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8–
Un instant s’il vous plaît
[Très bien fait]
Par Alex Vandevorst | Photos DR
L
– 50’s shades
of Carol
À force de s’inviter partout dans la fiction contemporaine,
les fifties sont devenues le miroir sociologique
des années 2010. Pourquoi, au juste ? Carol et son réal
Todd Haynes apportent leur réponse.
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es auteurs de films en
costumes chantent souvent le même refrain :
« J’ai choisi de raconter
cette époque parce qu’elle ressemble
tant à la nôtre. » D’accord, mais il
n’empêche qu’un mystère reste
entier : pourquoi, dans le cas de
nos chaotiques 2010’s, les années
50 font-elles si souvent office de
période-miroir ? Mad Men avait
évidemment ouvert le bal, trouvant dans la charnière 50’s/60’s
le condensé d’enjeux encore d’actualité ( féminisme, toute-puissance de la pub, etc.). Le cinéma
devait suivre de près, de Kill Your
Darlings à Life, de The Master
à Howl, sans compter Populaire
côté français. Pour les amoureux
des tailleurs pied-de-poule et des
bourbons sur glace en pleines
heures de bureau, Carol est une
étrenne somptueuse qui condense
tout ce que ces happy days ont
de plus reluisant. Mais la nostalgie n’est pas son seul argument :
Todd Haynes entend d’ailleurs se
démarquer des autres films sur les
sweet fifties. Il nous l’expliquait au
dernier Festival de Cannes : « Forcément, comme mon film raconte
une histoire d’amour lesbienne en
1950, on me parle beaucoup de Mad
Men, de l’obsession vintage sur
fond de combat politique. On pense
que j’ai voulu donner un exemple
pour la lutte LGBT d’aujourd’hui.
Mais ce n’est pas la sociologie qu’on
cherche dans ces années-là, c’est le
contraire : l’imagerie désuète permet de traiter un sujet en évitant
le naturalisme austère et sociétal
du présent ! » Plus qu’au militant,
les années 50 seraient donc précieuses au conteur ? C’est ce que
laisse entendre Haynes quand on
compare son film à La Vie d’Adèle :
« Je voulais justement éviter le débat
suscité par ce film. On a beaucoup
dit que Kechiche parlait de féminisme et de lutte des classes, que
Spielberg l’avait palmé à Cannes
pour cette raison. Je cherchais tout
l’inverse : j’ai voulu que l’on retrouve
21/12/15 15:47
Carol
Sortie le
13 janvier.
le brasier des passions, façon mélo
de Douglas Sirk. C’est tout ce qui
manque dans Mad Men : la série
privilégie une distance clinique,
une vue d’ensemble un peu froide.
Alors que Carol alterne les subjectivités de Cate Blanchett et de
Rooney Mara, la mise en scène
tente de plonger en elles… » La mise
en scène, parlons-en : qu’ont à
apprendre les cinéastes de 2016
d’un Sirk, d’un Mankiewicz ou
d’un Donen ? « Ma réponse va
sembler bizarre, mais ils ont de la
graine à prendre sur l’utilisation
du numérique ! Son essor devrait
servir l’élégance graphique. Or on
dirait qu’on en use seulement pour
le found-footage… Il y a un relâchement formel, justement parce que le
digital donne le droit à l’erreur. Mais
en visant la patine 50’s dans Carol,
je me suis interdit d’utiliser cette
technique à la légère. J’espère qu’on
voit le résultat ! » Qu’il se rassure,
son film écrase la concurrence en
matière d’images rétro. Et, grâce
à lui, la rengaine du « film en costumes encore d’actualité » cède la
place au contraire : les beaux costumes deviennent une fin en soi
et l’actualité se sape enfin avec la
garde-robe du grand cinéma.
SAFE SEX
DANS CAROL, LES OCCASIONS DE S’ÉBATTRE LIBREMENT SONT RARES (FIFTIES OBLIGE), ET
POURTANT LE TENSIOMÈTRE SEXUEL EST DANS LE ROUGE. COMMENT FAIRE POUR RACONTER
UNE PASSION TORRIDE SANS UNE SEULE SCÈNE DE LIT ?
LA DEMI
Playlist
Par Romain Cole
Photos DR
CARTER BURWELL
UNE STRUCTURE RÉPÉTITIVE DE VIOLONS
ET QUELQUES ACCORDS DE PIANO POUR
LE DANGER, UNE HARPE ET UN HAUTBOIS POUR L’ÉLÉVATION : L’HISTOIRE
D’AMOUR HOMOSEXUELLE DE CAROL
EST PARFAITEMENT ANNONCÉE PAR SON
AMBIVALENTE OUVERTURE. CURIEUX, NOUS
AVONS DEMANDÉ À SON COMPOSITEUR,
CARTER BURWELL (HABITUÉ DES FRÈRES
COEN), DE NOUS LISTER SES DIX CHANSONS
D’AMOUR PRÉFÉRÉES. ET VOICI LA RÉPONSE
QU’IL NOUS FIT EN RETOUR.
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LE SUBSTITUT
« IN THE MOOD FOR LOVE »
Un homme, une femme, ils sont beaux et ils se
plaisent. Mais qu’est-ce qu’ils attendent ? Refusant
de céder à la facilité, Wong Kar-wai filmait leur
passion en remplaçant le rite amoureux par des
scènes de dîners et de promenades sur fond
de Nat King Cole, suggérant que, dans une
romance, l’attente est le chapitre le plus
surexcitant.
LE REFOULEMENT
« X-FILES »
Les vrais fans le savent : le plus marrant, dans
X-Files, c’est d’espérer voir Mulder finir par emballer
Scully (ou inversement) dans un petit coin obscur
des locaux du FBI, derrière une pile géante de
dossiers non classés.
class Seulement,
pour ne pas griller
gri ses cartouches
d’entrée, Chris
Chr Carter imaginait
une tension silencieuse
s
suggérée
par mille petits
pet sous-entendus.
Et si l’obsession
l’obses
de Mulder pour
les aliens cachait surtout une
obsession
obsessio pour la rousseur
pétulante
pétul
de sa partenaire ?
« Avant tout, laissez-moi vous dire que je ne suis
pas fan de chansons d’amour. J’ai regardé si j’en
avais quelques-unes parmi les 20 000 morceaux
que j’ai dans mon Itunes. Ce que j’ai trouvé, c’est
deux magnifiques morceaux de blues que j’aimais
adolescent et que j’aime encore aujourd’hui. »
« Love In Vain Blues »
DE ROBERT JOHNSON
« J’aime le côté inévitable de la descente de
cordes sur le refrain "all my love
in vain" et la métaphore
insistante du train,“the
blue light was my
blues and the
red light
was my
mind.”»
LE JEU D’ENFANTS
« LES ÉMOTIFS ANONYMES »
Comment rendre glamour
amour un couple
composé de deux weirdos
eirdos aériens,
à savoir Isabelle Carré
ré et Benoît
Poelvoorde, dans unee comédie
popu à aller voir entre
re les deux
fêtes de fin d’année ? En
replaçant la drague sur le
terrain de la timidité enfantine :
coincé dans des angoisses
oisses de
grands gamins, le tandem
ndem
livrait la plus trognonne
nne des
love stories.
L’ATTENTE CRUELLE
« CAROL »
On croyait que c’était l’enjeu : la scène sulfureuse
entre deux stars suaves, façon Naomi Watts et
Laura Elena Harring dans Mulholland Drive. Sauf
que Todd
T
Haynes reporte
eporte sans cesse
l’explosion
l’ex
des compteurs
ompteurs
entre
ent Rooney Mara
ara et Cate
C e
Cat
Blanchett
Bla
: l’attente
nte crée un
(délicieux)
(dé
supplice,
ice, mais
rappelle
rapp
aussi que dans les 50’s,
les passions
p
saphiques
ques étaient
un brin
b plus compliquées
liquées
é à
vivre
v
que dans
La
L Vie d’Adèle.
« Devil Got My Woman
an »
DE SKIP JAMES
« C’est ma deuxième
chanson d’amour
préférée et en fait, ce
n’est pas vraiment une
chanson d’amour. Le
chanteur préférerait êtree
le diable que d’être l’homme
mme
de cette femme. Bien sûr,r,
il proteste beaucoup trop.
p.
Mais ce qui est hallucinant
ant
dans cette chanson, ce
sont les hypnotiques voixx
descendantes qui viennent se caler
contre la guitare hautement structurée
"like wild geese from the west". »
« Je suis désolé, mais je ne peux vraiment
pas trouver plus que ces deux chansons
d’amour. »
21/12/2015 17:43