Bienvenue au paradis 5.0
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Bienvenue au paradis 5.0
ÉDITO Bienvenue au paradis 5.0 W I L L I A M PA R R A P O U R P S YC H O LO G I E S 2015 Ève s’assied sur le lit, dégrafe son bracelet électronique et jette un œil à son bilan : nombre de pas – suffisant –, calcul des calories – léger excès –, qualité de l’air respiré – insuffisante… Pendant la nuit, les capteurs vont enregistrer sa respiration et, dès le réveil, elle connaîtra la profondeur de son sommeil. Ève a préféré le nouveau Microsoft Band relié à son Smartphone au Health Kit de la marque à la pomme, moins pratique. Adam s’allonge à ses côtés avec sa montre Google Fit encore au poignet. Il constate, un peu bougon, qu’il a dépassé sa limite en cholestérol et qu’il a oublié sa séance de méditation du matin… Dans l’appartement voisin, leur vieil ami Robert a son pacemaker branché à distance à un ordinateur et un collier électronique pour le retrouver s’il se perd en cas d’Alzheimer… Nous en sommes là… 2030 Ève a mal à la tête. Elle tape le message « paracétamol » sur son clavier, ce qui lance immédiatement la fabrication d’une pilule sur son imprimante 3D. Le dosage correspond exactement à l’intensité de sa douleur. Elle désactive la puce cérébrale qui régule ses dosages hormonaux, se glisse sous les draps, et la lumière s’éteint. Adam rallume d’un claquement de doigts, énervé. II a bataillé avec son patron toute la journée. Vital, le logiciel qui préside le conseil d’administration de sa boîte, acheté quinze ans plus tôt comme simple administrateur à la société Aging Analytics, a réfuté ses prévisions. « Trop risquées », a déclaré la voix de synthèse, installée à la tête de l’entreprise pour l’éternité. Entre-temps, Robert a fait un AVC, il a été plongé dans le coma. L’imagerie par résonance magnétique a révélé que, malgré son état végétatif, il était toujours « conscient ». Pour lui éviter un éventuel Parkinson, il a aussi reçu un implant biologique de dernière génération. Nous allons là… 2060 Ève et Adam n’ont plus besoin de dormir. Leurs cellules ne vieillissent plus, ils ne sont plus jamais malades, et leurs émotions sont rééquilibrées en permanence par le bien-nommé Affectiva, un logiciel de décryptage des expressions microfaciales mis au point en 2015 sur la base des travaux du psychologue américain Paul Ekman. Comble du luxe, Ève et Adam ne se touchent plus. Ils font l’amour grâce à leur conscience, externalisée sur disque dur, et ressentent un plaisir décuplé grâce à leur programme d’orgasme simultané. Cette année, ils vont fêter Noël en compagnie de leurs jeunes parents, tout juste sortis de leur caisson de cryogénisation. Le clone de Robert sera présent. Irons-nous là ? C’est en tout cas le projet du mouvement transhumaniste, né dans les années 1980 en Californie et qui fait de plus en plus d’adeptes, y compris en France et en Europe, chez les chercheurs et les entrepreneurs fous de technologies. Le meilleur des mondes, ou le pire ? À nous de choisir ! Laurence Folléa Directrice de la rédaction Sur Twitter : @lfollea Sources : « Tout va bien, mon patron est un ordinateur ! », chronique d’Annie Khan, et « L’industrie high-tech mise sur la santé connectée » in Le Monde (1er et 2/11/2014), « Pour la conscience, tapez “Le Code” » in Libération (31/10/2014), « Liberté, inégalité, immortalité, le monde que vous prépare la Silicon Valley » in Philosophie magazine (10/2014), « Transhumanistes sans gêne » in Libération (18 et 19/6/2011). décembre 2014 — PSYCHOLOGIES MAGAZINE — 9