Racines et carbone - Association forestière du sud du Québec
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Racines et carbone - Association forestière du sud du Québec
bandes riveraines Racines et carbone dans le sol de bandes riveraines de peuplier hybride Puisqu’il développe en quelques années un imposant système racinaire, le peuplier hybride est un arbre très intéressant pour stabiliser les berges, mais aussi pour intercepter les fertilisants agricoles en excès qui migrent vers les cours d’eau à différentes profondeurs dans le sol. PAR Julien Fortier, Ph.D., Benoit Truax, Ph.D., Daniel Gagnon, Ph.D. et France Lambert, M.Sc. Les racines et le carbone dans le sol des zones riveraines agricoles Parce qu’ils diffèrent dans leurs formes d’enracinement, les plantes herbacées et les arbres influencent différemment certains processus dans les milieux riverains et aquatiques. Par exemple, sur les petits cours d’eau, les racines d’arbres contribueraient à la formation de cours d’eau plus larges et moins profonds, alors que la végétation herbacée favoriserait plutôt l’incision du chenal (érosion du lit). Les arbres à racines profondes seraient aussi importants pour intercepter le nitrate et le phosphore qui peuvent circuler en profondeur dans le sol, alors que les racines denses et superficielles des plantes herbacées seraient importantes pour réduire l’érosion des sols en surface. Parallèlement, lorsqu’elle est en pleine croissance, la biomasse racinaire de différents végétaux peut constituer un puits de carbone atmosphérique en zone riveraine agricole. Les racines sont également une source de carbone organique fort importante pour le sol. Ce carbone est un carburant essentiel au maintient de l’activité biologique du sol des bandes riveraines. C’est en utilisant ce carbone que les microorganismes du sol peuvent dégrader certains pesticides, mais aussi transformer le nitrate (NO3), en azote atmosphérique inerte, le N2 qui constitue 80 % de l’air. Ce processus est appelé la dénitrification. Rappelons ici que le nitrate, souvent issu des fertilisants agricoles, est un polluant non négligeable qui favorise l’eutrophisation des milieux aquatiques et la contamination des puits artésiens ou de surface. Mais à quel point l’établissement de peupliers hybrides en zone riveraine permet d’accroitre la biomasse racinaire et le carbone du sol à différentes profondeurs dans les sols riverains par rapport à des bandes herbacées? Aussi, comment ces systèmes agroforestiers riverains se comparent-ils à des boisés riverains naturels au niveau de leur biomasse racinaire et du carbone accumulé dans leurs sols? Pour répondre à ces questions, nous avons comparé, sur quatre sites, la distribution de la biomasse des grosses racines (diamètre de plus de 2 mm) et de racines fines (diamètre de moins de 2 mm) ainsi que la distribution des quantités de carbone dans trois différents types de systèmes riverains : (1) des bandes riveraines de peuplier hybride à leur 9e saison de croissance, (2) des bandes riveraines herbacées non aménagées et (3) des boisés naturels situés en bordure de petits cours d’eau (prucheraie de 200 ans, cédrière de 72 ans, érablière de 54 ans et bétulaie grise de 27 ans). Sur chaque site, les trois systèmes riverains à l’étude (bande de peuplier, Hiver 2014 Progrès 8 Forestier bande herbacée et boisé) étaient localisés sur le même cours d’eau à moins de 1 km de distance. Pour évaluer la biomasse racinaire et le carbone du sol, un total de 80 tranchées carrées (50 cm par 50 cm) ont été creusées jusqu’à une profondeur de 60 cm. La biomasse de racines fines et le carbone total du sol ont été échantillonnés à trois profondeurs (0-20, 20-40 et 40-60 cm) à l’aide d’un carottier (échantillons prélevés dans les parois de la tranchée), alors que la biomasse des grosses racines a été extraite manuellement du sol à même les tranchées, toujours selon les trois profondeurs d’échantillonnage. Le peuplier hybride : un arbre qui prend racine rapidement et profondément dans les berges Pour tous les types de systèmes riverains étudiés, la majeure partie de la biomasse de grosses racines et de racines fines se situe près de la surface du sol (de 0 à 20 cm de profondeur) (Tableau 1). Dans le cas du peuplier hybride on a trouvé de 61 à 73 % de la biomasse de grosses racines et de 61 à 78 % de la biomasse de racines fines dans les premiers 20 cm de sol. Une telle distribution des racines près de la surface du sol n’est pas surprenante puisque c’est là que se trouve généralement la plus grande quantité d’éléments nutritifs. Tableau 1 : Biomasse de grosses racines et de racines fines (tonnes/ha) observée jusqu’à une profondeur de 60 cm dans les différents systèmes riverains. Le pourcentage de la biomasse totale de grosses racines ou de racines fines observé à différentes profondeurs de sol est indiqué. Biomasse grosses racines Biomasse racines fines Biomasse totale Systèmes riverains Sites Total (t/ha) 0-20 cm 20-40 cm 40-60 cm Total (%) (%) (%) (t/ha) 0-20 cm 20-40 cm 40-60 cm (t/ha) (%) (%) (%) Boisé – pruche Brompton 73,7 99 1 0 8,5 99 1 0 82,2 Boisé – cèdre Magog 29,8 80 18 2 4,8 40 39 21 34,6 Boisé – bouleau gris Roxton 8,8 73 21 6 2,7 55 19 26 11,5 Boisé – érable à sucre St-Isidore 26,7 62 32 6 8,6 55 31 14 35,3 Bande de peuplier Brompton 27,3 61 25 14 2,3 61 22 18 29,6 Bande de peuplier Magog 9,2 73 22 5 1,8 60 24 16 11,0 Bande de peuplier Roxton 20,8 70 22 7 2,6 62 19 19 23,4 Bande de peuplier St-Isidore 12,9 73 17 10 1,9 78 11 11 14,8 Bande herbacée Brompton 0,6 100 0 0 2,6 90 10 0 3,2 Bande herbacée Magog 0,6 99 1 0 2,8 94 4 2 3,4 Bande herbacée Roxton 1,1 98 2 0 3,3 88 9 3 4,4 Bande herbacée St-Isidore 1,3 94 3 2 2,8 80 11 9 4,1 Erreur type 2,5 0,45 Nos résultats suggèrent également que malgré leur implantation assez récente, les bandes riveraines de peuplier avaient une biomasse racinaire totale (grosses racines + racines fines) relativement importante (14,8 à 29,6 tonnes/ha selon le site). Quoique bien inférieure à ce qui fût observé dans la vieille prucheraie (arbres âgés de 200 ans), la biomasse racinaire totale des bandes de peuplier était toutefois égale ou supérieure à celle observée dans le boisé riverain dominé par le bouleau gris (arbres âgés de 27 ans), une espèce qui colonise fréquemment les champs abandonnés dans le sud du Québec. On peut donc conclure que le peuplier hybride peut coloniser les sols riverains avec ses racines au moins trois fois plus rapidement que par une recolonisation naturelle, soit en 9 ans comparativement à 27 ans. Parmi tous les systèmes riverains à l’étude, c’est également dans une des bandes riveraines de peuplier (site de Brompton) que l’on a observé la plus importante biomasse de grosses racines dans la partie la plus profonde du profil de sol (40-60 cm). Celle-ci s’élevait à 3,8 tonnes/ha et constituait 14 % de la biomasse de grosses racines des peupliers sur ce site. D’autres études sur le peuplier hybride rapportent des profondeurs d’enracinement de plus de 3 m pour des arbres de seulement 4 ans. Ces observations contrastent donc fortement avec l’enracinement très superficiel observé dans la vieille prucheraie, où 99 % de la biomasse de grosses racines et de racines fines était localisé dans les 20 premiers centimètres de sol. Comme la plupart des espèces pionnières (de début de succession), le peuplier est enraciné profondément. Il est donc bien adapté pour s’établir rapidement sur les sols riverains qui ont été perturbés et homogénéisés par les activités agricoles (labour, hersage, remblayage). À l’inverse, dans les vieilles forêts (fin Hiver 2014 2,6 de succession), la quasi-totalité des nutriments et de la matière organique se retrouvent près de la surface du sol, des conditions auxquelles la pruche (une espèce à enracinement superficiel) est bien adaptée. 11.000 rue Mirabeau, Anjou (QC) H1J 2S3 Tel.: 514.353.3040 Fax: 514.353.3042 Agrafes et clous en polymère Les agrafes et clous de composite Titac sont recommandés là où les agrafes métalliques peuvent endommager la machinerie ou le matériel; tel qu'aux scieries, usines de planage, sablage ou de transport du bois. T120 T37 Disponibles Disponiblesen en44longueurs longueursdifférentes, différenles et clous Titac peuvent être tes,agrafes les agrafes et clous Titac utilisés avec T37 manuelle T120 peuvent êtrela utiliser avec laouT37 pneumatique. manuelle ou T120 pneumatique. AGRAFBEC EST MEMBRE Progrès 9 Forestier Les bandes herbacées avaient très peu de grosses racines, mais elles avaient toutefois une biomasse de racines fines généralement plus importante que les bandes de peuplier dans les 20 premiers centimètres de sol. Or, cette tendance s’inversait plus profondément dans le sol (40-60 cm). Bref, en raison de son enracinement profond, le peuplier hybride a la capacité d’intercepter les fertilisants agricoles qui migrent vers la zone riveraine à diverses profondeurs dans le sol. Ses racines profondes peuvent également contribuer à améliorer la stabilité des berges des petits cours d’eau dégradés. Toutefois, il ne faut pas penser que les arbres vont arrêter complètement l’érosion des berges. Plusieurs cours d’eau de ferme ont été linéarisés pour améliorer le drainage des terres cultivables. Une fois reboisés, ces cours d’eau auront tendance à refaire des méandres et à s’élargir, par la force du courant. Ils retrouveront peu à peu une configuration plus naturelle (sinueuse). mais également des nutriments à même les cours d’eau. Ainsi, le peuplier hybride peut non seulement intercepter les polluants en provenance des terres agricoles, mais il peut aussi purifier les cours d’eau en y prélevant directement des nutriments. Les racines profondes de peuplier peuvent améliorer la stabilité des berges Des racines qui interagissent avec le milieu agricole et aquatique En plus de s’enraciner profondément, le peuplier a aussi la capacité d’étendre son réseau racinaire sous les cultures ou les pâturages adjacents. De cette manière, le peuplier peut intercepter les nutriments bien avant qu’ils ne parviennent dans la bande riveraine. D’ailleurs, certaines études rapportent que des racines horizontales de peuplier ont été observées à plus de 30 m de la base des arbres. Une bande riveraine de peuplier de seulement 5 m de largeur sera donc en mesure de capter des nutriments sur une beaucoup plus grande largeur. Les racines adventives de peuplier (de couleur rose) puisent de l’eau, de l’oxygène et des nutriments directement dans le cours d’eau Les racines de peuplier s’étendent latéralement pour intercepter les nutriments sous les cultures et les pâturages adjacents Aussi, lorsque les conditions sont propices, le peuplier hybride est capable de développer des racines adventives directement dans les cours d’eau. Les saules, qui appartiennent à la même famille que les peupliers (famille des Salicacées), ont également cette particularité. Ces racines adventives peuvent donc puiser de l’eau, de l’oxygène, Hiver 2014 Progrès 10 Forestier Toutefois, l’imposant système racinaire du peuplier hybride peut éventuellement interférer avec le système de drainage souterrain, surtout si celui-ci est en mauvais état. Les racines de peuplier peuvent s’infiltrer dans les drains agricoles et ralentir l’écoulement. Ce phénomène a été observé au site de Saint-Isidore-deClifton durant la 9e saison de croissance. Or, cette situation n’a pas semblé inquiéter outre mesure l’agriculteur qui voit bien les autres bénéfices de son système agroforestier. D’ailleurs, le ralentissement de l’écoulement de l’eau dans le drain a permis de recréer une zone humide à l’interface entre le pâturage et la bande riveraine, une zone qui pourrait procurer d’autres services écosystémiques (habitat, dénitrification). Il faut dire que le drainage souterrain des terres agricoles du sud du Québec est un enjeu de taille auquel il faudra s’attaquer si l’on veut vraiment améliorer la santé de nos cours d’eau. Les drains souterrains se déversent bien souvent directement dans les cours d’eau, y amenant directement azote et phosphore. Ces drains court-circuitent ainsi les bandes de protection riveraine qui deviennent alors beaucoup moins efficaces. Au site de Saint-Isidore-de-Clifton, un drain souterrain a été colonisé par les racines de peuplier, ce qui a ralenti l’écoulement de l’eau et favorisé la création d’une zone humide à l’interface pâturage / bande riveraine Giguère & Morin inc. Combien de carbone dans les sols riverains? Nos données montrent que, selon le site, les bandes riveraines de peuplier avaient des quantités de carbone similaires ou inférieures à celles des bandes herbacées, particulièrement dans les premiers 20 cm du sol (Figure 1). Une plus faible biomasse de racines fines près de la surface du sol dans les bandes de peuplier, par rapport aux bandes herbacées, pourrait expliquer ce résultat. En faisant de l’ombrage, les peupliers réduisent la croissance des plantes herbacées et, du même coup, la quantité de racines qu’elles produisent, ce qui donne éventuellement moins de carbone dans le sol. Nous avons d’ailleurs observé une forte relation entre l’augmentation de la biomasse des racines fines et l’augmentation de la quantité de carbone du sol, lorsque les trois types de système riverains étudiés (boisés, peupliers, herbacées) étaient inclus dans l’analyse. Pour l’ensemble du profil de sol étudié (0-60 cm), les boisés riverains avaient des quantités de carbone plus grandes que les deux types de bandes riveraines agricoles (herbacées et peuplier) (Figure 1). Ce résultat est attribuable aux importantes quantités de carbone que renferment les boisés plus âgés (pruche, érable et cèdre) près de la surface du sol (0-20 cm). C’est également près de la surface du sol de ces boisés que les plus fortes quantités de racines fines ont été observées. D’autre part, la litière acidifiante de la pruche, de l’érable à sucre et du cèdre a certainement favorisé l’accumulation du carbone dans le sol de ces boisés. Ces derniers avaient d’ailleurs un sol plus acide en surface que les bandes riveraines adjacentes. L’acidité du sol ralenti la décomposition de la matière organique (racines mortes, feuilles mortes, débris ligneux), ce qui favorise l’accumulation du carbone dans le sol. Enfin, certaines espèces, comme la pruche, ont une litière très récalcitrante à la décomposition, ce qui favorise l’accumulation du carbone dans le sol. FABRICATION DE : • bois de dimension • panneaux collés • pièces composantes pour meubles • coulisses de table • table de cuisine Saint-Félix-de-Kingsey (Québec) J0B 2T0 • Tél. : 819 848-2525 • Téléc. : 819 848-2617 • www.gigueremorin.com Hiver 2014 Progrès 11 Forestier 140 Carbone (tonnes / ha) 120 Boisés riverains Bandes herbacées Bandes de peuplier Bref, à court terme, il ne semble pas que 80 le peuplier puisse aug60 menter les quantités de carbone dans les 40 sols riverains agricoles 20 dominés par une strate herbacée pérenne. En 0 0-20 cm 20-40 cm 40-60 cm 0-60 cm contrepartie, le peuplier accumule rapideFigure 1 : Quantité de carbone mesurée dans le sol des différents systèmes riverains (moyenne des 4 sites) pour les trois profondeurs d’échantillonnage et ment beaucoup plus pour l’ensemble du profil de sol étudié (0-60 cm) *** (p<0,001) et ** (p<0,01). de carbone dans sa biomasse aérienne (tronc, branches et feuilles) et racinaire, puisqu’environ 50 % de la biomasse sèche d’un arbre est constituée de carbone. Cette accumulation de carbone dans la biomasse, aérienne et souterraine (racines), surpasse très largement les réductions de carbone du sol observées sur certains sites. 100 Remerciements Les auteurs souhaitent remercier les organismes subventionnaires suivants : Agriculture et Agroalimentaire Canada (Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture), le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (programme de Soutien à l’Innovation en Agroalimentaire), le ministère des Ressources Naturelles du Québec et la Conférence régional des élus de l’Estrie. Nous remercions les producteurs agricoles et les propriétaires (M. Beauregard, A. Doyon, J. Lamontagne et M. Richer) pour nous avoir permis d’établir les dispositifs de recherche en mai 2003 et de nous avoir donné accès à leurs terres pour l’ensemble de la durée de l’étude. Merci aussi aux bénévoles et aides de terrain qui ont contribué au projet (H. Isbrucker, J. Lemelin, K. Boothroyd-Roberts et M.-A. Pétrin). Merci à R. Bradley et B. Parsons (Université de Sherbrooke) pour les analyses carbone/azote. J. Fortier tient également à remercier la Fiducie de Recherche sur la Forêt des Cantons-de-l’Est (FRFCE) pour les bourses postdoctorales reçues. Source des photos : Julien Fortier, Benoit Truax et Daniel Gagnon Pour joindre les auteurs Julien Fortier, Ph.D., chercheur postdoctoral, Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est et département des sciences biologiques, UQAM. [email protected] Benoit Truax, Ph.D., chercheur, directeur général et fiduciaire de la Fiducie de recherche sur la forêt des Cantonsde-l’Est, [email protected] Daniel Gagnon, Ph.D., doyen de la Faculté des Sciences, University of Regina et fiduciaire de la Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-del’Est, [email protected] France Lambert, M.Sc., professionnelle de recherche, Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est, france. [email protected] Pour en savoir plus Une publication scientifique en lien avec cet article est disponible gratuitement en ligne : Fortier, J., B. Truax, D. Gagnon and F. Lambert (2013). Root biomass and soil carbon distribution in hybrid poplar riparian buffers, herbaceous riparian buffers and natural riparian woodlots on farmland. SpringerPlus 2(1): 539. http://www.springerplus.com/content/ pdf/2193-1801-2-539.pdf Pour en savoir davantage sur les projets d’agroforesterie avec le peuplier hybride dans le sud du Québec contactez Benoit Truax (819 821-8377), Fiducie de recherche sur la forêt des Cantons-de-l’Est / Eastern Townships Forest Research Trust, 1 rue Principale, Saint-Benoît-du-Lac, QC, Canada, J0B 2M0. www.frfce.qc.ca Hiver 2014 Progrès 12 Forestier