Droit d`asile
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Bulletin d’information juridique Les articles signalés au présent bulletin n'engagent que leurs auteurs. Vous pourrez en trouver une copie dans la salle de documentation et au secrétariat du CEREDOC. Droit d’asile - France Cour Nationale du Droit d’asile 35 rue Cuvier 93558 Montreuil Cedex Tel. : 01 48 18 40 00 Internet : www.cnda.fr Dans ce numéro : Droit d’asile France 1 1 Jurisprudence 1 Doctrine 4 Europe et autres pays 6 Jurisprudence 6 Textes 19 Doctrine 19 Droit des étrangers France 20 20 Jurisprudence 20 Doctrine 21 Europe et autres pays 21 Jurisprudence 21 Doctrine 24 Jurisprudence Année 2014, N°1 « Droit d’asile » DECISIONS DU CONSEIL D’ETAT DETERMINATION DU PAYS DE NATIONALITE – SUBSIDIARITE DU CRITERE DE LA RESIDENCE HABITUELLE – NECESSITE DE RECHERCHER SI LE DEMANDEUR EST ELIGIBLE A UNE NATIONALITE. Le Conseil d’Etat fait grief à la Cour d’avoir estimé que l’Abkhazie pouvait être regardé comme le pays à l’égard duquel devait être examinés les risques invoqués par les requérants sans avoir recherché s’ils étaient éligibles à la nationalité géorgienne. CE 5 février 2014 OFPRA c. M. A. n° 363069 C CE 5 février 2014 OFPRA c. Mme A. épouse A. n° 363070 C CE 5 février 2014 OFPRA c. Mme S. veuve A. n° 363071 C L a Cour avait reconnu la qualité de réfugié aux trois requérants sur le fondement de craintes de persécutions de la part des autorités de l’Abkhazie du fait de soupçons de collaboration avec la Géorgie pesant sur deux d’entre eux et en raison, pour la dernière, de l’aide apportée au responsable d’une milice géorgienne. On rappelle qu’à l’issue de la guerre d’août 2008 les régions séparatistes géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, soutenues par la Russie, ont déclaré leur indépendance à l’égard de la Géorgie, indépendance reconnue par la Russie. L’Abkhazie n’a cependant aucune existence légale au sens du droit international et demeure partie intégrante du territoire géorgien internationalement reconnu. Il ressort par ailleurs des décisions sous pourvoi que les requérants étaient d’origine arménienne. Dans les deux premières décisions (OFPRA c. M. A. et OFPRA c. Mme A. épouse A.), le juge de cassation estime que la Cour a commis une erreur de droit pour avoir admis à la qualité de réfugiés les demandeurs sur le fondement de leurs craintes à l’égard des autorités de l’Abkhazie, leur lieu de résidence habituelle, sans rechercher si ces derniers étaient en droit d’acquérir la nationalité géorgienne en application de la loi du 25 mars 1993. Dans la troisième décision (OFPRA c. Mme S. veuve A.), la haute juridiction considère que le juge de l’asile a également commis une erreur de droit, pour avoir accordé le statut de réfugié après s’être fondé cette fois sur le passeport abkhaze obtenu par l’intéressée sans avoir là non plus examiné si cette dernière était en droit d’acquérir la nationalité géorgienne. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 2 DECISIONS DE LA COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE KOSOVO – VEUVE D’ORIGINE ALBANAISE – GARDE DES ENFANTS – DROIT COUTUMIER (KANUN) – GRAVITE DES AGISSEMENTS ALLEGUES – DIRECTIVE 2011/95/UE « QUALIFICATION »(1). La Grande formation de la Cour rappelle la nécessité de se prononcer sur la réalité de la crainte exprimée avant de déterminer si cette crainte se rattache à l’un des motifs de persécutions énoncés par la Convention de Genève. Après avoir constaté que la situation des veuves au Kosovo n’est plus problématique aujourd’hui s’agissant de la garde de leurs enfants, elle considère que les agissements invoqués par la requérante ne revêtent pas un degré de gravité tel qu’ils puissent être constitutifs d’actes de persécutions au sens de la directive 2011/95/UE. CNDA GF 31 janvier 2014 Mme H. veuve T. n° 12013217 R S aisie par une ressortissante du Kosovo, veuve d’origine albanaise, invoquant des craintes de perdre la garde de ses enfants en application du droit coutumier et d’être victime de violences physiques de la part de ses beaux-frères, et soutenant appartenir de ce fait à un certain groupe social, la Cour rappelle tout d’abord qu’il doit être établi que la personne sollicitant la qualité de réfugié est fondée à craindre qu’une persécution soit exercée sur sa personne, avant de déterminer si cette crainte a pour origine l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève. Elle se prononce ensuite sur la situation des femmes aux Kosovo. Il ressort des sources d’information géopolitique disponibles que la législation en vigueur au Kosovo est fondée sur l’égalité des sexes et la laïcité et que, si le code coutumier dit « kanun », remontant au XVème siècle, prévoyait que les veuves pouvaient demeurer dans la famille de leur époux défunt ou la quitter pour retourner dans leur propre famille, perdant alors la garde de leurs enfants, ce droit traditionnel est tombé en désuétude. Le recours à la justice dans les ‘(1) affaires de veuvage est fréquent et suivi d’effets et la garde des enfants n’est pas systématiquement accordée à la famille du père. Les cas de veuves perdant la garde de leurs enfants du fait de ces traditions demeurent très rares et confinés dans des zones rurales. Enfin, si les femmes au Kosovo sont confrontées à des difficultés d’affirmation sociale, aucun fait précis n’a pu être documenté concernant des discriminations auxquelles seraient confrontées des veuves au Kosovo en matière de garde d’enfants. La Cour considère, en l’espèce, que les déclarations vagues de l’intéressée, veuve depuis 2004, ne permettent pas de mettre en évidence des violations répétées de ses droits à mener une vie familiale avec ses enfants à un niveau de gravité tel qu'elles seraient qualifiables d’actes de persécutions tels que définis par l’article 9 de la directive 2011/95/UE. S’agissant des circonstances de son départ du domicile familial, elle relève le caractère confus et changeant des déclarations de la requérante et prend en considération le fait que ses beaux-frères n'ont ni tenté ni même été en mesure de s'opposer au départ des enfants avec leur mère. Ses craintes actuelles en cas de retour au Kosovo ne sont pas davantage considérées comme établies et il est relevé, au surplus, qu'au regard de la législation kossovienne sur la famille, elle dispose de la garde exclusive de ses enfants, ces derniers ayant atteint un âge leur permettant d'exprimer auprès de toute autorité compétente leur choix de ne pas être séparés de leur mère contre leur volonté. Enfin, aucun élément sérieux ne permet d'établir que la requérante serait exposée au Kosovo à de graves violences physiques en raison du conflit qui l'opposerait à ses beauxfrères ni que les autorités ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection. La Cour conclut que la requérante ne peut être regardée comme étant personnellement exposée, dans son pays d’origine, à des persécutions au sens de la Convention de Genève ou à des menaces graves au sens des dispositions régissant la protection subsidiaire. Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 3 PRINCIPE DE L’UNITE DE FAMILLE – APPLICABILITE AUX ASCENDANTS D’UNE MINEURE RECONNUE REFUGIEE EN RAISON D’UN RISQUE D’EXCISION (ABSENCE). A la suite de l’avis du Conseil d’Etat du 20 novembre 2013, la Cour considère que le principe de l’unité de famille, principe général du droit des réfugiés, ne peut être étendu aux parents d'une enfant ou d'une jeune fille mineure ayant obtenu le statut de réfugié en raison de risques de mutilations génitales féminines encourus dans son pays d’origine. CNDA GF 20 janvier 2014 M. F. et Mme D. épouse F. n° 12006532 et n°12006533 R C onfrontée à la situation des parents d’enfants reconnues réfugiées en raison d’un risque de mutilation génitale féminine (MGF), la Cour avait, pour la première fois, saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis en application de l’article L. 733-3 du CESEDA sur la question de savoir le principe de l’unité de famille impose que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui est père ou mère d’un enfant mineur à la date à laquelle cet enfant a été reconnu réfugié. A la suite de l’avis du Conseil d’Etat du 20 novembre 2013(2), la Grande formation de la Cour considère, d’une part, que le droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 3 et 9 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne donne pas aux parents d’un réfugié mineur droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Après avoir rappelé les fondements et les conditions d’application du principe de l’unité de famille(3), elle considère, d’autre part, que « [les principes généraux du droit applicables aux réfugiés] n’imposent pas que le statut de réfugié doive être accordé aux parents d’une réfugiée mineure qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants ou d’adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu’elle encourt personnellement, dès lors qu’ils ne sont pas exposés aux risques de persécution qui ont conduit à ce que le statut de réfugié soit accordé à leur enfant ». Elle conclut, en l’espèce, que la circonstance que l’enfant mineure des requérants s’est vu reconnaître le 4 avril 2013 la qualité de réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants ou d’adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu’elle encourt personnellement, si elle est établie et postérieure aux décisions de la Cour du 7 juillet 2011, ne constitue pas un élément nouveau susceptible de justifier le réexamen des demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié des requérants. PROCEDURE DEVANT LA CNDA – PREUVE – SITUATION SPECIFIQUE D’UN DEMANDEUR D’ASILE VULNERABLE – DIRECTIVE 2011/95/UE « QUALIFICATION ». La CNDA a pris en compte la situation spécifique d’un demandeur d’asile vulnérable pour examiner sa demande et lui reconnaître la qualité de réfugié. CNDA 23 décembre 2013 M. B. n° 12012350 C+ D ans cette affaire, la CNDA a considéré que le cas de l’intéressé, ressortissant rwandais, auquel elle a reconnu la qualité (2) de réfugié, relevait des termes du paragraphe 3 de l’article 20 de la directive 2011/95/UE qui prévoit que « les États membres tiennent compte de la si- tuation spécifique des personnes vulnérables telles que […] les personnes ayant des troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des CE Avis 20 novembre 2013 M. F. et Mme D. épouse F. n° 368676 A. « les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu’ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ainsi qu’aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France » (considérant 2 de l’avis F.). (3) Jurisprudence Année 2014, N°1 « Droit d’asile » 4 (Suite de la page 3) viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle ». La Cour, qui se réfère également à l’avis du HCR de mai 2012 relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes ayant des besoins particuliers de protection(4), a estimé, en l’espèce, que les certificats médicaux versés par le requérant, établis par des psychiatres, l’examen de sa demande d’asiétayés et détaillés, attestaient le. un état de santé mental conduisant au mutisme qui pouvait expliquer son absence à l’audience. La juridiction a également pris en compte l’état psychique particulièrement grave du requérant dans l’appréciation du degré de précision ou de cohérence pouvant être attendu de lui dans le cadre de MOYEN TIRE DU DEFAUT D’AUDITION PREALABLE D’UN DEMANDEUR D’ASILE – REOUVERTURE DE L’INSTRUCTION – MOYEN D’ORDRE PUBLIC RELEVE D’OFFICE (ABSENCE). Il appartient aux requérants de faire valoir, le cas échéant, avant la clôture de l’instruction devant la Cour que l’OFPRA n’a pas procédé à leur audition alors qu’il n’en était pas dispensé par la loi. CNDA 6 février 2014 M. G. n° 13010400 C D Doctrine ans cette affaire, l’intéressé avait demandé par le biais d’une note en délibéré l’annulation de la décision attaquée et le renvoi de l’affaire devant l’OFPRA au motif que l’Office ne l’avait pas convoqué à un entretien alors même qu’il n’avait pas considéré sa demande comme manifestement infondée. La Cour a tout d’abord rappelé les conditions régissant la réouverture de l’instruction en pareil cas, à savoir qu’elle n’est tenue de le faire qui si la note en question « contient soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’ins- truction et que le juge ne pour- moyen d’ordre public susceptirait ignorer sans fonder sa dé- ble d’être relevé d’office. cision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office ». Puis, estimant que le demandeur n’avait pas démontré qu’il n’avait pas été en mesure de faire état de ce moyen avant la clôture de l’instruction, elle considère qu’il n’y a pas lieu de rouvrir celle-ci, ni par voie de conséquence d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à l’OFPRA. Ce faisant, la Cour juge que le défaut de leur audition, qui peut être dans certaines hypothèses opposé par les intéressés à l’OFPRA, n’est pas un A propos de la décision CE Avis 20 novembre 2013 M. F. et Mme D. épouse F. n° 368676 A « Statut des parents du mineur protégé », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, jan- vier 2014, p. 4. (4) Avis du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes ayant des besoins particuliers et en particulier de personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle − mai 2012. Doctrine « Droit d’asile » 5 A propos de la décision CE Ass. 13 novembre 2013 CIMADE et M. O. nos 349735 et 349736 A « La demande d’asile de la personne réfugiée dans un État de l’UE n’est pas toujours infon- Année 2014, N°1 dée », G. Réaux, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, pp. 8 et 9. « La demande d’asile en France d’une personne déjà reconnue comme réfugiée par un autre Etat », E. Crépey, RFDA n° 1, janvier-février 2014, pp. 67 à 75. « Le statut des demandeurs d’asile titulaires d’une protection dans un pays de l’Union européenne », L. Abassade, Les revues JurisClasseur - Droit administratif, n° 1, janvier 2014, pp. 44 et 45. « Examen de la demande d’asile déjà présentée dans un autre État membre », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, janvier 2014, p. 4. « Demande d’asile par une personne s’étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre État partie à la convention de Genève », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, pp. 87 et 88. A propos de la décision CE 6 décembre 2013 M. A. et autres n° 357351 B « La CNDA doit statuer sur le recours du demandeur d’asile éloigné », A. Aubaret, Dictionnai- re permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9. « Examen par la CNDA du recours d’un demandeur d’asile renvoyé dans son pays d’origine », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, p. 88. « Obligation d’examen de la demande d’asile », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, janvier 2014, p. 4. A propos de la décision CE 27 novembre 2013 M. K. n° 363388 B « CNDA : le recours en rectification d’erreur matérielle peut être rejeté par ordonnance », A. Aubaret, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9. « Recours en erreur matérielle », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, janvier 2014, p. 5. A propos de la décision CE 10 octobre 2013 OFPRA c/ M. Y. nos 362798, 362799 A « Absence d’audition d’un demandeur d’asile par l’OPFRA et procédure devant la CDNA », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, p. 87. A propos du « Rapport sur la réforme de l’asile » de Valérie Létard, Sénatrice et Jean-Louis Touraine, Député, remis au ministre de l’Intérieur le 28 novembre 2013 « Rapport sur la réforme de l’asile », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, p. 87. A propos de la décision OFPRA du 16 décembre 2013 « L’Albanie, le Kosovo et la Géorgie, pays d’origine sûrs », A, Aubaret, Dictionnaire perma- nent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9. A propos de la note d’information du 5 décembre 2013 relative aux demandes d’asile présentées par des étrangers placés en rétention administrative en vue de leur éloignement. « Asile en rétention : fin du caractère automatique de l’examen en procédure accéléré », C. Pouly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, p. 9. Droit d’asile - Europe et autres pays Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 6 PROTECTION SUBSIDIAIRE – ARTICLE 15 C) DE LA DIRECTIVE 2004/83/CE « QUALIFICATION » – NOTION DE CONFLIT ARME INTERNE – INTERPRETATION AUTONOME PAR RAPPORT AU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE – CRITERES D’APPRECIATION. La CJUE considère que la notion de « conflit armé interne » au sens de l’article 15 c) de la directive 2004/83/CE(5) « qualification » est propre au droit de l’UE et doit être définie de manière autonome par rapport au droit humanitaire international et, notamment, par rapport à la notion de conflit armé ne présentant pas un caractère international. Selon la CJUE, la notion de « conflit armé interne », au sens de la directive, vise une situation d’affrontements armés entre les forces régulières d’un État et un ou plusieurs groupes armés ou entre deux ou plusieurs groupes armés, indépendamment de l’intensité des affrontements, du niveau d’organisation des forces armées en présence ou de la durée du conflit. CJUE 30 janvier 2014 Aboubacar Diakité (Belgique) C-285/12 D ans l’affaire au principal, un ressortissant guinéen avait sollicité le bénéfice d’une protection internationale en Belgique, arguant de ce qu’il avait été victime d’actes de violence en Guinée à la suite de sa participation aux mouvements de protestation contre le pouvoir en place. L’octroi de la protection subsidiaire lui avait été refusé par les autorités belges au motif notamment qu’il n’existait pas de « conflit armé interne », tel qu’entendu en droit international humanitaire, en Guinée. Le Conseil d’État belge a saisi la CJUE pour savoir si la notion de « conflit armé interne » au sens de la directive « qualification », devait être interprétée de façon autonome par rapport à la définition retenue en droit international humanitaire et, dans l’affirmative, selon quels critères cette notion devait être appré- (5) ciée. Ces définitions résultent en particulier des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 et du protocole additionnel du 8 juin 1977(6). La CJUE constate tout d’abord que l’expression de « conflit armé interne » est propre à la directive et diffère des notions à la base du droit international humanitaire, lequel distingue les « conflits armés internationaux » et les « conflits armés ne présentant pas un caractère international » (§ 20). Elle en déduit que « le législateur de l’UE a souhaité accorder la protection subsidiaire aux personnes concernées non seulement en cas de conflits armés internationaux et de conflits armés ne présentant pas un caractère international, tels que définis par le droit international humanitaire, mais, également, en cas de conflits armés internes, à condition que ces conflits soient caracté- risés par le recours à une violence aveugle » (§ 21). La CJUE souligne ensuite, en s’appuyant sur les conclusions de l’Avocat général M. Paolo Mengozzi(7), que « le droit international humanitaire et le régime de la protection subsidiaire prévu par la directive poursuivent des buts différents et instituent des mécanismes de protection clairement séparés » (§ 24). Elle relève par ailleurs que le droit international humanitaire, dont certaines violations donnent lieu à une responsabilité pénale individuelle, entretient des relations très étroites avec le droit pénal international, alors qu’une telle relation est étrangère au mécanisme de protection prévu par la directive (§ 25). La CJUE conclut que la possibilité de bénéficier du régime de la protection subsidiaire ne peut être subordonnée à la (Suite page 7) Le directive 2004/83/CE était encore en vigueur à la date à laquelle la question préjudicielle a été posée. L’article 15 n’a pas été modifié dans la directive 2011/95/UE. Partant, l’interprétation donnée par la CJUE des notions contenues au c) de cet article sous l’empire de la directive 2004/83/CE demeure pleinement valable. (6) Convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne; convention (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer; convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, et convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. (7) CJUE Conclusions de l’avocat général du 18 juillet 2013 M. Diakité (Belgique) C-285/12. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 7 (Suite de la page 6) constatation que les conditions d’application du droit humanitaire international sont réunies (§ 26) et, partant, que la notion de « conflit armé interne » doit être interprétée de manière autonome. S’agissant des critères d’appréciation de cette notion, la CJUE estime que l’expression « conflit armé interne » vise « une situation dans laquelle les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou dans laquelle deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent » (§ 28). Elle souligne que le législateur de l’UE a expressément refusé d’étendre la protection à l’hypothèse où les menaces contre la vie, la sécurité ou la liberté du demandeur résulteraient de « violations systématiques ou généralisées des droits de l’homme », envisagée par la proposition de la Commission ayant conduit à l’adoption de la directive(8) (§ 29). Elle rappelle ensuite les principes dégagés dans l’arrêt E.(9) relatifs à l’articulation des notions de « menace individuelle » et de « violence aveugle »(10). Elle rappelle également que le mécanisme de protection institué par l’article 15 de la directive est complémen(8) taire de celui consacré par la Convention de Genève (§ 33). La CJUE conclut que l’existence d’un conflit armé interne devra être admise « sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné » (§ 35). gouvernementales n’interviennent pas dans le conflit »(11). En revanche, contrairement à ce que préconisait l’Avocat général(12), la définition retenue par la CJUE pour la notion de « conflit armé interne » implique que les situations dans lesquelles la violence armée est exercée unilatéralement ne pourront pas être prises en compte pour l’octroi de la protection subsidiaire(13). Il y a lieu d’observer, en ce qui concerne la notion de « conflit armé interne », que la CJUE opte pour une définition plus étendue que celle employée en droit international humanitaire. Ainsi, comme l’a relevé l’Avocat général dans ses conclusions, ne seront pas automatiquement exclues du champ d’application des dispositions de l’article 15 c) de la directive la situation dans laquelle, par exemple, « les parties belligérantes ne disposent pas du degré d’organisation requis par le droit international humanitaire ou n’exercent pas un contrôle sur le territoire », ou celle dans laquelle « les forces COM(2001) 510 final. CJUE [GC] 17 février 2009 Meki Elgafaji et Noor Elgafagi (Pays-Bas) n° C-465/07 (§§ 39 et 43). (10) « l’existence d’un conflit armé interne ne pourra conduire à l’octroi de la protection subsidiaire que dans la mesure où les affrontements entre les forces régulières d’un État et un ou plusieurs groupes armés ou entre deux ou plusieurs groupes armés seront exceptionnellement considérés comme créant des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire, au sens de l’article 15, sous c), de la directive, parce que le degré de violence aveugle qui les caractérise atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceuxci, un risque réel de subir lesdites menaces » (§ 30) et « plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire » (§ 31). (11) Cf. CJUE Conclusions de l’Avocat général du 18 juillet 2013 précitées (§ 92). (12) Cf. CJUE Conclusions de l’Avocat général du 18 juillet 2013 précitées (§ 92). (13) M. Gheka, « Nouveaux éclairages européens sur les contours du régime de la protection subsidiaire », Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 6 février 2014. (9) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 8 SOUDAN – DARFOUR – SITUATION DES OPPOSANTS – « REFUGIES SUR PLACE » – ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME – REEXAMEN DE LA PROVENANCE DU DARFOUR DANS LE CADRE D’UNE DEMANDE D’ASILE ULTERIEURE – AUTHENTICITE D’UN CERTIFICAT DE NAISSANCE – ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Saisie par un ressortissant soudanais, alléguant être originaire du Darfour et s’être engagé politiquement au sein du Mouvement de libération du Soudan-Unité (MLS-U) en Suisse, débouté de sa demande d’asile par les autorités de ce pays, la Cour EDH conclut à un risque de violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers le Soudan. Elle rejette en revanche le grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 considérant que c’est à bon droit que les autorités helvétiques n’ont pas procédé à un nouvel examen de la provenance alléguée du requérant du Darfour lors d’une demande d’asile ultérieure et écarté le certificat de naissance produit par le requérant sans aucune explication sur ses modalités d’obtention, contradictoire avec ses précédentes déclarations et, en outre, dépourvu de tout élément d'identification. CEDH 7 janvier 2014 A.A. c. Suisse n° 58802/12 U n ressortissant soudanais, arrivé en Suisse en 2004, avait déposé une demande d’asile à l’appui de laquelle il soutenait être originaire de la région du Nord -Darfour et avoir été contraint de fuir son village à la suite d’une attaque par les Janjawids, au cours de laquelle son père et de nombreux autres villageois avaient été tués et lui -même maltraité. Depuis son arrivée en Suisse, il était devenu un membre actif du Mouvement de libération du SoudanUnité (MLS-U), au sein duquel il avait été nommé secrétaire aux droits de l’homme en 2009. Les autorités suisses avaient rejeté sa demande d’asile à deux reprises, en 2004 et en 2012, au motif, tout d’abord, qu’elles avaient des doutes sur sa provenance du Darfour, que son récit sur sa fuite du Darfour manquait de crédibilité, que l’intéressé était devenu actif politiquement en Suisse uniquement afin d’éviter son renvoi vers le Soudan et qu’il n’était pas crédible que des activités menées à un niveau local aient attiré l’attention des autorités soudanaises et soient sources de persécu- (14) (15) tions. Invoquant l’article 3 de la CEDH, le requérant alléguait devant la Cour EDH que, s’il était renvoyé vers le Soudan, il serait placé en détention, interrogé et torturé en raison de ses activités politiques en Suisse. Il se plaignait également, sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 3, de n’avoir disposé d’aucun recours effectif devant les tribunaux suisses pour faire valoir son origine du Darfour. Pour examiner tout d’abord la situation prévalant au Soudan, la Cour EDH s’appuie sur des sources d’information géopolitique, sur son arrêt Mohammed contre Autriche(14) ainsi que sur des décisions des juridictions nationales, notamment une décision de la Cour fédérale administrative suisse du 31 mai 2013. Elle estime que la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme au Soudan est dans l’ensemble alarmante et qu’elle s’est détériorée au cours de l’année 2013 (§ 39). Elle ne considère toutefois pas que la situation générale prévalant au Soudan puisse conduire, à elle seule, à conclure à un risque de violation de l’article 3 en cas de renvoi vers ce pays, approche qu’elle limite aux cas les plus extrêmes(15) (§ 40). Elle observe que les membres présumés du Mouvement de libération du peuple soudanais - Nord (MLPS-Nord), les membres d'autres partis d'opposition, les dirigeants des organisations de la société civile et les journalistes sont fréquemment harcelés, arrêtés, torturés et poursuivis par les autorités soudanaises et qu’en raison du conflit, non seulement les dirigeants des organisations politiques mais également toute personne qui s'opposent ou qui est soupçonnée d'opposition au régime actuel sont exposés à un risque d’arrestation et de tortures au Soudan (§ 40). Elle relève en outre qu’il n’est pas contesté que le gouvernement soudanais surveille les activités des opposants politiques à l'étranger (§ 40). La Cour EDH observe ensuite qu’en l’espèce, le requérant est membre du MLS-U en Suisse depuis plusieurs années. Elle reconnaît la difficulté d’apprécier dans le cas des « réfugiés sur place » si l’engagement politique de l’intéressé est sin- CEDH 6 juin 2013 Mohammed c/ Autriche n° 2283/12 (§ 109). CEDH 17 Juillet 2008 N.A. c. Royaume-Uni n° 25904/07 (§§ 114-115). (Suite page 9) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 9 (Suite de la page 8) cère ou s’il ne constitue qu’une circonstance que celui-ci a créée de son propre fait afin de fonder des craintes en cas de retour dans son pays d’origine et précise que dans de tels cas, elle prend en compte certains facteurs tels qu’un militantisme politique antérieur au départ du pays d'origine ou le rôle joué par l’intéressé dans la publicité de sa demande d'asile dans le pays d’accueil(16) (§ 41). En l'espèce, elle prend en considération le fait que le requérant a rejoint le MLS-U en Suisse plusieurs années avant d’introduire une demande d’asile ultérieure, à un moment où cette demande ultérieure n’était pas nécessairement prévisible et estime préférable, compte tenu de l’importance qu’elle attache à l'article 3 de la Convention, d’évaluer la demande du requérant en raison de son engagement politique effectif (§ 41). La Cour EDH relève que les activités politiques du requérant se sont intensifiées au fil du temps (nomination comme directeur du SLM-Unité en Suisse et participation à des conférences internationales sur la situation des droits de l'homme au Soudan). Elle reconnaît qu’il ne présente pas un réel profil à risques dès lors, par exemple, qu’il n’a pas remis de pourparlers aux conférences internationales auxquelles il a participé, ni évoqué ses activités politiques lors d’une interview diffusée sur une chaîne de télévision suisse et estime que s’il devait être reconduit vers un pays où la situation des droits de l’homme était moins préoccupante qu’au Soudan, il ne serait pas exposé à un risque de traitement contraire à l’arti(16) cle 3 de la Convention (§ 42). Elle considère cependant que la situation des Soudanais se singularise par le fait que les opposants politiques, quel que soit leur niveau d’engagement, ainsi que les personnes suspectées de soutenir les mouvements d'opposition sont exposés au Soudan à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention, que les personnes impliquées politiquement à l’étranger, en particulier celles affiliées au MLS lors des conférences internationales à Genève, ont été enregistrées par les autorités soudanaises et que des représentants du gouvernement soudanais étaient présents aux conférences internationales auxquelles le requérant a participé et où il était facilement identifiable compte tenu du nombre restreint de participants par pays (§ 43). Elle estime dès lors qu’elle ne peut exclure que le requérant ait attiré l’attention du gouvernement soudanais et que du fait de sa participation à certaines conférences internationales au nom du MLS-U Suisse, le requérant peut, à tout le moins, être soupçonné d'être affilié à un mouvement d'opposition par le gouvernement soudanais (§ 43). Partant, elle conclut au risque de violation de l’article 3 Convention en cas d’éloignement vers le Soudan estimant qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant serait connu du gouvernement soudanais et risquerait d'être arrêté, interrogé et torturé dès son arrivée à l'aéroport au Soudan. S’agissant de l’article 13 de la CEDH, le requérant invoquait notamment l’arrêt Singh et autres contre Belgique(17) pour souligner que l’examen effec- tué par les autorités suisses de sa demande d’asile ultérieure n’a pas pris en compte l’ensemble des éléments produits et n’a pas été suffisamment rigoureux notamment quant à la preuve de sa provenance du Darfour. La Cour EDH observe que le certificat de naissance produit par le requérant à l’appui de la demande d’asile ultérieure et dont les autorités helvétiques ont mis en doute l’authenticité a été délivré le 26 Juillet 1987 et que le requérant ne fournit aucune explication sur ses modalités d’obtention alors qu’il avait soutenu, à l’appui de sa demande d'asile initiale, avoir perdu tous ses documents personnels dans l’incendie de son domicile au Darfour et ne jamais avoir possédé un document indiquant sa date de naissance. Elle souscrit aux conclusions du gouvernement helvétique selon lesquelles des doutes sérieux existent sur l'authenticité du certificat de naissance et, plus généralement, sur la capacité du requérant de fournir des documents d'identité. Elle relève en outre que le certificat de naissance pourrait appartenir à une autre personne dès lors qu’il ne contient aucun élément d'identification. Elle estime par conséquent que les autorités helvétiques ont à juste titre considéré que le certificat de naissance ne prouvait pas la provenance du requérant du Darfour et qu’elles n'ont pas manqué à leur devoir de dissiper tous les doutes sur son authenticité (§ 61). Elle note par ailleurs que l’attestation du président du MLS en Suisse et la pétition signée par des Darfouris ne constituent pas, à elles seules, des éléments pro(Suite page 10) CEDH 15 mai 2012 SF et a. c. Suède n° 52077/10 (§§ 66-67) et CEDH 26 Juillet 2005 N. c. Finlande n° 38885/02 (§ 165). (17) CEDH 2 octobre 2012 Singh et autres c. Belgique n° 33210/11. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 10 (Suite de la page 9) bants en ce qui concerne la provenance du requérant du Darfour et indique ne pas être convaincue que le requérant a effectué toutes les démarches possibles pour établir son identité et lever les doutes émis par les autorités suisses à l’occasion de sa demande d’asile initiale (§ 62). Partant, elle considère que les autorités suisses n’ont pas méconnu l'article 13 combiné avec l'article 3 de la Convention en ne procédant pas à un nouvel examen de la provenance du requérant du Darfour à l’occasion de la demande d’asile ultérieure ou en se fondant sur leur première partage avec la décision (§ 63). Luxembourg(18). Il a lieu de noter que la Cour de Strasbourg emprunte dans cet arrêt un vocabulaire appartenant davantage au droit des réfugiés qu’aux droits de l’homme et utilise de plus en plus fréquemment des concepts propres au droit des réfugiés tels que, en l’espèce, la notion de réfugié sur place. Elle assume ainsi un rôle croissant en matière d’asile en l’absence de juridiction internationale ayant pour compétence l’interprétation de la Convention de Genève ou le contrôle des décisions nationales, rôle qu’elle Cour de KOSOVO – VIOLENCES FAITES AUX FEMMES – CONDITION DES FEMMES ISOLEES – EFFECTIVITE DE LA PROTECTION DES AUTORITES – AUTHENTICITE DES DOCUMENTS – INCIDENCE DE LA QUALITE DE FONCTIONNAIRE DE POLICE D’UN DEMANDEUR SUR L’ETENDUE DES INFORMATIONS SUSCEPTIBLES D’ÊTRE FOURNIES – ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Tout en relevant la gravité et la persistance du problème des violences basées sur le genre au Kosovo ainsi que la difficile condition des femmes isolées, a fortiori si elles ont été violées, la Cour EDH considère néanmoins que cette situation ne peut justifier, à elle seule, un risque au sens de l’article 3 de la Convention. Elle estime par ailleurs que malgré les hésitations encore fréquentes des victimes à porter plainte et la nécessité d’un effort de sensibilisation important, les autorités du Kosovo ont pris conscience des obligations qui leur incombent dans ce domaine et des progrès indéniables ont été réalisés en matière de sécurité. La Cour EDH considère que les éléments circonstanciés apportés par le gouvernement français pour mettre en doute le rapport de police produit ne sont pas sérieusement contestés par la requérante et s’étonne de l’absence d’informations sur l’avancement de la plainte eu égard à la précision de celle-ci et aux fonctions d’officier de police de la requérante. CEDH 14 janvier 2014 I.Q. c. France n° 30906/11 L a requérante, ressortissante de la République du Kosovo, dont une demande d’asile et une demande de réexamen avaient été rejetées par la CNDA en 2007 et en 2009, avait déposé une nouvelle demande d’asile en 2010 après un retour d’un mois dans son pays. Elle faisait valoir qu’officier de police spécialisé dans la lutte contre les violences conjugales et familiales, elle avait été, dans le cadre de sa profession, ame(18) née à interpeller les auteurs de ce type de violences et à témoigner contre eux dans un certain nombre de procès et qu’en sa qualité de fonctionnaire de police, elle avait participé régulièrement à une émission télévisée, s’étant ainsi exposée médiatiquement. Elle alléguait que, trois jours après son retour au Kosovo en 2010, elle avait été agressée, violée et menacée par plusieurs hommes, dont un ancien condamné au procès duquel elle avait témoigné. Sa demande d’asile fut rejetée par une décision de l’OFPRA du 11 août 2010, confirmée par une ordonnance de la CNDA du 31 janvier 2012. La requérante soutenait qu’un renvoi vers le Kosovo l’exposerait à des représailles en raison de son ancienne activité professionnelle, constitutives de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour EDH observe tout d’abord que si les certificats (Suite page 11) S. Sarolea, « Le réfugié sur place à Strasbourg », note sous Cour eur. D. H., A.A. c. Suisse, arrêt du 7 janvier 2014, req. n° 58802/12, Newsletter EDEM, janvier 2014. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 11 (Suite de la page 10) médicaux produits, qui étayent les déclarations de la requérante relatives à l’agression et au viol, ne sont pas contestés, le gouvernement français émet, en revanche, de sérieuses réserves quant au rapport de police produit qui, selon les services diplomatiques français au Kosovo, est un faux (absence de tampon d’enregistrement, inexistence de l’officier de police mentionné et absence de véhicule de police immatriculé sous le numéro figurant dans le rapport) et qu’ « en réponse à ces objections circonstanciées, la requérante ne prouve plus avant ni ses dires, ni l’authenticité du rapport de police litigieux » (§ 37). Elle relève ensuite que même à supposer authentique le rapport de police produit, « la requérante ne fournit aucune information quant à l’avancement de la plainte, que ce soit pour constater son classement sans suite ou son enlisement », alors qu’il paraît difficilement concevable qu’ « une plainte aussi précise que celle formulée par la requérante n’ait donné lieu à aucune enquête » (§ 38). Ce constat ne laisse pas d’étonner la Cour EDH, eu égard à la profession antérieure de la requérante et aux contacts que celle-ci pouvait avoir au sein de la police. En l’absence d’information sur la suite donnée à la plainte et en particulier sur la réaction des autorités policières et judiciaires à l’allégation de la requérante selon laquelle elle aurait été la victime de velléités de vengeance occasionnées par son activité au sein de la police, la Cour EDH ne tient (19) pas pour établi le motif de vengeance allégué (§ 38). Elle observe par ailleurs que la requérante n’étaye pas ses déclarations relatives aux menaces dont elle aurait déjà fait l’objet avant son premier départ du Kosovo en 2005 et « ne fait pas non plus mention de la réaction ou de l’absence de réaction des autorités aux menaces dirigées à l’encontre de l’un des membres de la police en raison précisément de ses activités au sein de la police » (§ 38). La Cour EDH conclut que « [la requérante] ne démontre pas être une cible particulière en raison de son activité professionnelle antérieure » (§ 39). Elle s’attache ensuite à rechercher si le viol subi par la requérante, qui n’est pas sérieusement contesté, l’exposerait à un risque relevant de l'article 3 de la Convention en cas de retour dans son pays d’origine. S’agissant de la situation des femmes au Kosovo, elle relève que selon les sources internationales consultées, « les violences contre les femmes, en particulier domestiques, sont un problème grave et persistant au Kosovo et que la condition des femmes isolées, a fortiori si elles ont été violées, y est difficile, celles-ci étant fréquemment rejetées par la société et discriminées » (§ 40). Elle estime cependant ne pas pouvoir considérer que « la situation au Kosovo est telle qu’un renvoi vers ce pays entraîne per se une violation de l’article 3 » (§ 40). Concernant l’effectivité de la protection des autorités kossoviennes, la Cour EDH relève qu’en l’état des informations dont elle dispose, « si les victi- CEDH 12 novembre 2013 N.R. c. France n° 9136/11 (§ 47). mes hésitent toujours fréquemment à porter plainte et si un effort de sensibilisation considérable doit encore être fait, le Kosovo réalise désormais que des mesures sont nécessaires pour combattre les violences faites aux femmes » et que « des progrès ont indéniablement été réalisés en matière de sécurité en général » (§ 41). Elle estime qu’en l’espèce, la requérante ne démontre pas que les autorités ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection appropriée. La Cour EDH conclut à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que l’expulsion de la requérante l’exposerait à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention et, partant, rejette le grief comme manifestement mal fondé. La Cour EDH confirme, dans le cadre de la problématique des violences faites aux femmes, sa jurisprudence concernant l’effectivité de la protection des autorités du Kosovo (19) . Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 12 FEDERATION DE RUSSIE – SITUATION DES ANCIENS COMBATTANTS TCHETCHENES – CREDIBILITE DES ALLEGATIONS – INCOHERENCE ET EVOLUTION DES DECLARATIONS DU DEMANDEUR – CARACTERE PROBANT DE TEMOIGNAGES PRODUITS TARDIVEMENT – EXTRADITION AUX FINS DE POURSUITE DU CHEF D’UN CRIME DE DROIT COMMUN – ASSURANCES DIPLOMATIQUES FOURNIES PAR L’ÉTAT REQUERANT – ARTICLES 3 ET 6 § 1 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. La Cour EDH rejette la requête d’un ressortissant russe d’origine tchétchène faisant l’objet d’une demande d’extradition de la part des autorités russes, qui alléguait que son inculpation pour complicité de meurtre ne serait qu’un prétexte pour le poursuivre pour son passé d’ancien combattant tchétchène et qu’il risquait d’être victime d’un procès truqué et d’être exposé, au cours de sa détention, à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Elle considère qu’en l’absence d’explications satisfaisantes, les incohérences et l’évolution des déclarations du requérant au cours des différentes procédures rendent invraisemblable son passé de combattant, lequel n’est, en outre, pas utilement étayé par les témoignages produits tardivement et qu’il n’existait pas de motifs sérieux et avérés de croire qu’il serait exposé, en Fédération de Russie, en tant qu’ancien combattant tchétchène à un risque réel de mauvais traitements. Elle estime par ailleurs que les assurances diplomatiques fournies par l’Etat requérant l’extradition sont suffisantes pour écarter le risque que l’intéressé, poursuivi pour un crime de doit commun, subisse des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention. CEDH 27 février 2014 Zarmayev c. Belgique n° 35/10 L e requérant, Arbi Zarmayev, est un ressortissant russe d’origine tchétchène qui avait été reconnu réfugié en Belgique en 2005 sous une fausse identité. En 2009, il a été arrêté pour complicité de plusieurs infractions. Lors d’une perquisition à son domicile, des armes et plusieurs documents mentionnant le nom d’Arbi Zarmayev ont été saisis. Les autorités belges ont alors découvert que le requérant était recherché par les autorités russes pour complicité de meurtre et faisait l’objet d’une signalisation Interpol depuis le 27 août 2007. Interrogé par la police judiciaire belge, le requérant a déclaré qu’il était probablement recherché sous le nom de Zarmayev au motif qu’il avait travaillé sous ce nom comme fonctionnaire des douanes en Tchétchénie, qu’il avait également travaillé aux douanes sous le nom sous lequel il avait reconnu réfugié et qu’il avait rencontré des difficultés avec la police russe (20) (21) sous le nom de Zarmayev. Le requérant a ensuite été entendu par le CGRA(20), devant lequel il a déclaré qu’il n’avait pas travaillé comme fonctionnaire des douanes et qu’il était recherché pour des raisons politiques. Le statut de réfugié lui a retiré en septembre 2009 et son recours, à l’appui duquel il soutenait avoir fui l’armée russe depuis la deuxième guerre en Tchétchénie et s’être battu contre l’armée russe comme commandant d’un groupe de rebelles, circonstances à l’origine des recherches diligentées contre lui par les autorités russes, a été rejeté par le CCE(21). Le CGRA et le CCE ont considéré que la crédibilité du récit du requérant était fortement sujette à caution et lui ont reproché, outre une usurpation d’identité pour obtenir l’asile, l’incohérence des faits à la base de ses demandes d’asile, le caractère contradictoire de ses déclarations lors des différents interrogatoires et entretiens dont il a fait l’objet, l’absence Commissaire général aux réfugiés et apatrides. Conseil du contentieux des étrangers. de justifications et d’éléments de preuve venant étayer son implication personnelle dans les guerres en Tchétchénie. Durant les quatre années suivantes, M. Zarmayev a introduit sans succès quatre demandes d’asile successives. Entretemps, les autorités russes ont demandé son extradition aux autorités belges en raison de poursuites pour complicité de meurtre sur le fondement d’un mandat d’arrêt émis le 27 août 2001. Déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés en Belgique et condamné à dix -huit mois d’emprisonnement, le requérant a été maintenu en détention, après avoir purgé sa peine, dans l’attente d’une décision concernant son extradition. En 2011, le ministre de la Justice belge a pris la décision d’extrader M. Zarmayev, soulignant notamment que les éventuelles incohérences dans l’établissement des faits (crime de droit commun commis le 9 mai 2001 en Tchétchénie) et leur (Suite page 13) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 13 (Suite de la page 12) lien avec un règlement de comptes feraient précisément l’objet de l’enquête qui serait menée par les autorités russes et qu’il n’appartenait pas aux autorités belges, dans le cadre de la procédure d’extradition, de se prononcer sur la responsabilité pénale du requérant. La demande de suspension en extrême urgence et le recours en annulation de l’arrêté ministériel d’extradition introduits par le requérant ont été rejetés par le Conseil d’État respectivement en 2011 et 2013, considérant notamment que les assurances diplomatiques fournies par les autorités russes étaient suffisantes pour écarter les risque au regard de l’article 3 de la Convention. L’intéressé a saisi la Cour EDH, alléguant que son extradition vers la Fédération de Russie emporterait violation de l’article 3 dès lors que son inculpation pour complicité de meurtre ne serait qu’un prétexte pour le poursuivre pour son passé d’ancien combattant au service de la cause tchétchène et qu’il risque d’être victime d’un procès truqué et d’être exposé, au cours de sa détention, aux traitements infligés aux anciens combattants tchétchènes détenus dans les prisons russes qui atteignent le seuil de gravité de l’article 3. Dans sa réponse aux observations du gouvernement belge, il a fourni de nouvelles informations sur les évènements qui auraient entouré son passé de combattant lors des deux guerres de Tchétchénie et soutenait qu’il avait fui son pays en raison de recherches diligentées contre lui par l’armée russe et que sa famille faisait l’objet de persécutions. La Cour EDH rappelle tout (22) d’abord les principes généraux applicables dans le cadre d’une affaire d’extradition, notamment la prise en compte comme facteur pertinent des assurances diplomatiques quant au respect des droits de l’homme à l’endroit du requérant fournies par l’État requérant dès lors qu’elles prévoient, dans leur application pratique, une garantie suffisante que le requérant sera protégé contre le risque de mauvais traitements, ainsi que les critères d’évaluation de la qualité et de la fiabilité de ces assurances, dégagés dans les arrêts Saadi(22) et Othman (Abu Qatada)(23) (§§ 9293). Elle souligne également le « contexte spécifique » dans lequel les risques allégués par le requérant doivent être examinés, à savoir qu’il n’est pas question d’une « simple » expulsion du requérant vers la Tchétchénie mais d’une extradition à l’issue de laquelle « il est possible qu’il soit maintenu en détention en attendant son procès, qu’il fasse l’objet d’une enquête et de poursuites, et qu’un procès soit ouvert contre lui » et que « s’il est alors reconnu coupable et condamné, il est probable qu’il doive purger sa peine dans un centre de détention pour personnes condamnées » (§ 96). S’agissant de la situation générale prévalant en Fédération de Russie, la Cour EDH renvoie aux conclusions des rapports émanant de sources internationales énumérés dans son arrêt Bajsultanov(24), qui font état d’atteintes graves et persistantes aux droits de l’homme, en particulier pour les personnes liées aux combattants tchétchènes, et qui donnent des exem- ples de mauvais traitements infligés aux anciens combattants tchétchènes détenus dans les prisons russes (§ 97). Elle estime toutefois ne pas pouvoir « en déduire que la situation générale en Russie, et en particulier en Tchétchénie, soit suffisamment grave pour conclure que l’extradition de Tchétchènes emporterait en soi infraction de l’article 3 de la Convention » (§ 98). La Cour EDH constate, à la suite des autorités belges, que « la version des faits donnée par le requérant a fort évolué au fil du temps » et relève que « chaque fois que l’occasion s’est présentée, il a fourni une version, en tout ou en partie, différente de son parcours et des événements auxquels il aurait participé et a ajouté des informations qui ne s’articulent pas avec ses précédentes déclarations », y compris dans ses observations en réponse au gouvernement belge devant elle à l’appui desquelles il mentionne « des faits et des événements très précis sur lesquels [il] aurait à l’évidence pu s’appuyer auparavant devant les instances belges » (§ 101). Elle admet que l’évolution du récit du requérant, y compris devant elle, rend invraisemblable son passé de combattant (§ 101) et que les instances belges ont, à juste titre, écarté comme manifestement insuffisante la seule explication donnée par le requérant pour expliquer les incohérences et contradictions entre ses récits, à savoir des problèmes de concentration et de mémoire résultant d’un syndrome de stress posttraumatique pour lequel il a été traité par voie médicamen- CEDH [GC] 28 février 2008 Saadi c. Italie n° 37201/06 (§ 148). CEDH 17 janvier 2012 Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni n° 8139/09 (§§ 187 et 189). (24) CEDH 12 juin 2012 Bajsultanov c. Autriche n° 54131/10 (§§ 38-50). (23) (Suite page 14) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 14 (Suite de la page 13) teuse (§ 102). La Cour de Strasbourg écarte ensuite, en l’absence d’explication du requérant, les témoignages de membres de la communauté tchétchène (notamment celui de Zakayev, premier ministre auto-déclaré de Tchétchénie en exil) produits en vue d’étayer l’implication personnelle du requérant dans les événements en Tchétchénie et sur la fiabilité desquels les instances d’asile belges avaient émis des réserves au motif que vu le moment où ils avaient été recueillis, il était fortement probable qu’ils aient été sollicités par le requérant dans le seul but d’échapper à l’extradition (§ 103). Elle écarte également les lettres de soutien de parlementaires (membres du Parlement européen et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) et d’ONG (Amnesty International et Pax Christi) reçues par le requérant durant son incarcération en Belgique (§ 104). Au vu de ces considérations et eu égard, en outre, au laps de temps s’étant écoulé depuis les supposés événements qui auraient motivé le départ du requérant de la Fédération de Russie ainsi qu’au fait que le requérant ne fait aucunement état de ce qu’il aurait continué de susciter l’attention négative des autorités russes pour d’autres motifs que ceux de la demande d’extradition (§ 105), la Cour EDH considère n’avoir « aucune raison de s’écarter de l’analyse faite par les autorités belges selon laquelle il n’y a pas de motifs sérieux et avérés de croire que le requérant serait exposé en Fédération de Russie en tant qu’ancien combattant au ser(25) vice de la cause tchétchène et pour ce motif à un risque réel de mauvais traitements » (§ 106). Le Cour EDH s’attache ensuite à examiner si l’extradition du requérant aux fins de poursuite du chef d’un crime de droit commun l’expose à des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH. Elle exclut tout d’abord le risque allégué par le requérant d’être condamné à la réclusion à perpétuité dès lors que les infractions pour lesquelles il est poursuivi en Fédération de Russie sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de quinze ans (§ 108). Elle constate ensuite que les autorités de la Fédération de Russie ont fourni à leurs homologues belges plusieurs assurances diplomatiques précises quant au respect des droits de l’homme à l’égard du requérant : non application de la peine de mort en Fédération de Russie ; non soumission du requérant à la torture ou à des traitements inhumains ou humiliants ; en cas de condamnation, incarcération sur le territoire de la Fédération de Russie dans un établissement correctionnel du service de l’exécution des peines où les normes posées dans la Convention sont respectées ; information de l’ambassade de Belgique en Russie du lieu de détention pendant l’enquête et en cas de condamnation, possibilité de visites par des personnes mandatées par la représentation diplomatique (§§ 109 et 110). Elle considère qu’en l’absence de tout élément pouvant la convaincre du contraire, les autorités belges ont conclu, à bon droit, que ces assurances Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 (STE 24). étaient suffisantes pour écarter le risque que le requérant subisse des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention (§§ 111 et 112). Elle précise à cet égard attacher une importance particulière au fait que ces assurances émanent d’un État partie à la Convention qui s’est engagé à respecter les droits qui s’y trouvent garantis, parmi lesquels figure l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (§ 113) et que le requérant, qui soutient que les autorités russes pourraient le poursuivre et le condamner pour d’autres raisons que celles sur lesquelles la demande d’extradition est fondée, est protégé par le principe de spécialité inscrit dans l’article 14 de la Convention européenne d’extradition(25), en vertu duquel il ne pourra être ni poursuivi, ni jugé, ni détenu pour un fait antérieur à la remise autre que celui ayant motivé l’extradition (§ 114). La Cour EDH conclut que l’extradition du requérant vers la Fédération de Russie n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention. Elle ne relève enfin aucun risque de déni de justice flagrant dans le pays de destination et rejette par conséquent le grief tiré d’un risque de violation de l’article 6 § 1 de la Convention comme étant manifestement mal fondé (§§ 120 et 121). Cet arrêt est accompagné d’une opinion dissidente de la juge irlandaise Ann Power-Forde concernant les conclusions de la Cour relatives, d’une part, à la participation de l’intéressé à la guerre russo-tchétchène et à son engagement dans les forces tchétchènes pendant le conflit (Suite page 15) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 15 Convention mais également armé compte tenu des éléments l’article 38 pour manquement à présentés et, d’autre part, à la ses propres assurances(26). fiabilité des assurances diplomatiques fournies par l’État requérant l’extradition eu égard aux nombreuses condamnations de la Fédération de Russie devant la Cour pour violation non seulement des articles 2 et 3 de la (Suite de la page 14) RESSORTISSANTS D’UN PAYS D’ORIGINE SUR – RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR, NON SUSPENSIF, CONTRE LA DECISION REJETANT UNE DEMANDE D’ASILE – DROIT A UN RECOURS EFFECTIF – ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME – ARTICLE 39 DE LA DIRECTIVE 2005/85/CE « PROCEDURE »(27) – ARTICLE 47 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UE – DIFFERENCE DE TRAITEMENT AVEC LES AUTRES DEMANDEURS D’ASILE. La Cour constitutionnelle belge considère que les ressortissants d’un pays d’origine sûr, qui ne disposent que d’un recours en annulation, non suspensif de plein droit, à l’encontre de la décision rejetant leur demande d’asile ne jouissent pas du droit à un recours effectif au sens du droit de l’UE et de la CEDH tels qu’interprétés respectivement par la CJUE et la Cour EDH. La différence de traitement ainsi créée par la loi en matière de droit au recours effectif entre les demandeurs d’asile originaires d’un pays sûr et les autres demandeurs d’asile, qui disposent d’un recours suspensif de plein contentieux, ne repose pas sur un critère pertinent, n’est au surplus pas proportionnée à l’objectif de célérité poursuivi et, partant, n’est pas justifiée. Cour constitutionnelle belge arrêt n° 1/2014 du 16 janvier 2014 L es parties requérantes sollicitaient l’annulation totale ou partielle des articles 2 et 3 de la loi du 15 mars 2012(28). Elles soutenaient que les demandeurs d’asile originaires d’un pays considéré comme sûr sont privés de la possibilité de contester la décision du CGRA rejetant leur demande d’asile prévue pour ceux qui ne sont pas originaires d’un pays ainsi qualifié auxquels est ouvert un recours suspensif de pleine juridiction devant le CCE. Elles faisaient valoir que le seul recours ou(26) vert à ces demandeurs est un recours en annulation, non suspensif de plein droit, qui prévoit un examen en droit et non en fait, à la date de la décision attaquée et non à la date où la juridiction se prononce, et ne peut ainsi être considéré comme un recours effectif. Elle soutenaient par ailleurs que la différence de traitement entre les demandeurs d’asile originaires de pays dits sûrs et les autres demandeurs d’asile est disproportionnée et que la loi est doublement discriminatoire en ce qu’elle traite de la même manière les demandeurs d’asile originaires de pays dits sûrs et les demandeurs d’asile européens. Afin de déterminer, en premier lieu, si le recours en annulation à l’encontre d’une décision rejetant une demande d’asile est un recours effectif, la Cour constitutionnelle belge se réfère à la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’effectivité des recours en cas de grief défendable tiré de l’article 3 de la CEDH (29) selon laquelle, compte tenu de l’importance (Suite page 16) CEDH 12 avril 2005 Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie n° 36378/02. Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres. (28) Loi du 15 mars 2012 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine. (29) CEDH 26 avril 2007 Gebremedhin (Gaberamadhien) c. France n° 25389/05, CEDH 21 janvier 2011 M.S.S. c. Belgique n° 30696/09, CEDH 20 décembre 2011 Y.oh-Ekale Mwanje c. Belgique n° 10486/10 et CEDH 2 octobre 2012 Singh et autres c. Belgique n° 33210/11. (27) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 16 (Suite de la page 15) que revêt l’article 3 de la Convention et eu égard à la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé, l’article 13 exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif et que ce recours permette un contrôle attentif, complet et rigoureux de la situation du requérant par l’organe compétent (§§ B.5.1 et B.5.2). Elle relève que le recours en annulation litigieux n’a pas d’effet suspensif (§ B.6.1), qu’il « implique un examen de la légalité de la décision du [CGRA] en fonction des éléments dont cette autorité avait connaissance au moment où elle a statué » et que, dès lors, le CCE n’est pas tenu de prendre en considération les éventuels éléments de preuve nouveaux présentés par le requérant à l’appui de son recours, ni d’examiner la situation du requérant, à la date à laquelle il statue, par rapport à la situation dans son pays d’origine (§ B.6.2). Partant, la Cour constitutionnelle considère que le recours en annulation ouvert aux intéressés n’est pas un recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH (§ B.6.3). La Cour constitutionnelle examine, en deuxième lieu, le caractère effectif du recours en suspension d’extrême urgence qu’un demandeur d’asile originaires d’un pays considéré comme sûr peut introduire contre une mesure d’éloignement du territoire, appliquant ainsi la jurisprudence de la Cour EDH selon laquelle « l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut (30) remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul »(30) (§ B.7). Elle estime que ce recours n’est pas un recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH au motif que tant l’effet suspensif de l’introduction d’un tel recours que la prise en considération, par le CCE, dans le cadre de ce recours, de nouveaux éléments pour évaluer le risque de violation de l’article 3 de la CEDH ne résultent pas d’une garantie législative mais simplement d’une jurisprudence du CCE (§§ B.8.3-B.8.5). Elle conclut que les ressortissants d’un pays d’origine sûr dont la demande d’asile a été rejetée sont privés d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH (§ B.8.6) et que l’article 2 de la loi du 15 mars 2012 crée donc une différence de traitement en matière de droit à un recours effectif entre les demandeurs d’asile originaires d’un pays sûr, qui ne disposent que du recours en annulation et du recours en suspension d’extrême urgence sus-analysés et les autres demandeurs d’asile qui peuvent introduire un recours suspensif devant le CCE disposant, dans ce cas pour en connaître d’une compétence de pleine juridiction (§ B.9.1). La Cour constitutionnelle examine, en dernier lieu, si la différence de traitement ainsi créée, qui repose sur le critère du pays de nationalité ou de résidence habituelle, est raisonnablement justifiée, autrement dit si elle repose sur un critère objectif et pertinent et si elle est proportionnée à l’objectif poursuivi (§ B.9.2). Elle se réfère à l’arrêt de la CJUE H.I.D. et B.A(31) selon lequel la nationalité d’un demandeur d’asile peut être prise en considération pour justifier le traitement de la demande d’asile en procédure prioritaire ou accélérée, sous réserve toutefois que cette procédure ne méconnaisse pas dans les principes de base et les garanties fondamentales visés au chapitre II de la directive 2005/85/ CE « procédure ». Elle se réfère également à son arrêt Samba Diouf aux termes duquel « les décisions à l’encontre desquelles le demandeur d’asile doit disposer d’un recours en vertu de l’article 39, paragraphe 1, de la directive 2005/85 sont celles qui impliquent un rejet de la demande d’asile pour des raisons de fond ou, le cas échéant, pour des motifs de forme ou de procédure qui excluent une décision au fond »(32) (§§ B.10.3-B.10.5). Au vu de cette jurisprudence, elle considère que, outre ceux visés chapitre II de la directive 2005/85/CE, figure parmi les principes de base et les garanties fondamentales du droit européen le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et l’article 39 de la directive (§ B.10.5). Elle rappelle que ce droit à un recours effectif doit, en application de l’article 52 § 3 de la Charte, être défini par référence au sens et à la portée que lui confère la CEDH et « suppose dès lors que le recours soit suspensif et qu’il permette un examen rigoureux et complet (Suite page 17) CEDH 5 février 2002 Čonka c. Belgique n° 51564/99, CEDH Gebremedhin (Gaberamadhien) c. France précité et CEDH Singh et autres c. Belgique précité. (31) CJUE 31 janvier 2013 H. I. D. et B. A. (Irlande) n° C-175/11. (32) CJUE 28 juillet 2011 Samba Diouf c. contre Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration (Luxembourg) n° C-69/10, § 42. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 17 (Suite de la page 16) des griefs des requérants par une autorité disposant d’un pouvoir de pleine juridiction » (§ B.10.7). La Cour constitutionnelle conclut que n’étant pas admis par la directive 2005/85/CE, le critère sur lequel repose la différence de traitement créée par la loi concernant le droit au recours effectif entre demandeurs d’asile, selon qu’ils sont ou non originaires d’un pays sûr, n’est pas pertinent. (§ B.11). Elle souligne qu’en tout état de cause, la différence de traitement n’est pas proportionnée à l’objectif de célérité poursuivi par le législateur, qui pourrait être atteint par un raccourcissement des délais octroyés pour l’introduction du recours de pleine juridiction, qui est au demeurant déjà prévu par la loi dans d’autres hypothèses (§ B.12). La Cour constitutionnelle belge a donc annulé l’article 2 de la loi du 15 mars 2012. sation dans un délai de six mois à compter de la publication de la décision de la Cour constitutionnelle afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt et le renvoi de l’affaire devant le CCE dans le cadre d’un recours suspensif de plein contentieux. Il y a lieu de noter qu’en application de l’effet rétroactif d’une décision d’annulation de la Cour constitutionnelle belge (33) , un demandeur dont le recours a été rejeté par un arrêt du CCE sur le fondement de l’article 2 de la loi du 15 mars 2012 peut se pourvoir en cas- ROYAUME UNI – PORTEE DE LA RECONNAISSANCE DU STATUT DE REFUGIE PAR LE HCR. Contrairement à la législation française, le droit du Royaume Uni ne prévoit pas que le placement par le HCR d’une personne sous son mandat en vertu des articles 6 et 7 de son statut entraîne la reconnaissance automatique du statut de réfugié. La Cour Suprême du Royaume Uni estime cependant que les autorités nationales doivent accorder une attention particulière à une décision du HCR accordant le statut de réfugié et que des « raisons substantielles compensatoires » sont nécessaires pour justifier une conclusion opposée. Cour Suprême britanique 29 janvier 2014 I.A. (Appellant) v The Secretary of State for the Home Department (Respondent) (Scotland) [2014] UKSC 6 L ’appelant est un ressortissant iranien qui avait quitté son pays pour l’Irak et avait été reconnu réfugié en 1998 par le HCR au Kurdistan iraquien en raison de craintes de persécutions en lien avec son appartenance au Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI). Ne bénéficiant d’aucune assistance en Irak, il avait rejoint la Turquie en 2002 et y avait été à nouveau reconnu réfugié par le HCR en mai 2003. Attendant sa réinstallation dans un pays tiers depuis trois ans, il avait manifesté en 2006 pour protester contre l’inaction du HCR et avait été, pour ce motif, arrêté par les autorités turques. Dans ce contexte, il avait rejoint le Royaume-Uni en 2007. (33) Le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur avait rejeté sa demande d’asile le 5 novembre 2008 au motif que son récit n’était pas crédible, décision confirmée par le Tribunal de l’Asile et de l’Immigration (AIT). L’appelant avait contesté la décision de l’AIT devant la Cour de session au motif qu'elle n’avait pas pris en considération la décision du HCR lui reconnaissant la qualité de réfugié. L’« Extra Division » de la Cour de session avait rejeté l’appel. Aucune information sur les motifs ayant conduit le HCR à reconnaître le statut de réfugié à l’intéressé n’avait été fournie devant l’AIT et la Cour de session, le HCR arguant de son incapacité à répondre à toutes les demandes d’informations concernant les motifs d’une décision individuelle en raison de plusieurs facteurs tels que le respect des principes de confidentialité et de protection des données ou le risque de compromettre la sécurité du personnel, des réfugiés et des opérations. L’intéressé a saisi la Cour Suprême après avoir autorisé le HCR à divulguer des documents concernant son admission en tant que réfugié en Turquie en 2003 (notes portant sur son entretien et l’évaluation de sa demande). La Cour Suprême observe tout d’abord que, sans remettre en cause la pertinence des raisons conduisant le HCR à ne pas Article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. (Suite page 18) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 18 (Suite de la page 17) divulguer les informations relatives aux motifs pour lesquels il a accordé un statut de réfugié et celles portant sur sa méthode d’évaluation des demandes d’asile, ces informations ainsi que le fondement sur lequel le statut de réfugié a été reconnu sont d’une importance cruciale pour l’examen d’une demande d’asile par un Etat (§ 26). Elle observe en l’espèce que les informations divulguées par le HCR semblent pouvoir permettre de vérifier l’exactitude des faits allégués par le demandeur et qu’il est tout à fait possible que l’AIT aurait porté une appréciation sensiblement différente sur la crédibilité du récit du demandeur s’il avait eu accès à ces informations (§ 27). La Cour Suprême relève ensuite qu’il est admis par tous, y compris par le HCR, que, en dépit de l'expertise, de l'expérience et des responsabilités de celui-ci dans le domaine des réfugiés, les décisions de reconnaissance du statut de réfugié qu’il prend ne s’imposent pas aux Etats, lesquels ont une responsabilité autonome et indépendante en vertu de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 pour déterminer si une personne est fondée à se voir reconnaître la qualité de réfugié (§ 29). Intervenant à l’instance, le HCR faisait valoir qu’un Etat ne peut écarter la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR dans l'évaluation d’une demande d’asile que s’il existe des raisons impérieuses, lesquelles consisteraient, selon le HCR, en des informations fia(34) bles permettant de conclure soit que le demandeur ne correspond pas à la définition d'un réfugié au sens l'article 1A2 de la Convention de Genève telles que la survenance de changements dans la situation du demandeur ou dans son pays d'origine ou des informations auparavant inaccessibles ou nouvelles affectant directement l'évaluation de la demande d’asile, soit que le demandeur relève des clauses d'exclusion de l'article 1F de la Convention, soit que ses déclarations ne sont pas crédibles (§ 45). La Cour Suprême prend en considération ces facteurs mais estime qu’ils ne sauraient être considérés comme exhaustifs (§ 46). Elle relève par ailleurs que lorsque le rejet d'une demande d'asile déposée par une personne reconnue comme réfugié par le HCR repose uniquement sur un défaut de crédibilité, ce rejet doit se fonder sur des informations émanant d'une source autre que les éléments apportés par le demandeur (§ 46). Elle considère que les autorités nationales doivent accorder une attention particulière à la décision du HCR avant d’opter pour une conclusion opposée et que si la reconnaissance de la qualité de réfugié par le HCR ne constitue pas une présomption, n’inverse pas la charge de la preuve et ne représente pas un point de départ, des « raisons substantielles compensatoires » sont nécessaires pour justifier une conclusion différente (§ 49). Elle précise que la reconnaissance du statut de réfugié doit toujours être considérée comme significative, même en l’absence d’informations sur le fondement et la procédure selon lesquels la décision a été prise (§ 51). La Cour Suprême considère en l’espèce que l’AIT a à bon droit rejeté le recours de l’appelant dès lors qu’une analyse minutieuse du dossier a été effectuée, que des éléments étrangers à ceux apportés par le demandeur mettaient en cause la crédibilité du récit de celui-ci et que la reconnaissance de la qualité de réfugié par le HCR a été écartée sur le fondement de raisons claires et substantielles (§ 52). Elle estime néanmoins que l’appelant peut faire une nouvelle demande (« fresh claim ») en vertu de la « Rule 353 » des « Immigrations Rules » du fait des informations contenues dans les notes de son entretien avec le HCR en 2003 qui n’ont pas été soumises à l’appréciation du Secrétaire d'État à l’Intérieur et de l’AIT. Il y a lieu de noter que seules les législations française(34) et bulgare(35) prévoient qu’une personne sur laquelle le HCR exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut est automatiquement être reconnue comme réfugié(36). Article L. 711-1 du CESEDA. Article 10 de la loi sur l’asile et les réfugiés du 16 mai 2002 (amendée en 2007). (36) Pour d’autres pays de l’UE ainsi que pour l’Albanie, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et les Etats-Unis d’Amérique, voir « National law and practice regarding the weight given by states to UNHCR mandate recognition », annexe à « I. A. v. Secretary of State for the Home Department: Case for the Intervener », 29 octobre 2013, disponible uniquement en anglais sur le site Internet Refworld. (35) Texte NOUVELLES CONDITIONS DE FORME D’UNE REQUETE INDIVIDUELLE DEVANT LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Le nouvel l’article 47 du règlement de la Cour EDH, tel qu’amendé le 6 mai 2013 par l’Assemblée plénière de la Cour, est entré en vigueur le 1er janvier 2014. D es conditions de forme plus strictes pour introduire une requête devant la Cour EDH sont applicables depuis le 1er janvier 2014 à la suite de l’entrée en vigueur du nouvel article 47 du règlement de la Cour. En vue d’accroître son efficacité et d’accélérer l’examen des requêtes, la Cour EDH a adopté deux changements essentiels qui détermineront si une requête est attribuée à une formation de jugement ou si elle est rejetée sans être examinée. Doctrine Année 2014, N°1 « Droit d’asile » 19 Le premier changement est relatif aux informations et documents devant être fournis à la Cour EDH. Désormais, tout formulaire envoyé à la Cour EDH devra être intégralement rempli et accompagné de copies des documents pertinents. A défaut, la requête, sauf exception, ne sera pas examinée par la Cour EDH, alors qu’auparavant, il s'agissait d'une simple éventualité. Le second changement concerne le décompte du délai de recours de six mois suivant la décision définitive rendue par la plus haute juridiction interne compétente (art. 35 § 1 de la Convention). La date d'enregistrement de la requête est désormais celle à laquelle le formulaire dûment rempli et accompagné des documents pertinents parvient à la Cour EDH. Un formulaire de requête incomplet ne conservera donc plus le délai. A propos de la décision CJUE 30 janvier 2014 Aboubacar Diakité (Belgique) C-285/12 « Protection subsidiaire : qu’est-ce qu’un conflit armé interne ? », D. Poupeau, AJDA hebdo n° 5/2014, 10 février 2014, p. 255. A propos de la décision CEDH 19 décembre 2013 N.K. c. France n° 7974/11 et CEDH 10 octobre 2013 K. K. c. France n° 18913/11 « CEDH : des décisions de rejet de demande d’asile insuffisamment motivées », Lamy mobili- té internationale, actualité n° 188, janvier 2014, pp. 1 à 3. A propos des décisions CEDH 19 décembre 2013 N.K. c. France n° 7974/11, CEDH 14 novembre 2013 Z. M. c. France n° 40042/11, CEDH 10 octobre 2013 K. K. c. France n° 18913/11 et CEDH 19 septembre 2013 R. J. c. France n° 10466/11 « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme (juillet-décembre 2013) : Etrangers », L. Burgorgue-Larsen, AJDA hebdo n° 3/2014, 27 janvier 2014, pp. 150 à 152. A propos de la décision CJUE GC 10 décembre 2013 Mme ABDULLAHI (Autriche) C394/12 « Dublin II : La CJUE réduit la portée du recours contre les critères de détermination de l’État responsable », C. Pouly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier A propos des décisions CJUE GC 10 décembre 2013 Mme ABDULLAHI (Autriche) C394/12 et CJUE GC 14 novembre 2013 Kaveh Puid (Allemagne) C-4/11 « Chronique de jurisprudence de la CJUE : Asile- Détermination de l’État responsable », AJ- DA hebdo n° 6/2014, 17 février 2014, pp. 342 et 343. A propos de la décision CJUE 7 novembre 2013 MM. X, Y et Z (Pays-Bas) C-199/12, C200/12 et C-201/12 « Les homosexuels, un groupe social au sens de la directive « qualification » », C. Teitgen- Colly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, pp. 1 à 3. « Chronique de jurisprudence de la CJUE : Statut de réfugié », AJDA hebdo n° 6/2014, 17 février 2014, pp. 341 et 342. Droit des étrangers - France Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 20 DIRECTIVE 2003/9/CE « ACCUEIL »(37) – DEMANDEUR D’ASILE S’ETANT SOUSTRAIT A L’EXECUTION DE LA MESURE DE TRANSFERT DECIDEE EN VERTU DU REGLEMENT 343/2003 « DUBLIN II »(38) – INTERRUPTION DU BENEFICE DES CONDITIONS MATERIELLES D’ACCUEIL – TRANSPOSITION DE L’ARTICLE 16 DE LA DIRECTIVE 2003/9/CE (ABSENCE) – SUSPENSION DU BENEFICE DE L’ALLOCATION TEMPORAIRE D’ATTENTE (ABSENCE). Le Conseil d’Etat rappelle qu’un Etat membre de l’UE doit garantir l’accès aux conditions minimales d’accueil prévues par la directive 2003/9/CE au demandeur d’asile pour lequel il décide, en application du règlement 343/2003, de requérir un autre Etat membre aux fins de prise en charge. Il précise que si le bénéfice de ces conditions minimales d’accueil peut être interrompu lorsque l’intéressé abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans l’informer, en application de l’article 16 de la directive, une telle interruption est subordonnée à une mesure de transposition de cet article. En l’absence d’une telle mesure, l'instruction du ministre de l'Intérieur attaquée n'entraine, en l’état actuel du droit français, aucune suspension de l'allocation temporaire d'attente. CE 12 février 2014 CIMADE et GISTI n° 368741 C S aisi d’un recours en annulation pour excès de pouvoir dirigé contre des dispositions de l’instruction du ministre de l'Intérieur du 23 avril 2013 relative au droit à l'allocation temporaire d'attente (ATA) des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure Dublin en application du règlement 343/2003, le Conseil d’Etat relève que si un Etat membre de l’UE est tenu, conformément à la jurisprudence de la CJUE(39), d’octroyer les conditions minimales d’accueil garanties par la directive 2003/9/CE à tout demandeur d’asile, y compris à celui pour lequel il décide, en application du règlement « Dublin », de requérir un autre Etat membre aux fins de prise en charge et, ce, jusqu’au transfert effectif du demandeur (§ 4), ce qui emporte droit au maintien sur le territoire français (§ 4) et (37) droit au bénéfice de l’ATA sans qu’il soit besoin que l’intéressé dispose d’un titre de séjour ou d’un récépissé de demande d’asile (§ 5), il résulte des dispositions de l’article 16 de la directive que « le bénéfice de ces conditions minimales d’accueil peut être interrompu lorsque le demandeur d’asile abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé cette autorité » (§ 9). Il relève toutefois qu’« une telle interruption ne saurait intervenir en l’absence de dispositions nationales prises pour la transposition de cet article » (§ 9). Partant, il considère que les dispositions du huitième paragraphe de l’instruction contestée, qui se bornent à prescrire à leurs destinataires de communiquer aux services de Pôle emploi la liste des demandeurs d’asile qui se sont volontairement soustraits à l’exécution de la mesure de transfert les concernant et qui ont été déclarés « en fuite » au sens des dispositions des articles 19 et 20 du règlement « Dublin », « n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’entraîner la suspension du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente » (§ 9). Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres. (38) Règlement (CE) du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers. (39) CJUE 27 septembre 2012 La CIMADE et GISTI c/ Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration C-179/11, cf bulletin 5/2012. Doctrine « Droit d’asile » 21 A propos de la décision CE Sect. Avis 30 décembre 2013 Mme O. n° 367615 A « Conséquence de l’annulation du refus d’autorisation provisoire de séjour à un demandeur d’asile », D. Poupeau, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 7. « Les garanties procédurales et contentieuses du demandeur d’asile », X. Domino, RFDA n° 1, Année 2014, N°1 janvier-février 2014, pp. 76 à 86. « L’absence d’information du demandeur d’asile peut coûter cher à l’administration », F. Julien-Laferriere, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, p. 10. « Exception d’illégalité et annulation par voie de conséquence : la théorie du domino », AJDA hebdo n° 4/2014, 3 février 2014, pp. 222 à 225. « Effets de l’annulation du refus d’admission provisoire au séjour opposé à un demandeur d’asile », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 2, février 2014, pp. 7 et 8. « Le droit à l’information du demandeur d’asile », Lamy mobilité internationale, actualité n° 189, février 2014, p. 3. A propos de la décision CE 30 décembre 2013 La CIMADE n° 350193 B « Le droit européen n’impose pas que l’OFPRA fasse le choix de la procédure d’examen d’une demande d’asile », M-C. de Montecler, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 13. A propos de la décision CE Avis 18 décembre 2013 Préfet de Haute-Savoie c. M. X. n° 371994 A « Remise ou OQTF ? A l’appréciation du Préfet ! », C. Pouly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, pp. 6 à 7. « Précisions sur l’articulation des procédures d’OQTF et de reconduite à la frontière », D. Pou- peau, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 10. « Articulation des procédures d’OQTF et de remise à un autre état membre », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 2, février 2014, p. 6. Jurisprudence Droit des étrangers - Europe et autres pays DIRECTIVE 2003/9/CE « ACCUEIL » – DATE D’OCTROI DES CONDITIONS MATERIELLES D’ACCUEIL – FOURNITURE DES CONDITIONS MATERIELLES D’ACCUEIL SOUS LA FORME D’ALLOCATIONS FINANCIERES – ETENDUE DE L’AIDE FINANCIERE OCTROYEE – RENVOI AUX SYSTEMES NATIONAUX DE PROTECTION SOCIALE EN CAS DE SATURATION DES STRUCTURES D’ACCUEIL. La CJUE rappelle tout d’abord que la période pendant laquelle les conditions matérielles d’accueil doivent être accordées aux demandeurs d’asile débute dès l’introduction de la demande d’asile. Les allocations financières octroyées doivent ensuite être suffisantes pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé et assurer la subsistance des demandeurs d’asile, et elles doivent permettre au demandeur d’asile de disposer d’un logement, le cas échéant, sur le marché privé de la location et préserver l’unité familiale. Enfin ces allocations peuvent être versées par l’intermédiaire d’organismes relevant du système d’assistance publique générale, pour autant que ceux-ci assurent aux demandeurs d’asile le respect des normes minimales prévues par la directive 2003/9/CE. CJUE 27 février 2014 Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile c./ Selver Saciri et autres C-79/13 L e 11 octobre 2010, la famille Saciri a introduit une demande d’asile en Belgique. Le même jour, (40) l’agence fédérale pour l’ac- fournir une structure d’accueil cueil des demandeurs d’asile, et l’a dirigée vers le centre pula Fedasil(40), a informé cette blic d’action sociale, l’OCMW (Suite page 22) famille de l’impossibilité de lui Federaal agentschap voor de opvang van asielzoekers. Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 22 (Suite de la page 21) (41) . N’ayant pas pu obtenir un hébergement, la famille Saciri s’est tournée vers le marché locatif privé mais, dans l’impossibilité de régler son loyer, elle a introduit auprès de l’OCMW une demande d’aide financière qui lui a été refusée au motif qu’elle relevait des structures d’accueil gérées par la Fedasil. Saisie par la famille Saciri, la justice belge a enjoint à la Fedasil de lui accorder un accueil et l’a condamnée à lui verser une somme équivalant à trois mois de revenus d’intégration pour une personne ayant une famille à charge pour la période au cours de laquelle elle n’avait pas pu être logée par la Fedasil. Concernant la période au cours de laquelle cette famille n’a pas bénéficié d’un logement en nature ni d’une allocation financière suffisante pour payer son loyer, la Fedasil et la famille Saciri ont interjeté appel devant la Cour du travail de Bruxelles (« Arbeidshof te Brussel »), qui a posé plusieurs questions préjudicielles. La CJUE relève à titre préliminaire qu’aux termes de l’article 13 § 5 de la directive 2003/9/ CE, les conditions matérielles d’accueil peuvent être fournies en nature ou sous la forme d’allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules (§ 32). S’agissant tout d’abord de la période pendant laquelle les conditions matérielles d’accueil doivent être accordées aux demandeurs d’asile, la CJUE rappelle(42) que celle-ci débute dès l’introduction de la demande d’asile, que les conditions matérielles d’accueil soient fournies en nature (41) ou sous la forme d’allocations financières, et que l’économie générale et la finalité de la directive ainsi que le respect des droits fondamentaux, notamment les exigences de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’UE selon lequel la dignité humaine doit être respectée et protégée, s’opposent à ce qu’un demandeur d’asile soit privé, fût-ce pendant une période temporaire, après l’introduction de sa demande, de la protection des normes minimales établies par la directive (§§ 33-35). S’agissant ensuite de la question de savoir si le montant des allocations financières doit être de nature à permettre aux demandeurs d’asile d’obtenir un logement, la Cour déduit des dispositions de l’article 2 j) de la directive, aux termes desquelles les conditions d’accueil comprennent le logement, la nourriture, l’habillement ainsi qu’une allocation journalière (§ 38), du considérant 7 de la directive, selon lequel les normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile doivent, en principe, suffire à leur garantir un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les Etats membres (§ 39), ainsi que des dispositions de l’article 13 § 2 et 5 second alinéa de la même directive, que l’aide financière octroyée doit être suffisante pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé et assurer la subsistance des demandeurs d’asile (§ 40). Partant, cette allocation doit être suffisante pour permettre au demandeur d’asile de disposer d’un logement, le cas échéant, sur le marché privé de la location (§ 42). La directive ne per- met cependant pas au demandeur d’asile de choisir un logement selon sa convenance personnelle (§ 43). Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 13 § 2, second alinéa, de la directive, l’Etat membre doit adapter les conditions d’accueil à la situation des personnes ayant des besoins particuliers, visées à l’article 17 de la directive. Dès lors, les allocations financières doivent être suffisantes pour préserver l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant, qui constitue une considération primordiale (§ 41). Partant, si l’article 14 § 3 de la directive n’est pas applicable lorsque les conditions matérielles d’accueil sont fournies exclusivement sous la forme d’allocations financières, le montant de ces allocations doit cependant être suffisant pour permettre aux enfants mineurs d’être logés avec leurs parents, de sorte que l’unité familiale des demandeurs d’asile puisse être maintenue (§ 45). Enfin, en cas de saturation des structures d’hébergement, les allocations financières peuvent être versées par l’intermédiaire d’organismes relevant du système d’assistance publique générale, pour autant que ceuxci assurent aux demandeurs d’asile le respect des normes minimales prévues par la directive (§ 49), la saturation des réseaux d’accueil ne pouvant justifier une quelconque dérogation au respect de ces normes (§ 50). Openbaar Centrum voor Maatschappelijk Welzijn. CJUE 27 septembre 2012 Cimade et Groupe d'information et de soutien des immigrés (France) C176/11, §§39 et 56. (42) Jurisprudence « Droit d’asile » Année 2014, N°1 23 REGLEMENT 343/2003 « DUBLIN II » – CONDITIONS AUXQUELLES EST SUBORDONNE LE RENVOI D’UN DEMANDEUR D'ASILE VERS L’ETAT MEMBRE RESPONSABLE DE L’EXAMEN DE SA DEMANDE – ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. La Cour Suprême britannique considère que le transfert d’un demandeur d’asile vers un Etat membre considéré comme responsable de l’examen de la demande, en application du règlement « Dublin II », est interdit lorsque les conditions de vie du demandeur dans cet Etat seraient constitutives de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. La simple constatation qu’il n’existe pas de défaillances systémiques du régime d’asile de l’Etat membre considéré comme responsable de l’examen de la demande d’asile engendrant un risque sérieux de violation des droits fondamentaux ne suffit pas pour permettre le transfert d’un demandeur vers ce pays. Cour Suprême britannique, 19 février 2014, R (on the application of EM (Eritrea)) (EH) (MA) (AE) v Secretary of State for the Home Department (Respondent) [2014] UKSC 12 L es requérants, un ressortissant iranien et trois ressortissants érythréens, avaient rejoint le Royaume Uni en passant par l’Italie. Deux d’entre eux avaient été reconnus réfugiés en Italie. Les autorités du Royaume Uni ont décidé de renvoyer les quatre requérants en Italie, considéré comme l’Etat membre responsable en application du règlement « Dublin II ». Les requérants soutenaient qu’un tel renvoi les exposerait à un risque de traitements inhumains ou dégradants contraire à l’article 3 de la CEDH, en raison de la situation des demandeurs d’asile en Italie. Ils faisaient valoir que s’ils étaient renvoyés dans ce pays, ils se retrouveraient sans domicile et sans ressource. En outre, parmi ces requérants reconnus réfugiés en Italie, les femmes affirmaient avoir été victimes de plusieurs viols en Italie. Le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur a estimé que les demandes étaient manifestement mal fondées dès lors que l’Italie, présumé pays sûr, ne connaît pas de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile. La Cour d’appel a déduit de l’arrêt N.S (43) e.a(43) de la CJUE, dont la jurisprudence est obligatoire pour tous les Etats membres, que seules des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans un Etat membre engendrant un risque sérieux de violation des droits fondamentaux étaient de nature à empêcher un renvoi en application du règlement « Dublin II » et que de telles défaillances n’existaient pas en Italie. Elle a relevé que si au regard de la jurisprudence de la Cour EDH, le renvoi des requérants pourraient effectivement poser un problème sous l’angle de l’article 3 de la CEDH, pour lequel une simple violation suffit, cette appréciation n’est pas pertinente pour l’interprétation du droit de l’UE, dont fait partie le règlement « Dublin II », la Cour EDH appartenant à un système juridique distinct. Infirmant cette conclusion, la Cour Suprême estime que l’arrêt N.S e.a de la CJUE doit être lu en fonction du contexte dans lequel il a été rendu. Elle considère que la CJUE ne préconise pas qu’une violation de l’article 3 de la CEDH ne pourrait empêcher un transfert « Dublin » que si elle résulte d’une défaillance systémique de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandes d’asile dans l’Etat concerné (§ 55). La violation des droits fondamentaux constituait, dans l’affaire N.S e.a, une preuve des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandes d’asile en Grèce (§ 55) et la violation des droits fondamentaux par la Grèce étant établie, le débat ne portait que sur les effets de ces défaillances sur la présomption de respect, par les Etats membres de l’UE, des droits fondamentaux (§ 56). La Cour Suprême rappelle ensuite la jurisprudence S. c. Royaume Uni de la Cour EDH qui interdit le renvoi par un Etat membre du Conseil de l’Europe d’une personne vers un pays où il est établi qu’elle courrait un risque réel et sérieux de subir un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH (§ 58). Elle rappelle également que le règlement 343/2003 et la directive 2003/9/CE doivent être interprétés en conformité avec les droits fondamentaux (§ 59), qu’un certain nombre d’obligations incombe aux Etats membres de l’UE à l’égard des demandeurs d’asile et des réfu- CJUE 21 décembre 2011 N.S. (Royaume-Uni) C-411/10 et M.E. e.a. (Irlande) C-493/10. (Suite page 24) Jurisprudence Doctrine Année 2014, N°1 « Droit d’asile » 24 (Suite de la page 23) giés en vertu de la directive 2003/9/CE(44) et de la directive 2004/83/CE qualification »(45) (§§59-61), que ces obligations fusionnement avec les obligations positives incombant aux Etats membres du Conseil de l’Europe qui sont également membres de l’UE et que le Royaume Uni est tenu de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’UE, dont l’article 4 prévoit une garantie équivalente à celle prévue par l’article 3 de la CEDH, chaque fois qu’est mis en œuvre un instrument européen (§ 62). La Cour Suprême observe par ailleurs qu’il n’est pas contesté que les obligations positives découlant de l'article 3 de la CEDH comprennent l'obligation de protéger les demandeurs d'asile contre le risque d’être délibérément exposé à des conditions de vie constitutives de mauvais traitements et que la Chambre des Lords a jugé que la responsabilité de l’Etat serait engagé sous l’angle de l’article 3 si un demandeur d’asile est privé, par une action délibérée de l'Etat, d’un abri, de nourriture ou des besoins les plus élémentaires de vie(46) (§ 62). La Cour Suprême conclut que, si les conditions dans lesquelles le demandeur serait obligé de vivre dans le pays considéré comme responsable de l’examen de sa demande d’asile en application du règlement « Dublin II » sont telles qu’il existe un risque réel de violation de l’article 3 de la CEDH, le transfert vers ce pays est interdit et que si la recherche de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre considéré comme responsable de l’examen de sa demande d’asile peut conduire à établir l’existence d’un risque réel de violation de l’article 3, la simple constatation qu’il n’existe pas de défaillances systémiques ne suffit pas à permettre le renvoi des requérants vers ce pays (§ 63). La Cour Suprême accueille, à l’unanimité, les quatre requêtes et les renvoie les affaires devant la Cour administrative afin de déterminer si, au regard de la situation générale prévalant en Italie et de la situation personnelle des requérants, y compris leur expérience passée, il existe un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de renvoi en Italie. Il convient enfin de noter que la Cour Suprême considère que les quatre requérants, y compris les deux ayant été reconnus réfugiés en Italie, sont soumis aux dispositions du règlement « Dublin II » dès lors qu’ils répondent aux critères définissant un ressortissant d’un Etat tiers et un demandeur d’asile, tels qu’énoncés aux alinéa a) et d) de l’article 2 dudit règlement (§ 79). A propos de la décision CJUE gde chambre 19 décembre 2013 Koushkaki (Allemagne) C84/12 (cf. bulletin 6/2013) « Le code des visas Schengen expliqué par la CJUE », M-C. de Montecler, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 16. « Refus de visa : application stricte du Code des visas », Lamy mobilité internationale, actuali- té n° 188, janvier 2014, pp. 6 et 7. « Les refus de visas « Schengen » doivent être fondés sur le code européen des visas », Dic- tionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, pp. 1 à 3. (44) Article 13 de la de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres. (45) Considérant 33 et articles 26, 27, 28, 29, 31 et 33 de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts. (46) R (on the application of Limbuela) v Secretary of State for the Home Department [2005] UKHL 66, disponible à l’adresse www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldjudgmt/jd051103/adam.pdf. Année 2014, N°1 « Droit d’asile » 25