Née d`un don de sperme, elle demande à la justice l`accès à ses

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Née d`un don de sperme, elle demande à la justice l`accès à ses
Née d’un don de sperme, elle demande à la justice l'accès à ses origines
14 juin 2012 à 07:22
Une jeune femme née d’une insémination avec don de sperme réclame devant la justice
la levée de l’anonymat de son donneur, s’il en est d’accord. Le tribunal administratif de
Montreuil rendait sa décision.
Par KIM HULLOT-GUIOT
Libération
D’emblée, Agathe* prévient qu’elle ne cherche pas un père de substitution : «Je n’ai qu’un père, et
ce n’est pas mon donneur. Mon père, c’est celui qui a changé mes couches, il sait très bien où est
sa place».
Agathe est née il y a 32 ans d’une insémination artificielle avec donneur (IAD). Aujourd’hui, cette
avocate au barreau de Lyon, spécialisée en droit de la bioéthique, saura si la justice autorise
l’institution médicale à contacter, de façon confidentielle, son donneur pour lui demander s’il
souhaite dévoiler son identité. Ou, pour le moins, de fournir des informations non identifiantes.
«En 2009, mes parents nous ont révélés, à mon frère et à moi, la façon dont nous avions été
conçus, nous explique Agathe. Depuis, on sait qu’on est né d’un don de sperme, mais on ne sait
rien. Ce nez que vous ne reconnaissez pas... c’est dur. Je n’ai aucune information sur le donneur».
S’empressant de préciser : «Je réclame juste qu’on lui demande s’il est d’accord. Je n’ai aucune
intention de troubler sa vie - je sais trop bien ce que ça fait - mais je ne comprends pas que
l’institution médicale décide à sa place».
L'épineuse question du respect de la vie privée
Si c'est la première fois en France qu’un tribunal se prononcera (1) sur une telle requête, le débat
n’est pas nouveau. En octobre 2010, Roselyne Bachelot avait proposé d’instaurer la possibilité de
lever l’anonymat des donneurs a posteriori. Le Parlement avait alors retoqué le projet de loi.
Pour la jeune femme, par ailleurs membre d'une association qui milite pour la levée de l’anonymat,
l’argumentaire juridique en ce sens est solide : «L’article 8 de la Convention Européenne des Droits
de l’Homme dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Les informations concernant le
donneur, cela relève de notre vie privée : la mienne et la sienne. L’Etat n’a pas à préjuger de la
volonté des uns et des autres, expose-t-elle. Les personnes nées sous X ont obtenu ce droit. Nous,
les enfants nées d’une IAD, n’avons certes pas été abandonnés et avons au contraire été choyés
par nos parents, mais ça n’est pas une raison pour nous refuser ce droit».
En février 2003, la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait estimé, dans l’affaire Odièvre v.
France, que la requérante, née sous X, avait le droit de demander à connaître l’identité de sa
mère... en vertu d’une interprétation extensive de ce même article 8.
«Le donneur ne fait pas partie de l'histoire de l'enfant»
Mais la question n’est pas si simple : les donneurs sont-ils des parents biologiques au même titre
que les femmes ayant accouché sous X ? Pour le Professeur Louis Bujan, président de la fédération
des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), la réponse est
claire : «Les enfants nés sous X sont dans une situation totalement différente : être abandonné,
c’est avoir une histoire antérieure, avec un père et une mère. L’enfant conçu par IAD n’a pas
d’histoire antérieure, si ce n’est celle de l’élaboration psychique qu’ont fait ses parents de leur
stérilité. Ça n’a rien à voir non plus avec l’adoption», estime-t-il.
«Le donneur, lui, ne fait pas partie de l’histoire de l’enfant, reprend le médecin. L’élément-clef de la
réussite d’une procréation par tiers donneur, c’est que les couples acceptent leur stérilité : ils
peuvent ainsi en parler à leurs enfants, sans être dans le secret ou faire comme si rien ne s’était
passé. Si les choses ne sont pas dites, les enfants le ressentent inconsciemment». Car, assure le
Pr. Bujan, qui rencontre régulièrement des jeunes adultes nés d’une IAD, quand la stérilité est
assumée et la procédure expliquée aux enfants dès un âge précoce, l’identité du donneur n’est pas
une préoccupation : «Leurs parents, ce sont leurs parents, ils ne le remettent pas en cause.» […]
* Le prénom a été changé, à la demande de l’intéressée
(1) Dans son jugement, le tribunal administratif de Montreuil a estimé ce jeudi que la demande de la
requérante était irrecevable, considérant notamment que les informations contenues dans le dossier d’un
donneur de gamètes lors d’une insémination artificielle constituaient un secret protégé par la loi
En France, un donneur de sperme peut-il avoir 533 enfants ?
Laetitia Dive, publié le 20/07/2012 à 18:50
En avril, les Anglais découvraient, effarés, l'existence d'un donneur de sperme ultra prolifique: un médecin
aurait donné naissance, anonymement, à près de 600 frères et soeurs sur le sol britannique... Le risque de
voir se former, dans l'ignorance, des couples consanguins inquiète. Cela pourrait-il arriver en France?
Depuis sa sortie en salle le 27 juin, le film fait un carton: Starbuck, du Canadien Ken Scott, raconte
l'incroyable destin d'un loser quadragénaire, lequel se réveille un beau jour père de... 533 enfants - tous
issus de ses dons à une banque du sperme vingt ans plus tôt. L'histoire parait stupéfiante. Au RoyaumeUni pourtant, la réalité a déjà dépassé la fiction. En avril dernier, les britanniques découvraient, effarés, le
portrait d'un autre serial father, bien réel celui-là: Bertold Wiesner, fondateur d'une clinique de fertilité dans
les années 1940. Le médecin, qui congelait son propre sperme pour "aider" ses clientes, donna naissance
à près de... 600 bambins! Cela pourrait-il arriver en France?
"Ce profil de serial donneur peut très bien exister chez nous!", affirme sans détour Audrey Gauvin. La
présidente de l'association Procréation Médicalement Anonyme est aussi avocate spécialisée en
bioéthique, et s'explique: "C'est seulement depuis 1994, avec le vote de la loi sur la bioéthique, que le
nombre d'enfants par donneur a été limité". En clair, un individu né avant cette date par procréation
médicalement assistée peut donc, en théorie, avoir plusieurs dizaines de demi-frères et soeurs biologiques
qu'il ignore.
"L'insémination par sperme frais"
Mais pas seulement. Jusqu'en 1981 au moins, certains gynécologues pratiquaient librement ce que l'on
appelle poétiquement "l'insémination par sperme frais". Une future mère pouvait recevoir le jour même le
sperme déposé quelques heures plus tôt par un donneur. "Vous imaginez l'organisation pour que tout ça
s'enchaine sans que les deux se croisent!" s'amuse Jean-Marie Kunstmann, gynécologue au Centre
d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) de l'hôpital Cochin à Paris.
Certains médecins de ville offraient ainsi aux femmes déboutées de la filière classique (divorcées, couples
homosexuels, quadragénaires) une chance d'être inséminée. Quitte, pour cela, à encourager les vocations
de donneurs en les rétribuant généreusement. Sur ce point, le secteur public n'est pas en reste d'ailleurs:
"A l'hôpital parisien Necker, les donneurs de sperme étaient payés jusqu'en 1976", rappelle l'avocate. A
l'époque, le nombre de dons y était limité à six, mais rien n'empêche un homme d'avoir dispensé sa
semence dans d'autres établissements en France. Aujourd'hui, le don de sperme est non-rémunéré,
anonyme et limité à dix enfants par donneur. Le "Starbuck" des temps modernes qui voudrait s'assurer une
innombrable descendance devra donc ruser...
Le "Starbuck" des temps modernes qui voudrait s'assurer une innombrable descendance devra donc ruser.
Depuis 1994, chaque donneur doit s'adresser obligatoirement à l'un des vingt-quatre CECOS qui maillent
l'hexagone. Il doit être en couple, avoir des enfants et sans gros problème de santé. Une centralisation des
informations a par ailleurs été mise en place à Toulouse: "Une fois par an nous contrôlons les dates de
naissance des donneurs et si nous en trouvons deux identiques, nous recherchons le lieu de naissance,
puis le nom du donneur pour vérifier que ce ne sont pas les mêmes qui fréquentent plusieurs
établissements à la fois", affirme le Dr Kunstmann. Le médecin estime que ce contrôle annuel suffit à éviter
les dérives: "Le donneur met trois ou quatre mois pour terminer la procédure de don, il est impossible qu'il
ait le temps de faire le tour des CECOS en moins d'un an". Mais en est-on si sûr?
"Ce système n'existe que depuis fin 2010 et aucune autorité indépendante ne vérifie qu'il est bien respecté,
balaie l'avocate Gauvin qui poursuit: lorsque j'ai saisi la Commission nationale de l'informatique et des
libertés [CNIL] en 2010 pour vérifier la conformité des bases de données, ses responsables m'ont affirmé
n'avoir reçu aucune déclaration de fichier des CECOS. Ce n'est que début 2012, soit deux ans plus tard,
qu'ils ont commencé à lancer des contrôles sur place pour voir comment sont conservées les données."
L'avocate évoque également la perte de certains dossiers, alimentant encore les craintes de voir un serial
donneur profiter des failles du système...
Source : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/en-france-un-donneur-desperme-peut-il-avoir-533-enfants_1140817.html
« Je suis né d'un don de sperme »
Arthur, 28 ans, a été conçu grâce à un don de sperme anonyme. Depuis qu’on lui a
refusé l’accès aux informations concernant ses origines génétiques, il ne décolère pas. Il
se bat avec rage pour que la loi et les médecins ne l’empêchent plus de retrouver le
donneur.
« Le jour de mes 18 ans, j’ai dit à mes parents : “Donnez-moi le dossier.” Ils m’ont regardé
sans comprendre de quoi je parlais. Ils ne m’avaient jamais caché que mes sœurs et moi
avions été conçus “différemment”, mais, depuis des années, j’attendais qu’ils me trouvent
assez mûr pour me donner accès au nom de mon donneur. Plus le temps passait et plus j’étais
en colère : ils détenaient une information capitale pour moi, mais ne daignaient pas m’en faire
part. Je n’osais pas leur en parler, mais je ne comprenais pas comment ils pouvaient vivre la
situation avec autant de désinvolture alors qu’elle blessait si profondément mon intimité.
J’avais décidé que, une fois majeur, ils devraient me donner ce dossier, de gré ou de force. Ils
sont tombés des nues. Ils n’avaient pas compris que ça me faisait souffrir autant et, surtout,
j’ai découvert qu’ils n’avaient pas le dossier : ils étaient incapables de me dire qui avait donné
le sperme avec lequel ils m’avaient conçu…
Besoin de connaître l'identité de mon donneur Cette période a été houleuse pour la famille. J’ai des parents formidables, et mon père est
l’homme à qui je souhaite le plus ressembler au monde. Mais je trouve totalement
irresponsable qu’ils aient conçu leurs enfants sans prendre la peine de savoir qui étaient les
donneurs, et comment on pouvait les retrouver. Nous nous sommes beaucoup disputés à ce
sujet. Mes sœurs étaient plutôt d’accord avec moi, sans comprendre pour- quoi ça me mettait
dans un tel état. Peu à peu, ma colère s’est déplacée. J’ai fini par admettre que le problème ne
venait pas d’un manque de confiance entre mes parents et moi, et que ça allait être plus
compliqué que je ne l’imaginais. J’ai décidé de commencer une psychanalyse.
Un jour, ma psy m’a dit : “Cette question du donneur n’est pas ‘votre’ problème, c’est un
problème de la société.” J’ai pu commencer à faire le tri entre ce qui me regarde moi – qui je
suis, mes relations avec mes parents, mes sœurs – et ce qui regarde la loi. Quand je me suis
senti prêt, j’ai pris rendez-vous au Cecos* et j’ai rencontré le grand professeur responsable. Je
lui ai demandé mon dossier ; il s’est inquiété de la nature de mes relations avec mes parents.
J’ai expliqué que ça ne le regardait pas, et que je voulais seulement connaître l’identité de
mon donneur et comprendre ses motivations ; il m’a répondu que sa responsabilité était de
protéger l’anonymat de ces hommes formidables et généreux. Il avait les yeux bleus, les
miens sont noirs. Je me suis dit que l’incompatibilité de couleur de nos yeux était le seul
moyen tangible de savoir que ça n’était pas lui mon père génétique.
En sortant, j’ai retrouvé avec acuité ce sentiment d’être différent et seul au monde qui a
rempli mon enfance. Et cette impression que personne ne peut, ni ne veut entendre ma colère :
de quoi puis-je me plaindre, puisque j’ai été tellement désiré ?
Valérie Péronnet, Psychologies.com
*Les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), créés en
France en 1973, régissent les dons d’ovocytes et de sperme.

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