissance vertigineuse des besoins de l’irrigation. On est passé de 200 millions de m3 et 132 000 ha irrigués en 1970 à 600 millions de m3 et 400 000 ha aujourd’hui. Les activités agricoles traditionnelles (blé, orge, élevage) sont remplacées par d’autres, gourmandes en eau : kiwis, asperges, fraises et surtout maïs. L’irrigation permet au producteur de cette céréale d’obtenir 100 ou 200 quintaux à l’hectare. La forêt recule, laissant la place à de vastes exploitations agroindustrielles. Le maïs semé dans le sable pousse grâce aux engrais chimiques, au soleil aquitain... et à l’irrigation. Les responsables de l’Agence Adour-Garonne et le conseil régional d’Aquitaine montrent l’Espagne en exemple : en Aragon, le quart des surfaces exploitables est irri- gué, contre seulement 7 % dans le SudOuest français. Un programme de quinze barrages à construire dans les dix ans a été arrêté. Dans le match qui l’oppose à Nantes, Bordeaux a marqué un point en obtenant la construction de la cité internationale des affaires qui sera intégrée dans l’opération de réaménagement du quartier de la Bastide. Il faut signaler en outre, dans la perspective d’une collaboration plus étroite avec l’Espagne, la participation depuis cette année de l’Aquitaine à la Communauté de travail des Pyrénées, à laquelle sont associés le Pays Basque, la Navarre, l’Aragon, l’Andorre, la Catalogne, le Languedoc-Roussillon et le Midi-Pyrénées. Auvergne En assurant 70 % de la production nationale, Thiers reste bien la capitale française de la coutellerie. Des ouvriers à domicile, dont la survivance répond au besoin de souplesse du marché, cohabitent avec des entreprises disposant de matériels très modernes. Ainsi Durol (75 salariés) propose des couteaux dont la denture a été mise au point par ordinateur. Thiers, cependant, ne réalise que 18 % de son chiffre d’affaires à l’exportation et doit s’armer pour affronter la concurrence sur le grand marché européen. downloadModeText.vue.download 200 sur 509 POLITIQUE 199 Le barrage de Serre-de-la-Fare (Haute-Loire), destiné à servir de réservoir de stockage pour les besoins en eau en aval du fleuve et à écrêter les crues dans le bassin du Puy, a été déclaré d’utilité publique. À la suite de cette décision, la population s’est mobilisée (au Puy, les Verts ont obtenu 22 % des voix lors du second tour des élections municipales), et le comité SOS-Loire vivante a demandé un moratoire de trois ans. Tout en se tournant résolument vers l’avenir (un des premiers instituts de la qualité vient d’être créé à Vichy à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie), l’Auvergne tient à sauvegarder son patrimoine naturel et culturel. La Maison du saumon et de la rivière a ouvert ses portes à Brioude et l’Agence des musiques traditionnelles d’Auvergne, dont le siège est à Riom, a organisé une « Nuit des musiques d’en France ». Bourgogne Gravement touchée par les désastres économiques des années 1975-1985, la Bourgogne sort de sa léthargie : entre juin 1988 et juin 1989, elle a été la Région où le plus grand nombre d’emplois ont été crées. Les effectifs salariés ont augmenté de 4,19 %, contre 3,25 % pour la moyenne nationale. 24 000 actifs sont employés dans des entreprises étrangères, soit 22 % des salariés bourguignons. En 1989, le budget régional a consacré 33 millions de francs à la recherche. La Bourgogne possède quatre Centres régionaux d’innovation et de transfert de technologie (CRITT) ; trois sont dijonnais et spécialisés en agroalimentaire, biotechnologie médicale et productique-informatique ; le quatrième, situé au Creusot, s’occupe d’énergie et de matériaux. La particularité de la Région est d’avoir mis en place une structure originale pour fédérer les CRITT et créer des passerelles entre les chercheurs et les industriels d’une part, les entreprises d’autre part : l’Agence régionale de développement technologique (ARDT), aussi appelée « Bourgogne technologies », et présidée par le directeur des laboratoires Fournier. Trois pôles technologiques fonctionnent sous l’égide de l’ARDT : le hall agroalimentaire installé sur le campus de Montmuzard à Dijon, le centre de calcul confié à l’IUT de Dijon, la technopole des hautes énergies, articulée autour de l’IUT du Creusot et de l’ENSAM de Cluny. downloadModeText.vue.download 201 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 200 Bretagne Grâce à la signature, en février 1988, d’une charte de développement de la région brestoise avec le gouvernement Chirac, la Région dispose d’une deu- xième technopole, après celle de RennesAtalante. L’activité de la technopole de Brest, située à la Pointe-du-Diable à proximité de l’IFREMER (Institut français de recherche et d’exploitation de la mer), est orientée selon trois axes principaux : les techniques agricoles et agroalimentaires, les techniques liées à la mer et à l’océanographie, la technologie de pointe en informatique, télécommunication et espace. À l’autre extrémité de l’agglomération, le port de plaisance de Moulin-Blanc abrite depuis juillet un centre scientifique et technique de la mer nommé Océanopolis (mais que les Brestois préfèrent appeler Ty Ar Mor, la maison de la mer). L’aquarium de 500 000 m3 – le plus vaste d’Europe – est une vitrine vivante de la flore et de la faune aquatiques ; un spectacle grandiose montre les phénomènes météorologiques et hydrologiques. La mise en service du TGV Atlantique en septembre a mis Rennes à 2 heures de Paris et Brest à 4. Sur la section RennesBrest, il a fallu renouveler 80 % des voies et rebâtir 63 ponts. L’électrification touchera Lorient en 1991 et Quimper en 1992. Première Région agroalimentaire française, la Bretagne produit 52 % des porcs français et fabrique plus d’emmental que le Jura. Elle est partie à l’assaut du marché nord-américain : une liaison aérienne achemine vers Montréal les légumes de la « ceinture dorée ». Centre Le conseil régional a décidé de faire de la formation une priorité et lui a consacré un budget de plus de 1 milliard de francs en 1989. Les lycées en sont les principaux bénéficiaires : ils reçoivent 815 millions de francs, et neuf nouveaux downloadModeText.vue.download 202 sur 509 POLITIQUE 201 établissements doivent être inaugurés en dix-huit mois ; les lycéens pourront d’ailleurs mieux connaître leur Région grâce à un manuel de géographie régionale qui sera mis à leur disposition. Différentes manifestations (Forum interrégional de la sous-traitance à Orléans, Forum de l’entreprise nouvelle et des nouveaux produits à Chartres) ont permis de constater le dynamisme de la région ; avec ses 235 000 salariés, dont un septième travaille dans des industries de pointe, elle se classe en effet au cinquième rang des régions industrielles françaises. Vingt-deux villes de la Région se sont dotées d’un service économique qui a notamment pour tâche d’inciter les chefs d’entreprises à venir s’installer sur leur territoire. Cette opération a d’ailleurs permis la création de 6 495 emplois. Le parc de la Brenne, qui vient d’être créé, est le vingt-sixième parc naturel régional français. Champagne-Ardenne La Champagne-Ardenne se place au quatrième rang en France pour la production de céréales et au deuxième pour celle de betteraves. Menacée par la crise qui ébranle toute l’Europe agricole, la Région est en première ligne dans la bataille de l’agroalimentaire et des produits de substitution. La sucrerie Beghin-Say de Connantre, située à 45 kilomètres au sud d’Épernay, est la plus grande du monde. Le département de la Marne est le premier producteur français de bioéthanol, tiré de la betterave et du blé. Le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) annonce pour 1989 un grand millésime comme en 1950 ou en 1960 : « De mémoire de Champenois, le vignoble a rarement été aussi beau à la veille de la récolte ; l’état sanitaire du raisin est exceptionnel. » L’absence d’hiver, le printemps et l’été ensoleillés, la sécheresse toute relative (les racines ont pu puiser l’eau en profondeur) expliquent cet optimisme. La récolte est estimée à 240 millions de bouteilles, inférieure aux livraisons de l’année 1988 (250 millions de bouteilles). Le prix du raisin vendu aux maisons de négoce est en hausse de 13 %. Pour l’avenir, l’objectif est moins la quantité que la qualité. 28 000 ha sur les 34 000 que compte la zone viticole définie par la loi sont déjà plantés. Le programme d’extension prévoit de porter le vignoble à 29 000 ha en 1990. downloadModeText.vue.download 203 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 202 Corse Depuis la fin de 1988, la Corse est dans une situation juridique, financière et politique qui lui permet de bénéficier des crédits européens affectés aux Régions considérées comme en retard de développement. Ces crédits proviennent du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds social européen (FSE) et du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA). Par ailleurs, comme les autres Régions méditerranéennes, la Corse a reçu des « dédommagements » au moment de l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la CEE (274 millions de francs sur la période 1986-1988 au titre des Programmes intégrés méditerranéens, ou PIM). Avec les DOM-TOM, elle est la Région française qui bénéficie le plus des fonds communautaires. Les incendies de l’été ont provoqué la mort de cinq personnes et ont détruit 25 000 ha de maquis ; le cap Corse, le Nebbio, la Balagne, et la région du sud de Bastia ont été les plus touchés. Les bergers corses, soupçonnés de provoquer des incendies pour fertiliser les pâturages, ont été mis une nouvelle fois en accusation. L’analyse cartographique minutieuse a permis aux hommes du Service départemental incendie et secours (SDIS) de la Haute-Corse de conclure que 90 % des mises à feu étaient d’origine pastorale. En mai, la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM) a mis en service son plus gros paquebot, le Danielle-Casanova, construit à Saint-Nazaire. Il peut transporter 2 346 passagers et 800 voitures. Franche-Comté Pour coordonner la nouvelle politique économique du département, l’Agence de développement économique du Doubs (ADED) s’est substituée à l’Agence de développement et d’industrialisation du Doubs et à l’Association départementale du tourisme du Doubs. La première convention, signée le 21 novembre 1988 avec l’université de Franche-Comté, a eu pour but de développer les nouvelles technologies par l’incitation à investir dans la recherche et par le maintien sur place des chercheurs de haut niveau. Dès à présent, l’ADED permet à l’université downloadModeText.vue.download 204 sur 509 POLITIQUE 203 de mettre en place un important programme de recherche sur les microtechniques ainsi qu’un programme orienté sur les biotechnologies et les technologies plastiques. Morez, la capitale jurassienne de la lunetterie, a été épargnée par le chômage ; pourtant 1 300 personnes, sur une population active de 3 800 individus, franchissent chaque jour la frontière suisse, attirées par des salaires deux fois plus élevés. Le Fonds interministériel de développement et d’aménagement rural (FIDAR) a poursuivi son action de reconversion dans la montagne jurassienne : les principales réalisations ont porté sur la restructuration de l’industrie pipière et le développement de l’industrie du jouet. À Moirans, la Maison du jouet et de la tournerie, inaugurée en décembre, sert de centre d’animation, de documentation et de communication sur le jouet français, de musée et de centre de créativité et d’appui à l’innovation technique. Île-de-France Les dernières estimations de l’INSEE dénombraient 10 320 000 habitants dans la Région Île-de-France au 1er janvier 1988. Depuis le recensement de 1982, la population s’est accrue de 240 000 habitants, c’est-à-dire de 40 000 par an. Toutefois, au sein de la Région, le desserrement se poursuit : à cause principalement de la hausse des loyers, Paris perd quelque 20 000 habitants par an et est passé de 2 178 000 habitants en 1982 à 2 057 000 en 1988. Avec 19 % de la population nationale et 22 % de la population active française, l’Île-de-France assure près de 28 % du PIB, la part des autres Régions variant de 1 % (Limousin et Franche-Comté) à 9 % (Rhône-Alpes). Le PIB rapporté au nombre d’habitants place l’Île-de-France en tête (135 800 francs) devant l’Alsace (93 700 francs). 4 750 000 emplois sont offerts dans la Région. Sur ce chiffre, 4 600 000 sont occupés par des Franciliens et près de 150 000 par des actifs venant travailler quotidiennement dans l’un des huit départements de la Régioncapitale. Celle-ci continue à se « tertiariser » : en effet, sur 100 emplois, 72 s’exercent aujourd’hui dans le secteur tertiaire. Vingt ans après leur création, les villes nouvelles de la région parisienne ont atteint l’âge adulte. Chaque année, de huit à dix mille logements y sont construits et 40 000 personnes viennent s’y installer. Mais leur population est encore trop sélectionnée : 38,6 % de moins de 20 ans et moins de 5 % de plus de 65 ans. 10 000 entreprises y offrent près de 300 000 emplois, mais le déséquilibre entre emploi et logement ne s’atténue pas : à Cergy, 50 % des habitants travaillent en dehors de la ville nouvelle, tandis que 50 % des downloadModeText.vue.download 205 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 204 entreprises emploient des salariés venus de l’extérieur. L’Île-de-France est la première région touristique française avec un chiffre d’affaires de 35 milliards de francs. 100 millions de nuitées sont offertes aux touristes étrangers, principalement à Paris (92 %). Le seul secteur de l’hôtellerie-restauration emploie 165 000 personnes. Les fêtes du Bicentenaire ont été l’occasion d’une publicité gratuite et de plusieurs milliards de recettes. La pyramide du Louvre a enregistré certains jours jusqu’à 50 000 entrées et, en août, la tour Eiffel a reçu 125 000 visiteurs de plus qu’en août 1988. Les 67 888 chambres d’hôtel de la capitale étaient toutes occupées le 14 juillet. Au terme de sa troisième saison, Mirapolis, le parc de Cergy-Pontoise, fait ses comptes : un endettement de plus de 300 millions et une chute de 30 % du nombre des entrées (670 000 en 1989 contre 1 million en 1988). En même temps, fort de l’expérience américaine, Euro Disneyland sort de terre près de Marne-la-Vallée : ses portes s’ouvriront en 1992 à une clientèle estimée à 10 millions de visiteurs par an... au début ! En 1988, le trafic annuel de la RATP a atteint 2,3 milliards de voyageurs, soit – malgré les grèves – une hausse de 1,6 % par rapport à 1987. C’est l’autobus qui progresse le plus avec une hausse globale de 4 %. En surface, la situation est proche de l’asphyxie. Aucun nouvel espace n’est aménageable pour la circulation ou pour le stationnement ; il entre chaque jour 1 350 000 véhicules dans la capitale ; les immatriculations ont augmenté de 10 % en 10 ans. La vitesse moyenne de circulation aux heures de pointe est de 15 km/h et de moins de 10 pour les autobus. Un milliard d’heures sont perdues chaque année. Paradoxalement, les rues tuent de plus en plus (114 morts en 1988). Le contrat de plan État-Région Île-deFrance, signé le 25 avril pour la période 1989-1993, fait la part belle aux communications : sur un engagement total de 23 milliards de francs, 11 sont consacrés aux routes et 7 aux transports en commun. Languedoc-Roussillon Paré du titre de « site mondial » décerné par l’UNESCO, le pont du Gard est l’un des cinq monuments les plus visités de France (2 millions de personnes par an) ; mais sa renommée s’accompagne d’une pollution grandissante et les retombées économiques sont très faibles pour la région. Un premier projet qui transformait ses abords en un Luna Park vaguement gallo-romain ayant été rejeté, la Commission nationale des sites a retenu un plan plus modeste. Après la phase de restauration et de nettoyage, viendra celle de l’aménagement avec des parkings aux extrémités nord et sud, un équipement downloadModeText.vue.download 206 sur 509 POLITIQUE 205 culturel, un « parcours ethnobotanique », etc. Le coût de l’opération est estimé à 320 millions de francs dont le quart sera financé par subvention publique ; mais elle entraînera aussi la création de 200 emplois à plein temps qui seront appréciés dans ce département qui compte plus de 11 % de chômeurs. Le projet de barrage de La Borie, sur le Gardon de Mialet, prend l’aspect d’une « dragonnade technologique ». Il s’agit, derrière un mur de béton de 46 m de haut, de retenir un lac de 23 millions de mètres cubes d’eau qui permettra d’irriguer toute la Gardonnengue, entre Alès et Nîmes, mais qui détruira aussi une vallée sauvage, refuge de castors et de cincles plongeurs. D’où les manifestations des Verts... et des paysans cévenols attachés à leur vallée, haut lieu de la communauté huguenote qui se rassemble chaque année au musée du Désert tout proche. Limousin Le Limousin, qui a longtemps souffert de son enclavement, est en train de se transformer. En effet, une plateforme internationale de fret va être réalisée à Limoges, dans la perspective de la liaison autoroutière ininterrompue de Calais à Barcelone par Paris, Toulouse et le tunnel de Puymorens. Limoges, au centre de la liaison, se trouve en position d’étape idéale. Cette plateforme intéressera les transporteurs routiers, ferroviaires et aériens. Elle comprendra une aire d’accueil pour les poids lourds, des installations de stockage et de conditionnement, des bureaux de douanes et de fret. EUROLIM : sous ce sigle, les éleveurs de bovins limousins se sont constitués en fédération, se donnant notamment pour but de généraliser la rigueur génétique qui a suscité l’engouement actuel pour la race et l’envol des prix des reproducteurs (161 000 francs pour le taureau « Don Juan », le 15 juin aux enchères). En effet, la race limousine est aujourd’hui la plus exportée dans le monde et cinquante-huit pays possèdent des troupeaux limousins dont le suivi est assuré par l’International Limousine Council. Limoges organise le quatrième carrefour international céramique. L’effort de modernisation poursuivi par les porcelainiers a été couronné de succès, puisque leur chiffre d’affaires a augmenté de 15 % cette année. downloadModeText.vue.download 207 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 206 Lorraine Le bassin houiller de Lorraine (d’où moins de 9 millions de tonnes ont été extraites en 1988) cherche toujours des solutions de remplacement. Le groupe Orkem (ex-CDF Chimie) a lancé un plan d’investissement de 1,5 milliard de francs sur 3 ans, qui fera de l’unité de CarlingSaint-Avold en Moselle l’une des platesformes chimiques les plus modernes d’Europe. L’enveloppe des investissements sera divisée en trois parts égales : 500 millions de francs pour la pétrochimie et l’augmentation de la production de « polystyrène choc » (utilisé pour la fabrication de pots de yaourts, des boîtiers arrière de téléviseurs ou des boîtes de disques compacts) ; 500 millions pour le développement de la chimie acrylique (l’acide acrylique entre dans la composition des peintures, papiers glacés, couches-culottes, Plexiglas...) ; 500 millions pour des opérations de modernisation des installations et de protection de l’environnement. Seule ombre au tableau : la modernisation implique davantage de suppressions que de créations de postes. Ainsi, le site de Carling emploiera 2 142 personnes en 1992, contre 2 500 en 1989. Le carrossier Heuliez et l’équipementier Lebranchu doivent bientôt mettre en service une unité de fabrication de pièces embouties pour l’industrie automobile sur le pôle européen de développement (PED) de Longwy (Meurthe-et-Moselle). La production destinée principalement à PSA et à la Régie Renault assurera 200 emplois directs et 150 emplois induits, bienvenus dans cette région en crise qui, depuis 15 ans, a perdu plus de 25 000 emplois dans la sidérurgie. De plus, au cours de l’année, une entreprise allemande (fonderie d’aluminium) et une entreprise sud-coréenne (montage d’autoradios) se sont également installées dans la Région. Le premier complexe agroalimentaire lorrain est né au début de l’année sur la zone industrielle de Ludres (Meurtheet-Moselle). La laiterie Saint-Hubert (650 salariés, 230 millions de litres de lait traités par an), présidée par François Guillaume, ancien ministre de l’Agriculture, s’est associée à l’Union lorraine des producteurs de lait, qui fournira sa collecte, et aux Transports frigorifiques européens, qui distribueront la production. Après avoir hésité entre la Sarre et la Lorraine, la société américaine Kimberley Clark a choisi Villey-Saint-Étienne (Meurthe-et-Moselle) pour installer son usine de fabrication d’ouate de cellulose (marque Kleenex). D’un montant d’un milliard de francs, cet investissement redownloadModeText.vue.download 208 sur 509 POLITIQUE 207 cevra une aide de l’État et des collectivités locales. L’usine, qui entrera en service en 1990, emploiera 300 salariés. Douze ans après sa création (en 1977), la technopole de Nancy-Brabois peut afficher un bilan positif. Par sa taille, elle vient en troisième position après celles de Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes) et de Grenoble. 78 entreprises s’y sont installées, assurant 1 100 emplois de haute technicité et 10 000 emplois induits (services divers). Face à la technopole messine spécialisée dans les télécommunications, Nancy-Brabois-Innovation s’oriente vers l’informatique et la biotechnologie. Le Big Bang Schtroumpfs a ouvert ses portes à Maizières-lès-Metz, près d’Hagondange (Meurthe-et-Moselle). L’inauguration officielle, le 9 mai, de ce parc d’attractions par Jacques Delors, président de la Commission des Communautés européennes, témoigne de la solidarité européenne à l’égard d’une région durement touchée par les mutations industrielles. Toutefois, avec 800 000 visiteurs en 1989, le parc n’a pas atteint son seuil d’équilibre fixé à 1,1 million d’entrées. Midi-Pyrénées La vallée du Touyre, avec ses 20 000 habitants, dont 9 000 à Lavelanet, fut et reste l’une des premières régions productrices de tissu laine ou cardé en Europe. En 1987, elle exportait encore 57 % de sa production. Le groupe Tissus André Roudière, racheté en 1987 par Chargeurs SA (Jérôme Seydoux), a annoncé le 3 avril la suppression de 745 emplois sur un effectif de 2 185 personnes. En compensation, deux entreprises textiles ont annoncé la création de 300 emplois près d’Albi (Tarn) : Fort de France (prêt-à-porter masculin), à Saint-Juéry, et TSA (Tee-shirts albigeois), au Garic. Deux ans après la fermeture du puits de Tronquié, le gigantesque chantier de la mine ouverte de Carmaux (Tarn) a atteint les premières veines de charbon. L’extraction a commencé et doit atteindre 500 000 tonnes par an en 1992. Le charbon est destiné aux cimenteries locales, à la centrale thermique d’Albi et à la cokerie de Fos-sur-Mer. downloadModeText.vue.download 209 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 208 Le contrat de plan État-Région portant sur la période 1989-1993 prévoit 2,25 milliards de francs (le tiers des dotations) pour l’aménagement du réseau routier régional : amélioration de la circulation sur les rocades de Toulouse, liaison autoroutière vers l’aéroport de Blagnac, aménagement de la RN 20 vers le col de Puymorens – dont le projet de tunnel entre la France et l’Espagne est maintenant définitivement arrêté. Nord-Pas-de-Calais La Région Nord-Pas-de-Calais rassemble encore le quart des salariés de l’industrie textile française et le dixième de ceux de la confection. Ces branches occupaient 125 000 personnes avant la guerre, et seulement 25 000 aujourd’hui. Le mouvement devrait se poursuivre si l’on en croit les plans de restructuration et les licenciements annoncés pendant l’été : 700 suppressions d’emplois à la Lainière de Roubaix (VEV-Prouvost), 164 chez Protemo (VEV-Prouvost), à Saint-Amand-les-Eaux, 360 aux Établissements Lepoutre (groupe Chargeurs de J. Seydoux), 200 chez Caulliez-Delaoutre, 700 en deux ans à cause de la liquidation du filateur Le Blan. La liste n’est pas limitative. La réduction des effectifs se fait au rythme de 10 % par an. Cette situation est le résultat d’un double phénomène : les pertes de marchés et l’amélioration de la productivité. La Lainière de Roubaix pâtit de la chute de la consommation de laine (de 40 à 50 % pour l’ensemble de l’Europe), due au fait que les femmes tricotent de moins en moins. En même temps, les importations de chandails, de chaussettes et d’autres articles entraînent une baisse de 25 % de la consommation de fils industriels. Le groupe Chargeurs a donc décidé de suivre une politique de recentrage vers le haut de gamme (pure laine) au détriment de la bonneterie (pantalons pour hommes). Pour mener à bien ces reconversions, les entreprises investissent beaucoup : 60 millions de francs chez Lepoutre, 50 millions à la Lainière. Mais, quand les Français réinvestissent 4 % de leur chiffre d’affaires, les Allemands et les Italiens, dont les charges sociales et les frais financiers sont moins élevés, en sont à 6 %. Le groupe Caulliez a toutefois dépensé 83 millions de francs pour construire une filature ultramoderne à Valenciennes. 30 % de son chiffre d’affaires ont été ainsi réinvestis dans l’année. Après une longue étude du dossier, la Commission européenne a donné son accord pour la construction à Dunkerque d’une usine d’aluminium du groupe Pechiney. Celle-ci, d’une capacité de 200 000 tonnes, emploiera 1 000 salariés. Elle représente un investissement de 4,5 milliards de francs et symbolise le retour en France de certaines industries downloadModeText.vue.download 210 sur 509 POLITIQUE 209 lourdes grosses consommatrices d’énergie, qui avaient tendance à s’implanter dans les pays où cette dernière est peu onéreuse. Mise en service fin 1991, l’usine sera alimentée par la centrale nucléaire de Gravelines, ainsi assurée de placer son électricité. Le tunnel sous la Manche devrait être achevé le 15 juin 1993. Son coût total at- teindra au moins 54,5 milliards de francs (au lieu des 52,7 initialement prévus). Un nouvel accord conclu entre Eurotunnel, le maître d’ouvrage, et le constructeur Transmanche-Link, a entériné cette augmentation. La facture pour le matériel roulant a été revue à la hausse : elle représente 6,2 milliards de francs, au lieu de 2,2 milliards. Le chantier du tunnel tombe à pic dans une région touchée par le chômage ; mais la main-d’oeuvre disponible doit impérativement recevoir une formation spécifique. Pour financer les actions de formation, l’État a déboursé 39 millions de francs en 1989, la Région 15 millions, et l’on attend 73 autres millions dont 50 du Fonds social européen (FSE) et 23 des entreprises. Du côté français, 3 300 personnes travaillent sur le site dont 350 cadres, 400 employés et 2 500 ouvriers. La plate-forme du futur terminal de Coquerelles s’étendra sur plus de 500 ha pour les équipements liés aux transports, centres d’entretien, aires de stationnement, etc. Il faudra y ajouter 200 ha réservés aux activités économiques que les élus locaux souhaitent fixer : le terminal doit être un lieu d’attraction et non un simple lieu de passage. La seconde ligne de métro de l’agglomération lilloise a été inaugurée le 1er avril ; elle s’étend sur 12 800 m et comporte 18 stations. Normandie BASSE!NORMANDIE La dernière mine de fer de l’ouest de la France a cessé toute activité le 28 juillet. La mine de Soumont, à Potigny (Calvados), avait été ouverte en 1907. Cent dix-sept personnes y travaillaient encore. L’arrêt de l’exploitation a été dicté par le choix de la Société métallurgique SM Normandie, propriétaire et seul client de la mine, de ne plus traiter que du minerai d’hématite d’importation au lieu du minerai phosphoreux de Soumont. Les nouvelles liaisons transmanche et les prix attractifs incitent les Britanniques à acheter des résidences secondaires en Normandie. Une chaumière dans le pays d’Auge coûte, en effet, deux à trois fois moins cher qu’un cottage dans le sud de l’Angleterre. En 1988, cinq mille Anglais sont devenus propriétaires en Normandie. À Honfleur, en 18 mois, ils ont achedownloadModeText.vue.download 211 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 210 té 40 % des maisons et des appartements mis en vente dans le centre ville. Pour sauvegarder au moins 20 % du rivage, soit 120 km sur 600, le conseil régional de la Manche a élaboré avec le conservatoire du littoral un audacieux programme d’acquisition. Une vingtaine de sites prestigieux seront définitivement protégés, comme la baie du Mont-SaintMichel, le cap de la Hague ou les polders de la baie des Veys, à l’embouchure du canal de Carentan. HAUTE!NORMANDIE Exxon et Shell, les deux premiers groupes pétroliers mondiaux, ont décidé d’implanter à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime) la plus grosse usine chimique d’Europe par l’intermédiaire d’une société commune où ils sont associés à 50/50. L’investissement porte sur 1 milliard de francs. D’ici à 1991, 220 000 t de polyéthylène linéaire doivent être produites chaque année ; il s’agit d’un plastique résistant qui sert à la fabrication des emballages. Parallèlement, Exxon annonce la création pour son propre compte, et sur le même site, d’une usine de 140 000 t par an de polypropylène, pour la fabrication de pièces moulées destinées à la construction automobile, à la construction et à l’emballage. C’est encore 1 milliard de francs d’investissements prévus. Au total, 300 emplois seront créés sur le site, et 600 si l’on prend en considération les emplois induits. Le port du Havre se prépare à faire face à la hausse du trafic par conteneurs qui a progressé de 16 % en 1988 : il songe à augmenter la longueur de ses quais et à améliorer ses moyens de manutention. Le site assure en effet 53 % de tout le trafic français de conteneurs et doit recevoir bientôt un million de « boîtes » par an. Le port normand se dote également d’installations modernes pour l’importation d’aliments destinés au bétail qui, en raison de l’infrastructure insuffisante des ports bretons, passent par Gand ou par Anvers. Le port d’Antifer, construit à l’époque des supertankers, a subi les effets du contre-choc pétrolier. 37 millions de tonnes y avaient transité en 1979 (année record) et seulement 6 millions en 1985. La tendance s’inverse pourtant doucement : en 1988, cinquante-quatre navires sont venus y décharger 10 millions de tonnes de brut. Le port autonome de Rouen affirme sa vocation de port céréalier. Sur la période du 1er juillet 1988 au 30 juin 1989, les exportations ont progressé de 28 % par rapport à la campagne précédente. Avec 8,86 millions de tonnes expédiées, Rouen est le premier port européen exportateur de céréales. downloadModeText.vue.download 212 sur 509 POLITIQUE 211 Pays de la Loire Après le Sovereign of the Seas mis à l’eau en décembre 1987, et le Nordic Empress mis sur cale en août 1989 pour être livré en 1991, les Chantiers de l’Atlantique (groupe Alsthom) de Saint-Nazaire (les derniers chantiers navals français après la liquidation de Normed) ont reçu la commande d’un troisième paquebot de luxe du même type : 300 m de long, 2 600 passagers. Mais l’armateur américano-norvégien Royal Carribean Cruise Line ne versera qu’un milliard et demi de francs alors que le prix de revient du bateau approche 2,5 milliards. La différence sera en partie épongée par une subvention gouvernementale de 700 millions arrachée par M. Claude Évin, maire-adjoint de Saint-Nazaire. La construction de ce type de paquebot assure 4 millions d’heures de travail environ ; elle intrègre 80 % de fournitures françaises (38 % pour un Airbus). Le plan de charge est donc convenablement rempli jusqu’en 1992. Les nouveaux équipements mis en service sur l’aéroport de Nantes-Atlantique (naguère appelé Château-Bougon) permettront d’accueillir 3 millions de pas- sagers par an. Cette inauguration coïncide avec l’arrivée du TGV Atlantique qui pourrait être un sérieux concurrent pour l’avion : depuis le 20 septembre, Nantes est à 2 heures de Paris. Le Centre européen de documentation et d’information sur la mer va ouvrir ses portes sur le quai de la Fosse, à Nantes. Accessible au public grâce à un fichier électronique, il rassemblera le maximum de documentation sur l’Europe maritime. Picardie L’association TGV-Amiens-Picardie continue de mener la bataille pour obtenir du gouvernement le réexamen du tracé du TGV Nord. L’inflexion du tracé Paris-Lille par Amiens et, au nord d’Amiens, la construction d’une nouvelle ligne vers Calais... et le tunnel sous la Manche seraient, selon l’association, la solution la plus intelligente pour l’aménagement du territoire et la moins onéreuse pour la SNCF. D’autre part, afin d’allonger la procédure d’expropriation et de retarder les travaux, l’association a sugdownloadModeText.vue.download 213 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 212 géré aux particuliers d’acheter chacun, au prix de 10 F le m 2, une portion des 15 ha qu’elle avait préalablement acquis et sur lesquels doit passer la ligne. 6 000 Amiénois se sont portés acquéreurs. Le nouveau parc de loisirs Astérix a ouvert ses portes le 30 avril sur un site boisé de 156 ha, à Plailly (Oise). Sa proximité de Roissy et de l’autoroute A1, donc de Paris, lui donne des atouts considérables. Les objectifs n’ont cependant pas été atteints. Le seuil d’équilibre financier était estimé à 1 800 000 entrées ; moins de 1 400 000 ont été enregistrées. De ce fait, le conseil d’administration du parc a dû procéder à une augmentation du capital de 154 millions de francs : 70 millions pour éponger les dettes et 84 millions pour couvrir de nouveaux investissements. Le groupe japonais Yamaha a décidé de fabriquer à Saint-Quentin, dans l’usine de sa filiale MBK (ex-Motobécane), 15 000 des 50 000 moteurs qu’il vend en Europe. Poitou-Charentes Le contrat de plan État-Région a défini les priorités du développement économique régional pour la période 1990-1994. Avec 4,2 milliards de francs, il place le Poitou-Charentes au 6e rang mondial pour l’investissement par habitant, au lieu du 15e rang pour la période 1984-1989. Quatre secteurs principaux d’intervention sont privilégiés. L’enseignement et la formation, d’abord, auxquels la Région consacre chaque année 60 % de son budget. En matière d’emploi, la Région a créé les Contrats régionaux d’initiative locale (CRIL) dont l’entreprise de microélectronique Micro-Contrôle est le premier bénéficiaire. La maîtrise de l’eau doit passer par la construction de grands barrages-réservoirs. Enfin, en matière d’équipement, la rénovation de la RN 10, le transfert du port de pêche de La Rochelle à La Pallice et l’électrification de la ligne Poitiers-La Rochelle sont prévus. La baisse des ventes du Cognac a downloadModeText.vue.download 214 sur 509 POLITIQUE 213 nécessité de réduire la production du vin et de diminuer la surface du vignoble. De 106 000 ha en 1975, on est passé à 80 000 ha en 1989. Il y a encore 27 000 exploitations, mais 80 % de la production sont assurés par les grandes maisons (Hennessy, Rémy-Martin, Courvoisier, Martell). Sur 135 millions de bouteilles vendues, 90 % le sont à l’exportation. Provence-Alpes Côte-d’Azur Les stations hivernales des HautesAlpes ont souffert d’un hiver 1988-1989 exceptionnellement doux et sans neige. Les remontées mécaniques ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 43 % ; les écoles de ski ont enregistré une perte de 70 % et le secteur restauration-hébergement une perte de 25 à 30 %, pouvant aller jusqu’à 100 % pour les stations d’altitude. Plus d’un millier de professionnels du ski se sont retrouvés au chômage. Émoi dans la vallée de l’Ubaye : la décision de Jean-Pierre Chevènement de dissoudre une dizaine d’unités sur proposition de l’état-major de l’armée de terre a provoqué une levée de boucliers à Barcelonnette et à Jausiers : la disparition prochaine du 11e bataillon de chasseurs alpins (BCA) peut entraîner la ruine de la vallée. Le 11e BCA comprend un millier d’hommes, soit, avec les familles, près de 1 400 personnes dans une vallée peuplée de 7 000 habitants. L’impact économique de leur présence est estimé à 30 millions de francs par an. Malgré l’importance des moyens humains et techniques mis en oeuvre, près de 10 000 ha de végétation ont été détruits par le feu dans le Var et les Bouches-du-Rhône : 4 000 ha dans le massif de la Sainte-Victoire et 1 000 ha dans la montagne de la Loube. Des quartiers de Marseille ont été évacués. Et la polémique a recommencé à propos de l’efficacité des moyens déployés. Comme dans le maquis corse, le problème se pose en termes de prévention : débroussailler, brûler les sous-bois en hiver (écobuage), faire paître les troupeaux, introduire des espèces végétales moins combustibles... ; mais le débroussaillement est coûteux, et les troupeaux ovins ou caprins sont peu appréciés des forestiers. D’où l’idée d’introduire des lamas dans la pinède... Vingt ans après sa création sur les hauteurs de Valbonne par Pierre Laffitte, alors directeur de l’École des mines, Sophia-Antipolis, la première technopole française, affiche une belle santé : 300 entreprises, à mi-chemin entre l’industrie et le tertiaire, 200 établissements d’enseignement ou de recherche, 10 000 emplois directs et 30 000 emplois induits, un chiffre d’affaires de 6,3 milliards de francs réalisé sur le parc... DigidownloadModeText.vue.download 215 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 214 tal Equipement employait 35 salariés en 1980 ; ses effectifs dépassent aujourd’hui 900 personnes. Le parc est géré par une société d’aménagement d’économie mixte (SAEM) qui regroupait jusqu’à présent le conseil général (51 %) et la CCI (49 %) ; mais les communes viennent d’obtenir le droit d’entrer dans le capital de la SAEM. Le 27 février, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la mise en liquidation judiciaire de Normed ; mais le sort du site de La Ciotat restait suspendu aux décisions du conseil général des Bouchesdu-Rhône qui devait se prononcer sur deux projets. Le 22 décembre, à celui de Bernard Tapie et du gouvernement, qui proposaient la division du site en trois pôles, il a préféré celui du groupe américano-suédois Lexmar auquel il a accordé une promesse de concession d’une durée de six mois. Avec 97,5 millions de tonnes de trafic en 1988 (+ 5 % par rapport à 1987), Marseille demeure, de loin, le premier port français et le deuxième port européen. Directement ou indirectement, 30 000 emplois sont tributaires du trafic maritime. Après deux années de recul et avec 1 230 000 passagers, celui-ci a repris sa croissance. La progression la plus spectaculaire concerne le trafic avec le Maghreb (+ 25 %). Le pôle technologique de ChâteauGombert, au nord-est de Marseille, s’est ouvert à la fin de l’année sur un site de 130 ha. À 20 km de là, Aix-en-Provence prévoit pourtant de mettre en chantier la technopole du plateau de l’Arbois avant deux ans. Rhône-Alpes La préparation des jeux Olympiques qui doivent se dérouler à Albertville en 1992 provoque une exceptionnelle progression des offres d’emploi en Savoie. Le taux de chômage de la population active masculine est tombé à 4,8 %. En revanche, le taux de chômage féminin atteint 11,9 % en raison de l’inscription des femmes qui accompagnent leur mari sur leur nouveau lieu de travail. Lyon voit-il se profiler le spectre de la désindustrialisation ? Dans l’impossibilité de s’étendre sur place, plusieurs entreprises lyonnaises ont plié bagage pour s’installer à la périphérie. Ainsi, l’équipement automobile Valeo a-t-il fermé son usine (323 licenciements) pour aller s’implanter dans la zone industrielle de l’Isle-d’Abeau (Isère), où s’est aussi instal- lée l’entreprise de construction électrique Paris-Rhône (1 000 emplois créés). La multiplication des parcs d’activités créés dans la Région depuis 10 ans downloadModeText.vue.download 216 sur 509 POLITIQUE 215 explique ce mouvement : techno-parc de Saint-Genis-Pouilly (Ain), Technopolis du Léman, centre d’affaires international de Ferney-Voltaire (Ain), International Business Park d’Archamps dans la zone franche de Haute-Savoie. Situé à 7 km de Genève, ce dernier devrait offrir 2 500 emplois d’ici l’an 2000. Il entend être un pôle de développement d’activités tertiaires supérieures, d’activités de recherche et de haute technologie. DOM-TOM Entre le 4 et le 28 avril, un recensement de la population en Nouvelle-Calédonie a été mené sous la direction de l’INSEE. 164 173 habitants ont été dénombrés contre 145 368 lors de la précédente enquête en 1983. La population néo-calédonienne est jeune : près d’un tiers à moins de 15 ans et 6,9 % des habitants seulement atteignent ou dépassent 60 ans. Les groupes mélanésiens et wallisien sont les plus jeunes avec respectivement 39,1 % et 35,8 % de moins de 15 ans. Par rapport à 1983, toutes les populations ont été marquées par une tendance au vieillissement, mais les Mélanésiens sont les moins touchés : 41,7 % d’entre eux avaient moins de 15 ans en 1983. Malgré les nombreux métissages, la population demeure caractérisée par la juxtaposition des différentes ethnies : les Mélanésiens sont les plus nombreux (44,8 %) devant les Européens (33,6 %), les Wallisiens (8,3 %) et les Indonésiens (3,2 %). Numériquement parlant les Mélanésiens dominent dans la province des îles Loyauté (98,1 %) et dans la province Nord (78,7 %). Les Européens sont rassemblés à 89 % dans la province Sud mais ne constituent que 44,3 % de la population de la province. Pour régler la question foncière, occa- sion de multiples conflits entre les communautés européennes et autochtones, le gouvernement français a décidé d’accélérer le processus de partage des terres. Avant la fin de 1990, l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF) doit distribuer 30 000 ha en rééquilibrant la répartition des terres disponibles au profit des populations canaques. La Nouvelle-Calédonie possède de 20 à 40 % des réserves mondiales de nickel. La Société métallurgique Le Nickel (SLN) est le premier employeur du territoire avec 2 000 salariés auxquels il faut ajouter plus de 600 personnes en sous-traitance. Troisième producteur mondial après INCO (28 % de la production mondiale) et Falconbridge (15 %), SLN (8 %) assure plus de 80 % en valeur des exportations de l’île. Profitant d’une conjoncture favorable, le groupe SLN a décidé d’investir 1,2 milliard de francs dans la modernisation de ses installations (usine métallurgique de Doniambo et gisement de Thio dont il faut prolonger l’exploitation jusqu’au début du siècle prochain) et l’ouverture d’un nouveau centre sur la côte ouest, à Népoui. M. Louis Le Pensec, ministre des DOM-TOM, a signé le 24 juin un contrat de plan entre l’État et la Guyane, le premier du genre avec l’outre-mer. Sur la période 1989-1993, l’État promet d’apporter 377,5 millions de francs (soit, par habitant, trois fois plus que la moyenne nationale). 100 millions de francs seront consacrés à l’éducation, 60 millions à l’emploi et le reste à l’aménagement du downloadModeText.vue.download 217 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 216 territoire et aux infrastructures. Le fil conducteur de cet effort est l’intégration de l’activité spatiale à l’économie du département. Il faut que « les retombées économiques du pôle technologique de Kourou soient redéployées sur l’ensemble du territoire », estime M. Elie Castor, président du conseil général (apparenté PS). En voyage officiel en Polynésie, le Premier ministre, M. Michel Rocard, a rendu hommage à l’action de M. Leontieff, président du gouvernement territorial, et a exhorté tout le monde à refuser « la voie de la facilité » qui « nourrit l’assistance et la dépendance ». Devant le gouvernement territorial, M. Rocard a plaidé pour un « développement plus autonome et moins artificiel » de la Polynésie française et s’est félicité de la création de 900 emplois dans le secteur privé, de novembre 1988 à mai 1989, « un des résultats les plus encourageants ». Le cyclone tropical Hugo a frappé la Guadeloupe dans la nuit du 16 au 17 septembre. Des vents de 230 à 240 km/h ont laissé un spectacle de désolation sur un axe allant de La Désirade au nord de Basse-Terre. Sur cette trajectoire, les communes de Grande-Terre ont été les plus touchées. Le Moule a perdu 80 % de ses habitations. Les plantations de bananes, de fleurs et de cannes à sucre sont détruites à près de 100 %. Et le bilan humain est également très lourd : 5 morts, 12 000 à 20 000 sans abri. La hantise de l’échéance de 1993 continue à inquiéter les DOM. Une décision commune du Conseil et de la Commission de la CEE a institué un programme d’actions spécifique à l’éloignement et à l’insularité des départements français d’outre-mer (POSEIDOM). Sa mise en oeuvre, entre le 1er juillet 1989 et le 31 décembre 1992, permettra d’attribuer des moyens supplémentaires aux DOM pour combler leur retard économique. downloadModeText.vue.download 218 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 217 Le lamento corse Annoncée le 1er juin 1988 pour cent jours, la trêve des bombes avait été prolongée par le mouvement nationaliste pour « aboutir à un règlement politique du problème corse ». On s’attendait donc à percevoir les dividendes de la prudence et de l’art subtil de la négociation qui semblaient guider la démarche de Pierre Joxe, chargé des relations avec l’île depuis son retour au ministère de l’Intérieur. Or, une grève de dix semaines amorcée à la poste de Bastia le 21 février s’est achevée le soir du 1er mai après avoir mobilisé vingt mille fonctionnaires et agents de l’État et coûté cent soixante-dix millions à l’économie insulaire. Elle avait entre-temps révélé l’insuffisance de l’information du gouvernement, gêné les nationalistes avant qu’ils ne rejoignent et récupèrent le mouvement et confirmé l’impuissance des élus régionaux. Le poids de l’insularité La grève a été lancée pour obtenir une prime de vie chère. La section CGT de l’administration des Impôts estimait que « la vie courante (alimentation, essence, assurances) » revenait à « 33 000 F plus cher par an aux Corses » qu’aux continentaux. Effectivement, les enquêtes de l’INSEE donnaient raison aux syndicats de fonctionnaires. Ajaccio est la ville la plus chère de France, et Bastia prend la quatrième place dans ce classement, immédiatement après Paris. L’alimentation coûte à Ajaccio et à Bastia 6,8 % de plus que la moyenne nationale. Le prix des légumes surpasse la moyenne française d’un tiers. La baguette de pain, que l’on paie 3,20 F sur le continent, est affichée 3,50 F dans l’île. À Ajaccio, il faut compter 15 % de plus qu’à Orléans pour s’habiller de la même manière. Cette situation est bien connue et souvent prise en compte : les agents de l’EDF et de la SNCF, les employés de banque perçoivent des indemnités particulières lorsqu’ils sont en service en Corse. Aussi, dès le début du mouvement de grève, la CGT a réclamé une prime d’insularité de mille francs par mois et un relèvement de l’indemnité versée en fonction du domicile ; la Corse, classée en zone deux, serait passée en zone zéro ; chaque salarié aurait bénéficié d’une augmentation de 3 % environ. Dans le même esprit, FO et la CFDT, évitant les chiffres pour ouvrir la voie aux négociations, ont demandé une indemnité compensatrice de vie chère. La disparité des prix qui se manifeste aux dépens de la Corse a été parfaitement admise par le gouvernement, puisque Michel Rocard déclarait le 20 mars : « Il est... anormal que le consommateur corse paie à un prix supérieur à celui constaté sur le continent des biens courants qui arrivent en Corse à un prix inférieur. » Dans son intervention, le Premier midownloadModeText.vue.download 219 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 218 nistre laissait clairement entendre, néanmoins, que la hausse des prix pouvait être imputée aux agents économiques de l’île même. En Corse, les intermédiaires sont mieux placés qu’ailleurs pour élargir leurs marges : l’île est un marché étriqué de 200 000 personnes environ, qui interdit l’existence d’une véritable concurrence : les médicaments, comme l’essence, sont acheminés par un seul réseau de distribution ; pour les produits alimentaires, les petits commerces ont leur choix réduit à deux distributeurs. Ententes et concertations sont fréquentes. Ce marché étroit est aussi sensible. Les flux touristiques suscitent chaque année une tension sur les prix ; tout mouvement social affectant les relations entre le continent et l’île provoque le même effet. L’intervention de l’État S’il n’a pas su maîtriser les circuits commerciaux, l’État est intervenu pour compenser les inconvénients de la situation insulaire de la Corse : il participe pour plus de 750 millions de francs par an aux transports entre la Corse et le continent. « Le problème », déclarait Michel Rocard le 30 mars, « n’est pas de transférer plus d’argent, mais de l’y transférer autrement ». L’amélioration, nécessaire, de l’action de l’État pourra se fonder, à partir de cette année, sur une belle collection de documents susceptibles d’éclairer l’Assemblée régionale et, plus encore, le gouvernement, qui détiennent les pouvoirs de décision. Henri Antona, président de l’Institut régional du commerce, de l’innovation et de la gestion, a élaboré un rapport destiné à l’Assemblée de région, qui insiste sur la nécessité de créer et d’accueillir en Corse des entreprises performantes, de prévoir dans l’île une formation à la gestion, d’orienter la fiscalité vers l’investissement et d’élaborer un plan d’aménagement cohérent accepté par tous. Une Agence de développement de la Corse permettrait de mettre en oeuvre cette stratégie. À la suite d’une mission d’étude menée en pleine grève, Robert Toulemon, inspecteur général des Finances, préconise une série de modifications dans le soutien à l’agriculture, une nouvelle répartition des aides fiscales et la négociation de conventions de modération des prix. Un rapport sur l’éducation en Corse, préparé par Émile Arrighi de Casanova, président de section au Conseil économique et social, a été publie le 6 octobre. Il propose la réhabilitation de la langue corse « qui doit redevenir une langue de communication ». L’université de Corte devrait contribuer au redressement de l’économie insulaire en mettant à sa disposition des cadres compétents pour la gestion, la communication, les technologies de pointe et la maîtrise de l’environnement. Dans cette double perspective, Émile Arrighi de Casanova envisage la création d’un Conseil supérieur de la langue et de la culture corses et d’un Centre régional d’innovation et de transfert de technologie. Lors du Colloque sur le développement économique et l’identité culturelle des îles de l’Europe, qui s’est tenu à Ajaccio du 18 au 20 octobre, la Commission européenne a diffusé un programme d’expansion régionale qui dresse la liste des projets susceptibles d’être soutenus et en partie financés par la CEE. downloadModeText.vue.download 220 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 219 Enfin, un diagnostic global a été établi par quatre « tables rondes », dont la constitution avait été décidée le 22 mars en pleine grève. Les commissions rassemblant des élus, des syndicalistes et des représentants des intérêts socioprofessionnels se sont réunies vingt-cinq fois du 2 mai au 30 juillet et ont fait appel au concours de deux cents personnes. Les débats ont abouti à un document de synthèse élaboré par Michel Prada, inspecteur général des Finances, remis au Premier ministre le 12 septembre. Michel Prada estimait que l’emploi des « moyens les plus ordinaires » suffirait à améliorer la situation de la Corse. Éclairé, ou peut-être désorienté, par l’abondance de ces contributions et par des conseils parfois contradictoires, le gouvernement a décidé des mesures à prendre, le 28 octobre, à l’issue de la réunion d’un Comité interministériel consacré spécialement à la Corse. L’inspiration décentralisatrice de Pierre Joxe, resté en retrait depuis le début de la grève, a prévalu sur les conclusions très jacobines du rapport Prada. En réponse aux revendications motivées par le coût de la vie dans l’île, le gouvernement ouvrira en 1990 un Centre local d’informations sur les prix, le CLIP, qui poursuivra en permanence les enquêtes entreprises actuellement. L’Office des transports de la région Corse pourra participer à l’équipement de la compagnie aérienne Corse-Méditerranée et l’Assemblée régionale devra assurer la rentabilité de l’entreprise. En ce qui concerne les services de l’État, l’indemnité compensatoire de transport sera versée hors impôt. Enfin, l’administration des finances fera désormais appliquer dans l’île l’obligation de déclarer les successions en ménageant une période transitoire. L’identité corse Ces dispositions n’ont pas satisfait les nationalistes corses, qui l’ont manifesté quelques jours après par la reprise des attentats dans la nuit du 6 au 7 novembre à Santa-Lucia-di-Porto-Vecchio et, le 13 novembre, à Ajaccio. Les nationalistes fondent leur refus sur un certain nombre d’arguments qui recueillent une adhésion largement répandue : la « spéculation généralisée » que les nationalistes dénoncent n’est peut-être pas aussi générale qu’ils l’affirment, mais existe indiscutablement ; les « Corses qui se vendent pour mieux vendre notre terre », stigmatisés à Corte le 6 août, ont effectivement oublié la tradition et les intérêts de la collectivité insulaire depuis le début des années soixante ; les nationalistes sont volontiers écoutés quand ils refusent que la Corse devienne « le bronzodrome de l’Europe » : Jean-Paul de Rocca-Serra, député RPR et président de l’Assemblée régionale, peu suspect de collusion avec les nationalistes, constatait, lors des colloques sur les îles européennes, que le tourisme était perçu en Corse comme une « forme d’agression rentable, certes, mais une forme d’agression ». La force des nationalistes provient de leur capacité à exprimer des inquiétudes latentes. Aussi, le gouvernement serait-il bien inspiré de tenir compte des critiques et des mises en garde. Il conserve une marge de manoeuvre appréciable dans la mesure où certaines positions extrémistes sont loin d’être unanimement acceptées : le colonialisme dénoncé par les nationalistes n’apparaît pas si évident aux downloadModeText.vue.download 221 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 220 Corses qui ont fait carrière dans la fonction publique, même parmi les grévistes du début de l’année; le statut d’autonomie interne, rejeté par les nationalistes les plus engagés, rallie actuellement en Corse des membres du Parti socialiste et même des partis de l’opposition. Mais, si le gouvernement ne se départit pas d’un comportement directiviste inspiré par la religion de l’État et par les techniciens de l’administration, s’il oublie la générosité pour accroître la charge fiscale et récupérer ainsi une partie de ce qu’il donne, s’il ignore les particularismes auxquels sont attachés les Corses, s’il s’aliène les Corses du continent, au lieu de les inviter à participer de toutes leurs compétences au renouveau insulaire, les plans les plus élaborés et les plus coûteux aboutiront à des résultats partiels ; ils ne régleront pas réellement le problème posé depuis un quart de siècle. Les Corses ressentiront ces mesures, même si elles sont objectivement utiles ou fondées, comme des symptômes de sujétion ou des atteintes à leur dignité, comme l’ont bien montré les réactions de la population lors d’une grève prolongée par le « mépris » supposé du gouvernement. Au contraire, le projet de protection de l’identité culturelle, intimement lié à un programme de développement, est acceptable par tous les courants d’opinion. Tous les autres plans d’action devraient se fonder de la même manière sur une intelligente concertation et sur une attentive compréhension des ressorts psycho- logiques d’une communauté minoritaire qui se sent menacée. GEORGES GRELOU downloadModeText.vue.download 222 sur 509 POLITIQUE 221 Europe – 3 Trois ans avant la naissance de l’Europe, les responsables s’agitent de plus en plus fébrilement autour du berceau. Et les événements qui surviennent chez les cousins de l’Est ne font qu’ajouter à la confusion... Année charnière dans l’histoire des relations mondiales de l’après-guerre, 1989 restera celle qui a pris la Communauté européenne par surprise. Les brèches effectuées dans le mur de Berlin le 9 novembre ébranleront-elles les fondements de la CEE ? Les changements, aussi brutaux qu’inattendus, qui affectent l’ensemble des pays du pacte de Varsovie, et surtout la République démocratique allemande, contribueront-ils au renforcement des liens au sein de la Communauté ? Accéléreront-ils, ou au contraire ruineront-ils – pour reprendre une métaphore répandue – l’édification de ce bâtiment sans toit mais dont quelques étages sont déjà construits ? Quand bien même chacun se réjouit de voir un certain « ordre établi » prendre fin, à compter du 9 novembre les interrogations se multiplient autour de la « question allemande » et donc de l’avenir de l’Europe communautaire. Avant que ces événements n’interviennent, la Communauté concentrait ses efforts sur l’Union économique et monétaire, dont l’aboutissement logique est l’union politique des Douze. Les tractations entreprises pour enclencher ce processus auront occupé toute la fin de la présidence espagnole de la Communauté (premier semestre 1989) et l’essentiel de la présidence française (deuxième semestre). Mais cette année est aussi celle qui rapproche les Européens de l’« échéance 93 » ; la mise en oeuvre du marché unique et la perspective d’une Europe sans frontières occupent les esprits... Espoirs, inquiétudes et questions sont mêlés. « Objectif 93 » À l’approche du 1er janvier 1993, date devenue mythique, le tissu social, et surtout économique, se mobilise. Les entreprises se préparent à affronter la concurrence attendue des onze pays voisins ; elles fusionnent, forment leur personnel, se modernisent. Soucieux de voir naître l’« Europe sociale » qu’on leur a promise, les syndicats sont sur la brèche. De leur côté, Américains et Japonais redoutent de plus en plus l’édification d’une « Europe forteresse », c’est-à-dire la réalisation d’un marché très puissant dont ils seraient exclus. Bref, l’« objectif 93 » remplit son rôle de « nouvelle frontière » (économique s’entend). En février 1986, afin de relancer une machine en veilleuse (depuis la signature du traité de Rome en 1957, aucune avancée notable n’avait été effectuée), les downloadModeText.vue.download 223 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 222 Douze avaient signé l’Acte unique, un instrument au service de la réalisation du marché unique. Une échéance était fixée : le 1er janvier 1993. À partir de cette date, la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services doit être assurée. La mise en oeuvre de ce principe se révèle un véritable casse-tête. D’autant que plus l’on s’approche de la date fixée, plus les compromis sont difficiles à élaborer entre les Douze. En 1989, les présidences espagnole puis française l’apprennent à leurs dépens. Parmi les échecs : le report du projet d’harmonisation de la fiscalité indirecte, c’est-à-dire du rapprochement des taux de TVA et des accises (les taxes sur les alcools, les carburants et les tabacs). Le 9 octobre, les douze ministres de l’Économie et des Finances ajournent le principe de rapprochement des taux de TVA et rejettent le plan d’harmonisation proposé par la Commission européenne. Aucun accord non plus n’est trouvé dans le domaine de la fiscalité de l’épargne. Et pourtant, le temps presse : c’est le 1er juillet 1990 que doit entrer en vigueur la directive (« loi » européenne) permettant la libre circulation des capitaux. À cette date, il faudra avoir pris des mesures afin d’empêcher les fraudes et l’évasion fiscales. Les gouvernements réalisent par ailleurs que les obstacles auxquels se heurte l’ouverture des frontières physiques sont beaucoup plus nombreux qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Comment assurer la sécurité des citoyens, comment régler les questions de l’extradition, de la lutte contre la drogue, des contrôles dans les ports et les aéroports, une fois les frontières intracommunautaires supprimées ? Des groupes d’experts y réfléchissent au niveau des Douze, mais aussi à celui des cinq pays (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, RFA) qui ont signé en 1985 « l’accord de Schengen ». Fin 1989, les membres du « groupe de Schengen » espèrent que les travaux aboutiront prochainement à la signature d’une convention qui organiserait l’ouverture de leurs frontières communes en 1991. Les présidences espagnole et française ont aussi des difficultés à faire progresser ce qu’il est convenu d’appeler l’« Europe des citoyens ». Plusieurs projets, qui devaient aboutir en 1989, restent lettre morte, notamment ceux qui concernent le séjour des inactifs (pour l’instant, ne peuvent s’établir sans conditions, dans un autre pays de la CEE que le leur, que les travailleurs, c’est-à-dire ni les retraités, ni les étudiants) et le vote des ressortissants communautaires aux élections municipales. Deux soucis : l’image et l’environnement Pendant près de six mois, l’audiovisuel a occupé le devant de la scène. En jeu, l’adoption d’une directive faisant obligation aux chaînes de télévision des États membres de diffuser un certain quota d’oeuvres émanant de leurs partenaires. La France demandait un quota s’élevant à 60 %. La directive adoptée le 3 octobre au terme de négociations serrées et, à Paris, d’un large débat entre gouvernement et professionnels, n’a finalement aucun caractère contraignant. Les États membres sont invités « chaque fois que c’est possible » à faire en sorte que les chaînes « réservent à des oeuvres eurodownloadModeText.vue.download 224 sur 509 POLITIQUE 223 péennes [...] une proportion majoritaire de leur temps de diffusion de films, fictions et documentaires ». La veille, à l’occasion des premières assises européennes de l’audiovisuel, avait été lancé à Paris un « Eurêka de l’audiovisuel », structure regroupant vingt-six pays (les 23 du Conseil de l’Europe – qui incluent les 12 de la CEE –, rejoints par la Hongrie, la Pologne et l’URSS) décidés à doter le continent européen d’une stratégie offensive dans la bataille mondiale des images. Par ailleurs, la Communauté a fait sienne une préoccupation qui, en 1989, suscite une prise de conscience à l’échelle mondiale : la protection de l’environnement. Au moment où les conférences internationales sur la protection de la couche d’ozone, l’effet de serre ou encore l’avenir de la forêt tropicale se multiplient, la CEE a décidé de créer une Agence européenne de l’environnement. Relations internationales L’année écoulée a été marquée par un profond changement. La brusque libéralisation des régimes polonais et hongrois, la fuite massive des Allemands de la RDA vers la République fédérale, puis l’ouverture du mur de Berlin et la chute du régime roumain ont signifié la fin du statu quo politique existant depuis 1945 en Europe orientale. En Afghanistan, dix mois après le retrait des troupes soviétiques, qui s’est achevé le 15 février, la guerre continue. L’aide massive du Kremlin au régime de Kaboul, moins fragile qu’on ne l’avait cru, et les livraisons américaines aux résistants expliquent en partie l’absence de solution politique. Au Sahara occidental, la méfiance réciproque du Maroc et du Front Polisario a empêché l’application du plan de paix accepté par les deux parties le 30 août 1988. Les chances d’aboutir à une solution semblaient meilleures au Nicaragua. Le 14 février, à l’issue d’une conférence réunissant les cinq chefs d’État d’Amérique centrale, le président Ortega a annoncé la mise en route d’un processus de démocratisation et de réconciliation nationale. Conclu le 5 août 1988 entre les gouvernements de Pretoria, de La Havane, de Luanda et de Washington, le cessez-le-feu en Angola et en Namibie a été remis en cause plusieurs fois. L’application de l’accord du 22 décembre 1988, qui devait mener ce dernier pays à l’indépendance, a été entravée par l’intransigeance de la SWAPO. Toujours en Afrique, à la suite des affrontements interethniques meurtriers du mois d’avril, le Sénégal a rompu ses relations diplomatiques avec la Mauritanie le 21 août. En revanche, l’Égypte a été réintégrée au sein de la Ligue arabe (26 mai) ; la Libye et le Tchad ont signé le 31 août un accord pour mettre enfin un terme au conflit qui les oppose. Au Cambodge, après l’échec de la conférence de Paris (30 août) et le retrait des dernières unités régulières vietnamiennes (26 septembre), les combats entre les résistants et les troupes gouvernementales ont continué. Au Liban, après avoir réussi à imposer un cessez-le-feu fin septembre, le comité tripartite arabe (Arabie Saoudite, Algérie et Maroc) a obtenu l’accord des députés libanais réunis à Taëf sur la modification des institutions en faveur des musulmans et la question de la présence syrienne (23 octobre) ; mais l’assassinat du nouveau président, René Moawad (22 novembre) risque de remettre en cause cette fragile entente. downloadModeText.vue.download 225 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 224 La lutte menée contre deux des maux les plus préoccupants de cette fin de siècle a peu progressé. Approuvée le 22 mars à l’ONU, une convention sur les déchets dangereux n’a pas réussi à interdire leur exportation. D’autre part, afin de combattre le trafic de drogue, M. George Bush a bien accordé une aide de 65 millions de dollars à la Colombie le 25 août, mais le Guatemala est devenu en même temps un autre centre commercial pour les narcotiques. Toutefois, le 20 décembre, l’armée américaine a lancé une vaste offensive au Panama pour tenter d’arrêter le général Noriega, principal organisateur du trafic dans la région. Autre motif d’alarme, le fanatisme islamique a atteint un paroxysme avec l’affaire Rushdie. Le 14 février, l’imam Khomeyni a ordonné l’exécution de l’écrivain, qui avait « offensé l’islam » avec ses Versets sataniques. Le 7 mars, le Royaume-Uni et l’Iran ont rompu leurs relations diplomatiques. La détente entre l’Est et l’Ouest a progressé. Le 30 mai, le sommet de l’OTAN a entériné les propositions de désarmement de George Bush. En réponse à la demande de coopération économique de M. Gorbatchev, le Sommet des Sept, réuni à Paris du 14 au 18 juillet, a chargé la Commission européenne de coordonner l’aide occidentale à la Pologne et à la Hongrie ; le but de l’opération est de soutenir le processus de réforme en cours. Laurent Leblond L’Europe sociale Ce sont en fait deux grands dossiers, celui de la Charte des droits sociaux fondamentaux et celui de l’Union économique et monétaire qui font la une de l’actualité européenne tout au long de l’année. La nécessité d’une « Europe sociale » n’est pas un thème aussi nouveau qu’on le croit généralement. Dès son premier mandat, le Président François Mitterrand l’avait appelée de ses voeux. Dans un mémorandum sur la relance européenne du 13 octobre 1981, le gouvernement français avait présenté l’« espace social européen » comme le corollaire obligé de la réalisation du Marché commun. L’accélération du processus d’intégration communautaire, à la suite de la signature de l’Acte unique, a renforcé la nécessité de prendre en compte la dimension sociale du marché européen. La méthode souhaitée pour y parvenir est l’adoption d’une charte communautaire des droits sociaux fondamentaux. Le 31 décembre 1988, M. Mitterrand affirmait : « J’attends de l’Europe aussi qu’elle comprenne que, sans politique sociale et sans espace culturel, elle ne sera pas ». Six mois plus tard, au Conseil européen de Madrid, par lequel s’achève la présidence espagnole de la Communauté, le président de la République française réitère son credo : « On ne va pas faire l’Europe des capitaux sans faire aussi l’Europe des travailleurs » ; mais le dossier ne progresse guère. Un avantprojet de la Commission européenne est présenté aux chefs d’État et de gouvernement réunis à Madrid. Parmi les propositions qui leur sont soumises figurent l’institution d’un « salaire décent », la « fixation d’une durée maximale du travail par semaine », la « reconnaissance de la liberté syndicale » et une « protection sociale adéquate ». La question est de savoir si ces principes auront, s’ils sont retenus, un caractère contraignant. Fin novembre, la Commission de Bruxelles propose un nouveau programme d’action aux Douze, en espérant qu’ils l’approuveront lors du Conseil européen de Strasbourg, les 8 downloadModeText.vue.download 226 sur 509 POLITIQUE 225 et 9 décembre. Ce programme délimite les domaines dans lesquels la Communauté s’interdit d’intervenir : l’institutionnalisation d’un « salaire de référence décent », par exemple, devrait rester de la compétence des États. Mais, malgré le caractère peu contraignant de la Charte soumise à l’approbation des Douze, il est probable que Mme Margaret Thatcher n’y apposera pas sa signature. Le Premier ministre britannique a toujours été hostile à une ingérence, quelle qu’elle soit, de la Communauté dans le domaine social. Europe occidentale Dans la plupart des pays, les partis politiques au pouvoir ont subi des échecs ou même de véritables défaites lors des élections nationales, régionales ou municipales. En Europe centrale et septentrionale, le succès de l’extrême droite est souvent à l’origine de ces résultats. C’est le cas en Allemagne fédérale, où les républicains, dirigés par M. Franz Schönhuber, ont obtenu 7,5 % des voix le 29 janvier à Berlin-Ouest et 6,5 % des suffrages le 1er octobre aux scrutins mu- nicipaux de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Les chrétiens-démocrates ont été les grands perdants ; ils ont dû céder plusieurs mairies à des coalitions réunissant des sociaux-démocrates et les Verts. Au plus bas dans les sondages, le chancelier Helmut Kohl a procédé le 13 avril à un profond remaniement de son gouvernement, au profit des chrétiens-sociaux bavarois. En Autriche, les élections régionales du 12 mars en Carinthie, au Tyrol et à Salzbourg ont donné une victoire écrasante au parti libéral ultranationaliste de M. Joerg Haider ; celle-ci s’est accompagnée de la chute des conservateurs du parti populaire, dont le président fédéral, M. Aloïs Mock, a été remercié. Lors des élections générales néerlandaises du 6 septembre, les chrétiens-démocrates ont obtenu un succès qui, joint au déclin de leurs alliés libéraux, devrait entraîner la rupture de la coalition de centre droit. En Norvège, lors des élections législatives des 10 et 11 septembre, les grands partis – les travaillistes, au pouvoir, et les conservateurs, dans l’opposition – ont perdu un grand nombre de sièges. Au contraire, deux petites formations, les socialistes de gauche et le parti du progrès (droite populiste) ont nettement amélioré leurs positions. Quoique minoritaire au Parlement, la coalition tripartite de centre droit a pu former un nouveau gouvernement. Le 16 octobre, M. Jan P. Syse a été nommé Premier ministre à la place de Mme Gro Harlem Brundtland. À l’issue des élections législatives anticipées, qui se sont déroulées en Irlande le 15 juin, le Fianna Fail (nationaliste) de M. Charles Haughey, Premier ministre depuis février 1987, n’a pu conserver la majorité au Parlement. Avec le soutien du petit parti démocrate progressiste, M. Haughey a pourtant réussi à constituer un nouveau gouvernement. Après son échec au scrutin européen du 15 juin, qui a vu le succès des travaillistes et des écologistes, Mme Margaret Thatcher a procédé, le 24 juillet, à un vaste remaniement ministériel. Le 26 octobre, le chancelier de l’Échiquier, M. Nigel Lawson, en désaccord avec la politique économique européenne du Premier ministre, a présenté sa démission, ce qui n’a pas empêché Mme Thatcher d’être réélue le 5 décembre à la tête du parti conservateur. Lors des élections législatives, qui ont eu heu le 18 juin, les trois principaux partis politiques luxembourgeois ont perdu chadownloadModeText.vue.download 227 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 226 cun trois sièges. Il s’agit des chrétiens-démocrates, dirigés par le Premier ministre Jacques Santer, des socialistes, membres de la coalition gouvernementale, et des démocrates (libéraux). En Italie, deux mois après la démission de M. Ciriaco De Mita, M. Giulio Andreotti, qui est démocrate-chrétien comme son prédécesseur, a constitué le 23 juillet un gouvernement réunissant les cinq partis au pouvoir depuis 1981. Enfin, en Grèce, à l’issue des élections du 18 juin, le parti socialiste (PASOK) dirigé par M. Andréas Papandréou, qui était Premier ministre depuis octobre 1981, n’a pas su préserver sa majorité au Parlement. Malgré sa progression, la Nouvelle Démocratie, formation conservatrice menée par M. Constantin Mitsotakis, ne disposait pas de la majorité absolue. Le 1er juillet, les communistes ont accepté de soutenir un gouvernement provisoire formé par M. Tzannis Tzannétakis, vice-président de la Nouvelle Démocratie, et le Parlement a décidé de traduire M. Papandréou devant une cour spéciale. Laurent Leblond Réticences... L’irréductible « Dame de Fer » joue de plus en plus les trublions dans le concert européen. Il est vrai que les Danois font aussi les fortes têtes, mais, leur capacité d’influence étant moins importante, c’est incontestablement à Mme Thatcher que revient la palme de la dissonance. En septembre 1988, le chef du gouvernement britannique avait prononcé à Bruges un discours resté célèbre sur l’« Europe des patries ». Elle y développait sa thèse en faveur d’une Europe du libre-échange, selon laquelle aucune part de souveraineté ne doit être transférée. Ce discours, relayé en Grande-Bretagne par un groupe de pression dénommé le « groupe de Bruges », fustigeait la Commission européenne et ses « bureaucrates ». Ce n’était en fait que le début d’une virulente campagne contre l’exécutif de la Communauté, et en particulier contre son président, M. Jacques Delors. Les réticences de Mme Thatcher à l’égard de la Charte sociale et de l’Union économique et monétaire (UEM) sont à la source de maintes spéculations quant à l’avenir de ces dossiers. Elles ne doivent cependant pas cacher les hésitations d’autres gouvernements. Ainsi, la question s’est posée récemment de savoir si l’Allemagne fédérale choisirait de s’engager dans la voie de l’UEM avec la même détermination que la France ou que l’Italie. L’union économique et monétaire L’enjeu du projet Delors (le projet d’UEM est fondé sur un « rapport Delors ») est avant tout politique. Sa réalisation supposerait d’importants transferts de souveraineté, et donc la signature d’un nouveau traité. Lors du Conseil européen de Hanovre, les 27 et 28 juin 1988, les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté avaient confié à un groupe d’experts, présidé par M. Delors, « la mission d’étudier et de proposer les étapes concrètes » qui mèneraient à l’UEM. Ce groupe – composé essentiellement des gouverneurs des banques centrales des Douze – a rendu public son rapport le 17 avril 1989. Celui-ci adopte le principe de l’engrenage : il ne contient pas d’échéance pour la réalisation de l’UEM, mais il indique que, si les Douze s’engagent dans le processus, il leur faudra downloadModeText.vue.download 228 sur 509 POLITIQUE 227 aller jusqu’au bout. L’objectif doit être atteint en trois étapes. La première phase débuterait le 1er juillet 1990, date de la libération des mouvements de capitaux ; il s’agirait d’une période d’adaptation au cours de laquelle les monnaies des Douze qui ne participent pas encore au mécanisme du taux de change du SME (Système monétaire européen) devraient y entrer. Une conférence intergouvernementale, qui procéderait à la réforme institutionnelle, devrait avoir lieu à ce moment. La deuxième phase commencerait avec l’entrée en vigueur du nouveau traité ; ce serait une période de transition au cours de laquelle serait créé un Système européen de banques centrales. Et la troisième phase s’ouvrirait sur le passage à des parités fixées irrévocablement et sur l’attribution aux institutions communautaires de compétences économiques et monétaires les plus larges. La question des souverainetés Invités à se prononcer sur ce texte le 27 juin, lors du Conseil européen de Madrid, les Douze parviennent à un accord, certes unanime, mais très précaire. Mme Thatcher accepte le principe d’une conférence intergouvernementale qui aboutirait à la révision du traité de Rome, mais continue à se déclarer hostile à tout transfert de souveraineté. Le Premier ministre britannique accepte donc de s’engager dans la première phase, mais pas au-delà. Le gouvernement français, qui prend le relais de l’Espagne à la tête de la présidence de la Communauté trois jours plus tard, concentre alors tous ses efforts sur l’enclenchement du processus. Objectif : faire en sorte qu’à l’occasion du Conseil européen de Strasbourg, les 8 et 9 décembre, les Douze tombent d’accord sur la date du début de la conférence intergouvernementale. Le temps presse, car le but est d’aboutir à une ratification du nouveau traité, si nouveau traité il y a, avant la fin de 1992, c’est-à-dire avant l’ouverture des frontières intracommunautaires. Alors que les contacts bilatéraux s’intensifient, chacun étant désireux de connaître la position de ses partenaires, ou de les convaincre, un groupe de hauts fonctionnaires des Douze réfléchit. Car, si le rapport Delors a apporté des réponses techniques aux problèmes soulevés par l’UEM, l’aspect politique n’a pas encore été abordé. Le « groupe Guigou », du nom de sa présidente, Mme Élizabeth Guigou, conseiller de M. Mitterrand pour les Affaires européennes, remet, à l’automne, un rapport sous forme de questions relatives aux transferts de souveraineté. Il est clair que l’Union économique et monétaire est le « cheval de Troie » de l’Union politique. Comment pourrait-on avoir une monnaie unique sans un gouvernement central ? Reste à savoir comment parvenir à cet objectif auquel le chef de l’État français se dit très attaché... M. Mitterrand l’a encore affirmé, à Strasbourg, le 25 octobre : « L’Union économique et monétaire signifiera qu’un pas décisif aura été accompli en vue de l’objectif qu’il faut bien désigner, l’union politique de la Communauté. Raison de plus pour la vouloir et pour la faire. » Le président français prononçait alors un discours devant les parlementaires européens, avant même l’ouverture de la frontière entre les deux Allemagnes. Par la downloadModeText.vue.download 229 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 228 suite, sa conviction n’a fait que croître, la construction d’une Europe aux structures « plus solides » constituant, selon lui, la meilleure réaction que la CEE pourrait avoir face aux bouleversements dans les pays de l’Est. L’inconnue reste la position qu’adoptera le gouvernement de Bonn lors du Conseil de décembre. L’Allemagne fédérale répondra-t-elle positivement à la proposition française d’entamer la conférence intergouvernementale avant la fin de 1990 ? Le chancelier Helmut Kohl se trouve dans une position délicate, d’une part en raison des élections législatives qui auront lieu le 11 décembre 1990 en Allemagne fédérale, et surtout du fait des changements intervenus en Allemagne de l’Est. L’ouverture de la frontière entre les deux Allemagnes signifie-t-elle que du jour au lendemain la population de la Communauté européenne s’est accrue de 16,7 millions d’habitants ? On n’en est sans doute pas encore là. La cohésion de la communauté À l’initiative de M. Mitterrand, les douze chefs d’État et de gouvernement se réunissent à l’Élysée, le 18 novembre, afin de définir une position commune face aux bouleversements que connaît l’Europe centrale et orientale : ils encouragent les mouvements de réforme et décident d’y contribuer, à condition que le retour à la démocratie soit effectif. Plus concrètement, ils se prononcent pour la création d’une banque d’aide aux pays de l’Est, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Par ailleurs, les Douze se mettent d’accord sur une déclaration prévoyant que le peuple allemand pourra « retrouver son unité à travers une libre autodétermination ». Ce droit ne pourra cependant s’exercer que « dans un contexte de dialogue et de coopération Est-Ouest » et « se situe dans la perspective de l’intégration communautaire »... Fin 1990, la cohésion de la Communauté semble indemne... Petite chronique européenne... En janvier, à la suite de l’adoption du rapport Prag (du nom d’un élu britannique) par les parlementaires, la « bataille du siège » a été lancée pour décider si, exceptionnellement, le Parlement européen pourrait se réunir à Bruxelles et non à Strasbourg, où jusqu’à présent ont eu lieu toutes les sessions... Catherine Trautmann, élue en mars à la tête de la municipalité de la capitale alsacienne, a alors entrepris de conforter sa ville dans son rôle européen. Cette campagne a été soutenue par François Mitterrand, et c’est à Strasbourg que la réunion des douze chefs d’État ou de gouvernement (le Conseil européen) s’est tenue les 8 et 9 décembre sous la présidence de la France. Les 15 et 18 juin, les 140 millions d’électeurs de la Communauté ont été appelés aux urnes afin de renouveler leurs 518 représentants au Parlement européen. Cette élection a peu mobilisé. Bien que le vote soit obligatoire dans certains États membres, le taux de participation ne s’est élevé, globalement, qu’à 58,5 %. La physionomie de l’hémicycle est sortie quelque peu modifiée des urnes. Le groupe socialiste a renforcé sa position de premier groupe de l’Assemblée et les écolodownloadModeText.vue.download 230 sur 509 POLITIQUE 229 gistes ont effectué une « poussée » relative- ment importante. Si la Communauté acquiert dans l’avenir un véritable statut politique sur la scène diplomatique, on retiendra peut-être alors la date du 8 juillet 1989 comme le point de départ d’une reconnaissance à l’échelle mondiale. Ce jour-là, les chefs d’État ou de gouvernement des sept pays les plus industrialisés se sont réunis en sommet, à Paris. La situation en Pologne et en Hongrie était en train d’évoluer et chacun convenait qu’il fallait les aider. Les Sept ont alors décidé de confier à la Commission européenne le soin de coordonner l’aide des nations occidentales à ces deux pays. C’est en juillet également que la Communauté a reçu la demande d’adhésion de l’Autriche ; mais sa neutralité constitue un obstacle de fond. Quoi qu’il en soit, le cas est à l’étude et, au sein de la CEE, tous ont convenu que l’élargissement de la Communauté restait prématuré tant que le marché unique ne serait pas réalisé. Le 25 juillet, les députés européens ont élu à leur tête un socialiste espagnol, M. Enrique Baron Crespo, ancien ministre du gouvernement Gonzalez. Au terme d’un accord avec le second groupe du parlement, le PPE (groupe démocrate-chrétien), M. Baron doit abandonner la présidence au profit d’un député de droite après deux ans et demi d’exercice (la moitié de la durée d’un mandat législatif européen). Depuis l’entrée en vigueur de l’Acte unique (1er juillet 1987), les parlementaires européens sont associés, par le biais de la procédure de coopération, à une partie du processus de décision communautaire. Mais leurs pouvoirs restent très limités et ils n’ont de cesse de les voir s’accroître... Marie-Pierre Subtil Marie-Pierre Subtil est chargée des questions européennes au service de politique étrangère du Monde. downloadModeText.vue.download 231 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 230 Pays de l’Est : le grand bouleversement L’année 1989 a été marquée par le changement subit et radical du paysage politique qui caractérisait la Russie depuis 1917 et toute l’Europe de l’Est depuis 1945. Cette révolution est partie de l’URSS, de la stratégie de Mikhaïl Gorbatchev et s’inscrit en plusieurs chapitres : évolution démocratique, explosions nationales, désastres économiques, bouleversements internationaux. Le 1er décembre 1988, l’évolution de l’URSS s’est brusquement accélérée lorsque le Soviet suprême a décidé de remanier la Constitution de 1977. Cette réforme, annoncée dès le XXVIIe congrès du Parti en 1986, imposée par les propositions de la Conférence du PCUS de juin-juillet 1988, est importante dans la forme et dans le fond. Dans la forme, puisqu’elle est adoptée, pour la première fois, à la majorité (et non à l’unanimité). Dans le fond, car elle modifie radicalement le système politique soviétique dans trois domaines. Elle instaure la pluralité des candidatures, donnant ainsi à l’électeur la possibilité – qu’il n’avait encore jamais connue – de choisir son représentant. Le Soviet suprême, parlement de l’URSS à l’existence jusqu’alors épisodique, devient une instance permanente, ce qui lui permettra de participer réellement à l’exercice du pouvoir. Enfin, la création du Comité de contrôle constitutionnel constitue une étape décisive pour la naissance d’un État de droit. Certes, cette réforme ne résout pas tout. Le Parti communiste reste l’organe dirigeant de l’URSS et cela affaiblit le rôle du parlement et la réalité de l’État de droit. Le fédéralisme soviétique n’est pas révisé alors que les revendications nationales progressent. Enfin, le système de représentation obligatoire des organisations sociales (750 députés, soit le tiers du parlement), destiné à préserver le Parti et diverses instances bureaucratiques des foucades du corps électoral, s’accorde mal avec une vraie conception du suffrage universel. Un véritable parlement Cette réforme a néanmoins ouvert la voie à des changements profonds du système. Les élections ont lieu le 25 mars. Même si, pour la première fois, ils n’y sont pas contraints, 89,8 % des électeurs (192 millions d’inscrits) se rendent aux urnes. Dans plus de deux circonscriptions sur trois, ils peuvent choisir entre deux, voire trois candidats. Certes, les résultats officiels ne semblent pas trop défavorables au Parti communiste puisque 87 % des élus sont membres du Parti ; mais ces chiffres dissimulent une tout autre réalité. downloadModeText.vue.download 232 sur 509 POLITIQUE 231 Presque partout où il en avait la possibilité, le corps électoral a choisi le candidat étranger au Parti, ou encore celui que le Parti ne soutenait pas, ou enfin celui qui se situait au bas de la hiérarchie du Parti. C’est ainsi qu’arrivent au parlement des représentants de Fronts populaires nationaux (tel le Front de Lituanie, le Sajudis), des opposants notoires – comme Andreï Sakharov – ou des « enfants terribles » contestés par le Parti, tels que Boris Eltsine ou Iouri Afanassiev. Dans certains cas, comme à Leningrad, toute la direction du Parti est rejetée par le corps électoral. Les élections de 1989 ont provoqué un vrai séisme politique en URSS, dont sort un parlement encore hésitant sur sa capacité d’action réelle, et néanmoins beaucoup moins docile qu’on ne le prévoyait. En mai, s’ouvre la session du Congrès des députés du peuple, vaste assemblée de 2 250 membres, qui devait, dans l’esprit des auteurs de la réforme, élire aussitôt en son sein le Soviet suprême, bicaméral et permanent, avant de se séparer jusqu’à une session ultérieure. Commence alors l’aventure parlementaire soviétique. Le Congrès des députés du peuple avait imposé sa volonté d’ouvrir un débat sur tous les grands problèmes de l’URSS avant de céder la place au parlement restreint. Ce débat, télévisé dans son intégralité, fait découvrir à la société soviétique – qui passera des semaines devant les téléviseurs –, l’ampleur des problèmes et l’importance de leur discussion libre et contradictoire. En quelques semaines, la société soviétique se politise et amorce sa transformation en société civile. Quand le Congrès se sépare le 10 juin, il a un bilan remarquable à son actif. Pour la première fois dans l’histoire de l’Union soviétique, il a élu un véritable chef d’État, le président du Soviet suprême, qui est naturellement Mikhaïl Gorbatchev. Il a aussi élu le Soviet suprême ; enfin, il a montré au pays qu’il était en passe de devenir une institution vraiment représentative. Son émanation, le Soviet suprême, ne pourra plus retomber dans l’ornière de l’irresponsabilité. Ses débats, télévisés comme ceux du Congrès, porteront sur l’examen de toutes les candidatures gouvernementales, sur les lois en préparation et sur toutes les options. L’URSS médusée verra des parlementaires soudain convaincus de leurs responsabilités, soumettre à la question un ministre, l’accuser d’incompétence, voire le renvoyer. Deux événements témoignent du progrès du parlementarisme. Tout d’abord, la création, au sein du Soviet suprême, du Groupe interrégional, qui rassemble, autour de Sakharov, d’Afanassiev (tous deux non élus au Soviet suprême), et d’Eltsine (qui en est membre), les députés qui veulent accélérer le cours des réformes. Une véritable opposition parlementaire naît ainsi. Ensuite, lorsque le Congrès des députés du peuple se réunit à nouveau en décembre, le vote sur la possibilité de débattre du rôle dirigeant du Parti, hautement réclamé par les libéraux à la suite de Sakharov, permet de mesurer l’importance de ce courant. Certes, le Congrès se prononce contre un tel débat, mais la minorité vaincue est considérable. Plus de 800 députés y étaient favorables, c’est-à-dire plus du tiers de l’assemblée. La question du rôle dirigeant du Parti ne pourra plus être évitée et Gorbatchev doit s’engager à la soumettre au plénum du Comité cendownloadModeText.vue.download 233 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 232 tral au début de l’année 1990. Le pluralisme dont témoigne le vote du Congrès existe même au sein du Parti où les clivages s’approfondissent entre partisans de réformes radicales et partisans d’une stabilisation interne. Entre l’extrémisme novateur de Boris Eltsine et la prudence d’Egor Ligatchev, la distance est telle qu’elle justifierait la division du Parti en deux organisations distinctes. L’union menacée À la disparition du monolithisme politique correspond la détérioration rapide du fédéralisme soviétique. Si, en 1988, la protestation nationale se traduisait en affrontements interethniques, surtout au Caucase et en Asie centrale, 1989 est marqué par une politisation des revendications. Dans toutes les républiques, des Fronts populaires ont été instaurés et une coordination de ces Fronts commence à fonctionner. De certaines républiques, pays Baltes et Géorgie, monte une revendication de nature séparatiste que la Lituanie a le plus clairement articulée. Dans ces républiques, où drapeaux et hymnes nationaux ont repris leur place, en contradiction avec la Constitution soviétique, les Fronts populaires affirment le droit à user des possibilités constitutionnelles d’autodétermination. Les États baltes le proclament d’autant plus vigoureusement que l’existence du protocole secret annexé au traité germanosoviétique de 1939, prévoyant l’inclusion des républiques baltes dans une sphère d’influence soviétique, est désormais reconnue en URSS. Protocole scandaleux et illégal, dont la dénonciation frappe de nullité, disent les Baltes, les événements qui en découlent, donc leur inclusion dans l’URSS. Qu’à Moscou ce raisonnement soit récusé n’empêche pas les Fronts populaires d’exiger que le pouvoir soviétique reconnaisse l’illégitimité du rattachement des États concernés à l’URSS. Sur le même modèle, le Soviet suprême de Géorgie a proclamé à l’automne que l’invasion militaire soviétique de 1921 était en contradiction avec le traité soviéto-géorgien de 1918. Dans quatre républiques, le problème est posé d’un droit à la séparation lorsque l’union est fondée sur des actes internationalement illégaux. En attendant, les Fronts populaires et les autorités locales réclament un changement de la loi militaire qui établisse le caractère multiethnique de l’armée soviétique. Ils exigent que le service militaire ne soit plus effectué dans l’armée soviétique, mais au sein d’unités nationales cantonnées dans les républiques. Enfin, la Lituanie et l’Estonie proclament leur indépendance économique, la propriété de leurs ressources nationales et se dotent d’une monnaie propre. Le parti communiste d’URSS, symbole de l’unité à l’échelle du pays tout entier, subit un assaut identique. Le PC de Lituanie dit sa volonté de devenir indépendant et, malgré la convocation de ses dirigeants en novembre à Moscou, refuse de céder aux objurgations de Gorbatchev qui ne peut accepter d’être le liquidateur du « Parti de Lénine ». L’autorité de Gorbatchev est d’ailleurs battue en brèche d’une autre manière au Caucase. L’Azerbaïdjan, mécontent de ne pas voir son autorité sur le Haut-Karabakh pleinement reconnue, a entrepris de bloquer tous les accès de l’Arménie. La downloadModeText.vue.download 234 sur 509 POLITIQUE 233 première conséquence est l’asphyxie de l’Arménie, mais aussi la désorganisation générale des transports ferroviaires en URSS, partant la mise en cause des circuits d’approvisionnement. L’économie désorganisée La décomposition nationale de l’URSS se conjugue ainsi avec la désorganisation générale de l’économie. Près de cinq ans de perestroïka se traduisent par une aggravation de la vie quotidienne. Les magasins vides, les queues toujours plus longues, la nécessité de rationner les produits de base – sucre, savon, etc. – dans un certain nombre de villes, l’interdiction faite aux provinciaux de venir s’approvisionner dans la capitale, ont des causes variées : les récoltes toujours en retrait des prévisions (plus de 35 millions de tonnes de céréales manquent en 1989), une inflation que le pouvoir hésite à admettre mais qui grève dangereusement les budgets de la partie la plus démunie de la population, l’inefficacité aussi des structures économiques issues de la réforme. Le plénum du CC de novembre a lancé un vrai cri d’alarme sur la décomposition économique et le Premier ministre Ryjkov a dû annoncer une politique en retrait sur les décisions « libéralisantes » de ces dernières années. En insistant sur les vertus du plan, sur la nécessité de préserver les structures collectives à la campagne et le rôle de l’État dans l’entreprise, Ryjkov ébranle les propositions faites aux paysans et aux entrepreneurs dans le projet de loi sur la propriété. Entre un texte donnant aux paysans la propriété du sol et le droit d’en disposer pour la léguer ou la céder et l’insistance sur le rôle maintenu des instances collectives – sovkhozes et kolkhozes –, la distance est grande et nourrit sans aucun doute la méfiance des paysans à l’égard des offres gouvernementales. Dans une interview du 18 novembre, Egor Ligatchev, co-président de la Commission d’agriculture du CC du PCUS, ne s’est pas privé de dire son désaccord avec le projet de transfert de terres aux paysans, contribuant ainsi à accroître l’impression d’une politique de transition et non d’un choix politique clair. La grève et son exercice C’est la pénurie des biens les plus élémentaires qui a ouvert en URSS le cycle des grèves qui prend maintenant des proportions alarmantes. La grève des mineurs commencée en Sibérie en juillet a gagné le bassin du Donets, Vorochilovgrad et Dniepropietrovsk en Ukraine avant d’atteindre Vorkuta en ExtrêmeOrient, Rostov sur le Don au Sud et Karaganda au Kazakhstan. En quelques jours, ce premier grand mouvement de grèves depuis 1917 couvre la quasi-totalité du monde minier et fait la démonstration de trois données encore inconnues en URSS. D’abord l’ampleur de la pénurie des biens de consommation et le caractère dérisoire des stimulants matériels en regard de cette pénurie : les mineurs sont parmi les salariés les mieux payés en URSS ; ils vivent pourtant dans des conditions exceptionnellement misérables car l’État est incapable de leur fournir les biens les plus élémentaires. Deuxième donnée, la capacité des mineurs à s’organiser en dehors de toute structure officielle. Les comités downloadModeText.vue.download 235 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 234 de grève qui ont surgi dans les mines ont ignoré les syndicats et autres organisations sociales, et se sont très rapidement montrés capables de mobiliser et d’encadrer les grévistes qui leur ont d’emblée reconnu une représentativité incontestée. Enfin, dernière donnée, le désarroi du système politique, habitué jusqu’à aujourd’hui à ne traiter qu’avec des représentants officiels – les syndicats – et convaincu que la société soviétique n’est pas prête pour une mobilisation autonome du monde du travail sur le modèle polonais. Le 9 octobre, le Soviet suprême adopta donc une loi définissant les conditions d’exercice de la grève, loi remarquable et ambiguë. D’une part, elle reconnaît le droit de grève jusqu’alors supposé inutile en URSS puisque les travailleurs, détenteurs théoriques des moyens de production, n’avaient pas de raison de faire grève contre eux-mêmes. Mais elle en limite aussi l’exercice en précisant dans quels secteurs, vulnérables pour la sécurité, la prospérité de l’État ou le bien des citoyens, ce droit ne pourrait s’exercer. L’effet de la loi sur les groupes privés du droit de grève, les mineurs en tête, est inexistant; on le constate presque d’emblée. Quelques semaines après son adoption, la grève reprend dans plusieurs mines d’Ukraine et de Sibérie. À travers leurs organisations, les mineurs se, posent en interlocuteurs directs de l’État dont ils exigent non seulement des concessions matérielles, mais aussi des changements politiques comme l’abolition des privilèges, l’élaboration d’une nouvelle constitution soumise à l’approbation populaire, et, pour certains, l’abrogation de l’article VI de la Constitution qui consacre le monopole politique du Parti communiste. La création en septembre à Sverdlovsk du Front uni des travailleurs de Russie, qui anime une série de grèves locales dont celles qui ravagent alors la Moldavie et coûtent des dizaines de millions de roubles à l’économie soviétique, suggère aussi que la classe ouvrière ressent désormais la nécessité de mettre en place ses organisations propres dans tout l’espace soviétique. Ces comités ouvriers viennent enrichir la masse considérable des groupements informels qui sont montés en l’espace d’un an de 30 000 à 60 000 environ. Pour toutes ces organisations, il est une seule préoccupation : faire redescendre dans la société un pouvoir qui s’était isolé au sommet de sa pyramide. Et toute la stratégie de Gorbatchev encourage cette évolution. Mais, selon la tradition russe, les réformes ont été décidées « en haut » et le chef de l’État a cru pouvoir les appliquer d’en haut. C’est à un renversement complet de tendances qu’appelle la société, qui déjà multiplie les instances au travers desquelles elle pourra présenter ses propres candidats aux élections locales du printemps 1990, instances qui lui permettent déjà de faire constater l’inutilité de l’ensemble de la structure syndicale. Pouvoir politique et pouvoir réel Faut-il s’étonner que la classe politique soviétique soit plus que jamais divisée sur la voie à suivre ? Dès juillet, lors d’une rencontre avec le Comité central, Egor Ligatchev annonce que le Politburo doit convoquer un Congrès des députés des travailleurs, suggérant par là qu’au downloadModeText.vue.download 236 sur 509 POLITIQUE 235 Congres des députés du peuple, trop fourni en intellectuels réformateurs, il faut opposer une vraie représentation de la classe ouvrière, un contre-congrès. En octobre, le même Ligatchev, dans une interview publiée par Argumenty i Fakty, déclare que « la classe ouvrière et la paysannerie sont offensées de n’être pas représentées dans le Congrès des députés du peuple en fonction de leur place dans la société ». Et c’est ainsi que se développe peu à peu une attaque générale contre la politique de réforme, présentée comme une invention abstraite d’intellectuels ignorant tout des vraies aspirations des travailleurs. Maghreb Machrek L’année 1989 s’est ouverte sous le signe de l’unité. Poussée par les contraintes économiques, la communauté arabe semble avoir retrouvé sa cohésion en créant deux nouvelles ententes régionales. Le 16 février, à Bagdad, le Conseil de coopération arabe (CCA) a réuni, dans la perspective d’une coopération économique, l’Égypte, la Jordanie, le Yémen du Nord et l’Irak. Le 17 février, à Marrakech, les chefs d’État de l’Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Mauritanie et de la Tunisie ont proclamé la naissance de l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui prévoit l’intégration des économies des cinq pays maghrébins. Par ailleurs, au sommet arabe de Casablanca (23-26 mai), l’unanimité s’est faite autour de la réintégration de l’Égypte au sein de la Ligue arabe. La concrétisation des aspirations unitaires arabes est le fruit de la multitude d’événements positifs qui se sont déroulés depuis un an, tant en Afrique du Nord qu’au MoyenOrient. L’Algérie, quelques mois après les émeutes d’octobre 1988, est entrée dans une ère nouvelle placée sous le signe de la démocratisation. La Constitution adoptée par référendum a mis fin au pouvoir hégémonique du FLN et de l’armée (23 février) et garanti les libertés fondamentales ; les lois sur le multipartisme et le nouveau code électoral ont été votés (2 et 19 juillet). Un nouveau pas vers le règlement du conflit au Sahara occidental a été franchi avec les premiers contacts directs entre le roi Hassan II du Maroc et les dirigeants du Front Polisario (3 janvier). Enfin, le colonel Kadhafi, qui a célébré ses vingt ans de pouvoir (1er septembre), a adopté une attitude plus modérée : amorce de règlement du contentieux avec les États-Unis malgré les deux Mig abattus par l’aviation américaine en Méditerranée (4 janvier), signature à Alger d’un accord pour régler le différend territorial avec le Tchad sur Aouzou (30 août) et réconciliation avec l’Égypte (16 octobre). Au Machrek, des foyers de tensions demeurent. La Jordanie a connu de graves émeutes provoquées par les mesures d’austérité imposées par le FMI pour redresser l’économie (18-22 avril). L’explosion de deux bombes près de la Grande Mosquée de La Mecque a une nouvelle fois ensanglanté le pèlerinage (10 juillet). Le conflit libanais s’éternise ; l’accord de Taëf (22 octobre) et l’élection d’un président de la République éphémère (5 novembre) ont constitué une tentative pour rétablir la souveraineté nationale du Liban. En Iran, le 10e anniversaire de la Révolution islamique a été célébré dans un contexte de luttes intestines, de répression et de ruine économique (1er février). Ce climat morose a justifié la nouvelle guerre sainte lancée contre Salman Rushdie et l’Occident (février). La mort de l’imam Khomeyni (3 juin) a ouvert une nouvelle phase dans la vie polidownloadModeText.vue.download 237 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 236 tique. Ali Khamenei a accédé à la charge de guide suprême (4 juin), tandis que Hachemi Rafsandjani, élu président de la République le 28 juillet, est devenu le nouvel homme fort du régime en vertu de la réforme de la Constitution (28 juillet). Afin de briser un isolement diplomatique incompatible avec sa reconstruction économique, l’Iran a esquissé des ouvertures en direction des pays occidentaux et du Golfe. Yasser Arafat, nommé président de l’« État palestinien » (29 mars), a lancé une vaste offensive diplomatique pour établir des pourparlers avec Israël, dont il a réaffirmé le droit à l’existence lors de sa visite à Paris (2 mai). Les appels à la négociation ont été repoussés par le Likoud, parti majoritaire israélien, qui a proposé un plan d’élections dans les territoires occupés (6 avril), où les Palestiniens poursuivent leur mouvement d’intifada. Cependant, un dialogue indirect s’est instauré. Ces initiatives ont reçu l’appui de la diplomatie internationale, qui a multiplié les contacts officiels avec l’OLP, et de tous les États arabes qui, pour la première fois, ont reconnu l’existence d’Israël au sommet de Casablanca. Marie-Odile Schaller Confronté à cette grogne conservatrice, Gorbatchev use une fois encore de l’arme de la purge. Le plénum, ouvert le 20 septembre, élimine cinq personnes du sommet de l’appareil, c’est-à-dire du Politburo : Tchebrikov, chassé tout à la fois du Politburo et du Secrétariat, Chtcherbitsky, qui, la semaine suivante, est également évincé du poste de Premier secrétaire de la république d’Ukraine, Viktor Nikonov, éliminé aussi du Secrétariat où il partageait la responsabilité de l’agriculture avec Ligatchev ; et deux suppléants au Politburo : Youri Soloviev, battu aux élections de Leningrad, et le vice-Premier ministre Talysine. Si l’on ajoute que Gorbatchev élimine en décembre les chefs du Parti de Moscou et de Leningrad, on ne peut que constater sa puissance au sein du Parti. Il est désormais le plus ancien au Politburo et au Secrétariat, où presque tous ses collègues ont été nommés par lui après le 11 mars 1985. À le constater, on ne peut qu’être impressionné par l’écart existant entre sa capacité à manipuler le Parti et à recomposer indéfiniment ses organes dirigeants, et son incapacité à imposer sa volonté à la société. Dans ce déséquilibre entre pouvoir politique et pouvoir réel, Gorbatchev tente désespérément de s’appuyer sur des forces alternatives qui lui permettraient de retrouver le contact d’une société figée dans ses déceptions. Le spectaculaire rapprochement avec l’Église orthodoxe, effectué lors de la célébration de son millénaire en 1988, s’étend à d’autres religions, notamment au catholicisme. La visite de Gorbatchev à Jean-Paul II, le 1er décembre, éclaire cette politique religieuse et ses difficultés. En se rendant au Vatican, il espère tout à la fois obtenir la reconnaissance pontificale de son image réformatrice et, avec l’aide d’un pape conscient des périls d’une trop rapide montée des aspirations populaires, calmer les nationalismes, là où ils s’entremêlent au religieux catholique, en Lituanie, et surtout en Ukraine. Les manifestations de masse de Lvov ont montré qu’en Ukraine aussi les tensions nationales pouvaient déboucher sur l’explosion. Pourtant, pour ouverte qu’ait été la rencontre du 1er décembre, Gorbatchev n’a pu donner au pape les apaisements nécessaires sur le problème uniate. Il est freiné par la pression de downloadModeText.vue.download 238 sur 509 POLITIQUE 237 l’Église orthodoxe de Russie dont le soutien moral et social au pouvoir et la place qu’elle occupe dans le nationalisme russe montant imposent qu’on la ménage. Gorbatchev est aussi gêné par un Parti qui reste résolument attaché à son monopole idéologique, et qui ne peut accepter la reconnaissance des religions comme système de valeurs alter- natif. Cela explique que les concessions aux Églises – plus de 3 000 lieux de culte rouverts – ne soient que partielles (la loi sur la liberté de conscience, décisive pour les nouveaux rapports État-Église, n’est toujours pas votée), et aussi que le responsable des affaires religieuses au Conseil des ministres – C. Khartchev –, très libéral en la matière, ait été démis au printemps. La loi sur la liberté de conscience n’est pas la seule victime des oscillations du pouvoir entre réforme politique et prudence. Il en va de même de la loi sur la presse, toujours annoncée et toujours repoussée. Ces délais exaspèrent les intellectuels favorables à Gorbatchev, et lui aliènent progressivement leur soutien. Symbole de cette évolution de l’intelligentsia s’éloignant d’un Gorbatchev déjà privé de la confiance populaire, la critique croissante de Sakharov qui, jusqu’à l’heure de sa disparition le 15 décembre, a multiplié les mises en garde. L’attitude de l’intelligentsia peut être résumée par un propos de Youri Afanassiev : « Gorbatchev doit choisir entre la perestroïka et la nomenklatura. » Choix d’autant plus malaisé que la base de légitimité du système ne cesse de se réduire. Deux points d’ancrage ont subsisté jusqu’au début de l’hiver 1989 : la référence à Lénine et le succès international du communisme que traduisait l’existence de l’alliance dans l’Est de l’Europe. De Varsovie à Bucarest Lénine, pourtant, est de plus en plus souvent mis en cause par une presse que la glasnost a libérée de tous les tabous. La publication du récit officiel de l’assassinat de la famille impériale a révélé à une société horrifiée la cruauté jusqu’alors dissimulée des débuts de la révolution. La parution dans la revue Novy Mir de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne a précipité la prise de conscience du lien existant entre le stalinisme et la politique répressive de Lénine. Depuis lors, l’image encore préservée de Lénine a cessé d’être innocente de tous les maux du système et la révision s’est engagée sur deux points fondamentaux : la révolution d’octobre n’aurait-elle pas brisé les chances démocratiques ouvertes par celle de février ? Le stalinisme ne serait-il pas une pure et simple continuation du système mis en place par Lénine ? Faut-il alors s’étonner qu’en novembre, les manifestants aient commencé à s’attaquer aux statues ou aux effigies du Père de la révolution ? Autour du mausolée qui a fermé ses portes au même moment pour une opération de contrôle, plane déjà le doute : et si, comme ce fut le cas jadis pour Staline, cette fermeture momentanée préludait à une fermeture définitive ? La dernière référence stable du régime soviétique s’effrite ainsi peu à peu. Mais l’ébranlement s’est surtout accéléré depuis le 9 novembre avec la disparition du système léniniste dans la majeure partie de l’Est européen. Certes, tout annonçait une telle évolution dès lors que la downloadModeText.vue.download 239 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 238 Hongrie, depuis la loi électorale de 1983, s’orientait vers des élections libres et qu’en Pologne, événement majeur de l’année, au terme d’élections qui virent la défaite du POUP, était formé le premier gouvernement de coalition à direction non communiste depuis 45 ans. Depuis la constitution du bloc des Satellites au lendemain de la guerre, le monde avait accepté l’idée de l’irréversibilité des régimes communistes et considérait que toute tentative pour en sortir provoquerait instantanément une intervention militaire de l’URSS ou du Pacte de Varsovie. La formation du gouvernement de Tadeusz Mazowiecki est donc révolutionnaire à plus d’un titre. Elle découle du constat que le Parti communiste n’a pas d’emprise sur la société, qui l’a clairement indiqué au cours des élections. Au rejet du Parti, s’ajoute le choix même de Mazowiecki, a priori peu acceptable pour les communistes. Opposant de vieille date, il avait été persécuté par le PC et avait contribué à miner son autorité. Proche de Solidarité, Mazowiecki est de surcroît un catholique et un pro-occidental convaincu, c’est-àdire qu’il incarne un renversement total de la politique imposée à la Pologne depuis 1945. Cela n’a pas empêché les dirigeants soviétiques de l’accueillir en URSS le 23 novembre comme un véritable allié, en dépit du rappel par Mazowiecki du désaccord persistant entre les deux pays sur la tragédie de Katyn et de la demande qu’il a présentée à l’URSS de reconnaître officiellement sa responsabilité. Le communiqué commun du 27 novembre qui concluait la visite du Premier ministre polonais en URSS posa clairement le droit de chaque pays à suivre sa voie. Au tournant radical de la politique polonaise accepté explicitement par Moscou, correspond un tournant non moins spectaculaire en Hongrie. Si de longue date ce pays annonçait un processus de démocratisation, deux orientations se seront dessinées de manière décisive cette année : la rupture avec le système politique interne par la reconnaissance du multipartisme et la préparation d’élections présidentielles totalement libres. Le PC hongrois, débaptisé, n’est plus qu’une composante minoritaire du paysage politique. En même temps, la Hongrie sort du camp socialiste ou de ce qu’il en reste. Elle a entamé cette sortie en démantelant le rideau de fer qui la séparait de l’Autriche, et en participant de manière croissante à la mise en place d’un groupe économique du Centre-Sud de l’Europe avec l’Italie, l’Autriche, la Yougoslavie et peut-être la Suisse. Enfin, elle a annoncé son intention de demander le retrait des troupes soviétiques de son territoire. Une vague de fond Ainsi, en quelques semaines, à Varsovie, Budapest et Bucarest, deux tabous remontant à 1945 ont été brisés, et la possibilité de sortir à la fois du système léniniste et du système d’alliance est-européen constatée. Jusqu’au 9 novembre, le bloc des États socialistes d’Europe semblait divisé en deux groupes étanches. D’une part, les réformateurs, conduits par l’URSS ; de l’autre, les conservateurs rassemblant la RDA, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Roumanie. Les manifestations de Leipzig, puis de Berlin, qu’après une première tentative de répression le pouvoir de Honecker a laissées se dévedownloadModeText.vue.download 240 sur 509 POLITIQUE 239 lopper, ont conduit le 9 novembre à la destruction symbolique du mur de Ber- lin, à l’instauration de la liberté de passage entre les deux parties de la ville et, par-delà, entre les deux Allemagnes, et surtout à l’effondrement en quelques jours de toutes les structures du Parti et de l’État est-allemand. Aux évolutions progressives et contrôlées de la Pologne, a succédé une vague de fond d’indignation populaire qui en moins d’un mois a emporté le communisme en RDA et en Tchécoslovaquie, où Husak a dû céder la place à une équipe contestée dont la position repose sur la volonté du Forum civique de ne rien précipiter jusqu’aux élections. Les figures marquantes de ce nouveau printemps de Prague sont l’éternel opposant Vaclav Havel, et Alexandre Dubcek. La Bulgarie, elle-même, a été poussée dans la voie du changement par la double pression des événements allemands et tchèques et de Gorbatchev. L’indéracinable chef du Parti, Todor Jivkov, a dû lui aussi s’effacer. En Roumanie enfin, la dictature de Ceausescu, bastion du stalinisme intégral, a fini par s’effondrer dans le sang. Partout, après l’arrivée de nouvelles équipes, deux décisions sont prises qui annoncent que l’on est encore dans une phase intermédiaire. Le rôle dirigeant du Parti, clé de voûte du système vaincu, est abandonné, et la promesse est faite de prochaines élections libres qui doivent permettre de renouveler les dirigeants. Exception faite de la Bulgarie, où l’éviction de Jivkov a été menée par le Parti, ce qui caractérise ces changements successifs est tout à la fois le rôle décisif des masses et de l’opposition et le caractère contrôlé de ce qui est partout une vraie révolution. Cependant, conscientes de leur pouvoir, les masses découvrent peu à peu la corruption de ceux qu’elles ont évincés, et une véritable « chasse aux communistes » commence à se mettre en place qui pourrait même menacer à terme les équilibres réalisés. Ces révolutions mettent aussi en cause la présence des troupes soviétiques installées en RDA depuis 1945, et en Tchécoslovaquie depuis 1968. Partout, la revendication de leur départ est exprimée. De ces changements découlent deux conséquences auxquelles s’ajoute l’inconnu qui plane sur l’avenir allemand. Tout d’abord l’URSS. Moteur du changement politique il y a encore peu de temps, elle se trouve soudain en retrait par rapport aux États qui ont abandonné le rôle dirigeant du Parti et s’engagent dans la voie de la liberté électorale. En n’acceptant pas encore de priver le Parti de son rôle dirigeant, en insistant sur le principe du Parti unique, Gorbatchev renonce par là même à la totale liberté du jeu électoral. Incarnation du changement politique, peutil s’accommoder d’être soudain rejeté à l’arrière du processus ? De plus, la vague destructrice du système qui a submergé l’Est européen est bien près de revenir vers l’URSS. Deuxième conséquence : le système d’alliance de ce monde qui fut communiste doit être repensé. Fondée sur des traités bilatéraux entre pays appartenant à un même système – le Pacte de Varsovie et le Comecon –, cette coalition a perdu tous ses fondements. Les traités sont remis en cause : le Pacte de Varsovie peut-il subsister dans sa forme ancienne dès lors que les pays de l’Est européen revendiquent une indépendance totale, downloadModeText.vue.download 241 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 240 notamment militaire, et que les progrès du désarmement conduisent à réviser le poids et la fonction des ententes en général ? Enfin, le Comecon, structure de coopération économique, a peu de sens dès lors que c’est de l’Occident capitaliste et d’abord de la CEE que chaque pays du Comecon attend une aide et des projets de coopération. Certes, la stabilité internationale impose – Gorbatchev et Bush en ont convenu à Malte – que les alliances ne soient pas supprimées d’un coup, et que les modes de relation existant en Europe soient pour un temps maintenus. Mais les volontés populaires qui ont balayé l’ordre existant depuis 1945 dans l’Est européen sont-elles soumises au discours raisonnable des chefs d’État ? Elles ont en tout cas clairement posé que l’ère ouverte en 1917, et qui caractérisait le siècle, a pris fin. Avec une décennie d’avance, c’est le XXIe siècle qui commence à Varsovie, à Budapest, à Berlin, à Prague et à Bucarest. HÉLÈNE CARRÈRE D’ENCAUSSE Docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, historienne et politologue, Hélène Carrère d’Encausse figure parmi les meilleurs experts occidentaux de l’Union soviétique. Souvent consultée à chaud par la télévision et par la presse, elle publie aussi régulièrement des ouvrages de réflexion et d’information sur l’URSS, entre autres, à la Librairie Flammarion : l’Empire éclaté (1979) ; le Pouvoir confisqué (1980) ; le Grand Procès (1983) ; le Grand Défi (1986) ; Ni paix ni guerre (1986) ; le Malheur russe (1988). downloadModeText.vue.download 242 sur 509 POLITIQUE 241 Chine : le printemps différé D’un côté, des élites urbaines qui ressentent un profond malaise social. De l’autre, un pouvoir divisé. Au centre, la place Tiananmen où l’on goûte à la liberté. Et puis l’armée, les violences, les exécutions. À quand le prochain printemps ? Quand s’est ouverte cette année 1989, au cours de laquelle devait être célébré le quarantième anniversaire de la République populaire de Chine, qui aurait pu penser que, quelques mois plus tard, Pékin serait à feu et à sang et que le régime communiste serait contraint de faire intervenir l’armée contre la population après avoir traversé l’une des crises les plus graves de son histoire ? La Chine, en dépit de ces remous cycliques dont elle est coutumière, poursuivait son expérience originale de réforme économique et d’ouverture vers le monde extérieur amorcée dix ans auparavant par Deng Xiaoping. Dans ces domaines, elle demeurait à l’avant-garde des pays communistes, même si certains de ces derniers accéléraient le train des réformes. Toutefois, au contraire de l’URSS et de plusieurs autres pays d’Europe de l’Est, la Chine demeurait rétive à toute libéralisation politique. Libéral en économie, Deng Xiaoping ne l’avait jamais été en politique ; il était prêt, avait-il dit, « à faire couler le sang si nécessaire » pour maintenir « la stabilité et l’unité », c’est-à-dire l’ordre et la pérennité du régime communiste. Mais il aura fallu qu’il réprime violemment les manifestations nationalistes au Tibet, où la loi martiale fut proclamée le 7 mars, et qu’il lance les chars sur la place Tiananmen – devant les caméras de télévision du monde entier – pour que l’opinion internationale s’en rende vraiment compte. Le poids des conservateurs L’année 1988 s’était plutôt mal terminée pour les réformistes. Zhao Żiyang, secrétaire général du PCC, leur porteparole depuis le limogeage de Hu Yaobang au début de 1987, avait perdu successivement l’oreille du « numéro un » et toute responsabilité dans le domaine économique. Jusque-là considéré comme l’architecte des réformes et comme le meilleur économiste du pays, il se voyait supplanté par le tandem conservateur composé du Premier ministre Li Peng et de son adjoint Yao Yilin, soutenus par la vieille garde des vétérans du parti qui avaient toujours freiné les réformes. Certes celles-ci demeuraient à l’ordre du jour ; mais, sous couvert de les « approfondir » et de lutter contre la surchauffe, indéniable, de l’économie, un plan d’austérité de deux ans avait été mis en place. Le rythme de modernisation s’était ralenti ; en resserrant fortement le crédit et en downloadModeText.vue.download 243 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 242 renforçant les contrôles, le gouvernement avait mis en danger des millions de petites entreprises. Des dizaines de millions de nouveaux chômeurs à la recherche d’un emploi s’étaient précipités dans les grandes villes au début de l’année. En même temps, l’équilibre politique, qui, depuis le début de la décennie, penchait en faveur des réformistes, avait basculé du côté des conservateurs. Un profond malaise social En ce début de 1989, les succès considérables d’une décennie de changements économiques profonds sont donc occultés par les dérapages d’une crise de croissance et l’échec de la politique de contrôle des naissances : les Chinois sont un milliard et cent millions. Aux rivalités poli- tiques se superpose un profond malaise social. La population, les intellectuels et les étudiants supportent de plus en plus mal la reprise d’une forte inflation et son corollaire, la hausse des prix. S’y ajoute la corruption des cadres du régime, qui pratiquent ouvertement le népotisme. Même les hauts dirigeants, pourtant prolixes en discours enflammés contre ces fléaux, sont soupçonnés de pratiquer ou de tolérer la corruption. L’astrophysicien dissident Fang Lizhi parle ouvertement de comptes en banque à l’étranger et l’on cite même des noms ; le propre fils de Deng Xiaoping, Deng Pufang, a été contraint en janvier de se justifier au cours d’une conférence de presse après que la société qu’il a fondée eut été suspendue. Les manifestations à caractère raciste contre les étudiants africains de la fin décembre 1988 et du début janvier 1989, commencées à Nankin avant de s’étendre à d’autres campus, traduisent l’extension du malaise aux universités, où les conditions de vie et d’études sont de plus en plus déplorables. Quelques jours plus tard, la contestation apparaît chez les intellectuels avec le manifeste rédigé par Fang Lizhi : dans une lettre ouverte à Deng Xiaoping, il réclame la liberté pour tous les dissidents. Le 23 février, une centaine d’intellectuels apposent leur signature au bas d’une pétition demandant la libération des prisonniers politiques, catégorie qui – officiellement – n’existe plus en Chine depuis la révolution culturelle. Le mois suivant, l’organisation indépendante « Amnistie 89 » est fondée à Pékin. La réaction de Deng Xiaoping est très ferme : il n’y a aucun détenu politique en Chine et il ne saurait être question d’une quelconque mesure de grâce envers les dissidents. Deux décès intempestifs Confronté à cette fronde inattendue, le régime vient en même temps de perdre son principal allié au Tibet avec la mort, le 30 janvier, du panchen-lama, second personnage religieux du « Toit du monde », traditionnellement prochinois. Poussé par ses partisans qui manifestent dans les rues de Lhassa, le dalaï-lama, exilé, reprend alors l’initiative diplomatique. La persistance du drame tibétain trente ans après la fuite en Inde de son chef spirituel ne joue pas en faveur du gouvernement de Pékin, accusé – déjà – de violations des droits de l’homme. Mais le pouvoir est surtout préoccupé par les luttes de sérail toujours plus vives, de même que par la préparation de la downloadModeText.vue.download 244 sur 509 POLITIQUE 243 visite de Mikhaïl Gorbatchev. Le premier voyage depuis trente ans d’un haut responsable soviétique doit marquer la normalisation des relations sino-soviétiques. Deng Xiaoping considère même cette visite, prévue à la mi-mai, comme le couronnement de sa carrière de successeur de Mao Zedong. C’est dans ce contexte que l’on apprend, le 15 avril, la mort de Hu Yaobang. L’ancien secrétaire général du PCC, limogé deux ans auparavant au lendemain des premières manifestations étudiantes, est décédé d’une crise cardiaque. Sa disparition sert de détonateur à la crise. Pendant que les autorités préparent ses funérailles, les étudiants descendent sur la place Tiananmen pour célébrer ce petit homme qui personnifie désormais à leurs yeux la modernisation de la Chine. Malgré l’interdiction de manifester, gerbes et banderoles s’accumulent en son honneur autour de la Stèle aux héros. Pour la première fois, le pouvoir perd le contrôle de la rue, où le mécontentement s’étend à une fraction de la population, qui n’hésite pas à bousculer une police désarmée et parfois sympathisante. Préoccupés par ce désordre à quelques jours de l’anniversaire du mouvement nationaliste et étudiant du 4 mai 1919 et alors que l’on met la dernière main aux préparatifs de la visite « historique » de Mikhaïl Gorbatchev, Deng Xiaoping et les conservateurs mettent à profit l’absence de Zhao Ziyang, en visite en Corée du Nord, pour publier le 26 dans le Quotidien du peuple un violent éditorial dénonçant les désordres. Les étudiants le considèrent comme une provocation. Le détonateur Lorsque Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev arrivent à Pékin le 15 mai pour une visite « historique », la capitale chinoise est en plein chaos. Malgré les efforts des autorités, la foule occupe la rue, forçant à des modifications de protocole de dernière minute, et empêchant le rituel – revue des troupes place Tiananmen, visite de la Cité interdite – de se dérouler comme à l’ordinaire. En ne pouvant accueillir son hôte comme il l’aurait souhaité, avec le faste nécessaire à cette réconciliation, Deng Xiaoping perd la face et montre sa faiblesse. La visite, les conversations et les résultats de ces trois jours sont occultés par les événements qui se poursuivent dans la rue et qui traduisent l’embarras, au moins provisoire, de Deng Xiaoping. Longuement préparé, destiné à l’origine à tirer un trait sur un conflit engagé par Mao et Krouchtchev, ce voyage permet toutefois d’officialiser la normalisation entre les deux « Grands » du communisme. Mais il montre surtout le décalage qui existe entre une Union soviétique qui est en train de s’ouvrir et une Chine qui, après avoir été à l’origine des réformes économiques les plus profondes du monde communiste, se trouve maintenant dans l’incapacité de répondre aux aspirations de sa population urbaine. Il sert enfin de détonateur au dénouement violent de la crise : au lendemain du départ de Mikhaïl Gorbatchev, Deng Xiaoping décide de proclamer la loi martiale à Pékin et de « retrouver la face ». Le pouvoir reste silencieux Tandis que les manifestations s’étendent chaque jour dans les rues de la capitale dont le coeur – Tiananmen – est en permanence occupé par la foule, mais downloadModeText.vue.download 245 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 244 aussi dans certaines villes de province et en premier lieu à Shanghaï, la division du pouvoir apparaît au grand jour. Le 4 mai, à Pékin, lors de la réunion annuelle de la Banque asiatique de développement, Zhao Ziyang prononce un discours d’ouverture à l’égard des manifestants, en complète contradiction avec l’éditorial du Quotidien du 26 avril ; en même temps, il conseille aux médias de faire preuve de plus d’audace. La foule commémore donc à sa manière l’anniversaire du 4 mai, avec un succès plus grand que celui de la manifestation officielle. Dans les déclarations spontanées et le slogan mille fois répété de « Deng descend de ton trône ! » apparaît clairement le mécontentement de la population. Asie méridionale Aux Philippines, après l’annonce de la mort de l’ancien président Marcos le 28 septembre, l’état d’alerte a été décrété : opposée au rapatriement du corps de l’ancien dictateur, Mme Corazon Aquino craignait les manifestations de ses partisans. En Thaïlande, où l’économie est florissante, les fruits de la croissance (11 % en 1988) sont très inégalement répartis. Le royaume thaï vient de renforcer ses liens avec les États voisins. Il a poussé la junte militaire au pouvoir en Birmanie à libéraliser son régime, mais, un an après la sanglante répression de Rangoon, le pays subit toujours la loi martiale. Au sein du groupe des « quatre dragons », Taïwan a maintenant dépassé la Corée du Sud : en 1988, le revenu par habitant y était déjà supérieur de 2 000 dollars à celui de son voisin. En 1989, en raison des grèves, le taux de croissance de la Corée du Sud a diminué : pour la première fois depuis 1986, il devrait être inférieur à 10 %. À Hongkong, le produit intérieur brut a augmenté de 33 % en termes réels sur trois ans, mais la répression politique qui sévit en Chine a provoqué les premières fuites de cadres supérieurs, hors de la colonie britannique. Commencé le 29 juillet, le retrait des soldats indiens du Sri Lanka devrait s’achever avant le 31 décembre ; mais ce départ n’empêche pas la guérilla opposant le gouvernement du président Premadasa aux « Tigres » tamouls du nord de l’île de se poursuivre. Le 26 septembre, les dernières unités régulières vietnamiennes ont quitté le territoire khmer, mais cela n’a pas permis de régler pour autant le problème cambodgien. Depuis, la guerre continue, et les 300 000 réfugiés khmers, qui croupissent dans des camps proches de la frontière thaïlandaise, sont menacés d’un rapatriement forcé. Laurent Leblond Ce gigantesque happening reste sans véritable direction, même si quelques meneurs étudiants font leur apparition, comme le jeune ouïgour Wu’er Kaixi, Chai Ling, la passionaria, et surtout Wang Dan, et si quelques personnalités intellectuelles de renom y jouent un rôle non négligeable. Il s’y mêle aussi des badauds et des ouvriers, des journalistes, des fonctionnaires et des cadres du parti, des policiers et des ménagères, ainsi que des étudiants arrivés par trains entiers des quatre coins du pays. Certains d’entre eux entament une spectaculaire grève de la faim, mais le pouvoir reste silencieux derrière les murs de sa résidence de Zhongnanhai, downloadModeText.vue.download 246 sur 509 POLITIQUE 245 ce qui est finalement le phénomène le plus surprenant. La foule se tient calme, mais n’obéit pas aux objurgations des autorités. Le 18 mai, après le départ de Mikhaïl Gorbatchev, auquel le gouvernement chinois est affligé d’avoir donné un tel spectacle, Li Peng rencontre les étudiants grévistes de la faim et leur demande de mettre un terme à leur mouvement ; la télévision diffuse en direct les propos très vifs qu’il échange avec eux à cette occasion. En fait, le dialogue, qui avait été, à l’origine, la principale revendication des jeunes, ne parvient pas à s’établir. Le même jour, par trois voix contre deux abstentions et une contre, celle de Zhao Ziyang, le comité permanent du bureau politique du PCC, auquel s’est joint Deng Xiaoping, décide d’imposer la loi martiale. Après une dernière visite poignante aux étudiants de Tiananmen à l’aube du 19, Zhao disparaît de la scène politique. Le soir même, à la télévision, Li Peng proclame la loi martiale. La semaine de la déesse Une période étrange de deux se- maines commence alors à Pékin. Le pouvoir tente de convaincre les gens de rendownloadModeText.vue.download 247 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 246 trer chez eux et envoie en même temps la troupe – non armée – dégager la place Tiananmen, occupée jour et nuit par les étudiants et les grévistes de la faim. À chaque fois, les soldats sont noyés par la foule et doivent rentrer à la caserne. Les médias continuent de relater les événements. Les réformistes tentent d’ultimes manoeuvres tandis que, dans le silence, Deng Xiaoping et la vieille garde s’organisent. Des troupes sûres arrivent de tout le pays ; au début du mois de juin, elles réunissent 300 000 hommes environ. La tension monte ; chaque jour qui passe voit se répandre les rumeurs les plus folles, notamment sur la santé de Deng. Le pouvoir semble à la portée des manifestants qui, à plusieurs reprises, dépassent le million. Le 30 mai, sur la place Tiananmen, les étudiants érigent une statue de la « déesse de la démocratie » à l’image de la statue de la Liberté. La journée du 4 juin Dans la nuit du 2 au 3 juin, des milliers de soldats tentent une entrée en force dans Pékin avant d’être rapidement repoussés. À cette occasion, certains manifestants se saisissent même d’armes dans des véhicules militaires. L’affrontement paraît alors imminent. Pour réaffirmer leur autorité contestée et pour éviter que la désobéissance civile ne continue de s’étendre, les dirigeants conservateurs décident de lancer la troupe dans la capitale au petit matin du 4 juin. Bousculant sur leur passage les barricades érigées par la population, laissant derrière eux de nombreux morts et de nombreux blessés, les soldats, épaulés par les blindés, convergent vers la place Tiananmen. Les images diffusées par les télévisions étrangères montrent des cadavres à l’abandon, une colonne de chars incendiés par les manifestants et aussi un jeune homme se dressant seul, mains nues, devant les chars qu’il arrête. Arri- vés sur la place, que les étudiants sont en train d’évacuer, les soldats les poursuivent avec la plus grande brutalité. Combien y a-t-il de morts, de blessés, puis d’arrestations et d’exécutions ? Des milliers sans doute, bien qu’il soit impossible de dresser un bilan précis de la répression. Bientôt, les premières exécutions sont annoncées à Shanghai. Les contestataires se cachent ou tentent de passer à l’étranger : certains réussissent leur évasion, comme les intellectuels Yan Jiaqi et Chen Yizi ou l’étudiant Wu’er Kaixi. Fang Lizhi se réfugie à l’ambassade américaine. Les médias, épurés, changent de ton et diffusent à longueur de journée des images d’arrestations, de condamnations, des appels à la délation et des discours menaçants. L’image d’une Chine ouverte et réformiste a vécu et le régime se retrouve isolé par une condamnation internationale quasi unanime. Japon La maladie de la démocratie japonaise a été étalée au grand jour. Après la mort de l’empereur Hirohito (7 janvier) et l’accession au trône de son fils Akihito, le pays a changé trois fois de Premier ministre en moins de trois mois. Comme toujours, la personnalité choisie appartenait au parti libéral-démodownloadModeText.vue.download 248 sur 509 POLITIQUE 247 crate, formation au pouvoir depuis 1945 et émanation des zaibatsu, conglomérats industriels qui contrôlent en fait l’archipel. Le 25 avril, M. Noboru Takeshita, au pouvoir depuis novembre 1987, a présenté sa démission. Comme de nombreux hauts fonctionnaires, grands patrons, représentants de partis politiques, il était impliqué dans le scandale financier Recruit-Cosmos et sa popularité était au plus bas. Le 2 juin, M. Sosuke Uno, ancien ministre des Affaires étrangères de M. Takeshita, l’a remplacé à la tête du gouvernement ; mais pas pour longtemps. Dès le 4 juin, le nouveau Premier ministre était mis en cause pour son infidélité conjugale. Le 23 juillet, le parti libéral-démocrate a subi une cuisante défaite aux élections sénatoriales : pour la première fois depuis 1955, il ne dispose plus de la majorité absolue à la Chambre haute, où les socialistes ont gagné 15 sièges. Devenu Premier ministre le 9 août, M. Toshiki Kaifu devrait au moins le rester jusqu’aux élections du printemps 1990. L’activité économique a encore été remarquable. Si l’inflation (2,9 %) a progressé, la croissance a atteint 5,1 % et le chômage (2,2 % des actifs en juillet) a diminué. En juillet, les excédents de la balance des paiements et du commerce extérieur ont atteint respectivement 5,3 et 7 milliards de dollars, ce qui représente une baisse de 18 et 19,8 % en un an. Mais la fermeture du pays aux produits étrangers et l’offensive économique japonaise aux États-Unis, dans la CEE et dans le Pacifique suscitent de plus en plus l’hostilité des gouvernements et des populations concernés. Laurent Leblond « Rien n’a changé » Le 9 juin, Deng Xiaoping, que la rumeur avait dit mort, fait sa réapparition en prononçant un violent réquisitoire contre les manifestants, qualifiés de « contre-révolutionnaires ». Mais, en même temps, le vieux dirigeant met en garde contre toute remise en cause des réformes économiques par les conservateurs qui voudraient profiter des événements pour revenir à une économie centralisée, planifiée et refermée sur elle-même. Pacifique En 1989, sur le pourtour du bassin du Pacifique, seule la Chine a été le théâtre d’événements spectaculaires, dont la conséquence devrait être un effacement diplomatique au moins relatif et momentané de cette grande puissance. Ailleurs, on a surtout assisté à des évolutions qui confirment les tendances déjà amorcées les années précédentes. Le Japon semble s’accommoder d’une vie politique cahotante qui ne remet nullement en cause son étonnant dynamisme. La diplomatie soviétique, pour sa part, entretient la percée consécutive au discours de Vladivos- tok de 1986, principalement, mais pas exclusivement, à l’égard du Japon. Le Viêt-nam fera peut-être les frais de cette volonté gorbatchévienne qui consiste à alléger, dans la zone du Pacifique comme ailleurs, le dispositif militaire de l’URSS. Ainsi, l’évacuation du Cambodge par les troupes vietnamiennes a certainement été approuvée, sinon imposée par Moscou. Le Cambodge lui-même devrait, par voie de conséquence, s’enfoncer un peu plus dans la guerre civile ; mais cet enjeu, mineur aux yeux des grandes puissances, ne constituerait-t-il pas l’abcès de fixation idéal ? downloadModeText.vue.download 249 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 248 Plus au sud, l’Australie assume de plus en plus activement ses responsabilités régionales. Grâce au voyage effectué par M. Michel Rocard au cours de l’été, la France a fait une rentrée diplomatique remarquée ; son action est considérée comme positive depuis que le référendum du 6 novembre 1988 en Nouvelle-Calédonie a laissé espérer une évolution lente vers une solution non violente, malgré des événements parfois tragiques. Les pays du Pacifique s’organisent entre eux et les Européens peuvent s’inquiéter pour leur présence dans la région s’ils sont exclus de cette organisation de coopération économique régionale, préconisée par le Premier ministre australien, que l’on nomme déjà l’OCDE du Pacifique. Jean-Pierre Gomane En effet, sont bientôt critiqués tour à tour le secteur privé, l’autonomie économique des entreprises et des régions – à l’encontre desquelles de strictes mesures de contrôle sont prises –, et la coopération avec les pays occidentaux ; sont en revanche encouragés la planification, les communes populaires et le développement de relations plus étroites avec les pays de l’Est. L’Ouest et Hongkong sont accusés d’avoir soutenu la « contre-révolution » et de donner asile aux dissidents, qui, en septembre, s’organisent à Paris en un « Front pour la démocratie en Chine ». La France et les États-Unis sont tout particulièrement visés et sont accusés de s’ingérer dans une « affaire intérieure chinoise ». « La Chine ne s’inclinera jamais devant les pressions extérieures », affirme Li Peng ; d’ailleurs, les dirigeants assurent que rien n’a changé après cette « simple opération de police », que tout continue comme avant et que les hommes d’affaires et les capitaux étrangers sont toujours les bienvenus. Toutefois, les régions rurales, restées calmes pendant les troubles, commencent à être touchées par la récession économique, et se plaignent que leurs récoltes soient payées en bons sans valeur. À reculons Réunie secrètement à Pékin le 24 juin, la direction du PCC, à laquelle se sont joints les vétérans, qui, en dépit de leur retraite officielle, continuent d’avoir voix prépondérante, démet Zhao Ziyang de toutes ses fonctions – chose inouïe en Chine, il avait refusé de faire son autocritique ! – et nomme à sa place un personnage falot, Jiang Zemin, secrétaire du parti pour Shanghai. Candidat de Deng Xiaoping contre les ultras, il devient ainsi le troisième successeur désigné du « numéro un » en moins de trois ans. Les conservateurs n’en renforcent pas moins leur emprise sur l’appareil. Le 9 novembre, lors de la réunion du plénum du Comité central, Deng démissionne au profit de Jiang Zemin et abandonne sa dernière position officielle, celle de président de la Commission militaire du parti, qui lui avait permis de contrôler l’armée pendant plus de dix ans. Le président Yang Shangkun, qui briguait ce poste, se contente de la première vice-présidence, tandis que son frère, le général Yang Baibing, l’un des principaux responsables du massacre de Pékin, en devient le secrétaire général. Alors que l’Europe de l’Est et l’Union soviétique poursuivent leur ouverture politique à un rythme accéléré, la Chine, qui avait pourtant donné l’exemple pendant presque toute la dédownloadModeText.vue.download 250 sur 509 POLITIQUE 249 cennie, semble marcher à reculons. Pour avoir négligé la libéralisation politique alors qu’elle avait entrepris les changements économiques les plus profonds et les mieux réussis des pays socialistes, la Chine se trouve dans une position de déséquilibre d’autant plus périlleuse qu’une population jeune, ouverte et dynamique s’est maintenant séparée de la vieille garde toujours pétrie de stalinisme. Un compromis La nouvelle équipe au pouvoir à Pékin représente un compromis entre les réformistes qui ont survécu au limogeage de Zhao Ziyang, technocrates dont le régime a besoin pour continuer de fonctionner et pour montrer qu’il n’a pas changé, et les tenants de la ligne dure favorables à un communisme à l’ancienne manière. Entre les deux groupes se dresse l’énigmatique figure de Qiao Shi, responsable de la sécurité, qui joue un jeu d’équilibre subtil. Le nouveau secrétaire général du PCC, Jiang Zemin, représente, comme le maire de Tianjin, Li Ruihuan, la nouvelle génération de technocrates plus modérés sur lesquels s’appuie Deng Xiaoping pour poursuivre ses réformes économiques et contrebalancer la puissance des conservateurs. Wan Li, président de l’Assemblée nationale populaire, est une autre figure « modérée » et réformiste. Face à ces personnalités se dressent les derniers camarades de combat de Deng, qui lui reprochent son audace réformiste. On a beaucoup parlé du Premier ministre Li Peng, fils adoptif de Zhou Enlai ; mais celuici, très impopulaire, est un personnage sans envergure manipulé par les anciens, dont il semble être l’héritier présomptif, et en particulier par l’économiste octogénaire Chen Yun ou par le vice-Premier ministre Yao Yilin. Parmi les autres membres du « parti des vieillards », on peut citer l’ancien président Li Xiannian, son successeur Yang Shangkun – devenu l’homme fort de l’armée, où il a placé plusieurs membres de sa famille – et le vice-président Wang Zhen, tous favorables à l’emploi de la manière forte. Enfin, l’armée est divisée entre ses vieux chefs, qui l’ont lancée contre la population, et une nouvelle génération d’officiers, sortis des universités, attirés par la modernisation économique. Mais, même si elle l’a fait parfois sous la contrainte – des officiers auraient été fusillés pour avoir refusé de faire tirer sur la foule –, la troupe n’en a pas moins obéi aux ordres. PATRICE DE BEER Patrice De Beer est journaliste au Monde. Il vient de publier : La Chine, le réveil du dragon (Centurion, 1989). downloadModeText.vue.download 251 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 250 Armes et désarmement L’année 1989 a été marquée par un retour en force des questions de défense sur la scène internationale. Armes chimiques, armements nucléaires et forces conventionnelles se sont partagé – plus que de coutume – la « une » des journaux. Une page de la course aux armements avait été tournée en décembre 1987 lors de la signature des accords de Washington : pour la première fois, la suppression d’armes nucléaires était envisagée (traité INF sur les missiles à portée intermédiaire). Depuis, sous la pression continue – et savamment médiatisée – de l’activisme soviétique, les propositions de désarmement se sont enchaînées à un rythme sans précédent, obligeant le nouveau président des États-Unis à sortir de sa réserve. Les armes chimiques L’« année stratégique 1989 » s’est ouverte sur une initiative des États-Unis reprise par la France. En janvier, François Mitterrand inaugurait la Conférence sur l’interdiction des armes chimiques. Réunissant 149 pays, elle se donnait pour objectif de renforcer le protocole de Genève de 1925, qui interdit l’emploi d’agents chimiques, mais ne prohibe ni leur production ni leur stockage. Si, à l’aune des résultats, la Conférence ne peut constituer un événement majeur, elle a pesé cependant d’un poids symbolique. Tout d’abord, elle a associé dans un même forum nombre de pays du tiers-monde, lesquels sont plus habitués à voir les problèmes de sécurité et de défense traités en leur absence par les grandes puissances. Ensuite, le sujet même de la Conférence constituait une innovation de taille. Il y a peu, la loi du silence semblait prévaloir en matière d’armes chimiques. Silence qui a surtout favorisé la prolifération de la « bombe du pauvre ». Il aura fallu attendre 1988 pour que les grandes puissances manifestent un quelconque désir de se priver d’un tel arsenal. Après s’être longtemps opposés à des inspections in situ à préavis très court, les Soviétiques avaient convié en octobre 1988 des experts de 45 pays à assister à la destruction d’un projectile chimique sur le site de Chikhany, à 700 km au sud-est de Moscou. En novembre de la même année, des spécialistes soviétiques étaient invités à visiter des installations de destruction d’armes chimiques à Tooele, dans l’Utah. Ce n’est qu’un mois après la Conférence de Paris que les Soviétiques reconnaissaient officiellement détenir des stocks d’armes chimiques. Cet intérêt soudain pour ces dernières s’inscrit de toute évidence dans le cadre du « réchauffement » des relations Est-Ouest. Il ne saurait cependant downloadModeText.vue.download 252 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 251 s’y réduire totalement, tant est grande l’inquiétude de voir les pays du tiersmonde utiliser ce type d’armes dans les régions traditionnellement, instables. Aujourd’hui, tout indique que Washington et Moscou sont prêts à jouer a priori la carte de la transparence pour pouvoir continuer à influer sur leurs alliés respectifs du tiers-monde. De fait, au cours de la Conférence de Paris, ces derniers sont apparus particulièrement unis – parfois alliés contre nature – dans la défense d’une arme qu’ils jugent propre à contenir les pressions du Nord. L’activisme soviétique La part faite aux armes chimiques n’a pas éclipsé pour autant les deux grands objectifs du désarmement : le nucléaire et le conventionnel. Face aux initiatives désormais habituelles de Mikhaïl Gorbatchev, l’opinion internationale a pu croire que toutes les innovations en matière de désarmement susceptibles de peser dans le jeu diplomatique des relations Est-Ouest venaient de Moscou. Les premiers mois de la présidence de George Bush ont en effet été marqués par une politique étrangère bien terne. Ce qui, outre-Atlantique, ne laissait pas d’inquiéter une opinion publique plus habituée aux avances spectaculaires de Ronald Reagan qu’au surplace de son nouveau président. Les surnoms de « pauvre George » ou de « concombre mou » hérités de cette période se passent de commentaires. La simple annonce d’un prochain discours du numéro un soviétique plongeait l’entourage du président américain dans la crainte de se trouver confronté à une nouvelle initiative en matière de désarmement, de politique étrangère, voire à la question des droits de l’homme... et dans l’incapacité d’y répondre. Bush reprend la balle au bond Le lundi 29 mai, jour du quarantième anniversaire de l’OTAN, George Bush faisait taire les sceptiques. La prise de position américaine, que le président a présentée comme la « plus audacieuse proposition occidentale de l’après-guerre en matière de contrôle des armements conventionnels » a fait l’effet d’un pavé dans la mare. L’offre de la Maison-Blanche tient en quatre points que « l’OTAN devrait négocier avec le pacte de Varsovie » dans le cadre des échanges sur la réduction des forces conventionnelles à Vienne (négociations CAFE) : 1. les plafonds pour les forces terrestres seraient fixés à 20 000 chars de chaque côté, 28 000 véhicules blindés de transports de troupes et entre 16 500 et 24 000 pièces d’artillerie (« l’équipement enlevé sera détruit ») ; 2. l’OTAN accepterait d’étendre le contrôle des armements conventionnels aux avions de combat non embarqués et aux hélicoptères basés dans la zone de l’Atlantique à l’Oural ; c’est-à-dire que 15 % de ces matériels seraient destinés à la casse ; 3. les États-Unis s’engageraient à réduire de 20 % leurs forces en Europe « permettant ainsi l’établissement d’un plafond pour les effectifs terrestres et aériens américains et soviétiques, stationnés hors de leur territoire national, de 275 000 chacun », ce qui équivaut à amputer de 325 000 hommes les effectifs soviétiques cantonnés en Europe de l’Est et signifie le retour de 30 000 GI’s à la maison ; downloadModeText.vue.download 253 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 252 4. enfin, George Bush proposait que l’OTAN et le pacte de Varsovie accélèrent leur calendrier en vue d’un accord sur les armements conventionnels (CAFE). L’URSS avait jusqu’alors proposé 1997 comme date butoir, le président américain souhaitait un accord dans les six mois à un an pour que les réductions soient réalisées en 1992 ou 1993. Lors de la troisième session des pourparlers sur la réduction des forces conventionnelles (Vienne, 7 septembre), l’Union soviétique faisait savoir qu’elle acceptait les délais très serrés formulés par l’OTAN. Cependant, les questions de définition des matériels posaient de réels problèmes. Le pacte de Varsovie et l’Alliance réussissaient à s’accorder sur les chars de combat et les véhicules blindés de transport de troupes. En revanche, les deux parties défendaient une approche toute personnelle quant à la définition des moyens aériens. Les troupes stationnées hors de leurs territoires nationaux posaient également quelques problèmes : alors que George Bush n’avait envisagé que la présence des troupes américaines sur le sol de la RFA, le représentant de l’URSS insistait sur la nécessité d’y inclure les forces françaises, belges, britanniques ou canadiennes déployées en Allemagne de l’Ouest. La logique de l’argument était telle que plusieurs diplomates occidentaux prévoyaient que l’OTAN serait amenée à céder sur ce terrain. Guerre des étoiles et armements stratégiques En signant le traité de Washington de décembre 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, l’URSS avait écarté un des nombreux obstacles à un accord sur les missiles à longue portée. Les négociations START (Strategic Arms Reduction Talks) portant sur une réduction de 50 % des armes offensives stratégiques se trouvaient cependant dans l’impasse dans la mesure où les Soviétiques subordonnaient toute avance en ce domaine au retrait de l’initiative de défense stratégique (IDS). Symbole reaganien par excellence, cette « guerre des étoiles » ne semblait pas devoir être abandonnée par les Américains. En septembre, Moscou levait l’obstacle. Et, pour se dégager de toute responsabilité en cas de blocage américain, la diplomatie soviétique acceptait de reconsidérer positivement plusieurs autres exigences formulées jusqu’alors par la MaisonBlanche : notamment le démantèlement du radar de Krasnoïarsk considéré par Washington comme contrevenant à l’accord sur les défenses antimissiles (traité ABM de 1972), la notification préalable de manoeuvres impliquant les bombardiers stratégiques et des mesures de vérification concernant les missiles stratégiques mobiles. Indiscutablement spectaculaires, ces propositions soviétiques s’expliquent par la nécessité de débloquer les START pour compenser les concessions liées aux accords CAFE. En effet, les mesures de vérification in situ prévues par les négociations CAFE ne sont applicables qu’à la seule partie européenne de l’URSS, mais non au territoire américain. En revanche, un accord START, et son cortège de vérifications induit, permettrait de rééquilibrer la situation. De plus, les Soviétiques savent pertinemment que l’IDS, dont le budget a été amputé par l’administradownloadModeText.vue.download 254 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 253 tion Bush, ne constitue plus une réelle menace. M. Gorbatchev a donc relancé la balle dans le camp américain. L’accélération sans précédent du processus de désarmement devrait déboucher sur une rencontre à Washington en 1990 entre les deux chefs d’État. PHILIPPE FAVERJON downloadModeText.vue.download 255 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 254 Le Liban entre Aoun et Hraoui D’un côté, le général chrétien Aoun, qui anime la résistance contre l’occupant syrien ; de l’autre, le président chrétien Hraoui, protégé par Damas ; au centre, un pays déchiré, des populations martyrisées et des otages exécutés. Au Liban, un homme aura dominé l’année 1989 : le général Michel Aoun. Par son courage et sa ferveur, par son intransigeance et son jusqu’au-boutisme aussi, qualités et défauts poussés à l’excès, le chef du cabinet militaire chrétien – l’un des deux gouvernements du pays depuis septembre 1988 – a été le personnage principal d’un nouvel acte de la tragédie libanaise, aux multiples épisodes : révolte contre l’occupant syrien, intervention humanitaire de la France, pendaison d’un otage américain, médiation de la Ligue arabe, réunion des députés en Arabie Saoudite, élection enfin de l’un des leurs, le chrétien René Moawad, comme nouveau président de la République libanaise. Le général Aoun lance un défi à Damas le 14 mars. Ce jour-là, il prononce un véritable réquisitoire contre « l’hégémonie et l’occupation syriennes ». Il appelle ses compatriotes à une « guerre de libération », exhortant les musulmans à déclencher une « révolte des pierres » de style palestinien pour se débarrasser des 35 000 soldats de Damas. On n’avait pas entendu pareille virulence antisyrienne depuis la mort, sept ans plus tôt, de Béchir Gemayel. Son audace de ton est un véritable affront au président Assad. La Syrie, qu’on ne défie pas impunément au Liban, réagit sans tarder. Elle dénonce le « pouvoir illégal » du général chrétien et, surtout, fait immédiatement donner ses canons. Le coup de force du général Aoun met fin à six mois d’accalmie relative pendant lesquels de féroces et sporadiques combats éclataient encore, mais à l’intérieur de chaque « camp » – comme à la mi-février – entre chiites ou entre maronites et sans trop frapper la population civile. Cette fois, le pays du Cèdre retourne à ses vieux démons. De violents duels d’artillerie embrasent Beyrouth, de part et d’autre de la « ligne verte » qui la divise. Ils marquent le début d’une nouvelle guerre qui fera en cinq mois et demi plus de 600 morts dans une capitale peu à peu vidée de ses habitants. Le Liban retrouve – et garde tout l’été – son visage des plus mauvais jours. Un affrontement inévitable Un visage qui, vu de l’étranger, est d’abord celui de Michel Aoun. Aussi carré de tempérament que de silhouette, le downloadModeText.vue.download 256 sur 509 POLITIQUE 255 général est, à 54 ans, le prototype du baroudeur prédestiné à la carrière militaire. Issu d’une modeste famille maronite de la banlieue sud de Beyrouth, il manifeste très vite son goût pour le métier des armes et son nationalisme ardent. Gravissant tous les échelons avec méthode et sérieux, perfectionnant sa formation par des stages en France et aux États-Unis, diplômé de l’École supérieure de guerre de Paris, il s’illustre, en 1983, contre une coalition syro-palestino-druze, à la première bataille de Souk-el-Gharb. Le 21 juin 1984, il prend la tête de l’armée libanaise, avec l’accord des musulmans. Pendant quatre ans, Michel Aoun maintient la fidélité de l’armée aux pouvoirs constitués. À l’approche de l’élection présidentielle manquée de septembre 1988, il « entre en politique » et, par une sorte de putsch légaliste, impose au président Aminé Gemayel sur le départ de le nommer « Premier ministre » chrétien face à son homologue musulman Sélim Hoss. Rétif au partage de l’autorité, il donne l’assaut, le 15 février 1989, à la puissante milice chrétienne des Forces libanaises, que commande Samir Geagea. Il la brise, sans la liquider, et lui arrache certains privilèges. Il croit alors pouvoir transposer sa victoire hors du réduit chrétien et cherche à fermer les ports illégaux de la zone musulmane. C’en est trop pour Damas et ses alliés. L’affrontement devient inévitable. Le feu syrien Face à la toute-puissance syrienne, Michel Aoun jouit de plusieurs atouts. Sa bonhomie et sa gouaille le rendent sympathique. Sa sincérité désarme, son patriotisme touche et convainc, son honnêteté est inhabituelle. C’est enfin un dirigeant qui dit tout haut ce que la majorité des Libanais pensent, y compris du côté musulman ! Les vérités toutes simples qu’il martèle à longueur de discours sur la nécessité de sauver l’indépendance et l’unité du Liban face à l’hégémonie syrienne expriment le bien-fondé de sa cause et entraînent l’adhésion silencieuse de beaucoup. Les Forces libanaises, oubliant que Michel Aoun les a humiliées, le soutiennent puisqu’il mène la politique qu’elles prônent de longue date. L’establishment chrétien, Mgr Nasrallah Sfeir – patriarche maronite – en tête, le suit, fût-ce parfois à contrecoeur. Pendant de longues semaines, les chrétiens libanais essuieront le feu syrien. Chaque jour, chaque nuit, le million de civils vivant en « pays chrétien » – un réduit de 800 km 2 – subit l’infernal pilonnage de l’artillerie de Damas, épaulée par des miliciens musulmans, notamment les combattants druzes qui obéissent à Walid Joumblatt. Dans Beyrouth, où il n’y a plus que deux heures d’électricité par jour, seule l’efficace protection des abris souterrains épargne aux habitants un bilan plus désastreux. La volonté syrienne de mettre à genoux les chrétiens de Beyrouth ne fait pas de doute ; mais, en quatorze ans de guerre, le Liban a connu tant de drames et suscité, hors de ses frontières, tant de commentaires, scandalisés ou apitoyés, et pas toujours sincères, qu’il semble avoir épuisé le capital de sympathie auquel son sort tragique lui donnait droit. Traditionnelle protectrice des chrétiens d’Orient, la France sera la première à s’indigner du sanglant face-à-face entre l’artillerie downloadModeText.vue.download 257 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 256 syrienne et l’armée du général Aoun. Afrique Ouvert le 24 juillet, le 25e sommet de l’OUA, depuis lors présidée par Hosni Moubarak, a élu Salim Ahmed Salim secrétaire général, grâce à un compromis sur- montant les divisions entre anglophones et francophones. L’OUA a rappelé que l’Afrique réclamait toujours, mais en vain, une conférence sur sa dette, estimée à 237 milliards de dollars. L’annulation, par la France, de celle de 35 pays pauvres (soit 16 milliards de F), annoncée lors du 3e sommet de la francophonie (Dakar, 24-26 mai), a été bien accueillie, mais les pays africains dits « à revenu intermédiaire » attendent un nouvel effort. Les politiques d’ajustement structurel ont été mises en cause. Pour la Banque mondiale, l’effort est probant : entre 1985 et 1987, les pays « ajustés » ont augmenté leur production agricole de 2,6 % l’an, leurs exportations de 4,6 % l’an, et, globalement, l’Afrique subsaharienne se porte mieux, avec 3 % de croissance en 1988 (Afrique du Sud exceptée). Pour les dirigeants africains, la pilule est plus amère : les investissements ont régressé, le service de la dette a été alourdi et la consommation des ménages a chuté. Les coûts sociaux de l’ajustement deviennent insupportables et des réformes économiques à visage humain sont préconisées. Le déblocage des négociations pour le renouvellement de la Convention de Lomé est survenu le 27 juillet. Mais les perspectives communautaires africaines demeurent incertaines, et le 12e sommet de la CEDEAO (Ouagadougou, 29-30 juin) n’a pu que constater l’enlisement. En Afrique australe, le climat est plutôt à l’ouverture. L’arrivée au pouvoir de Frederik De Klerk à Pretoria, après la démission de Pieter Botha, le 15 août, est plus qu’un changement d’homme. Le dialogue engagé avec la communauté noire, la suppression partielle de la ségrégation à Johannesbourg (26 septembre) et surtout la libération de sept dirigeants de l’ANC le 17 octobre, dont Walter Sisulu, bras droit de Nelson Mandela, constituent une brèche dans l’apartheid. Entre le 7 et le 11 novembre, la Namibie a élu son Assemblée constituante, qui doit lui permettre d’accéder à l’indépendance. Les négociations sur l’Angola s’intensifient grâce à de nombreuses médiations africaines, après l’accord de cessez-le-feu signé le 22 juin à Gbadolite (Zaïre). Des pourparlers de paix ont été engagés, le 7 août, au Kenya, entre le gouvernement mozambicain et la Renamo. La conciliation l’emporte aussi entre le Tchad et la Libye. Hissène Habré et le colonel Kadhafi sont parvenus à un accord, le 31 août, visant à régler pacifiquement la question de la bande d’Aouzou. En contrepoint tragique, les pillages et les tueries réciproques entre Sénégalais et Mauritaniens, fin avril-début mai, à Dakar comme à Nouakchott, ont abouti à la rupture des relations diplomatiques, le 21 août, entre les deux pays, dans un contexte de haine et d’exode de populations de part et d’autre de la vallée du fleuve Sénégal, dont l’aménagement avive les tensions. De violentes émeutes ont ensanglanté Mogadiscio, le 14 juillet, et la guerre civile, déjà étendue au nord de la Somalie, a gagné le sud du pays. Alors que les dirigeants éthiopiens lancent des appels à la mobilisation contre la rébellion du Tigré, les négociations avec les maquisards d’Érythrée échouent, et le séparatisme gagne le Sud-Est. L’Éthiopie s’enfonce dans la guerre, et le Soudan, gouverné depuis le 30 juin par une junte islamique, est toujours en proie aux divisions. Les polémiques sur les réseaux terroristes en Afrique ont été relancées après l’explosion en plein vol d’un DC 10 d’UTA au-dessus du Niger (19 septembre). Des chiffres downloadModeText.vue.download 258 sur 509 POLITIQUE 257 catastrophiques de progression du SIDA ont été évoqués (Marseille, 20 octobre), mais les écologistes retrouvent l’espoir après l’embargo sur l’ivoire des éléphants, décrété le 2 août par la CEE. Alain Dubresson Le 31 mars, dans une « libre opinion » publiée en première page du journal le Monde, François Léotard, à l’époque président du Parti républicain, qualifie d’« indigne » l’attitude de la France et exhorte le gouvernement à se montrer solidaire des chrétiens de Beyrouth. « Qu’as-tu fait de ton frère ? » lance-t-il en conclusion. L’article soulève des vagues dans la classe politique. Le 4 avril, le président Mitterrand en appelle à la « conscience universelle » en faveur du Liban où « une population tout entière risque d’être détruite dans la violence ». Le lendemain, le gouvernement « propose aux autorités libanaises une assistance humanitaire pour les populations victimes des affrontements ». Bernard Kouchner, secrétaire d’État à l’action humanitaire, est chargé d’« organiser une mission technique exploratoire ». Le 11 avril, il arrive à Beyrouth, où tout le monde ne l’accueille pas avec enthousiasme. La France envoie « la Rance » Les deux principaux alliés de Damas, le Druze Joumblatt et le chiite Nabih Berri ont d’ores et déjà rejeté l’aide de Paris et mis en garde contre toute entrée de navires français dans les ports libanais. La France s’efforce de calmer le jeu. M. Kouchner évoque la possibilité de renoncer à sa mission si « celle-ci devait être mal interprétée ». Pour la France, rappelle M. Mitterrand le 12 avril, « il n’y a pas lieu de choisir entre les victimes des affrontements » car « elle est l’amie des Libanais de toutes les confessions, de toutes les communautés ». Des cérémonies de prières oecuméniques ont lieu à Paris, où la communauté libanaise se mobilise. Sur place, la poursuite des combats et les désaccords entre prosyriens retardent l’action humanitaire, baptisée « opération Acanthe ». Elle ne commence que dans la nuit du 14 au 15 avril, et sous la menace des canons syriens. Douze grands blessés chrétiens sont évacués à bord du navire-hôpital la Rance, et, après d’ultimes tractations, une soixantaine de victimes musulmanes. Mission accomplie, la France déclare vouloir « poursuivre son action diplomatique, d’explication et de sensibilisation » pour mettre un terme à l’« engrenage » de la destruction au Liban. Le 18 avril, M. Mitterrand téléphone à plusieurs dirigeants étrangers, dont MM. Bush, Moubarak, Chadli et Mme Thatcher, ainsi qu’à M. Gorbatchev, auquel il demande d’intervenir auprès de la Syrie. Peine perdue, car les combats redoublent. Le 27 avril, la Ligue arabe, qui s’est saisie du dossier, proclame un cessez-le-feu « définitif » au Liban. Elle prévoit l’envoi sur le terrain de quelque 300 officiers arabes chargés de veiller à la trêve, mais dépourvus des moyens de la faire respecter. Pris au piège depuis six semaines, le réduit chrétien peut reprendre son souffle. Car le général Aoun a accepté le cessez-le-feu, qu’il salue comme « un pas timide dans la bonne direction ». La Syrie, elle, est satisfaite puisque le texte de la Ligue arabe passe pudiquement sous silence la présence de ses soldats au pays du Cèdre. downloadModeText.vue.download 259 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 258 Le 16 mai, l’explosion d’une voiture piégée à Beyrouth-Ouest fait 7 morts, dont le cheikh Hassan Khaled, mufti sunnite du Liban, et 75 blessés. Pour la première fois depuis 1975, le chef d’une communauté religieuse est assassiné. Les funérailles de cette personnalité respectée de tous donne lieu à une rare manifestation d’unanimité nationale. La Syrie met aussitôt en cause le général Aoun. Et le secteur chrétien, qui s’est associé au deuil, réplique en rappelant les nombreuses prises de position du mufti peu complaisantes pour Damas. downloadModeText.vue.download 260 sur 509 POLITIQUE 259 Tout le monde s’intéresse au Liban... Deux événements dominent l’été libanais : une nouvelle crise des otages et la résistance du général Aoun à une offensive militaire des forces druzes et syriennes. Dans la nuit du 27 au 28 juillet, un commando israélien héliporté enlève un dignitaire religieux du Hezbollah pro-iranien, cheikh Abdel Karim Obeid, et deux de ses adjoints, à Jibchit, un village du sud du Liban. Le nom du cheikh est lié à des affaires de rapt, notamment celui du lieutenant-colonel William Richard Higgins, un officier américain de l’ONUST (Organisation des Nations unies pour la surveillance de la trêve), kidnappé le 17 février 1988. Sans doute l’État juif escompte-til utiliser le responsable chiite comme monnaie d’échange avec le Hezbollah dans un processus permettant la libération de tous les otages au Liban. Ce pari dangereux ne tient pas compte du fanatisme des extrémistes chiites et de leur mépris de la vie humaine. La riposte des intégristes islamiques est aussi soudaine que sinistre. Le 31 juillet, le groupe nommé « les Opprimés de la Terre » annonce l’« exécution », par pendaison, du colonel Higgins. Cet assassinat de sang-froid, qui est authentifié par une vidéocassette déposée dans les bureaux d’un journal de Beyrouth, ne met pas fin au chantage contre Washington et Jérusalem. « L’Organisation de la justice révolutionnaire » (OJR) menace à son tour d’« exécuter » l’otage américain Joseph James Ciccipio, qu’elle détient depuis le 12 septembre 1986, si le dignitaire chiite n’est pas libéré dans les quelques heures. Entraîné malgré lui dans cette dramatique affaire, le président Bush affronte sa première crise grave depuis son arrivée au pouvoir. Il est placé devant un dilemme : d’un côté, il souhaite agir avec prudence pour ne pas compromettre davantage le sort des autres otages du Liban, dont huit Américains ; de l’autre, il sait que, si de nouveaux ressortissants américains devaient subir le même sort que le colonel Higgins, il pourrait être soumis à la pression d’une opinion publique révoltée par l’insoutenable spectacle de cadavres se balançant au bout d’une corde. C’est l’Iran qui permettra aux ÉtatsUnis de se sortir d’affaire. Après avoir obtenu un sursis des ravisseurs, Téhéran offre, le 4 août, son aide à Washington. L’épreuve de force se transforme, au soulagement de tous, en un grand marchandage diplomatique qui s’inscrit dans la longue négociation irano-américaine toujours en cours. Le pragmatique président iranien, M. Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, qui a fait pression sur les preneurs d’otages, sort renforcé de la crise. Cela n’empêche pas, sur le terrain, les chiites pro-iraniens de lancer une opération de représailles : elle a lieu le 9 août sous la forme d’un attentat au camionsuicide qui blesse gravement 5 soldats israéliens. Quelques jours plus tard, le feu se rallume entre l’armée syrienne et celle du général Aoun. Aux duels d’artillerie succède, le 13 août, la première offensive sur le terrain. La milice druze de M. Walid Joumblatt, aidée par les Palestiniens prosyriens et épaulée par les forces syriennes tente, à moins de 10 kilomètres de Beyrouth, de s’emparer du village en ruine de Souk-el-Gharb, verrou stratégique qui downloadModeText.vue.download 261 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 260 commande l’accès sud au coeur du « pays chrétien ». Mais le général tient bon et le verrou ne saute pas. Le 15 août, ce secteur retrouve un calme relatif. Amérique du Nord Canada La courte victoire qu’avait remportée le Parti conservateur de Brian Mulroney aux élections de novembre 1988 a mis celui-ci au pied du mur. Pour son second mandat, le Premier ministre était attendu sur deux fronts : l’accord de libre-échange économique avec les États-Unis et la réduction de la dette publique. L’accord a bien été ratifié, mais l’opinion canadienne, traditionnellement très protectionniste, est restée méfiante. Le second chantier porte sur l’énorme dette publique (51 % du PIB). Dès le mois d’avril, l’équipe de M. Mulroney a présenté un projet de budget plutôt sévère : abandon d’une politique de défense ambitieuse, « profil bas » quant à l’aide au tiers-monde et augmentation sensible de la pression fiscale. M. Mulroney doit aussi compter avec l’éternelle question québécoise. La « Belle Province », forte de ses succès économiques, s’arc-boute sur son identité linguistique et interdit à sa minorité anglophone tout usage de l’anglais dans ses relations commerciales. L’accord du Lac Meech, qui reconnaissait au Québec le droit d’être une « société distincte », est remis en cause par certaines provinces. C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu, le 25 septembre, les élections législatives au Québec. Les libéraux de M. Bourassa ont de nouveau gagné mais on a assisté à la renaissance du Parti québécois, qui, avec ses 40 % de suffrages, n’hésite plus à reparler de la « nécessaire indépendance ». États-Unis Au cours de sa première année de pouvoir, George Bush a enterré avec discrétion le fameux projet de « guerre des étoiles » et adopté, face à Mikhaïl Gorbatchev, une atti- tude dont le principe est celui du « donnantdonnant ». Au mois de décembre, l’entrevue de Malte a permis aux dirigeants des deux superpuissances de pouvoir enfin s’entretenir des bouleversements survenus en Europe centrale et ailleurs. Mais les problèmes les plus cruciaux semblent être nationaux : ce sont la violence, la drogue et la perte de compétitivité. La violence, c’est la drogue, dont les ÉtatsUnis sont les premiers consommateurs au monde, et dont le problème est international. Les autorités américaines ont donc donné leur plein appui au gouvernement colombien dans sa lutte contre les « narcos » du cartel de Medellin. En septembre, M. Bush a présenté un plan de lutte doté de plus de 8 milliards de dollars et, le 20 décembre, il a décidé de lancer l’opération « Juste Cause » au Panama pour s’emparer du général Noriega, homme fort du pays, soupçonné d’être le principal trafiquant de cette région du continent américain. La montée en puissance de l’économie japonaise inquiète chaque jour davantage les Américains. Le rachat de la Columbia par Sony, puis de l’immeuble Rockefeller à Manhattan par une société nippone a permis à Newsweek d’écrire que les Japonais avaient « acheté une partie de l’âme de l’Amérique ». Face à ce supposé « déclin de l’empire américain », le président Bush semble s’orienter vers un certain retour aux vieilles valeurs, comme l’amour du drapeau, la loi et l’ordre. Il a d’abord tenté de faire adopter un amendement constitutionnel interdisant la profanation du drapeau national. Le Congrès ne l’a downloadModeText.vue.download 262 sur 509 POLITIQUE 261 pas suivi. Par ailleurs, en présentant son plan de lutte contre le crime, le président avait préconisé le renforcement des condamnations et, notamment, de la peine de mort. Sur ce plan, il a été entendu, puisque la Cour suprême a estimé que rien ne s’opposait à l’exécution des mineurs de plus de 16 ans ou des retardés mentaux. Mais la grande affaire est la remise en cause de l’avortement. Pendant l’été, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité d’une loi du Missouri refusant l’accès des hôpitaux publics aux femmes désirant avorter. L’opinion libérale s’est mobilisé, mais le président Bush a maintenu une position ferme. Jules Chancel Le retrait américain La poursuite des bombardements mutuels, à Beyrouth même, conduit la France à revenir sur scène. Le 13 août, elle envoie cinq émissaires dans la plupart des capitales concernées par le conflit. Ses démarches ont pour objet d’obtenir un cessez-le-feu et d’inciter le comité tripartite de la Ligue arabe à reprendre ses efforts. Le 17 août, Paris appuie son action diplomatique par l’envoi au large du Liban de la frégate Duquesne et surtout du porte-avions Foch pour « apporter l’assistance qui pourrait se révéler nécessaire » au cas où s’imposerait le rapatriement d’une partie des 7 000 Français du Liban (dont 84 % ont la double nationalité). M. Rocard n’exclut pas d’« imposer le silence localisé et temporaire des canons, le temps des opérations humanitaires ». Cette seconde intervention française, qui mobilise au total huit bâtiments de la flotte, est violemment critiquée sur place, notamment côté musulman. L’OJR en profite pour proférer de nouvelles menaces contre les otages occidentaux. M. Mitterrand, dénonçant ses contempteurs, réaffirme le 23 août que la flotte accomplit une « mission de sauvegarde » et qu’« il n’appartient à aucun pays ni à aucun groupe de dicter à la France ce qu’elle doit faire ». Mais, en même temps, pour désamorcer les critiques, Paris décide à la fois d’alléger son dispositif naval en Méditerranée orientale et de relancer son action diplomatique. Le secrétaire général du Quai d’Orsay, M. François Scheer, se rend à Damas et à Beyrouth. L’URSS, elle aussi, rentre en scène au Liban. Déjà, lors de sa visite à Paris début juillet, Mikhaïl Gorbatchev avait réaffirmé avec M. Mitterrand les principes de souveraineté et d’indépendance du Liban. Fin août, un vice-ministre soviétique des Affaires étrangères, M. Guennadi Tarassov, se rend à Beyrouth, où il déclare qu’« il n’y a pas de solution militaire » au conflit libanais. Au moment où l’URSS arrive, les États-Unis se replient. Le 6 septembre, les diplomates américains encore en poste à Beyrouth-Est évacuent leur ambassade. Washington met ainsi à exécution sa menace de se désintéresser totalement du Liban en cas d’attaque trop violente contre sa politique. Entre les États-Unis, soucieux de ménager Damas, pièce maîtresse à leurs yeux de tout règlement israélo-arabe, et le général Aoun, les relations n’ont jamais été bonnes. En avril, le chef chrétien avait qualifié l’Amérique de « Ponce Pilate des temps modernes ». Des manifestants avaient participé à un premier sit-in devant l’ambassade. Cette fois, le général accuse Washington d’avoir « vendu le Liban à la Syrie » et ses partisans encerclent à nouveau la chancellerie. Saisissant ce prédownloadModeText.vue.download 263 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 262 texte, les États-Unis décident de mettre la clef sous la porte et d’abandonner à son sort un pays qui ne leur a guère porté chance. Amérique latine Entre la guerre de la drogue en Colombie et la révolte des pauvres au Venezuela, l’actualité politique, pourtant abondante, se trouve reléguée au second plan, derrière deux conflits qui semblent resurgir d’un autre âge. Depuis l’assassinat par la mafia de la drogue du sénateur Galan, candidat à l’élection présidentielle, la Colombie connaît un véritable état de guerre. Le président Virgilio Barco tente une difficile reconquête du pouvoir légal face aux trafiquants du « cartel de Medellin », qui règne en maître, par la corruption et la terreur, sur un empire de la cocaïne tissé, via la Floride, entre les centres de production du nord du pays et le marché de consommation des États-Unis. À la mobilisation de l’armée, au couvre-feu, aux milliers d’arrestations, aux extraditions, dont celle du présumé trésorier du cartel, les narcos répliquent par des bombes et par des meurtres qui visent tout particulièrement la presse et la justice. À court terme, l’aide des États-Unis et de la France, après la visite de soutien du président Mitterrand, évitera peut-être la défaite et l’octroi d’une amnistie. Mais il restera à régler le problème de fond d’un paysannat andin (cela concerne également la Bolivie et le Pérou) pour lequel la culture de la coca constitue le seul espoir de survie. La question de la drogue est donc en fait indissociable de la crise économique, entretenue par la spirale de la dette et de l’inflation (1 500 % au Brésil) : les émeutes de la misère à Caracas ont témoigné de l’exaspération des tensions urbaines, consécutives aux mesures d’austérité. Elles ont incité les États-Unis, à travers le plan Brady, à soulager l’Amérique latine d’une partie de son passif. Le Mexique a été le premier à bénéficier ainsi d’une réduction de 35 % sur les 54 milliards de dollars de sa dette privée. Il en résulte un allégement du service annuel de cette dernière supérieur à 2 milliards, qui vient conforter l’évolution favorable du pays à la fois sur le plan économique (recul du protectionnisme et de l’inflation) et politique (mise au pas de la mafia syndicale du pétrole, première reconnaissance d’une victoire de l’opposition dans sa lutte pour obtenir un poste de gouverneur). Il ne s’agit pas d’une exception. À l’inverse du marasme économique persistant, l’amélioration du climat politique tend à dominer le continent : les élections libres remplacent les coups d’État, la négociation l’emporte sur la guerre. Au Nicaragua, les accords de Tela entérinent la paix et promettent des élections démocratiques pour 1990. En Argentine, le vote en faveur du péroniste Carlos Menem suscite bien des questions, mais les mesures d’amnistie en faveur des militaires et le rétablissement de relations consulaires avec la Grande-Bretagne témoignent au moins d’une volonté d’action. Au Chili, malgré le maintien assuré du général Pinochet comme responsable militaire, les élections de décembre annoncent la fin du régime. Une évolution que le Paraguay vient de parachever, après 35 années d’attente, avec la chute de Stroessner et les premières élections libres depuis 61 ans... Au Panama, enfin, les États-Unis ont lancé en décembre une vaste opération militaire pour arrêter le général Noriega, permettant ainsi à M. Guillermo Endara, vainqueur de l’élection présidentielle du 7 mai, d’entrer en fonctions. Mais trois graves inconnues subsistent : au Pérou, laminé entre la déliquescence du pouvoir officiel et la violence de la guérilla downloadModeText.vue.download 264 sur 509 POLITIQUE 263 du « Sentier lumineux » ; au Brésil, où le successeur de Sarney devra faire face à l’échec de tous les plans économiques et à la montée de la violence ; et au Salvador, où le Front Farabundo Marti, lié aux sandinistes du Nicaragua et au régime cubain, a lancé, entre le 11 et le 22 novembre, une « Offensive nationale » meurtrière contre la capitale. Et un point noir demeure : Cuba, où le régime castriste fête le trentième anniversaire de la Révolution dans la grisaille économique et la sclérose politique, étranger à toute perestroïka. Alain Vanneph L’accord de Taëf Le monde arabe, lui, se réintéresse au Liban. Le triumvirat Maroc-Algérie-Arabie Saoudite, qui avait fait, début août, un premier tour de piste pour rien, reprend ses activités le 13 septembre. Quatre jours plus tard, il annonce un plan de règlement qui, sans contester la présence syrienne au Liban, prévoit la mise en place d’un « comité de sécurité » pour veiller au cessez-le-feu, la levée du blocus imposé au « pays chrétien » par Damas et la réouverture de l’aéroport de Beyrouth. Échéance plus ambitieuse : les députés libanais sont invités à débattre, à partir du 30 septembre, des réformes politiques exigées par les dirigeants musulmans alliés de Damas. Le général Aoun, qui n’a guère d’autre choix, accepte les propositions du triumvirat. À la date convenue, 62 députés libanais commencent à négocier à Taëf, en Arabie Saoudite. Leurs laborieuses tractations durent trois semaines. Le 22 octobre, l’accord de Taëf est scellé. Approuvé par les élus, le document d’« entente nationale » modifie dans un sens plus favorable aux musulmans – devenus majoritaires dans le pays – l’équilibre des pouvoirs entre les diverses communautés. Cependant, malgré l’insistance des députés chrétiens, le texte parrainé par les Arabes ne souffle mot d’un éventuel retrait de l’armée syrienne. Il se contente d’évoquer un « regroupement » des forces de Damas dans certaines régions du pays et cela deux ans seulement après la mise en oeuvre des réformes politiques. La réaction du général Aoun est immédiate. S’il ne conteste pas la nécessité d’un remodelage institutionnel, il rejette les chapitres du pacte relatifs à la souveraineté nationale – en clair, au stationnement des troupes syriennes. Il accuse les députés d’avoir « outrepassé leurs pouvoirs ». Dès lors, une nouvelle épreuve de force s’annonce. Mobilisant la population contre l’accord de Taëf, le général Aoun organise plusieurs manifestations de rue en sa faveur à Beyrouth-Est. Politiquement, le chef chrétien est pourtant isolé dans son propre camp. Pour tenter d’empêcher l’élection présidentielle, il dissout le Parlement le 4 novembre. Le lendemain, les députés, qui se sont réunis dans le mess des officiers de la base aérienne de Qlaiaat, dans le nord du pays et à proximité de la frontière syrienne, décident pourtant d’élire un nouveau président en la personne de M. René Moawad. Une semaine après son élection, M. René Moawad charge M. Sélim Hoss, chef du « gouvernement musulman » depuis septembre 1988, de former un cabinet d’union nationale. Ce projet se heurte toutefois à la volonté du général Aoun qui réaffirme « préférer la mort à la soumission ». Le 22 novembre, alors qu’il venait downloadModeText.vue.download 265 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 264 de célébrer le 46e anniversaire de l’indépendance du pays, M. René Moawad est victime d’un attentat commis à Beyrouth dans le secteur contrôlé par l’armée syrienne. Comme tant d’autres dans le pays, ce meurtre ne sera sans doute jamais éclairci. Soucieux d’éviter une trop longue vacance du pouvoir, les députés élisent, dès le 24, un nouveau président, M. Élias Hraoui. Considéré comme un fonceur, cet homme de 63 ans est un proche de la Syrie. Il annonce sa volonté de mater ce qu’il appelle la « rébellion » du général Aoun et, le 28 novembre, annonce qu’il lui a retiré le commandement de l’armée et qu’il a nommé à sa place un officier de 53 ans, le général Émile Lahoud. Des milliers de partisans du général Aoun se massent alors autour du palais présidentiel de Baabda. L’ampleur de ces manifestations de soutien embarrasse les dirigeants politiques. Le 6 décembre, M. Hraoui décide d’attendre encore avant d’engager l’épreuve de force fratricide. JEAN-PIERRE LANGELLIER Chef adjoint du service de politique étrangère du Monde, Jean-Pierre Langellier est chargé du Moyen-Orient. downloadModeText.vue.download 266 sur 509 265 SOCIÉTÉ Dans la société, comme en amour, la seule victoire possible serait-elle la fuite ? C’est ce que suggère la double échappée, dans le temps et dans l’espace, à laquelle on assiste aujourd’hui. La commémoration du Bicentenaire de la Révolution a mis la République sur un piédestal. Mai les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité n’ont pas, pour les citoyens français, le même poids. La double fuite sociale La fuite sociale dans le temps se fait d’abord vers l’arrière. Elle se manifeste par exemple par les modes « rétro », qui ont successivement fait grimper les prix des objets Art déco des années 20 dans les ventes aux enchères, remis au goût du jour les vêtements et accessoires des années 50, fait redécouvrir les chansons des années 60 et ressortir les images d’archives de la télévision. Elle se manifeste aussi par les « retours » périodiquement mis en évidence par les observateurs de la « société civile » et solennellement annoncés par les médias : retour de la famille, du mariage, de la fidélité, des valeurs traditionnelles, des rentiers, des intellectuels, de l’esprit d’entreprise, de l’esprit d’aventure, du beau, du culturel, du romantique, du spirituel, de l’écologie, de la philosophie, etc. On peut d’ailleurs remarquer que les attitudes et les comportements contemporains tendent à suivre des cycles de plus en plus courts : la libération sexuelle amena quelques années après un renforcement de la chasteté ; la « femme libérée » des années 70 se demandait au début des années 80 si elle n’était pas en train de perdre sa féminité ; « la France qui gagne » de 1985-86 devint en 1987 la « France du déclin »... Entre libéralisme, laxisme et conservatisme, le balancier social oscille de plus en plus vite. La fuite dans le temps passé a trouvé plus récemment son institutionnalisation avec la mode des commémorations officielles. Chaque année, chaque jour même fournit son lot de souvenirs et d’émotions ; les Français n’en finissent pas de souffler les bougies des gâteaux d’anniversaire de l’histoire, avec ou sans majuscule. Ils ont au gré du calendrier une pensée pour le général de Gaulle, Georges Pompidou, les Capétiens, Jeanne d’Arc, Victor Hugo, Jean Monnet, Danton ou Robespierre... Les émissions-nostalgie à la radio (c’est sur ce concept, précisément, qu’a été bâtie Radio-Nostalgie et quelques autres radios de la bande FM) ou à la télévision (Avis de recherche sur TF1, Vive la télé sur la Cinq, Océaniques sur FR3...), les succès de librairie des historiens, amateurs ou professionnels, témoignent de ce besoin des Français de regarder en arrière pour y retrouver leurs ancêtres et la chaleur des certitudes passées. L’aboutissement et le point d’orgue de la « commémorite aiguë » qui frappe downloadModeText.vue.download 267 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 266 la France depuis quelque temps est bien sûr cet « alibicentenaire » de la Révolution de 1789, qui a occupé l’essentiel de la vie politique et culturelle de 1989. Mais cette fuite sociale dans le temps se fait aussi vers l’avant. Les Français ont noté sur leur agenda deux grands rendezvous avec l’histoire : celui, européen, de 1993 ; celui, plus psychologique et mythique, de l’an 2000 et du IIIe millénaire. Le « planning » de ces deux opérations à grand spectacle est d’ailleurs parfait puisque la première devrait cesser d’occuper le devant de l’actualité au moment où le compte à rebours de la seconde commencera. On imagine qu’elle sera elle-même suivie d’une commémoration du siècle et du millénaire passés... La fuite dans l’espace Non contents de fuir dans le temps, les Français fuient aussi dans l’espace. Comme si l’Hexagone était devenu subitement trop restreint, insuffisant en tout cas pour assurer la protection et la prospérité de ses habitants. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à voyager, et à rechercher l’exotisme, vers des destinations au dépaysement garanti sur catalogue : Égypte, Thaïlande, Antilles, Chine (avant les événements de 1989) et bien sûr : URSS, « must » de tous ceux qui veulent se donner l’impression de voir l’histoire en train de se faire. Mais les vendeurs de vacances organisées savent bien que cette demande d’exotisme est à prendre au second degré. L’offre doit en effet être aseptisée ; les individus ou groupes veulent être bien encadrés et vivre dans des conditions de grand confort (voir Les loisirs ou la vie rêvée). On ne part pas en vacances au Kenya pour se trouver face aux éléphants et aux fauves, mais pour les voir (ou plutôt les filmer) depuis une voiture, en compagnie d’un guide officiel. Dans le monde contemporain, l’évasion, en effet, n’est pas synonyme d’aventure. L’aventure, les Français la vivent le plus souvent par procuration, à la télévision ou dans les magazines, en suivant depuis leur fauteuil les exploits des « professionnels ». Ils avalent les kilomètres et la poussière du désert africain au rythme du Paris-Dakar. Ils se donnent chaque semaine le grand frisson en compagnie des héros de Ushuaïa. Ils admirent les paysages visités pour eux par le commandant Cousteau. Ils envient, le temps d’un reportage, ces peuplades reculées (dans l’espace mais aussi dans le temps) qui vivent comme des « bons sauvages » et ne connaissent ni le chômage ni le stress... Indépendamment de ces rêves exotiques vécus devant un « TV-dinner » et une bonne bière, les Français ont ressenti récemment le besoin de se projeter dans un espace plus accessible. C’est pourquoi ils ont sauté si facilement sur l’idée de l’Europe communautaire, telle qu’elle leur est proposée aujourd’hui. Coup de génie de Jacques Delors, qui apporte ainsi à ses compatriotes le « grand projet » qui leur faisait tant défaut et jette peut-être, sans qu’ils en soient conscients, les bases d’un nouveau monde. La difficulté de vivre « ici et maintenant » Cette fuite sociale dans le temps et dans l’espace traduit la difficulté, ressentie par beaucoup de Français, de vivre downloadModeText.vue.download 268 sur 509 SOCIÉTÉ 267 « ici et maintenant ». Tout se passe dans la société actuelle comme si hier, demain et ailleurs étaient ou devaient être meilleurs qu’aujourd’hui, à l’endroit où l’on est. Les sondages montrent que les Français s’estiment en majorité moins heureux qu’hier, mais qu’ils pensent l’être davantage demain (pas dans un avenir immédiat, car il faut laisser au temps le temps de faire son oeuvre rédemptrice). Le plus dur à vivre, c’est donc bien l’instant présent et, symbole d’une insatisfaction sociale chronique, celui qui le suit immédiatement. Lorsqu’elle concerne un individu, la perte ou la modification de la perception du temps est l’indication d’un trouble profond. La perte ou la modification du sens de l’espace constitue également un symptôme de déséquilibre, au propre comme au figuré. S’il existait une médecine sociale (au sens de médecine de la société), elle conclurait sans aucun doute à une maladie nationale. On peut alors imaginer le traitement qui serait prescrit à l’ensemble des Français : des euphorisants pour leur permettre de se sentir mieux dans le présent ; des vitamines destinées à accroître leur énergie collective ; une cure de confiance dans les hommes et dans les institutions ; une piqûre de rappel du passé (le plus glorieux, bien sûr). Ce traitement a d’ailleurs déjà commencé, avec l’Europe-vitamine et l’injection, en 1989, d’une forte dose de rappel révolutionnaire. La République à la mode Les cérémonies et les débats du Bicentenaire ont confirmé si besoin était que la République est une valeur sûre. Elle se décline dans les magazines, se déclame dans les discours, s’étale dans les librairies. Certains célèbrent son esprit (Mitterrand), d’autres se recommandent de son idéal (Chevènement). Celle du centre (Furet, Julliard, Rosanvallon) y côtoie celle de gauche (Régis Debray). On est plus réservé à droite, où l’on dénonce plutôt sa dérive bananière. Le moment est opportun, en tout cas, pour faire le bilan de santé de la République. Et observer ce que sont devenues ses vertus, gravées sur les édifices publics en une fière devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Il faut d’abord remarquer qu’elles n’ont jamais connu ensemble les faveurs des Français. L’égalité fut la revendication (et la réussite) principale des années de prospérité économique, entre 1945 et 1973. Puis la recherche de la liberté domina les rapports sociaux, jusqu’à ces dernières années. Après avoir conquis la liberté sexuelle et obtenu, au moins dans les textes, la libération de la femme, les Français ont décrété la liberté du couple face à la procréation (contraception, avortement) et à la vie commune (divorce, concubinage). Ils sont ensuite descendus dans la rue pour défendre les radios libres en 1982, l’école libre en 1984, l’université libre en 1986. Ils se sont même laissé séduire, le temps d’une cohabitation, par le libéralisme, doctrine économique et politique. Mais les dernières années ont marqué un net recul de l’égalité. Dans les esprits comme dans les faits, la société s’est coupée en deux parties inégales, selon une ligne de démarcation essentiellement professionnelle (voir Le nouvel emploi). Le monde du public (celui des fonctionnaires, de la garantie de l’emploi et de la downloadModeText.vue.download 269 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 268 sécurité) s’est éloigné du monde privé (celui de la compétition et du risque). Dans le même temps, les écarts de salaires, et surtout de patrimoines, ont recommencé à s’accroître. La machine égalitaire s’est enrayée ; elle s’est mise à fabriquer de l’exclusion. L’Éducation nationale, principal outil de l’égalité des chances, cherche encore les solutions de l’avenir (voir Les enjeux de l’Éducation nationale). De plus en plus, l’impression se fait jour dans l’opinion que l’inégalité est un avatar de la modernité et que la liberté peut entraîner le laxisme. Elle est à l’origine de la vague conservatrice qui s’est abattue sur la France après avoir recouvert les États-Unis. C’est donc aujourd’hui le besoin de fraternité qui apparaît prioritaire. Il ne se mesure pas seulement à l’aune des fonds recueillis par les Téléthon d’Antenne 2, les Restos du coeur ou l’appel de Charles Aznavour pour l’Arménie. Le souci de bonne conscience, le poids des images de télévision... et les déductions fiscales sont sans doute largement responsables de ces élans de générosité. Les signes les plus révélateurs de la recherche d’un supplément d’âme se trouvent ailleurs. Par exemple dans les sondages de popularité. Ce n’est pas par hasard que le commandant Cousteau, l’abbé Pierre, Haroun Tazieff et le professeur Schwarzenberg occupent les quatre premières places du sondage Ifop-Journal du Dimanche (19 février 1989) sur les personnalités les plus appréciées du public. Tous quatre ont des humanistes. le vulcanologue cupent en effet privilégiés des en commun d’être L’écologiste, le religieux, et le cancérologue ocdes postes d’observation souffrances actuelles de l’espèce vivante (humaine et animale) et des menaces qui pèsent sur son avenir. Leur discours est pris très au sérieux par les Français, qui, à défaut de pouvoir les élire comme représentants de la « société civile » au sein du monde politique (le séjour de Léon Schwarzenberg au gouvernement a été bref...), votent pour eux dans les sondages. C’est le même réflexe qui pousse les jeunes à choisir Renaud, Jean-Jacques Goldman ou Alain Souchon, chanteurs engagés ou « concernés » par les grandes questions du moment : l’apartheid pour le premier (« Jonathan »), la « vie par procuration » pour le second ; « l’ultramoderne soli- tude » pour le troisième. Après avoir permis depuis sa création, en 1792, quelques avancées spectaculaires, la République est donc en panne. Les progrès passés ne sauraient faire oublier les injustices actuelles. Après avoir été longtemps « centripète », ce qui est sa fonction première, la société française est aujourd’hui « centrifuge » : elle tend à éloigner de son centre tous ceux qui n’ont pas les moyens (intellectuels, culturels, matériels, relationnels) de s’y maintenir. L’égalité est un mythe aujourd’hui balayé par le culte de l’individu, être suprême de cette fin de siècle. La liberté est un leurre pour tous ceux qui ne peuvent en faire usage. Il reste l’espoir de la fraternité, vertu assurément nécessaire à l’aube du IIIe millénaire et des menaces qui pèsent déjà sur lui. GÉRARD MERMET downloadModeText.vue.download 270 sur 509 SOCIÉTÉ 269 Le nouvel emploi Les entreprises veulent maintenant embaucher mais se heurtent à une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Pris au piège, les chômeurs tendent à le rester et le marché du travail, déstructuré, vit dans la précarité des nouvelles formes d’emploi. En France, depuis le milieu de l’année 1987, la situation du marché du travail collectionne les paradoxes. Après les gains, relativement modestes, enregistrés par l’emploi total – où se confondent les emplois salariés et non salariés –, les effectifs des entreprises ont commencé à augmenter. De 200 000 salariés en 1988, et peut-être de 250 000 selon l’UNEDIC ; de 250 000 en 1989, et peut-être de 400 000 selon l’UNEDIC, dont l’optimisme a été jusqu’à présent toujours confirmé par les faits. Or, pendant la même période, le chômage n’a pratiquement pas diminué, avec un nombre de demandeurs d’emploi qui oscille continuellement aux alentours de 2,5 millions. La baisse a été de 30 000 en 1988. Elle devrait être de l’ordre de 40 000 en 1989. Une misère, en comparaison du mouvement des créations d’emploi, pourtant plus faible en France que dans la plupart des pays industriels d’Occident à croissance comparable. Ainsi que le répète depuis plusieurs mois M. JeanPierre Soisson, ministre du Travail, « la reprise ne mord pas sur le chômage ». Pis, celle-ci est « sélective ». Une situation paradoxale Pris au piège de l’ANPE, les chômeurs le restent. La durée moyenne d’inscription augmente, et dépasse maintenant 370 jours. Plus de 800 000 personnes figurent sur les listes depuis plus d’un an et la proportion de celles qui recherchent en vain un emploi depuis deux ou trois ans, voire plus, ne cesse de croître. Près de 400 000 d’entre elles ont pratiquement perdu tout espoir de redevenir actives : ce sont les chômeurs âgés de plus de 50 ans, les jeunes sans diplôme, passés de stages de réinsertion à des travaux d’utilité collective, et surtout les femmes, si elles sont jeunes et sans formation ; si elles ont entre 25 et 49 ans ; ou si elles ont suffisamment travaillé pour avoir droit aux indemnités de chômage, et qu’elles maintiennent leur demande d’un emploi lorsqu’elles ont plus de 50 ans. Car on ignore ce qu’il en est pour les autres. La relance économique aidant, on assiste pourtant au retour des premiers signes d’une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée dont se plaignent de plus en plus les employeurs. Particulièrement ceux du bâtiment et des travaux publics qui, après avoir perdu 600 000 emplois jusqu’en 1984, ont brusquement découvert qu’ils ne disposeraient plus des ressources nécessaires en personnel formé pour faire face à l’accroissement des commandes. Mais d’autres secteurs s’inquiètent également, comme la métallurgie, notamment downloadModeText.vue.download 271 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 270 en région parisienne, et les entreprises industrielles en général. Encore s’agit-il là des besoins expri- més pour des tâches d’exécution ou de production. Quand il faut recruter des cadres et des spécialistes, les manques se font davantage sentir. Il n’est que de voir la rubrique des « petites annonces » des journaux et des magazines pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène. En douze mois, le volume des offres a progressé de 30 % et quasiment toutes les compétences sont fébrilement recherchées. Les informaticiens, bien sûr, mais aussi les gestionnaires, les financiers et même, depuis peu, les ingénieurs de production. Florissants, les cabinets de recrutement pullulent. Les chasseurs de têtes, pour le très haut de gamme confirmé ou l’oiseau rare, éprouvent des difficultés grandissantes à satisfaire leurs clients. En un an, les « rendements », c’està-dire le nombre de réponses positives données aux annonces, ont chuté de 50 %. Tous les intermédiaires s’accusent alors, les signes de la surchauffe étant là pour prouver que le marché s’affole. Réduit au carré prestigieux des grandes écoles, le système scolaire ne produit que 14 000 ingénieurs par an, et 70 000 jeunes diplômés, si l’on accepte d’élargir le cercle. Or, l’ensemble des entreprises performantes parmi les plus connues, mais aussi celles qui aspirent à rentrer dans ce club restreint, sans compter la multitude des PME ou des PMI, veulent embaucher ce qui se fait de mieux pour assurer leur avenir et rester dans le peloton de tête de la course à la compétitivité. Il n’y a donc pas assez de têtes bien faites pour répondre à l’appel. Les salaires d’un premier emploi flambent jusqu’à 250 000 F par an pour un polytechnicien et même 400 000 F pour un INSEAD. On en vient à exiger des « moutons à cinq pattes » qui devraient avoir des diplômes complémentaires, connaître plusieurs langues, posséder une expérience puis, parce que les métiers de managers se médiatisent, « avoir du charisme et une bonne gueule », comme le disent les recruteurs, embarqués presque malgré eux dans « la surenchère aux fantasmes ». Mais il y a une contrepartie, qui s’apparente parfois à un immense gâchis en ces temps de disette. Parce que ces petits génies se monnaient cher, on exige aussi beaucoup d’eux. Ils doivent être immédiatement opérationnels, toujours gagner, travailler sans relâche et savoir tenir la corde, les 45 ans passés. Sinon, gare. Les anges déchus seront broyés et il ne faut donc pas s’étonner lorsque, dans ces conditions, certains affichent le comportement du mercenaire, bien décidés à utiliser le système à leur avantage avec le cynisme nécessaire. Contrairement aux apparences, l’évocation de ces cas extrêmes a un rapport direct avec la configuration actuelle du marché du travail et avec son double, le chômage. C’est bien parce qu’il y a eu une douzaine d’années de crise, et que, sur leurs cendres, deux ou trois années de reprise leur ont succédé, que le marché du travail est à ce point contrasté, paradoxal. Objectivement, le partage du travail existe entre ceux qui n’ont pas d’emploi, et risquent fort de n’en jamais retrouver, et ceux qui, employés en fonction de leurs compétences, sont complètement surmenés. Au milieu, et parce que les temps ont changé, flotte une partie de la popudownloadModeText.vue.download 272 sur 509 SOCIÉTÉ 271 lation active dans une zone tampon qui oscille du chômage au travail d’appoint, et connaît une situation que le Commissariat général au plan qualifie d’« hybride ». En 1988-89, au moment même où l’économie redémarre vraiment, on voit bien les conséquences durables d’une longue récession, les cassures qui se sont produites à cette occasion, et les évolutions, déjà inscrites dans les faits, qui en découlent. Population Il y a comme un frémissement dans les courbes de la démographie en France. Certes le nombre de naissances reste étalé autour de 780 000 et l’indice de fécondité demeure autour de 1,8 enfant par femme. Les progrès de l’espérance de vie à la naissance (80,6 ans pour les femmes et 72,3 ans pour les hommes, en 1987) continuent : en cinq ans, le gain, pour la moyenne des deux sexes, a été de 1,6 an, contre 0,9 pour la période précédente. Surtout, le nombre de mariages augmente légèrement : 265 000 en 1987, 271 000 en 1988. Il pourrait y en avoir 280 000 en 1989. La variation est faible ; mais, succédant à une baisse ininterrompue depuis 1972, le retournement est significatif. Une période de transition s’achève. Le mariage n’est plus l’acte fondateur d’un couple mais en confirme la validité, souvent pour des besoins administratifs. Les remariages représentent une proportion croissante des mariages : 17 % des mariés et 16 % des mariées de 1988, contre 12 et 11 % de ceux de 1980. Tandis que la fécondité de l’Europe du Sud, qui avait « plongé » tardivement, atteint des niveaux bien inférieurs aux plus bas niveaux français, celle de l’Europe du Nord se stabilise ou se redresse un peu. En Suède, elle est même remontée de 1,6 enfant par femme en 1983 à 2,0 en 1988. Là aussi, il y a stabilisation du « calendrier » : arrêt de la baisse de la fécondité des jeunes, renforcement de la hausse chez les femmes plus âgées. Simultanément, la situation du tiersmonde se décante : la surpopulation accable le Bangladesh, le Nigeria, et une vingtaine d’agglomérations, en tête desquelles Mexico, São Paulo, Le Caire, Calcutta, Manille. L’Asie concilie baisse de la fécondité et développement économique et offre au monde développé de nouveaux concurrents et de nouveaux marchés ; et l’Afrique noire se débat dans de graves problèmes de santé publique. Michel Louis Lévy Le piège du chômage Donc, l’emploi revient et le chômage ne se résorbe pas. Mais il faut savoir que, à la différence de ce qui se passe dans de nombreux pays semblables, dont la RFA avant l’arrivée des émigrés de l’Est, la pression démographique ne diminue pas en France. 180 000 personnes environ viennent s’ajouter chaque année à la population active déjà présente sur le marché du travail. Des jeunes, bien entendu, mais aussi et surtout des femmes qui, en raison d’un puissant mouvement sociologique, rapprochent progressivement leur taux d’activité de celui des hommes et interrompent plus rarement celle-ci que par le passé à la suite des maternités. Pour être efficace, l’essor des effectifs salariés devrait continûment absorber ce surplus annuel et, tout à la fois, éponger massivement le stock de chômeurs. Exceptionnelle, dans les conditions actuelles, la croissance retrouvée ne peut y downloadModeText.vue.download 273 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 272 parvenir et il est donc plausible que, pour des années encore, la France ait à souffrir d’un fort taux de chômage. À cela s’ajoutent plusieurs phénomènes dont le plus criant est le retard en formation par rapport aux besoins exprimés dans une phase de révolution technologique, d’abord concomitante avec la crise économique, mais qui est appelée à lui survivre. Sur une population active de près de 24 millions d’individus, on compte quelque 9 millions de titulaires d’un CAP ou d’un brevet d’études professionnelles... Dès lors que les embauches reprennent, elles s’adressent en priorité aux plus jeunes, quand ils sont formés, de préférence aux chômeurs moins qualifiés ou, ce qui revient au même dans l’esprit des employeurs, aux compétences techniquement vieillies. À un moindre degré qu’en Grande-Bretagne, où le chômage se perpétue chez les hommes dans le secteur industriel, et où la création d’emploi dans les services, souvent précaire, profite aux femmes, il apparaît aussi en France que le déplacement rapide vers les activités du tertiaire favorise, proportionnellement, les moins de 25 ans ou les femmes, sans toutefois que ce mouvement corresponde à la demande reconnue. Dans ces conditions, il est logique que ceux qui se trouvent au chômage aient encore moins de chance d’en sortir. Le temps joue contre eux et, l’euphorie économique aidant, on a parfois l’impression qu’ils font partie des victimes oubliées. Peu à peu, la France s’est habituée à vivre avec un nombre impressionnant de demandeurs d’emploi. L’explosion sociale ne s’est pas produite alors même que Georges Pompidou prédisait « la révolution » si l’on dépassait le million de chômeurs. Pis, ces derniers sont sortis de l’actualité. Après des années de morosité et de déprime, on préfère se tourner vers les exemples de réussite éclatante... Les grandes tendances Tout cela n’aurait pas été possible si, dans le même temps, la pénible traversée de la crise ne s’était accompagnée, et pour cause, d’un lent processus qui, de renoncement pragmatique en choix imposé par la contrainte, a abouti au bouleversement de la structure du marché du travail. En à peine plus d’une décennie, une décomposition s’est produite qui a fait naître ce que les spécialistes, faute de mieux, ont appelé « les nouvelles formes d’emploi » avec le développement, en gros, de la précarité. Mais ce changement a été d’autant plus profond qu’il s’est greffé sur un phénomène venu de plus loin et justifié par la modernisation de l’économie, qui s’est traduit par l’apparition de « nouveaux emplois ». Dans ses grandes tendances, l’orientation est claire : dans l’agriculture, l’emploi total (salarié et non salarié) a reculé, passant de 5 millions en 1954 à 1,5 million en 1986 ; dans l’industrie, la France est revenue du sommet de 1973 – 6,3 millions de personnes employées – à tout juste 5 millions en 1986, chiffre inférieur aux 5,3 millions de 1954. Le bâtiment et les travaux publics, qui flirtaient avec les 2 millions au début des années 70, se retrouvent à 1,4 million. Seul le tertiaire, qu’il soit marchand ou non marchand, n’a pratiquement jamais cessé d’augmenter ses effectifs en trente ans, exception faite d’un léger passage à vide au plus profond downloadModeText.vue.download 274 sur 509 SOCIÉTÉ 273 de la crise en 1984-85. Tous confondus, les services employaient 7,3 millions de personnes en 1954. Ils en occupaient 13,2 millions en 1986. Dans la dernière période, leur vitalité a même empêché la catastrophe. Si la poursuite des courbes signifie quelque chose, il faut croire que, même restructurée, l’industrie de demain ne fournira plus les grandes quantités d’emplois que réclamaient la sidérurgie, la construction navale ou l’automobile. Ces temps-là sont bien révolus, même si les nouvelles technologies viennent relayer les vieux secteurs par leur dynamisme et même si, depuis la fin de 1988, l’industrie est capable de dégager un solde global de postes positif. En vingt ans, le pourcentage d’ouvriers non qualifiés dans les emplois salariés a tout de même chuté de 10 points (27 % en 1969) et celui des ouvriers qualifiés en a perdu 3 autres (38 % en 1969). En revanche, l’ensemble du tertiaire paraît appelé à un développement continu. Que ce soit dans sa version relativement sophistiquée, avec, par exemple, la floraison des nouveautés en « tique » ou les finances, ou que ce soit dans sa version consumériste avec les services rendus aux entreprises et aux particuliers, dont le commerce et la restauration rapide, pour ne citer que les cas les plus évidents. Toujours est-il que les deux tendances se retrouvent dans les chiffres. La proportion de cadres dans l’emploi salarié a gagné 4,6 points en vingt ans (10,2 % en 1969) et celle des employés, même non qualifiés, progresse de 5,4 points (17,7 % en 1969). Une autre lame de fond a coïncidé avec ce basculement et s’est accélérée avec la restructuration industrielle de ces dernières années. La part des grosses entreprises de plus de 200 salariés est passée du tiers des emplois en 1975 à moins du quart aujourd’hui. Les petites entreprises de moins de cinquante salariés se sont multipliées ; elles ont augmenté leur poids en nombre d’emplois proposés et, en raison de leur taille, se sont mieux adaptées à la crise que les mastodontes. Ce sont elles qui ont embauché et il faut en voir la confirmation dans le fait que les régions de mono-industrie ou de vieille tradition ouvrière ont plus souffert économiquement de la restructuration que les régions moins lourdement impliquées. La précarité Sur ce vaste chamboulement engagé de longue date vient donc se greffer tout ce qui résulte de la récession, dont les effets ont réellement commencé à se faire sentir à partir de 1977, et sans qu’il soit toujours possible de distinguer la cause de la conséquence. C’est ici que l’on pénètre dans une zone de flou, de « halo », selon Claude Thélot (INSEE), qui consacra un numéro spécial de la revue ÉconodownloadModeText.vue.download 275 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 274 mie et statistiques (no 193-194) à ce sujet. Cela serait-il survenu autrement ? Au cours des années 80, on a assisté à la remise en cause partielle, sous la pression des faits, du statut du salarié à plein temps, bénéficiaire d’un contrat à durée indéterminée offrant une large protection sociale. Son modèle s’était forgé peu à peu avec les conquêtes ouvrières de la révolution industrielle puis était venu compenser la sujétion au mode de production taylorien. Pendant les « trente glorieuses », de 1945 à 1975, il était même parvenu à sa plénitude avec la confirmation de l’objectif du plein emploi. S’il est toujours majoritaire, et de loin, il n’est plus le seul système de référence. Insidieusement, il a perdu de son éclat, pour ne plus être aujourd’hui que la règle exorbitante accordée au « noyau dur » du salariat. Religions Au printemps, le souverain pontife se rend pour la seconde fois dans des pays de l’océan Indien et pour la cinquième fois sur le continent africain. Du 1er au 6 mai, il visite Madagascar, la Réunion, la Zambie et le Malawi. Le 3 mai, depuis Lusaka, capitale de la Zambie, Jean-Paul II condamne une nouvelle fois le racisme et l’apartheid. Déplacement plus délicat : le premier voyage du pape, du 1er au 10 juin, dans les cinq pays nordiques : Norvège, Islande, Finlande, Suède, Danemark. Là, les catholiques ne constituent que d’infimes minorités, le luthéranisme étant la religion officielle. À défaut de susciter sur son passage la cordialité populaire habituelle, Jean-Paul II en profite pour appeler les Européens, installés selon lui dans un confort anesthésiant, à rechercher leurs racines chrétiennes communes. Appel semblable à Compostelle, où, les 19 et 20 août, le pape rejoint une foule de 500 000 jeunes Européens venus refaire le pèlerinage de leurs ancêtres au sanctuaire espagnol de Saint-Jacques : « Un itinéraire privilégié, leur déclare le souverain pontife, l’itinéraire du Christ lui-même, qui est la voie de la vérité et de la vie. » Du 7 au 15 octobre, Jean-Paul II rend visite à l’Indonésie avec une étape en Corée du Sud – où il est déjà venu en 1984 – et un arrêt, sur le chemin du retour, à l’île Maurice. De Corée, le pape lance un appel aux catholiques chinois pour qu’ils luttent ensemble pour leur foi ; aux deux Corées, il souhaite la réunification, à condition qu’elle se fonde sur « la justice, la liberté et les droits humains inaliénables ». L’oecuménisme chrétien L’année est marquée par deux événements significatifs. Le premier est le rassemblement oecuménique (catholiques, orthodoxes, protestants) qui a lieu à Baie, du 15 au 21 mai, sur le thème « Paix et justice » et qui réunit plus de 700 délégués de toute l’Europe, y compris de l’Europe de l’Est. C’est la première fois que le Conseil des Églises chrétiennes et le Conseil des conférences épiscopales d’Europe appellent à une manifestation commune. Malgré des impasses théologiques persistantes, cette rencontre relance un mouvement oecuménique qui s’enlisait dans le labyrinthe des discussions sur la reconnaissance mutuelle des ministères ou des sacrements. Le second événement est la visite au Vatican, du 29 septembre au 2 octobre, de l’archevêque anglican de Cantorbéry, Robert Runcie. Car non seulement – geste sans précédent – celui-ci assiste à la messe du pape à la basilique Saint-Pierre de Rome, mais, le 30 septembre, il reconnaît publiquement « la primauté universelle » du souverain pondownloadModeText.vue.download 276 sur 509 SOCIÉTÉ 275 tife. Ce dernier ne manque cependant pas de rappeler, à cette occasion, que l’un des obstacles au rapprochement définitif entre catholiques et anglicans est l’ordination des femmes, pratiquée dans l’anglicanisme. L’affaire du carmel d’Auschwitz Alors que, depuis le concile Vatican II, le dialogue judéo-chrétien n’avait cessé de s’affermir, il subit un grave dommage lié à ce qu’on appelle l’« affaire du carmel d’Auschwitz ». On peut même parler, à ce propos, du plus grave contentieux judéo-chrétien de l’après-guerre. En 1984, un couvent de carmélites polonaises s’installe dans l’ancien théâtre adossé au mur extérieur du camp de concentration d’Auschwitz I. Cette présence des religieuses chrétiennes émeut les milieux juifs, qui considèrent que, haut lieu de l’holocauste du peuple juif, l’ensemble des camps d’Auschwitz doit rester, selon les exigences bibliques, un lieu de silence. À deux reprises, le 22 juillet 1986 et le 22 février 1987, des personnalités chrétiennes et israélites réunies à Genève se mettent d’accord sur un protocole de transfert du couvent en dehors du site occupé. La date ultime est fixée au 22 février 1989 ; or, le jour venu, rien ni personne ne bouge. Le temps passant, la fièvre monte : en juillet, un commando de juifs américains vient à Auschwitz manifester son mécontentement ; il est reçu « fraîchement ». Théo Klein, ancien président du Conseil représentatif de la communauté juive de France (CRIF), préconise alors le gel des relations judéo-catholiques, ce qui suscite une déclaration apaisante du cardinal Macharski, archevêque de Cracovie. Mais l’atmosphère reste lourde et le pape garde le silence. Le 26 août, à Czestochowa, le cardinal Glemp, primat de Pologne, appuyé par les masses catholiques polonaises, qui se souviennent qu’à Auschwitz nombre des leurs ont également péri, prononce un très ferme discours qui remet en cause l’accord de Genève, déclaré « caduc ». L’épiscopat se divise aussitôt ; le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, l’un des principaux signataires de l’accord de Genève, va jusqu’à contester publiquement l’archevêque de Varsovie. Il faut, le 19 septembre, l’intervention du Vatican pour que les passions s’apaisent. Provisoirement, du moins, car, à la fin de l’année, on en est toujours au statu quo. Difficultés avec l’islam Le 4 mars, quelques semaines après l’appel au meurtre lancé par l’imam Khomeyni contre Salman Rushdie, l’auteur des Versets sataniques, le Vatican critique officiellement « la part d’irrévérence et de blas- phème » contenue dans le livre de l’écrivain britannique. Cette intervention illustre les difficultés grandissantes qu’éprouvent les pays de civilisation chrétienne à maîtriser un phénomène récent : l’installation massive en Europe (plus de 3 millions de personnes en France) de communautés musulmanes. La construction de mosquées provoque, au sein des municipalités, des débats souvent contradictoires et orageux. En France, au début d’octobre, les médias, s’emparant d’un événement d’apparence mineure – l’interdiction du port du voile dans les classes signifiée à trois élèves musulmanes du collège de Creil –, lancent dans l’opinion un débat sur les rapports entre la laïcité républicaine et la tolérance démocratique. Pierre Pierrard Tandis que la France perdait 1 million d’emplois stables, le nombre des emplois instables ou précaires passait de 2 à 3 millions. Encore tout cela est-il imprécis. Dans son « halo », l’INSEE place de 1,5 à 4 millions de personnes, selon les définitions, et en tenant compte du caractère volatil des statistiques lorsqu’il downloadModeText.vue.download 277 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 276 faut repérer des catégories naissantes, forcément fugaces. Plus récemment, et dans un nouvel exercice pour appréhender cette sphère mouvante, l’Institut national de la statistique a fourni, audelà des chiffres toujours contestables, l’indication formelle d’un déplacement. Ce qu’on appelle les « formes particulières d’emploi », selon une terminologie curieuse reprise pour un colloque international de spécialistes et de statisticiens qui s’est tenu à Paris en novembre 1988, s’est particulièrement développé en cinq ans et sans doute autant depuis. En 1982, il y avait 3,4 millions de personnes qui étaient apprentis, stagiaires, sous contrat à durée déterminée, intérimaires, travailleurs à temps partiel, etc. Ils étaient 4,2 millions en 1987. À l’évidence, la partie à peu près visible de la déstructuration du marché du travail est là. L’émergence de ce phéno- mène caractérise la dernière période et pèse sur les évolutions d’aujourd’hui. Ce mouvement est déjà difficile à repérer dans son ampleur. Il est encore plus délicat de lui attribuer telle ou telle origine, tant les mécanismes à l’oeuvre se sont peu à peu confondus, y compris dans leurs effets pervers. Parmi les responsables, il y a bien le traitement social, cette énorme tuyauterie inventée par Raymond Barre avec les « stages parkings » pour les jeunes sans emploi, et régulièrement perfectionnée ensuite par Pierre Mauroy ou Michel Delebarre sous Laurent Fabius, Philippe Séguin sous Jacques Chirac, et peut-être abandonnée, dans les discours au moins, par Jean-Pierre Soisson et Michel Rocard, qui ont inventé des produits de substitution moins voyants. Avec les stages en tout genre, les différents dispositifs d’insertion, mais aussi les TUC, les SIVP (stages d’initiation à la vie professionnelle), les PIL (programmes d’insertion locale) et autres SRA (stages de réinsertion en alternance) ou associations intermédiaires, sans oublier « les petits boulots », les gouvernements successifs ont en fait mis le doigt dans un engrenage qui, ailleurs, sur le marché dit normal, était en train de fabriquer des travailleurs précaires ou marginalisés. Au total, et au plus fort de la tentation interventionniste, en 1987-88, on a compté jusqu’à 1,5 million de places disponibles dans l’une ou l’autre des formules d’appoint. Quand Michel Rocard présente deux années de suite un plan-emploi qui vise à abaisser le coût du travail, notamment en exonérant de charges sociales les employeurs qui embaucheraient certaines catégories de chômeurs (dont les plus de 50 ans, jusqu’à leur retraite), il ne fait que poursuivre la même logique. Pour juguler la montée du chômage, les pouvoirs publics ont adopté une politique de dérogations largement justifiée par l’urgence, là où d’autres pays, plus libéraux, ont parié sur la déréglementation. Sur le fond, le résultat n’est pas différent, si les motifs divergent. Année après année, se sont constituées des poches d’emplois spécifiques, à mi-chemin entre l’assistance et le travail mais qui sont vite sortis du cadre prévu. Il y a eu jusqu’à 350 000 TUC, contre 120 000 actuelle- ment. On a compté jusqu’à 300 000 SIVP, contre 180 000 aujourd’hui. Les stages rémunérés sont passés de 136 000 en 1982 à 433 000 en 1987. Conséquence : la part des jeunes dans l’emploi réel ou salarié de droit commun a diminué de moitié en downloadModeText.vue.download 278 sur 509 SOCIÉTÉ 277 dix ans. Pour expliquer ce changement d’attitude, les spécialistes évoquent « l’effet d’aubaine », l’occasion faisant le larron, ou encore « l’effet de substitution », le mauvais emploi chassant le bon. Mais l’important est encore ailleurs. Par le truchement de mesures sociales sans aucun doute nécessaires, l’action de l’État a rendu possible le contournement de la législation. De fait, s’est mis en place un sous-SMIC, ont été officialisés des statuts précaires, voire l’utilisation de salariés sous couvert de stages de formation professionnelle. Même la protection sociale a été mise à mal (il suffit de voir ce qui se passe du côté de l’UNEDIC). Le régime d’assurance-chômage constate une augmentation des causes de rejet des demandes d’indemnisation parce qu’un nombre croissant de chômeurs ne peut plus exciper d’une durée suffisante de cotisation. Cela vise bien sûr les intérimaires, les anciens titulaires d’un contrat à durée déterminée, mais aussi bien des bénéficiaires du traitement social, de retour dans la normalité du chômage. Parallèlement, et c’est l’autre versant du même problème, le marché du travail a développé ses propres statuts atypiques, sous prétexte de flexibilité. Ainsi en est-il du travail à temps partiel, dont la variante, le travail à temps très partiel – de moins de 15 heures par semaine – en plein développement, représentait 5,8 % de l’emploi en 1971 et atteignait 11,8 % en 1987, soit 2,5 millions de personnes. On pourrait considérer qu’il s’agit d’un progrès, la France faisant partie des retardataires en ce domaine, en comparaison de la Grande-Bretagne, de la RFA et des pays scandinaves. Mais ce n’est pas aussi simple. Il faudrait distin- guer, souligne l’INSEE, le temps partiel « choisi », qui correspond à une aspiration librement consentie, du temps partiel « contraint », imposé par le fonctionnement de telle ou telle activité. Par exemple, il n’est pas rare que, dans certains secteurs, il n’y ait que des contrats à temps partiel pour des postes bien définis. Notamment dans le commerce, les hôtels-cafés-restaurants et les services, où il arrive que ce statut soit appliqué dès la création de l’entreprise. Tel grand groupe hôtelier s’est aperçu qu’il lui revenait moins cher de pratiquer le mitemps pour son personnel de service, compte tenu de la réglementation, que de réduire la durée du travail pour pouvoir moduler les horaires... Mais c’est avec le travail temporaire, regroupant à la fois l’intérim et les contrats à durée déterminée, que l’on prend la vraie mesure de la vague de précarité qui a déferlé sur le marché du travail. De juin 1985 à fin mars 1989, la proportion des intérimaires a plus que doublé, celle des contrats à durée déterminée a augmenté de 50 %. Au total, les deux formules représentent 7 % de l’emploi et, plus significatif encore, 90 % de l’ensemble des recrutements effectués en 1988. Manifestement, au fil de la crise, le travail temporaire est devenu le moyen privilégié de gestion des effectifs et, plus précisément, la méthode pratique pour ajuster immédiatement le volume de la main-d’oeuvre aux fluctuations de l’activité. Conçus pour répondre à des besoins exceptionnels, limités dans leur durée, intérim et contrats à durée déterminée ont changé de nature. Ils servent maintenant à ce qu’on appelle la « gesdownloadModeText.vue.download 279 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 278 tion en flux tendus », l’entreprise utilisatrice s’efforçant de maintenir son niveau d’emploi stable légèrement en dessous de ses capacités de production et complétant son personnel avec des travailleurs temporaires. L’industrie automobile a largement exploité cette technique, ainsi que l’ont révélé plusieurs affaires. À Citroën-Aulnay, 600 intérimaires étaient employés en permanence, car leurs missions avaient été renouvelées pour cause de sortie de l’AX quatre-portes, puis de l’AX diesel, etc. À Peugeot-Sochaux, la grève a mis en évidence la présence de 25 % d’intérimaires dont bon nombre travaillaient au lancement de la 605. Il arrive que des entreprises emploient jusqu’à 50 % d’intérimaires. Ce développement empreint d’abus ou d’irrégularités ne pouvait qu’inquiéter. Il a conduit M. Jean-Pierre Soisson à annoncer qu’il prendrait des mesures pour en limiter l’essor et les députés socialistes à imaginer des restrictions traduites par une proposition de loi en octobre. Fort d’un rapport réalisé par ses services, le ministre du Travail s’apprête à déposer un projet de loi et consulte les partenaires sociaux sur ce thème. Il faut dire que la situation est préoccupante. Avec l’équivalent de 600 000 personnes à temps plein en contrat à durée déterminée, 2,5 millions de contrats d’embauché ont été signés en 1988. Ce qui donne une idée de la rotation et de l’importance de la population réellement concernée. Avec l’intérim, on atteint des sommets. 280 000 emplois à temps plein correspondent à 5,5 millions de missions effectuées pour une durée moyenne de trois semaines. Entre deux périodes d’activité, les travailleurs temporaires downloadModeText.vue.download 280 sur 509 SOCIÉTÉ 279 s’inscrivent à l’ANPE où ils représentaient plus de 50 % des entrées nouvelles en septembre 1989, alors que le licenciement économique intervient maintenant pour moins de 10 %. Au travers de ces « formes particulières d’emploi », d’origine étatique ou non, voici donc que s’est constitué, à l’occasion de la crise, un vaste secteur qui entretient des rapports distendus avec le travail et dont la collectivité nationale finance la privation d’emploi. Une masse importante de la population active est maintenue à la périphérie de l’emploi traditionnel et stable et vit dans une situation précaire qui la prédestine, presque mécaniquement, aux allers et retours entre le chômage et le travail provisoires, puis qui l’entraîne vers le chômage de longue durée. L’externalisation Peu à peu, se constitue un noyau central de salariés protégés, à plein temps, à qui l’on propose de partager la culture d’entreprise, d’adhérer au projet d’entreprise. Ceux-là sont dans une sphère de compétence et méritent des égards. À côté, en autant de cercles concentriques, s’agglutinent les travailleurs à statut atypique qui jouent un rôle d’appoint et peuvent à tout moment être renvoyés vers le chômage. On ne leur demande pas de s’identifier à l’entreprise et à son produit... En fait, cet autre partage de l’emploi est sous-tendu par plusieurs modifications du comportement des entreprises qui se sont effectuées à la faveur de la crise et à cause d’elle. Il correspond bien à la montée en puissance des activités de service et se relie parfaitement à la volonté des dirigeants de « se recentrer sur le métier » de leur groupe ou de leur société selon une logique dite « d’externalisation ». Désormais, tout bon gestionnaire limite l’emploi qualifié au strict nécessaire et s’efforce d’extraire ceux qui apparaissent comme des poids morts, étrangers au savoir-faire de sa société. Exit les fonctions de nettoyage, de gardiennage, de restauration collective, voire, dans certains cas, celles des bureaux d’études, de l’informatique ou même de la comptabilité. On fera appel aux « nouvelles formes d’emploi » ou à des sous-traitants, à des artisans et même à des travailleurs indépendants. Le raisonnement vaut d’ailleurs autant pour la main-d’oeuvre peu qualifiée, dans le cas du nettoyage, que pour les compétences les plus pointues, dans le cas du consultant, de l’audit ou du conseil. downloadModeText.vue.download 281 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 280 Mais ce qui peut être jugé favorablement, puisqu’il s’agirait d’un dégraissage justifié par l’obésité de certaines structures, peut aussi dissimuler de graves entorses à la législation. Tous les inspecteurs du travail constatent aujourd’hui une croissance anormale des exemples de fausse sous-traitance, de faux artisanat ou de faux travail indépendant. C’est-à-dire de cas où le travailleur donne l’impression d’être son propre patron, mais où il se trouve en fait maintenu dans un rapport de subordination avec un employeurclient exclusif, naturellement sans protection sociale puisque l’on a substitué un contrat de droit commercial, facilement rompu, à un contrat de travail. Malheureusement, cette zone-là des nouveaux emplois se révèle encore plus floue que la précédente. On manque de moyens techniques pour la circonscrire. On souffre de l’absence d’outils juridiques performants pour la combattre. Et, par surcroît, il est impossible d’en connaître les contours exacts du simple point de vue statistique. Des spécialistes aux responsables dans les ministères en passant par les syndicalistes, tout le monde s’accorde à reconnaître que cet autre sous-ensemble de l’emploi prolifère de façon inquiétante. De récentes affaires (notamment lors de la construction du TGV Atlantique ou dans le bâtiment en Rhône-Alpes, au cours de l’été 1989) en ont montré la réalité. Tout cela constitue la partie émergée de l’iceberg, aux contours imprécis. Il resterait encore à découvrir le travail au noir ou le travail clandestin, en progression. ALAIN LEBAUBE Alain Lebaube appartient au service économique du Monde où il est chargé des problèmes de l’emploi. Il est l’auteur de : l’Emploi en miettes (Hachette, 1988). downloadModeText.vue.download 282 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 281 La télévision Afin de remplacer la CNCL (éd. 1989), la loi du 17 janvier 1989 a institué un Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dont les missions ont été ainsi définies par son article premier : le CSA, « autorité indépendante, garantit l’exercice de la liberté de communication... Il assure l’égalité de traitement ; il garantit l’indépendance du secteur public de la radiodiffusion sonore et de la télévision ; il veille à favoriser la libre concurrence ; il veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales ainsi qu’à la défense et à l’illustration de la langue et de la culture françaises. Il peut formuler des propositions sur l’amélioration de la qualité des programmes ». Le Conseil est composé de neuf membres désignés pour une durée normale de six ans : trois par le président de la République, trois par le Sénat et les trois derniers par l’Assemblée nationale. Il est renouvelable par tiers tous les deux ans. Son président est choisi par le président de la République, qui a désigné Jacques Boutet. La crise du secteur public de l’audiovisuel a perduré. Son audience a été affaiblie par la concurrence des chaînes privées plus dynamiques. C’est pourquoi le gouvernement a décidé, par la loi du 2 août 1989, de créer une présidence unique pour les deux sociétés nationales A2 et FR3 dans le but d’harmoniser les programmes, d’établir une complémentarité réelle et de redynamiser l’ensemble. Philippe Guilhaume a été choisi par le CSA pour en assumer la charge. En terme de parts de marché, les positions acquises par les six chaînes hertziennes généralistes nationales pourraient être remises en question en 1990 par la mise en service des chaînes-satellite (TDF 1) et par l’adoption par le Conseil des Communautés européennes d’une directive sur la télévision transfrontière, première étape vers la constitution d’un marché commun de l’audiovisuel. La télévision française par satellite devrait donc voir le jour en 1990, sauf difficultés techniques persistantes. Le CSA a retenu six chaînes thématiques : Canal Enfants, Sports 2/3, Euromusique, la Sept, Canal + et Canal + Allemagne, ainsi que Radio France sur le canal son. Mais les opérateurs n’ont pas encore résolu de manière satisfaisante le problème de la réception de ces chaînes : l’équipement individuel (antenne parabolique et désembrouilleur) restera onéreux, surtout si l’on doit remplacer son récepteur pour pouvoir bénéficier de la qualité d’image liée à la norme D2 MAC. Un million de prises seulement ont été installées sur moins de 50 sites avec moins de 10 % d’abonnés. À titre comparatif, les réseaux câblés allemands comptent trois millions d’abonnés. Les programmes fournis par les chaînes hertziennes nationales, les huit chaînes thématiques françaises et six chaînes étrandownloadModeText.vue.download 283 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 282 gères, à dominante anglo-saxonne, sont attractifs. Mais, là encore, le coût peut paraître dissuasif (150 F par mois). 70 % des Français estiment que les six chaînes généralistes présentent un éventail suffisant. L’offre de programmes va aller en s’accroissant mais, pour l’instant, les habitudes de consommation télévisuelle des Français évoluent peu. CHRISTINE LETEINTURIER downloadModeText.vue.download 284 sur 509 SOCIÉTÉ 283 Les enjeux de l’Éducation nationale La France va devoir consentir un effort considérable si elle veut rendre son système éducatif capable de relever les défis qui lui sont lancés. Soucieux des enseignants comme de renseignement, le gouvernement a choisi un programme ambitieux. La revalorisation des carrières des enseignants (des instituteurs aux universitaires) et la loi d’orientation sur l’éducation sont les deux gros dossiers qui ont dominé une année particulièrement riche en péripéties dans le domaine de l’Éducation nationale. En faisant de l’éducation la priorité de son second septennat et en reprenant à son compte le projet d’augmenter considérablement le nombre des bacheliers, M. François Mitterrand avait pris un engagement solennel pendant sa campagne électorale. Celui-ci avait été aussitôt confirmé, de façon spectaculaire, par la nomination au ministère de l’Éducation, au rang de ministre d’État, d’une personnalité politique de premier plan, M. Lionel Jospin, ancien premier secrétaire du parti socialiste. Mais, paradoxalement, ces éléments positifs ont été à l’origine des principales difficultés qu’a rencontrées le gouvernement pour mettre en oeuvre cet ambitieux programme. D’une part, les promesses présidentielles avaient fait naître chez les enseignants des espoirs qu’il était bien difficile de ne pas décevoir ; d’autre part, la présence, rue de Grenelle, d’un responsable politique présenté comme un possible rival du Premier ministre pour la succession du président de la République allait compliquer sensiblement la tâche du gouvernement pendant les premiers mois de l’année. Un effort considérable Cette contradiction est apparue aussitôt sur une question de tactique. Fallait-il lier les deux dossiers de la revalorisation des carrières et de la rénovation de l’école, pour faire pression sur les enseignants et montrer à l’opinion les véritables enjeux, comme le préconisait le Premier ministre ? Ou donner d’abord satisfaction aux enseignants, pour les remobiliser avant d’aborder la réforme de l’école, comme le souhaitait le ministre de l’Éducation ? Tandis que Michel Rocard était surtout soucieux des réactions des parents d’élèves, Lionel Jospin se montrait attentif à l’état d’esprit des enseignants, dont il se sentait très proche. Ce débat se trouvait avivé par les contraintes budgétaires qui pesaient sur le gouvernement. Il est en effet apparu rapidement que les hypothèses de croissance du budget de l’Éducation nationale downloadModeText.vue.download 285 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 284 qui avaient été primitivement retenues seraient insuffisantes pour permettre à la fois d’accueillir un nombre beaucoup plus grand d’élèves et d’étudiants et de réévaluer sensiblement le niveau de vie des enseignants. D’où l’idée, émise par le Premier ministre, de lier les augmentations de salaires à la création de nouveaux corps d’enseignants, dont les obligations de service seraient renforcées, et à un système de primes, permettant de rémunérer en complément des tâches spécifiques ou des situations professionnelles particulièrement difficiles. La logique de ces propositions était claire : puisqu’on ne peut augmenter tout le monde de façon significative, remédions, dans l’immédiat, aux situations les plus injustes et faisons porter l’effort sur l’avenir. Au cours des prochaines années, en effet, la France aura à assumer un effort considérable de recrutement de professeurs (400 000 postes à pourvoir en 10 ans) pour assurer la prolongation de la scolarité et pour compenser les départs à la retraite des générations massivement recrutées dans les années 60 et 70. La première urgence est donc de rendre plus attrayante la profession d’enseignant pour ceux qui vont entrer dans la carrière. Ceux qui sont déjà en fonction devront se contenter d’ajustements ponctuels. La création de nouveaux corps avait en outre l’avantage d’éviter que des augmentations indiciaires n’aient des répercussions sur l’ensemble de la fonction publique. Une opposition résolue Dès qu’elles sont connues, notamment par une interview du Premier ministre dans le Monde de l’éducation de janvier 1989, ces propositions soulèvent une tempête de protestations de la part des enseignants. Ceux-ci ne comprennent pas qu’après avoir publiquement reconnu que leur profession était dévaluée, le gouvernement ne procède pas d’abord à une revalorisation générale de leurs rémunérations. L’idée qui les choque surtout est que les augmentations dont ils doivent bénéficier puissent prendre la forme d’indemnités liées à des prestations ou à des situations particulières. Cette forme de rémunération « au mérite » se heurte à une incompréhension profonde et soulève une hostilité générale. Si la Fédération de l’Éducation nationale n’est pas, au départ, opposée à une formule de ce type, qui va dans le sens de sa réflexion sur la nécessité de « travailler autrement », elle est rapidement débordée par les réactions de sa base et par le refus radical de son syndicat du secondaire, le SNES. Cette différence d’analyse à l’intérieur de la FEN se superpose à des rivalités politiques entre la direction socialisante de la FEN et celle, plus proche du parti communiste, du SNES. L’opposition syndicale aux propositions gouvernementales prend alors une forme de plus en plus résolue. De longues et laborieuses négociations Une grève nationale organisée par le SNES le 27 janvier est assez largement suivie, notamment dans la région parisienne. Le 1er février, 15 000 instituteurs manifestent à Paris, à l’appel du SNI-PEGC et conspuent le ministre de l’Éducation nationale. Celui-ci, qui se trouve dans la position délicate d’avoir downloadModeText.vue.download 286 sur 509 SOCIÉTÉ 285 à défendre une politique avec laquelle il n’est pas entièrement d’accord, lâche rapidement du lest. Il renonce à la création d’un corps de professeurs de collèges, que refusait le SNES, et annonce l’alignement du recrutement des instituteurs sur celui des professeurs, au niveau de la licence, répondant ainsi à une revendication du SNI-PEGC. Cette concession conduit le SNES à renoncer à une deuxième journée de grève, le 17 février, mais ne suffit pas à désamorcer la colère des enseignants. De nouvelles grèves et manifestations ont lieu à la rentrée des vacances de février. Plusieurs dizaines de milliers de professeurs descendent à nouveau dans la rue le 4 mars. Toutefois, conscients que les propositions gouvernementales constituent un effort financier appréciable, les syndicats se montrent soucieux d’éviter une radicalisation excessive du mouvement et ne reprennent pas à leur compte le mot d’ordre de « retrait du plan Rocard-Jospin » avancé par les manifestants. Tout en maintenant la pression sur le gouvernement, ils continuent de négocier avec le ministère pour obtenir que la mise en oeuvre de la revalorisation se rapproche de leurs conceptions. Estimant avoir en grande partie obtenu satisfaction, ils s’efforcent alors de convaincre leur base d’accepter le compromis. Le 3 mai, les principaux syndicats de la FEN – le SNES, le SNI-PEGC et le SNET (enseignement technique) – signent avec le ministère un « relevé de conclusions » qui met un terme à de longues et laborieuses négociations. Justice La politisation gagne le corps judiciaire. Après la très conservatrice Association professionnelle des magistrats (APM), la modérée Union syndicale des magistrats fustige dans son livre blanc Des nominations et des hommes les manipulations politiques au sein de l’institution judiciaire et la faveur récente mais marquée du gauchiste Syndicat de la magistrature. Ce dernier argue de sa nette progression aux élections professionnelles tenues du 16 au 25 mai, qui traduisent aussi la prépondérance constante de l’USM et le recul de l’APM. Magistrats et fonctionnaires de justice, tous syndicats confondus, se retrouvent pour désapprouver publiquement, le 13 juin, la politique menée par M. Arpaillange. Unanimement réclamée, mais aussi toujours différée, la réforme du statut des magistrats semble enfin devoir être prise en considération. Lors des troisièmes Rencontres internationales des avocats réunies les 13 et 14 octobre, le directeur du cabinet du garde des Sceaux annonce la prochaine soumission en Conseil des ministres d’un projet de loi organique. La réforme contribuera-telle à enrayer l’actuelle crise du recrutement des magistrats, reconnue même par M. Arpaillange ? Alors que l’examen parlementaire des nouvelles dispositions du Code pénal débute, la commission « Justice pénale et droits de l’homme » rend public, le 6 novembre, son rapport préliminaire sur la réforme de l’instruction. À l’occasion du Bicentenaire, la grâce présidentielle « se veut plus généreuse mais pas plus spectaculaire », selon la Chancellerie, qui évalue ses bénéficiaires à un peu plus de 3 000 détenus. Alors que magistrats et surveillants de prison avancent le chiffre de 5 000 libérations, l’agitation carcérale traduit la déception des intéressés. Puis, c’est au tour des downloadModeText.vue.download 287 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 286 gardiens de signifier cette année encore leur mécontentement au gouvernement, à l’avantage duquel le bras de fer engagé finit par tourner. Hervé Robert La revalorisation Dès le début du mois d’avril et sans attendre cet accord formel, le ministère avait annoncé qu’il appliquerait le plan de revalorisation. Celui-ci, au terme de l’épreuve de force engagée entre le gouvernement et ses fonctionnaires, est assez différent de ce qui avait été primitivement annoncé. La mise en place des indemnités pour les enseignants exerçant « des responsabilités particulières » est repoussée à 1992. La création de « grades », introduisant des hiérarchies dans les catégories d’enseignants est abandonnée. Des augmentations indiciaires pour tous – dont bénéficieront aussi les retraités – sont prévues. Mais l’effort principal consiste en une accélération des débuts de carrière et une amélioration de leurs dernières années. Ainsi, à partir de 1992, un instituteur débutera à 7 300 F (au lieu de 6 100 F actuellement) et pourra terminer à 13 000 F (9 800 F aujourd’hui) s’il intègre le nouveau corps des écoles créé en 1990. Une « hors classe » permettra aux futurs instituteurs et professeurs certifiés qui y auront accès de terminer à 14 500 F (au lieu de 13 000 F pour les certifiés actuellement). À terme, instituteurs et professeurs du secondaire (agrégés mis à part) seront ainsi recrutés au même niveau (la licence) et rémunérés sur un pied d’égalité. La revalorisation touche également les universitaires. Sur ce terrain, le ministère a rencontré moins de difficultés, les syndicats du supérieur ayant été, le 16 mars, les premiers à signer un accord. Celui-ci prévoit une accélération globale des carrières – notamment pour le passage du corps des maîtres de conférences à celui des professeurs – mais aussi un système de primes d’enseignement, de recherche ou d’administration, au choix des intéressés. Acceptée par les syndicats, cette formule des primes s’est toutefois heurtée à une assez vive opposition, lorsqu’il s’est agi de l’appliquer lors de la rentrée universitaire. Certains sont hostiles à son principe même ; d’autres craignent que le nombre de ses bénéficiaires ne soit en réalité très limité. Mais le ministère a donné l’assurance que, dans les quatre ans à venir, tous les universitaires qui en ont fait la demande (soit 18 000 sur 35 000 environ) obtiendront satisfaction. Le fond du débat qui oppose le corps enseignant et le gouvernement sur cette question de la revalorisation porte évidemment sur l’ampleur de l’enveloppe financière consacrée à ce dossier. Fixée au départ à 10 milliards de francs sur cinq ans, elle atteint finalement 11,6 milliards, le Premier ministre estimant qu’aller au-delà reviendrait à remettre en cause les grands équilibres budgétaires. Toutefois, le gouvernement a pris des engagements au cours des négociations, annonçant qu’un effort supplémentaire de 6,2 milliards serait consenti pour la période 1994-1998, ce qui porte à 18 milliards la somme qui sera consacrée à la revalorisation dans les dix prochaines années. downloadModeText.vue.download 288 sur 509 SOCIÉTÉ 287 Un programme ambitieux La vivacité des affrontements entre le gouvernement et les enseignants sur la question de la revalorisation a des répercussions sur l’autre débat souhaité par Lionel Jospin sur la rénovation de l’école. Alors que les deux questions avaient été abordées simultanément au cours des deux tables rondes qui avaient réuni les 17 et 18 janvier l’ensemble des partenaires du monde éducatif, le ministre avait été contraint de mettre la seconde entre parenthèses, tant que les passions provoquées par la première ne se seraient pas apaisées. Mais, dès le mois de mars, il se remet à l’ouvrage. Le 10 avril, il présente à la presse le projet de loi qui est soumis au Parlement à la session de printemps et qui est adopté début juillet. Par son ampleur même et sa complexité, ce second sujet provoque beaucoup moins de réactions que le précédent. Il est vrai que Lionel Jospin s’est efforcé de le vider de tout ce qui était susceptible de révéler les clivages politiques ou corporatistes. C’est ainsi, par exemple, qu’il s’est abstenu de faire figurer dans la loi un sujet particulièrement sensible – celui de la réforme et de l’allégement des programmes – qu’il désirait pourtant aborder, et qui sera traité selon une autre procédure. En fait, la portée même du débat législatif a paru d’emblée limitée à partir du moment où le président de la République a fait connaître son opposition à la formule d’une « loi-programme ». Souhaitée notamment par la FEN et par Lionel Jospin, celle-ci a été jugée trop contraignante par le chef de l’État. Le gouvernement ayant opté pour une « loi d’orientation », il devenait clair que la discussion se limiterait à l’affirmation de principes généraux, sans modification profonde des structures de l’Éducation nationale. Chronique judiciaire Pour solde de tout compte... C’est ainsi que la justice pourrait qualifier ellemême les procès de l’année 1989 qui s’apparentent plus à des bilans qu’à des affaires criminelles. Ainsi, les deux passages devant les assises des dirigeants d’Action directe à Paris et à Lyon n’ont signifié aucunement la résurgence d’un terrorisme à la française, mais plutôt sa liquidation judiciaire. Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Georges Cipriani, Joëlle Aubron n’obtiennent qu’une indifférence marquée, bien pire pour eux que les condamnations à perpétuité que la cour d’assises spéciale de Paris leur inflige pour l’assassinat du P-DG de Renault, Georges Besse. Quant aux 20 membres de la branche lyonnaise du terrorisme, dont André Olivier, l’idéologue, et Max Frérot, le dynamiteur, ils tiennent des propos usés et confus devant les bancs vides de la gigantesque salle d’assises de Lyon. Bilans, également, ces procès qu’il faut instruire ne serait-ce que pour les évacuer : le beau Serge, assassin d’un commissaire dans les années 60, qui a été condamné à 12 ans de réclusion, lui qui avait risqué la peine de mort ; Serge Livrozet, qui est lavé de l’accusation d’avoir fabriqué de la fausse monnaie ; et Roger Knobelspiess, pris la main dans le sac au cours d’un hold-up à Perpignan, qui restera emprisonné pendant neuf ans. Bilan, toujours et encore, mais cette fois pour tirer un trait définitif sur l’histoire. Le downloadModeText.vue.download 289 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 288 commissaire Jobic passe devant le tribunal de Nanterre sur la dénonciation de trois prostituées qui prétendaient lui avoir remis de l’argent. Ce sont leurs déclarations qui ont déterminé le juge Hayat. Très vite, le procès tourne à l’affrontement police-justice et, naturellement, aboutit à un match nul. L’acquittement du policier, outre le mérite de rendre son honneur à un commissaire, a eu celui de vider définitivement la querelle. Pierre Bois Le texte législatif voté par le Parlement se présente donc à la fois comme un document de référence tendant à donner une portée solennelle aux grandes orientations gouvernementales, et une série de mesures ponctuelles représentant, pour le ministre, les conditions nécessaires à leur application. Donner à tous les jeunes Français une formation sanctionnée par un diplôme et conduire, d’ici dix ans, 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, tel est l’objectif fixé par la loi d’orientation. Un programme ambitieux, si l’on songe qu’actuellement 40 % des jeunes Français seulement parviennent au bac et que 100 000 d’entre eux sortent chaque année de l’école sans aucun diplôme. C’est pourquoi les mesures prévues par la loi visent à la fois à faciliter l’intégration des jeunes dans le système de formation et à lutter contre l’échec scolaire. Un aménagement nécessaire Parmi les premières, on retiendra des dispositions ayant pour but de tenir davantage compte des motivations et des intérêts des élèves, notamment dans l’orientation scolaire, dans la gestion des établissements (avec la création d’un conseil des délégués des élèves), dans la reconnaissance d’un droit aux études et dans l’organisation des rythmes scolaires. Quant à la lutte contre l’échec, elle doit se concrétiser par la généralisation de l’accès en maternelle à trois ans, par la limitation des redoublements, par l’évadownloadModeText.vue.download 290 sur 509 SOCIÉTÉ 289 luation régulière des connaissances des élèves, par une aide particulière à l’apprentissage de la lecture et par le développement des centres de documentation. La loi insiste également sur l’autonomie des établissements et la nécessité pour eux de se doter de projets pédagogiques précisant leurs objectifs et leurs moyens. Ils seront aidés dans cette tâche par l’inspection générale qui, à la suite d’une réforme décidée par le ministre, devra désormais se consacrer moins à la notation individuelle des enseignants et à l’élaboration des programmes scolaires et davantage à l’évaluation des établissements et au suivi des grandes réformes pédagogiques du ministère. La loi annonce également une réflexion générale sur la réforme et l’allégement des programmes et des examens. Un « conseil national des programmes » sera chargé de revoir et de réviser périodiquement les contenus de l’enseignement, cette tâche n’étant plus désormais de la compétence exclusive de l’inspection générale. Pour préparer le travail de ce conseil, une procédure d’étude et de consultation a été mise en place, en marge de la loi. Une commission présidée par deux professeurs au Collège de France, le sociologue Pierre Bourdieu et le biologiste François Gros, a publié en mars un premier texte d’orientation. Neuf commissions spécialisées ont ensuite été constituées, présidées par des universitaires ; à la fin juillet, elles ont remis leurs rapports détaillés. Une vaste consultation était ensuite engagée par le biais d’un questionnaire diffusé massivement et d’une série de colloques régionaux. Ce travail de réflexion doit permettre au ministre de prendre des décisions au printemps 1990 pour qu’une réforme d’ensemble de l’organisation et des contenus de l’enseignement puisse être mise en place à la rentrée de 1991. L’objectif prévu est de limiter la quantité des connaissances à transmettre, pour mettre davantage l’accent sur les méthodes et sur l’effort personnel des élèves ; mais aussi de rééquilibrer l’enseignement secondaire, où le poids des mathématiques est jugé excessif. Estimé nécessaire par le ministre de l’Éducation nationale, cet aménagement de l’enseignement est considéré avec méfiance par les enseignants, qui craignent qu’il se fasse au détriment de leurs disciplines respectives. Les informations – plus ou moins fondées – qui avaient percé des premières réflexions de la commission Bourdieu-Gros ont largement contribué à aviver le mouvement de protestation qui a secoué le corps enseignant en février-mars, à propos de la revalorisation. D’où le souci du ministre d’éviter que les deux sujets ne se télescopent ; mais aussi son désir d’aller vite, pour que le débat n’ait pas le temps de dégénérer en un affrontement idéologique impossible à maîtriser. Faits divers En France, la criminalité reste stable. Bon an mal an, le pays aligne son cortège d’homicides volontaires, de vols qualifiés, de criminalité moyenne dans une atmosphère banalisée. La drogue est dénoncée périodiquement et le principal fait divers mystédownloadModeText.vue.download 291 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 290 rieux, l’affaire Cons-Boutboul, s’enlise dans la procédure. Des drames pourtant surgissent du quotidien pour rappeler que le crime et la fureur ne sont pas anesthésiés. Ainsi, à Luxiol, dans le Doubs, cette tragédie de la folie, trente minutes de terreur dans un village : le 12 juillet, entre 14 h et 15 h, un homme de 31 ans, agriculteur, va tuer 14 personnes, membres de sa famille et voisins ; il va tirer sur tout ce qui bouge. Sa route sanglante s’achèvera lorsque les gendarmes le blesseront et le maîtriseront. Sombre histoire paysanne, Christian Dornier, tout le monde le savait, avait, comme les médecins disent pudiquement, des problèmes. Ses frères et soeurs s’étaient mariés et avaient quitté la ferme, et son père, peu à peu, s’était détourné de cet enfant sans regard qui semblait trop absent. On le supportait, voilà tout, comme on supporte, à la campagne plus facilement qu’ailleurs, ceux qui paraissent différents. Christian Dornier avait très mal pris que son père, au moment où il allait prendre sa retraite, ait mis l’exploitation au nom de sa femme, prolongeant ainsi son règne sur la ferme que le fils convoitait. L’élément déclenchant fut le mariage de la deuxième fille des Dornier et cette joie provocante au cours des noces. Mais comment réellement apprécier la raison de cette déraison ? À 14 h, Christian prend son fusil de chasse. Il tire sur son père, le blesse gravement et s’enfuit. De sa voiture, il crible de balles tout ce qui se présente sur son passage dont un enfant de dix ans qui en mourra. Au niveau du fait divers, c’est la demi-heure la plus sanglante de la décennie. Pierre Bois Des initiatives retentissantes Une autre disposition importante prévue par la loi d’orientation – la seule peut-être qui ait rendu nécessaire le recours à la loi – est la création d’Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), dans lesquels seront formés les futurs instituteurs et les futurs professeurs du secondaire préparant le CAPES. Ces établissements ayant le statut universitaire, ils se substitueront aux écoles normales d’instituteurs et aux différents centres de formation des professeurs de l’enseignement général et technique du secondaire. Les élèves y entreront après la licence et y suivront une formation professionnelle de deux ans. Ces centres seront mis en place en 1992, quelquesuns commençant à fonctionner à titre expérimental dès la rentrée 1990. Si la loi d’orientation sur l’éducation traite peu de l’enseignement supérieur – à l’exception de la création des IUFM –, ce secteur n’a pas été laissé de côté par le ministre de l’Éducation nationale. Après avoir mis un terme à la confusion qui régnait sur le plan institutionnel, en généralisant l’application de la « loi Savary » sur les statuts des universités, celui-ci a lancé, sous l’impulsion de son « conseiller spécial », le géophysicien Claude Allègre, plusieurs initiatives appelées à avoir un profond retentissement. La plus importante est la mise en oeuvre d’une politique contractuelle entre l’État, les régions et les universités, qui doit permettre de définir des politiques régionales de développement de l’enseignement supérieur, destinées en particulier à harmoniser les formations du premier cycle (universités – classes préparatoires – IUT – BTS – filières professionnelles à caractère régional). Cette planification décentralisée quadriennale est censée faciliter l’insertion dans l’enseidownloadModeText.vue.download 292 sur 509 SOCIÉTÉ 291 gnement supérieur des masses de bacheliers qui doivent y parvenir dans les années à venir. Elle répond d’autre part aux demandes des régions qui souhaitent voir leurs compétences s’étendre à l’enseignement supérieur qui, aujourd’hui, dépend exclusivement de l’État. Cette politique passe notamment par un renforcement de l’autonomie des universités, rendue possible par l’élargissement des compétences financières et des capacités de gestion des établissements et par l’allègement de la réglementation. Une série de mesures concrètes allant dans ce sens a été annoncée par le ministre de l’Éducation nationale, au cours d’un colloque sur le financement de l’enseignement supérieur, organisé les 26 et 27 avril à l’université de Paris-Dauphine par le Monde et par la Revue française de finances publiques. L’effort du ministre porte aussi sur l’organisation de la recherche. Après avoir rétabli la « thèse Savary », qui avait été abandonnée par le gouvernement Chirac, il a lancé un programme visant à « mus- cler » la recherche universitaire, par la constitution de « pôles d’excellence » dans les régions les mieux équipées (pour faire face à la concurrence internationale), par l’ouverture sur le monde industriel (en facilitant la mobilité des chercheurs), par la création d’un « monitorat d’initiation à l’enseignement supérieur » (pour aider financièrement les étudiants préparant une thèse et reconstituer le vivier de jeunes chercheurs), par la création d’un conseil scientifique de haut niveau, composé pour moitié d’experts européens et chargé d’évaluer les projets de recherche des établissements. Presse Deux événements expriment l’évolution accélérée de la presse dans le monde en 1989. En juin, un « joint venture » unit une société française et le journal soviétique les Nouvelles de Moscou en vue de la publication en France (à 40 000 exemplaires) d’une version française de l’hebdomadaire phare de la perestroïka. En juillet, on assiste à la naissance d’un géant américain de la communication : Warner est racheté par le groupe Time. L’ensemble pèsera près de 58 milliards de francs. Deux événements, deux motsclefs : internationalisation, concentration. Et en France ? Selon le CESP, un peu plus d’un Français adulte sur deux (55,3 %) continue downloadModeText.vue.download 293 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 292 de lire au moins un quotidien, national ou régional. Parmi ces lecteurs, 15 % lisent des titres nationaux, au premier rang desquels, le Monde (1,6 million de lecteurs), le Parisien (1,5) et le Figaro (1,4). Au sein de la presse quotidienne régionale (PQR), Ouest-France (765 000 exemplaires diffusés, 2,3 millions de lecteurs) maintient sa première place, loin devant le Dauphiné libéré et la Voix du Nord (1,3 million de lecteurs chacun). La PQR a entendu de nombreuses rumeurs de rachat de titres : le Républicain lorrain par le groupe Cora, la Voix du Nord, l’Est républicain, le Midi libre par le groupe Hersant et la Dépêche du Midi par le groupe Hersant ou par Robert Maxwell. Pourtant, à l’exception de Ouest-France et de la Voix du Nord, tous les grands titres régionaux ont connu, au cours des six dernières années, un effritement de leur diffusion. Cela n’empêche pas de nombreux industriels et groupes de médias de s’y intéresser, car la presse régionale française est loin d’avoir absorbé toutes les possibilités de la publicité locale. La fermeture de l’Agence centrale de presse, annoncée par son actionnaire majoritaire Robert Maxwell, ne devrait pas contribuer à garantir la pluralité de l’information. Jules Chancel Un autre volet de l’action gouvernementale en ce domaine concerne la vie étudiante, avec la création par la loi d’orientation d’un « observatoire de la vie étudiante » dont la mise en place a été assez laborieuse. Cet observatoire doit à la fois étudier les évolutions et les besoins de cette population et faire des propositions d’actions au ministre. Une mission de rénovation des campus universitaires a été confiée à une équipe d’architectes et d’urbanistes et, pour 1990, le ministre a annoncé des initiatives dans le domaine des bourses, du logement et de l’animation culturelle. La nécessité de telles actions a été ressentie de façon aiguë à la rentrée universitaire, car les mauvaises conditions matérielles qui existent dans les universités ont entraîné de nombreux mouvements de protestation. L’incident Marquée par les deux grands débats sur la revalorisation de la condition enseignante et sur la loi d’orientation, l’année 1989 s’est terminée, de façon inattendue, par la remise en cause de la laïcité, à l’occasion d’un incident survenu dans le collège de Creil, dans la région parisienne, où trois jeunes musulmanes ont refusé d’enlever leur foulard islamique dans la classe. Cet épisode, apparemment mineur, a lancé un débat national sur l’intégration des immigrés et sur l’attitude de l’Éducation nationale face au comportement de certaines minorités religieuses. L’école laïque peut-elle accepter le port en classe de signes de reconnaissance à caractère confessionnel ? Tandis que certains – dans les milieux politiques et enseignants – mettent en avant la nécessité d’une stricte neutralité, d’autres – et notam- ment l’épouse du président de la République – prônent la tolérance, estimant que l’école doit être ouverte à toutes les sensibilités, si elle veut accueillir tous les enfants, notamment ceux de minorités d’origines culturelles différentes. Ce débat, qui a pris des allures très vives et divise la plupart des familles spirituelles ou des formations politiques, suit une réflexion plus générale amorcée depuis plusieurs mois par des responsables de l’Église et de la Ligue de l’enseignement, en faveur d’une conception plus ouverte de la laïcité, perdownloadModeText.vue.download 294 sur 509 SOCIÉTÉ 293 mettant notamment d’introduire l’enseignement religieux à l’intérieur des écoles. Dans ce qui est devenu « l’affaire du foulard », le ministre de l’Éducation nationale a pris une position modérée qui a surpris ses amis politiques. S’il se déclare résolument hostile au port du foulard en classe, Lionel Jospin insiste aussi sur le refus de l’exclusion et sur le risque qu’une position intransigeante ne fasse le jeu des intégristes et renforce ceux qui demandent la création d’un enseignement confessionnel musulman. Consulté par le ministre de l’Éducation nationale, le Conseil d’État a indiqué que c’était aux établissements eux-mêmes de décider d’interdire ou non le foulard, en fonction d’un certain nombre de critères, précisés le 20 décembre. Malgré son caractère un peu irréel, en raison de la disproportion entre l’incident et l’ampleur des réactions, « l’affaire du foulard » a le mérite de poser le problème des trop grandes concentrations d’immigrés et d’obliger de nombreux responsables à réfléchir sur la question de leur intégration. FRÉDÉRIC GAUSSEN Fondateur du Monde de l’Éducation, Frédéric Gaussen est responsable de la rubrique de l’éducation et du supplément Campus du Monde. downloadModeText.vue.download 295 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 294 La réforme du Code pénal La France se prépare à abolir son Code pénal. Des cinq codes que Napoléon avait décidé de donner au pays, l’un – le Code d’instruction criminelle – a disparu en 1959, remplacé par un Code de procédure pénale ; deux autres sont en piteux état : le Code de commerce perd ses articles, abrogés et remplacés peu à peu par des lois non codifiées, et le Code de procédure civile est progressivement dévoré par un Nouveau Code de procédure civile. Restent intacts, mais plus ou moins profondément modifiés depuis leur promulgation, le Code civil et le Code pénal, qui datent respectivement de 1804 et de 1810. Un Code « médiocre » Considéré comme l’un des fruits de la Révolution, admiré par Stendhal, célébré dans les écoles primaires, le Code civil est devenu un monument vénérable auquel on n’apporte plus que des retouches sans oser songer à l’abattre. Le Code pénal, en revanche, n’inspire pas un tel respect. Par l’effet d’une comparaison machinale avec le Code civil, on a pris l’habitude de dire qu’il est « médiocre ». Sous la IIIe République, il avait été menacé par deux projets de réforme. Le premier (de 1894) s’était empêtré dans les lenteurs de la procédure parlementaire, et le second (de 1934) avait été oublié dans les tourments de la guerre. Le Code pénal atteignit donc son cent-cinquantenaire. En 1960, on lui fit une grande fête, alors qu’il ne ressemblait plus guère à ce qu’il avait été en 1810 car de très nombreux textes (lois, décretslois, décrets ou ordonnances) l’avaient profondément remanié. À ce moment, on le croyait sauvé ; mais le bouillonnement rénovateur qui inspira M. Giscard d’Estaing dans les premiers mois de son septennat ne l’épargna pas. Une commission de révision fut instituée dès le 8 novembre 1974, et le garde des Sceaux annonça qu’elle aurait achevé ses travaux dans l’année. En juillet 1976, elle ne livra pourtant que ceux qui affectaient la partie dite « générale » du Code, celle qui dresse la liste des peines, pose les règles communes à toutes les infractions (tentative, complicité...), définit les causes d’exonération (démence, légitime défense...), et que l’on oppose à la partie « spéciale », qui décrit une à une les centaines d’infractions (meurtre, viol, escroquerie...). Le texte de 1976, modifié en 1978 pour tenir compte de divers avis, était assez étonnant : il évitait les termes « peine » et « responsable », car ses auteurs pensaient que la réaction d’un État laïc à la délinquance ne devait pas reposer sur le présupposé de la responsabilité individuelle ou sur celui du libre arbitre et qu’elle devrait consister en des « sanctions » adaptées à des projets pragmatiques, comme la réadaptation. L’accueil des spécialistes, comme celui du garde des Sceaux, M. Peyrefitte, fut très hostile. Ce dernier fit même vodownloadModeText.vue.download 296 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 295 ter des textes d’inspiration très contraire à celle du projet : la loi du 22 novembre 1978, qui institua la période de sûreté, minimum incompressible des peines d’enfermement, et la célèbre loi « Sécurité et liberté » du 2 février 1981, dont la préparation et le vote donnèrent lieu à d’intenses polémiques entre la droite et la gauche. Après le changement de majorité en 1981, M. Badinter donna à la Commission de révision un signe d’encouragement très appuyé, puisqu’il en devint le président. Cette nomination, décidée au moment de la suppression de la Cour de sûreté de l’État et de l’abolition de la peine de mort, alors que les passions politiques étaient vives, eut un inconvénient : la Commission passa d’autant plus facilement pour un instrument de la nouvelle majorité que ses productions de 1976 et de 1978 avaient déplu aux conservateurs. Cette donnée, depuis lors, n’a pas cessé de marquer l’évolution de l’affaire. Après 1981, la partie générale du nouveau projet fut remaniée de façon à réintroduire les termes « peine » et « res- ponsabilité », trop légèrement répudiés, mais l’idée fut conservée que la meilleure des politiques criminelles était celle qui confiait au juge de larges pouvoirs d’individualisation de la peine. La Commission publia son texte en juin 1983 puis le retoucha encore une fois, de telle façon que le Premier ministre put, le 20 février 1986, déposer devant le Sénat un « projet de loi portant réforme du Code pénal ». On y trouve non seulement la partie générale du Code mais aussi deux « livres » de sa partie spéciale : ceux qui traitent des « crimes et délits contre les personnes » et des « crimes et délits contre les biens ». À l’époque de la cohabitation, le projet ne fut pas discuté. Le Sénat ne s’en saisit qu’après les élections de 1988 et délibéra du livre premier, qui contient la partie générale, lors de plusieurs séances tenues entre le 9 et le 18 mai 1989. L’Assemblée nationale fit de même les 10, 11 et 12 octobre 1989 ; mais il faudra attendre encore quelques années pour que les textes ainsi examinés en première lecture deviennent le Nouveau Code pénal français. En effet, certaines règles constitutionnelles imposent que la partie générale du Code ne soit pas promulguée avant sa partie spéciale, laquelle comprendra, outre les deux « livres » déjà prêts, un « livre IV » relatif aux infractions contre « la paix publique et les institutions républicaines ». Le vote de cet ensemble ne pourra pas intervenir avant 1992. La réforme du président Les débats parlementaires ont révélé au grand jour les difficultés de l’entreprise. Les plus graves concernent l’utilité de la réforme : d’autres intéressent quelques nouveautés qu’on y trouve. En effet, le gouvernement et les rapporteurs ont eu quelque peine à fournir de fortes raisons propres à justifier le changement de Code. Ils se sont efforcés de montrer les défauts du Code de 1810. Son grand âge est un argument assez simpliste qui, de surcroît, condamnerait de nombreuses lois. Son plan est sans doute maladroit, mais moins que celui du Code civil et cela n’a jamais gêné personne. Il contient bien quelques incriminations critiquables, mais un petit nombre de retouches auraient pu j mettre bon ordre. À l’opposé, un nouveau Code aurait l’avantage de faire une place plus grande downloadModeText.vue.download 297 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 296 aux Droits de l’homme ; mais, si la chose est nécessaire, elle suppose plutôt une réforme du Code de procédure pénale qui contient les règles présidant à la détention, à la garde à vue, à l’arrestation. On prête encore au projet le mérite de mettre en forme de loi des règles qui ne résultent encore que de la jurisprudence, c’est-à-dire des manières de juger habituellement suivies par les tribunaux. Toutefois, lorsqu’ils en furent à ce stade, à propos, par exemple, de la contrainte et de la légitime défense, les parlementaires découvrirent qu’on ne peut condenser en quelques lignes les solutions juris-prudentielles et même que, en modifiant des textes, on risque de détruire les règles qu’il s’agit précisément de conserver. Enfin, le nouveau Code devrait éviter au juge d’avoir recours à l’emprisonnement. Les institutions inventées depuis 1975 suffisaient pourtant à satisfaire cette ambition. Soulignant toutes ces faiblesses, de nombreux professionnels du droit avaient clairement dit qu’ils n’avaient nul besoin d’un nouveau Code. Dès 1986, la Cour de cassation elle-même l’avait fait savoir par l’intermédiaire d’une commission restreinte dont M. Arpaillange, son procureur général, était alors membre. Bref, lorsque, au printemps de 1989, s’ouvrit la discussion parlementaire, chacun se souvint que la réforme émanait de la seule volonté du président de la République. Il l’avait exprimée de façon assez inopinée à l’occasion des voeux pour le nouvel an de 1989 le Monde, 10 mai 1989), et les sénateurs et députés se déterminèrent en considération du désir présidentiel plus qu’en contemplant le texte offert à leur attention. Cette circonstance aggrava encore la politisation du débat. Le RPR opposa à la discussion parlementaire une « question préalable », tendant à empêcher tout débat, mais il n’y réussit pas. Les travaux du Parlement furent constamment marqués par l’opposition droite-gauche, et, fortement limités dans le temps, n’eurent guère de profondeur. Quelques nouveautés Les nouveautés finalement votées sont peu nombreuses, mais il en est une qui est très saillante : la responsabilité pénale des personnes morales. Il y a longtemps que celles-ci, c’est-à-dire les sociétés, associations, établissements publics, etc., peuvent conclure des contrats, plaider, être condamnées à des dommages et intérêts, mais, jusqu’à présent, sauf quelques exceptions comme celle de la réglementation de la concurrence, elles n’étaient pas susceptibles d’être inculpées, accusées et condamnées pour des infractions. C’est cette responsabilité nouvelle que le projet tend à introduire dans le droit français. La discussion de ce point fut longue et âpre, car les opinions étaient très divergentes. Le RPR pensait que le principe de la responsabilité des personnes morales rendait flous les fondements mêmes de la responsabilité pénale, y compris celle des personnes physiques. Le PCF trouvait le principe nouveau excellent, mais voulait qu’il fût réservé aux sociétés commerciales et épargnât les partis politiques, associations, syndicats, institutions représentatives du personnel. Le PS, unanime derrière la Commission de révision, voulait que la règle nouvelle fût aussi large que possible. Les associations patronales n’y voyaient pas d’inconvénients, à condition que la condamnation downloadModeText.vue.download 298 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 297 pénale de la personne morale interdise que l’on recherche cumulativement la responsabilité de ses dirigeants, personnes physiques. Le Sénat admit le principe en l’enfermant dans les limites que proposaient à la fois le PCF et les employeurs, mais l’assemblée suivit la thèse du PS en ajoutant que les dirigeants de la personne morale pourraient être condamnés en même temps qu’elle, à condition d’avoir commis « une faute personnelle ». Le principe ayant été énoncé, il fallait encore inventer des peines adéquates. Ce furent la dissolution, pour les cas très graves, diverses interdictions, qui réduisent la capacité de la personne morale ou l’empêchent d’exercer l’activité pour laquelle elle a été fondée, et enfin l’amende, dont l’Assemblée nationale a voulu qu’elle fût du décuple de celle encourue par un particulier. Les règles ainsi énoncées ne s’appliqueront pas de plein droit chaque fois qu’une personne morale pourra être impliquée dans une infraction quelconque : il faudra encore que, dans les parties spéciales du Code, qui restent à voter, on trouve une disposition expresse en ce sens, qui impute aux personnes morales telle ou telle infraction. En dehors de cette importante affaire des personnes morales, les dispositions examinées cette année contiennent peu de nouveautés. Il convient de retenir que la période de sûreté n’a pas été supprimée, mais qu’elle est toujours facultative pour les cours et tribunaux, alors qu’aujourd’hui elle s’applique encore de plein droit à certains criminels odieux. L’Assemblée a rejeté une proposition qui instituait une peine « inexorable » en remplacement de la peine de mort abolie depuis 1981. Des débats assez confus ont eu lieu autour des « peines de substitution », mesures que le juge peut prononcer à la place de l’emprisonnement, et qui existent déjà dans notre Code actuel. Ce sont, par exemple, l’annulation ou la suspension du permis de conduire, la confiscation ou l’immobilisation d’un véhicule... Certains députés ont fait valoir que l’immense faculté d’individualisation ainsi laissée au juge contenait un risque d’arbitraire, et proposèrent en conséquence que ces diverses sanctions soient insérées dans la liste des peines normalement encourues au même titre que l’emprisonnement. On pourrait, par exemple, punir la diffamation par la suspension du permis de conduire et l’escroquerie par un travail d’intérêt général. Le rapporteur du projet de Code admit la pertinence de la critique et de l’observation, mais fit repousser les amendements de l’opposition pour se donner le temps de réfléchir jusqu’au prochain examen du texte, en deuxième lecture. En un mot, le nouveau Code est loin d’être prêt. JACQUES-HENRI ROBERT downloadModeText.vue.download 299 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 298 La société des loisirs ou la vie rêvée Quantitativement et qualitativement, la société actuelle est celle des loisirs. Les Français, comme la plupart des habitants des pays développés, adoptent de nouveaux comportements. Ils tentent par tous les moyens de substituer le rêve à la réalité. L’engouement croissant pour le jeu montre qu’ils veulent redonner au hasard une place que la société industrielle lui a fait perdre. Le loisir est une conquête récente des Français. 1936 en fut la première étape, avec l’octroi de « congés payés » à des salariés dont beaucoup se demandèrent avec anxiété comment ils allaient les occuper. Mai 68 apportait de nouvelles revendications, plus philosophiques, concernant le droit à l’épanouissement individuel dans les différentes phases de la vie : professionnelle, familiale, sociale, personnelle. La crise économique de 1973, loin de retarder le processus engagé, l’a au contraire accéléré. La société « postindustrielle », imaginée par le futurologue Hermann Kahn et l’Hudson Institute dans les années 60, profitait de la faiblesse de la société industrielle pour y faire son lit et manifester son insatisfaction par rapport au présent ainsi que son angoisse face à l’avenir, notamment par son goût pour les arts, les voyages ou même les parcs de loisirs... La révolution culturelle En un demi-siècle, c’est donc une véritable révolution culturelle, sans drame ni manifestation brutale, qui s’est produite sous nos yeux. La question n’est plus aujourd’hui de savoir quand la France entrera dans la civilisation des loisirs promise par Joffre Dumazedier il y a trente ans. Celle-ci est déjà inscrite, et sans doute définitivement, dans notre vie quotidienne : rappelons qu’un homme consacre au cours de sa vie (72 ans en moyenne) plus de 20 ans au loisir et seulement 8 ans au travail ; rappelons aussi qu’il passe plus de temps devant un écran de télévision qu’à son lieu de travail... Disposant de plus de temps, les Français consacrent aussi plus d’argent à ces activités choisies : équipements électroniques, voyages, alimentation de fête, sports, achats de services, etc. On peut estimer au total qu’environ un tiers du budget des ménages va directement ou indirectement à des dépenses destinées à acheter du temps libre ou à l’utiliser. Mais le changement n’est pas seulement quantitatif. Comme la plupart de leurs homologues des pays développés, les Français ont adopté au cours de ces dernières années une nouvelle mentalité vis-à-vis du loisir. Celui-ci s’affirme, downloadModeText.vue.download 300 sur 509 SOCIÉTÉ 299 de plus en plus, comme une véritable activité, au même titre que le travail. Le « loisir-récompense », héritage judéochrétien deux fois millénaire, n’est donc plus d’actualité, en particulier pour les jeunes générations, qui se sentent nullement contraintes de « gagner leur vie (et leur coin de paradis) à la sueur de leur front ». Au cours des années 80, les Français (et les Françaises, phénomène inédit) ont ainsi redécouvert l’existence de leur corps et cédé à leurs pulsions naturelles pour le jeu, la fête, la liberté. Le principe de jouissance est aujourd’hui prioritaire par rapport à celui de réalité. Le loisir est donc le grand sujet de l’époque, sujet de conversation, de satisfaction, d’étude, de revendication, parfois d’inquiétude ou de frustration. Il constitue aussi un énorme marché sur lequel opèrent la plupart des entreprises, qu’elles vendent des automobiles, des programmes de télévision, des équipements de sport ou des pizzas à domicile. Il est intéressant, dans ce contexte, d’examiner l’évolution récente de la demande et de l’offre qui l’a suivie, ou parfois précédée. Le rêve plus important que la réalité L’un des phénomènes sociologiques les plus forts de ces dernières années est la propension des Français à préférer le rêve à la réalité. On trouve les manifestations de cette tendance dans la plupart des activités de loisirs. Les films qui font le plus d’entrées racontent des histoires en forme de contes de fées (Bagdad Café, Romuald et Juliette, Crocodile Dundee), donnent la vedette à des animaux (le Grand Bleu, l’Ours, Roger Rabbit) ; les films fantastiques ou de science-fiction (Batman) battent des records de nombre d’entrées. Les héros du quotidien, comme dans les films de Sautet, attirent moins de spectateurs que les grosses machines oniriques américaines ; on ne les voit même plus à la télévision, où Dallas a depuis longtemps remplacé le Temps des copains. Les médias portent d’ailleurs une lourde responsabilité dans cette attitude nouvelle. La réalité qu’ils montrent est en effet souvent partielle, sinon partiale. Elle fait l’objet d’une mise en scène destinée à la rendre plus spectaculaire ; elle est en fait recréée. downloadModeText.vue.download 301 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 300 Dans d’autres formes d’art, le réalisme n’est guère à la mode non plus. Les romanciers contemporains, tels Philippe Djian, Modiano ou Le Clézio, s’essaient à d’autres personnages, d’autres décors, avec d’autres styles que leurs aînés. La peinture moderne est de plus en plus intérieure et de moins en moins descriptive. Les sculpteurs ne reproduisent pas des formes : ils donnent du volume et du poids à des images abstraites. La photographie, la bande dessinée, les clips musicaux mettent en scène des héros symboliques qui évoluent dans des univers oniriques. La musique, de Jean-Michel Jarre à Michaël Jackson, utilise des instruments et des sonorités propres à déclencher le rêve. La publicité, qui participe de toutes ces disciplines artistiques, cherche aussi de plus en plus souvent à transcender la réalité du produit qu’elle vante : décors, acteurs, éclairages, angles de prise de vue, montage contribuent à inscrire les images publicitaires dans un « autre monde ». Gastronomie Écartons l’espoir déraisonnable : nos vins ont connu plusieurs années du siècle. Mais, déjà, 1989 s’annonce comme un somptueux millésime. Constamment chaud, l’été a été favorable à la vigne, qui a bien supporté la sécheresse avec l’aide de pluies modérées. Les vendanges ont été souvent avancées de quinze jours à trois semaines ; la chaptalisation a été partout évitée. Les vins de Loire ont atteint 12 à 14°, le beaujolais 12,5°. Riches, pleins et structurés, les bourgognes blancs ont suscité des enchères passionnées à la 129e vente des Hospices de Beaune. Les bourgognes rouges, charnus, développent déjà des arômes puissants et sont « marqués par un moelleux révélateur des grandes années ». Néanmoins, la faible acidité de ces vins du soleil posera parfois des problèmes. La réduction de la production et la croissance des exportations ont provoqué une hausse de 30 % en Beaujolais et un doublement du prix des bourgognes blancs. Aussi, d’excellentes appellations contrôlées de moindre lustre attirent l’attention des restaurateurs. Dans le même esprit, l’intérêt d’une cuisine simple et authentique a conduit Maximin, à Nice, Verger, à Cannes, à ouvrir leur bistrot, et Terrail à inaugurer un mâchon parisien à côté de la Tour d’Argent. Un retour aux sources s’est aussi manifesté par la réouverture de la Pyramide, à Vienne, du Chapon fin, à Bordeaux, et par la sauvegarde de la Boule d’Or, à Versailles, classée provisoirement par les Beaux-Arts. Accompagné de l’édition 1900, mais rajeuni de bleu et de vert impressionnistes, le guide Michelin fête ses 80 ans ; Gault et Millau, pour leur vingtième anniversaire, ont couronné Bocuse, Girardet et Robuchon cuisiniers du siècle, conciliant ainsi innovation et tradition, comme Bakus, le premier système expert de la gastronomie, né en octobre, sous la forme de thèse, à l’université de Paris-IX. Georges Grelou Tous les créateurs semblent s’être donné le mot pour accorder à l’imagination une place plus grande qu’à l’observation. Comme leurs concitoyens, ils tendent à fuir une réalité qui les inquiète plus qu’elle ne les rassure. Ne trouvant plus leur inspiration dans la réalité quotidienne, ils en inventent une autre, qui se plie plus facilement à leurs désirs ou à leurs fantasmes. downloadModeText.vue.download 302 sur 509 SOCIÉTÉ 301 Le grand retour du jeu L’engouement croissant pour les jeux de toutes sortes s’inscrit aussi dans ce désir, souvent inconscient, de rêver sa vie. Le Loto est devenu pour 20 millions de Français un acteur potentiel de leur destin personnel ; le seul capable de leur permettre de changer d’existence, de la dévier ou seulement d’en enjoliver le cours. Les paris sur les courses, qui représentent chaque année plus de 30 milliards de francs, concernent (au moins occasionnellement) 8 millions de personnes. Au classique tiercé s’était ajouté le quarté, aux gains plus spectaculaires. À la fin de 1989 arrive le quinte, dont les parieurs peuvent espérer devenir millionnaires. Les chaînes de télévision ont bien compris l’importance de la part du rêve et multiplient les occasions de « gagner ». Autour de la Roue de la fortune, des émissions de jeux (souvent importées des États-Unis) se sont installées sur toutes les chaînes et servent de locomotives aux journaux de 20 heures tout en accroissant les revenus publicitaires. Les films et les séries sont maintenant des prétextes à concours. Du voyage exotique au four à micro-ondes, la panoplie des « cadeaux » n’a de limite que celle de l’imagination. Car les producteurs savent que la carte du rêve coïncide avec celle de l’audience et de la rentabilité. La quête de la fortune s’accompagne donc aujourd’hui de l’attente de la « bonne fortune », c’est-à-dire de la chance. Dans une société très structurée, où l’aventure est devenue un métier, on se donne le frisson en suivant celle des autres dans les médias ou en espérant être choisi par le hasard. Ces pratiques ne sont certes pas condamnables ; l’instinct du jeu et le besoin de rêve sont tous deux inhérents à la nature humaine. Mais on pourrait sans doute s’inquiéter de l’avenir d’une société où l’acte d’achat d’un bulletin du Loto tiendrait lieu d’effort individuel pour améliorer son sort. Le développement des jeux vidéo n’est pas moins significatif de cette tendance à éloigner le réel. Ceux que l’on trouve dans les lieux publics (jeux d’arcade) ont atteint une sophistication extrême : simulateurs de pilotage, jeux d’aventure intergalactique ou de guerre à la Rambo. On les retrouve dans des versions à peine moins spectaculaires sur les ordinateurs individuels et les consoles que les enfants branchent sur le téléviseur familial. Leur caractéristique commune est de présenter une vision « fantastique » de la vie. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les simulateurs de pilotage ne ressemblent pas à la réalité ; ils la transcendent. Les avions, hélicoptères, voitures ou motos sont des engins de science-fiction ; ils explosent, produisent de terribles accidents... et repartent aussitôt, profitant de leur immatérialité. C’est là d’ailleurs que se situe le paradoxe : les images de synthèse électroniques qui donnent naissance aux jeux vidéo, comme aux dessins animés japonais ou aux génériques d’émissions, semblent à première vue d’un réalisme prodigieux. Mais elles n’ont pas d’existence réelle, ce qui autorise toutes les manipulations de la réalité. La frontière entre la réalité et l’image faussement réaliste qui en est donnée n’est guère facile à distinguer, en particulier pour les jeunes qui font une grande consommation d’audiovisuel. downloadModeText.vue.download 303 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 302 Le voyage, au propre et au figuré Voyager, c’est simplement « se déplacer hors de sa région ou de son pays » (Petit Larousse). Mais la charge symbolique du mot est très forte ; on peut, en voyageant, changer de lieu, d’identité, d’activité, d’habitudes, bref de vie. Au sens figuré, on peut aussi se déplacer hors de soi-même. C’est sans doute pourquoi l’idée de voyage occupe une place croissante dans la vie des Français. Ils sont de plus en plus nombreux à s’accorder des périodes de rupture et de liberté, réparties tout au long de l’année. La façon dont les Français passent leurs vacances est d’ailleurs significative des grands mouvements sociologiques de l’époque. Le souci d’individualisme et de personnalisation est croissant. Le temps des vacances standardisées, avec les mêmes activités imposées à tous, est révolu. Les « produits » proposés doivent désormais permettre un choix de plus en plus large ; l’épaisseur des catalogues en témoigne. De même, la passivité, qui fut longtemps l’apanage des congés payés, n’a plus cours aujourd’hui. Les vacanciers de la fin des années 80 veulent profiter de ces moments privilégiés pour s’enrichir culturellement : découvrir de nouveaux paysages ; apprendre de nouvelles activités, sportives ou manuelles. Une autre revendication essentielle, commune à la plupart des vacanciers, est celle du confort et de la sécurité. Pas question de subir les menaces ou les agressions d’un environnement hostile. La qualité de la literie, l’assurance de trouver un médecin ou de pouvoir rapatrier sa voiture sont des composantes des vacances réussies. Les tour-opérateurs et les responsables de clubs devront donc faire preuve de beaucoup d’imagination pour inventer des formules propres à satisfaire ces nouvelles exigences. Il faut dire enfin un mot des autres formes de voyage ; on peut partir de soi-même comme on part en vacances à l’étranger. Le rêve en est le véhicule essentiel ; l’imagination, le support. Ce type de voyage est largement favorisé par l’environnement médiatique décrit précédemment : images de synthèse, créations artistiques, publicité, jeux de toutes sortes. Ce n’est évidemment pas un hasard si la drogue prend une place croissante dans les sociétés développées. Le « voyage » auquel elle conduit n’a rien à voir avec ceux proposés dans les catalogues. Mais beaucoup de jeunes ou d’artistes en mal de création voient en elle une réponse aux difficultés du quotidien et à des perspectives d’avenir maussades. Si le tabac et l’alcool tendent à diminuer ou à stagner, c’est sans doute qu’ils constituent des « drogues » trop douces, et surtout socialement acceptées, donc non contestataires. Or, le voyage permis par les drogues est avant tout individuel, en marge d’une société : dans laquelle on ne parvient pas à s’intégrer. Vie pratique Les appareils ménagers vont toujours plus loin pour rendre davantage de services. En cuisine, les appareils sophistiqués font la triple alliance des modes de cuisson. Ils offrent en même temps grill, chaleur tournante et micro-ondes. Les fours à multifonctions, dans lesquels le tournedownloadModeText.vue.download 304 sur 509 SOCIÉTÉ 303 broche s’impose, permettent de doser la puissance selon les besoins. Les tables de cuisson, à l’entretien simplifié, révèlent une esthétique de pointe et annoncent l’ère de la vitrocéramique. Froid statique et froid ventilé permettent des combinaisons variées. Sur les réfrigérateurs, les trois portes se remarquent. Côté lavage, l’électronique impose sa loi. Désormais les machines pèsent le linge, reconnaissent la nature des textiles et adaptent ensuite le programme de lavage. La carte minceur est l’atout des sèche-linge. Ils mesurent 45 centimètres de large. Équipés de sonde, ils permettent de quantifier le degré de séchage. Le linge sort prêt à repasser ou à ranger, selon les cas. Même option pour les lave-vaisselle taille fine, discrets et silencieux. Les préparateurs culinaires prônent la cuisine minceur. Dotés de variateurs électroniques de puissance, ils préparent jus de fruits et coulis très rapidement. Les cafetières travaillent « en profondeur » pour une meilleure répartition de l’eau sur la mouture de café. Les fers à repasser, contrôlés électroniquement, offrent une température à efficacité optimale et jouent de plus en plus « la carte du sans fil à l’emploi ». Miniaturisation, décidément un mot à la mode en 1989. Les plats, les légumes et les petites gourmandises tout préparés se présentent désormais en portions individuelles, pour satisfaire un nombre croissant de célibataires. Les poudres à laver jouent aussi la carte du mini. Les barils ont vu leur taille divisée par deux et même un peu plus. Dans le même temps, leur efficacité a été multipliée d’autant. Tout se concentre. Laurence Beurdeley Les parcs, loisirs de substitution Ces attentes nouvelles en matière de loisirs ne pouvaient qu’être favorables aux parcs de loisirs. C’est pourquoi ils se sont multipliés en France, en particulier autour de Paris. Mirapolis, parc Astérix, le Futuroscope, Zygofolies, Aquaboulevard, Center Parcs, le parc des Schtroumpfs et le futur Euro Dysneyland sont les plus connus. Le phénomène n’est cependant pas totalement neuf. Les bases nautiques, les parcs d’attraction (fêtes foraines), les parcs animaliers les ont précédés. Les stations de sports d’hiver, dont la France est particulièrement riche, peuvent aussi être considérées comme les premiers parcs de loisirs. Le développement de ces parcs constitue une illustration particulièrement intéressante de l’évolution des modes de vie. Ils constituent en fait un substitut à un certain nombre de pratiques en régression, bien qu’encore largement répandues. La première est la disposition d’une résidence secondaire, spécialité nationale puisqu’elle concerne un peu plus d’un ménage sur dix. Beaucoup ont découvert que la maison de campagne présentait à l’usage trois inconvénients majeurs : coût d’entretien élevé ou obligation de passer une partie importante de son temps à réparer la toiture ou à refaire les canalisations ; difficulté croissante d’accès, due à l’augmentation notable des encombrements pendant les week-ends ; lassitude (souvent ressentie d’abord par les enfants) liée au fait d’aller toujours au même endroit. Contraintes financières, embouteillages et volonté de changement expliquent la désaffection actuelle vis-à-vis des résidences secondaires et renforcent l’intérêt des parcs de loisirs de proximité. Ceux-ci constituent aussi une alternative aux vacances de neige, très coûteuses pour les familles, très risquées quant aux downloadModeText.vue.download 305 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 304 conditions météorologiques et d’un accès particulièrement malaisé pendant les périodes de vacances scolaires. Certains, tel Center Parcs en Normandie, offrent à la fois des activités et un hébergement ; ce sont donc des lieux de vacances susceptibles de concurrencer les stations des Alpes ou des Pyrénées. Il faut ajouter que le risque météorologique y est nul, puisque la plupart des activités sont situées sous une gigantesque bulle de verre chauffée à température constante. Ces parcs de loisirs résidentiels sont en réalité des centres de vacances capables de concurrencer de nombreuses autres formules. Les clients de Center Parcs bénéficient, à une heure de Paris, d’un environnement exotique (palmiers, plantes tropicales, perroquets) et d’un grand nombre d’activités, en particulier aquatiques. Le tout pour un prix très inférieur à celui d’un voyage au Brésil ou même aux Baléares, et sans les risques inhérents à ce type de vacances : coups de soleil ; piqûres d’insectes ; retards d’avion, etc. Échecs Le traditionnel tournoi d’Hastings – sa première édition date de 1895 – a ouvert les festivités en janvier. Short l’a emporté devant Kortchnoï. Speelman, Smyslov et Gulko ont fini à la troisième place. Une jeune Hongroise de douze ans, Judit Polgar, a réussi à voler la vedette aux stars échiquéennes. Elle a gagné, détachée, les challengers d’Hastings devant quatre grands maîtres et onze maîtres internationaux. En février se sont joués les trois derniers quarts de finales qui devaient servir à désigner le futur adversaire de Kasparov. Speelman, qualifié en 1988 au détriment de Short, était déjà en demi-finale. À Seattle, Karpov a exécuté Hjartarson 3,5 à 1,5. À Anvers, Timman a battu Portisch 3,5 à 2,5. Au Québec, Youssoupov a eu toutes les peines du monde à éliminer l’étonnant Spragett. Il y est parvenu finalement par 5 à 4. En mars, à Linarès, Ivantchouk (20 ans) a réalisé sa meilleure performance en gagnant détaché devant Karpov. Ljubojevic a terminé troisième, tandis que Short et Timman se sont partagé la quatrième place de l’un des tournois de l’année au niveau le plus élevé. Le même mois, Lugano a vu la victoire de Kortchnoï et de Petursson. La troisième place du jeune Français Joël Lautier (champion du monde juniors en 1988) lui a permis d’obtenir sa première norme de grand maître. En avril, à Barcelone, Kasparov, avec beaucoup de difficultés, et Ljubojevic ont gagné la quatrième épreuve de la coupe du monde, qui en compte six. Salov a terminé troisième et Kortchnoï quatrième. En mai, à Moscou, Dolmatov a remporté l’open de l’Association des grands maîtres. Akopian, Gavrikov, Vladimirov, Khalifman, De Firmian (un Américain perdu parmi les Soviétiques) et Geo Timosenko se sont partagé la deuxième place. Lautier a fini au milieu du tableau. La cinquième épreuve de la coupe du monde a eu lieu à Rotterdam. À la surprise générale, Timman a devancé Karpov. En tête à trois parties de la fin, l’ancien champion du monde s’est écroulé et les a perdues toutes les trois. Vaganian a obtenu une bonne troisième place. Au classement ELO du 1er juillet : 1er Kasparov (2 775), 2e Karpov (2 755), 3e Short et Ivantchouk (2 660). Chez les femmes, Judit Polgar reste en tête avec 2 555 ; sa soeur Zsuzsa Polgar est 2e (2 520) et la championne du monde Maia Tchibourdanidze, 3e (2 495). downloadModeText.vue.download 306 sur 509 SOCIÉTÉ 305 La France est de plus en plus souvent présente sur le devant de la scène échiquéenne. À Clermont-Ferrand, Dolmatov, Ehlvest, Korïchnot, Sax et le jeune Français Olivier Renet ont remporté la victoire. Renet a obtenu sa seconde norme de grand maître. Lautier a terminé dernier. En août, l’attention a été retenue par la sixième et dernière épreuve de la coupe du monde. À Skelleftea, en Suède, Karpov et Kasparov ont gagné détachés. Portisch, Seirawan et Short ont fini troisièmes. À l’issue du tournoi, Kasparov a remporté la première coupe du monde en devançant Karpov (3e Salov, 4e Ehlvest – deux Soviétiques – et 5e Ljubojevic). Pour la seconde fois, Gilles Mirallès a remporté le titre de champion de France. J.L. Seret, E. Prié et L. Roos ont été deuxièmes. Un incident a pourtant faussé le tournoi. À quatre rondes de la fin, Jean-Luc Seret a boxé le tenant du titre Gilles Andruet, et celui-ci, à la deuxième place au moment de l’empoignade, a été emporté sans connaissance. En septembre, à Tilburg aux Pays-Bas, un Kasparov survolté a triomphé avec 12 points sur 14 possibles. Kortchnoï, deuxième, n’a fait que 8, 5 ; Ljubojevic et Sax, 7. En octobre, à Londres, lors de la demi-finale du tournoi des candidats, Karpov et Timman ont surmonté l’obstacle Youssoupov et Speelman. Ils ont éprouvé les pires difficultés, mais ils ont réussi tous les deux à se qualifier sur le score de 4,5 à 3,5. Alain Fayard La « bulle » de verre joue ici un rôle tout à fait symbolique : cocon protecteur contre les intempéries, la pollution, les maladies, le froid, etc. On retrouve donc, transposé dans les loisirs, le phénomène du « cocooning » caractéristique de la vie de famille. Le parallèle est d’autant plus apparent que le foyer tend à devenir luimême une sorte de bulle stérile à l’abri des menaces extérieures : délinquance, incommunication, etc. Concurrents des résidences secondaires, des stations de ski, des vacances traditionnelles, les parcs de loisirs constituent donc un moyen nouveau d’occuper son temps de loisir. Ils sont aussi, pour beaucoup de familles, une alternative à la « journée télé » du dimanche, un moyen de se procurer des émotions fortes (manèges), de se retrouver dans un environnement différent (parcs à thème), bref de se donner le sentiment de vivre intensément. Ils semblent si bien, dans leur principe, correspondre aux attentes actuelles des Français que l’on peut se demander pourquoi certains connaissent des difficultés : Zygofolies a dû fermer, Mirapolis a été repris en gestion par le Club Méditerranée et relancé avec l’aide du chanteur Carlos... Les raisons en sont sans doute d’abord financières ; les investissements en équipements et en personnel sont très lourds et ne peuvent, dans la plupart des cas, être amortis que sur une partie de l’année, à cause des conditions climatiques. La recherche d’une rentabilité conduit donc à des tarifs d’entrée élevés, qui peuvent être dissuasifs. La seconde raison est que beaucoup de parcs re- posent sur un concept destiné aux enfants (Mirapolis, Astérix, Schtroumpfs...) et ne prévoient pas assez d’activités intéressant les parents. Ceux-ci hésitent donc à payer une entrée à plein tarif, si c’est seulement pour accompagner passivement leurs enfants. Il faut dire que les Français, en matière de loisir comme dans les autres domaines, sont de plus en plus attentifs au rapport qualité-prix de ce qui leur est proposé. downloadModeText.vue.download 307 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 306 Bridge En 1989, une nouvelle étape a été franchie par le bridge français. La Fédération française de bridge (FFB), présidée depuis le 14 octobre par JeanClaude Beineix, compte 72 340 membres (en augmentation de 6,70 % par rapport à 1988). Le premier joueur français reste Paul Chemla, devant Hervé Mouiel et Michel Perron ; mais la progression la plus spectaculaire a été effectuée par Jean-Christophe Quantin (23 ans), qui est passé de la 134e place à la 5e. Du côté féminin, Véronique Bessis s’est classée première devant Ginette Chevalley et Danielle Allouche-Gaviard. En juillet, vingt-cinq pays se sont opposés lors du championnat d’Europe par équipes qui a eu lieu à Turku, en Finlande. La Pologne l’a emporté devant la France (représentée par C. Mari, J.-C. Quantin, D. Poubeau, M. Salama, E. Eisenberg et P. Sussel). Dans la catégorie Dames, le vainqueur a été l’Allemagne fédérale devant les Pays-Bas. La médaille de bronze obtenue par les Françaises a déçu. En septembre, le championnat du monde Open « Bermuda Bowl », qui se déroulait à Perth, en Australie, a vu le succès de l’équipe brésilienne, devant celles des États-Unis et de la Pologne. Lors de l’épreuve féminine, les États-Unis l’ont emporté sur les Pays-Bas, et le Canada s’est classé à la troisième place. À l’issue du simultané mondial Epson, épreuve de masse disputée le même jour (cette année le 9 juin) par 85 000 participants (12 500 en France) dans 84 pays, l’équipe polonaise Biegajo-Zembruski a battu les Australiens et les Canadiens. Quelques best-sellers sont à signaler : de M. Lebel, la Super majeure 5e (Éd. du Rocher), de M. Bessis et N. Lebely, Bien enchérir en défense (Grasset), et de J. Le Dentu, Donnes extraordinaires (Le Bridgeur). Enfin, il existe maintenant un service télématique de bridge 3615 Bridgtel, qui a reçu 700 000 appels en douze mois. Jean-Paul Meyer Les loisirs, et après ? S’il ne fait aucun doute que la société française est entrée depuis quelques années dans ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation des loisirs, l’examen des tendances qui structurent les pratiques actuelles appelle au moins deux réflexions. La première est que les Français semblent s’être précipités dans le loisir plutôt pour fuir une réalité qui les inquiète que pour vivre mieux ou « être » davantage. La démarche n’est donc pas a priori très positive. Elle conduit à la seconde réflexion : cette attitude de refus du réel sera-t-elle durable ou évoluera-t-elle en fonction du contexte économique, social, politique, environnemental ? On est tenté de penser que la situation est conjoncturelle et que le réalisme retrouvera ses droits dès lors que l’horizon apparaîtra moins lourd de menaces. Cette société du rêve n’est donc peut-être qu’une société de transition, entre deux civilisations, entre deux siècles, entre deux millénaires. Pourtant, il est probable qu’il faudra du temps pour que les menaces actuelles (environnement, sida, chômage, risques technologiques, etc.) s’éloignent ou disparaissent. Les hommes devront donc s’accommoder de l’incertitude tout en réparant les erreurs commises par la civilisation qu’ils ont fondée. La réalité ne devrait plus alors les effrayer, de sorte qu’ils pourront vivre leurs loisirs sans en faire un moyen privilégié d’échapper au quotidien. downloadModeText.vue.download 308 sur 509 SOCIÉTÉ 307 Philatélie Ébauchée en 1988, la célébration philatélique du bicentenaire de la Révolution française frappe par son ampleur, sinon par sa qualité. La Poste honore quelques grandes figures : en février, ce sont Sieyès, Mirabeau, Noailles, Barnave et Drouet ; puis, en juin, Mme Roland, Desmoulins, Kellermann, Condorcet. La série artistique accueille le Serment du jeu de paume, esquisse de David. La Déclaration des droits de l’homme est l’objet de toutes les attentions de Philexfrance dans un blocfeuillet vendu 50 F, ses dix-sept articles sont repris en août dans un polyptyque horizontal de quatre timbres à 2,50 F. Trois timbres, Liberté, Égalité et Fraternité, reproduisant des gravures allégoriques de Duchemin, sont émis successivement en mars, avril et mai avant d’être repris en triptyque, accompagnés d’une vignette illustrée du logo de Philexfrance 89. Organisée à la Porte de Versailles du 7 au 17 juillet, dans un cadre inspiré de l’architecte C.-N. Ledoux, cette exposition rassemble sur 50 000 m2 quelque 1 080 collections avec leurs trésors, 130 administrations postales et 270 stands de négociants. Près de 300 000 visiteurs consacrent le succès populaire de la « grand-messe mondiale du timbre-poste ». La Poste fête le centenaire de la tour Eiffel en l’associant, en une série de cinq timbres, à Notre-Dame et aux dernières réalisations architecturales parisiennes : l’Opéra Bastille, la Pyramide du Louvre et l’Arche de la Défense. Une émission marque la tenue en ce lieu du sommet des pays industrialisés. Les ÉtatsUnis célèbrent le vingtième anniversaire de la conquête lunaire quand la France s’arrête sur la seconde mission spatiale franco-soviétique. La splendeur de Vaux-le-Vicomte, magnifiée par un beau timbre panoramique, et la réussite technique du TGV ont mérité un juste hommage philatélique. Hervé Robert GÉRARD MERMET Gérard Mermet, ingénieur A.M. et M.B.A. de l’Université Columbia (New York), est un spécialiste de l’analyse des modes de vie des Européens et du changement social. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la société française et collabore avec des sociétés d’études. Il anime chaque semaine l’émission Francoscopie sur Radio-France internationale. Il vient de publier : Francoscopie (Larousse, 1988). downloadModeText.vue.download 309 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 308 Mode Une mode cousue d’or, baroque et orientaliste Brocart et broché, lamé, satin et tweed cousus d’or, pluies de paillettes et de pépites, broderies « 18 carats », en cette fin de décennie, la mode faisait une entrée théâtrale dans l’univers baroque. Avec la renaissance de l’esprit couture réapparaissait l’envie de faste. Étincelante, éblouissante, somptueuse, flamboyante, la mode se prêtait à une luxuriance de vocabulaire. L’or tissait les fils de la séduction dans les matières de l’année et illuminait de ses feux les effets de style d’Yves Saint-Laurent le Magnifique, les créations d’Angelo Tarlazzi, qui avait succédé en haute couture à Guy Laroche, les tailleurs de Christian Lacroix, qui avait imaginé de la guipure dorée, les tournures en or et velours de Roméo Gigli, la révélation des collections. Broderies « cabochons », écussons de pierreries, boutons-bijoux, ganses de passementerie parsemées de strass de couleurs avaient lancé leurs éclats sous les projecteurs de l’actualité. En ces ultimes mois des années 80, les perles s’enfilaient en de jolies étoffes, s’alanguissaient sur de grands décolletés. Elles nacraient encore les visages de leurs doux reflets ; elles se pavanaient insolemment autour des tailles. Signes extérieurs de richesse, le noir valsait, le rouge créait le choc, prenant de subtils coups de soleil, le mordoré et le bronze sortaient de l’ombre. La mode retrouvait sa gaieté. Chaque robe devenait une fête. Les accessoires fantaisie pesaient de leur poids de sequins, dorures et pampilles. Volutes et arabesques imprimaient leurs courbes aux mouvements de cols et décolletés, venant en contrepoint d’une ligne qui dessinait le corps, pinçait la taille, galbait les hanches et découvrait les jambes. Qui disait baroque disait aussi orienta- lisme, valeur montante de l’art du XIXe siècle, à la hausse dans les ventes aux enchères. La manière orientaliste inspirait les créateurs en leur offrant des rêves aux multiples splendeurs. Byzance ou Delhi, les sortilèges de l’Orient influençaient les mélanges de tissus, les métissages d’allures, les panachages de genres. Les effets drapés, les étoffes nouées, les jeux d’écharpes, c’est d’ailleurs que venaient les nouveaux points d’ancrage des vêtements. Un vent de mousson soufflait aussi sur la mode. Tous les yeux se tournaient vers les ors et les pourpres de l’Inde. En s’imprégnant de coutumes et de cultures, la mode perdait de son uniformité et devenait plus universelle. On pouvait y voir la fraternité des peuples. Les pantalons évoquaient les tenues de Gandhi, les vestes, celles de Nehru. Les tons avaient les couleurs des épices des comptoirs de l’Inde, les châles étaient appelés « Indiennes ». Les jupes imitaient les saris avec leurs asymétries ; les turbans de JeanPaul Gaultier s’empruntaient aux sultans et les mousselines ressemblaient aux robes d’odalisques. On avait déjà vu cela au temps de Poiret vers 1910, puis dans les années 70. En accrochant ainsi les regards, la mode se montrait douée pour le spectacle et se révélait témoin d’une époque. Venu après une forte tendance « minimaliste » qui marqua le début de la décennie 80, ce goût de l’exagération, symbole du baroque, se déclinait de la tête aux pieds. Chapeaux enturbannés, chaussures chamarrées, collants, sacs et gants brodés enrichissaient à leur tour la note orientale. Les bijoux vrais et faux avaient été les premiers objets, il est vrai, de la démesure, avec des pierres d’importance et des volumes de taille. Mais pour combien de temps encore une telle opulence, un tel faste de l’apparence ? LAURENCE BEURDELEY downloadModeText.vue.download 310 sur 509 309 ÉCONOMIE L’euphorie continue. Pour la huitième année consécutive, les pays industrialisés connaissent l’expansion à un rythme encore supérieur à 3 %, même s’il se ralentit par rapport à 1988, particulièrement aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le scénario de « l’atterrissage en douceur » espéré par les dirigeants, qui naviguent tout au long de l’année entre le risque de surchauffe et la crainte de la récession, semble se confirmer. En effet, face aux pressions inflationnistes menaçantes, et tout en restant prudentes pour ne pas casser la croissance, les autorités adoptent des politiques monétaires restrictives qui conduisent à un relèvement général des taux d’intérêt, si bien que les hausses de prix restent dans la limite – jugée raisonnable – de 5,2 % en moyenne. La vigueur de la croissance s’explique surtout par le « boom » des investissements et la forte reprise des échanges internationaux. Les entreprises se portent bien, fonctionnent à plein régime et embauchent à nouveau – voire sont confrontées à une pénurie de maind’oeuvre qualifiée –, contribuant à abaisser un peu partout le taux de chômage qui, avec une moyenne de 7,3 %, retrouve son niveau de 1981. Toutefois, ce dernier reste encore trop élevé, notamment en Europe où il frôle toujours 10 %, tandis que s’étendent les emplois précaires et les phénomènes d’exclusion et de pauvreté. Le triomphe du libéralisme économique Alors que la plupart des pays industrialisés ont adopté le libéralisme économique, la bonne conjoncture tend à renforcer la thèse en faveur de l’économie de marché et celle de la nécessité pour les pays dont la situation économique est beaucoup moins satisfaisante, voire dramatique, de s’y rallier. Depuis le début de la décennie, les pays sous-développés ont suivi des politiques libérales, le plus souvent sous la contrainte du Fonds monétaire international (FMI). Pourtant, hormis quelques pays d’Asie, l’économie de nombreux pays endettés du tiers monde s’est détériorée. Les pays de l’Est semblent à leur tour convaincus des bienfaits de l’économie de marché et, avec l’effondrement en série de leurs régimes politiques, les changements s’accélèrent dans cette direction puisque, après la Pologne et la Hongrie, l’onde de choc a gagné l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Roumanie. Cette évolution modifie les rapports de l’Occident avec ces deux zones et conduit à une intensification des relations Est-Ouest au détriment du dialogue Nord-Sud. Lors du sommet de l’Arche de la Défense en juillet, les sept pays les plus downloadModeText.vue.download 311 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 310 industrialisés ont en effet décidé d’encourager les réformes économiques dans les pays d’Europe de l’Est, par une aide (alimentaire, financière et économique) occidentale accrue, que la Commission européenne est chargée de coordonner et qui s’adresse d’abord à la Pologne et à la Hongrie. De même, M. Gorbatchev, par une lettre adressée à M. Mitterrand en sa qualité de président du sommet, a affirmé sa volonté de s’intégrer pleinement à la communauté internationale et s’est déclaré favorable à une coopération Est-Ouest. En revanche, alors qu’à ce même sommet, quatre pays représentatifs du tiers monde – l’Égypte, l’Inde, le Venezuela et le Sénégal –, soutenus par la France, ont réclamé un nouveau dialogue Nord-Sud comme à Cancun en 1981, les pays riches n’ont pas retenu cette idée et ont manifesté à nouveau leur préférence pour le traitement au cas par cas. Ainsi, le déséquilibre Nord-Sud continue de se creuser. Le tiers monde se considère comme oublié et relégué au rôle de simple spectateur des décisions prises au sein des organisations internationales. Seule la CNUCED défend véritablement leurs intérêts et montre comment l’ajustement structurel censé faciliter leur insertion dans le système économique dominant a finalement eu pour effets d’aggraver les « désordres » et les inégalités et de conduire à la marginalisation croissante les pays les plus pauvres du Sud. Pourtant, sur le problème primordial de la dette, le pragmatisme semble l’emporter et, à l’initiative de la France, du Japon et des États-Unis, une nouvelle stratégie de réduction de celle du tiers monde se met en place, même si la hausse des taux d’intérêt et celle du dollar effacent en partie les effets positifs des nouvelles mesures. À cela s’ajoute la détérioration continue des termes de l’échange au détriment de ces pays, d’autant que les accords internationaux sur les matières premières s’écroulent les uns après les autres. Seul le marché pétrolier a véritablement profité de la reprise de l’économie mondiale. La hausse des cours a commencé à l’automne 1988 pour finalement se stabiliser à un niveau proche du prix de référence de 18 dollars le baril. Une compétition internationale exacerbée Le néolibéralisme triomphant repose sur la défense des grands équilibres économiques, le recul de l’État, la revalorisation du secteur privé, où l’entreprise est particulièrement privilégiée, et l’ouverture internationale. Dans ce contexte, la concurrence devient impitoyable. Pour l’affronter, les entreprises sont contraintes de réduire leurs charges afin de pouvoir investir et se moderniser. L’objectif essentiel – présenté comme un impératif économique – est d’être compétitif afin de gagner des parts de marché à l’exportation. Mais les relations commerciales internationales sont beaucoup plus conflictuelles, notamment en raison de la persistance des déséquilibres extérieurs dont la correction s’est ralentie voire interrompue en 1989. Réflexe immédiat, le protectionnisme resurgit et déclenche périodiquement des tensions commerciales susceptibles de dégénérer à terme en une guerre commerciale internationale. Au-delà de cette réaction défensive à court terme, les entreprises se livrent aussi une bataille sans merci pour conquérir des marchés downloadModeText.vue.download 312 sur 509 ÉCONOMIE 311 et tenir tête aux concurrents, à travers une démarche offensive qui consiste à s’adapter en permanence et à se restructurer, par exemple par rachat, fusion ou prise de participation (la vague des OPA en témoigne) pour obtenir la taille critique qui seule permet de se maintenir dans la course économique. Au centre de cette guerre se trouve l’industrie, et surtout celle à haute valeur ajoutée, qui reste la plus porteuse et qui tente de relever les défis des technologies avancées, car la course économique est avant tout technologique. À travers les entreprises, ce sont les pays qui s’affrontent et notamment le trio formé par les États-Unis, le Japon et l’Europe. La perspective du marché unique européen en 1993 dynamise particulièrement le Vieux Continent et contraint les firmes européennes à une reconversion accélérée pour affronter à terme la dure loi de la compétition internationale. L’économie mondiale se caractérise par la domination des grands pays industrialisés et l’internationalisation croissante d’entreprises beaucoup plus concentrées que naguère. Le libéralisme, qui conduit à une société de plus en plus inégalitaire et hiérarchisée, constitue ainsi un environnement favorable pour les entreprises, qui profitent en priorité des fruits de la croissance. Un monde fragile L’embellie actuelle semble toutefois reposer sur des bases fragiles puisque l’économie est dopée artificiellement par un endettement qui s’est généralisé. L’empilement gigantesque des dettes des États (les déficits budgétaires), des entreprises et des ménages – le surendettement – traduit une épargne nationale insuffisante, en dépit de la multiplication des mesures visant à l’encourager. Il s’ensuit un important déséquilibre de la balance des opérations courantes, les déficits d’épargne des uns (notamment des États-Unis) étant comblés à partir des énormes excédents des autres (essentiellement du Japon et de l’Allemagne fédérale). À l’endettement interne s’ajoute donc un endettement extérieur croissant qui concerne toutes les zones économiques. Les marchés financiers financent ces considérables besoins en capitaux – d’où leur développement vertigineux –, mais, comme il existe un déséquilibre épargneinvestissement global, chaque pays – et principalement le premier débiteur mondial que sont les États-Unis – tente d’attirer les capitaux étrangers sur son territoire grâce à des taux d’intérêt attrayants ; d’où l’élévation générale de ces derniers d’autant qu’ils facilitent la lutte anti-inflationniste et la défense des monnaies dans les pays concernés. La hausse des taux d’intérêt américains explique en grande partie l’envolée du dollar au détriment du mark et du yen pendant le premier semestre, alors que les économies allemande et japonaise sont pourtant beaucoup plus saines. Le billet vert a atteint son plus haut niveau en juin (respectivement 2,04 deutsche Mark, 151 yens et 6,94 francs), après avoir enfoncé en mai les marges de fluctuation fixées par les accords du Louvre de février 1987 (1,70/1,90 DM et 120/140 Y), laissant entrevoir la fin de la coopération monétaire. Les sept pays les plus industrialisés ont attendu le 23 septembre pour confirmer à Washington la validité de ces accords et downloadModeText.vue.download 313 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 312 s’engager à faire baisser la devise américaine ; mais ni les interventions accrues des banques centrales, ni les hausses des taux d’intérêt en Europe, puis au Japon, n’y sont parvenues dans les limites souhaitées. Finalement, ce sont les événements d’Allemagne de l’Est en novembre qui ont provoqué l’ascension de la devise ouest-allemande et un certain rééquilibrage des taux d’intérêt internationaux (ascension des taux longs allemands et baisse des taux courts américains) qui permettront au dollar de retomber au niveau qui était à peu près le sien au début de l’année (1,75 DM, 6,02 FF mais encore 143 Y au lieu de 122), puis bien en-deçà en fin de période (1,68 DM et 5,73 FF). L’instabilité des marchés des changes provoque aussi quelques tensions au sein du Système monétaire européen, particulièrement entre la RFA, qui souhaite une réévaluation de sa monnaie, et la France, qui s’y refuse et a momentanément obtenu satisfaction, tandis que Margaret Thatcher, qui repousse toujours l’entrée de la livre dans le SME, n’arrive plus à empêcher la dégringolade de sa monnaie en dépit du doublement de ses taux d’intérêt, qui ont maintenant atteint 15 %. Les remous monétaires s’expliquent encore par l’importance de la spéculation qui gonfle artificiellement les transactions sans aucun rapport avec l’économie réelle (les flux spéculatifs seraient 34 fois plus élevés que les transactions commer- ciales). Ces opérations purement spéculatives, largement favorisées par le crédit, sont tout aussi impressionnantes sur les marchés financiers et permettent aux indices de grimper et de franchir de nouveaux records historiques sur un grand nombre de places financières. Ainsi, par exemple, les « junk bonds » ou obligations pourries (obligations à fort rendement mais très risquées), permettent le lancement d’OPA « sauvages » qui consistent à emprunter pour acheter une entreprise puis à la revendre par petits morceaux pour faire des profits, et rembourser. Ce système se révèle bien sûr d’une grande fragilité et, après le mini-krach du 13 octobre, rappelle qu’une crise financière est toujours possible. L’agitation autour de la sphère financière ravive les menaces qui pèsent sur l’économie mondiale et montre les dangers d’un certain libéralisme qui s’accompagne de spéculations (monétaires et boursières, mais aussi immobilières et sur les oeuvres d’art), de corruption, de profits « illégaux » (par exemple, le blanchiment de l’argent de la drogue) et de scandales politico-financiers. Le problème des limites du système se pose alors et les milieux économiques et politiques prennent conscience de la nécessité de s’attaquer aux abus. Ainsi, la France, après une série de scandales de délits d’initiés, a décidé la « moralisation » de la vie financière en renforçant les pouvoirs de la COB. De même, l’éthique des affaires est un thème de plus en plus souvent abordé. Enfin, l’irruption de l’écologie, qui dénonce les menaces pesant sur l’environnement, n’est pas sans rapport avec les excès des sociétés industrielles (nuisances, déchets toxiques...) et assigne en quelque sorte une limite matérielle au productivisme à outrance. La décennie 1980 a vu la victoire du libéralisme économique. Que réserve la décennie 1990 ? DOMINIQUE COLSON downloadModeText.vue.download 314 sur 509 ÉCONOMIE 313 La guerre commerciale internationale La crise et ses effets, les déséquilibres extérieurs records et l’évolution des économies dans la hiérarchie mondiale engendrent une recrudescence du protectionnisme qui multiplie et avive les tensions. En 1989, les risques présentés par la guerre commerciale internationale ont surgi au premier plan de l’actualité. Plusieurs dossiers (viande aux hormones, agriculture, automobile, électronique, aéronautique, sidérurgie et audiovisuel) ont témoigné du retour du protectionnisme et de ses tentations perverses, notamment entre les trois pôles constitués par les États-Unis, le Japon et la Communauté européenne. La prolifération des mesures protectionnistes En 1988, la croissance en volume du commerce mondial des marchandises a atteint 8,5 % et cette performance sera sans doute réitérée en 1989. À l’exception de l’année 1984, c’est le niveau le plus élevé de la décennie et ce rythme est presque deux fois plus rapide que celui de l’accroissement de la production mondiale. Jamais les économies n’ont été aussi ouvertes ; pourtant, et paradoxalement, le système commercial international traverse une crise car, en même temps qu’ils se développaient, les échanges commerciaux se sont durcis et les pressions protectionnistes se sont accentuées. Les mesures adoptées pour limiter les importations comme pour favoriser les exportations prennent des formes de plus en plus élaborées mais de moins en moins décelables. Les dispositions unilatérales prises par les gouvernements se diversifient. Elles englobent la mise en application de clauses de sauvegarde en faveur des secteurs sensibles, l’utilisation des droits de douane et surtout, récemment, le recours à des mécanismes non tarifaires : contingentements, mesures administratives diverses, protection des marchés publics, renforcement des normes nationales, paratarification et fiscalité. Phénomène plus inquiétant, le bilatéralisme s’est considérablement développé. Il s’agit d’accords — formels ou informels — en vertu desquels un pays accepte « volontairement » et temporairement de limiter les exportations d’un ou de certains de ses produits vers le pays importateur (en fait, c’est l’importateur qui impose ses conditions à l’exportateur). Beaucoup plus ancien, le régionalisme, c’est-à-dire les groupements de pays ayant des relations privilégiées (comme ceux de la CEE), ne cesse de s’étendre. Ainsi un accord de libre-échange entre les ÉtatsdownloadModeText.vue.download 315 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 314 Unis et le Canada est-il entré en vigueur le 1er janvier 1989, et un traité entre les États-Unis et le Mexique est-il en cours de négociation. De même, de nombreux liens de solidarité finissent par se créer entre le Japon et les NPI (nouveaux pays industrialisés) d’Asie. Nous assistons non seulement à la multiplication des formes de protectionnisme, mais également à celle des secteurs touchés par le phénomène et qui vont maintenant de l’agriculture aux services en passant par l’industrie aussi bien traditionnelle que moderne. Et tous les pays sont concernés, à un degré ou à un autre. Ces trois tendances — unilatéralisme, bilatéralisme et régionalisme — contrastent avec l’approche multilatérale et libre-échangiste prônée depuis la Seconde Guerre mondiale et dont le GATT est le gardien. C’est ce qui explique alors la multiplication des plaintes et des recours déposés auprès de cette instance qui estime à 50 % la part du commerce international faisant aujourd’hui l’objet de restrictions plus ou moins explicites. La multiplication des conflits commerciaux Il est bien certain que ces politiques commerciales agressives favorisent les querelles. A des accusations régulièrement répétées s’ajoutent des accrochages ponctuels. Dans le premier cas, le Japon est plus particulièrement visé. Ses partenaires lui reprochent son offensive commerciale dans certains secteurs stratégiques (électronique grand public, automobile) et surtout son protectionnisme « culturel », c’est-à-dire sa tendance natu- relle, par un mélange de règles administratives et de coutumes, à la fermeture de ses frontières. C’est ce que les États-Unis appellent les « obstacles structurels ». Dans une moindre mesure, la CEE inquiète également, surtout depuis que le marché unique de 1993 est en préparation intense. Les Japonais et plus encore les Américains dénoncent les risques d’une Europe « forteresse », mieux protégée de l’extérieur, tandis que certains Européens craignent au contraire de voir s’installer une Europe « passoire ». C’est ce qui fait dire à Jacques Delors, président de la Commission européenne, que « l’Europe sera ouverte, mais pas offerte », c’est-àdire qu’elle sera une Europe partenaire exigeant la réciprocité. Enfin, les clients des États-Unis sont unanimes à dénoncer leur protectionnisme croissant. Quant aux accrochages ponctuels — c’est le second cas —, ils touchent quelques secteurs sensibles (agriculture, textile, sidérurgie, automobile, aéronautique et électronique). Comme pour le conflit de la viande aux hormones qui a opposé les États-Unis à la CEE au début de l’année, la méthode reste presque toujours la même. Elle consiste à mélanger harcèlements (accusations et menaces diverses), marchandages (sanctions, ripostes, voire contre-représailles éventuelles) et compromis (négociations faites de conciliation et de concessions), toutes ces manoeuvres constituant la « guerre commerciale ». Les stratégies adoptées sont faites tantôt d’attitudes défensives, tantôt, au contraire, d’attitudes offensives, variables selon le rapport des forces en présence. Plus la dimension d’un pays est grande et plus son pouvoir de déclencher les downloadModeText.vue.download 316 sur 509 ÉCONOMIE 315 hostilités ou de riposter est fort. Lors d’une confrontation entre deux pays d’un même poids économique, il y a de fortes chances qu’ils aboutissent à une coopération équitable après une période plus ou moins longue de négociations. Entre deux pays de taille différente, il est plus probable que le « grand » parviendra à imposer sa solution au détriment de son partenaire (c’est ce qui se passe généralement entre pays développés et pays sous-développés). Dans cette guerre, il est également nécessaire de savoir jouer sur les divisions. Ainsi, dans le secteur automobile, les Américains (normes antipollution) et les Japonais (mésententes sur le contenu local) ont-ils pu tirer avantage des législations disparates en vigueur dans les différents États membres de la CEE. Le danger de tels comportements est l’engrenage et la contagion des mesures protectionnistes qui débouchent alors sur la guerre commerciale « ouverte ». Le protectionnisme américain Non seulement les États-Unis subissent une baisse relative de leurs exportations, qui leur a fait perdre leur place de premier exportateur mondial au profit de la RFA en 1986, mais ils sont également confrontés à l’accélération croissante de leurs importations. Dans ce dernier domaine, ils distancent largement l’ensemble de leurs concurrents en réalisant près de 18 % des achats effectués dans le monde. Le pays connaît donc un déficit commercial d’une ampleur sans précédent (de 25 à 114 milliards de dollars entre 1980 et 1989), d’autant plus grave qu’il est contracté pour les deux tiers à l’égard des pays asiatiques (et du Japon pour la moitié) et qu’il concerne essentiellement les produits manufacturés avec un solde industriel déficitaire depuis 1982. Négligeant les causes internes de ce déficit, les Américains se sont lancés dans une offensive protectionniste sans précédent, tout en continuant à se déclarer les ardents défenseurs du libre-échange et en accusant les autres de pratiques commerciales déloyales. Après avoir tenté de mener une guerre monétaire en orchestrant une baisse du dollar de 30 à 40 % entre février 1985 et décembre 1987, ils ont accentué la guerre commerciale en utilisant toute la panoplie classique des mesures protectionnistes. Ainsi, les États-Unis auraient augmenté de 23 % leurs protections non tarifaires depuis le début de la décennie. Pour obtenir des ouvertures significatives dans les secteurs où leurs intérêts sont primordiaux, ils sont parvenus à faire fléchir leurs partenaires sous la menace de sanctions diverses. Plus que quiconque, ils préfèrent négocier de façon bilatérale. Enfin, dernière étape, sous la pression du Congrès, l’Administration Reagan a signé, le 23 août 1988, le « Trade Bill », ou loi générale sur le commerce et la compétitivité (un texte de plus de 1 000 pages), qui marque incontestablement un durcissement puisqu’il représente un vaste programme protectionniste couvrant pratiquement tous les aspects de la politique commerciale américaine. La communauté internationale s’est inquiétée et a dénoncé à l’unanimité le caractère unilatéral de cette loi ; elle a surtout vivement protesté lorsqu’une première application en a été faite le 25 mai 1989 lors downloadModeText.vue.download 317 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 316 de la publication d’une liste de trois pays – le Japon, le Brésil et l’Inde – mis en demeure de modifier leur politique, considérée comme restrictive à l’égard des États-Unis. Ces États étaient menacés de graves sanctions commerciales qui auraient pu prendre la forme d’une élévation des tarifs douaniers jusqu’au taux de 100 %. Avec cette « liste noire », les États-Unis ont brutalement ravivé les craintes de la communauté internationale de voir se déclencher une guerre commerciale « ouverte ». Déséquilibres extérieurs et crise De nombreuses raisons permettent de comprendre ce regain de protectionnisme et les tensions qu’il engendre. La décennie écoulée se caractérise par les déséquilibres extérieurs records qui persistent entre les excédents commerciaux de quelques pays – en particulier de la RFA, du Japon et des quatre « dragons » asiatiques (Corée du Sud, Taiwan, Hongkong et Singapour) – et les déficits des autres, qu’il s’agisse des États-Unis, de membres de la CEE (comme la France, la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne) ou de pays en voie de développement. Ces déséquilibres sont d’autant plus difficilement admis qu’ils se cantonnent dans quelques secteurs et ne jouent qu’au détriment de quelques pays. Dès lors, la contrainte extérieure, très variable, devient un facteur capital dans la politique des gouvernements (d’autant qu’elle ne concerne pas seulement les problèmes commerciaux, mais aussi les questions financières et monétaires) ; ces derniers sont alors contraints d’en amortir les effets pernicieux, de s’y adapter ou de la maîtriser. À la contrainte extérieure s’ajoutent les effets de la crise. D’un côté, les pays downloadModeText.vue.download 318 sur 509 ÉCONOMIE 317 développés, touchés par le chômage, cherchent à favoriser les productions nationales créatrices d’emplois. De l’autre, les pays sous-développés, étouffés par leur endettement extérieur, n’ont pas d’autre possibilité pour rembourser que d’importer moins et d’exporter plus. Comme, dans le même temps, les débouchés se contractent (ralentissement de la croissance économique mondiale et des échanges internationaux, existence de capacités de surproduction mondiale dans un nombre croissant de secteurs), la concurrence entre les partenaires s’exacerbe, chacun se préoccupant davantage de ses ventes que de ses achats. D’où la guerre pour le partage des marchés. Concurrence et guerre économique En fait, la guerre commerciale est le reflet d’une guerre économique plus profonde ; elle traduit les mutations en cours de l’économie mondiale. Le commerce international se concentre géographiquement (prédominance du monde occidental, avec 70 % des exportations mondiales, marginalisation du tiers-monde, avec seulement 20 %) et sectoriellement (les produits manufacturés représentent les deux tiers des ventes de marchandises). Par conséquent, la concurrence se polarise aujourd’hui sur les échanges industriels (et d’ailleurs, les déséquilibres sont avant tout industriels). CEE La progression vers la mise en place du grand marché unique a été difficile : dans un contexte économique moins favorable, les Douze ont tardé à prendre les décisions touchant directement leur souveraineté économique. Si la croissance a atteint 3,25 % et si le chômage a diminué (en août, il touchait 9,2 % des actifs, contre 10,1 % un an plus tôt), l’inflation (5 %) redevenait préoccupante. Les divergences entre les performances des uns et des autres ont été importantes : le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et la Grèce ont connu une hausse des prix supérieure à la moyenne et un large déficit de leurs comptes extérieurs courants. Le 17 avril, le comité présidé par Jacques Delors a remis son rapport sur les moyens de parvenir à l’union économique et monétaire. Sans fixer de date finale, le texte propose trois étapes à partir de juillet 1990 : après le renforcement des mécanismes de coopération entre les Douze, une fédération des banques centrales européennes prendrait la plupart des décisions monétaires, puis le respect d’un taux de change fixé définitivement entre les devises faciliterait l’émergence d’une monnaie commune. Pour effectuer les inévitables transferts de compétences impliqués dans l’entreprise, « le Comité Delors » a préconisé la signature d’un nouveau traité liant les pays de la CEE. Le Royaume-Uni s’est opposé à ce nouvel abandon consenti de souveraineté. Le 19 juin, en revanche, l’Espagne a décidé d’introduire la peseta dans le système monétaire européen (SME) ; la livre britannique, la drachme grecque et l’escudo portugais restent maintenant les seuls en dehors de ce cadre. Auparavant, le 9 juin, les ministres de l’Environnement des Douze avaient adopté des normes antipollution plus sévères pour les petites voitures. Cette nouvelle réglementation doit entrer en vigueur en 1992. L’harmonisation de la fiscalité constitue l’une des tâches les plus délicates. Le 8 février, la Commission avait proposé une retenue à la source de 15 % sur les revenus de l’épargne. Déjà critiqué par le LuxemdownloadModeText.vue.download 319 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 318 bourg et par le Royaume-Uni, ce projet a été complètement remis en cause le 27 avril. Ce jour-là, afin de donner satisfaction à son nouveau ministre des Finances, le chrétien-social Theo Waigel, Helmut Kohl a suspendu, à partir du 1er juillet, la retenue à la source de 10 % sur les revenus des obligations, qui avait été instituée le 1er janvier. Depuis, les ministres des Finances de la Communauté ont renoncé à établir un taux commun d’imposition sur l’épargne et ont laborieusement progressé vers un compromis sur la TVA. L’indiscipline des États, dont les mesures nationales ignorent souvent la loi européenne, menace même la constitution communautaire. Dans leurs relations avec les États-Unis, les Douze ont marqué un point : le 7 avril, lors de la réunion du GATT, le gouvernement américain a renoncé à leur imposer une suppression totale des subventions aux exportations agricoles. Au-delà de ces durs marchandages, les événements survenus en Europe de l’Est ont incité les pays de la CEE à soutenir « le processus de réforme en cours » en Pologne et en Hongrie. Le 16 juillet, les sept pays les plus industrialisés ont donc confié à la Commission la mission de coordonner l’aide occidentale à ces deux pays ; l’un des buts de cette aide étant « de transformer et d’ouvrir durablement leurs économies ». Adopté en juillet par les Douze, un programme de secours alimentaire à la Pologne de l’ordre de 130 millions d’écus a été appliqué à partir de la fin août. Le 19 septembre, la CEE a signé avec Varsovie un accord commercial qui prévoit l’élimination avant 1994 de presque toutes les restrictions quantitatives aux exportations polonaises vers la Communauté. Le 5 octobre, les Douze ont décidé d’affecter en 1990 une somme de 200 millions d’écus à l’aide en faveur de la Pologne et de la Hongrie. Ces deux États recevront en outre 100 millions d’écus, prélevés sur les budgets nationaux des pays de la CEE. Laurent Leblond Le Nord reste prépondérant dans ce commerce, mais se trouve confronté à la percée des NPI du Sud, qui, toujours plus nombreux, exportent une part croissante de produits manufacturés (14 % des ventes mondiales pour ces produits), qui sont en outre de plus en plus élaborés. Comme ces pays produisent à bas prix et souvent dans des secteurs où les vieilles nations industrielles connaissent d’importants problèmes d’ajustement, ces dernières se sentent menacées et les accusent de « concurrence déloyale » ou de « dumping » et réagissent avec des mesures protectionnistes qui leur permettent en même temps de restructurer les secteurs concernés. À la concurrence Nord-Sud s’ajoute enfin celle, plus intense, entre les pays développés. Pour être capables d’affronter la compétition, les États adoptent les stratégies offensives qui leur permettront de gagner des parts de marché à force de spécialisation et de compétitivité. Spécialisation et compétitivité Si la théorie dominante du commerce international affirme que, en se spécialisant dans la production de biens pour lesquels il conserve un « avantage comparatif », un pays tire profit du commerce international, elle passe sous silence le partage généralement inégal de cet enrichissement car il ne s’agit pas seulement de se spécialiser, mais également de bien le faire. Tous les pays sont en permanence à la recherche d’une spécialisation optimale : il est impératif pour eux de downloadModeText.vue.download 320 sur 509 ÉCONOMIE 319 renouveler constamment leurs avantages comparatifs (spécialisation dynamique) à force d’innovation, en s’adaptant perpétuellement à la demande mondiale, en produisant dans des secteurs industriels de haute technologie et à fort contenu en travail qualifié et en investissements (rôle des biens d’équipement). De même, l’objectif de la compétitivité s’impose plus que jamais, avec ce mélange d’éléments prix (coûts de production, marges bénéficiaires et taux de change) et d’éléments hors prix (bonne structure industrielle, spécialisation, qualité des prestations, agressivité commerciale, compétence du management et capacité d’anticipation et d’information) qui permet à un pays d’affronter la concurrence internationale et de conquérir des parts de marché tout en évitant que le sien ne subisse une pénétration trop forte. Finances internationales Après le mini krach du vendredi 13 octobre (guère comparable à celui du 19 octobre 1987), le système financier international ne semble pas avoir perdu de sa fragilité, héritée des années passées. Plusieurs facteurs liés au contexte général de l’économie mondiale et surtout à la situation de l’économie américaine ont mis à rude épreuve la stabilité des grandes places boursières. En premier lieu, depuis le krach du 19 octobre 1987, rien n’a vraiment changé en ce qui concerne la gravité des déficits jumeaux (twin déficits) américains ; ils se sont réduits, mais restent préoccupants. D’un côté, malgré le couperet aveugle de la loi Gramm Rudman (qui réduit arbitrairement la progression des dépenses publiques), le déficit budgétaire se maintient encore à un niveau élevé (221 milliards de dollars en 1986, 149, 155 et 161 milliards les trois années suivantes) ; on pense même qu’il atteindra encore ou dépassera 116 milliards de dollars au début de 1990. Son financement (émission de bons du Trésor) contribue à maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé. D’un autre côté, si le déficit commercial tend à diminuer, il n’en subsiste pas moins, et continue d’accroître l’endettement extérieur qui atteint plus d’un demi-milliard de dollars. En effet, malgré la baisse du dollar, les exportations plafonnent (en raison du déclin du secteur industriel) alors que les importations progressent (à cause de l’expansion de l’économie américaine et du relèvement de la consommation intérieure sous l’action des crédits de trésorerie). Dans ces conditions, il est peu vraisemblable que le déficit puisse baisser davantage. Pour le financer, les États-Unis devront donc continuer à émettre des obligations auprès des pays étrangers, ce qui devrait impliquer la montée du dollar et le maintien des taux d’intérêt à un niveau suffisamment élevé pour qu’il soit possible d’attirer les capitaux extérieurs (surtout européens et plus récemment japonais). En second lieu, précisément pour lutter contre l’inflation toujours menaçante, la Federal Reserve System n’a pas cherché à baisser son taux d’intérêt, ce qui a amené la Bundesbank, suivie par les autorités des autres pays européens et aussi du Japon, à relever ses taux d’escompte. La structure de ces taux se trouve alors inversée : en tentant de maîtriser le dollar, les banques centrales ont fait monter les taux à court terme audessus des taux à long terme, ce qui rend les prêts à long terme peu avantageux. downloadModeText.vue.download 321 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 320 Cette inversion comporte deux risques : d’un côté, celui d’une fragilisation du marché des titres et d’une chute brutale des cours (cas du krach du 13 octobre) ; de l’autre, celui d’une récession économique avec baisse ultérieure du coût du crédit et incertitude sur les profits des entreprises. Enfin, toujours aux États-Unis, la fragilité du marché financier a été aggravée par le lancement de nombreuses OPA géantes (Méga OPA), faisant appel, pour leur financement, à l’endettement, à travers les techniques de l’émission de « junk bonds » (obligations pourries) et du LBO (Leverage Buy Out, ou « rachat avec effet de levier »), qui permettent à des investisseurs de lancer des OPA à des prix bien supérieurs à ceux des cours de la Bourse et sur la totalité du capital, tout en n’apportant que très peu d’argent frais (10 à 15 %). En effet, le financement de l’opération est assuré pour l’essentiel par le recours au LBO, pour 50 à 60 % environ des fonds, et aux junk bonds pour le reste. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’emprunts gagés sur les actifs de la société convoitée, souscrits auprès des banques à des taux d’intérêt élevés ou émis en obligations à des taux également très élevés. Ces emprunts couvrent des opérations à hauts risques, favorisant ainsi la spéculation sur les valeurs cotées en Bourse. Gilbert Rullière Dans la recherche du leadership industriel et technologique, les inégalités de capacité et les inégalités d’adaptation expliquent les changements de position des nations industrielles au sein de la hié- rarchie économique, comme le montre une étude du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales). La suprématie du Japon (et, dans sa foulée, celle des NPI) qui cumule une bonne spécialisation – en dominant des filières comme l’électronique, l’automobile et le matériel électrique – et une forte compétitivité, est indéniable. De même, les États-Unis sont-ils assez bien spécialisés puisqu’ils restent puissants dans les produits à haute technologie et à forte demande, et bien qu’ils aient perdu leur prééminence à cause d’un déficit industriel qui reflète leur manque de compétitivité. La CEE, en revanche, subit un déclin relatif dans la mesure où sa spécialisation est moins bien assurée que celle de ses partenaires et que la RFA reste attachée à ses avantages « acquis » en se cantonnant dans des secteurs traditionnels (mécanique, matériel de transport, chimie) qu’elle maîtrise parfaitement en raison de son excellente compétitivité. Preuve du moindre dynamisme de l’Europe, le commerce transpacifique (dans le triangle Japon – États-Unis – pays d’Asie en développement) dépasse le commerce transatlantique (Amériques – Europe – Afrique) depuis 1984. L’inégalité des situations rend la compétition plus agressive. La nécessité d’améliorer ou, au moins, de préserver sa position pour rester dans la course économique mondiale passe par des phases successives de conciliation (par exemple, par la coopération interentreprises) et de confrontation. La bataille pour le contrôle des marchés conduit à une restructuration accélérée des entreprises qui, à terme, sonne le glas de la concurrence puisqu’elle renforce la concentration des multinationales. Par l’intermédiaire de leurs entreprises, les nations s’affrontent et participent à cette guerre de positions. Certes, la meilleure des protections est encore d’être le meilleur, mais, inversement, downloadModeText.vue.download 322 sur 509 ÉCONOMIE 321 pour éviter d’être éliminés, les États se trouvent parfois dans la nécessité d’intervenir pour permettre aux entreprises de combler leur retard ou pour conforter leur avance. La politique commerciale apparaît ici comme « stratégique » et à la limite de la politique industrielle où le protectionnisme – un protectionnisme délibérément offensif – est un moyen (mais non une fin) parmi d’autres de « gagner ». Les efforts de coopération internationale Face aux dangers d’escalade, des efforts permanents sont produits pour tenter d’améliorer la concertation internationale, surtout depuis le début des années 1980. Leur objectif est d’éviter que la confrontation des égoïsmes nationaux ne mette en péril un monde devenu étroitement interdépendant, pour au contraire privilégier l’intérêt collectif. Ses résultats sont inégaux. La coopération est mise en oeuvre dans le cadre d’organisations internationales comme le FMI (Fonds monétaire international) ou l’OCDE et surtout – preuve de leur position dominante – à l’occasion des Sommets annuels où se retrouvent depuis 1974 les pays les plus industrialisés, membres du Groupe des Sept. Toutes ces réunions soulignent la nécessité primordiale de savoir résister au protectionnisme et de corriger, si possible en douceur, les déséquilibres extérieurs. Le Japon et l’Allemagne fédérale se sont engagés à suivre des politiques destinées à renforcer leur demande interne et à réduire leurs excédents extérieurs. De même, depuis 1988, les quatre Dragons sont-ils également invités à participer à l’effort mondial de rééquilibrage. À l’exemple du Japon, ils sont incités à ouvrir davantage leurs marchés, à réévaluer leurs monnaies et aussi à investir plus largement à l’étranger. Inversement, les pays déficitaires, et en premier lieu les États-Unis, sont encouragés à dépenser moins et à réduire leur déficit budgétaire. De même, en raison de l’impact négatif sur les échanges commerciaux d’une volatilité excessive des taux de change, une coopération monétaire a-t-elle été mise en place. L’objectif commun, depuis les accords du Plaza, à New York, et du Louvre, à Paris (septembre 1985 et février 1987), réaffirmé depuis, lors de chaque réunion, notamment à Washington le 23 septembre 1989, est d’essayer de stabiliser les monnaies (et surtout le dollar) grâce à l’intervention des Banques centrales sur les marchés des changes. Investissements La reprise de l’investissement productif, amorcé en 1985, se poursuit cette année, avec une croissance en volume de 7,1 % après 9,1 % en 1988. Tous les secteurs sont concernés (agriculture, commerce, services, bâtiment et travaux publics) mais l’industrie concurrentielle, avec une hausse de 8,9 %, connaît la progression la plus rapide. Ce sont surtout les grandes entreprises qui investissent. En revanche, les dépenses d’équipement des entreprises nationales stagnent. La bonne conjoncture internationale (la reprise de l’investissement est générale), favorisée par une demande soutenue, et les profits accumulés ces dernières années par les entreprises expliquent ce dynamisme. downloadModeText.vue.download 323 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 322 Depuis 1988, les investissements de capacité ont repris, mais ils restent encore insuffisants comme en témoigne l’apparition de goulets d’étranglement dans certains secteurs en raison de taux d’utilisation très élevés (en moyenne 87 %, soit le niveau le plus élevé depuis le début des années 1980). Les investissements de modernisation et de renouvellement restent majoritaires. De même, les investissements immatériels indispensables à l’accroissement de la productivité se poursuivent. Enfin, les entreprises dopées par les profits et par la préparation du marché unique de 1993 multiplient les investissements financiers (placements spéculatifs, acquisitions, rachats, fusions, OPA) et développent les investissements français à l’étranger (+ 45 % en 1988 et probablement autant cette année) en vue d’atteindre la taille critique et la dimension mondiale nécessaires pour affronter la concurrence. En France, le retard de l’investissement se maintient cependant ; l’État cherche donc toujours à l’encourager en allégeant les charges des entreprises et en favorisant l’épargne indispensable à son financement. Dominique Colson Enfin, la coordination des politiques se précise. Libéralisme oblige, la plupart des pays s’emploient à rendre leur économie plus flexible et plus efficace par un renforcement des mécanismes du marché et à promouvoir une croissance soutenue mais équilibrée dans des conditions de faible inflation grâce à des politiques monétaires et budgétaires judicieuses. De même, les pays sous-développés sont priés – ou plutôt contraints – de suivre des politiques d’ajustement structurel tandis que la communauté internationale s’engage à examiner régulièrement les moyens d’alléger le fardeau de leur dette. Entreprises En 1989, les entreprises ont adopté une stratégie de recherche de la « taille critique », consistant à créer des unités productives parfois géantes, pouvant soutenir la concurrence tant nationale qu’internationale, et, en conséquence, à prendre des parts de marchés significatives. Pour parvenir à réaliser ces objectifs, elles ont continué à jouer le jeu des fusions et des acquisitions internationales. C’est surtout en Europe que cette stratégie a été utilisée, en prévision du marché unique de 1993. En effet, rien que pour le premier semestre, près de 600 opérations de fusion et d’acquisitions transfrontalières diverses ont été recensées dans la CEE. Toutes ne présentent pas la même importance et beaucoup concernent des entreprises de taille moyenne, mais elles totalisent tout de même la somme de 108,2 milliards de francs. À l’image du rachat de l’Italien Galbani par downloadModeText.vue.download 324 sur 509 ÉCONOMIE 323 la famille Agnelli (Fiat) alliée à BSN, l’agroalimentaire vient en premier avec plus de 25,3 milliards de francs. Les banque, les assurances, la construction suivent loin derrière (7 milliards). Dans tête 28,8 Unis ce mouvement, la France arrive en des fusions-acquisitions en valeur avec milliards de francs, devançant les États(25,4 milliards) et la Grande-Bretagne (23,1 milliards). Le Japon occupe la sixième place derrière l’Italie et la Suède avec un volume d’affaires de 5,3 milliards de francs. Beaucoup de ces opérations réalisées par des entreprises françaises ont été menées en terrain étranger. Ainsi, Valeo (équipement automobile) a racheté Delanair en GrandeBretagne et s’est alliée à Nippon Denso en Espagne ; Lafarge (ciments) s’est implanté en Suisse, en Italie et même en Turquie. La course au gigantisme lancée par les grandes entreprises s’est poursuivie en RFA avec la fusion spectaculaire Daimler-BenzMBB (alliance automobile-aéronautique) et le contrôle par GEC-Siemens du fabricant électronique Plessey (britannique). Gilbert Rullière La défense du multilatéralisme L’amélioration du système commercial est tout aussi importante. L’accord général sur les tarifs douaniers et sur le commerce, communément désigné par son sigle anglo-saxon GATT, est un traité multilatéral conclu le 30 octobre 1947 (mais jamais ratifié), chargé de définir un code assurant à tous les pays membres des possibilités de commerce équitables. Signé à l’origine par 23 pays, il concerne aujourd’hui 97 « parties contractantes », qui représentent près de 90 % des échanges mondiaux, et 28 autres pays qui appliquent de facto les règles de l’accord. Son objectif fondamental est la défense du libre-échange. À cette fin, le GATT est constitué par un ensemble de principes (réciprocité, non-discrimination, transparence...) qu’il est chargé de faire respecter tout en admettant une certaine souplesse (clause de sauvegarde, traitement différencié et plus favorable pour les pays sous-développés), en même temps qu’il représente une tribune où les pays peuvent discuter et résoudre leurs différends commerciaux et négocier entre eux en vue d’un éventuel renforcement du libre-échange. La libéralisation s’est étendue par le lancement périodique de grandes négociations commerciales multilatérales (NCM) qui visent à affiner les règles et à supprimer progressivement les barrières aux échanges. Déjà sept cycles de négo- ciations ont été menés : les six premiers (le Kennedy Round de 1964-1967 restant le plus important) avaient pour objectif l’abaissement des obstacles tarifaires ; le septième, ou Tokyo Round, de 19731979, s’attaquait en plus aux contraintes non tarifaires. Matières premières Comme 1987, l’année 1988 avait été marquée par un redressement net et continu des cours des matières premières, qui provenait d’une croissance industrielle soutenue, de la réduction des stocks et d’aléas climatiques. Il s’inscrivait ainsi à contre-courant d’une tendance orientée à la baisse depuis 1980. Ce mouvement était downloadModeText.vue.download 325 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 324 qualifié de structurel en raison de la marginalisation des produits bruts et du passage à une économie postindustrielle dominée par les services. Au rôle croissant joué par ce secteur s’ajoutait la mise en place de processus d’expansion industrielle qui reposaient sur l’utilisation de technologies avancées et qui permettaient d’économiser des produits bruts ; d’un autre côté, les nouveaux matériaux se substituaient aux produits bruts. (À ce sujet, une étude du FMI indique que la quantité de matières premières requise en moyenne pour une unité produite décroît de 1,25 % par an depuis 1900.) En 1989, les cours auraient dû baisser légèrement. Or, en dépit d’évolutions divergentes ou contradictoires pour certains produits bruts, les cours des matières premières industrielles n’ont pratiquement pas varié. D’une part, la demande s’est maintenue à un niveau élevé, en raison d’une production industrielle mondiale en hausse. D’autre part, l’offre, bien qu’excédentaire, n’a pas pesé sur les cours. Depuis 1982, les variations des stocks avaient permis de régulariser les cours mondiaux des matières premières. Plus récemment, devant la stabilité des cours, les producteurs ont tenté de développer leur capacité de production (remise en exploitation d’anciennes mines, prospection de nouveaux gisements). Ces initiatives n’ont pratiquement pas influencé les cours, car le boom de certains secteurs de pointe (aéronautique) a accru la demande de produits bruts. Gilbert Rullière C’est dans l’environnement conflictuel actuel qu’un huitième cycle – l’Uruguay Round – est en cours de négociation. Ce nouveau « Round », qui s’est engagé en septembre 1986 à l’initiative des Américains et qui devrait s’achever à la fin de l’année 1990, va beaucoup plus loin, conformément aux souhaits de ces derniers. La négociation porte non seulement sur les sujets traditionnels, à savoir la libéralisation plus poussée des échanges de marchandises (obstacles tarifaires et non tarifaires) et le renforcement, voire la révision des disciplines du GATT, mais s’ouvre également sur des domaines jusqu’alors protégés par l’accord même, comme le textile ou surtout l’agriculture. Elle introduit aussi de nouveaux thèmes qui n’étaient pas encore prévus par le GATT : adoption d’un code de conduite facilitant le développement des échanges de services, défense de la propriété intellectuelle (lutte contre la contrefaçon) et mesures relatives aux investissements. Après une phase préparatoire qui a fait apparaître des contradictions flagrantes entre les partenaires, mais qui a permis la clarification et le rapprochement des positions, une réunion de mi-parcours a eu lieu à Montréal en décembre 1988. Onze chapitres ont été approuvés, mais, sur quatre autres (agriculture, textile, clause de sauvegarde et propriété intellectuelle), l’accord n’a pu être réalisé. En particulier, la mésentente sur la question agricole a bloqué l’ensemble du « Round ». Ce n’est qu’en avril 1989, lors d’un rendez-vous de rattrapage, qu’un compromis a été finalement trouvé, permettant ainsi de relancer la NCM jusqu’à son échéance. Le succès de la négociation constitue maintenant l’ultime chance d’écarter le spectre de la guerre commerciale « ouverte ». downloadModeText.vue.download 326 sur 509 ÉCONOMIE 325 Le différend agricole Le secteur agricole est considéré depuis toujours comme un secteur à part qui échappe pour l’essentiel à la discipline du GATT ; mais il est également vrai que les politiques nationales ou régionales de soutien à l’agriculture ont pris peu à peu une importance croissante. Elles visent tout autant à défendre les revenus des agriculteurs qu’à protéger les pays de la concurrence extérieure, à la fois par des obstacles à l’importation et par des subventions à l’exportation. Ces politiques, qui créent des distorsions sur les marchés mondiaux, alors que la concurrence entre producteurs est déjà exacerbée par la généralisation des excédents et le moindre poids des échanges agricoles dans le commerce international, ne font qu’aggraver les conflits dans ce secteur. Consciente de leur coût et de leurs effets pervers, la Communauté internationale, dans le cadre de l’« Uruguay Round » mené depuis 1986 au sein du GATT, est convenue de la nécessité de procéder à la libéralisation des échanges agricoles. En revanche, les partenaires s’opposent toujours sur la nature des réformes à réaliser. Une véritable épreuve de force s’est ainsi engagée entre les États-Unis et la CEE à propos des subventions. Les Américains estiment que la CEE et sa politique de subventions à l’exportation sont responsables du désordre agricole mondial et souhaitent l’élimination totale des aides à l’agriculture avant dix ans. La Commission de Bruxelles reconnaît que son agriculture est subventionnée – comme toutes les autres d’ailleurs –, mais soutient qu’il faut prendre en compte l’ensemble des aides à l’agriculture, comme (par exemple) les compensations pour pertes de revenu que les États-Unis accordent à leurs producteurs. La Commission estime en outre avoir fait une grande partie du chemin depuis 1984 en procédant à la réforme de la Politique agricole commune (PAC). De son côté, le Groupe de Cairns, qui comprend depuis 1986 les quatorze autres principaux exportateurs, dont l’Australie, le Canada, la NouvelleZélande et l’Argentine, qualifie ses membres de « commerçants loyaux », car ils ne subventionnent pas leur agriculture. Il réclame donc une négociation accélérée et une réduction des aides. Enfin, le tiers-monde, plutôt spectateur, réclame toujours un traitement spécial et différencié. Les intérêts en jeu et le caractère inconciliable des positions sont tels que le dossier agricole n’a pu trouver de solution lors de la réunion de mi-parcours de l’Uruguay Round tenue en décembre 1988. À force de discussions, un compromis a été finalement conclu le 7 avril 1989. L’accord traduit un succès européen et résulte en grande partie des concessions faites par les États-Unis. Les deux parties n’ont pris aucun engagement précis à court terme (en particulier les Américains ont renonce à imposer à la CEE la suppression immédiate de toutes les subventions agricoles). En revanche, elles s’engagent à poursuivre les négociations jusqu’à la fin de 1990 pour arrêter un programme de réformes à long terme visant à réduire les soutiens afin que les échanges agricoles puissent se développer conformément aux lois du marché. DOMINIQUE COLSON Diplômée d’études supérieures en sciences économiques, Dominique Colson a enseigné l’économie internationale dans plusieurs universités parisiennes. Elle collabore depuis 1977 aux dictionnaires et encyclopédies Larousse. downloadModeText.vue.download 327 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 326 La COB La Commission des Opérations de Bourse (COB) est plus que majeure. Instituée par décret le 3 janvier 1968, elle s’est vu confier une double mission : la protection de l’épargne et la transparence d’un marché intègre. Son premier effort a été d’affirmer son autorité dans le domaine de l’information des actionnaires et la modernisation des règles de fonctionnement de la Bourse. Mais, en ces vingt années, la place financière de Paris a connu des transforma- tions considérables : par l’ouverture de marchés nouveaux (MATIF, MONEP, options sur indice), par le développement des transactions, par la sophistication et la variété des produits financiers, par l’informatisation des techniques de cotation, bref l’explosion d’un marché universel fonctionnant en temps continu réel. La COB avait l’autorité morale. Il n’empêche que les plaintes déposées auprès des tribunaux disciplinaires du marché restaient souvent sans conséquence. Les affaires dites « d’initiés », ou la diffusion d’informations fausses ou trompeuses, ou encore les manipulations de cours ont fait éclater au grand jour cette relative impuissance. La réforme du 22 janvier 1988 avait déjà donné à la COB un champ de compétence élargi aux marchés à terme, en même temps qu’un renforcement de ses effectifs. Mais c’est par la loi du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, suivant le rapport d’Yves Le Portz, que ses pouvoirs ont été renforcés de manière significative. D’abord ses pouvoirs d’enquête : droit de communication étendu à toute personne susceptible de fournir des informations ; droit de saisie des documents ; droit de visite (avec l’autorisation du président du tribunal de grande instance) au domicile et pas seulement aux locaux professionnels ; droit de mise sous séquestre des fonds avec interdiction temporaire d’activité afin de prémunir contre une insolvabilité organisée. Ensuite, ses pouvoirs de sanction pécuniaire : avec un plafond de 10 millions de francs ou le décuple des profits réalisés indûment et la création d’un conseil de discipline des OPCVM. De plus, la loi procure à la COB une triple autonomie. Institutionnelle, en premier lieu : le collège est porté de cinq à neuf membres dont l’origine assure l’indépendance de jugement. Financière, en second lieu : dispensée du contrôle financier, la Commission fixe son budget en fonction des redevances perçues ; elle s’adapte librement à ses propres moyens. Juridique enfin : lorsqu’elle est convaincue que les droits des épargnants sont lésés, elle peut demander en justice qu’il soit ordonné aux contrevenants de se plier à la réglementation. Cependant, le Conseil Constitutionnel a déclaré non conforme la disposition l’autorisant à ester en justice, c’est-à-dire à se porter partie civile et à déclencher des poursuites pénales. La loi du 2 août 1989 a fixé aussi le règlement en matière d’OPA. S’y trouvent définis pour l’essentiel : – l’obligation de déclaration de franchissement de seuils (successivement 5 %, 10 %, 20 %, 33,3 %, 50 % et 66,6 %), calculés en droits de vote ; downloadModeText.vue.download 328 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 327 – son extension à toutes les personnes agissant de concert ; – l’augmentation de capital autorisée pour toute société faisant l’objet d’une OPA-OPE ; – le dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique dès le seuil atteint d’un tiers du capital ; – l’offre concurrente à présenter dans les 10 jours ; – le niveau de surenchère réduit à 2 % (contre 5 %) ; – la révision à la hausse de l’offre si l’initiateur achète un titre à un cours supérieur de 2 % à son prix d’offre ; – la garantie de cours substituée à la notion antérieure de maintien de cours ; – la mise en place d’une OPR (Offre Publique de Retrait). L’action de la COB s’achève cette année par un accord avec la Securities Exchange Commission (SEC) dans le but d’accroître les consultations mutuelles, d’échanger les données utiles et de coopérer en vue de la sécurité du marché et donc de celle des épargnants. Le nouveau président, Saint-Geours, ne se veut ni cow-boy, ni administrateur. Il souhaite être un régulateur et un médiateur. S’il le faut, il saura être gendarme. ÉDOUARD MATTEI downloadModeText.vue.download 329 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 328 La vie à crédit La forte augmentation de l’endettement des ménages traduit un nouveau comportement : le crédit-mode de vie. Mais le piège se referme sur beaucoup, et il n’est pas certain que les mesures envisagées suffisent pour protéger tous les « crédivores ». Selon les statistiques de la Banque de France, l’encours des crédits distribués aux ménages (crédit à l’habitat et crédits de trésorerie ou à la consommation) avait atteint 1 941,1 milliards de francs à la fin de l’année 1988, alors qu’il ne représentait « que » 1 749,1 milliards un an plus tôt. L’endettement global Dans cette augmentation de 10,9 %, qui s’ajoute à celles des années précédentes (14,3 % en 1987, 11,7 % en 1986 et 10,9 % en 1985), les crédits immobiliers comptent pour les deux tiers environ. Le taux d’endettement global des ménages (encours en fin d’année/revenu disponible brut) a été porté de 29 % en 1970 à 38,8 % en 1981, à 41,2 % fin 1985, à 43,7 % fin 1986 pour atteindre 48,1 % fin 1987 et 50,1 % fin 1988. Les ménages français ont contracté des dettes qui représentent aujourd’hui plus de la moitié de leur revenu annuel disponible. À titre de comparaison, à la fin des années 1950, leur taux d’endettement correspondait à moins de deux semaines de revenu. Par rapport aux pays étrangers, cette croissance apparaît toutefois modérée. Pour un encours des crédits de trésorerie aux particuliers de 6,7 % en 1987, en France (en pourcentage du revenu disponible brut), ce chiffre a atteint 13,3 % au Royaume-Uni, 15,5 % en Allemagne fédérale et 23,7 % aux États-Unis (d’où la vague est partie). De même, si l’encours des crédits est rapporté au nombre d’habitants, il est 2,5 fois moins élevé en France qu’en Grande-Bretagne et 4 fois moins qu’aux États-Unis. Enfin, le niveau de l’endettement global de ses ménages classe la France au rang des pays intermédiaires qui, comme la République fédérale d’Allemagne ou les Pays-Bas, se caractérisent par un taux global de l’ordre de 30 % du produit intérieur brut. Avec un taux supérieur à 60 %, les États-Unis et la Grande-Bretagne occupent le rang le plus élevé et, au contraire, l’Italie et le Japon, avec un endettement global de l’ordre de 10 %, tiennent le rang le plus bas. Le recul du crédit à la consommation Pendant longtemps, l’endettement des ménages a résulté essentiellement du recours à deux sortes de crédits : le crédit immobilier et le crédit à la consommation. Dès la fin de la guerre, les ménages ont été habitués, voire encouragés à downloadModeText.vue.download 330 sur 509 ÉCONOMIE 329 souscrire un crédit pour l’acquisition d’un logement. En demandant qu’on leur accorde un crédit à l’habitat, les particuliers sollicitaient fréquemment en même temps des crédits à la consommation pour financer l’achat de biens durables. Avant d’habiter leur pavillon de banlieue (par exemple), les ménages, souvent modestes, ne manquaient pas d’acquérir des meubles et des appareils électroménagers, c’est-à-dire de procéder à ce qui était appelé des achats à tempérament. Progressivement, cette demande de crédits à la consommation a baissé, et ce mouvement s’est répercuté sur le chiffre d’affaires des établissements spécialisés dans la vente à tempérament. Ainsi, des banques spécialisées (comme Cetelem, ou Sofinco) ou des sociétés financières (comme Creg et Diac) ont vu leur part diminuer de 32 % à 27 % en dix ans, en raison de l’effondrement des ventes à tempérament. Cette baisse s’explique surtout par l’envol des crédits de trésorerie. Dans un premier temps, c’est l’autorisation des prêts personnels en 1972 (grâce auxquels les particuliers purent disposer d’un crédit non affecté à l’achat d’un bien précis) qui entraîna une hausse rapide du rapport entre crédits distribués et revenu disponible. Le ratio baissa en 1973 et en 1974, lorsqu’un encadrement sévère du crédit fut mis en place avec un plafond spécifique de l’encours des prêts personnels dont la croissance rapide avait été jugée inflationniste par la Banque de France. De 1975 à 1985, ce ratio ne varia guère. Puis, soudain, après 1985, il s’envola avec la diffusion des crédits de trésorerie aux particuliers qui permettaient de financer en permanence et presque sans limite les achats de biens de toutes sortes : le rapport des crédits de trésorerie au revenu disponible brut s’éleva de 2,9 % en 1981 à 7,7 % environ en 1988, avec un taux de croissance qui passa de 6 % en 1980 à 21,3 % en 1985, puis à 39 % en 1986, à 33 % en 1987 et à 22 % en 1988. Ce brutal gonflement des crédits de trésorerie suivi de la croissance de l’endettement des ménages est apparu comme un phénomène à la fois « tiré » par la demande et « poussé » par l’offre. Banque Après une phase de désintermédiation (accès direct aux marchés de l’argent), le crédit bancaire aux entreprises a repris du fait du regain des investissements. D’abord à moyen et à long terme, avec le développement des interventions en fonds propres (directes, crédit-bail, accès aux marchés financiers, etc.), puis à court terme, avec la vive progression des découverts et des crédits globaux. Les taux d’intérêt s’alignent de plus en plus sur ceux du marché, entraînant une érosion des marges. Les crédits à la consommation se sont ralentis, ce qui n’a pas empêché les pouvoirs publics de s’inquiéter des difficultés de remboursement de certains emprunteurs (voir dossier La vie à crédit). Sur le plan européen, les frontières ont été ouvertes le 1er octobre à la libre commercialisation des prêts immobiliers et de l’épargne collective (SICAV, fonds communs), ce qui a obligé l’État à autoriser les SICAV de capitalisation (hors impôt). La cour d’appel de Paris a remis en question une décision du Conseil français de la concurrence sur la rémunération par les commerçants de la carte bancaire française, la seule qui soit interbancaire et pourtant downloadModeText.vue.download 331 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 330 la moins chère. D’autre part, l’image des banques, affectée par l’échec du projet de facturation de l’usage de tous les moyens de paiement et la non-rémunération apparente des dépôts à vue (l’encours des SICAV de trésorerie est énorme) a nécessité une campagne de communication d’un genre inhabituel, onéreuse pour la collectivité, mais efficace... Mais l’événement le plus important de l’année aura été la mise en place des possibilités de « titrisation », c’est-à-dire de cession, sous forme de titres négociables, d’encours de créances bancaires, comme cela existe aux États-Unis. On assiste donc cette fois réellement à l’irruption du marché au sein même de l’activité bancaire. François de Juvigny Les « as du crédit » À partir de 1980-1981, la désinflation, le ralentissement du rythme de progression du revenu disponible brut, accentué par l’élévation du taux des prélèvements obligatoires, et le passage de taux d’intérêt réels négatifs à des taux réels positifs en raison de la rigidité à la baisse des taux nominaux d’intérêts ont donné aux ménages l’impression que leurs possibilités de consommation baissaient. Estimant, à tort ou à raison, que le ralentissement de l’augmentation des revenus devait cesser dans un avenir plus ou moins proche, beaucoup de ménages n’ont plus cherché à réduire leur consommation ; ils ont réagi comme s’ils reportaient à plus tard la réduction nécessaire de leur niveau de vie. À partir du moment où ils ont décidé que leur consommation devait être maintenue sinon augmentée, les solutions qu’ils pouvaient adopter à cet égard permettent de distinguer deux situations. Dans la première, certains ménages – en minorité d’ailleurs – ont cherché tout à la fois à ne pas restreindre leur consommation et à préserver leur épargne existante ou leur patrimoine (voire à l’accroître, ce qui est paradoxal). Ces ménages ont mis en oeuvre une stratégie financière globale consistant aussi bien à acheter des biens mobiliers et immobiliers, en profitant au maximum des nouvelles formules de crédit proposées par les établissements bancaires et financiers, qu’à opérer des placements dans les nouveaux produits qu’offrait le marché financier. Ces ménages ont souvent fait preuve d’une compétence, d’une habileté et d’un esprit de calcul incomparables. Par exemple, ils ont su négocier à la fois une baisse du prix du produit et un aménagement favorable des conditions de crédit ; en outre, ils connaissaient presque parfaitement les caractéristiques des différentes formules de crédits ou des nouveaux produits financiers et savaient très bien en jouer. En règle générale, ces ménages – appelés « as du crédit » – se différenciaient par des niveaux de revenus plus élevés que ceux de la moyenne, par une meilleure formation financière et surtout parce qu’ils parvenaient à collecter plus efficacement que d’autres l’information nécessaire. La seconde situation regroupe trois catégories de ménages. Les premiers ont tenté de compenser le freinage éventuel de la consommation en commençant par puiser dans leurs réserves, c’est-à-dire dans leur épargne existante. À tort ou downloadModeText.vue.download 332 sur 509 ÉCONOMIE 331 à raison, ils ont estimé que, un jour ou l’autre, leur revenu disponible progresserait à nouveau. Lorsqu’ils ont constaté qu’ils ne pouvaient plus prélever sur leurs économies (soit parce qu’ils avaient épuisé leurs réserves antérieures, soit parce qu’ils n’entendaient pas descendre audessous du chiffre qu’ils s’étaient fixé), ils ont sollicité des crédits de trésorerie pour ne pas avoir à subir une baisse de leur consommation. La deuxième catégorie se rapproche de la précédente par le fait que, faute d’une épargne suffisante, certains ménages n’ont eu d’autre ressource que celle d’emprunter s’ils voulaient conserver sinon améliorer leur niveau de vie. La troisième catégorie concerne des ménages à hauts revenus qui se sont laissé aller à consommer plus que de raison mais qui estimaient toujours pouvoir se rattraper. Dans ces deux derniers cas, on observe que ces ménages se sont comportés comme si les crédits pouvaient être indéfiniment reconduits et n’ont d’ailleurs pas cherché à en connaître le coût. Le « crédit-mode de vie » De toute façon, quelle que soit leur catégorie, les ménages ont maintenant changé de comportement financier parce qu’ils n’hésitent plus à recourir à l’emprunt pour financer leurs dépenses les plus courantes. Selon le rapport déposé en juillet 1989 par le groupe de travail sur l’endettement et sur le surendettement des ménages (du Secrétariat d’État à la consommation), les enquêtes révèlent l’apparition d’un « crédit-mode de vie » auquel ont recours de plus en plus de ménages, quels que soient leurs revenus. Celui-ci est destiné à financer sur une base renouvelable certaines dépenses liées au superflu. Plus précisément, la recherche d’un crédit a amené les ménages à contracter de nouvelles habitudes en matière d’achats. D’une façon générale, ils veulent consommer immédiatement et payer plus tard (sans trop se soucier de savoir s’ils disposeront alors de revenus suffisants pour rembourser la charge d’emprunt). Afin de satisfaire leur appétit, sans cesse renouvelé, de consommation, les ménages n’hésitent pas à mordre aux nouveaux appâts des banques et des commerçants (petits ou grands) ; ils se laissent tenter par de petits crédits simples, souples et séduisants, dont le remboursement peut intervenir dans le mois, l’an ou même être effectué sur cinq ans. Ils peuvent alors acheter le produit qui vient d’être lancé (et qui est souvent issu d’une technologie avancée) ou prendre des vacances de rêve. Pour payer, il existe toujours une formule douce. Il suffit par exemple d’une ligne, juste une ligne supplémentaire sur un compte bancaire, un découvert généreux, une réserve de tré- sorerie ou surtout l’une de ces cartes magiques appelées cartes « de magasin ». Au moment de l’achat, il semble que celui-ci ne coûte pas très cher ; le crédit permet donc de vivre au-dessus de ses moyens, en attendant de les avoir. Pour rechercher sa satisfaction immédiate sans s’interroger sur ses possibilités futures de remboursement, l’emprunteur a pu être qualifié de « myope » (D. Kessler). En outre, s’il se laisse facilement tenter, c’est qu’il ressent l’impression agréable d’appartenir à une autre société, plus active et plus dynamique ; de la sorte, downloadModeText.vue.download 333 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 332 comme le note M. Christine de l’INSEE, « les comportements d’endettement mettent en évidence une opposition entre les ménages qui symbolisent la société traditionnelle (inactifs, personnes âgées, agriculteurs...) et ceux qui représentent le « dynamisme » (actifs, jeunes ménages, cadres supérieurs, Parisiens...) ». Les crédivores À la demande du Comité des usagers et du Conseil national de la consommation, le Centre de recherche économique sur l’épargne (Paris) a réalisé une étude qualitative comprenant trente entretiens semidirectifs avec des personnes ayant connu récemment des incidents de paiement, entretiens destinés à mieux comprendre l’éclosion des situations d’impayés et la manière dont elles étaient vécues par les intéressés. À cette occasion, les personnes interrogées ont pu être classées en quatre types bien différenciés, ce qui représente autant de portraits des ménages endettés : les victimes, les cigales, les fourvoyés et les as du crédit. Les victimes se distinguent par des budgets très serrés et une hantise d’incidents éventuels (plus que par la survenance effective d’impayés). Elles tiennent une comptabilité serrée de leurs sorties et s’efforcent de constituer des provisions de précaution. Elles occupent souvent un emploi stable (type fonction publique), qui leur donne un accès relativement facile au crédit, mais qui est faiblement rémunéré et sans perspectives d’augmentation (d’où une solvabilité fragile). Méfiantes vis-à-vis du crédit revolving, elles recourent plus volontiers au crédit affecté. Les cigales vivent dans une situation plus précaire et plus grave mais résultant le plus souvent de « choix de vie » (abandon d’un emploi jugé peu épanouissant par exemple). Jeunes, célibataires et sans charges de famille, elles n’établissent aucun budget. Souvent interdites de cartes bancaires, elles cumulent crédits revolving et prêts affectés. Les fourvoyés sont victimes d’un engrenage lié à une décision d’emprunt impulsive et sans rapport avec leur capacité de remboursement (achat d’un logement et d’une voiture neuve par un jeune ménage). En situation de contentieux ou de renégociation difficile, ils éprouvent le sentiment d’avoir été abusés. Les as ou les virtuoses du crédit aux ressources souvent abondantes pratiquent le « crédit-mode de vie » et se sentent bien armés pour utiliser le système de la fuite en avant tout en restant dans les limites d’une situation négociable avec leur banque. Ils cumulent les différents types de prêts. Ces difficultés sont vécues selon trois modalités : un fatalisme teinté d’optimisme (les cigales), un défaitisme assorti d’un syndrome de victimes (victimes et fourvoyés) ou l’indifférence (les as du crédit, certaines cigales), qui, pas plus l’une que l’autre, ne permettent d’envisager un changement de comportement (sauf dans le cas des fourvoyés) ou l’adoption d’une attitude plus lucide face aux difficultés. Le déclin de l’épargne Malgré la croissance, relativement élevée, des taux d’endettement à des fins de consommation – c’est-à-dire l’élévation du rapport entre les crédits de trésorerie contractés et le revenu disponible brut –, les ménages français restent encore en retrait par rapport à ceux des États-Unis, pays où ils sont globalement les plus endettés. En 1987, l’ensemble de leurs engagements financiers (prêts à court terme et crédit immobilier) représentait près d’un downloadModeText.vue.download 334 sur 509 ÉCONOMIE 333 an (91,4 %) de leurs revenus. En France, le taux n’atteint « que » 64,2 %. En 1985, les chiffres étaient respectivement de 84,9 % et 57,6 %. Les encours de prêts à court terme (automobile, trésorerie) ne couvrent aujourd’hui que 7 % des revenus disponibles des ménages français. Bourse Les grandes places financières terminent l’année à des niveaux proches de leurs records historiques (quelque 25 % de hausse). Et ce, malgré le 13 octobre que certains, hâtivement, ont amalgamé au krach de 1987. Or les cours actuels sont d’un tiers inférieurs et ne sont pas considérés comme excessifs. Pour l’essentiel, 1989 a été caractérisé : – par la confirmation d’une croissance élevée de 3,6 % dans les pays de l’OCDE. Sans elle, pas de progression des bénéfices des sociétés (ce que le marché achète par anticipation). En France, cette dernière approchera les 20 % ; – par la persistance des pressions inflationnistes (4,4 % pour l’OCDE) avec des distorsions fortes (4,5 % aux États-Unis ; 1,7 % au Japon). Il en a résulté, depuis la fin du premier semestre, une élévation des taux dans une structure inversée où le court terme est mieux rémunéré que le long (10 % contre 9,10 % en France). Les changes en ont été perturbés. En fin d’année, les marchés hésitent entre la satisfaction passée et l’inquiétude future. Ils doivent anticiper, c’est-à-dire choisir d’abord et vérifier ensuite, selon trois hypothèses majeures. La première est le niveau de l’activité économique en 1990. Les experts, qui se trompent moins que leurs détracteurs, tablent sur un affaiblissement de 2,9 %, sans récession. La deuxième est l’accélération ou non de l’inflation mondiale et donc la possibilité d’un retour, pas trop éloigné, à la normale, par des baisses conjointes du loyer de l’argent. Les prévisions font espérer un tassement dans la Communauté européenne (4,3 %) et, phénomène rarissime, une hausse des prix presque égale en France et en RFA. La troisième est la conséquence économique des événements de l’Europe de l’Est. Le problème, vu cyniquement par la Bourse, se résume ainsi : la liberté acquise deviendrat-elle solvable ? Édouard Mattei Autrement plus grave apparaît l’effet des crédits de trésorerie sur le taux d’épargne des ménages dont le déclin, observé dans les pays industrialisés, est jugé inquiétant tant par ses répercussions sur le financement des entreprises que sur l’équilibre du commerce extérieur (aggravation du déficit industriel). D’une façon générale, si l’on admet au départ que l’endettement est dû fondamentalement à une insuffisance du revenu présent ou à venir, il faut s’attendre en conséquence à ce que les ménages cherchent, en empruntant, à s’affranchir de la contrainte des liquidités actuelles. De même, lorsqu’ils épargnent, c’est parce qu’ils cherchent à se libérer de la contrainte des liquidités futures. En effet, l’épargne peut être regardée comme l’excès du revenu sur la consommation présente, constitué en réserve en vue des dépenses futures. Dans ces conditions, pour que le taux d’épargne ne baisse pas, il faut que les ménages anticipent une hausse suffisamment forte de leurs revenus ultérieurs. Dans la réalité, l’éventualité d’une hausse du revenu a peu de chances de se produire, d’autant plus que c’est le niveau de l’épargne qui motive le recours au crédownloadModeText.vue.download 335 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 334 dit. En d’autres termes, à partir du moment où l’insuffisance du revenu courant suscite l’endettement, il est évident que le taux d’épargne des ménages sera nécessairement affecté à la baisse à plus ou moins longue échéance. Pour qu’il en soit autrement, les ménages devraient connaître une hausse très élevée de leurs revenus et, en même temps, ils devraient renoncer à leurs habitudes d’achats à crédit de biens de consommation. S’ils ne procèdent pas à un autre choix (mais le peuvent-ils ?), la montée de leur endettement ne peut être que concomitante au déclin de leur taux d’épargne. Cette simultanéité joue aussi bien en France que dans les autres pays industrialisés. En France, le taux d’épargne brut (c’est-à-dire l’excédent du revenu sur la consommation, exprimé en pourcentage du revenu disponible brut) des ménages a subi un déclin presque continu : il est passé de 20,2 % en 1975 à 12,5 % en 1988 ; on estime toutefois qu’il devrait se stabiliser autour de 12 %. Mais la baisse est encore plus nette si, à la suite du Centre de recherche économique sur l’épargne (Paris), on retient le taux d’épargne net de la consommation de capital fixe (c’est-à-dire l’usure du capital-logement et l’amortissement du capital productif des petites entreprises) qui s’établit à 7,4 % en 1987 (15,7 % en 1975). Le même déclin est observé dans les autres pays. Depuis 1975, année où le taux de l’épargne a atteint un sommet chez les membres de la CEE, on note une tendance persistante à la baisse, plus ou moins accentuée selon les pays : la part du revenu disponible que les ménages consacrent à l’épargne diminue d’année en année. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, ce taux est tombé à un niveau très faible, passant de 12 % et 3,9 % respectivement en 1975 à 5 % et 3 % en 1987 ; en l’espace de trois ans, il a été pratiquement divisé par deux. En France, cette diminution a été plus marquée qu’ailleurs (moins 40 % depuis 1975 contre moins d’un tiers en Espagne, en Italie et en Grèce). L’Allemagne fédérale, surtout, se caractérise par le déclin moins accentué du taux d’épargne de ses ménages : depuis la fin des années 60, il ne s’est jamais écarté de plus de 2 à 3 points de son niveau moyen (12 à 13 % environ). Agriculture En 1989, l’amélioration de la santé des grands marchés mondiaux s’est poursuivie pour les principaux produits. Les causes en ont été diverses : sécheresse en Amérique du Nord pour les céréales et les oléagineux, quotas dans la CEE pour les produits laitiers. En ce qui concerne les céréales, la chute de la production, presque générale en 1988, avait entraîné une baisse des stocks mais, en 1989, ceux qui avaient été constitués lors des campagnes précédentes ont été suffisants pour garantir la sécurité alimentaire et pour amortir les fluctuations des cours. Les prix céréaliers ont tiré profit du déficit de l’offre, dû en grande partie à la vigueur de la demande de l’URSS et de la Chine. Par ailleurs, les résultats américains ont été décevants, à cause de la sécheresse. Pour les oléagineux, la diminution des surfaces ensemencées en Amérique du Nord et en Europe a provoqué la fermeté des cours. En dépit de bonnes productions brésilienne et argentine, les cours du soja accusent une forte hausse downloadModeText.vue.download 336 sur 509 ÉCONOMIE 335 en raison de la sécheresse persistante qui a affecté le Middle West et les régions céréalières canadiennes. Si ce panorama semble rassurant pour les producteurs de céréales et d’oléagineux, il n’en a pas été de même pour les produits tropicaux. En particulier, les perspectives pour les boissons (café, cacao, thé) demeurent sombres en raison des excédents d’offre difficiles à résorber. En ce qui concerne les relations entre les États-Unis et l’Europe, elles apparaissent toujours aussi conflictuelles et tendues que par le passé. L’affrontement concerne l’écoulement des produits sur le marché mondial. Fin octobre, les États-Unis ont présenté dans le cadre du GATT un plan de libéralisation des échanges et de suppression des subventions aux exportateurs ainsi que des aides intérieures à l’agriculture. Pour l’Europe, ce plan remet en cause, à long terme, sa position exportatrice sur les marchés mondiaux. Gilbert Rullière Une politique agressive Libérés du carcan de l’encadrement du crédit et en même temps délaissés en partie par les entreprises en meilleure situation financière (parce qu’elles sont autorisées à se procurer l’argent directement sur les marchés, au moyen, par exemple, de billets de trésorerie), les grands réseaux collecteurs de dépôts ont compensé les pertes de recettes en lançant leur offensive en direction des particuliers. Par ailleurs, la concurrence accrue des compétiteurs étrangers mieux implantés a fait craindre aux établisse- ments français de crédit que le marché ne leur échappe en grande partie dans un avenir proche. L’essor de la télématique, la maîtrise de la technologie des cartes bancaires, la sophistication de plus en plus poussée des techniques de sélection des emprunteurs « à risque » (le crédit scoring) ont donné les moyens aux banques d’inventer des formules nouvelles de prêts aux particuliers. De plus, l’accroissement de la concurrence et la banalisation des circuits de financement ont rogné les marges de profits. Les fournisseurs de crédits ont donc mis en oeuvre une politique comdownloadModeText.vue.download 337 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 336 merciale agressive tant en matière de crédits à l’habitat qu’en matière de crédits de trésorerie. Dans un premier temps, les sociétés de financement (comme Sofinco, Cetelem ou Diac) et les banques (commerciales, mutualistes et populaires), seules habilitées à vendre du crédit, ont multiplié les formules les plus sûres, les plus souples et les plus attractives. À côté des moyens traditionnels (facilités de paiement, découverts bancaires, prêts personnels ou ventes à tempérament), le dernier en date proposé par les banques (puis par les grandes surfaces de vente) sous le nom de crédit permanent ou revolving présente un caractère vraiment novateur ; il autorise en quelque sorte un crédit « indolore ». En effet, le crédit revolving consiste en une autorisation permanente de découvert à durée indéterminée. Pratiquement, cette autorisation revient à mettre à la disposition du particulier une somme qui, après utilisation d’une partie de celle-ci, se reconstitue au fur et à mesure des remboursements. Le bénéficiaire de la formule peut alors dépenser jusqu’à épuisement de sa réserve. Le montant des remboursements dépend de la somme empruntée. Bien entendu, un tel service (matérialisé par l’attribution d’une carte de crédit) donne lieu à rémunération : les taux peuvent varier de 12 % pour certaines banques à 17,96 % (le taux de l’usure) pour d’autres. Avec une telle formule de crédit, fondée sur l’idée que la satisfaction ne saurait être différée (ou que l’on ne saurait attendre alors qu’on a toute la vie devant soi pour rembourser), « l’acheteur moyen, dans son subconscient, répond à l’image d’une société en croissance perpétuelle, en progrès continu » (J. Ellul). Avec l’emprunt, le consommateur finit par appartenir à un monde où l’art de vivre à crédit est érigé en dogme et où le remboursement correspond à une formalité que l’on peut éventuellement reporter à plus ou moins long terme. Dans certains ménages à revenu élevé, il fait partie du standing : il n’est pas donné à tout le monde de passer pour un « crédivore ». À leur tour, les grands distributeurs ont voulu ne pas laisser échapper un marché aussi prometteur. Ils ont profité de l’engouement des Français pour les cartes de paiement – 15 millions de cartes bancaires portant le logo Carte bleue sont en circulation – qui sont utilisées pour obtenir un crédit gratuit de quelques jours en jouant sur la date à laquelle les sommes sont débitées. De la sorte, ils ont lancé les cartes privatives (au nombre de 20 millions) : émises par un hypermarché (comme Pass chez Carrefour), un grand magasin (Printemps, Conforama), une société de vente par correspondance (Kangourou), un organisme de crédit (Aurore), un organisme de cartes (American Express), elles proposent non seulement un crédit permanent (du type crédit revolving), mais aussi divers avantages (prix préférentiels, paiement aux caisses de sorties spécialement prévues pour les porteurs de cartes, etc.). Toutes ces facilités accordées aux consommateurs ont également pour but de les fidéliser. Le piège Avec tous les moyens de séduction mis en oeuvre par les uns et par les autres, il devient de plus en plus difficile de résisdownloadModeText.vue.download 338 sur 509 ÉCONOMIE 337 ter. La tentation d’acheter tout à crédit est de plus en plus forte, d’autant plus que l’absence de connexion des fichiers (techniquement impossible) permet de multiplier les emprunts. Les fournisseurs savent se montrer très convaincants pour inciter à dépenser plus que ce qu’autorise un budget en équilibre. Par exemple, plutôt que de prendre le risque de voir un client retarder son achat ou s’adresser à un autre vendeur, on lui propose des remboursements modulés ou des paiements différés. Le piège se referme alors sur le consommateur. Distribution L’internationalisation de la distribution amorcée les années précédentes s’est poursuivie et même accélérée en 1989. Sur le marché européen, la grande distribution s’est montrée plus agressive. En outre, des chaînes comme Benetton, Laura Ashley, Ikea, Vendex International, Casino, Promodes, Auchan, Carrefour, Continent, Docks de France, Le Printemps ont essayé de prendre pied de l’autre côté de l’Atlantique. En revanche, des firmes américaines comme Sears, Safoway, Woolworth, J.C. Penney n’ont pas bien réussi leur implantation européenne. Cette internationalisation s’explique d’abord par la saturation des marchés nationaux (même si, en France, les grandes enseignes continuent d’ouvrir des hypermarchés), ensuite par la meilleure connaissance des comportements et des attentes des clientèles étrangères (avec comme conséquence l’homogénéisation de la consommation d’un pays à l’autre), par le développement du commerce international et l’ouverture des marchés sur l’extérieur (ce qui encourage l’exportation des capitaux et du savoir-faire commercial), et enfin par les progrès technologiques dans les systèmes de transport et de communication. Par ailleurs, les grandes surfaces de vente distribuent de plus en plus de produits en dehors de l’épicerie : textile, outillage, électroménager, informatique, produits parapharmaceutiques. Carrefour France s’essaie à la vente d’automobiles, à l’assurance et même aux placements financiers. De leur côté, les grandes surfaces spécialisées n’hésitent pas à se lancer à l’assaut de l’audiovisuel, de l’électronique, du meuble et du textile. Souvent intégrées dans la nébuleuse d’un grand groupe (alliance Carrefour-Castorama ou Auchan-Boulanger), elles renforcent ainsi le pouvoir de négociation des grandes centrales d’achat afin d’obtenir des fournisseurs des prix avantageux. Gilbert Rullière En multipliant les dettes indolores ou en contractant des emprunts trop élevés, en les additionnant ou en s’abstenant de les gérer avec rigueur, le consommateur commence à ressentir les affres des échéances douloureuses. La situation semble se dénouer avec la possibilité – ou l’obligation – de prendre de nouveaux crédits pour rembourser les anciens ; mais le mouvement risque de devenir perpétuel. Il arrive d’ailleurs souvent que le total des dettes contractées dépasse les possibilités de remboursement calculées sur la totalité des revenus encaissés par l’emprunteur. Certaines enquêtes ont permis de fixer à 60 % le taux à partir duquel un ménage peut être qualifié de surendetté. En France, 250 000 familles environ se trouveraient ainsi dans l’incapacité de rembourser leurs dettes, souvent à la suite d’une baisse de leurs revenus, consécutive au chômage, à la maladie ou à une rupdownloadModeText.vue.download 339 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 338 ture comme le divorce. D’une façon générale, ces ménages surendettés sont caractérisés par un niveau d’éducation plus faible que celui de la population endettée de référence. Les exploitants agricoles, les salariés aux revenus modestes (qualifiés ou non) en font également partie. Plus précisément, un ménage est déclaré insolvable dès que sa situation nette est négative (un stock de dettes supérieur à l’actif), ou en raison d’une capacité d’épargne insuffisante en permanence ; si l’insuffisance n’est que momentanée, il s’agit d’un simple problème d’illiquidité. Deux cas peuvent alors se présenter : l’insolvabilité peut provenir soit d’un accroissement excessif des charges de remboursement par rapport au revenu permanent, soit d’une diminution du revenu permanent par rapport à des charges inchangées. Épargne Les Français ne consacrent plus que 12 % de leur revenu disponible à l’épargne (contre 20,5 % en 1978). Ils les répartissent entre le logement (9,6 % contre 12,5 % en 1978) et l’épargne financière (2,4 % contre 8 % en 1978). La politique de rigueur salariale et la montée des prélèvements obligatoires (épargne forcée), comme l’endettement croissant (épargne négative) des ménages expliquent cette régression. Celle des placements liquides (en particulier, du livret A, dont les retraits dépassent les dépôts), comme le développement de l’assurance vie et des valeurs mobilières se confirment, même si la tendance au rééquilibrage, amorcée en 1988, se poursuit avec l’investissement en logement qui repart, le goût plus prononcé pour l’épargne liquide (épargne logement) et le comportement plus prudent à la Bourse (obligations). Les OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières), qui rassemblent les SICAV et les FCP, sont particulièrement dynamiques : d’abord, parce que l’État assouplit leur réglementation ; ensuite, parce que les petits porteurs sont encouragés ou contraints par la libération des courtages le 1er juillet à passer par de tels organismes ; enfin, parce que la commercialisation des SICAV et des FCP est entièrement libre dans la CEE depuis le 1er octobre. Les revenus de l’épargne sont particulièrement favorisés tant pour redonner le goût du « bas de laine » que pour éviter les fuites de capitaux lors de la libéralisation des marchés prévue en Europe pour le 1er juillet 1990. Les deux mesures les plus importantes concernent la baisse de l’impôt sur les revenus d’obligation jusqu’à 15 % (au lieu de 25 % à 32 %) et la présentation, le 19 juillet, du Plan d’épargne populaire (PEP) – défiscalisé –, qui remplacera le PER à partir de janvier 1990 et dont l’objectif est de favoriser l’épargne longue nécessaire à l’investissement et disponible lors de la retraite. Dominique Colson En tout état de cause, compte tenu des caractéristiques des familles surendettées, les enquêtes montrent que la perte de solvabilité est souvent imputable au ménage qui s’endette au-delà de ce que ses ressources stables lui permettent. Ce surendettement qualifié d’actif tient lar- gement à l’ignorance, à une lecture hâtive des contrats de prêts, à l’imprévoyance et à la myopie du ménage qui surestime ses ressources ou néglige la charge des remboursements. En outre, la facilité avec laquelle les cartes et les crédits sont octroyés expose, plus que tous les autres downloadModeText.vue.download 340 sur 509 ÉCONOMIE 339 ménages, ceux qui sont « infériorisés » par la précarité ou la pauvreté de leur situation, par leur sous-éducation et leur manque d’information, à un risque de surendettement. Mesures de protection En 1988 et 1989, la multiplication des incidents de paiements en matière de crédits a souligné qu’une réglementation était nécessaire si l’on voulait éviter le surendettement croissant des ménages. Un projet de loi sur le surendettement des ménages, présenté par Mme Véronique Neiertz, a donc été adopté le 6 septembre par le Conseil des ministres. Entre autres dispositions, ce texte prévoit un accord avec les professionnels (banques, établissements de crédit) et la Banque de France – qui en serait gestionnaire –, la mise en place d’un observatoire de l’endettement créé pour mesurer l’évolution de l’endettement des Français sur un échantillon de 10 000 à 15 000 ménages. Par ailleurs, un fichier national des incidents de paiement doit être mis en place auprès de la Banque de France afin de responsabiliser les organismes prêteurs. Enfin, dans le souci de ne pas surcharger les tribunaux, une procédure de conciliation entre débiteurs impécunieux et prêteurs pourra être mise en oeuvre par une commission départementale composée de représentants des associations de consommateurs, des organismes de crédit et de l’administration. Mais, à la différence de ce qui se pratique dans certains autres pays (comme le Canada ou les États-Unis), la possibilité pour les ménages de déposer leur bilan après faillite a été exclue pour son laxisme. Face à l’insistance des fournisseurs professionnels de crédit, il reste à se de- mander si ces mesures parviendront à protéger réellement les ménages et à les décourager de céder à la tentation permanente des achats d’impulsion. La pression est si forte qu’on peut en douter. RENÉ SEGAUT Universitaire, René Segaut est spécialisé dans les questions de crédit et de finances. downloadModeText.vue.download 341 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 340 La dette du tiers-monde Pour la première fois depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, le montant total de l’endettement des pays en développement s’est stabilisé en 1989 à près de 1 300 milliards de dollars. Le plan Brady En première analyse, la gestion de la crise de la dette internationale a fait d’indéniables progrès depuis quelques années : les rééchelonnements successifs ont mieux pris en compte la situation des pays débiteurs en autorisant des périodes de grâce plus longues, des renégociations pluriannuelles des obligations de paiement, des marges moins élevées par rapport aux taux directeurs (LIBOR notamment). 1989 apparaît même comme une année charnière, au cours de laquelle les pouvoirs publics se sont officiellement saisis du dossier : le passage du « plan Baker » de 1985 au « plan Brady » (Ce « plan » fut ainsi nommé car il fut présenté lors d’un discours du secrétaire du Trésor américain Nicholas Brady, le 10 mars 1989. Le plan Brady lui-même apparaît comme l’aval officiel des États-Unis à une approche prônée dès septembre 1988 par la France devant l’Assemblée générale des Nations unies et par le Japon devant l’Assemblée annuelle du Fonds monétaire international, illustrant bien qu’à l’échelle d’un problème comme celui-là le poids des États-Unis restait indispensable pour valider toute initiative diplomatique sérieuse.) de 1989 se caractérise par une approche plus volontariste, et par une officialisation trop longtemps attendue du principe de l’effacement au moins partiel des créances. Les premières « applications » de ce plan ont concerné le Mexique et les Philippines. À la fin de 1989, des négociations étaient en cours avec d’autres pays, dont le Venezuela et le Maroc. Jusqu’en 1989, et en dépit des discours, la logique de gestion des problèmes de l’endettement est restée dominée par les aspects financiers : comment les pays endettés et leurs créanciers doivent-ils gérer les difficultés de paiement des charges du service de la dette ? Rééchelonnements après rééchelonnements, on continue à favoriser l’hypothèse d’« illiquidité », c’est-à-dire de difficultés temporaires qui peuvent se résoudre par injection de nouveaux fonds et donc accroissement de la dette, alors qu’il devient patent qu’il s’agit d’une situation d’« insolvabilité » dans laquelle il est vain d’escompter que les pays en question puissent faire face dans un avenir prévisible à leurs obligations de paiement. En outre, le poids de la dette intervient de façon indirecte mais souvent déterminante dans leur capacité à mettre en oeuvre les réformes économiques nécessaires : celles-ci perdent leur crédibilité interne dès lors qu’elles sont perçues comme étant dictées par les créanciers. Force est à cet égard de constater que la conditionnalité du FMI, élément clé de la stratégie de gestion de la dette, aussi bien du point de vue des créanciers, qu’elle rassurait sur la bonne gestion économique du pays, que de celui des débiteurs, dont elle était censée permettre le redressement économique et le retour sur les marchés des capitaux, n’a downloadModeText.vue.download 342 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 341 pas conduit à une amélioration sensible de la situation économique des pays endettés. On peut donc légitimement se demander à quoi ont servi les programmes d’ajustement. Ils ont, en fait, été mal appliqués, et n’ont concerné que l’ajustement externe, effectué au détriment de la demande intérieure, et notamment de l’investissement, pourtant clé de la croissance future. Le nécessaire changement Car l’élément le plus préoccupant de la situation des pays les plus endettés est le recul, puis la stagnation du niveau d’investissement depuis 1982. Dès lors, il apparaît clairement que le problème n’est pas tant celui de la dette et de son service que celui du développement économique des pays appauvris, alors même qu’y est souvent à l’oeuvre en même temps un difficile processus de transition démocratique. La dette, cependant, ajoute aux obstacles du développement, et sa charge obère les capacités de financement de l’économie. D’où la situation extrêmement pernicieuse qui s’est développée sous couvert de l’orthodoxie financière, et qui conduit depuis quelques années les pays les plus endettés à financer l’économie internationale, puisque les transferts financiers nets reçus par ces pays sont fortement négatifs. La fiction devait donc cesser. Du côté des pays débiteurs latino-américains, les émeutes au Venezuela en février 1989 et les signaux de radicalisation du discours (Mexique), ou même du pouvoir (Argentine), annonçaient le nécessaire changement. Du côté des créanciers, la consolidation des bilans bancaires et la constitution d’un volant plus important de provisions ont diminué la vulnérabilité résultant d’une exposition inconsidérée dans le financement des pays en développement. Le plan Brady sanctionne donc la prise de conscience d’une évolution devenue inéluctable. Il établit en fait des principes d’action visant à développer les mesures de réduction de la dette et du service de la dette. Il fait appel aux ressources du FMI et de la Banque mondiale – qui se sont clairement engagés dans ce sens – pour soutenir de telles mesures mises en oeuvre, sur une base de volontariat, par les banques commerciales : mises en place de garanties facilitant le rachat ou l’échange de créances à prix réduits, reconstitution des réserves des pays endettés qui rachètent leurs propres dettes. L’application de ces principes requiert dans chaque cas une nouvelle négociation entre les différentes parties prenantes. Des effets limités Le tournant représenté par le plan Brady dépasse-t-il le seul discours et permettra-t-il une réduction significative, sinon un renversement des flux de transferts nets négatifs qui en ont favorisé la conception ? Plusieurs contraintes en limiteront les effets, comme la finalisation, laborieuse, de l’accord mexicain semble l’illustrer en décembre 1989. Premièrement, les ressources des institutions multilatérales ne permettent pas de soutenir à elles seules une réduction importante de la dette et du service de la dette. Deuxièmement, l’approche ne fait pas assez de cas des intérêts des acteurs downloadModeText.vue.download 343 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 342 privés, c’est-à-dire des banques commerciales. À supposer qu’une réduction partielle de la dette améliore la situation d’un débiteur au point qu’il sera mieux à même de servir les créances qui demeurent, on voit bien que toutes les banques profiteront de cette réduction et que celles qui en bénéficieront le plus sont justement celles qui la pratiqueront le moins : les banques qui consentent une réduction sensible de leurs créances rendent ainsi indirectement service aux autres. La mise en oeuvre du plan Brady requiert donc la coopération des créanciers, qui ne peut être obtenue que dans une cohésion forte et une perception claire et unanimement partagée des enjeux et de la nécessité d’une telle action. Les intérêts des banques, qui varient avec leur taille, la répartition et la nature de leurs risques, le montant de leurs provisions semblent beaucoup trop divergents pour que l’on puisse s’attendre à leur participation enthousiaste derrière les principes du plan. Enfin, les banques commerciales ont tout intérêt à faire état de leurs réticences, afin d’amener les pouvoirs publics – et en dernière analyse les contribuables – à supporter davantage le poids des réductions de dette, que ce soit sous forme de concours de soutien ou de réaménagements de la fiscalité des provisions pour perte et de la réglementation bancaire. Dette et développement On peut donc s’attendre à ce que l’approche du plan Brady n’ait que des effets limités et qu’elle doive être complétée, que ce soit par des mesures unilatérales de la part des pays débiteurs, ou par une coopération qui reste à inventer de la part des créanciers publics et privés. En tout état de cause, trois conclusions s’imposent, fin 1989, concernant le problème de la dette. Premièrement, la crise de la dette a contribué à faire éclater la notion de tiers-monde, entre les pays d’Asie (à l’exception des Philippines), qui s’en sont remarquablement sortis, ceux d’Afrique, qui en ressortent profondément marginalisés, et ceux d’Amérique latine, qui se sont considérablement appauvris. DeudownloadModeText.vue.download 344 sur 509 POINT DE L’ACTUALITÉ 343 xièmement, les banques semblent ne plus devoir participer de façon significative au financement du développement dans ces derniers pays. Échaudées, elles ont constitué des provisions qui leur permettent d’absorber plus sereinement les pertes encourues, et préféreront vraisemblablement investir leurs ressources dans les régions à fort potentiel, notamment en Asie et dans les pays industrialisés. Enfin, aucun schéma alternatif de financement du développement n’est aujourd’hui clairement envisagé. L’espoir des pays endettés tient au retour des capitaux expatriés, à l’augmentation des flux officiels d’aide au développement, à la progression des flux d’investissement direct étranger. Au-delà de la crise de la dette, la décennie 1990 sera marquée par une nouvelle crise du développement. PIERRE JACQUET downloadModeText.vue.download 345 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 344 Le défi mondial des technologies avancées Par leurs effets sur la production et sur la consommation, les nouvelles technologies lancent aujourd’hui un défi mondial aux entreprises comme aux nations. Celles qui veulent survivre devront le relever. L’invasion, ces dernières années, de la vie quotidienne des individus, des ménages et des entreprises par les nouvelles technologies a créé une situation très particulière que l’économiste britannique Christopher Freeman a qualifiée de changement de paradigme technoéconomique. La question essentielle est alors de savoir si l’innovation résultant de l’introduction d’une technologie différente de celles qui existent engendre une modification profonde des relations entre le système technique, l’économie et la société. Les grandes technologies... Dans le passé, seul un petit nombre de technologies a provoqué un tel changement. Christopher Freeman cite les cas exceptionnels de la machine à vapeur et de l’électricité, des sources d’énergie qui ont conduit non seulement à la création de nouvelles gammes de produits et de services, mais aussi au bouleversement des processus de production, des méthodes de gestion et des modes de consommation. Les changements entraînés par ces technologies peuvent être alors analysés comme les éléments d’un jeu d’interactions complexes dans lequel le système économique et le système social sont impliqués dans leur ensemble. Plus concrètement, les consommateurs sont contraints d’adopter de nouvelles habitudes et les industriels d’organiser leur production sur d’autres bases. Mais il s’agit bien d’exceptions : en effet, la plupart des autres technologies n’ont entraîné que l’augmentation du coefficient de productivité des facteurs de production – le capital et le travail – et celle des quantités mises à la disposition des consommateurs sans pour autant que les relations entre le système technique, le système économique et le système social s’en soient trouvées modifiées. Ces technologies ont été qualifiées de « grandes », parce qu’elles ont donné naissance à des innovations qui ont suscité l’intensification de la production, tant agricole qu’industrielle, et contribué à l’avènement de la production à grande échelle de biens standardisés nécessaire pour répondre à l’accroissement de la demande et pour affronter l’ère de la consommation de masse qui s’annonçait. downloadModeText.vue.download 346 sur 509 ÉCONOMIE 345 Et les nouvelles technologies... En revanche, les technologies de la seconde catégorie exercent des effets non seulement sur l’utilisation des facteurs de production et sur l’organisation de cette dernière, mais aussi sur l’économie et la société tout entières. Ce sont les technologies « nouvelles » ou « avancées » (ou high-tech). Celles-ci provoquent une vague d’innovations qui affectent les activités tant privées que publiques. En conséquence, elles suscitent les initiatives des uns (par exemple, celles des producteurs) et les réactions des autres (par exemple, celles des consommateurs, amateurs de modernisme), réactions qui peuvent modifier en retour le comportement des producteurs. À un processus jusqu’alors linéaire vient se substituer un processus interactif où l’introduction d’une nouvelle technologie engendre des formes très différentes de progrès technique, de telle façon que les producteurs et les consommateurs trouvent dans leur diffusion les avantages qu’ils recherchent. Au cours de la période « moderne », que l’on peut faire commencer en 1945, les « grandes » technologies n’ont guère engendré de mouvements comparables. Par exemple, malgré le caractère très innovateur de l’énergie nucléaire, qui a pu transformer fondamentalement le processus de production, celle-ci n’a pas eu de profondes répercussions sur l’économie ou sur la société. Les « grandes » technologies qui ont été adoptées à cette époque, soit dans l’agriculture (motorisation, mécanisation, produits chimiques, génétique), soit dans l’industrie (télécommunications, chimie lourde, informatique), ont entraîné comme effets apparents une augmentation régulière et continue de la productivité des facteurs de production et de la dimension des entreprises. Ce qui était recherché, c’était, à partir de la mise en oeuvre des « grandes » technologies dans l’industrie, de parvenir à une amélioration immédiate et conséquente du niveau de vie des consommateurs. Dans ces conditions, il était exclu que, au-delà de la réalisation de gains de productivité, le processus consommation-production puisse évoluer et surtout le système économico-social se transformer sous l’influence de ces technologies. Énergie Au lendemain de l’accord « historique » de Vienne (fin novembre 1988) réintégrant l’Irak au sein du système des quotas pétroliers, l’OPEP a cherché à appliquer en 1989 une logique de cartel à travers la rentabilisation optimale et le contrôle de la production d’une denrée stratégique aux réserves limitées. Le prix a été ainsi stabilisé, oscillant autour de 18 dollars par baril à compter de janvier (contre moins de 15 dollars en 1988). Malgré l’indiscipline chronique de quelques membres de l’OPEP (Koweït et Émirats arabes unis) qui ne respectent pas le plafond théorique de production, passé en septembre de 19,5 à 20,5 millions de barilsjour, la remontée du cours s’est maintenue tout au long de l’année. Par ailleurs, plusieurs autres facteurs ont contribué à la stabilité du prix du pétrole. D’un côté, prenant acte de la modération des pays de l’OPEP, les producteurs nationaux non membres de l’OPEP (URSS, Mexique, Angola) n’ont pas cherché à accroître leur prodownloadModeText.vue.download 347 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 346 duction. Ils ont même réduit globalement leurs exportations de 5 %, évitant ainsi un gonflement de l’offre mondiale et une baisse des prix du brut. D’autre part, la demande pétrolière mondiale est restée très soutenue. Selon l’Agence internationale de l’énergie, dans les pays industrialisés, et surtout aux États-Unis, en Europe et au Japon, la reprise de la croissance économique a entraîné une hausse des importations de pétrole de 7,1 %. Dans les pays en voie de développement, les mutations structurelles des économies (modernisation de l’agriculture, industrialisation, développement des marchés intérieurs) ont suscité un recours accru à l’énergie pétrolière. Par ailleurs, certains pays producteurs, comme le Mexique, le Venezuela, le Nigeria, l’Angola, l’URSS..., ont été amenés à affecter une part croissante de leur production à la satisfaction des besoins de leur marché intérieur. Gilbert Rullière Même les innovations les plus radicales, si elles aboutissaient à la mise en place de processus de production différents, ne modifiaient pas les relations entre le système de production et celui de la consommation (il importe peu en effet au consommateur d’électricité que celleci lui soit fournie par une centrale nucléaire, hydroélectrique ou thermique). Sur le plan économique et social, le pouvoir de transformation de ce type d’innovations était et reste donc pratiquement nul. D’autre part, avec les « révolutions techniques » sont apparus des produits et des secteurs industriels nouveaux : ainsi, le développement de l’industrie des plastiques dans les années 1960 a abouti à l’invasion du marché par des objets inconnus auparavant qui, en raison de leur utilité sociale, se sont diffusés très rapidement et très largement. Mais, si ces techniques « révolutionnaires » réussissent aussi facilement grâce à leur intérêt quotidien, elles ne peuvent pas entraîner pour autant le bouleversement des structures économiques et sociales. Par exemple, malgré leurs nombreux usages, les plastiques ne peuvent jouer d’autre rôle dans la vie courante que celui de substituts à des produits existants (papier, bois, métaux...). L’irruption des nouvelles technologies À partir du début des années 1970, le développement de l’informatique et de l’automation, l’introduction de nou- velles espèces de plantes en agriculture, l’apparition de nouveaux matériaux et la diffusion de toutes sortes de nouveaux produits dans le public ont donné l’impression qu’une nouvelle génération d’innovations et de technologies était née, qui prenait la place des « grandes » technologies et qui orientait le développement économique dans des directions très différentes. En même temps, une idée tendait à prévaloir, selon laquelle la recherche scientifique (sous toutes ses formes) devait se mettre au service tant des consommateurs que des producteurs. Depuis cette époque, en effet, une évolution originale se dessine sous l’action de quelques facteurs d’ordre économique et social. Elle tend à réduire la place des « grandes » technologies pour en accorder une plus importante aux nouvelles. D’une part, les industriels observent qu’ils ne peuvent plus attendre des predownloadModeText.vue.download 348 sur 509 ÉCONOMIE 347 mières les gains de productivité élevés qu’ils obtenaient dans le passé, car il devient de plus en plus difficile à l’industrie d’échapper aux effets de la loi des rendements décroissants et parce que les technologies semblent perdre de leur efficacité. Ces industriels sont donc conduits à se demander s’il ne faudrait pas changer de système de production ou, tout au moins, recourir à d’autres technologies. D’autre part, les consommateurs ont cessé d’être boulimiques. Ils montrent moins d’empressement à acquérir et à accumuler des produits qui, bien que moins coûteux, ne sont pas assez différenciés. Au contraire, ils semblent éprouver plus de satisfaction à se procurer, quand ils le peuvent, des produits de qualité et surtout personnalisés, c’està-dire plus conformes à leurs goûts personnels et à ceux de leur milieu social. Dès lors, le secteur industriel (et, dans une moindre mesure, le secteur agricole), pressentant les difficultés d’écoulement de ses produits, est amené à donner la préférence à des processus de production plus souples. Entre les contraintes impliquées par un tel objectif et la pression exercée par les consommateurs, qui, réunies, définissent les technologies auxquelles les industries doivent recourir, ces dernières se trouvent placées devant une situation tout à fait nouvelle. Plus précisément, il apparaît que les tâches fondamentales des entreprises industrielles consistent maintenant à downloadModeText.vue.download 349 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 348 obtenir de l’information (de la part des consommateurs notamment), puis à organiser et à contrôler la production en fonction des informations collectées, et finalement à communiquer avec l’extérieur. Au regard de ces exigences, un foisonnement d’innovations et de technologies à la fois nouvelles et fondamentales – en tout cas très différentes de celles du passé – est apparu dans les domaines de l’informatique, de la microélectronique, des biotechnologies et des nouveaux matériaux. En même temps, on peut constater que ces nouvelles technologies non seulement participent à la transformation et à la réorganisation du système industriel, mais aussi qu’elles rendent toutes sortes de services à des utilisateurs de plus en plus nombreux. Le grand public fait ainsi connaissance avec la domotique, la productique, la robotique, le télé-enseignement, la télé-médecine, etc. Processus linéaire et processus interactif Si les technologies en question sont qualifiées de nouvelles, c’est non seulement parce que l’on peut observer de profonds changements dans la production et dans la consommation, mais aussi parce que l’on constate des interactions multiples et variées avec l’économie et avec la société. De telles technologies se diffé- rencient par le fait que les changements sont pris en compte ou même anticipés par les consommateurs et par les producdownloadModeText.vue.download 350 sur 509 ÉCONOMIE 349 teurs ; les uns et les autres sont alors amenés à adopter d’autres habitudes de vie ou d’autres méthodes de production en fonction des nouvelles technologies qui affectent d’abord leur vie quotidienne. Autrement dit, le processus de diffusion des innovations n’est plus linéaire comme dans le passé, mais interactif : il faut tenir compte des actions et des réactions de tous les facteurs en cause. Industrie En 1989, les secteurs industriels ont été confrontés à des transformations qui ont modifié profondément la physionomie des modes de production et des marchés. Face à deux défis, l’un technologique, l’autre commercial (mondialisation des échanges), les systèmes industriels des économies occidentales sont entrés dans une phase de réorganisation et de redéploiement avec restructuration des tissus industriels européens, américains et japonais. Dans un premier temps, les entreprises industrielles se sont orientées plus que jamais vers la spécialisation et la diversification de la production. Le marché des produits standardisés et de masse a été abandonné aux entreprises étrangères, au coût de production plus bas, et l’on s’est tourné vers les fabrications unitaires ou les petites séries personnalisées aux marges plutôt élevées, qui répondent davantage à l’attente de la clientèle. Ce changement a entraîné un redécoupage des portefeuilles d’activités, qui s’est traduit par un désengagement des secteurs périphériques ou insuffisamment rentables, par un « recentrage » sur une seule activité de base, par un recours accru à la sous-traitance (automobile et aéronautique) et par la recherche de synergies obtenues par le rapprochement de grandes branches (accord-cadre conclu entre Peugeot et Dassault pour la maîtrise de l’automatisation et de l’électronique de base). Dans un second temps, les entreprises industrielles n’ont plus hésité à s’internationaliser en cherchant à vendre à l’extérieur, à s’implanter à l’étranger (rachat d’entreprises déjà existantes comme l’acquisition d’American Can par Pechiney) et à délocaliser la production (cas des industries de main-d’oeuvre comme le textile ou l’habillement), ou en concluant des accords nationaux et multinationaux, qui donnent alors naissance à des entreprises transnationales (Thomson-SGS, Carnaud-Metal Box, etc.). Gilbert Rullière Les changements dans les relations entre technologie, système économique et système social s’opèrent en effet en fonction d’un jeu permanent et continuel d’interactions avec les acteurs, le processus de consommation et les systèmes de production. Dans la réalité concrète, ce jeu se traduit par l’émergence de comportements différents : par exemple, les consommateurs découvrent, en adoptant des produits nouveaux offerts par les technologies de l’information (comme le Minitel), des façons de vivre jugées par eux plus satisfaisantes. Il y a là une sorte de défi à relever pour l’industrie, qui s’efforcera de fabriquer des produits encore plus performants ou plus fiables dont les consommateurs doivent pouvoir retirer encore plus d’agréments. En définitive, si les technologies avancées permettent de parler d’un changement de paradigme techno-économique, c’est parce qu’elles induisent des changements qui s’étendent bien au-delà des actions atteignant le secteur downloadModeText.vue.download 351 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 350 d’activité auquel elles ont été appliquées. C’est en fonction de ce jeu d’interactions qu’il convient alors d’examiner les conséquences, sur les formes de consommation et sur les systèmes industriels, de l’introduction et de la diffusion de technologies avancées comme l’informatique, l’électronique, les biotechnologies, les nouveaux matériaux, pour ne citer que les plus connues. Les effets des nouvelles technologies sur les systèmes productifs En premier lieu, les changements introduits par l’électronique et par les télécommunications n’ont pas seulement affecté les fabrications et les produits de ces deux secteurs mais ils ont également suscité un intense développement de l’automation industrielle dans les industries à processus continu (sidérurgie et pétrochimie), dans les industries d’assemblage (automobile et produits durables) et dans le secteur tertiaire (banque, assurances) grâce à l’informatisation du traitement des données et des communications. En second lieu, avec des consommateurs toujours plus épris de nouveautés, les technologies nouvelles tendent à se périmer de plus en plus vite et leur durée de vie utile à se raccourcir énormément. En conséquence, les entreprises cherchent à vendre le plus rapidement possible chaque produit nouveau avant qu’il ne soit dépassé et sont ainsi condamnées, pour garder leur part de marché, à innover continuellement en adoptant une nouvelle technologie présumée plus performante. Pour amortir le coût de l’opération liée à l’introduction perpétuelle de nouvelles technologies, les entreprises ne peuvent plus se contenter d’écouler les produits nouveaux sur le marché intérieur, mais doivent le faire aussi de plus en plus sur les marchés extérieurs. La concurrence devient mondiale, c’est ce qui peut être observé pour les biens d’équipement à haute technologie (informatique, aéronautique, télécommunications, etc.), pour certains biens de consommation à usage universel, durables ou non (hi-fi, vidéo, blue-jeans, hamburgers, Coca-cola, etc.), ainsi que pour un grand nombre de services (banque, assurances, tourisme, activités de conseil, banques de données, recrutement de main-d’oeuvre, etc.). Enfin, le développement de l’automation et la place prise par la conception, la mise au point et la commercialisation de produits signifient qu’un pays produisant à un faible coût avec une main-d’oeuvre bon marché n’est plus assuré d’être compétitif. Dans de nombreux secteurs, l’avantage concurrentiel dépend moins d’un abaissement des coûts de production que de la capacité de livrer au consommateur, de façon rapide et fiable, des produits de bonne qualité (cor- respondant à ses préférences) et à élargir sa gamme de produits et de services en fonction de ses besoins. Il est évident que de telles tendances pénalisent les pays dont les ressources les plus abondantes consistent en une main-d’oeuvre non qualifiée et à bas prix. L’insuffisance de ressources humaines adaptées peut donc aussi freiner l’application des technologies. Science et technologies L’emploi du terme de technologie de downloadModeText.vue.download 352 sur 509 ÉCONOMIE 351 préférence à celui de technique se justifie par le fait qu’il indique que le poids de la science, de la recherche fondamentale et de la recherche-développement n’a pas cessé de croître depuis la révolution industrielle. Des origines de l’histoire au siècle dernier, il n’existait pratiquement pas de lien entre la science et la technique. Cette interconnexion s’est réalisée progressivement tout au long du XXe siècle, à tel point que la science et la technologie sont maintenant indissociables. L’influence de la recherche fondamentale et de la recherche-développement est devenue décisive : seule la découverte du transistor a rendu possibles les ordinateurs ; le génie génétique n’a été concevable qu’après décryptage, il y a 40 ans, du code génétique. De même, l’essor des biotechnologies est lié directement aux remarquables avancées scientifiques obtenues en biologie moléculaire, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, renouvelant ainsi l’approche du vivant. Dans cette association, il est apparu que la technologie était très dépendante de la science. Elle ne peut opérer sa percée que si les découvertes scientifiques sont déjà intervenues et si les conditions de leur exploitation sont réunies. En réalité, les percées se sont multipliées à partir des années 1970 parce que deux circonstances favorables ont joué : d’un côté, les délais entre l’acquisition des connaissances et les innovations se sont raccourcis (ils sont de l’ordre de deux ans à l’heure actuelle) ; d’un autre côté, les marchés de consommation downloadModeText.vue.download 353 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 352 se créent beaucoup plus rapidement en raison de l’influence de consommateurs épris de nouveautés, de structures industrielles et économiques aptes à fabriquer les produits nouveaux et enfin de la déréglementation de certains secteurs protégés (comme les télécommunications) qui se trouvent ainsi en mesure de consacrer davantage de moyens au financement de la mise en oeuvre des technologies nouvelles. Dans la mesure où les conditions précédentes sont réunies, plus rien ne peut s’opposer à ce que des percées technologiques se produisent dans les domaines majeurs déjà cités. En outre, ces percées ont suscité ou favorisé les rapprochements interdisciplinaires, comme entre la mécanique, l’informatique et l’électronique (mécatronique) ou entre les télécommunications et l’informatique. Les percées technologiques dépendent à la fois des efforts fournis et des résultats obtenus en matière de recherche fondamentale et de recherche-développement, mais aussi et conjointement de l’existence des marchés de consommation et des relais d’application (c’est-à-dire des structures industrielles d’appui qui permettent de passer de la recherche à la fabrication du produit). Industrie automobile Après les années noires (1979-1985), l’industrie automobile mondiale avait enregistré des résultats remarquables. En 1989, des signes d’essoufflement se sont manifestés, notamment aux États-Unis, où les trois « grands » (Chrysler, Ford et General Motors) ont été obligés de réduire leur production, consécutivement à la mévente due à une baisse insuffisante des coûts et à la concurrence des filiales japonaises installées sur place. Par ailleurs, avec une productivité du travail plus élevée et des prix plus bas, l’industrie japonaise a supplanté des constructeurs européens non seulement sur leur propre terrain, mais aussi aux États- Unis, dans le Sud-Est asiatique et même en Afrique, longtemps chasse gardée du vieux continent européen. Avec cette exacerbation des rivalités, l’année a été marquée par la mondialisation : à travers l’action de plusieurs facteurs, il se crée progressivement un marché unique à l’échelle de la planète tout entière. En premier lieu, afin d’abaisser les coûts, la standardisation et l’automatisation de la production sont de plus en plus poussées. En second lieu, pour répondre à la demande des consommateurs, les marchés ont été segmentés avec une multiplication et un renouvellement très fréquent des modèles. Enfin, pour se conformer aux réglementations normatives (lutte contre la pollution ou le bruit), mais aussi pour prendre une plus grande part du marché, les constructeurs mettent de plus en plus fréquemment en oeuvre des innovations technologiques (comme l’informatique) qui fragilisent les constructeurs au potentiel technologique plus faible. Pour résister à la concurrence américanojaponaise, les constructeurs européens se sont engagés dans la voie d’accords de coopération, surtout en matière de technologie. Gilbert Rullière En définitive, compte tenu de l’interconnexion de plus en plus étroite entre la science et la technologie et de toutes les contraintes décrites précédemment, les technologies avancées lancent un défi à tous les pays industrialisés, seuls en medownloadModeText.vue.download 354 sur 509 ÉCONOMIE 353 sure de livrer une bataille qui se déroule à l’échelle du monde entier. C’est d’ailleurs ce qui ressort lorsqu’on tente d’examiner l’action des technologies nouvelles sur la consommation et sur le système productif. L’impact sur la consommation L’engouement à l’égard des hautes technologies tient aux améliorations qu’elles apportent dans le domaine de la vie quotidienne et qui sont facilement perçues par les consommateurs et par les utilisateurs. Ce sont les technologies de l’information qui ont été les premières à provoquer de façon spectaculaire l’amélioration des conditions de vie par la création de nouveaux processus de communication comme la télématique (née de la convergence de l’informatique – ou traitement de l’information – et des télécommunications). Industrie aéronautique Pour les grands constructeurs aéronautiques, 1988 avait été l’année de tous les records. Pour les seuls « gros avions » (c’est-à-dire en écartant les « commuters », ou avions de transport régional), le total des commandes adressées aux trois principales sociétés (Boeing, Airbus et McDonnellDouglas, par ordre d’importance) atteignait 934 appareils. Dès les premiers mois de 1989, ce record a été très rapidement battu. Ainsi, pour le seul mois d’avril, Boeing a dû promettre quelque 412 avions et Airbus 126. Par la suite, les carnets de commandes n’ont pas cessé de se gonfler. Par exemple, alors que le consortium européen Airbus fêtait la sortie de son 500e avion au moment du Salon aéronautique du Bourget, il en avait à peu près autant à livrer et Boeing a connu le même succès. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour expliquer ce retournement de tendance. Au premier rang figure la croissance du trafic (10 % en 1987, entre 7 % et 9 % en 1988) qui s’accélère malgré le ralentissement américain, largement compensé, il est vrai, par la progression européenne et surtout asiatique (15 % à 20 %). En second lieu, la nécessité de renouveler une flotte vieillissante (15 ans d’âge moyen pour TWA contre 4 ans pour Singapore Airlines), coûteuse en kérosène, en maintenance et en entretien, exposée aux avaries et aux accidents, a fait naître une vague d’achats sans précédent. En troisième lieu, les bénéfices impressionnants réalisés par les transporteurs ont convaincu les banques d’avancer une partie des fonds nécessaires. Enfin, dans l’impossibilité de couvrir toutes les dépenses d’achats, les grandes compagnies aériennes ont été amenées à recourir au leasing, si bien que, à leur tour, les loueurs d’avions (comme GPA ou ILFC) n’ont pas hésité à commander des avions neufs. Gilbert Rullière D’autre part, les nouvelles technologies permettent de mieux tenir compte des besoins des consommateurs. D’un côté, les méthodes d’investigation, enrichies par l’informatique, améliorent la connaissance que l’on peut avoir du client, de ses caractéristiques statistiques (c’est très classique) et surtout de ses désirs profonds et de ses préférences, même inavouées (cela, c’est nouveau). Il en résulte que le produit standard, indifférencié, universel, recule chaque jour un peu plus au profit du micromarché, celui du produit adapté à une famille downloadModeText.vue.download 355 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 354 de consommateurs précisément ciblée, localisée, typée. D’un autre côté, grâce à la conception assistée par ordinateur, il devient possible de concilier la production de masse avec l’adaptation constante et quasi instantanée du produit au désir du client. Les volumes, les formes, les couleurs peuvent être modifiés à son gré : le consommateur pourra bientôt commander à la carte à un prix proche de celui du menu standard d’aujourd’hui. L’automobile a donné le signal du départ : le mouvement devrait bientôt s’étendre aux flacons de parfums ou aux caisses-carton, voire aux maisons. Dans le domaine financier, l’électronisation des flux monétaires a bouleversé les méthodes de paiement, permettant à la fois le fonctionnement en temps réel du système financier et la réduction des coûts des transactions. Grâce à ces innovations (de processus), de nombreux épargnants ont pu accéder au marché financier et placer leurs capitaux dans de meilleures conditions. Pour les firmes, grâce à la formule connue sous le label du cash management, l’informatique a pu contribuer à l’amélioration de leur gestion. Bien que les applications industrielles et commerciales apparaissent très limitées, les biotechnologies ont surtout ouvert de nouvelles perspectives en direction de maladies dont le traitement s’avère coûteux ou peu efficace. Ainsi, des médicaments rares et chers, prélevés hier sur l’homme, et aujourd’hui sur l’animal, peuvent être fabriqués à un prix beaucoup moins élevé. Dernières venues, les technologies liées aux nouveaux matériaux (vitrages à basse émissivité, céramiques techniques, fibres de renforcement, emballages composites) sont considérées comme les prémices d’une nouvelle révolution industrielle. Jusqu’à présent, elles ont permis de rendre plus efficace la transmission de l’information d’un ordinateur à un autre ; l’aérospatiale a également profité de nouveaux matériaux (alliages très résistants). Enfin, dans le domaine des sports, la fibre de verre (avant le carbone) a pu améliorer considérablement les conditions du ski et rendre possible la pratique intensive et généralisée de la planche à voile. GILBERT RULLIÈRE Directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans l’économie agricole, Gilbert Rullière enseigne la gestion et l’économie du financement des entreprises à l’université de Lyon-I. Transports Alors que la marine marchande vient de sortir d’un marasme de 10 ans (19791988), les transports aériens souffrent paradoxalement d’une crise de croissance due à l’essor extraordinaire du trafic. La reprise du trafic maritime mondial, avec une hausse de 6 % en 1988, s’est poursuivie en 1989. Pour une large part, cette progression a été imputable à une expansion vigoureuse des échanges mondiaux. Les produits énergétiques et en vrac ont également bénéficié de cette reprise. Aussi la croissance sensible de la demande de tonnage a-t-elle entraîné une forte hausse du prix du transport : pour le vrac et les liquides, ils ont presque triplé depuis deux ans. Enfin, les taux de location et surtout les prix des bateaux ont grimpé de plus de 25 % pour les bateaux neufs, de 200 à 300 % pour ceux d’occasion disponibles. downloadModeText.vue.download 356 sur 509 ÉCONOMIE 355 C’est la croissance même du trafic aérien mondial qui est source de difficultés. Depuis 1982, sa progression annuelle moyenne atteint 6,1 % (mesurée en passagers-kilomètres transportés). Ce chiffre est supérieur à la croissance du produit naturel (2,9 % pour les pays de l’OCDE de 1982 à 1988). Pour la même période, aux États-Unis (près de 50 % du trafic mondial), la croissance annuelle moyenne a été de 7,2 % (contre 2,9 % pour la croissance économique). Cette évolution tient surtout à l’amélioration du taux de remplissage des avions due à la chute des tarifs, elle-même rendue possible par la déréglementation (mise en application aux États-Unis), par les gains de productivité et l’action de la concurrence, par la multiplication des voyages touristiques, effectués principalement par des personnes retraitées qui partent en dehors des hautes saisons et bénéficient ainsi de tarifs préférentiels. Cet essor du trafic aérien a entraîné une saturation des aéroports et un vieillissement accéléré des appareils, sans oublier, à terme, le risque de pénurie de pilotes. Gilbert Rullière downloadModeText.vue.download 357 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 356 356 SCIENCES ET TECHNIQUES La recherche fondamentale requiert des instruments toujours plus puissants, plus performants... et plus coûteux. Ces investissements lourds ne peuvent être engagés, bien souvent, que dans le cadre d’une coopération internationale. Dans trois domaines, en 1989, l’actualité a fourni l’occasion d’exalter la réussite exemplaire de la coopération européenne. L’astronomie, tout d’abord. Pour développer les recherches astronomiques dans l’hémisphère Sud, huit pays européens ont créé en 1962 PESO (European Southern Observatory). Cette organisation a installé au Chili, à 600 km au nord de Santiago, sur le mont La Silla, à 2 400 m d’altitude, un observatoire où fonctionnent aujourd’hui 14 télescopes, atteignant jusqu’à 3,60 m de diamètre. Le dernier-né a fourni ses premières images du ciel (d’une exceptionnelle finesse) dans la nuit du 22 au 23 mars. Baptisé NTT (New Technology Telescope), cet instrument présente de nombreuses innovations. En particulier, il est le premier au monde à être doté d’un système d’optique « active » : son miroir principal n’a que 24 cm d’épaisseur pour un diamètre de 3,58 m. Il est, de ce fait, relativement flexible, mais le profil de sa surface optique est optimisé en permanence par un ensemble de supports pilotés par ordinateur. Par ailleurs, ce télescope peut être commandé à distance : il peut fonctionner tout en étant contrôlé par liaison satellite depuis le siège de l’ESO, situé en Allemagne, près de Munich. L’exploration spatiale, ensuite. Le 19 avril, l’Europe spatiale fête son 25e anniversaire. C’est, en effet, en 1964 que furent créés l’ELDO et l’ESRO, deux organismes chargés de la réalisation respectivement de fusées et de satellites, qui ont été réunis en 1973 pour former l’ESA, l’Agence spatiale européenne, regroupant aujourd’hui treize États membres. L’Europe a pu ainsi lancer 25 satellites, dont 14 à vocation scientifique et 11 à caractère commercial ou opérationnel. En développant la fusée Ariane, fleuron de la technologie européenne, elle s’est imposée comme l’un des principaux acteurs sur le marché des lanceurs de satellites. Elle constitue désormais un partenaire majeur pour les États-Unis et l’URSS dans le domaine de l’exploration spatiale. La physique des particules, enfin. En 1953, douze pays européens ont créé le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) dans le but d’établir une coopération entre États pour les recherches nucléaires de caractère purement scientifique et fondamental. Comptant désormais 14 États membres, le CERN, établi à la frontière franco-suisse, près de Genève, est devenu un immense laboratoire de physique des particules qui emploie en permanence quelque downloadModeText.vue.download 358 sur 509 SCIENCES ET TECHNIQUES 357 3 500 personnes, auxquelles s’ajoutent environ 3 200 chercheurs provenant de 200 centres de recherche du monde entier. Mis en service le 13 août, et inauguré officiellement trois mois plus tard, le grand collisionneur électrons-positrons (LEP) répond aux nouveaux besoins de la physique des particules. Il se compose d’un tube à vide de 27 km de circonférence autour duquel sont installés des aimants. Le tube, refroidi par eau, est entouré d’un blindage en plomb. À l’intérieur, des électrons et leurs antiparticules, des positrons, circulent en sens contraire à une vitesse proche de celle de la lumière et entrent en collision les uns contre les autres avec une très grande énergie. De nombreuses particules sont alors créées. L’une de celles qui intéressent le plus les physiciens est le boson Z°. L’un des objectifs expérimentaux du LEP est d’observer la désintégration de dizaines de milliers de bosons Z° par jour, afin de tester la validité de la théorie unifiée des interactions faible et électromagnétique de Glashow, Salam et Weinberg. Enfoui sous le sol à une profondeur variant de 45 à 175 m, le LEP a nécessité six ans de travaux et a coûté quelque 5 milliards de francs. Avec lui, l’Europe dispose à présent du plus grand accélérateur de particules du monde. Quand la science jette le trouble... Si l’homme a désormais la capacité d’explorer d’une part les constituants ultimes de la matière, d’autre part les plus grandes structures de l’Univers (des chercheurs américains annoncent, le 20 novembre, la découverte, à l’aide du grand télescope du mont Palomar, d’un nouveau quasar, dans la direction de la Grande Ourse, qui serait l’objet céleste le plus lointain jamais observé, à quelque 14 milliards d’années de lumière), ce sont toutefois ses pouvoirs d’intervention dans le domaine du vivant qui suscitent le plus d’inquiétude (dossier Biologie humaine : les nouvelles manipulations) : les progrès récents du génie génétique posent de graves problèmes d’éthique. Ils ouvrent, certes, la voie à de nouvelles pratiques médicales ou thérapeutiques qui permettront d’échapper à certaines fatalités héréditaires ; mais ils peuvent aussi déboucher sur des pratiques condamnables de sélection d’individus « à la carte »... La science, au quotidien, n’est pas toujours cette belle aventure désintéressée au service du progrès de l’humanité que le public imagine volontiers. Certaines recherches (comme celles sur la supraconductivité) ont un enjeu économique considérable. Les chercheurs sont des hommes, avec leur ambition, leurs faiblesses, leurs travers ; aussi se livrent-ils parfois, en coulisses, aux plus vives querelles. Celles-ci peuvent même s’étaler au grand jour. Car, si l’on exalte aujourd’hui le rôle des équipes, il n’en demeure pas moins que les grandes distinctions (prix Nobel, par exemple) sont décernées aux seuls individus. D’où une lutte parfois « au couteau » pour assurer la priorité d’une découverte susceptible de fournir la notoriété ou de couronner une carrière. Mais le chercheur est-il encore libre aujourd’hui de s’aventurer hors des sentiers battus ? La question prend un relief particulier en 1989 avec l’exceptionnelle médiatisation de deux affaires : celle de la « mémoire de l’eau » et celle de la « fusion froide ». downloadModeText.vue.download 359 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 358 Parmi les découvertes ayant suscité beaucoup de commentaires figure aussi celle du fameux « trou d’ozone ». Peut-être ses causes sont-elles purement naturelles, comme l’affirment certains scientifiques ? Peut-être a-t-on surestimé la part de responsabilité des chlorofluorocarbones (CFC) dans le phénomène ? Toujours est-il que cette destruction de la couche d’ozone, ajoutée à l’effet de serre imputable aux rejets massifs de gaz carbonique dans l’atmosphère, ainsi qu’à la prolifération des déchets de toutes sortes, suscite des craintes nouvelles. On note en 1989 une prise de conscience particulièrement aiguë de ce que la Terre et son environnement représentent un patrimoine commun de l’humanité, qu’il convient de préserver à tout prix. Pour dresser le bilan de la situation et définir des lignes d’action, 180 scientifiques de 40 nations se réunissent à Paris les 12 et 13 juin dans le cadre d’un colloque « Planète Terre » organisé à l’initiative du ministère de la Recherche et de la Technologie, sous le haut patronage du président de la République. Électronique, informatique et transports S’il redoute parfois ses progrès, le monde ne saurait plus cependant se passer de la technique. Dans des secteurs tels que l’électronique et l’informatique, celle-ci nous offre chaque année des innovations spectaculaires. 1989 n’échappe pas à la règle. La firme américaine Intel présente le microprocesseur le plus miniaturisé et le plus puissant : le i 80860. Utilisant l’architecture RISC, c’est le premier microprocesseur comportant plus d’un million de composants élémentaires. Sa puissance de calcul en fait l’équivalent d’un superordinateur Cray I. Il comporte d’une part une unité de calcul sur les nombres entiers, capable d’effectuer 50 millions d’opérations par seconde, d’autre part une unité de calcul sur les nombres écrits en virgule flottante, capable de traiter 100 millions d’opérations par seconde. Cette puce à haute densité est appelée à bouleverser l’informatique individuelle puisqu’elle permet d’envisager l’arrivée prochaine d’ordinateurs personnels dont la puissance de calcul sera de l’ordre de celle des super-ordinateurs actuels. L’un des domaines où le grand public peut le mieux percevoir l’avancée des techniques est celui des transports. Avec le TGV-Atlantique, mis en service le 24 septembre entre Paris et Le Mans, la SNCF dispose désormais d’une vitrine technologique exceptionnelle. Conçu pour circuler à 300 km/h, ce nouveau TGV permet de relier Paris au Mans en une heure, à Nantes ou à Rennes en deux heures et à Bordeaux en trois heures. Pour la première fois, un train entre dans l’ère des micro-ordinateurs. Les circuits de commande, de contrôle et de régulation de tous les équipements moteurs de la rame ont été conçus en tirant profit des microprocesseurs de la nouvelle génération. Le conducteur dispose d’un ordinateur central de bord. Le contrôleur possède les renseignements utiles à l’information et au confort des voyageurs. Les responsables des postes d’exploitation et de maintenance peuvent dialoguer avec le train et transmettre des informations par radio. Autre perfectionnement notable : la downloadModeText.vue.download 360 sur 509 SCIENCES ET TECHNIQUES 359 possibilité offerte aux passagers de téléphoner, avec l’installation de trois publiphones à bord de chaque rame. Tandis que le TGV-Sud-Est, inauguré en 1981, a déjà transporté plus de 100 millions de passagers à bord de ses 109 rames, l’entrée en service du TGV-Atlantique marque une nouvelle étape dans le développement de ce moyen de transport, très compétitif avec l’avion sur les petites distances. En attendant la réalisation du TGV-Nord, puis du TGV-Est et le prolongement du réseau vers Londres, Bruxelles, Amsterdam et Cologne. Ou l’inauguration du TGV espagnol, entre Séville et Madrid. L’importante avance technologique française acquise grâce au TGV se trouve d’ailleurs confortée le 5 décembre : entre 12 h 15 et 12 h 30, la rame 325 du TGV-Atlantique, équipée de roues plus grandes que la normale et réduite à quatre voitures (au lieu de dix en service régulier) atteint près de Vendôme (Loir-et-Cher) la vitesse de 482,4 km/h et pulvérise ainsi le record du monde de vitesse sur rail qui avait été ravi à la France le 1er mai 1988 par l’ICE (Inter City Express) ouest-allemand, avec 406,9 km/h entre Hanovre et Wurzbourg. Autre belle vitrine technologique, mais européenne et aéronautique cette fois, la famille des Airbus, produite par un groupement d’intérêt économique associant quatre industriels : Aérospatiale (France) et MBB (Allemagne fédérale) pour 37,9 % chacun, Bristish Aerospace (Grande-Bretagne) pour 20 %, et Casa (Espagne) pour 4,2 %. Dernier-né de ce consortium industriel, l’A 320, un biréacteur moyen-courrier pouvant transporter 150 passagers, en est le plus gros succès : mis en service en 1988, il bénéficiait déjà à la fin de 1989 de 527 commandes fermes et 200 options, les constructeurs espérant pouvoir en vendre au total 800 exemplaires. Le 26 novembre, Airbus Industrie annonce le lancement officiel du programme A 321, pour lequel 107 commandes fermes et 74 options sont enregistrées. Dérivé de l’A 320, le nouvel appareil s’en distinguera surtout par un fuselage allongé de 7 m et par une puissance légèrement accrue des moteurs. Son rayon d’action sera un peu plus faible : 4 450 km contre 5 300. Conçu pour accueillir 186 passagers, il entrera en service en 1994 et sera le concurrent direct du Boeing 757. Dans l’intervalle, Airbus Industrie aura inauguré deux autres appareils : au printemps 1991, le moyencourrier bi-moteur A 330, au rayon d’action de 9 000 km ; et, un an plus tard, le long-courrier quadrimoteur A 340, au rayon d’action de 14 000 km. Après la signature, annoncée le 16 novembre, d’une commande de la compagnie aérienne américaine Continental Airlines, portant sur 40 appareils, dont 20 en option, pour un montant record de plus de 28 milliards de francs, ce sont au total 27 clients qui se sont engagés à acquérir 426 A 330 et A 340, dont 85 commandes fermes pour l’A 330 et 77 pour l’A 340. Pour la famille Airbus, la réussite n’est pas seulement technologique, elle est aussi commerciale. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE downloadModeText.vue.download 361 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 360 Le mal de terre La planète encore bleue et un peu moins verte évolue dans une drôle d’atmosphère. Et l’homme dans tout ça ? L’eau, qui altère les roches, transporte et accumule les produits de l’érosion, participe à l’évolution des paysages en modelant des reliefs très variés : chaque année, 12 milliards de m3 de débris minéraux sont arrachés aux continents. Mais l’eau, à laquelle la biosphère doit son existence, est, avant tout, la ressource indispensable à l’homme. La réserve en eau de la planète, estimée à 1,4 milliard de km 3, est constante, le cycle de l’eau perpétuel : l’eau des océans et des continents, l’eau de constitution des plantes s’évapore dans l’atmosphère avant de revenir vers les océans et les terres émergées sous forme de pluie, de grêle ou de neige. Les eaux océaniques, les eaux retenues par les calottes glaciaires et les glaciers, les eaux continentales représen- tent respectivement 97,2 %, 2 % et 0,6 % du volume total. L’atmosphère contient en permanence 13 000 km 3 de vapeur d’eau. Sur les 110 000 km 3 qui tombent chaque année sur les continents, 15 000 s’infiltrent dans les sols ou sont absorbés par la végétation, 60 000 s’évaporent et 35 000 alimentent lacs et rivières. Douces, les eaux terrestres ? L’homme n’utilise que la moitié environ de ces eaux de surface, soit 15 000 à 20 000 km 3. Ces ressources sont très supérieures aux besoins de la population mondiale actuelle et il n’y a aucun risque de pénurie à court terme. Précisons néanmoins que la répartition spatiale des réserves d’eau douce est aussi inégale que celle des précipitations et que la qualité minérale et bactériologique de l’eau, comme le coût d’exhaure et de traitement des eaux libres et des nappes, varie considérablement d’un pays à l’autre. Dans les régions où les besoins dépassent les réserves, là où le taux de croissance de la population est élevé, le développement de l’agriculture et de l’industrie rapide, le tarissement des nappes phréatiques est fréquent (Inde, Chine, Amérique latine...). Les aménagements hydrauliques sont alors préférables à l’exploitation des nappes profondes, généralement fossiles, qui ne sont plus réalimentées dans les conditions climatiques actuelles. La pollution des eaux douces continentales, parce que plurielle, est, en cette fin de XXe siècle, très préoccupante. Bénigne lorsqu’elle est d’origine naturelle, elle peut avoir de graves conséquences pour la flore, la faune et l’homme lorsqu’elle est d’origine industrielle et/ou agricole. Dans les pays en voie de développement, la déforestation, qui exacerbe le ruissellement et l’érosion des sols, a pour effet d’accroître considérablement la turbidité des eaux fluviales et lacustres ainsi que l’alluvionnement. Les eaux de surface comme les nappes superficielles peuvent downloadModeText.vue.download 362 sur 509 SCIENCES ET TECHNIQUES 361 être souillées par des déchets organiques d’origine végétale, animale ou humaine ; elles véhiculent alors des germes pathogènes, vecteurs de la typhoïde, du choléra ou de la dysenterie. Dans les pays développés, la pollution des eaux est le fait des activités industrielles et agricoles comme de la production-accumulation d’un volume considérable de déchets ménagers très variés et, pour certains, toxiques. La concentration de substances dangereuses dans les rivières et les nappes phréatiques atteint parfois des valeurs critiques. Les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium, cuivre...), les produits chimiques de synthèse comme les pesticides, les engrais (phosphates et nitrates), les solvants..., les pluies même, lorsqu’elles sont acides, sont devenus des polluants très ordinaires dans les pays industrialisés et dans certains pays d’Amérique latine ou d’Asie du Sud-Est. Il est à noter que la pollution s’est globalement stabilisée dans les pays d’Europe occidentale depuis 1980. Les déchets traditionnels sont traités avec quelque succès par sédimentation ou par dégradation microbiologique. Les méthodes de dégradation des polluants industriels (métaux et produits chimiques), plus onéreuses, progressent régulièrement. Il reste cependant beaucoup à faire pour améliorer la qualité des eaux continentales – de l’eau de consommation –, pour restaurer les écosystèmes fluviaux et lacustres, pour éviter ou limiter les risques de pollution des rivières, des lacs, des nappes superficielles ou profondes, et pour exploiter et gérer rationnellement les ressources dont nous disposons. Les exemples suivants montrent qu’il est temps de prendre conscience des dangers auxquels nous expose la pollution des eaux. En Bretagne, dans les Côtesdu-Nord et dans le Morbihan, la concentration en nitrates atteint localement 100 mg par litre (la société d’eau minérale Katell-Roc a dû renoncer à l’exploitation de sa source du Lizio !), et en Hollande, 480 mg/l, alors que la directive de la CEE réglementant la qualité des eaux, qui date de 1982, avait fixé comme teneur maximale 50 mg/l. Or ces nitrates, que l’on retrouve aussi dans les légumes, seraient cancérigènes chez l’homme comme chez l’animal et menaceraient les bébés de méthémoglobinémie (la maladie bleue), qui se traduit par des difficultés respiratoires et des vertiges. Astronomie Ultime épisode d’une mission spatiale exceptionnelle, le survol de la lointaine planète Neptune et de son satellite Triton par la sonde américaine Voyager 2 marque une nouvelle étape dans l’exploration du système solaire. Les spécialistes découvrent une planète bien plus différente d’Uranus qu’ils ne l’imaginaient. Son atmosphère, en particulier, apparaît beaucoup plus dynamique. Comme des observations effectuées depuis la Terre le laissaient soupçonner, la planète est entourée de plusieurs anneaux de poussières et de roches, dont le rayon est compris entre 42 000 et 63 000 km ; le plus extérieur est curieusement segmenté en arcs qui lui donnent l’aspect d’un chapelet de saucisses... Cependant, les plus grosses surprises proviennent de Triton, le principal satellite de downloadModeText.vue.download 363 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 362 Neptune (2 705 km de diamètre). C’est l’astre le plus froid jamais exploré (– 236 °C au sol), mais il est pourtant géologiquement très actif : sa surface gelée est jeune et tourmentée ; elle montre peu d’impacts de météorites et on y découvre des terrains ridés et fissurés sans équivalent sur les satellites de Jupiter, de Saturne ou d’Uranus ; surtout, elle abrite des geysers d’azote. Le succès spectaculaire de Voyager 2 ne saurait faire oublier que la recherche astronomique s’effectue principalement à partir d’observatoires installés sur la Terre. Parmi les nouveaux instruments inaugurés en 1989, deux semblent très prometteurs : le NTT (New Technology Telescope) de l’observatoire européen du Chili, premier télescope « à optique active », dont la forme du miroir primaire (3,58 m de diamètre) est en permanence contrôlée et ajustée par ordinateur, et le radio-interféromètre à trois antennes de 15 m de diamètre implanté sur le plateau de Bure, dans les Hautes-Alpes, pour l’étude des sources célestes de rayonnement millimétrique. Philippe de La Cotardière Le Rhin, fleuve international, siège d’une intense activité économique et industrielle et qui arrose les grandes agglomérations que l’on sait, transporte chaque année jusqu’en mer du Nord une quantité considérable de substances polluantes dont 1 100 000 t de chlorures et 3 500 t de phosphates, issus de l’exploitation des potasses d’Alsace, 450 t de cuivre et 10 t de cadmium. Fin octobre et début novembre 1986, près de Bâle, plus de 30 t d’insecticides et de fongicides à base de mercure s’étaient déversés dans le Rhin après l’incendie d’une des usines du groupe Sandoz. Le fleuve avait été stérilisé sur des dizaines de kilomètres... On pourrait également citer le Pô, le Danube, le lac Baïkal ou le lac Michigan, dont les eaux sont si polluées que faune et flore, déjà très appauvries, sont condamnées à disparaître à plus ou moins long terme. ...des golfes pas très clairs ! Les océans dans lesquels sont apparues les premières manifestations de la vie, les océans qui participent à l’alimentation des hommes, les océans qui, avec la Terre et l’atmosphère, jouent un rôle déterminant dans l’équilibre climatique sont eux aussi menacés, directement ou indirectement, par les activités humaines. C’est la zone de contact entre les océans et les continents, là où les eaux marines sont les moins profondes – il s’agit de la province néritique dont l’extension coïncide avec celle du plateau continental – qui concentre l’essentiel des ressources marines vivantes, renouvelables mais non illimitées. C’est dans ces eaux côtières que les algues, fixées, en suspension ou flottantes, jouent un rôle considérable dans le cycle du carbone de la biosphère : la quantité de CO2 qu’elles transforment en matière organique par photosynthèse est en effet supérieure à celle que la végétation terrestre absorbe. Mais ces eaux côtières, où sont pratiquées la pêche, l’ostréiculture, la mytiliculture, l’aquaculture, où la circulation des bateaux est de plus en plus importante, ces littoraux où se développent les activités portuaires et industrielles, balnéaires et touristiques, sont des milieux menacés dans leur équilibre précaire par des pollutions variées en progression constante. downloadModeText.vue.download 364 sur 509 SCIENCES ET TECHNIQUES 363 Ainsi peut-on citer les apports fluviatiles en sédiments, en engrais, en métaux lourds et en produits dissous de toutes sortes ; les apports atmosphériques en polluants métalliques ou chimiques (détergents, pesticides) ; les apports de matières organiques associées à des microorganismes pathogènes (près des villes côtières) ; ou la pollution thermique consécutive au rejet d’eau de mer utilisée pour le refroidissement des installations industrielles ou de centrales thermiques. À cette liste, qu’il faudrait détailler, s’ajoute la pollution par les hydrocarbures, rendue tristement célèbre par la longue série de marées noires spectaculaires provoquées, depuis 1968, par le naufrage ou l’échouage de pétroliers : Amoco Cadiz (250 000 t de brut en 1978, au large des côtes bretonnes), Bahia Paraiso (28 janvier 1989 – 1re marée noire observée en Antarctique), Exxon Valdez (35 000 t de brut – détroit du Prince William, Alaska, 24 mars 1989), World Prodigy (Newport-Rhode Island, 23 juin 1989), Texas (chenal de Houston au golfe du Mexique, 23 juin 1989), Presidente Rivera (baie de la Delaware, 24 juin 1989), Kharg 5 (70 000 t de brut au large de la côte atlantique du Maroc, 19 décembre 1989...). Ces pollutions accidentelles sont, précisons-le, moins importantes que celles imputables au dégazage en haute mer des citernes des pétroliers ou aux pluies de résidus de combustion des hydrocarbures. Les effets de la pollution des milieux océaniques, qu’il s’agisse de ceux qui concernent la santé publique ou de ceux qui, en affectant les eaux superficielles des océans, menacent, par-delà les échanges océan-atmosphère, la composition de l’atmosphère, sont multiples. Les eaux de baignade, qui, en France, sont contrôlées régulièrement, peuvent, lorsqu’elles sont souillées, provoquer l’irritation de la peau, des muqueuses, des yeux ou même des affections microbiennes ou virales plus sérieuses. Les pollutions les plus graves sont évidemment celles qui, d’une façon ou d’une autre, mettent en péril la vie dans les océans. Certains polluants chimiques peuvent avoir des conséquences catastrophiques, immédiates et locales sur la faune et la flore ; d’autres ont assurément des effets pervers dans la mesure où ils se manifestent sur des espaces très vastes et durablement. Tel est le cas des pesticides organochlorés et organophosphorés, des détergents, des complexes métalliques, qui sont stables dans les eaux océaniques et qui, en se concentrant dans les algues, les poissons et les crustacés, peuvent affecter l’ensemble de la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Les pollutions par les hydrocarbures et par les détergents utilisés pour les réduire ont des conséquences graves mais heureusement limitées dans le temps et dans l’espace, tant au plan biologique qu’au plan économique. Les nitrates et les phosphates rejetés par les fleuves et les rivières sont à l’origine de « marées vertes » dues à la prolifération très rapide d’algues microscopiques comme la Chrysochromulina polylepsis. Ces marées vertes sont de plus en plus fréquentes dans la mer du Nord, le long des côtes scandinaves, danoises et allemandes, ainsi que dans la partie septentrionale de la mer Adriatique. Cela prouve bien que la pollution des eaux marines est maximale à proximité même des littoraux ou dans les mers downloadModeText.vue.download 365 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 364 fermées comme la Baltique ou la Méditerranée, où la qualité des eaux, les ressources halieutiques sont en péril. Les eaux du large, elles-mêmes, sont empoisonnées au point que des chercheurs prédisent que le taux d’oxygène atmosphérique pourrait baisser de 5 à 10 % si cette pollution venait à limiter la fonction chlorophyllienne de la prairie phyto- planctonique qui colonise la surface des océans. Ainsi, l’océan mondial recueille et concentre l’ensemble des polluants d’origine naturelle ou anthropique. Or l’avenir de l’humanité est indissociable de celui des mers et des océans. Il est donc urgent d’intensifier les recherches sur l’hydrosphère, d’élaborer des programmes de prévention des pollutions et d’améliorer la gestion des ressources marines. Atmosphère... atmosphère ? L’air atmosphérique est, comme chacun le sait, un mélange de gaz contenant en suspension des particules liquides et solides d’origines diverses. On considère que la composition de l’air sec est quasi invariable dans l’homosphère formée de la troposphère, de la stratosphère et de la mésosphère, c’est-à-dire jusqu’à l’altitude de 80 km environ. Les proportions (en %) de la plupart des gaz y sont, en effet, constantes ; azote, 78,09 ; oxygène : 20,95 ; argon : 0,93 ; gaz carbonique : 0,03 ; hydrogène : 5.10– 5 ; ozone : 1.10– 6 ; radon : 6.10–18... Les seuls gaz dont la teneur peut varier dans le temps et dans l’espace sont le gaz carbonique, l’ozone 03 et le radon Rn dont les concentrations sont extrêmement faibles. L’eau qui existe dans l’atmosphère sous ses trois formes, solide, liquide et gazeuse, représente, en volume, peu de chose par rapport à la masse des eaux océaniques et continentales, mais la teneur en vapeur d’eau est éminemment variable. Ainsi, à l’exception de quelques gaz et de la vapeur d’eau qui lui a donné son nom, l’atmosphère, indispensable à la vie animale et végétale, manifesterait une grande constance. Géologie L’année 1989 a été marquée par un événement et par un anniversaire. En juillet 1969, au cours de la mission Apollo 11, un homme mettait pour la première fois le pied sur la Lune et en rapportait les premiers échantillons. C’était le véritable début de la géologie extraterrestre, les blocs prélevés n’ayant pas subi de pollution par l’atmosphère, comme c’était le cas pour les météorites, seules roches extraterrestres connues jusqu’alors. Cette date a été célébrée par un colloque au cours du 28e Congrès géologique international, qui s’est tenu en juillet à Washington (États-Unis). À cette occasion, le seul géologue à avoir parcouru une por- tion de territoire lunaire, Harrison H. Schmitt, a parlé de ses travaux sur le terrain effectués au cours de la dernière mission Apollo, dans la vallée de Taurus-Littrow, « sans mouche ni moustique et sans buisson épineux »... Le Congrès géologique international est une manifestation qui a lieu tous les quatre ans et qui regroupe toutes les disciplines des sciences de la Terre. À Washington, près de 5 900 personnes ont été inscrites. Les trois délégations les plus importantes ont été formées par les États-Unis (près de 3 300), le Canada (259) et la France (208). Plusieurs sessions étaient proposées simultanément, avec le souci de réunir des spécialistes de disciplines différentes. S’y ajoutaient les exposidownloadModeText.vue.download 366 sur 509 SCIENCES ET TECHNIQUES 365 tions de divers organismes (sociétés privées, services géologiques, maisons d’édition) provenant de plusieurs pays. En outre, les congressistes pouvaient tirer profit des nombreuses rencontres formelles ou impromptues que favorisent de tels rassemblements. Le « sponsor » du Congrès géologique international, l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS), s’est donné un nouveau président, M. Umberto Cordani, de nationalité brésilienne, le premier qui soit issu d’un pays en voie de développement. Bernard Bonin Ce n’est pourtant qu’une apparence : CO2, O3, CH4 (méthane), effet de serre, pollution... sont les vedettes médiatiques de ces dernières années. L’homme, coupable, est, à juste raison, inquiet. Les changements intervenus dans la composition de l’atmosphère terrestre sont dus aux activités humaines et augmentent avec la population qui, entre 1950 et 1987, est passée de 2,5 à 5 milliards d’habitants. Les trois dernières décennies ont été principalement marquées par l’accroissement régulier de la concentration du gaz carbonique et du méthane et, de manière plus générale, par l’aggravation qualitative et quantitative de la pollution de l’air. Les émissions de CO2 sont imputables, à plus de 80 %, à la combustion des matières énergétiques fossiles et non renouvelables (houille, pétrole, gaz), aux feux de végé- tation et à la décomposition des matières organiques végétales. Elles sont très supérieures à celles d’origine naturelle (les volcans en particulier) : 20 milliards de t contre 100 millions. Le taux d’augmentation annuelle de la teneur de CO2 atmosphérique est de l’ordre de 0,5 %. L’homme et la nature produisent aussi des gaz polluants : le chlore (2.106 t), le fluor (3.105 t), le dioxyde de soufre (SO2), des gaz de synthèse comme les tristement célèbres CFC... ainsi que des acides chlorhydrique, sulfurique, fluorhydrique... À lui seul, l’Etna émet chaque jour 30 000 t de CO2, 4 000 t de SO2, 300 t de chlore et 50 t de fluor ainsi que des poussières minérales (lithométéores). Dans les régions fortement industrialisées, la combustion de charbon fossile libère des quantités importantes de dioxyde de soufre. Tel est le cas dans le nord et le nord-est des États-Unis ou dans la vallée du Gange. Le méthane a pour origine la combustion des hydrocarbures, la décomposition anaérobie de la biomasse végétale dans les marais et les rizières ou les fermentations qui se développent dans l’appareil digestif des ruminants. Les industries chimiques produisent massivement (1 million de t par an) des chlorofluorocarbones, les CFC, utilisés comme agents réfrigérants ou propulseurs d’aérosols (CFC 11 et 12) et qui entrent dans la composition de solvants de nettoyage CFC 113 et des mousses CFC 114. Les fréons, CFC 11 et 12, stables dans la troposphère, sont dissociés dans la stratosphère par les UV solaires. Les atomes de chlore ainsi libérés, réagissant avec les molécules d’ozone, forment du monoxyde de chlore qui s’« attaque » à d’autres molécules d’ozone, et ainsi de suite. La couche d’ozone, étudiée et surveillée par de nombreuses équipes scientifiques, est mal connue, mais une chose est certaine : l’ozone absorbe les rayons UV solaires ; sa disparition provoquerait l’augmentation du rayonnement ultraviolet sur Terre et dans la biosphère ; l’homme et tous les êtres vivants seraient downloadModeText.vue.download 367 sur 509 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1990 366 terriblement menacés. Les gaz tels que le CO2, le CH4, le N20, les CFC..., qui absorbent le rayonnement infrarouge, sont des gaz à effet de serre. Le CO2, les CFC et le CH4 y participent respectivement dans les proportions de 55, 20 et 15 %. L’augmentation de leur teneur dans l’atmosphère – le doublement de la quantité de CO2, par exemple – entraînerait un réchauffement de l’air de 3 °C ± 1,5 °C, puis la fonte des glaces polaires et celle des glaciers des vallées, la montée du niveau moyen des océans, donc une transgression et la submersion de millions de kilomètres carrés de plaines côtières. L’étude du quaternaire révèle que des transgressions autrement plus importantes se sont produites sans que l’homme puisse être incriminé. Mais ce dernier, qui est incapable de modifier le climat à l’échelle locale ou régionale, pourrait bien, à terme, perturber la circulation générale, les relations Terre-océanatmosphère, et, par conséquent, le climat global. Aussi n’est-il pas inutile de revenir sur quelques idées simples. L’effet de serre est vital : s’il n’existait pas, la planète trop froide ne pourrait être habitée. Le CO2, l’un des principaux coupables de l’effet de serre, est absorbé en partie par le milieu naturel planétaire. L’océan joue le rôle de modérateur vis-à-vis de l’augmentation du gaz carbonique et les échanges entre la bio