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Les technologies de pointe à l’appui de la stabilité du climat de la Terre : de l’énergie pour une planète en proie aux gaz à effet de serre Martin I. Hoffert1∗, Ken Caldeira3, Gregory Benford4, David R. Criswell5, Christopher Green6, Howard Herzog7, Atul K. Jain8, Haroon S. Kheshgi9, Klaus S. Lackner10, John S. Lewis12, H. Douglas Lightfoot13, Wallace Manheimer14, John C. Mankins15, Michael E. Mauel11, L. John Perkins3, Michael E. Schlesinger8, Tyler Volk2, Tom M. L. Wigley16 Stabiliser la partie du changement climatique qui est attribuable au dioxyde de carbone est avant tout un problème d’énergie. L’établissement d’une série de mesures en vue de parvenir à cette stabilisation exige une action sur deux fronts : d’une part, développer au cours des décennies à venir des sources d’énergie primaire n’émettant pas de dioxyde de carbone dans l’atmosphère; d’autre part, adopter des mesures pour réduire la demande d’énergie d’utilisation finale. Or, au milieu du siècle, les besoins en énergie primaire n’entraînant pas d’émissions de dioxyde de carbone pourraient représenter plusieurs fois la quantité d’énergie que nous tirons actuellement des combustibles fossiles (~1013 watts), même avec des améliorations en termes d’efficacité énergétique. Dans le présent document, nous évaluons les sources d’énergie possibles de demain, en fonction de leur capacité à fournir d’énormes quantités d’énergie sans émission de dioxyde de carbone, et en fonction également de leur potentiel de commercialisation à grande échelle. Les sources d’énergie primaire susceptibles de répondre à nos critères sont l’énergie solaire terrestre et l’énergie éolienne, les satellites solaires, la biomasse, la fission nucléaire, la fusion nucléaire, les hybrides fission-fusion, et les combustibles fossiles dont le carbone a été piégé. Quant aux technologies auxiliaires susceptibles de contribuer à la stabilisation du climat, mentionnons les améliorations de l’efficacité, la production d’hydrogène, le stockage et le transport, les réseaux électriques mondiaux à supraconducteurs et le géogénie. Mais toutes ces techniques présentent actuellement 1 Department of Physics. 2 Department of Biology, New York University, New York, NY, 10003, États-Unis. Lawrence Livermore National Laboratory, Livermore, CA, 94550, États-Unis. 4 Department of Physics and Astronomy, University of California, Irvine, CA, 92697, États-Unis. 5 Institute of Space Systems Operations, University 6 of Houston, Houston, TX, 77204, États-Unis. Département d’économique, Université McGill, Montréal (Québec) H3A 2T7, Canada. 7 MIT Laboratory for Energy and the Environment, Cambridge, MA, 02139, États-Unis. 8 Department of Atmospheric Sciences, University of Illinois à Urbana-Champaign, Urbana, IL, 61801, États-Unis. 9 Exxon- Mobil Research and Engineering Company, Annandale, NJ, 08801, États-Unis. 10 Department of Earth and 11 Department of Applied Physics and Applied Mathematics, Columbia University, New Environmental Engineering. York, NY, 10027, États-Unis. 12 Lunar and Planetary Laboratory, University of Arizona, Tucson, AZ, 85721, États13 Centre de recherche sur le climat et les changements à l’échelle du globe, McGill, Montréal (Québec) Unis. H3A2K6, Canada. 14 Plasma Physics Division, Naval Research Laboratory, Washington, DC, 20375, États-Unis. 15 NASA Headquarters, Washington, DC, 20546, États-Unis. 16 National Center for Atmospheric Research, Boulder, CO, 80307, États-Unis. SCIENCE’SCOMPA ∗ C’est à cet auteur qu’il faut adresser tout courrier, à l’adresse électronique : [email protected] 3 1 des failles importantes qui limitent leur contribution à la stabilisation du climat de la Terre. Il faut donc amorcer de toute urgence un large éventail de travaux intenses de recherche-développement pour développer les options technologiques qui nous permettront à la fois de stabiliser le climat et d’assurer le développement économique. Il y a plus d’un siècle, Arrhenius avança l’idée que le CO2 produit par la combustion des combustibles fossiles pourrait rendre l’atmosphère terrestre encore plus opaque aux rayons infrarouges, au point de réchauffer la Terre (1). Au XXe siècle, la population humaine a quadruplé et la consommation d’énergie primaire a été multipliée par 16 (2). La théorie des gaz à effet de serre dû aux combustibles fossiles a acquis de la crédibilité avec le cumul des observations et notre meilleure compréhension des liens entre la combustion de combustibles fossiles, le changement climatique et les incidences environnementales (3). La quantité de CO2 présente dans l’atmosphère est passée de ~275 à ~370 parties par million (ppm). Si rien n’est fait, elle atteindra 550 ppm au cours du siècle. Or, selon les modèles climatiques et les données paléoclimatiques et si la tendance se maintient, cette quantité pourrait éventuellement produire un réchauffement dont l’ampleur serait comparable au refroidissement planétaire de la dernière ère glaciaire (4). La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques vise à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau susceptible d’empêcher « une interférence anthropogénique dangereuse avec le système climatique » (5). Il pourrait être nécessaire de fixer des objectifs de stabilisation du CO2 atmosphérique à un niveau aussi faible que 450 ppm afin de prévenir la décoloration des récifs coralliens, l’interruption de la circulation thermohaline et l’élévation du niveau des mers provenant de la désintégration de l’inlandsis de l’Antarctique occidental (6). Wigley et coll. ont élaboré des scénarios d’émission pour stabiliser le CO2 atmosphérique à 350, 450, 550, 650 ou 750 ppm (7). Ils ont réduit au minimum la diminution préliminaire des émissions en retenant au départ l’hypothèse du statu quo associant une croissance économique de 2 à 3 % an–1 à un déclin soutenu de 1 % an–1 de l’intensité énergétique (utilisation d’énergie par produit intérieur brut). Des réductions plus importantes que celles prévues par le Protocole de Kyoto seront requises par la suite, puisque les niveaux permettant une stabilisation du CO2 dépendent approximativement de la totalité des émissions. Des objectifs prévoyant une réduction à 450 ppm et, à plus forte raison à 350 ppm, pourraient exiger des efforts herculéens. La stabilisation à 550 ppm constitue déjà en soi un défi de taille. À l’heure actuelle, la consommation d’énergie primaire est de ~12 TW, dont 85 % provient de combustibles fossiles. La stabilisation du CO2 à 550, 450 et 350 ppm, selon les scénarios de Wigley et coll., exige respectivement la production, d’ici le milieu du siècle, de 15, 25 et 30 TW d’énergie sans émission (8). Il n’est pas facile d’atteindre cet objectif. Le CO2 est un produit incontournable de la combustion, compte tenu des sources d’énergie privilégiées par notre civilisation. On ne peut s’en débarrasser par la simple adoption de règlements. La stabilisation du CO2 pourrait empêcher les pays en développement de s’alimenter en énergie provenant de combustibles fossiles (9). Hansen et coll. proposent la réduction des sources de méthane et de suie qui provoquent aussi le réchauffement (10). De telles réductions sont souhaitables, mais elles ne feront pas échec au réchauffement provoqué par l’effet de serre dus aux combustibles fossiles. Selon le Protocole de Kyoto, les pays industrialisés sont tenus de réduire, d’ici à 2008 et à 2012, leurs émissions de gaz à effet de serre pour les ramener à des niveaux inférieurs de 5 % aux niveaux de 1990. Paradoxalement, Kyoto exige à la fois trop peu et trop : le Protocole est trop 2 exigeant, parce que ses compressions initiales sont perçues comme un fardeau économique par certains (les États-Unis se sont retirés du Protocole pour cette raison); et trop peu exigeant, parce que des réductions beaucoup plus importantes sont requises et nous ne disposons pas des technologies pour y parvenir. On peut faire valoir que la façon la plus efficace de réduire les émissions de CO2, en préservant la croissance économique et dans un souci d’équité, consiste à apporter des changements révolutionnaires dans la technologie de production, de distribution, de stockage et de conversion de l’énergie (8). Mais la nécessité d’intensifier la recherche dès maintenant sur ces technologies n’est pas bien acceptée par toutes les nations. La politique américaine actuelle met l’accent sur la production intérieure de pétrole, plutôt que sur la recherche de technologies de production de l’énergie (11). D’ailleurs, on constate des erreurs d’appréciation à la lecture du dernier document « Summary for Policymakers » produit par le groupe de travail dit « Mitigation », du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, car on y fait valoir que « […] des options technologiques connues permettraient d’atteindre différents objectifs de stabilisation du CO2 atmosphérique, à savoir 550 ppm, 450 ppm ou moins, au cours des 100 prochaines années ou plus […] que les options connues reposent sur des technologies actuellement en usage ou expérimentées en usines pilotes. Cela ne comprend pas de nouvelles technologies nécessitant des percées extraordinaires […] » (12). Comme on le voit, on se fait une idée tout à fait erronée des capacités techniques actuelles. Cette affirmation, en effet, ne tient pas compte de la quantité d’énergie sans émission de CO2 qu’il faudra produire et dont il est pourtant question, implicitement, dans les rapports du groupe de travail lui-même (3, 8), et elle n’est nullement étayée par notre évaluation. Il n’existe tout simplement pas à l’heure actuelle de sources d’énergie en exploitation ou d’usines de production d’énergie pouvant produire une quantité d’énergie représentant de 100 à 300 % de la consommation énergétique mondiale sans émission de gaz à effet de serre. Pourrons-nous produire à temps suffisamment d’énergie sans émission? Dans les sections qu suivent, nous examinons une large gamme de technologies afin de déterminer si elles rendront possible l’atteinte de cet objectif. Amélioration du rendement énergétique Par rendement énergétique, on désigne le rapport de l’énergie utilisable sur l’énergie fournie. Divers combustibles (tant les fossiles que ceux entrant dans la fission et la fusion nucléaires) sont des sources d’énergie primaire, laquelle est renfermée dans les liaisons chimiques et nucléaires métastables. L’énergie primaire dans les flux naturels (photons solaires, énergie éolienne, énergie hydraulique, flux de chaleur) fait partie des sources d’énergie renouvelables. La conversion de l’énergie s’accompagne toujours de pertes dissipatives que, dans de nombreux cas, les ingénieurs ont déjà essayé de réduire, au prix d’efforts considérables. Mais il est encore possible d’améliorer le rendement tant dans la production d’énergie que dans les secteurs d’utilisation finale : transports, fabrication, électricité et climatisation des intérieurs (13). Le rendement des technologies éprouvées est bien connu (14, 15). Les plus efficaces sont les gros générateurs (rendement de 98 à 99 %) et les moteurs (rendement de 90 à 97 %). Suivent les moteurs thermiques rotatifs dont le rendement est limité par la deuxième loi de thermodynamique, les turbines à gaz et à vapeur (rendement de 35 à 50 %) et les moteurs diesel 3 (rendement de 30 à 35 %) et à combustion interne (rendement de 15 à 25 %). À l’heure actuelle, le rendement des piles à combustible électrochimiques (rendement de 50 à 55 %; et éventuellement de 70 %) est limité par les électrolytes, les matériaux entrant dans la composition des électrodes, et les catalyseurs. Les piles à combustible peuvent remplacer les moteurs thermiques mais fonctionneront probablement à l’hydrogène. Pour assurer une transition sans heurt, on utiliserait l’hydrogène moléculaire (H2) extrait de l’essence ou du méthanol dans les reformeurs (rendement de 75 à 80 %). Parmi les convertisseurs d’énergie renouvelable, mentionnons les piles photovoltaïques (les batteries commerciales ont un rendement d’environ 15 à 20 %; le maximum théorique atteignable avec les cellules cristallines monobande est de ~ 24 %, le rendement étant plus élevé avec les cellules multibandes, et moindre avec les pellicules minces amorphes, plus rentables), et les éoliennes (parcs commerciaux, rendement d’environ 30 à 40 %; « limite de Betz » théorique, ≈ 59 %). L’éclairage à la vapeur de sodium haute pression (rendement de 15-20 %), par fluorescence (rendement de 10-12 %) et à incandescence (rendement de 2-5 %) produit plus de chaleur que de lumière. Quant à la photosynthèse, elle a un très faible rendement énergétique pour la transformation de la lumière solaire en énergie chimique, qui est limitée par les bandes d’absorption de la chlorophylle (les écosystèmes les plus productifs ont un rendement d’environ 1 à 2 %; le maximum théorique indépendant de la cellule ou de l’écosystème étant de ≈ 8 %). Dans quelle mesure peut-on améliorer le rendement énergétique? Dans un domaine technique donné, le rendement est habituellement faible au début, puis il progresse au cours des décennies, voire des siècles, et plafonne à une certaine fraction du maximum théorique (16). Il a fallu 300 ans pour mettre au point les piles à combustible à partir des turbines à vapeur dont le rendement était de seulement 1 %. Les premières turbines à gaz pouvaient à peine faire tourner leurs compresseurs. Le développement de la fusion pourrait suivre une même pente : dans les expériences les plus performantes, on arrive presque à équilibrer la puissance pour enflammer le plasma, mais l’énergie est transportée par les neutrons produits par la fusion, et on n’est pas encore parvenu à obtenir une puissance utile nette. Les combustibles fossiles et les combustibles nucléaires sont beaucoup plus près de leurs limites théoriques (fig. 1A et 4A). Le cycle de la vapeur (rendement de 39 à 50 %, y compris les cycles combinés et la cogénération) et la chaîne globale de transformation énergie primaire-électricité (rendement de 30-36 %, y compris les pertes de transmission) présentent une conversion nominale de la puissance thermique en énergie électrique : 3 kW (thermique) ≈ 1 kWe (électrique). On est parvenu à d’impressionnantes réductions des pertes de chaleur avec les lampes fluorescentes compactes, les fenêtres à faible émissivité et la cogénération (17). Une conversion plus efficiente de l’énergie automobile est aussi possible (18, 19). Les émissions dépendent de divers facteurs : la masse du véhicule, les habitudes de conduite, la traînée aérodynamique, de même que le rendement du couple de traction [qui est égal au rapport (couple X vitesse angulaire aux roues)/(alimentation en combustibles fossiles)]. Les groupes motopropulseurs ont habituellement un rendement de 18 à 23 % pour la combustion interne, de 21 à 27 % pour la batterie, (de 35 à 40 % pour le groupe motopropulseur; de 80 à 85 % pour le cycle charge-décharge; de 80 à 85 % pour le moteur), de 30 à 35 % pour les hybrides électricité-combustion interne (meilleur rendement grâce à la récupération d’énergie électrique à partir de l’énergie mécanique, qui serait par ailleurs perdue) et de 30 à 37 % pour l’électricité produite par les piles à combustible (de 75 à 80 % pour les reformeurs; de 50 à 55 % pour les piles à combustible et de 80 à 85 % pour le moteur). 4 Le mode de vie a également une incidence sur les émissions. De nos jours, certaines automobiles ont une très faible consommation et peuvent parcourir jusqu’à 29 km litre–1 (68 milles au gallon [mpg] en conduite routière, cette consommation étant calculée selon la procédure de la U.S. Environmental Protection Agency). Mais le goût des consommateurs pour les utilitaires sport a fait reculer le rendement de carburant du parc de voitures et de camions légers des États-Unis à 8,5 km litre–1, soit le niveau le plus bas en 21 ans (20 mpg selon la procédure de la U.S. Environmental Protection Agency) (19). Même avec les utilitaires sport, il est encore possible de doubler le rendement, voire de faire mieux. Malheureusement, ces gains d’efficacité pourraient être anéantis si la Chine et l’Inde suivent le modèle américain et passent de la bicyclette et du transport en commun à l’automobile (> 80 % de l’augmentation de la consommation de pétrole est déjà attribuable à l’Asie). Par conséquent, la filière des combustibles à bilan de carbone neutre ou le captage atmosphérique du CO2 pourraient être les meilleures options à développer. Décarbonisation et piégeage du carbone On appelle « décarbonisation » la réduction de la quantité de carbone émise par unité d’énergie primaire. Au fil du temps, on est passé de la houille au pétrole et au gaz, chaque combustible émettant progressivement moins de CO2 par joule de chaleur (20). Si cette tendance se maintenait, cela conduirait à l’utilisation de l’hydrogène moléculaire (H2), un combustible à bilan de carbone neutre, mais le H2 n’existe pas dans les réservoirs géologiques. Il faut avoir recours à des procédés de synthèse qui requièrent de l’énergie pouvant provenir de matières premières fossiles. On produit le H2 à l’heure actuelle par reformage à la vapeur du gaz naturel (2H2O + CH4 → 4H2 + CO2). L’énergie peut être transférée au H2 avec un rendement d’environ 72 % à partir du gaz, de 76 % à partir du pétrole et de 55 à 60 % à partir de la houille (21). On produit plus de CO2 par unité de chaleur en fabriquant le H2 à partir de combustibles fossiles qu’en brûlant le combustible fossile directement. La production de H2 sans émission par électrolyse de l’eau grâce à l’énergie renouvelable ou nucléaire n’est pas rentable. Par conséquent, la décarbonisation des combustibles seule n’atténuera pas le réchauffement planétaire. La difficulté est de parvenir à produire de 10 à 30 TW sans émission en 50 ans. Pour poursuivre la tendance d’une utilisation moindre des combustibles au carbone, il faut se débarrasser de l’excès de carbone, ce qui peut s’avérer difficile vu la relative abondance des ressources fossiles – les combustibles à forte teneur en carbone étant les plus abondants, suivis du pétrole et du gaz (22, 23). L’une des voies envisagées pour obtenir des combustibles « propres » fait appel à la fois au captage et au piégeage du CO2 : la houille et/ou la biomasse et les déchets sont gazéifiés dans un gazogène à oxygène pulsé et le produit est débarrassé du soufre ou mis en contact avec de la vapeur et, par réaction, il forme du H2 et du CO2. Après l’extraction de la chaleur, le CO2 est piégé et le H2 utilisé pour le transport ou la production d’électricité (24). La décarbonisation est par conséquent intimement liée au piégeage (25). Les océans, les arbres, les sols, les champs de pétrole et les champs de gaz naturel épuisés, les nappes aquifères salines en profondeur, les filons de charbon et les carbonates de minéraux solides (fig. 1B) constituent des réservoirs de piégeage du carbone. Le principal avantage du piégeage est sa compatibilité avec les infrastructures de combustibles fossiles en place, y compris les injections de CO2 pour valoriser davantage les champs de pétrole et de gaz et le captage du CO2 contenu dans les gaz de carneau des centrales thermiques. 5 Il faudra peut-être aussi songer à récupérer les émissions de CO2 d’origine fossile et produites par des sources décentralisées (comme les automobiles). Or, le captage atmosphérique le plus simple passe par le reboisement. Le piégeage dans les arbres et le sol ne nécessite pas la séparation du produit de combustion ni l’utilisation de combustibles, mais la capacité d’absorption du CO2 est restreinte. L’absorption se fait au cours de la croissance de la matière organique (CH2O), lorsque la réaction nette photosynthèse-respiration est dans le sens hν + CO2 + H2O → C + H2O + O2. Les données historiques et les modèles de CO2 reposent sur l’hypothèse qu’à l’heure actuelle, une forêt tempérée absorbe de 1 à 3 milliards de tonnes de carbone (GtC) an–1 (3), mais certains modèles montrent que, plus tard au cours du siècle, les forêts cesseraient d’être des puits de carbone pour devenir des sources à mesure que le réchauffement de la planète augmenterait la respiration du sol (26). Le temps d’échange du CO2 avec les arbres est d’environ 7 ans. Le cycle de l’absorption par le plancton renforcée par la fertilisation du fer (27) peut être tout aussi rapide si les déchets organiques s’oxydent près de la surface. Les méthodes de piégeage biologique visant le stockage à plus long terme prévoient le stockage sous terre d’arbres non décomposés (28) et l’immersion de résidus agricoles dans les profondeurs de l’océan (29). Le captage atmosphérique par l’hydroxyde de calcium aqueux [Ca(OH)2] dans des réservoirs peu profonds, avec récupération du CO2 par chauffage du CaCO3 dans une cornue pour produire le CaO et le CO2 a également été proposé (30). Cette réaction (calcination) est une étape clé dans la fabrication du ciment à partir de la chaux, mais la rupture du lien Ca–CO2 requiert une quantité d’énergie importante. On explore également le piégeage du CO2 à plus long terme dans les grandes profondeurs (31). Pour un scénario d’émissions donné, les injections océaniques pourraient faire diminuer de façon appréciable les niveaux maximaux de CO2 atmosphérique, bien que dans tous les cas, on ne puisse éviter le retour d’une certaine quantité de CO2 dans l’atmosphère (32). La rétrodiffusion et les répercussions sur le pH de l’immersion de CO2 dans l’océan pourraient être réduites par l’accélération de l’altération des minéraux carbonatés qui, autrement, neutraliseraient lentement l’acidité océanique produite par le CO2 des combustibles fossiles (33, 34). Une option beaucoup plus intéressante consisterait à mettre le CO2 en contact avec la serpentine minérale pour piéger le carbone sous forme solide dans des « briques » de carbonate de magnésium en accélérant considérablement les réactions d’altération de la roche silicatée, ce qui supprimerait le CO2 atmosphérique, par rapport aux échelles de temps géologiques (35). Par conséquent, le piégeage du carbone pourrait constituer une transition valable vers l’énergie renouvelable ou nucléaire. Toutefois, si l’on n’a pas accès, d’ici au milieu du siècle, à d’autres sources de 10 à 30 TW d’énergie primaire sans émission, on aura alors besoin de piéger d’énormes quantité de CO2 pour stabiliser le CO2 atmosphérique (fig. 1B). D’importants investissement dans la recherche s’imposent dès maintenant pour qu’on puisse disposer de cette technologie à temps. Sources d’énergie renouvelables Les sources d’énergie renouvelable sont nombreuses et diverses : biomasse, énergie héliothermique, énergie solaire photovoltaïque, énergie éolienne, hydroélectricité, énergie thermique des mers, énergie géothermique, énergie marémotrice (36). En excluant le bois de chauffage et l’hydroélectricité (proches de la saturation), ces sources totalisent moins de 1 % de l’énergie mondiale. Toutes les sources d’énergie renouvelables comportent une faible densité de puissance aréale. Les plantations pour la production de biomasse peuvent produire des combustibles à bilan de carbone neutre destinés aux centrales électriques ou au transport, mais la 6 photosynthèse a une densité de puissance trop faible (~ 0,6 W m-2) pour que les biocombustibles puissent contribuer dans une large mesure à la stabilisation du climat (14, 37)). (La production de 10 TW à partir de biomasse requiert l’utilisation de plus de 10 % des terres émergées, ce qui est comparable à la superficie totale utilisée à des fins agricoles par l’homme). L’énergie photovoltaïque et l’énergie éolienne (~ 15 We m-2) nécessitent une moins grande superficie, mais le matériel requis peut limiter leur exploitation. Pour l’énergie solaire, la consommation d’énergie des États-Unis pourrait nécessiter une batterie solaire couvrant un carré de ~ 160 km de côté (26 000 km2) (38). L’équivalent en électricité de 10 TW (3,3 TWe) requiert une batterie de ~ 470 km de côté (220 000 km2). Cependant, toutes les photopiles utilisées entre 1982 et 1998 n’auraient occupé qu’une surface de ~ 3 km2 (39). Une énorme (quoique surmontable) mise à l’échelle est donc requise pour obtenir l’équivalent de 10 à 30 TW. Des panneaux photovoltaïques et des éoliennes plus rentables devraient être mis au point, car la production de masse engendrera des économies d’échelle. Mais les sources d’énergie renouvelables sont des sources intermittentes dispersées qui ne peuvent alimenter une centrale de base en l’absence d’infrastructures de transmission, de stockage et de conditionnement de puissance. L’énergie éolienne est souvent produite uniquement dans des régions éloignées ou en mer. Pour répondre aujourd’hui à la demande locale avec des batteries solaires, il faudrait disposer de systèmes auxiliaires électriques à batteries ou à réserve pompée, d’une capacité comparable ou supérieure (40). L’infrastructure d’« équilibre du système » pourrait passer du gaz naturel aux piles à combustible si le H2 provenant du reformeur est remplacé par du H2 issu de l’électrolyse photovoltaïque ou éolienne (fig. 2A). L’électrolyseur réversible et les piles à combustible offrent une intensité (et une puissance) plus élevée par surface d’électrode que les batteries, ~ 20 kWe m-2 pour les cellules de la membrane échangeuse de protons (MEP) (21). Les cellules de la MEP ont besoin de catalyseur platine, > 5 x 10-3 kg Pt m-2 (41) (obtenir 10 TW d’hydrogène pourrait nécessiter 30 fois la production annuelle mondiale actuelle de platine). Les réseaux électriques perfectionnés pourraient également favoriser la diffusion des énergies renouvelables. Même si la cadence de fabrication de turbines solaires et d’éoliennes augmente pour suivre la demande, les réseaux en place ne pourraient supporter les charges. Il faudrait restructurer les actuels réseaux de type « centrales avec lignes de distributions directes », qui ont été conçus en fonction justement de la proximité des centrales et des usagers. Quand on parle de l’alimentation mondiale en électricité, on pense au réseau mondial imaginé par Buckminster Fuller (fig. 2B). Avant même la découverte de la supraconductivité à haute température (42), Fuller avait imaginé le transit de l’électricité selon les fuseaux horaires, et entre les pôles (43). La déréglementation mondiale et le libre-échange de l’électricité pourraient faire en sorte qu’on parvienne à équilibrer l’offre et la demande, ce qui permettrait d’établir un prix du marché mondial pour l’électricité fournie par le réseau électrique. L’énergie héliospatiale (EHS) (fig. 3, A et B) exploite les caractéristiques exceptionnelles de l’espace pour fournir de l’énergie à la Terre (44, 45). Le flux solaire est ~8 fois plus élevé dans l’espace que la moyenne à long terme à la surface de notre globe nuageux qui tourne sur luimême. Si on parvient à obtenir le rendement théorique pour la transmission hertzienne (50 à 60 %), on pourrait disposer de 75 à 100 We à la surface de la terre par m2 de batterie solaire dans l’espace, soit ≤ ¼ de la superficie des batteries solaires au sol d’une puissance comparable. Dans les années 1970, la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et le département de l’Énergie des États-Unis (DOE) ont étudié un concept EHS faisant appel à une batterie solaire de la taille de Manhattan en orbite géostationnaire [35 800 km au-dessus de l’équateur], qui 7 transmettrait l’énergie à une antenne redresseuse de 10 km sur 13 km ayant une puissance de 5 GWe. [10 équivalents TW (3,3 TWe) requièrent 660 unités EHS.] D’autres architectures, s’appuyant sur des satellites plus petits et des technologies plus récentes, ont été étudiées dans le cadre de la « Fresh Look Study » de la NASA (46). Au nombre des autres emplacements, mentionnons des constellations de satellites à une altitude de 200 à 10 000 km (47), la Lune (48, 49) et le point extérieur de Lagrange L2 du système Terre-Soleil [un des cinq points de libration en corotation avec le système Terre-Soleil (fig. 3C)] (50). La proposition de l’Institut des sciences spatiales et aéronautiques du Japon, préconisant la transmission d’énergie solaire aux pays en développement sis de part et d’autre de l’équateur à partir d’un satellite en orbite équatoriale basse, pourrait grandement contribuer à la réduction des émissions de CO2 (51). La Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Indonésie, l’Équateur et la Colombie, sur la côte du Pacifique, ainsi que la Malaisie, le Brésil, la Tanzanie et les Maldives ont accepté de participer à ces expériences (52). Il faudra réduire les coûts élevés du lancement, ou les faire acquitter par d’autres pays, ce qui s’avérera un gros problème. Si on fait des investissements adéquats dans la recherche sur l’EHS, cette forme d’énergie pourrait peut-être faire ses preuves dans 15 à 20 ans et offrir de l’électricité sur les marchés mondiaux d’ici la deuxième moitié du siècle (53, 54). Fission et fusion Aujourd’hui, l’énergie nucléaire repose sur l’uranium 235. Si l’on bombarde l’uranium naturel avec des neutrons ayant une énergie de quelques eV, on en brise le noyau, qui libère quelques centaines de millions d’eV (n + 235U → produits de la fission + 2,43 n + 202 MeV) (55). L’isotope 235U, qui constitue 0,72 % de l’uranium naturel, est souvent enrichi à 2 ou 3 % pour la fabrication des barres de combustible utilisées dans les réacteurs. Il existe environ 500 centrales nucléaires, construites selon diverses techniques : les réacteurs thermiques fonctionnant à l’uranium 235 (56, 57) : le réacteur à eau ordinaire [(LWR), utilisant soit l’eau pressurisée, soit l’eau bouillante]; le réacteur à eau lourde (CANDU); le réacteur modéré au graphite et refroidi à l’eau (RBMK), comme ceux de Tchernobyl; et le réacteur au graphite refroidi au gaz. Les réacteurs LWR (85 % des réacteurs d’aujourd’hui) s’inspirent fortement du réacteur sous-marin refroidi à l’eau de Hyman Rickover (58). Les accidents de perte de réfrigérant [comme à Three Mile Island et Tchernobyl] pourraient être évités à l’avenir grâce à des réacteurs « passivement sûrs » (fig. 4A). Si la technologie des réacteurs disponible permet de produire de l’électricité sans dégager d’émissions de CO2, elle pose cependant des problèmes bien connus, soit l’élimination des déchets et la prolifération des armes. Le principal problème que présente la fission pour ce qui est de la stabilisation du climat a trait au combustible. Sailor et coll. (58) proposent un scénario où les réacteurs à l’uranium 235 produiraient 10 TW d’ici 2050. Dans combien de temps ces réacteurs seront-ils à court de combustible? Selon les estimations actuelles, les réserves prouvées et les ressources ultimes d’uranium s’élèvent à 3,4 et 17 millions de tonnes métriques, respectivement (22). [On considère que le minerai contenant entre 500 et 2 000 parties par million en poids est exploitable (59).] Ceci représente de 60 à 300 TW d’énergie primaire/an (60). Si la consommation s’élève à 10 TW, ces ressources ne dureraient que de 6 à 30 ans, ce qui ne pourrait guère constituer la base d’une politique énergétique. On sous-estime peut-être les réserves d’uranium exploitables. Quoi qu’il en soit, compte tenu du fait que les réacteurs ont une durée de vie de 30 à 40 ans, il serait imprudent (dans l’hypothèse la plus optimiste) d’amorcer une mise à l’échelle de la fission sans savoir si on disposera d’assez de combustible. Qu’en est-il des mers? Les chercheurs japonais ont extrait de 8 l’eau de mer de l’uranium dissous avec des absorbants organiques (61). Les océans renferment 3,2 x 10-6 kg d’uranium dissous m-3 (62), soit une densité d’énergie d’uranium 235 de 1,8 MJ par m-3. En multipliant ce chiffre par l’énorme volume des océans (1,37 x 1018 m-3), on obtient 4,4 milliards de tonnes métriques d’uranium et 80 000 TW/an d’uranium 235. Le courant de tous les fleuves et rivières du monde se jetant dans la mer s’élève à 1,2 x 106 m3 s-1 (63). Même si on parvenait à extraire tout l’uranium 235, il faudrait disposer de cinq fois ce débit pour fabriquer les combustibles des réacteurs au rythme de 10 TW (64). Il ne sera peut-être pas impossible de produire 10 TW d’énergie primaire à partir d’uranium 235 extrait des minerais de la croûte terrestre ou de l’eau de mer, mais cela nécessiterait de gros efforts. Malgré les énormes obstacles, la source d’énergie nucléaire à long terme la plus prometteuse demeure la fusion (65). On a réalisé des progrès soutenus vers la rentabilité du confinement magnétique dans le tokamak (une chambre torique quasi-vide) [Q ≡ (énergie des particules chargées ou des neutrons produits)/(intrant énergétique pour chauffer le plasma) 1] (fig. 4B). On s’est surtout penché sur la réaction deutérium-tritium (D-T) (→ 4He + n + 17,7 MeV). Pour assurer la rentabilité, il faudrait que le triple produit du plasma satisfasse le critère de Lawson : n x τ x kT ≈ 1 x 1021 m-3 s keV pour la réaction D-T, où n est la densité de particule, τ la durée du confinement , T la température et k la constante de Boltzmann (66, 67). Les meilleurs résultats de Princeton (Tokamak Fusion Test Reactor) et de l’Europe (Tore européen commun) ne dépassent pas un facteur de deux (68). Des valeurs Q plus élevées sont requises pour les réacteurs de puissance. Les neutrons qui traversent la « première paroi » seraient absorbés par le lithium en fusion, et l’excès de chaleur serait transféré aux turbogénérateurs. Le tritium (période radioactive de 12,3 ans) serait également généré dans la couverture tritigène (n + 6Li → 4He + T + 4,8 MeV). L’abondance de deutérium dans la mer est quasi illimitée, qu’on veuille l’utiliser dans la réaction D-T ou dans les réactions D-D plus difficiles à obtenir (→ 3He + n + 3,2 MeV et → T + p + 4,0 MeV). Si on pouvait exploiter des réacteurs D-T, le lithium transformé en T pourrait produire 16 000 TW/an (69), soit deux fois l’énergie thermique produite à partir des combustibles fossiles. La réaction D-3He (→ 4He + p + 18,3 MeV) est intéressante, car elle produit des particules chargées directement utilisables pour produire de l'électricité (70). Si l’on en croit les études sur les modes de combustion D-3He et D-D dans des cibles de la fusion à confinement inertiel, les igniteurs centraux D-T peuvent provoquer ces réactions. La National Ignition Facility pourrait parvenir à enflammer des cibles inertielles alimentées au D-T et obtenir des gains énergétiques de Q ≥ 10 au cours des dix prochaines années. Des expériences sont en cours pour tester un confinement dipolaire par un aimant supraconducteur en lévitation dans une chambre à vide (71), un prototype éventuel de réacteur D-3He. Par ailleurs, le 3 He est peu abondant sur Terre, mais son exploitation sur la Lune pourrait un jour s’avérer rentable (72). Et il est encore plus abondant dans l’atmosphère des planètes géantes gazeuses (73). Le D de l’eau de mer et le 3He de planètes éloignées pourraient alimenter en énergie la civilisation plus longtemps que toute autre source, hormis le Soleil. Mais sommes-nous vraiment près d’une utilisation rentable de la fusion? Pour avoir une production nette d’énergie, il nous faut des dispositifs d’une plus grande taille ou des champs magnétiques d’une plus grande intensité. Jusqu’à récemment, les tenants de la fusion faisaient la promotion du Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) pour tester la faisabilité technique de diverses options. L’enthousiasme à l’égard d’ITER a fléchi, car on n’était pas certain de recueillir les quelque 10 milliards de dollars requis pour sa construction. Les États9 Unis ont arrêté de commanditer ITER en 1998, mais les scientifiques américains spécialistes de la fusion sont à nouveau désireux de réaliser une expérience de moindre envergure, avec des champs plus intenses, sans supraconducteur, ou encore de participer de nouveau à une expérience de physique avec un ITER repensé, réduite de moitié. Une « expérience de plasma à très haute température » pourrait produire une énergie nette de fusion à une échelle abordable et permettre l’étude détaillée du plasma confiné durant l’autochauffage par les particules alpha chaudes. En vertu de la Fusion Energy Sciences Act des États-Unis, le DOE est tenu d’élaborer un plan pour que les États-Unis mettent au point une expérience de plasma à très haute température de fusion magnétique afin de permettre aux scientifiques de mieux comprendre les plasmas de fusion (74). Cette expérience s’avère une étape critique pour la production pratique d’énergie par fusion. Si l’on pouvait démontrer qu’un réacteur de fusion auto-entretenu produit une quantité nette d’énergie, il s’agirait d’une percée d’une énorme importance, mais on ne peut compter sur cette technologie pour stabiliser les émissions de CO2 avant la moitié du siècle. Pour conclure notre analyse de l’uranium 235, disons que des réacteurs surgénérateurs sont requis si l’on veut que la fission réduise grandement les émissions de CO2 d’ici 2050. Des technologies novatrices de surgénérateurs comprennent des réacteurs hybrides fusion-fission et accélérateurfission. Le plutonium 239 fissile et l’uranium 233 peuvent être obtenus à partir d’uranium 238 et de thorium 232 (75). La surgénération commerciale est illégale aujourd’hui aux États-Unis en raison des préoccupations relatives aux déchets et à la prolifération (la France, l’Allemagne et le Japon ont également abandonné leurs programmes de surgénération). La surgénération pourrait être plus acceptable moyennant des cycles de combustible plus sûrs et la transmutation de déchets hautement radioactifs en produits inoffensifs (76). Le thorium est la matière de base la plus désirable. Il est trois fois plus abondant que l’uranium et, de plus, l’uranium 233 est plus difficile à séparer et à détourner à des fins militaires que le plutonium. Pour accélérer la surgénération d’uranium 233, on propose d’utiliser des réacteurs hybrides fusion-fission s’inspirant du tokamak (68,77). La fusion D-T produit des particules alpha de 3,4 MeV et des neutrons de 14 MeV. Les neutrons seraient utilisés pour produire de l’uranium 233 à partir du thorium dans la couverture de fusion. Chaque neutron issu de la fusion produirait environ un atome d’uranium 233 et un atome de T. Comme l’uranium 235, l’uranium 233 produit environ 200 MeV à la fission. La fission produit beaucoup d’énergie et peu de neutrons, tandis que la fusion produit peu d’énergie et beaucoup de neutrons. Un simple surgénérateur de fusion pourrait peut-être alimenter 10 brûleurs satellites, tandis qu’un surgénérateur de fission en alimenterait peut-être un. Le surgénérateur hybride fission-accélérateur de particules repose sur un concept connexe (56) : 30 neutrons de 3 MeV sont produits par chaque proton de 1 000 MeV accéléré dans du plomb en fusion. Au moment de leur injection dans un réacteur nucléaire sous-critique, ils pourraient suffisamment accroître la réactivité pour produire de l’uranium 233 à partir de thorium, générer de l’électricité et alimenter efficacement le réacteur (~ 10 % de la production). La radiotoxicité des réacteurs surgénérateurs hybrides devrait, au fil du temps, être moins élevée que celle des réacteur LWR. Ces idées semblent suffisamment importantes pour qu’on poursuive les expériences, mais la fission et la fusion sont peu susceptibles de jouer un rôle important dans la stabilisation du climat si l’on ne mène pas de recherche poussée et, dans le cas de la fission, si l’on ne règle pas les problèmes non résolus que sont l’évacuation des déchets hautement radioactifs et la prolifération des armes nucléaires. 10 Géogénie On ne peut parler de la lutte contre le réchauffement climatique sans évoquer le « géogénie » (78, 79), qu’on appelle également « génie climatique » ou « génie planétaire » sur Terre, voire « terraformage » dans le cas des autres planètes (80). Dans le contexte du changement climatique, le géogénie désigne principalement la modification du bilan radiatif planétaire qui influe sur le climat. Il emploie diverses technologies pour neutraliser le réchauffement planétaire fortuit attribuable au CO2 issu de la combustion de combustibles fossiles et d’autres gaz à effet de serre. Au départ, on avait pensé injecter des couches d’aérosol sulfaté réflectif dans la haute atmosphère pour contrer le réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre (81). Parmi les divers scénarios proposés pour bloquer les rayons du Soleil, mentionnons l’injection de poussières submicrométriques dans la stratosphère au moyen d’obus tirés par des canons de la marine, l’accroissement de la couche de nuages par l’ensemencement, et la formation d’ombres sur la Terre par des objets lancés dans l’espace (82). Plus ambitieux encore est le scénario qui prévoit de placer au point de Lagrange L1 (83) du système Terre-Soleil (84) un miroir d’un diamètre de 2 000 km fait de verre d’une épaisseur de 10 µm fabriqué avec des matériaux provenant de la Lune (fig. 3C). La surface du miroir, qui ressemblerait à une tache solaire permanente, ferait dévier 2 % du flux solaire et compenserait approximativement le forçage radioactif dû au doublement des émissions de CO2. Selon les essais du modèle climatique, le modèle climatique spatial ressemblerait à celui qui est caractérisé par l’absence de dégagement de CO2 par les combustibles fossiles (84). On a également proposé de remanier les propriétés optiques des aérosols injectés dans la stratosphère pour produire divers effets climatiques (85). Selon notre évaluation, la stabilisation de l’effet de serre dû aux combustibles fossiles par la transformation des technologies énergétiques se heurte à des défis de taille. La simple prudence veut que l’on poursuive la recherche en géogénie pour parer aux éventualités, par exemple si les incidences du réchauffement planétaire sont pires que prévu et que d’autres mesures échouent ou s’avèrent trop onéreuses. Il va de soi que les interventions géophysiques à grande échelle sont risquées en soi et doivent être envisagées avec prudence. Conclusions Même si on ne peut nier l’existence du réchauffement planétaire, la dépendance de la civilisation à l’égard de l’oxydation du charbon, du pétrole et du gaz pour la production d’énergie rend difficile toute intervention adéquate. Le fossé entre ce qui est requis et ce qui peut être fait sans grands compromis risque de se creuser avec d’une part l’expansion de l’économie mondiale, et d’autre part la nécessité de réduire davantage la consommation d’énergie qui dégage du CO2 par rapport à la demande croissante totale d’énergie. L’énergie est essentielle à la prospérité et à la justice mondiales. Si la Terre continue à se réchauffer, les gens se tourneront peut-être vers des technologies de pointe pour trouver des solutions. La lutte contre le réchauffement planétaire par la restructuration radicale du système d’énergie mondial pourrait s’avérer le défi technologique du siècle. Nous avons recensé ici plusieurs technologies prometteuses, certaines s’écartant tout à fait de notre système actuel d’exploitation des combustibles fossiles. Nombre de concepts échoueront, et il faudra faire preuve de leadership pour garder le cap. La stabilisation du climat n’est pas chose facile. À tout le moins, elle requiert une volonté politique, des efforts ciblés en recherche-développement et la coopération internationale. Par-dessus tout, on doit reconnaître 11 que même si la réglementation peut jouer un rôle, l’effet de serre dû aux combustibles fossiles est un problème énergétique que la réglementation ne permet pas de résoudre à elle seule. Références et notes 1. S. Arrhenius. Phila. Mag. 41, 237, 1896. 2. J. R. McNeill. 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L’énergie dans les combustibles fossiles récupérables (« réserves » plus « ressources » de sources conventionnelles et non conventionnelles) est ~4 800 TW/an pour le charbon et de ~1 200 TW/an respectivement pour le pétrole et le gaz [converti à partir des valeurs en (22); 1 milliard de tonnes métriques équivalent pétrole = 44,8 EJ = 1,42 TW/an; le gaz naturel comprend les liquides mais ne comprend pas les hydrates de méthane]. La quantité d’énergie totale dans les combustibles fossiles récupérables varie de 6 400 à 8 000 TW/an, les deux tiers étant du charbon. Les ressources en charbon pourraient pratiquement doubler si l’on pouvait extraire de façon rentable l’énergie des schistes. 24. J. P. Holdren et coll. Federal Energy Research and Development for the Challenges of the Twenty-First Century, President’s Committee of Advisors on Science and Technology [PCAST], Washington, DC, 1997; consulter le site Web à www.ostp.gov/Energy/index.html. 12 25. D. Reichle et coll. 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Le débit d’une hypothétique usine d’extraction de l’eau de mer pour la production de combustible 235U à 10 TW est de 10 TW x 1,37 x 1018 m3 / 8 x 104 TW-an x 1 an / 3,15 x 107 s = 5,4 x 106 m3s–1. 65. T. K. Fowler. The Fusion Quest, Johns Hopkins, Baltimore, MD, 1997. 66. J. D. Lawson. Proc. Phys. Soc. London B, 70, 6, 1957. 67. G. H. Miley. Fusion Energy Conversion, American Nuclear Society, LaGrange Park, IL, 1976. 68. W. Manheimer. Fusion Technol, 36, 1, 1999. 69. L. M. Lidsky, dans Energy Technology Handbook, D. M. Considine, Ed., McGraw-Hill, New York, 1977, p. 5–134. 70. G. L. Kulcinski, J. F. Santarius. Nature, 396, 724, 1998. 71. J. Kesner, L. Bromberg, M. Mauel, D. Garnier, J. M. Dawson. The Dipole Fusion Confinement Concept: A White Paper for the Fusion Community, MIT Plasma Science and Fusion Center, Cambridge, MA, 1998; on peut le consulter à www.psfc.mit.edu/ldx/pubs/dipole_ wp.pdf. 72. L. J. Wittenberg, J. F. Santarius, G. L. Kulcinski. Fusion Technol, 10, 167, 1987. 73. 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Wood, R. Hyde. Global Warming and Ice Ages: Prospects for Physics-Based Modulation of Global Change, Rapport UCRL-231636/UCRL JC 128715, Lawrence Livermore National Laboratory, Livermore, CA, 1997. Nous remercions D. Harvey, J. Katzenberger, M. MacCracken, G. Marland, J. Palfreman, V. Smil et P. Werbos pour leurs discussions constructives. K.C, H.H. et A.K.J. remercient l’Office of Biological and Environmental Research du DOE pour le soutien qu’il leur a prêté dans le cadre de ce travail. 15 Fig. 1. (A) Électricité produite à partir de combustibles fossiles, au moyen du cycle de la vapeur. (B) La récupération de CO2 des centrales thermiques et le captage atmosphérique, suivi d’un piégeage souterrain en milieu océanique et/ou sous forme solide dans du carbonate, pourrait favoriser la production d’électricité sans émission et d’hydrogène, mais on doit traiter et piéger des quantités considérables (de 5 à 10 GtC an–1 pour produire 10 TW sans émission, en prévoyant des pertes d’énergie de l’ordre de 10 à 25 %). A. Chaudière haute pression Vapeur Génératrice Électricité produite Alimentation en combustibles fossiles Air (O2) Turbine à vapeur Émission de CO2 par la cheminée Condensat d’eau vers la tour de refroidissement, un cours d’eau froid et/ou la cogénération Ou émission de CO2 piégé Pompe Condensateur Retour d’eau froide B. Combustible fossile Gaz Pétrole Charbon Contenu énergétique (TW-année) 1 200 1 200 4 800 Contenu en carbone [GTC] 570 750 3 690 (Ecomb/C) (TWannée/GtC) 2,1 1,6 1,3 (E/C) (TWannée/GtC) 1,9 – 1,6 1,4 – 1,2 1,2 – 1,0 Taux de piégeage [GtC/année] 5–6 7-8 9 – 10 Biomasse combustible Centrale électrique Électricité et H2 Taux de piégeage de carbone pour produire 10 TW sans émission de CO2 à partir de combustibles fossiles Fig. 2. (A) Les batteries solaires et les éoliennes produites en série et réparties sur une grande superficie qui produisent de l’hydrogène électrolytique ou de l’électricité pourraient un jour produire entre 10 et 30 TW sans émission. (B) Le réseau mondial proposé par R. Buckminster Fuller doté d’une gestion moderne informatisée de la puissance appelée et de câbles supraconducteurs à haute température (SCHT) assurerait le transport de l’électricité des zones de jour aux zones de nuit et favoriserait la distribution avec faibles pertes à partir de sources d’énergie éloignées, épisodiques ou dangereuses. (La résistivité des câbles SCHT disparaît sous le point d’ébullition de 77 K de l’azote, que l’on peut tirer de l’air.) A. Parcs d’éoliennes 16 Batteries solaires H2O O2 Électrolyseur Électricité renouvelable et hydrogène H2 Conditionnement de l’électricité Vers les hydrogénoducs et le stockage Vers le réseau électrique supraconducteur N2 (liquide) N2 (gazeux) Refroidisseur d’azote liquide B. Icosaèdre : solide dont les faces sont des triangles équilatéraux – cette configuration réduit les erreurs de projection cartographique Antarctique Amérique du Sud Amérique du Nord Europe Asie Afrique Réseau électrique mondial de Buckminster Fuller Fig. 3. Captage et contrôle de l’énergie solaire dans l’espace. (A) Le satellite-relais d’alimentation, le satellite solaire et le système d’énergie lunaire exploitent tous les caractéristiques exceptionnelles de l’espace (flux solaire élevé, visibilité rectiligne, matériaux lunaires, faible attraction gravitationnelle sur la Lune) (B) Un satellite solaire en orbite basse terrestre serait plus petit et meilleur marché qu’un satellite en orbite géostationnaire, car son faisceau n’est pas autant étalé, mais il ne semble pas fixe dans le ciel et présente un court cycle d’utilisation (qui est la fraction du temps que l’énergie est transmise à un endroit donné à la surface de la Terre). (C) Le géogénie spatial. Le point intérieur de Lagrange L1 permet au forçage radiatif de contrer le réchauffement planétaire. Un « parasol » d’un diamètre de 2 000 km près du point L1 pourrait faire dévier 2 % du rayonnement solaire incident, comme le pourraient d’ailleurs les aérosols aux propriétés optiques modifiées que l’on injecterait dans la stratosphère. A. Transmission de l’énergie d’un point à un autre Source d’énergie Réflecteur hyperfréquences en orbite Consommateur d’énergie Soleil Fabriqué entièrement de matériaux terrestres Ou Fabriqué partiellement ou principalement de matériaux lunaires Production d’énergie en orbite, transmission vers la Terre par hyperfréquences Production d’énergie sur la Lune, transmission vers la Terre par hyperfréquences Fabriqué principalement de matériaux lunaires Batteries solaires en orbite dotées d’émetteurs hyperfréquences Réflecteurs hyperfréquences en orbite terrestre Batteries solaires sur la Lune 17 Réflecteurs solaires en orbite lunaire Soleil B. Satellite solaire Batteries solaires orbitales, dirigées vers le Soleil Antenne de transmission à réseau phasé Vers le réseau et les consommateurs locaux d’énergie Dt Faisceau hyperfréquences Faisceau pilote Régulation de l’énergie Sortie c.c. Dr Antenne redresseuse C. Lentille de Fresnel d’une épaisseur de 10 µm près de L1 2 % du rayonnement solaire dévié de la Terre 1 AU ≈ 150 x 106 km Points de Lagrange Terre-Soleil SOLEIL Écran « parasol » ou lentille L1 ~ 0,01 AU TERRE L2 Dispersion par les aérosols dans l’atmosphère Fig. 4. (A) Le LWR classique emploie de l’eau comme réfrigérant et comme caloporteur (à gauche). En principe, le réacteur modulaire à fission nucléaire refroidi à l’hélium, modéré au graphite et à lit de boulets, est à l’abri de la fonte du cœur causée par la perte de réfrigérant comme ce fut le cas à Three Miles Island et à Tchernobyl (à droite). (B) L’avenue la plus prometteuse pour la fusion consiste à confiner un plasma D-T (en mauve) par un champ magnétique complexe, dans un tokamak. On parvient à la rentabilité lors que le triple produit du plasma (densité de particules n x temps de confinement x température) atteint une valeur critique. Grâce à l’augmentation récente du rendement des tokamaks, on a presque atteint la rentabilité [sources de données dans (68)]. Nous recommandons que des travaux expérimentaux soient faits sur les cycles avancés du combustible de fusion et des modes plus simples de confinement magnétique, comme l’expérience de lévitation dipolaire illustrée ici. A. Réacteur à fission nucléaire classique Barres de contrôle et combustible Modérateur Enceinte de confinement Générateur de vapeur Vapeur Turbine Générateur Eau de refroidissement Condensateur 18 Réacteur modulaire à fission nucléaire et à lit de boulets Boulets combustibles Chemisage et boulets de graphite Cœur Enceinte de confinement Hélium Turbine Générateur Récupérateur Eau de refroidissement B. Bobinage du transformateur (circuit primaire) Champ magnétique hélicoïde postérieur Confinement magnétique du tokamak Noyau en fer du transformateur Bobines du champ toroïdal Champ magnétique poloïdal Champ magnétique toroïdal Bobine de lévitation Anneau supraconducteur en lévitation Chargement et cryogénie Bobines de Helmholtz Confinement par dipôle magnétique en lévitation Données sur le rendement du tokamak Rentabilité Triple produit de la fusion Puissance fournie Neutrons s-1 Taux de production de neutrons D-T Année de réalisation 19