Tour du monde. Le syndrome de Pâques

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Tour du monde. Le syndrome de Pâques
REPORTAGE
Tour du monde.
Le syndrome de Pâques
Le Télégramme
Peu d’habitants de l’île de Pâques en ont conscience, mais
leur histoire pourrait servir d’avertissement à l’humanité
entière : à force de surexploiter ses ressources naturelles,
le peuple de Râpa Nui (1) disparaissait lorsque les Hollandais ont découvert l’île. David Cormier, notre journaliste
globe-trotter y a, lui aussi, fait escale.
Paris
Île de Pâques
(Chili)
Amérique
Océan
Atlantique
Océan
Pacifique
Australie
Océan
Indien
En direct du Pacifique
Le premier matin, je me serais cru
à Belle-Ile-en-Mer. Une côte de
rochers sombres, découpée. Une
bonne averse, puis le soleil. Des
chevaux. Des tentes face à l’océan
avec des campeurs qui parlent français… Je me disais juste que les
menhirs doivent avoir une drôle de
tête sur l’île de Pâques, au cœur
du Pacifique-sud.
Un moaï à l’endroit
un moaï à l’envers
Pâques est hérissée de quelque
900 statues, les moaïs, qui confèrent à l’endroit son statut de
mythe. Debout, penchées, couchées, certaines même cassées.
Orientées vers l’océan ou lui tournant le dos, sur la plage ou dans le
cratère d’un volcan. Un moaï a l’endroit, un moaï a l’envers : on se
retrouve, de fil en aiguille, devant
un inextricable tricot. Tirons sur la
pelote.
Le peuple de Râpa Nui vivait surtout de la pêche au large, nécessitant beaucoup de bois pour
construire les bateaux. Il érigeait
des statues de basalte monumentales (seules ou alignées sur des plates-formes, souvent de cinq à 10
mètres
de
haut,
jusqu’à
20 mètres !) qu’il transportait des
carrières aux sites jugés appropriés. Soit plusieurs kilomètres de
distance. Une œuvre d’une rare
ampleur. Un exploit encore difficile
à concevoir mais qui a dû nécessiter des forêts de rondins… Sans
oublier la construction des maisons.
Des ressources
qui s’épuisent
Vers le XVIe siècle, alors que la
population culminait à 10.000
âmes, le bois s’est fait rare sur
l’île. Les animaux aussi par conséquent. L’érosion a eu le champ
libre pour accélérer le processus de
désertification.
L’homme a commencé par manquer de nourriture. Plus de bois
non plus pour aller pêcher loin ou,
mieux, fuir ce piège. Et puis fuir
où ? Pas une terre habitable a
moins de 3.000 kilomètres ou
presque… L’île de Pâques est sans
doute l’endroit au monde le plus
isolé géographiquement.
Trop d’œufs dans le même panier
Alors, il a fallu apprendre à tout
gérer au plus serré. Pas suffisant.
Le cannibalisme est apparu : le
début de la fin. La civilisation pascuane, au début du XVIIIe siècle,
était en voie rapide d’extinction.
Pas bien malins, dites-vous ? Mais
n’est-ce pas ce que nous faisons ?
Consommer de plus en plus vite
les ressources épuisables de notre
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Asie
Afrique
planète ?
Le pétrole, par exemple, moteur ou plutôt carburant - de notre
développement économique ; de
plus en plus d’experts prévoient
une production trop faible par rapport à la demande d’ici à une dizaine d’années, soit bien avant l’épuisement des réserves. Nous préparons-nous réellement à nous en
passer ? Et l’eau, à l’économiser ? Ne mettons-nous pas, comme sur Pâques, trop d’œufs dans
le même panier ? À combien d’années lumières sommes-nous de la
première planète susceptible de
nous accueillir ? Scénario catastrophe, parallèle inquiétant (2).
L’occident s’inquiète
Le pire, bien entendu, n’est jamais
sûr et tous les scientifiques ne s’accordent pas sur le sujet. Mais plusieurs puissances, occidentales
notamment, dont la France, se penchent de plus en plus sur notre avenir énergétique, notre avenir tout
court. L’histoire de Pâques est trop
lointaine dans le temps, surtout
trop mystérieuse encore (diverses
théories s’affrontent ou se complètent pour expliquer son désastre)
pour vraiment servir de référence.
Alors on étudie les pays sous
embargo. Comment a évolué Cuba
depuis que la défunte URSS a coupé le robinet à matières premières ? Trouve-t-elle des substituts
rentables ? Le pays s’en sort-il ?
Pas évident…
Les statues à terre
Les Pascuans, eux, ont cherché
une réponse religieuse. On s’est
aperçu que beaucoup de moaïs
ont été construits peu de temps
avant l’arrivée du marin hollandais
Jakob Roggeveen, en avril 1722,
le dimanche de Pâques. Que beaucoup aussi sont restés inachevés
dans les carrières. D’aucuns attribuent cette frénésie puis cette rupture brutale à une longue sécheresse. Les habitants auraient d’abord
voulu prier de plus en plus leurs
dieux avant de renoncer devant le
peu d’effet constaté sur la pluie.
Dépités, ils ont même renversé
nombre de colosses. Certains ont,
bien plus tard, été redressés. Leur
classement par l’Unesco comme
patrimoine de l’humanité en 1995
devrait enfin leur assurer la paix.
Ils posent, quoi qu’il en soit, impassibles.
La population augmente
Aujourd’hui, après maintes épreuves, surtout au XIXe siècle (maladies apportées par les Européens,
déportations massives pour l’esclavage au Pérou, luttes intestines,
l Symboles de l’île de Pâques, les quelque 900 statues - les moaïs - disséminées sur tout le territorie. Impassibles, elles ont vu passer les époques, les crises
et les habitants. Leur origine reste un mythe, elles ont été classées au patrimoine de l’humanité par l’Unesco en 1995. (Photo D.C.)
émigrations ont fait baisser la
population à 110 vers 1880), le
nombre d’habitants remonte en flèche. De 2.000 il y a vingt ans, il a
doublé depuis. La moitié sont des
Chiliens, l’autre des Polynésiens
d’origines diverses, y compris pascuanes. Ils vivent de la pêche, de
l’élevage, mais surtout du tourisme.
Pas de loi littorale
40.000 personnes chaque mois, un
chiffre en forte croissance chaque
année ! Pas mal de Français,
d’autres Européens, des Américains et de plus en plus de Japonais. Des complexes hôteliers sont
en projet très avancés sur la côte.
Le Télégramme • Dimanche 27 janvier 2008 • TOUTES
Ici, pas de loi littorale. On
construit facilement, au risque de
défigurer à terme le paysage. Tant
que cela ne tarit pas la ressource…
« Nous ne faisons pas de pub »,
confie Maria Gallois, à l’office de
tourisme. « Mais, avec les reportages à la télévision, par exemple,
de plus en plus de gens viennent
voir les statues. Tout le monde en
profite ici ». Et les habitants, ontils conscience que leur histoire
peut servir de contre-modèle écologique au monde entier ? Maria
parait découvrir l’idée : « Non. La
plupart ne quitteront jamais l’île.
Ils ne regardent pas trop
au-delà…».
Je n’oublierai pas, pour ma part,
ces levers et couchers de soleil sur
les moaïs. Notamment ces…
rayons verts (3). Pendant combien de temps ? Deux secondes.
Trop peu pour une photo. Comme
un symbole en ce lieu mystique.
Une lueur verte posée sur un soleil
rouge, comme pour dire que là,
peut-être, se trouve une leçon de
protection de la nature, de notre
avenir. Le vert de l’espoir, sans
aucun doute…
David Cormier
Beriault, « Le pic du pétrole et le destin de l’humanité », www.peakoilandhumanity.com. Il cite des
experts. Voir aussi le site de l’association
Agir
21 :
http://www.agir21.org
3. Le rayon vert peut apparaître
quelques secondes dans certaines
conditions, juste au-dessus du soleil
lorsqu’il finit de se coucher ou au
lever, par temps très clair.
1. Le nom de l’île en maori : « le
nombril du monde ».
2. Un parallèle alarmiste établi par
exemple par le Canadien Robert
Retrouvez le tour du monde
David Cormier sur son blog à
l’adresse suivante :
http://david707.vox.com/
Un tour du monde
à suivre au quotidien