Droit d`asile

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Droit d`asile
Bulletin d’information juridique
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Droit d’asile - France
Cour Nationale du Droit d’asile
35 rue Cuvier
93558 Montreuil Cedex
Tel. : 01 48 18 40 00
Internet : www.cnda.fr
Dans ce numéro :
Droit d’asile
France
1
1
Jurisprudence
1
Doctrine
4
Europe et autres pays
6
Jurisprudence
6
Textes
19
Doctrine
19
Droit des étrangers
France
20
20
Jurisprudence
20
Doctrine
21
Europe et autres pays
21
Jurisprudence
21
Doctrine
24
Jurisprudence
Année 2014, N°1
« Droit d’asile »
DECISIONS DU CONSEIL D’ETAT
DETERMINATION
DU
PAYS
DE
NATIONALITE
–
SUBSIDIARITE
DU
CRITERE
DE
LA
RESIDENCE
HABITUELLE – NECESSITE DE RECHERCHER SI LE
DEMANDEUR EST ELIGIBLE A UNE NATIONALITE. Le Conseil
d’Etat fait grief à la Cour d’avoir estimé que l’Abkhazie pouvait être
regardé comme le pays à l’égard duquel devait être examinés les
risques invoqués par les requérants sans avoir recherché s’ils étaient
éligibles à la nationalité géorgienne.
CE 5 février 2014 OFPRA c. M. A. n° 363069 C
CE 5 février 2014 OFPRA c. Mme A. épouse A. n° 363070 C
CE 5 février 2014 OFPRA c. Mme S. veuve A. n° 363071 C
L
a Cour avait reconnu la qualité
de réfugié aux
trois requérants sur le
fondement de craintes
de persécutions de la
part des autorités de
l’Abkhazie du fait de
soupçons de collaboration avec la Géorgie
pesant sur deux d’entre
eux et en raison, pour
la dernière, de l’aide
apportée au responsable d’une milice géorgienne. On rappelle
qu’à l’issue de la guerre d’août 2008 les régions séparatistes géorgiennes d’Abkhazie et
d’Ossétie du Sud, soutenues par la Russie,
ont déclaré leur indépendance à l’égard de
la Géorgie, indépendance reconnue par la
Russie. L’Abkhazie n’a
cependant aucune existence légale au sens du
droit international et
demeure partie intégrante du territoire
géorgien internationalement reconnu. Il ressort par ailleurs des décisions sous pourvoi
que les requérants
étaient d’origine arménienne.
Dans les deux premières décisions (OFPRA
c. M. A. et OFPRA c.
Mme A. épouse A.), le
juge de cassation estime que la Cour a commis une erreur de droit
pour avoir admis à la
qualité de réfugiés les
demandeurs sur le fondement de leurs craintes à l’égard des autorités de l’Abkhazie, leur
lieu de résidence habituelle, sans rechercher
si ces derniers étaient
en droit d’acquérir la
nationalité géorgienne
en application de la loi
du 25 mars 1993.
Dans la troisième décision (OFPRA c. Mme
S. veuve A.), la haute
juridiction
considère
que le juge de l’asile a
également commis une
erreur de droit, pour
avoir accordé le statut
de réfugié après s’être
fondé cette fois sur le
passeport abkhaze obtenu par l’intéressée
sans avoir là non plus
examiné si cette dernière était en droit d’acquérir la nationalité
géorgienne.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
2
DECISIONS DE LA COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE
KOSOVO – VEUVE D’ORIGINE ALBANAISE – GARDE DES ENFANTS – DROIT
COUTUMIER (KANUN) – GRAVITE DES AGISSEMENTS ALLEGUES – DIRECTIVE
2011/95/UE « QUALIFICATION »(1). La Grande formation de la Cour rappelle la nécessité
de se prononcer sur la réalité de la crainte exprimée avant de déterminer si cette crainte se
rattache à l’un des motifs de persécutions énoncés par la Convention de Genève. Après avoir
constaté que la situation des veuves au Kosovo n’est plus problématique aujourd’hui
s’agissant de la garde de leurs enfants, elle considère que les agissements invoqués par la
requérante ne revêtent pas un degré de gravité tel qu’ils puissent être constitutifs d’actes de
persécutions au sens de la directive 2011/95/UE.
CNDA GF 31 janvier 2014 Mme H. veuve T. n° 12013217 R
S
aisie par une ressortissante du Kosovo, veuve
d’origine albanaise, invoquant des craintes de perdre
la garde de ses enfants en application du droit coutumier et
d’être victime de violences
physiques de la part de ses
beaux-frères, et soutenant appartenir de ce fait à un certain
groupe social, la Cour rappelle
tout d’abord qu’il doit être établi que la personne sollicitant
la qualité de réfugié est fondée
à craindre qu’une persécution
soit exercée sur sa personne,
avant de déterminer si cette
crainte a pour origine l’un des
motifs énoncés par la Convention de Genève.
Elle se prononce ensuite sur la
situation des femmes aux Kosovo. Il ressort des sources
d’information
géopolitique
disponibles que la législation
en vigueur au Kosovo est fondée sur l’égalité des sexes et la
laïcité et que, si le code coutumier dit « kanun », remontant
au XVème siècle, prévoyait
que les veuves pouvaient demeurer dans la famille de leur
époux défunt ou la quitter pour
retourner dans leur propre famille, perdant alors la garde de
leurs enfants, ce droit traditionnel est tombé en désuétude. Le
recours à la justice dans les
‘(1)
affaires de veuvage est fréquent et suivi d’effets et la garde des enfants n’est pas systématiquement accordée à la famille du père. Les cas de veuves perdant la garde de leurs
enfants du fait de ces traditions
demeurent très rares et confinés dans des zones rurales.
Enfin, si les femmes au Kosovo sont confrontées à des difficultés d’affirmation sociale,
aucun fait précis n’a pu être
documenté concernant des discriminations auxquelles seraient confrontées des veuves
au Kosovo en matière de garde
d’enfants.
La Cour considère, en l’espèce,
que les déclarations vagues de
l’intéressée, veuve depuis
2004, ne permettent pas de
mettre en évidence des violations répétées de ses droits à
mener une vie familiale avec
ses enfants à un niveau de gravité tel qu'elles seraient qualifiables d’actes de persécutions
tels que définis par l’article 9
de la directive 2011/95/UE.
S’agissant des circonstances de
son départ du domicile familial, elle relève le caractère
confus et changeant des déclarations de la requérante et
prend en considération le fait
que ses beaux-frères n'ont ni
tenté ni même été en mesure de
s'opposer au départ des enfants
avec leur mère. Ses craintes
actuelles en cas de retour au
Kosovo ne sont pas davantage
considérées comme établies et
il est relevé, au surplus, qu'au
regard de la législation kossovienne sur la famille, elle dispose de la garde exclusive de
ses enfants, ces derniers ayant
atteint un âge leur permettant
d'exprimer auprès de toute autorité compétente leur choix de
ne pas être séparés de leur mère contre leur volonté.
Enfin, aucun élément sérieux
ne permet d'établir que la requérante serait exposée au Kosovo à de graves violences
physiques en raison du conflit
qui l'opposerait à ses beauxfrères ni que les autorités ne
seraient pas en mesure de lui
offrir une protection.
La Cour conclut que la requérante ne peut être regardée
comme étant personnellement
exposée, dans son pays d’origine, à des persécutions au sens
de la Convention de Genève ou
à des menaces graves au sens
des dispositions régissant la
protection subsidiaire.
Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes
relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant
bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
3
PRINCIPE DE L’UNITE DE FAMILLE – APPLICABILITE AUX ASCENDANTS D’UNE
MINEURE RECONNUE REFUGIEE EN RAISON D’UN RISQUE D’EXCISION
(ABSENCE). A la suite de l’avis du Conseil d’Etat du 20 novembre 2013, la Cour considère
que le principe de l’unité de famille, principe général du droit des réfugiés, ne peut être
étendu aux parents d'une enfant ou d'une jeune fille mineure ayant obtenu le statut de
réfugié en raison de risques de mutilations génitales féminines encourus dans son pays
d’origine.
CNDA GF 20 janvier 2014 M. F. et Mme D. épouse F. n° 12006532 et n°12006533 R
C
onfrontée à la situation
des parents d’enfants
reconnues réfugiées en
raison d’un risque de mutilation génitale féminine (MGF),
la Cour avait, pour la première
fois, saisi le Conseil d’Etat
d’une demande d’avis en application de l’article L. 733-3 du
CESEDA sur la question de
savoir le principe de l’unité de
famille impose que la même
qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui
est père ou mère d’un enfant
mineur à la date à laquelle cet
enfant a été reconnu réfugié.
A la suite de l’avis du Conseil
d’Etat du 20 novembre 2013(2),
la Grande formation de la Cour
considère, d’une part, que le
droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la
Constitution du 27 octobre
1946, de l’article 8 de la
Convention européenne de
sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, des articles 3 et 9 de
la Convention internationale
relative aux droits de l’enfant
et de l’article 7 de la Charte
des droits fondamentaux de
l’Union européenne, ne donne
pas aux parents d’un réfugié
mineur droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié.
Après avoir rappelé les fondements et les conditions d’application du principe de l’unité de
famille(3), elle considère, d’autre part, que « [les principes
généraux du droit applicables
aux réfugiés] n’imposent pas
que le statut de réfugié doive
être accordé aux parents d’une
réfugiée mineure qui s’est vu
reconnaître la qualité de réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants ou d’adolescentes non
mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines
qu’elle encourt personnellement, dès lors qu’ils ne sont
pas exposés aux risques de
persécution qui ont conduit à
ce que le statut de réfugié soit
accordé à leur enfant ».
Elle conclut, en l’espèce, que
la circonstance que l’enfant
mineure des requérants s’est vu
reconnaître le 4 avril 2013 la
qualité de réfugiée en raison de
son appartenance à un groupe
social d’enfants ou d’adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles
féminines qu’elle encourt personnellement, si elle est établie
et postérieure aux décisions de
la Cour du 7 juillet 2011, ne
constitue pas un élément nouveau susceptible de justifier le
réexamen des demandes de
reconnaissance de la qualité de
réfugié des requérants.
PROCEDURE DEVANT LA CNDA – PREUVE – SITUATION SPECIFIQUE D’UN
DEMANDEUR
D’ASILE
VULNERABLE
–
DIRECTIVE
2011/95/UE
« QUALIFICATION ». La CNDA a pris en compte la situation spécifique d’un demandeur
d’asile vulnérable pour examiner sa demande et lui reconnaître la qualité de réfugié.
CNDA 23 décembre 2013 M. B. n° 12012350 C+
D
ans cette affaire, la
CNDA a considéré
que le cas de l’intéressé, ressortissant rwandais, auquel elle a reconnu la qualité
(2)
de réfugié, relevait des termes
du paragraphe 3 de l’article 20
de la directive 2011/95/UE qui
prévoit que « les États membres tiennent compte de la si-
tuation spécifique des personnes vulnérables telles que […]
les personnes ayant des troubles mentaux et les personnes
qui ont subi des tortures, des
CE Avis 20 novembre 2013 M. F. et Mme D. épouse F. n° 368676 A.
« les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la
convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la
convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu’ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a
demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour
former avec lui une famille ainsi qu’aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée
en France » (considérant 2 de l’avis F.).
(3)
Jurisprudence
Année 2014, N°1
« Droit d’asile »
4
(Suite de la page 3)
viols ou d’autres formes graves
de violence psychologique,
physique ou sexuelle ». La
Cour, qui se réfère également
à l’avis du HCR de mai 2012
relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes
ayant des besoins particuliers
de protection(4), a estimé, en
l’espèce, que les certificats médicaux versés par le requérant,
établis par des psychiatres, l’examen de sa demande d’asiétayés et détaillés, attestaient le.
un état de santé mental conduisant au mutisme qui pouvait
expliquer son absence à l’audience. La juridiction a également pris en compte l’état psychique particulièrement grave
du requérant dans l’appréciation du degré de précision ou
de cohérence pouvant être attendu de lui dans le cadre de
MOYEN TIRE DU DEFAUT D’AUDITION PREALABLE D’UN DEMANDEUR D’ASILE
– REOUVERTURE DE L’INSTRUCTION – MOYEN D’ORDRE PUBLIC RELEVE
D’OFFICE (ABSENCE). Il appartient aux requérants de faire valoir, le cas échéant, avant la
clôture de l’instruction devant la Cour que l’OFPRA n’a pas procédé à leur audition alors
qu’il n’en était pas dispensé par la loi.
CNDA 6 février 2014 M. G. n° 13010400 C
D
Doctrine
ans cette affaire, l’intéressé avait demandé
par le biais d’une note
en délibéré l’annulation de la
décision attaquée et le renvoi
de l’affaire devant l’OFPRA au
motif que l’Office ne l’avait
pas convoqué à un entretien
alors même qu’il n’avait pas
considéré sa demande comme
manifestement infondée.
La Cour a tout d’abord rappelé
les conditions régissant la réouverture de l’instruction en pareil cas, à savoir qu’elle n’est
tenue de le faire qui si la note
en question « contient soit l’exposé d’une circonstance de fait
dont la partie qui l’invoque
n'était pas en mesure de faire
état avant la clôture de l’ins-
truction et que le juge ne pour- moyen d’ordre public susceptirait ignorer sans fonder sa dé- ble d’être relevé d’office.
cision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou
que le juge devrait relever
d’office ». Puis, estimant que le
demandeur n’avait pas démontré qu’il n’avait pas été en mesure de faire état de ce moyen
avant la clôture de l’instruction, elle considère qu’il n’y a
pas lieu de rouvrir celle-ci, ni
par voie de conséquence d’annuler la décision et de renvoyer
l’affaire à l’OFPRA.
Ce faisant, la Cour juge que le
défaut de leur audition, qui
peut être dans certaines hypothèses opposé par les intéressés
à l’OFPRA, n’est pas un
A propos de la décision CE Avis 20 novembre 2013 M. F. et Mme D. épouse F. n° 368676 A
 « Statut des parents du mineur protégé », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, jan-
vier 2014, p. 4.
(4)
Avis du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes ayant des besoins particuliers et en particulier de personnes qui ont subi des tortures, des
viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle − mai 2012.
Doctrine
« Droit d’asile »
5
A propos de la décision CE Ass. 13 novembre 2013 CIMADE et M. O. nos 349735 et 349736
A
 « La demande d’asile de la personne réfugiée dans un État de l’UE n’est pas toujours infon-



Année 2014, N°1

dée », G. Réaux, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014,
pp. 8 et 9.
« La demande d’asile en France d’une personne déjà reconnue comme réfugiée par un autre
Etat », E. Crépey, RFDA n° 1, janvier-février 2014, pp. 67 à 75.
« Le statut des demandeurs d’asile titulaires d’une protection dans un pays de l’Union européenne », L. Abassade, Les revues JurisClasseur - Droit administratif, n° 1, janvier 2014, pp.
44 et 45.
« Examen de la demande d’asile déjà présentée dans un autre État membre », Lamy mobilité
internationale, actualité n° 188, janvier 2014, p. 4.
« Demande d’asile par une personne s’étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un autre
État partie à la convention de Genève », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité
n° 1- numéro spécial, janvier 2014, pp. 87 et 88.
A propos de la décision CE 6 décembre 2013 M. A. et autres n° 357351 B
 « La CNDA doit statuer sur le recours du demandeur d’asile éloigné », A. Aubaret, Dictionnai-
re permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9.
 « Examen par la CNDA du recours d’un demandeur d’asile renvoyé dans son pays d’origine »,
Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, p.
88.
 « Obligation d’examen de la demande d’asile », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188,
janvier 2014, p. 4.
A propos de la décision CE 27 novembre 2013 M. K. n° 363388 B
 « CNDA : le recours en rectification d’erreur matérielle peut être rejeté par ordonnance », A.
Aubaret, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9.
 « Recours en erreur matérielle », Lamy mobilité internationale, actualité n° 188, janvier 2014,
p. 5.
A propos de la décision CE 10 octobre 2013 OFPRA c/ M. Y. nos 362798, 362799 A
 « Absence d’audition d’un demandeur d’asile par l’OPFRA et procédure devant la CDNA »,
Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 1- numéro spécial, janvier 2014, p.
87.
A propos du « Rapport sur la réforme de l’asile » de Valérie Létard, Sénatrice et Jean-Louis
Touraine, Député, remis au ministre de l’Intérieur le 28 novembre 2013
 « Rapport sur la réforme de l’asile », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n°
1- numéro spécial, janvier 2014, p. 87.
A propos de la décision OFPRA du 16 décembre 2013
 « L’Albanie, le Kosovo et la Géorgie, pays d’origine sûrs », A, Aubaret, Dictionnaire perma-
nent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, p. 9.
A propos de la note d’information du 5 décembre 2013 relative aux demandes d’asile
présentées par des étrangers placés en rétention administrative en vue de leur éloignement.
 « Asile en rétention : fin du caractère automatique de l’examen en procédure accéléré », C.
Pouly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, p. 9.
Droit d’asile - Europe et autres pays
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
6
PROTECTION SUBSIDIAIRE – ARTICLE 15 C) DE LA DIRECTIVE 2004/83/CE
« QUALIFICATION »
–
NOTION
DE
CONFLIT
ARME
INTERNE
–
INTERPRETATION AUTONOME PAR RAPPORT AU DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE – CRITERES D’APPRECIATION. La CJUE considère que la notion de
« conflit armé interne » au sens de l’article 15 c) de la directive 2004/83/CE(5)
« qualification » est propre au droit de l’UE et doit être définie de manière autonome par
rapport au droit humanitaire international et, notamment, par rapport à la notion de
conflit armé ne présentant pas un caractère international. Selon la CJUE, la notion de
« conflit armé interne », au sens de la directive, vise une situation d’affrontements armés
entre les forces régulières d’un État et un ou plusieurs groupes armés ou entre deux ou
plusieurs groupes armés, indépendamment de l’intensité des affrontements, du niveau
d’organisation des forces armées en présence ou de la durée du conflit.
CJUE 30 janvier 2014 Aboubacar Diakité (Belgique) C-285/12
D
ans l’affaire au principal, un ressortissant
guinéen avait sollicité
le bénéfice d’une protection
internationale en Belgique,
arguant de ce qu’il avait été
victime d’actes de violence en
Guinée à la suite de sa participation aux mouvements de
protestation contre le pouvoir
en place. L’octroi de la protection subsidiaire lui avait été
refusé par les autorités belges
au motif notamment qu’il
n’existait pas de « conflit armé
interne », tel qu’entendu en
droit international humanitaire,
en Guinée. Le Conseil d’État
belge a saisi la CJUE pour savoir si la notion de « conflit
armé interne » au sens de la
directive « qualification », devait être interprétée de façon
autonome par rapport à la définition retenue en droit international humanitaire et, dans l’affirmative, selon quels critères
cette notion devait être appré-
(5)
ciée. Ces définitions résultent
en particulier des quatre
conventions de Genève du 12
août 1949 et du protocole additionnel du 8 juin 1977(6).
La CJUE constate tout d’abord
que l’expression de « conflit
armé interne » est propre à la
directive et diffère des notions
à la base du droit international
humanitaire, lequel distingue
les « conflits armés internationaux » et les « conflits armés
ne présentant pas un caractère
international » (§ 20). Elle en
déduit que « le législateur de
l’UE a souhaité accorder la
protection subsidiaire aux personnes concernées non seulement en cas de conflits armés
internationaux et de conflits
armés ne présentant pas un
caractère international, tels
que définis par le droit international humanitaire, mais,
également, en cas de conflits
armés internes, à condition
que ces conflits soient caracté-
risés par le recours à une violence aveugle » (§ 21).
La CJUE souligne ensuite, en
s’appuyant sur les conclusions
de l’Avocat général M. Paolo
Mengozzi(7), que « le droit international humanitaire et le
régime de la protection subsidiaire prévu par la directive
poursuivent des buts différents
et instituent des mécanismes de
protection clairement séparés » (§ 24). Elle relève par
ailleurs que le droit international humanitaire, dont certaines
violations donnent lieu à une
responsabilité pénale individuelle, entretient des relations
très étroites avec le droit pénal
international, alors qu’une telle
relation est étrangère au mécanisme de protection prévu par
la directive (§ 25).
La CJUE conclut que la possibilité de bénéficier du régime
de la protection subsidiaire ne
peut être subordonnée à la
(Suite page 7)
Le directive 2004/83/CE était encore en vigueur à la date à laquelle la question préjudicielle a été posée.
L’article 15 n’a pas été modifié dans la directive 2011/95/UE. Partant, l’interprétation donnée par la
CJUE des notions contenues au c) de cet article sous l’empire de la directive 2004/83/CE demeure pleinement valable.
(6)
Convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne; convention (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer; convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, et convention (IV) relative
à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
(7)
CJUE Conclusions de l’avocat général du 18 juillet 2013 M. Diakité (Belgique) C-285/12.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
7
(Suite de la page 6)
constatation que les conditions
d’application du droit humanitaire international sont réunies
(§ 26) et, partant, que la notion
de « conflit armé interne » doit
être interprétée de manière autonome.
S’agissant des critères d’appréciation de cette notion, la
CJUE estime que l’expression
« conflit armé interne » vise
« une situation dans laquelle
les forces régulières d’un État
affrontent un ou plusieurs
groupes armés ou dans laquelle deux ou plusieurs groupes
armés s’affrontent » (§ 28).
Elle souligne que le législateur
de l’UE a expressément refusé
d’étendre la protection à l’hypothèse où les menaces contre
la vie, la sécurité ou la liberté
du demandeur résulteraient de
« violations systématiques ou
généralisées des droits de
l’homme », envisagée par la
proposition de la Commission
ayant conduit à l’adoption de
la directive(8) (§ 29).
Elle rappelle ensuite les principes dégagés dans l’arrêt E.(9)
relatifs à l’articulation des notions de « menace individuelle » et de « violence aveugle »(10). Elle rappelle également que le mécanisme de protection institué par l’article 15
de la directive est complémen(8)
taire de celui consacré par la
Convention de Genève (§ 33).
La CJUE conclut que l’existence d’un conflit armé interne
devra être admise « sans qu’il
soit nécessaire que ce conflit
puisse être qualifié de conflit
armé ne présentant pas un caractère international au sens
du droit international humanitaire et sans que l’intensité des
affrontements armés, le niveau
d’organisation des forces armées en présence ou la durée
du conflit fasse l’objet d’une
appréciation distincte de celle
du degré de violence régnant
sur le territoire concerné » (§ 35).
gouvernementales n’interviennent pas dans le conflit »(11).
En revanche, contrairement à
ce que préconisait l’Avocat
général(12), la définition retenue
par la CJUE pour la notion de
« conflit armé interne » implique que les situations dans lesquelles la violence armée est
exercée unilatéralement ne
pourront pas être prises en
compte pour l’octroi de la protection subsidiaire(13).
Il y a lieu d’observer, en ce qui
concerne la notion de « conflit
armé interne », que la CJUE
opte pour une définition plus
étendue que celle employée en
droit international humanitaire.
Ainsi, comme l’a relevé l’Avocat général dans ses conclusions, ne seront pas automatiquement exclues du champ
d’application des dispositions
de l’article 15 c) de la directive
la situation dans laquelle, par
exemple, « les parties belligérantes ne disposent pas du degré d’organisation requis par
le droit international humanitaire ou n’exercent pas un
contrôle sur le territoire », ou
celle dans laquelle « les forces
COM(2001) 510 final.
CJUE [GC] 17 février 2009 Meki Elgafaji et Noor Elgafagi (Pays-Bas) n° C-465/07 (§§ 39 et 43).
(10)
« l’existence d’un conflit armé interne ne pourra conduire à l’octroi de la protection subsidiaire que
dans la mesure où les affrontements entre les forces régulières d’un État et un ou plusieurs groupes armés
ou entre deux ou plusieurs groupes armés seront exceptionnellement considérés comme créant des menaces
graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire, au sens de
l’article 15, sous c), de la directive, parce que le degré de violence aveugle qui les caractérise atteint un
niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné
ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceuxci, un risque réel de subir lesdites menaces » (§ 30) et « plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera
élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire » (§ 31).
(11)
Cf. CJUE Conclusions de l’Avocat général du 18 juillet 2013 précitées (§ 92).
(12)
Cf. CJUE Conclusions de l’Avocat général du 18 juillet 2013 précitées (§ 92).
(13)
M. Gheka, « Nouveaux éclairages européens sur les contours du régime de la protection subsidiaire »,
Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 6 février 2014.
(9)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
8
SOUDAN – DARFOUR – SITUATION DES OPPOSANTS – « REFUGIES SUR PLACE »
– ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME –
REEXAMEN DE LA PROVENANCE DU DARFOUR DANS LE CADRE D’UNE
DEMANDE D’ASILE ULTERIEURE – AUTHENTICITE D’UN CERTIFICAT DE
NAISSANCE – ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE
L’HOMME. Saisie par un ressortissant soudanais, alléguant être originaire du Darfour et
s’être engagé politiquement au sein du Mouvement de libération du Soudan-Unité (MLS-U)
en Suisse, débouté de sa demande d’asile par les autorités de ce pays, la Cour EDH conclut
à un risque de violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers le Soudan.
Elle rejette en revanche le grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention combiné
avec l’article 3 considérant que c’est à bon droit que les autorités helvétiques n’ont pas
procédé à un nouvel examen de la provenance alléguée du requérant du Darfour lors d’une
demande d’asile ultérieure et écarté le certificat de naissance produit par le requérant sans
aucune explication sur ses modalités d’obtention, contradictoire avec ses précédentes
déclarations et, en outre, dépourvu de tout élément d'identification.
CEDH 7 janvier 2014 A.A. c. Suisse n° 58802/12
U
n ressortissant soudanais, arrivé en Suisse
en 2004, avait déposé
une demande d’asile à l’appui
de laquelle il soutenait être
originaire de la région du Nord
-Darfour et avoir été contraint
de fuir son village à la suite
d’une attaque par les Janjawids, au cours de laquelle son
père et de nombreux autres
villageois avaient été tués et lui
-même maltraité. Depuis son
arrivée en Suisse, il était devenu un membre actif du Mouvement de libération du SoudanUnité (MLS-U), au sein duquel
il avait été nommé secrétaire
aux droits de l’homme en
2009. Les autorités suisses
avaient rejeté sa demande d’asile à deux reprises, en 2004 et
en 2012, au motif, tout d’abord, qu’elles avaient des doutes sur sa provenance du Darfour, que son récit sur sa fuite
du Darfour manquait de crédibilité, que l’intéressé était devenu actif politiquement en
Suisse uniquement afin d’éviter son renvoi vers le Soudan et
qu’il n’était pas crédible que
des activités menées à un niveau local aient attiré l’attention des autorités soudanaises
et soient sources de persécu-
(14)
(15)
tions. Invoquant l’article 3 de
la CEDH, le requérant alléguait devant la Cour EDH que,
s’il était renvoyé vers le Soudan, il serait placé en détention, interrogé et torturé en
raison de ses activités politiques en Suisse. Il se plaignait
également, sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article
3, de n’avoir disposé d’aucun
recours effectif devant les tribunaux suisses pour faire valoir son origine du Darfour.
Pour examiner tout d’abord la
situation prévalant au Soudan,
la Cour EDH s’appuie sur des
sources d’information géopolitique, sur son arrêt Mohammed
contre Autriche(14) ainsi que
sur des décisions des juridictions nationales, notamment
une décision de la Cour fédérale administrative suisse du 31
mai 2013. Elle estime que la
situation en matière de sécurité
et de droits de l’homme au
Soudan est dans l’ensemble
alarmante et qu’elle s’est détériorée au cours de l’année 2013
(§ 39). Elle ne considère toutefois pas que la situation générale prévalant au Soudan puisse conduire, à elle seule, à
conclure à un risque de violation de l’article 3 en cas de
renvoi vers ce pays, approche
qu’elle limite aux cas les plus
extrêmes(15) (§ 40). Elle observe que les membres présumés
du Mouvement de libération du
peuple soudanais - Nord
(MLPS-Nord), les membres
d'autres partis d'opposition, les
dirigeants des organisations de
la société civile et les journalistes sont fréquemment harcelés, arrêtés, torturés et poursuivis par les autorités soudanaises et qu’en raison du conflit,
non seulement les dirigeants
des organisations politiques
mais également toute personne
qui s'opposent ou qui est soupçonnée d'opposition au régime
actuel sont exposés à un risque
d’arrestation et de tortures au
Soudan (§ 40). Elle relève en
outre qu’il n’est pas contesté
que le gouvernement soudanais
surveille les activités des opposants politiques à l'étranger (§
40).
La Cour EDH observe ensuite
qu’en l’espèce, le requérant est
membre du MLS-U en Suisse
depuis plusieurs années. Elle
reconnaît la difficulté d’apprécier dans le cas des « réfugiés
sur place » si l’engagement
politique de l’intéressé est sin-
CEDH 6 juin 2013 Mohammed c/ Autriche n° 2283/12 (§ 109).
CEDH 17 Juillet 2008 N.A. c. Royaume-Uni n° 25904/07 (§§ 114-115).
(Suite page 9)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
9
(Suite de la page 8)
cère ou s’il ne constitue qu’une
circonstance que celui-ci a
créée de son propre fait afin de
fonder des craintes en cas de
retour dans son pays d’origine
et précise que dans de tels cas,
elle prend en compte certains
facteurs tels qu’un militantisme politique antérieur au départ du pays d'origine ou le
rôle joué par l’intéressé dans la
publicité de sa demande d'asile
dans le pays d’accueil(16) (§
41). En l'espèce, elle prend en
considération le fait que le requérant a rejoint le MLS-U en
Suisse plusieurs années avant
d’introduire une demande d’asile ultérieure, à un moment où
cette demande ultérieure n’était pas nécessairement prévisible et estime préférable, compte tenu de l’importance qu’elle
attache à l'article 3 de la
Convention, d’évaluer la demande du requérant en raison
de son engagement politique
effectif (§ 41).
La Cour EDH relève que les
activités politiques du requérant se sont intensifiées au fil
du temps (nomination comme
directeur du SLM-Unité en
Suisse et participation à des
conférences internationales sur
la situation des droits de l'homme au Soudan). Elle reconnaît
qu’il ne présente pas un réel
profil à risques dès lors, par
exemple, qu’il n’a pas remis de
pourparlers aux conférences
internationales auxquelles il a
participé, ni évoqué ses activités politiques lors d’une interview diffusée sur une chaîne
de télévision suisse et estime
que s’il devait être reconduit
vers un pays où la situation des
droits de l’homme était moins
préoccupante qu’au Soudan, il
ne serait pas exposé à un risque
de traitement contraire à l’arti(16)
cle 3 de la Convention (§ 42).
Elle considère cependant que
la situation des Soudanais se
singularise par le fait que les
opposants politiques, quel que
soit leur niveau d’engagement,
ainsi que les personnes suspectées de soutenir les mouvements d'opposition sont exposés au Soudan à un risque de
traitement contraire à l’article
3 de la Convention, que les
personnes impliquées politiquement à l’étranger, en particulier celles affiliées au MLS
lors des conférences internationales à Genève, ont été enregistrées par les autorités soudanaises et que des représentants
du gouvernement soudanais
étaient présents aux conférences internationales auxquelles
le requérant a participé et où il
était facilement identifiable
compte tenu du nombre restreint de participants par pays
(§ 43). Elle estime dès lors
qu’elle ne peut exclure que le
requérant ait attiré l’attention
du gouvernement soudanais et
que du fait de sa participation à
certaines conférences internationales au nom du MLS-U
Suisse, le requérant peut, à tout
le moins, être soupçonné d'être
affilié à un mouvement d'opposition par le gouvernement
soudanais (§ 43). Partant, elle
conclut au risque de violation
de l’article 3 Convention en
cas d’éloignement vers le Soudan estimant qu’il existe des
motifs sérieux de croire que le
requérant serait connu du gouvernement soudanais et risquerait d'être arrêté, interrogé et
torturé dès son arrivée à l'aéroport au Soudan.
S’agissant de l’article 13 de la
CEDH, le requérant invoquait
notamment l’arrêt Singh et autres contre Belgique(17) pour
souligner que l’examen effec-
tué par les autorités suisses de
sa demande d’asile ultérieure
n’a pas pris en compte l’ensemble des éléments produits
et n’a pas été suffisamment
rigoureux notamment quant à
la preuve de sa provenance du
Darfour.
La Cour EDH observe que le
certificat de naissance produit
par le requérant à l’appui de la
demande d’asile ultérieure et
dont les autorités helvétiques
ont mis en doute l’authenticité
a été délivré le 26 Juillet 1987
et que le requérant ne fournit
aucune explication sur ses modalités d’obtention alors qu’il
avait soutenu, à l’appui de sa
demande d'asile initiale, avoir
perdu tous ses documents personnels dans l’incendie de son
domicile au Darfour et ne jamais avoir possédé un document indiquant sa date de naissance. Elle souscrit aux
conclusions du gouvernement
helvétique selon lesquelles des
doutes sérieux existent sur l'authenticité du certificat de naissance et, plus généralement,
sur la capacité du requérant de
fournir des documents d'identité. Elle relève en outre que le
certificat de naissance pourrait
appartenir à une autre personne
dès lors qu’il ne contient aucun
élément d'identification. Elle
estime par conséquent que les
autorités helvétiques ont à juste
titre considéré que le certificat
de naissance ne prouvait pas la
provenance du requérant du
Darfour et qu’elles n'ont pas
manqué à leur devoir de dissiper tous les doutes sur son authenticité (§ 61). Elle note par
ailleurs que l’attestation du
président du MLS en Suisse et
la pétition signée par des Darfouris ne constituent pas, à elles seules, des éléments pro(Suite page 10)
CEDH 15 mai 2012 SF et a. c. Suède n° 52077/10 (§§ 66-67) et CEDH 26 Juillet 2005 N. c. Finlande
n° 38885/02 (§ 165).
(17)
CEDH 2 octobre 2012 Singh et autres c. Belgique n° 33210/11.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
10
(Suite de la page 9)
bants en ce qui concerne la
provenance du requérant du
Darfour et indique ne pas être
convaincue que le requérant a
effectué toutes les démarches
possibles pour établir son identité et lever les doutes émis par
les autorités suisses à l’occasion de sa demande d’asile initiale (§ 62). Partant, elle considère que les autorités suisses
n’ont pas méconnu l'article 13
combiné avec l'article 3 de la
Convention en ne procédant
pas à un nouvel examen de la
provenance du requérant du
Darfour à l’occasion de la demande d’asile ultérieure ou en
se fondant sur leur première partage avec la
décision (§ 63).
Luxembourg(18).
Il a lieu de noter que la Cour
de Strasbourg emprunte dans
cet arrêt un vocabulaire appartenant davantage au droit des
réfugiés qu’aux droits de
l’homme et utilise de plus en
plus fréquemment des concepts
propres au droit des réfugiés
tels que, en l’espèce, la notion
de réfugié sur place. Elle assume ainsi un rôle croissant en
matière d’asile en l’absence de
juridiction internationale ayant
pour compétence l’interprétation de la Convention de Genève ou le contrôle des décisions nationales, rôle qu’elle
Cour
de
KOSOVO – VIOLENCES FAITES AUX FEMMES – CONDITION DES FEMMES
ISOLEES – EFFECTIVITE DE LA PROTECTION DES AUTORITES –
AUTHENTICITE DES DOCUMENTS – INCIDENCE DE LA QUALITE DE
FONCTIONNAIRE DE POLICE D’UN DEMANDEUR SUR L’ETENDUE DES
INFORMATIONS SUSCEPTIBLES D’ÊTRE FOURNIES – ARTICLE 3 DE LA
CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Tout en relevant la gravité
et la persistance du problème des violences basées sur le genre au Kosovo ainsi que la
difficile condition des femmes isolées, a fortiori si elles ont été violées, la Cour EDH
considère néanmoins que cette situation ne peut justifier, à elle seule, un risque au sens de
l’article 3 de la Convention. Elle estime par ailleurs que malgré les hésitations encore
fréquentes des victimes à porter plainte et la nécessité d’un effort de sensibilisation
important, les autorités du Kosovo ont pris conscience des obligations qui leur incombent
dans ce domaine et des progrès indéniables ont été réalisés en matière de sécurité. La Cour
EDH considère que les éléments circonstanciés apportés par le gouvernement français pour
mettre en doute le rapport de police produit ne sont pas sérieusement contestés par la
requérante et s’étonne de l’absence d’informations sur l’avancement de la plainte eu égard
à la précision de celle-ci et aux fonctions d’officier de police de la requérante.
CEDH 14 janvier 2014 I.Q. c. France n° 30906/11
L
a requérante, ressortissante de la République
du Kosovo, dont une
demande d’asile et une demande de réexamen avaient été
rejetées par la CNDA en 2007
et en 2009, avait déposé une
nouvelle demande d’asile en
2010 après un retour d’un
mois dans son pays. Elle faisait valoir qu’officier de police
spécialisé dans la lutte contre
les violences conjugales et
familiales, elle avait été, dans
le cadre de sa profession, ame(18)
née à interpeller les auteurs de
ce type de violences et à témoigner contre eux dans un
certain nombre de procès et
qu’en sa qualité de fonctionnaire de police, elle avait participé régulièrement à une émission télévisée, s’étant ainsi
exposée médiatiquement. Elle
alléguait que, trois jours après
son retour au Kosovo en 2010,
elle avait été agressée, violée
et menacée par plusieurs hommes, dont un ancien condamné
au procès duquel elle avait
témoigné. Sa demande d’asile
fut rejetée par une décision de
l’OFPRA du 11 août 2010,
confirmée par une ordonnance
de la CNDA du 31 janvier
2012. La requérante soutenait
qu’un renvoi vers le Kosovo
l’exposerait à des représailles
en raison de son ancienne activité professionnelle, constitutives de traitements contraires à
l’article 3 de la Convention.
La Cour EDH observe tout
d’abord que si les certificats
(Suite page 11)
S. Sarolea, « Le réfugié sur place à Strasbourg », note sous Cour eur. D. H., A.A. c. Suisse, arrêt du 7
janvier 2014, req. n° 58802/12, Newsletter EDEM, janvier 2014.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
11
(Suite de la page 10)
médicaux produits, qui étayent
les déclarations de la requérante relatives à l’agression et au
viol, ne sont pas contestés, le
gouvernement français émet,
en revanche, de sérieuses réserves quant au rapport de police produit qui, selon les services diplomatiques français
au Kosovo, est un faux
(absence de tampon d’enregistrement, inexistence de l’officier de police mentionné et
absence de véhicule de police
immatriculé sous le numéro
figurant dans le rapport) et
qu’ « en réponse à ces objections circonstanciées, la requérante ne prouve plus avant
ni ses dires, ni l’authenticité
du rapport de police litigieux » (§ 37).
Elle relève ensuite que même
à supposer authentique le rapport de police produit, « la
requérante ne fournit aucune
information quant à l’avancement de la plainte, que ce soit
pour constater son classement
sans suite ou son enlisement »,
alors qu’il paraît difficilement
concevable qu’ « une plainte
aussi précise que celle formulée par la requérante n’ait
donné lieu à aucune enquête » (§ 38). Ce constat ne laisse pas d’étonner la Cour
EDH, eu égard à la profession
antérieure de la requérante et
aux contacts que celle-ci pouvait avoir au sein de la police.
En l’absence d’information sur
la suite donnée à la plainte et
en particulier sur la réaction
des autorités policières et judiciaires à l’allégation de la requérante selon laquelle elle
aurait été la victime de velléités de vengeance occasionnées
par son activité au sein de la
police, la Cour EDH ne tient
(19)
pas pour établi le motif de
vengeance allégué (§ 38). Elle
observe par ailleurs que la requérante n’étaye pas ses déclarations relatives aux menaces
dont elle aurait déjà fait l’objet
avant son premier départ du
Kosovo en 2005 et « ne fait
pas non plus mention de la
réaction ou de l’absence de
réaction des autorités aux menaces dirigées à l’encontre de
l’un des membres de la police
en raison précisément de ses
activités au sein de la police » (§ 38).
La Cour EDH conclut que « [la
requérante] ne démontre pas
être une cible particulière en
raison de son activité professionnelle antérieure » (§ 39).
Elle s’attache ensuite à rechercher si le viol subi par la requérante, qui n’est pas sérieusement contesté, l’exposerait à
un risque relevant de l'article 3
de la Convention en cas de
retour dans son pays d’origine.
S’agissant de la situation des
femmes au Kosovo, elle relève
que selon les sources internationales consultées, « les violences contre les femmes, en
particulier domestiques, sont
un problème grave et persistant au Kosovo et que la condition des femmes isolées, a fortiori si elles ont été violées, y
est difficile, celles-ci étant fréquemment rejetées par la société et discriminées » (§ 40).
Elle estime cependant ne pas
pouvoir considérer que « la
situation au Kosovo est telle
qu’un renvoi vers ce pays entraîne per se une violation de
l’article 3 » (§ 40).
Concernant l’effectivité de la
protection des autorités kossoviennes, la Cour EDH relève
qu’en l’état des informations
dont elle dispose, « si les victi-
CEDH 12 novembre 2013 N.R. c. France n° 9136/11 (§ 47).
mes hésitent toujours fréquemment à porter plainte et si un
effort de sensibilisation considérable doit encore être fait, le
Kosovo réalise désormais que
des mesures sont nécessaires
pour combattre les violences
faites aux femmes » et que
« des progrès ont indéniablement été réalisés en matière de
sécurité en général » (§ 41).
Elle estime qu’en l’espèce, la
requérante ne démontre pas
que les autorités ne seraient
pas en mesure de lui offrir une
protection appropriée.
La Cour EDH conclut à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que l’expulsion de
la requérante l’exposerait à un
risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 3 de
la Convention et, partant, rejette le grief comme manifestement mal fondé.
La Cour EDH confirme, dans
le cadre de la problématique
des violences faites aux femmes, sa jurisprudence concernant l’effectivité de la protection des autorités du Kosovo
(19)
.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
12
FEDERATION DE RUSSIE – SITUATION DES ANCIENS COMBATTANTS
TCHETCHENES – CREDIBILITE DES ALLEGATIONS – INCOHERENCE ET
EVOLUTION DES DECLARATIONS DU DEMANDEUR – CARACTERE PROBANT
DE TEMOIGNAGES PRODUITS TARDIVEMENT – EXTRADITION AUX FINS DE
POURSUITE DU CHEF D’UN CRIME DE DROIT COMMUN – ASSURANCES
DIPLOMATIQUES FOURNIES PAR L’ÉTAT REQUERANT – ARTICLES 3 ET 6 § 1
DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. La Cour EDH
rejette la requête d’un ressortissant russe d’origine tchétchène faisant l’objet d’une
demande d’extradition de la part des autorités russes, qui alléguait que son inculpation
pour complicité de meurtre ne serait qu’un prétexte pour le poursuivre pour son passé
d’ancien combattant tchétchène et qu’il risquait d’être victime d’un procès truqué et d’être
exposé, au cours de sa détention, à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
Elle considère qu’en l’absence d’explications satisfaisantes, les incohérences et l’évolution
des déclarations du requérant au cours des différentes procédures rendent invraisemblable
son passé de combattant, lequel n’est, en outre, pas utilement étayé par les témoignages
produits tardivement et qu’il n’existait pas de motifs sérieux et avérés de croire qu’il serait
exposé, en Fédération de Russie, en tant qu’ancien combattant tchétchène à un risque réel
de mauvais traitements. Elle estime par ailleurs que les assurances diplomatiques fournies
par l’Etat requérant l’extradition sont suffisantes pour écarter le risque que l’intéressé,
poursuivi pour un crime de doit commun, subisse des traitements prohibés par l’article 3 de
la Convention.
CEDH 27 février 2014 Zarmayev c. Belgique n° 35/10
L
e requérant, Arbi Zarmayev, est un ressortissant russe d’origine
tchétchène qui avait été reconnu réfugié en Belgique en 2005
sous une fausse identité. En
2009, il a été arrêté pour complicité de plusieurs infractions.
Lors d’une perquisition à son
domicile, des armes et plusieurs documents mentionnant
le nom d’Arbi Zarmayev ont
été saisis. Les autorités belges
ont alors découvert que le requérant était recherché par les
autorités russes pour complicité de meurtre et faisait l’objet
d’une signalisation Interpol
depuis le 27 août 2007. Interrogé par la police judiciaire belge, le requérant a déclaré qu’il
était probablement recherché
sous le nom de Zarmayev au
motif qu’il avait travaillé sous
ce nom comme fonctionnaire
des douanes en Tchétchénie,
qu’il avait également travaillé
aux douanes sous le nom sous
lequel il avait reconnu réfugié
et qu’il avait rencontré des difficultés avec la police russe
(20)
(21)
sous le nom de Zarmayev. Le
requérant a ensuite été entendu
par le CGRA(20), devant lequel
il a déclaré qu’il n’avait pas
travaillé comme fonctionnaire
des douanes et qu’il était recherché pour des raisons politiques. Le statut de réfugié lui a
retiré en septembre 2009 et son
recours, à l’appui duquel il
soutenait avoir fui l’armée russe depuis la deuxième guerre
en Tchétchénie et s’être battu
contre l’armée russe comme
commandant d’un groupe de
rebelles, circonstances à l’origine des recherches diligentées
contre lui par les autorités russes, a été rejeté par le CCE(21).
Le CGRA et le CCE ont considéré que la crédibilité du récit
du requérant était fortement
sujette à caution et lui ont reproché, outre une usurpation
d’identité pour obtenir l’asile,
l’incohérence des faits à la base de ses demandes d’asile, le
caractère contradictoire de ses
déclarations lors des différents
interrogatoires et entretiens
dont il a fait l’objet, l’absence
Commissaire général aux réfugiés et apatrides.
Conseil du contentieux des étrangers.
de justifications et d’éléments
de preuve venant étayer son
implication personnelle dans
les guerres en Tchétchénie.
Durant les quatre années suivantes, M. Zarmayev a introduit sans succès quatre demandes d’asile successives. Entretemps, les autorités russes ont
demandé son extradition aux
autorités belges en raison de
poursuites pour complicité de
meurtre sur le fondement d’un
mandat d’arrêt émis le 27 août
2001. Déclaré coupable des
faits qui lui étaient reprochés
en Belgique et condamné à dix
-huit mois d’emprisonnement,
le requérant a été maintenu en
détention, après avoir purgé sa
peine, dans l’attente d’une décision concernant son extradition. En 2011, le ministre de la
Justice belge a pris la décision
d’extrader M. Zarmayev, soulignant notamment que les éventuelles incohérences dans l’établissement des faits (crime de
droit commun commis le 9 mai
2001 en Tchétchénie) et leur
(Suite page 13)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
13
(Suite de la page 12)
lien avec un règlement de
comptes feraient précisément
l’objet de l’enquête qui serait
menée par les autorités russes
et qu’il n’appartenait pas aux
autorités belges, dans le cadre
de la procédure d’extradition,
de se prononcer sur la responsabilité pénale du requérant. La
demande de suspension en extrême urgence et le recours en
annulation de l’arrêté ministériel d’extradition introduits par
le requérant ont été rejetés par
le Conseil d’État respectivement en 2011 et 2013, considérant notamment que les assurances diplomatiques fournies
par les autorités russes étaient
suffisantes pour écarter les risque au regard de l’article 3 de
la Convention. L’intéressé a
saisi la Cour EDH, alléguant
que son extradition vers la Fédération de Russie emporterait
violation de l’article 3 dès lors
que son inculpation pour complicité de meurtre ne serait
qu’un prétexte pour le poursuivre pour son passé d’ancien
combattant au service de la
cause tchétchène et qu’il risque
d’être victime d’un procès truqué et d’être exposé, au cours
de sa détention, aux traitements infligés aux anciens
combattants tchétchènes détenus dans les prisons russes qui
atteignent le seuil de gravité de
l’article 3. Dans sa réponse aux
observations du gouvernement
belge, il a fourni de nouvelles
informations sur les évènements qui auraient entouré son
passé de combattant lors des
deux guerres de Tchétchénie et
soutenait qu’il avait fui son
pays en raison de recherches
diligentées contre lui par l’armée russe et que sa famille
faisait l’objet de persécutions.
La Cour EDH rappelle tout
(22)
d’abord les principes généraux
applicables dans le cadre d’une
affaire d’extradition, notamment la prise en compte comme facteur pertinent des assurances diplomatiques quant au
respect des droits de l’homme
à l’endroit du requérant fournies par l’État requérant dès
lors qu’elles prévoient, dans
leur application pratique, une
garantie suffisante que le requérant sera protégé contre le
risque de mauvais traitements,
ainsi que les critères d’évaluation de la qualité et de la fiabilité de ces assurances, dégagés
dans les arrêts Saadi(22) et Othman (Abu Qatada)(23) (§§ 9293).
Elle souligne également le
« contexte spécifique » dans
lequel les risques allégués par
le requérant doivent être examinés, à savoir qu’il n’est pas
question d’une « simple » expulsion du requérant vers la
Tchétchénie mais d’une extradition à l’issue de laquelle « il
est possible qu’il soit maintenu en détention en attendant
son procès, qu’il fasse l’objet
d’une enquête et de poursuites, et qu’un procès soit ouvert
contre lui » et que « s’il est
alors reconnu coupable et
condamné, il est probable
qu’il doive purger sa peine
dans un centre de détention
pour personnes condamnées » (§ 96).
S’agissant de la situation générale prévalant en Fédération de
Russie, la Cour EDH renvoie
aux conclusions des rapports
émanant de sources internationales énumérés dans son arrêt
Bajsultanov(24), qui font état
d’atteintes graves et persistantes aux droits de l’homme, en
particulier pour les personnes
liées aux combattants tchétchènes, et qui donnent des exem-
ples de mauvais traitements
infligés aux anciens combattants tchétchènes détenus dans
les prisons russes (§ 97). Elle
estime toutefois ne pas pouvoir
« en déduire que la situation
générale en Russie, et en particulier en Tchétchénie, soit suffisamment grave pour conclure
que l’extradition de Tchétchènes emporterait en soi infraction de l’article 3 de la
Convention » (§ 98).
La Cour EDH constate, à la
suite des autorités belges, que
« la version des faits donnée
par le requérant a fort évolué
au fil du temps » et relève que
« chaque fois que l’occasion
s’est présentée, il a fourni une
version, en tout ou en partie,
différente de son parcours et
des événements auxquels il
aurait participé et a ajouté des
informations qui ne s’articulent pas avec ses précédentes
déclarations », y compris dans
ses observations en réponse au
gouvernement belge devant
elle à l’appui desquelles il
mentionne « des faits et des
événements très précis sur
lesquels [il] aurait à l’évidence pu s’appuyer auparavant
devant les instances belges » (§ 101). Elle admet que
l’évolution du récit du requérant, y compris devant elle,
rend invraisemblable son passé de combattant (§ 101) et
que les instances belges ont, à
juste titre, écarté comme manifestement insuffisante la seule
explication donnée par le requérant pour expliquer les incohérences et contradictions
entre ses récits, à savoir des
problèmes de concentration et
de mémoire résultant d’un
syndrome de stress posttraumatique pour lequel il a
été traité par voie médicamen-
CEDH [GC] 28 février 2008 Saadi c. Italie n° 37201/06 (§ 148).
CEDH 17 janvier 2012 Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni n° 8139/09 (§§ 187 et 189).
(24)
CEDH 12 juin 2012 Bajsultanov c. Autriche n° 54131/10 (§§ 38-50).
(23)
(Suite page 14)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
14
(Suite de la page 13)
teuse (§ 102).
La Cour de Strasbourg écarte
ensuite, en l’absence d’explication du requérant, les témoignages de membres de la communauté
tchétchène
(notamment celui de Zakayev,
premier ministre auto-déclaré
de Tchétchénie en exil) produits en vue d’étayer l’implication personnelle du requérant dans les événements en
Tchétchénie et sur la fiabilité
desquels les instances d’asile
belges avaient émis des réserves au motif que vu le moment
où ils avaient été recueillis, il
était fortement probable qu’ils
aient été sollicités par le requérant dans le seul but d’échapper à l’extradition
(§ 103). Elle écarte également
les lettres de soutien de parlementaires (membres du Parlement européen et de l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe) et d’ONG
(Amnesty International et Pax
Christi) reçues par le requérant
durant son incarcération en
Belgique (§ 104).
Au vu de ces considérations et
eu égard, en outre, au laps de
temps s’étant écoulé depuis les
supposés événements qui auraient motivé le départ du requérant de la Fédération de
Russie ainsi qu’au fait que le
requérant ne fait aucunement
état de ce qu’il aurait continué
de susciter l’attention négative
des autorités russes pour d’autres motifs que ceux de la demande d’extradition (§ 105),
la Cour EDH considère n’avoir « aucune raison de s’écarter de l’analyse faite par
les autorités belges selon laquelle il n’y a pas de motifs
sérieux et avérés de croire que
le requérant serait exposé en
Fédération de Russie en tant
qu’ancien combattant au ser(25)
vice de la cause tchétchène et
pour ce motif à un risque réel
de
mauvais traitements » (§ 106).
Le Cour EDH s’attache ensuite à examiner si l’extradition
du requérant aux fins de poursuite du chef d’un crime de
droit commun l’expose à des
traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH.
Elle exclut tout d’abord le risque allégué par le requérant
d’être condamné à la réclusion
à perpétuité dès lors que les
infractions pour lesquelles il
est poursuivi en Fédération de
Russie sont passibles d’une
peine d’emprisonnement
maximale de quinze ans
(§ 108).
Elle constate ensuite que les
autorités de la Fédération de
Russie ont fourni à leurs homologues belges plusieurs assurances diplomatiques précises quant au respect des droits
de l’homme à l’égard du requérant : non application de la
peine de mort en Fédération de
Russie ; non soumission du
requérant à la torture ou à des
traitements inhumains ou humiliants ; en cas de condamnation, incarcération sur le territoire de la Fédération de Russie dans un établissement correctionnel du service de l’exécution des peines où les normes posées dans la Convention sont respectées ; information de l’ambassade de Belgique en Russie du lieu de détention pendant l’enquête et en
cas de condamnation, possibilité de visites par des personnes mandatées par la représentation diplomatique (§§ 109 et
110).
Elle considère qu’en l’absence
de tout élément pouvant la
convaincre du contraire, les
autorités belges ont conclu, à
bon droit, que ces assurances
Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 (STE 24).
étaient suffisantes pour écarter
le risque que le requérant subisse des traitements prohibés
par l’article 3 de la Convention
(§§ 111 et 112). Elle précise à
cet égard attacher une importance particulière au fait que
ces assurances émanent d’un
État partie à la Convention qui
s’est engagé à respecter les
droits qui s’y trouvent garantis,
parmi lesquels figure l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (§ 113) et que le requérant, qui soutient que les autorités russes pourraient le poursuivre et le condamner pour
d’autres raisons que celles sur
lesquelles la demande d’extradition est fondée, est protégé
par le principe de spécialité
inscrit dans l’article 14 de la
Convention européenne d’extradition(25), en vertu duquel il
ne pourra être ni poursuivi, ni
jugé, ni détenu pour un fait
antérieur à la remise autre que
celui ayant motivé l’extradition
(§ 114).
La Cour EDH conclut que
l’extradition du requérant vers
la Fédération de Russie n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention.
Elle ne relève enfin aucun risque de déni de justice flagrant
dans le pays de destination et
rejette par conséquent le grief
tiré d’un risque de violation de
l’article 6 § 1 de la Convention
comme étant manifestement
mal fondé (§§ 120 et 121).
Cet arrêt est accompagné d’une
opinion dissidente de la juge
irlandaise Ann Power-Forde
concernant les conclusions de
la Cour relatives, d’une part, à
la participation de l’intéressé à
la guerre russo-tchétchène et à
son engagement dans les forces
tchétchènes pendant le conflit
(Suite page 15)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
15
Convention mais également
armé compte tenu des éléments l’article 38 pour manquement à
présentés et, d’autre part, à la ses propres assurances(26).
fiabilité des assurances diplomatiques fournies par l’État
requérant l’extradition eu
égard aux nombreuses
condamnations de la Fédération de Russie devant la Cour
pour violation non seulement
des articles 2 et 3 de la
(Suite de la page 14)
RESSORTISSANTS D’UN PAYS D’ORIGINE SUR – RECOURS POUR EXCES DE
POUVOIR, NON SUSPENSIF, CONTRE LA DECISION REJETANT UNE DEMANDE
D’ASILE – DROIT A UN RECOURS EFFECTIF – ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME – ARTICLE 39 DE LA DIRECTIVE
2005/85/CE « PROCEDURE »(27) – ARTICLE 47 DE LA CHARTE DES DROITS
FONDAMENTAUX DE L’UE – DIFFERENCE DE TRAITEMENT AVEC LES AUTRES
DEMANDEURS D’ASILE. La Cour constitutionnelle belge considère que les ressortissants
d’un pays d’origine sûr, qui ne disposent que d’un recours en annulation, non suspensif de
plein droit, à l’encontre de la décision rejetant leur demande d’asile ne jouissent pas du
droit à un recours effectif au sens du droit de l’UE et de la CEDH tels qu’interprétés
respectivement par la CJUE et la Cour EDH. La différence de traitement ainsi créée par la
loi en matière de droit au recours effectif entre les demandeurs d’asile originaires d’un pays
sûr et les autres demandeurs d’asile, qui disposent d’un recours suspensif de plein
contentieux, ne repose pas sur un critère pertinent, n’est au surplus pas proportionnée à
l’objectif de célérité poursuivi et, partant, n’est pas justifiée.
Cour constitutionnelle belge arrêt n° 1/2014 du 16 janvier 2014
L
es parties requérantes
sollicitaient l’annulation
totale ou partielle des
articles 2 et 3 de la loi du 15
mars 2012(28). Elles soutenaient
que les demandeurs d’asile
originaires d’un pays considéré
comme sûr sont privés de la
possibilité de contester la décision du CGRA rejetant leur
demande d’asile prévue pour
ceux qui ne sont pas originaires d’un pays ainsi qualifié
auxquels est ouvert un recours
suspensif de pleine juridiction
devant le CCE. Elles faisaient
valoir que le seul recours ou(26)
vert à ces demandeurs est un
recours en annulation, non suspensif de plein droit, qui prévoit un examen en droit et non
en fait, à la date de la décision
attaquée et non à la date où la
juridiction se prononce, et ne
peut ainsi être considéré comme un recours effectif. Elle
soutenaient par ailleurs que la
différence de traitement entre
les demandeurs d’asile originaires de pays dits sûrs et les
autres demandeurs d’asile est
disproportionnée et que la loi
est doublement discriminatoire
en ce qu’elle traite de la même
manière les demandeurs d’asile
originaires de pays dits sûrs et
les demandeurs d’asile européens.
Afin de déterminer, en premier
lieu, si le recours en annulation
à l’encontre d’une décision
rejetant une demande d’asile
est un recours effectif, la Cour
constitutionnelle belge se réfère à la jurisprudence de la Cour
EDH relative à l’effectivité des
recours en cas de grief défendable tiré de l’article 3 de la
CEDH (29) selon laquelle,
compte tenu de l’importance
(Suite page 16)
CEDH 12 avril 2005 Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie n° 36378/02.
Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la
procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.
(28)
Loi du 15 mars 2012 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des
modalités d’exécution de la peine.
(29)
CEDH 26 avril 2007 Gebremedhin (Gaberamadhien) c. France n° 25389/05, CEDH 21 janvier 2011
M.S.S. c. Belgique n° 30696/09, CEDH 20 décembre 2011 Y.oh-Ekale Mwanje c. Belgique n° 10486/10 et
CEDH 2 octobre 2012 Singh et autres c. Belgique n° 33210/11.
(27)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
16
(Suite de la page 15)
que revêt l’article 3 de la
Convention et eu égard à la
nature irréversible du dommage susceptible d’être causé,
l’article 13 exige que l’intéressé ait accès à un recours de
plein droit suspensif et que ce
recours permette un contrôle
attentif, complet et rigoureux
de la situation du requérant par
l’organe compétent (§§ B.5.1
et B.5.2). Elle relève que le
recours en annulation litigieux
n’a pas d’effet suspensif
(§ B.6.1), qu’il « implique un
examen de la légalité de la
décision du [CGRA] en fonction des éléments dont cette
autorité avait connaissance au
moment où elle a statué » et
que, dès lors, le CCE n’est pas
tenu de prendre en considération les éventuels éléments de
preuve nouveaux présentés par
le requérant à l’appui de son
recours, ni d’examiner la situation du requérant, à la date à
laquelle il statue, par rapport à
la situation dans son pays d’origine (§ B.6.2). Partant, la
Cour constitutionnelle considère que le recours en annulation
ouvert aux intéressés n’est pas
un recours effectif au sens de
l’article 13 de la CEDH
(§ B.6.3).
La Cour constitutionnelle examine, en deuxième lieu, le caractère effectif du recours en
suspension d’extrême urgence
qu’un demandeur d’asile originaires d’un pays considéré
comme sûr peut introduire
contre une mesure d’éloignement du territoire, appliquant
ainsi la jurisprudence de la
Cour EDH selon laquelle
« l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut
(30)
remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux
n’y répond en entier à lui
seul »(30) (§ B.7). Elle estime
que ce recours n’est pas un
recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH au motif
que tant l’effet suspensif de
l’introduction d’un tel recours
que la prise en considération,
par le CCE, dans le cadre de ce
recours, de nouveaux éléments
pour évaluer le risque de violation de l’article 3 de la CEDH
ne résultent pas d’une garantie
législative mais simplement
d’une jurisprudence du CCE
(§§ B.8.3-B.8.5).
Elle conclut que les ressortissants d’un pays d’origine sûr
dont la demande d’asile a été
rejetée sont privés d’un recours
effectif au sens de l’article 13
de la CEDH (§ B.8.6) et que
l’article 2 de la loi du 15 mars
2012 crée donc une différence
de traitement en matière de
droit à un recours effectif entre
les demandeurs d’asile originaires d’un pays sûr, qui ne
disposent que du recours en
annulation et du recours en
suspension d’extrême urgence
sus-analysés et les autres demandeurs d’asile qui peuvent
introduire un recours suspensif
devant le CCE disposant, dans
ce cas pour en connaître d’une
compétence de pleine juridiction (§ B.9.1).
La Cour constitutionnelle examine, en dernier lieu, si la différence de traitement ainsi
créée, qui repose sur le critère
du pays de nationalité ou de
résidence habituelle, est raisonnablement justifiée, autrement
dit si elle repose sur un critère
objectif et pertinent et si elle
est proportionnée à l’objectif
poursuivi (§ B.9.2).
Elle se réfère à l’arrêt de la
CJUE H.I.D. et B.A(31) selon
lequel la nationalité d’un demandeur d’asile peut être prise
en considération pour justifier
le traitement de la demande
d’asile en procédure prioritaire
ou accélérée, sous réserve toutefois que cette procédure ne
méconnaisse pas dans les principes de base et les garanties
fondamentales visés au chapitre II de la directive 2005/85/
CE « procédure ». Elle se réfère également à son arrêt Samba
Diouf aux termes duquel « les
décisions à l’encontre desquelles le demandeur d’asile doit
disposer d’un recours en vertu
de l’article 39, paragraphe 1,
de la directive 2005/85 sont
celles qui impliquent un rejet
de la demande d’asile pour des
raisons de fond ou, le cas
échéant, pour des motifs de
forme ou de procédure qui excluent une décision au
fond »(32) (§§ B.10.3-B.10.5).
Au vu de cette jurisprudence,
elle considère que, outre ceux
visés chapitre II de la directive
2005/85/CE, figure parmi les
principes de base et les garanties fondamentales du droit
européen le droit à un recours
effectif, garanti par l’article 47
de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et l’article 39
de la directive (§ B.10.5). Elle
rappelle que ce droit à un recours effectif doit, en application de l’article 52 § 3 de la
Charte, être défini par référence au sens et à la portée que lui
confère la CEDH et « suppose
dès lors que le recours soit
suspensif et qu’il permette un
examen rigoureux et complet
(Suite page 17)
CEDH 5 février 2002 Čonka c. Belgique n° 51564/99, CEDH Gebremedhin (Gaberamadhien) c. France
précité et CEDH Singh et autres c. Belgique précité.
(31)
CJUE 31 janvier 2013 H. I. D. et B. A. (Irlande) n° C-175/11.
(32)
CJUE 28 juillet 2011 Samba Diouf c. contre Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration
(Luxembourg) n° C-69/10, § 42.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
17
(Suite de la page 16)
des griefs des requérants par
une autorité disposant d’un
pouvoir de pleine juridiction » (§ B.10.7).
La Cour constitutionnelle
conclut que n’étant pas admis
par la directive 2005/85/CE, le
critère sur lequel repose la différence de traitement créée par
la loi concernant le droit au
recours effectif entre demandeurs d’asile, selon qu’ils sont
ou non originaires d’un pays
sûr, n’est pas pertinent.
(§ B.11). Elle souligne qu’en
tout état de cause, la différence
de traitement n’est pas proportionnée à l’objectif de célérité
poursuivi par le législateur, qui
pourrait être atteint par un raccourcissement des délais octroyés pour l’introduction du
recours de pleine juridiction,
qui est au demeurant déjà prévu par la loi dans d’autres hypothèses (§ B.12).
La Cour constitutionnelle belge a donc annulé l’article 2 de
la loi du 15 mars 2012.
sation dans un délai de six
mois à compter de la publication de la décision de la Cour
constitutionnelle afin d’obtenir
l’annulation de l’arrêt et le renvoi de l’affaire devant le CCE
dans le cadre d’un recours suspensif de plein contentieux.
Il y a lieu de noter qu’en application de l’effet rétroactif d’une décision d’annulation de la
Cour constitutionnelle belge
(33)
, un demandeur dont le recours a été rejeté par un arrêt
du CCE sur le fondement de
l’article 2 de la loi du 15 mars
2012 peut se pourvoir en cas-
ROYAUME UNI – PORTEE DE LA RECONNAISSANCE DU STATUT DE REFUGIE
PAR LE HCR. Contrairement à la législation française, le droit du Royaume Uni ne prévoit
pas que le placement par le HCR d’une personne sous son mandat en vertu des articles 6 et
7 de son statut entraîne la reconnaissance automatique du statut de réfugié. La Cour
Suprême du Royaume Uni estime cependant que les autorités nationales doivent accorder
une attention particulière à une décision du HCR accordant le statut de réfugié et que des
« raisons substantielles compensatoires » sont nécessaires pour justifier une conclusion
opposée.
Cour Suprême britanique 29 janvier 2014 I.A. (Appellant) v The Secretary of State for the
Home Department (Respondent) (Scotland) [2014] UKSC 6
L
’appelant est un ressortissant iranien qui avait
quitté son pays pour
l’Irak et avait été reconnu réfugié en 1998 par le HCR au
Kurdistan iraquien en raison de
craintes de persécutions en lien
avec son appartenance au Parti
démocratique du Kurdistan
d’Iran (PDKI). Ne bénéficiant
d’aucune assistance en Irak, il
avait rejoint la Turquie en
2002 et y avait été à nouveau
reconnu réfugié par le HCR en
mai 2003. Attendant sa réinstallation dans un pays tiers depuis trois ans, il avait manifesté en 2006 pour protester
contre l’inaction du HCR et
avait été, pour ce motif, arrêté
par les autorités turques. Dans
ce contexte, il avait rejoint le
Royaume-Uni en 2007.
(33)
Le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur avait rejeté sa demande
d’asile le 5 novembre 2008 au
motif que son récit n’était pas
crédible, décision confirmée
par le Tribunal de l’Asile et de
l’Immigration (AIT). L’appelant avait contesté la décision
de l’AIT devant la Cour de
session au motif qu'elle n’avait
pas pris en considération la
décision du HCR lui reconnaissant la qualité de réfugié.
L’« Extra Division » de la
Cour de session avait rejeté
l’appel.
Aucune information sur les
motifs ayant conduit le HCR à
reconnaître le statut de réfugié
à l’intéressé n’avait été fournie
devant l’AIT et la Cour de session, le HCR arguant de son
incapacité à répondre à toutes
les demandes d’informations
concernant les motifs d’une
décision individuelle en raison
de plusieurs facteurs tels que le
respect des principes de confidentialité et de protection des
données ou le risque de compromettre la sécurité du personnel, des réfugiés et des opérations.
L’intéressé a saisi la Cour Suprême après avoir autorisé le
HCR à divulguer des documents concernant son admission en tant que réfugié en Turquie en 2003 (notes portant sur
son entretien et l’évaluation de
sa demande).
La Cour Suprême observe tout
d’abord que, sans remettre en
cause la pertinence des raisons
conduisant le HCR à ne pas
Article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
(Suite page 18)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
18
(Suite de la page 17)
divulguer les informations relatives aux motifs pour lesquels il a accordé un statut de
réfugié et celles portant sur sa
méthode d’évaluation des demandes d’asile, ces informations ainsi que le fondement
sur lequel le statut de réfugié a
été reconnu sont d’une importance cruciale pour l’examen
d’une demande d’asile par un
Etat (§ 26). Elle observe en
l’espèce que les informations
divulguées par le HCR semblent pouvoir permettre de vérifier l’exactitude des faits allégués par le demandeur et qu’il
est tout à fait possible que
l’AIT aurait porté une appréciation sensiblement différente
sur la crédibilité du récit du
demandeur s’il avait eu accès à
ces informations (§ 27).
La Cour Suprême relève ensuite qu’il est admis par tous, y
compris par le HCR, que, en
dépit de l'expertise, de l'expérience et des responsabilités de
celui-ci dans le domaine des
réfugiés, les décisions de reconnaissance du statut de réfugié qu’il prend ne s’imposent
pas aux Etats, lesquels ont une
responsabilité autonome et indépendante en vertu de la
Convention de 1951 et du Protocole de 1967 pour déterminer
si une personne est fondée à se
voir reconnaître la qualité de
réfugié (§ 29).
Intervenant à l’instance, le
HCR faisait valoir qu’un Etat
ne peut écarter la reconnaissance du statut de réfugié par le
HCR dans l'évaluation d’une
demande d’asile que s’il existe
des raisons impérieuses, lesquelles consisteraient, selon le
HCR, en des informations fia(34)
bles permettant de conclure
soit que le demandeur ne correspond pas à la définition
d'un réfugié au sens l'article
1A2 de la Convention de Genève telles que la survenance
de changements dans la situation du demandeur ou dans son
pays d'origine ou des informations auparavant inaccessibles
ou nouvelles affectant directement l'évaluation de la demande d’asile, soit que le demandeur relève des clauses d'exclusion de l'article 1F de la
Convention, soit que ses déclarations ne sont pas crédibles (§
45). La Cour Suprême prend
en considération ces facteurs
mais estime qu’ils ne sauraient
être considérés comme exhaustifs (§ 46).
Elle relève par ailleurs que
lorsque le rejet d'une demande
d'asile déposée par une personne reconnue comme réfugié
par le HCR repose uniquement
sur un défaut de crédibilité, ce
rejet doit se fonder sur des
informations émanant d'une
source autre que les éléments
apportés par le demandeur
(§ 46).
Elle considère que les autorités
nationales doivent accorder
une attention particulière à la
décision du HCR avant d’opter
pour une conclusion opposée et
que si la reconnaissance de la
qualité de réfugié par le HCR
ne constitue pas une présomption, n’inverse pas la charge de
la preuve et ne représente pas
un point de départ, des
« raisons substantielles compensatoires » sont nécessaires
pour justifier une conclusion
différente (§ 49). Elle précise
que la reconnaissance du statut
de réfugié doit toujours être
considérée comme significative, même en l’absence d’informations sur le fondement et la
procédure selon lesquels la
décision a été prise (§ 51).
La Cour Suprême considère en
l’espèce que l’AIT a à bon
droit rejeté le recours de l’appelant dès lors qu’une analyse
minutieuse du dossier a été
effectuée, que des éléments
étrangers à ceux apportés par
le demandeur mettaient en cause la crédibilité du récit de celui-ci et que la reconnaissance
de la qualité de réfugié par le
HCR a été écartée sur le fondement de raisons claires et substantielles (§ 52).
Elle estime néanmoins que
l’appelant peut faire une nouvelle demande (« fresh
claim ») en vertu de la « Rule
353 » des « Immigrations Rules » du fait des informations
contenues dans les notes de
son entretien avec le HCR en
2003 qui n’ont pas été soumises à l’appréciation du Secrétaire d'État à l’Intérieur et de
l’AIT.
Il y a lieu de noter que seules
les législations française(34) et
bulgare(35) prévoient qu’une
personne sur laquelle le HCR
exerce son mandat aux termes
des articles 6 et 7 de son statut
est automatiquement être reconnue comme réfugié(36).
Article L. 711-1 du CESEDA.
Article 10 de la loi sur l’asile et les réfugiés du 16 mai 2002 (amendée en 2007).
(36)
Pour d’autres pays de l’UE ainsi que pour l’Albanie, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la
Suisse et les Etats-Unis d’Amérique, voir « National law and practice regarding the weight given by states
to UNHCR mandate recognition », annexe à « I. A. v. Secretary of State for the Home Department: Case for
the Intervener », 29 octobre 2013, disponible uniquement en anglais sur le site Internet Refworld.
(35)
Texte
NOUVELLES CONDITIONS DE FORME D’UNE REQUETE INDIVIDUELLE DEVANT
LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Le nouvel l’article 47 du
règlement de la Cour EDH, tel qu’amendé le 6 mai 2013 par l’Assemblée plénière de la
Cour, est entré en vigueur le 1er janvier 2014.
D
es conditions de forme
plus strictes pour introduire une requête
devant la Cour EDH sont applicables depuis le 1er janvier
2014 à la suite de l’entrée en
vigueur du nouvel article 47 du
règlement de la Cour. En vue
d’accroître son efficacité et
d’accélérer l’examen des requêtes, la Cour EDH a adopté
deux changements essentiels
qui détermineront si une requête est attribuée à une formation
de jugement ou si elle est rejetée sans être examinée.
Doctrine
Année 2014, N°1
« Droit d’asile »
19
Le premier changement est
relatif aux informations et documents devant être fournis à
la Cour EDH. Désormais, tout
formulaire envoyé à la
Cour EDH devra être intégralement rempli et accompagné de
copies des documents pertinents. A défaut, la requête,
sauf exception, ne sera pas
examinée par la Cour EDH,
alors qu’auparavant, il s'agissait d'une simple éventualité.
Le second changement concerne le décompte du délai de recours de six mois suivant la
décision définitive rendue par
la plus haute juridiction interne
compétente (art. 35 § 1 de la
Convention). La date d'enregistrement de la requête est désormais celle à laquelle le formulaire dûment rempli et accompagné des documents pertinents parvient à la Cour EDH.
Un formulaire de requête incomplet ne conservera donc
plus le délai.
A propos de la décision CJUE 30 janvier 2014 Aboubacar Diakité (Belgique) C-285/12
 « Protection subsidiaire : qu’est-ce qu’un conflit armé interne ? », D. Poupeau, AJDA hebdo n°
5/2014, 10 février 2014, p. 255.
A propos de la décision CEDH 19 décembre 2013 N.K. c. France n° 7974/11 et CEDH 10
octobre 2013 K. K. c. France n° 18913/11
 « CEDH : des décisions de rejet de demande d’asile insuffisamment motivées », Lamy mobili-
té internationale, actualité n° 188, janvier 2014, pp. 1 à 3.
A propos des décisions CEDH 19 décembre 2013 N.K. c. France n° 7974/11, CEDH 14
novembre 2013 Z. M. c. France n° 40042/11, CEDH 10 octobre 2013 K. K. c. France
n° 18913/11 et CEDH 19 septembre 2013 R. J. c. France n° 10466/11
 « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme (juillet-décembre 2013) :
Etrangers », L. Burgorgue-Larsen, AJDA hebdo n° 3/2014, 27 janvier 2014, pp. 150 à 152.
A propos de la décision CJUE GC 10 décembre 2013 Mme ABDULLAHI (Autriche) C394/12
 « Dublin II : La CJUE réduit la portée du recours contre les critères de détermination de l’État
responsable », C. Pouly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier
A propos des décisions CJUE GC 10 décembre 2013 Mme ABDULLAHI (Autriche) C394/12 et CJUE GC 14 novembre 2013 Kaveh Puid (Allemagne) C-4/11
 « Chronique de jurisprudence de la CJUE : Asile- Détermination de l’État responsable », AJ-
DA hebdo n° 6/2014, 17 février 2014, pp. 342 et 343.
A propos de la décision CJUE 7 novembre 2013 MM. X, Y et Z (Pays-Bas) C-199/12, C200/12 et C-201/12
 « Les homosexuels, un groupe social au sens de la directive « qualification » », C. Teitgen-
Colly, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, pp. 1 à 3.
 « Chronique de jurisprudence de la CJUE : Statut de réfugié », AJDA hebdo n° 6/2014, 17 février 2014, pp. 341 et 342.
Droit des étrangers - France
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
20
DIRECTIVE 2003/9/CE « ACCUEIL »(37) – DEMANDEUR D’ASILE S’ETANT
SOUSTRAIT A L’EXECUTION DE LA MESURE DE TRANSFERT DECIDEE EN
VERTU DU REGLEMENT 343/2003 « DUBLIN II »(38) – INTERRUPTION DU
BENEFICE DES CONDITIONS MATERIELLES D’ACCUEIL – TRANSPOSITION DE
L’ARTICLE 16 DE LA DIRECTIVE 2003/9/CE (ABSENCE) – SUSPENSION DU
BENEFICE DE L’ALLOCATION TEMPORAIRE D’ATTENTE (ABSENCE). Le Conseil
d’Etat rappelle qu’un Etat membre de l’UE doit garantir l’accès aux conditions minimales
d’accueil prévues par la directive 2003/9/CE au demandeur d’asile pour lequel il décide, en
application du règlement 343/2003, de requérir un autre Etat membre aux fins de prise en
charge. Il précise que si le bénéfice de ces conditions minimales d’accueil peut être
interrompu lorsque l’intéressé abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente
sans l’informer, en application de l’article 16 de la directive, une telle interruption est
subordonnée à une mesure de transposition de cet article. En l’absence d’une telle mesure,
l'instruction du ministre de l'Intérieur attaquée n'entraine, en l’état actuel du droit français,
aucune suspension de l'allocation temporaire d'attente.
CE 12 février 2014 CIMADE et GISTI n° 368741 C
S
aisi d’un recours en annulation pour excès de
pouvoir dirigé contre des
dispositions de l’instruction du
ministre de l'Intérieur du 23
avril 2013 relative au droit à
l'allocation temporaire d'attente
(ATA) des demandeurs d'asile
faisant l'objet d'une procédure
Dublin en application du règlement 343/2003, le Conseil d’Etat relève que si un Etat membre de l’UE est tenu, conformément à la jurisprudence de
la CJUE(39), d’octroyer les
conditions minimales d’accueil
garanties par la directive
2003/9/CE à tout demandeur
d’asile, y compris à celui pour
lequel il décide, en application
du règlement « Dublin », de
requérir un autre Etat membre
aux fins de prise en charge et,
ce, jusqu’au transfert effectif
du demandeur (§ 4), ce qui
emporte droit au maintien sur
le territoire français (§ 4) et
(37)
droit au bénéfice de l’ATA
sans qu’il soit besoin que l’intéressé dispose d’un titre de
séjour ou d’un récépissé de
demande d’asile (§ 5), il résulte des dispositions de l’article
16 de la directive que « le bénéfice de ces conditions minimales d’accueil peut être interrompu lorsque le demandeur
d’asile abandonne le lieu de
résidence fixé par l’autorité
compétente sans en avoir informé cette autorité » (§ 9). Il
relève toutefois qu’« une telle
interruption ne saurait intervenir en l’absence de dispositions nationales prises pour la
transposition de cet article » (§ 9). Partant, il considère
que les dispositions du huitième paragraphe de l’instruction
contestée, qui se bornent à
prescrire à leurs destinataires
de communiquer aux services
de Pôle emploi la liste des demandeurs d’asile qui se sont
volontairement soustraits à
l’exécution de la mesure de
transfert les concernant et qui
ont été déclarés « en fuite » au
sens des dispositions des articles 19 et 20 du règlement
« Dublin », « n’ont pas pour
objet et ne sauraient avoir
pour effet d’entraîner la suspension du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente » (§ 9).
Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des
demandeurs d'asile dans les États membres.
(38)
Règlement (CE) du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination
de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par
un ressortissant d'un pays tiers.
(39)
CJUE 27 septembre 2012 La CIMADE et GISTI c/ Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration C-179/11, cf bulletin 5/2012.
Doctrine
« Droit d’asile »
21
A propos de la décision CE Sect. Avis 30 décembre 2013 Mme O. n° 367615 A
 « Conséquence de l’annulation du refus d’autorisation provisoire de séjour à un demandeur
d’asile », D. Poupeau, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 7.
 « Les garanties procédurales et contentieuses du demandeur d’asile », X. Domino, RFDA n° 1,



Année 2014, N°1

janvier-février 2014, pp. 76 à 86.
« L’absence d’information du demandeur d’asile peut coûter cher à l’administration », F. Julien-Laferriere, Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, p.
10.
« Exception d’illégalité et annulation par voie de conséquence : la théorie du domino », AJDA
hebdo n° 4/2014, 3 février 2014, pp. 222 à 225.
« Effets de l’annulation du refus d’admission provisoire au séjour opposé à un demandeur d’asile », Pratique du contentieux administratif, lettre d’actualité n° 2, février 2014, pp. 7 et 8.
« Le droit à l’information du demandeur d’asile », Lamy mobilité internationale, actualité n°
189, février 2014, p. 3.
A propos de la décision CE 30 décembre 2013 La CIMADE n° 350193 B
 « Le droit européen n’impose pas que l’OFPRA fasse le choix de la procédure d’examen d’une
demande d’asile », M-C. de Montecler, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 13.
A propos de la décision CE Avis 18 décembre 2013 Préfet de Haute-Savoie c. M. X.
n° 371994 A
 « Remise ou OQTF ? A l’appréciation du Préfet ! », C. Pouly, Dictionnaire permanent - Droit
des étrangers, bulletin n° 229, janvier 2014, pp. 6 à 7.
 « Précisions sur l’articulation des procédures d’OQTF et de reconduite à la frontière », D. Pou-
peau, AJDA hebdo n° 1/2014, 13 janvier 2014, p. 10.
 « Articulation des procédures d’OQTF et de remise à un autre état membre », Pratique du
contentieux administratif, lettre d’actualité n° 2, février 2014, p. 6.
Jurisprudence
Droit des étrangers - Europe et autres pays
DIRECTIVE 2003/9/CE « ACCUEIL » – DATE D’OCTROI DES CONDITIONS
MATERIELLES D’ACCUEIL – FOURNITURE DES CONDITIONS MATERIELLES
D’ACCUEIL SOUS LA FORME D’ALLOCATIONS FINANCIERES – ETENDUE DE
L’AIDE FINANCIERE OCTROYEE – RENVOI AUX SYSTEMES NATIONAUX DE
PROTECTION SOCIALE EN CAS DE SATURATION DES STRUCTURES
D’ACCUEIL. La CJUE rappelle tout d’abord que la période pendant laquelle les
conditions matérielles d’accueil doivent être accordées aux demandeurs d’asile débute dès
l’introduction de la demande d’asile. Les allocations financières octroyées doivent ensuite
être suffisantes pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé et assurer la
subsistance des demandeurs d’asile, et elles doivent permettre au demandeur d’asile de
disposer d’un logement, le cas échéant, sur le marché privé de la location et préserver
l’unité familiale. Enfin ces allocations peuvent être versées par l’intermédiaire
d’organismes relevant du système d’assistance publique générale, pour autant que ceux-ci
assurent aux demandeurs d’asile le respect des normes minimales prévues par la directive
2003/9/CE.
CJUE 27 février 2014 Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile c./ Selver
Saciri et autres C-79/13
L
e 11 octobre 2010, la
famille Saciri a introduit une demande d’asile en Belgique. Le même jour,
(40)
l’agence fédérale pour l’ac- fournir une structure d’accueil
cueil des demandeurs d’asile, et l’a dirigée vers le centre pula Fedasil(40), a informé cette blic d’action sociale, l’OCMW
(Suite page 22)
famille de l’impossibilité de lui
Federaal agentschap voor de opvang van asielzoekers.
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
22
(Suite de la page 21)
(41)
. N’ayant pas pu obtenir un
hébergement, la famille Saciri
s’est tournée vers le marché
locatif privé mais, dans l’impossibilité de régler son loyer,
elle a introduit auprès de
l’OCMW une demande d’aide
financière qui lui a été refusée
au motif qu’elle relevait des
structures d’accueil gérées par
la Fedasil. Saisie par la famille
Saciri, la justice belge a enjoint
à la Fedasil de lui accorder un
accueil et l’a condamnée à lui
verser une somme équivalant à
trois mois de revenus d’intégration pour une personne
ayant une famille à charge
pour la période au cours de
laquelle elle n’avait pas pu être
logée par la Fedasil. Concernant la période au cours de
laquelle cette famille n’a pas
bénéficié d’un logement en
nature ni d’une allocation financière suffisante pour payer
son loyer, la Fedasil et la famille Saciri ont interjeté appel
devant la Cour du travail de
Bruxelles (« Arbeidshof te
Brussel »), qui a posé plusieurs
questions préjudicielles.
La CJUE relève à titre préliminaire qu’aux termes de l’article
13 § 5 de la directive 2003/9/
CE, les conditions matérielles
d’accueil peuvent être fournies
en nature ou sous la forme
d’allocations financières ou de
bons ou en combinant ces formules (§ 32).
S’agissant tout d’abord de la
période pendant laquelle les
conditions matérielles d’accueil doivent être accordées
aux demandeurs d’asile, la
CJUE rappelle(42) que celle-ci
débute dès l’introduction de la
demande d’asile, que les
conditions matérielles d’accueil soient fournies en nature
(41)
ou sous la forme d’allocations
financières, et que l’économie
générale et la finalité de la directive ainsi que le respect des
droits fondamentaux, notamment les exigences de l’article
1er de la Charte des droits fondamentaux de l’UE selon lequel la dignité humaine doit
être respectée et protégée,
s’opposent à ce qu’un demandeur d’asile soit privé, fût-ce
pendant une période temporaire, après l’introduction de sa
demande, de la protection des
normes minimales établies par
la directive (§§ 33-35).
S’agissant ensuite de la question de savoir si le montant des
allocations financières doit être
de nature à permettre aux demandeurs d’asile d’obtenir un
logement, la Cour déduit des
dispositions de l’article 2 j) de
la directive, aux termes desquelles les conditions d’accueil
comprennent le logement, la
nourriture, l’habillement ainsi
qu’une allocation journalière
(§ 38), du considérant 7 de la
directive, selon lequel les normes minimales pour l’accueil
des demandeurs d’asile doivent, en principe, suffire à leur
garantir un niveau de vie digne
et des conditions de vie comparables dans tous les Etats
membres (§ 39), ainsi que des
dispositions de l’article 13 § 2
et 5 second alinéa de la même
directive, que l’aide financière
octroyée doit être suffisante
pour garantir un niveau de vie
digne et adéquat pour la santé
et assurer la subsistance des
demandeurs d’asile (§ 40). Partant, cette allocation doit être
suffisante pour permettre au
demandeur d’asile de disposer
d’un logement, le cas échéant,
sur le marché privé de la location (§ 42). La directive ne per-
met cependant pas au demandeur d’asile de choisir un logement selon sa convenance personnelle (§ 43).
Par ailleurs, conformément aux
dispositions de l’article 13 § 2,
second alinéa, de la directive,
l’Etat membre doit adapter les
conditions d’accueil à la situation des personnes ayant des
besoins particuliers, visées à
l’article 17 de la directive. Dès
lors, les allocations financières
doivent être suffisantes pour
préserver l’unité familiale et
l’intérêt supérieur de l’enfant,
qui constitue une considération
primordiale (§ 41). Partant, si
l’article 14 § 3 de la directive
n’est pas applicable lorsque les
conditions matérielles d’accueil sont fournies exclusivement sous la forme d’allocations financières, le montant de
ces allocations doit cependant
être suffisant pour permettre
aux enfants mineurs d’être logés avec leurs parents, de sorte
que l’unité familiale des demandeurs d’asile puisse être
maintenue (§ 45).
Enfin, en cas de saturation des
structures d’hébergement, les
allocations financières peuvent
être versées par l’intermédiaire
d’organismes relevant du système d’assistance publique
générale, pour autant que ceuxci assurent aux demandeurs
d’asile le respect des normes
minimales prévues par la directive (§ 49), la saturation des
réseaux d’accueil ne pouvant
justifier une quelconque dérogation au respect de ces normes (§ 50).
Openbaar Centrum voor Maatschappelijk Welzijn.
CJUE 27 septembre 2012 Cimade et Groupe d'information et de soutien des immigrés (France) C176/11, §§39 et 56.
(42)
Jurisprudence
« Droit d’asile »
Année 2014, N°1
23
REGLEMENT 343/2003 « DUBLIN II » – CONDITIONS AUXQUELLES EST
SUBORDONNE LE RENVOI D’UN DEMANDEUR D'ASILE VERS L’ETAT MEMBRE
RESPONSABLE DE L’EXAMEN DE SA DEMANDE – ARTICLE 3 DE LA
CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. La Cour Suprême
britannique considère que le transfert d’un demandeur d’asile vers un Etat membre
considéré comme responsable de l’examen de la demande, en application du règlement
« Dublin II », est interdit lorsque les conditions de vie du demandeur dans cet Etat seraient
constitutives de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. La simple constatation qu’il
n’existe pas de défaillances systémiques du régime d’asile de l’Etat membre considéré
comme responsable de l’examen de la demande d’asile engendrant un risque sérieux de
violation des droits fondamentaux ne suffit pas pour permettre le transfert d’un demandeur
vers ce pays.
Cour Suprême britannique, 19 février 2014, R (on the application of EM (Eritrea)) (EH)
(MA) (AE) v Secretary of State for the Home Department (Respondent) [2014] UKSC 12
L
es requérants, un ressortissant iranien et trois
ressortissants érythréens, avaient rejoint le
Royaume Uni en passant par
l’Italie. Deux d’entre eux
avaient été reconnus réfugiés
en Italie. Les autorités du
Royaume Uni ont décidé de
renvoyer les quatre requérants
en Italie, considéré comme
l’Etat membre responsable en
application du règlement
« Dublin II ». Les requérants
soutenaient qu’un tel renvoi les
exposerait à un risque de traitements inhumains ou dégradants contraire à l’article 3 de
la CEDH, en raison de la situation des demandeurs d’asile en
Italie. Ils faisaient valoir que
s’ils étaient renvoyés dans ce
pays, ils se retrouveraient sans
domicile et sans ressource. En
outre, parmi ces requérants
reconnus réfugiés en Italie, les
femmes affirmaient avoir été
victimes de plusieurs viols en
Italie.
Le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur a estimé que les demandes étaient manifestement mal
fondées dès lors que l’Italie,
présumé pays sûr, ne connaît
pas de défaillances systémiques de la procédure d’asile et
des conditions d’accueil des
demandeurs d’asile. La Cour
d’appel a déduit de l’arrêt N.S
(43)
e.a(43) de la CJUE, dont la jurisprudence est obligatoire
pour tous les Etats membres,
que seules des défaillances
systémiques de la procédure
d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile
dans un Etat membre engendrant un risque sérieux de violation des droits fondamentaux
étaient de nature à empêcher
un renvoi en application du
règlement « Dublin II » et que
de telles défaillances n’existaient pas en Italie. Elle a relevé que si au regard de la jurisprudence de la Cour EDH, le
renvoi des requérants pourraient effectivement poser un
problème sous l’angle de l’article 3 de la CEDH, pour lequel
une simple violation suffit,
cette appréciation n’est pas
pertinente pour l’interprétation
du droit de l’UE, dont fait partie le règlement « Dublin II »,
la Cour EDH appartenant à un
système juridique distinct.
Infirmant cette conclusion, la
Cour Suprême estime que l’arrêt N.S e.a de la CJUE doit être
lu en fonction du contexte dans
lequel il a été rendu. Elle
considère que la CJUE ne préconise pas qu’une violation de
l’article 3 de la CEDH ne pourrait empêcher un transfert
« Dublin » que si elle résulte
d’une défaillance systémique
de la procédure d’asile et des
conditions d’accueil des demandes d’asile dans l’Etat
concerné (§ 55). La violation
des droits fondamentaux constituait, dans l’affaire N.S e.a,
une preuve des défaillances
systémiques de la procédure
d’asile et des conditions d’accueil des demandes d’asile en
Grèce (§ 55) et la violation des
droits fondamentaux par la
Grèce étant établie, le débat ne
portait que sur les effets de ces
défaillances sur la présomption
de respect, par les Etats membres de l’UE, des droits fondamentaux (§ 56).
La Cour Suprême rappelle ensuite la jurisprudence S. c.
Royaume Uni de la Cour EDH
qui interdit le renvoi par un
Etat membre du Conseil de
l’Europe d’une personne vers
un pays où il est établi qu’elle
courrait un risque réel et sérieux de subir un traitement
contraire à l’article 3 de la
CEDH (§ 58). Elle rappelle
également que le règlement
343/2003 et la directive
2003/9/CE doivent être interprétés en conformité avec les
droits fondamentaux (§ 59),
qu’un certain nombre d’obligations incombe aux Etats membres de l’UE à l’égard des demandeurs d’asile et des réfu-
CJUE 21 décembre 2011 N.S. (Royaume-Uni) C-411/10 et M.E. e.a. (Irlande) C-493/10.
(Suite page 24)
Jurisprudence
Doctrine
Année 2014, N°1
« Droit d’asile »
24
(Suite de la page 23)
giés en vertu de la directive
2003/9/CE(44) et de la directive
2004/83/CE qualification »(45)
(§§59-61), que ces obligations
fusionnement avec les obligations positives incombant aux
Etats membres du Conseil de
l’Europe qui sont également
membres de l’UE et que le
Royaume Uni est tenu de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’UE, dont l’article 4 prévoit une garantie équivalente à celle prévue par l’article 3 de la CEDH, chaque
fois qu’est mis en œuvre un
instrument européen (§ 62).
La Cour Suprême observe par
ailleurs qu’il n’est pas contesté
que les obligations positives
découlant de l'article 3 de la
CEDH comprennent l'obligation de protéger les demandeurs d'asile contre le risque
d’être délibérément exposé à
des conditions de vie constitutives de mauvais traitements et
que la Chambre des Lords a
jugé que la responsabilité de
l’Etat serait engagé sous l’angle de l’article 3 si un demandeur d’asile est privé, par une
action délibérée de l'Etat, d’un
abri, de nourriture ou des besoins les plus élémentaires de
vie(46) (§ 62).
La Cour Suprême conclut que,
si les conditions dans lesquelles le demandeur serait obligé
de vivre dans le pays considéré
comme responsable de l’examen de sa demande d’asile en
application du règlement
« Dublin II » sont telles qu’il
existe un risque réel de violation de l’article 3 de la CEDH,
le transfert vers ce pays est
interdit et que si la recherche
de défaillances systémiques de
la procédure d’asile et des
conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat
membre considéré comme responsable de l’examen de sa
demande d’asile peut conduire
à établir l’existence d’un risque
réel de violation de l’article 3,
la simple constatation qu’il
n’existe pas de défaillances
systémiques ne suffit pas à permettre le renvoi des requérants
vers ce pays (§ 63).
La Cour Suprême accueille, à
l’unanimité, les quatre requêtes
et les renvoie les affaires devant la Cour administrative
afin de déterminer si, au regard
de la situation générale prévalant en Italie et de la situation
personnelle des requérants, y
compris leur expérience passée, il existe un risque réel de
traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de
renvoi en Italie.
Il convient enfin de noter que
la Cour Suprême considère
que les quatre requérants, y
compris les deux ayant été
reconnus réfugiés en Italie,
sont soumis aux dispositions
du règlement « Dublin II » dès
lors qu’ils répondent aux critères définissant un ressortissant
d’un Etat tiers et un demandeur d’asile, tels qu’énoncés
aux alinéa a) et d) de l’article
2 dudit règlement (§ 79).
A propos de la décision CJUE gde chambre 19 décembre 2013 Koushkaki (Allemagne) C84/12 (cf. bulletin 6/2013)
 « Le code des visas Schengen expliqué par la CJUE », M-C. de Montecler, AJDA hebdo n°
1/2014, 13 janvier 2014, p. 16.
 « Refus de visa : application stricte du Code des visas », Lamy mobilité internationale, actuali-
té n° 188, janvier 2014, pp. 6 et 7.
 « Les refus de visas « Schengen » doivent être fondés sur le code européen des visas », Dic-
tionnaire permanent - Droit des étrangers, bulletin n° 230, février 2014, pp. 1 à 3.
(44)
Article 13 de la de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres.
(45)
Considérant 33 et articles 26, 27, 28, 29, 31 et 33 de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril
2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des
pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres
raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.
(46)
R (on the application of Limbuela) v Secretary of State for the Home Department [2005] UKHL 66,
disponible à l’adresse www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldjudgmt/jd051103/adam.pdf.
Année 2014, N°1
« Droit d’asile »
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