L`héritage « chamanique » de nos ancêtres celtes

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L`héritage « chamanique » de nos ancêtres celtes
L’héritage « chamanique »
de nos ancêtres celtes
Une discipline spirituelle belle et saine
entretien avec
8 pages extraites
de la revue Sources n° 22
www.terre-du-ciel.org
Gilles Wurtz
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C’est une femme âgée, rencontrée au cours des années quatrevingt-dix dans un village alsacien, qui, au prix d’un long
apprentissage, a transmis à Gilles Wurtz des pratiques
qui seraient parvenues jusqu’à elle au fil d’innombrables
générations. Ce chamanisme « celtique », procédant donc
de notre tradition occidentale, il l’a confronté et enrichi, lors
d’expériences personnelles et de voyages, au contact d’autres
formes de chamanisme, sur tous les continents. Parce que cela
lui a été demandé, Gilles Wurtz, qui se désigne comme praticien
chamanique, transmet à son tour ce qu’il a reçu. « Voyage »
dans les différents mondes, travail avec les esprits, divination,
autoguérison… il explique ce qui fonde ces pratiques, ce qu’elles
peuvent avoir d’universel et ce qui est particulier à l’Occident.
Développer son intuition, ressentir ce qui relie chacun d’entre
nous avec l’ensemble du monde qui nous entoure, dans le but
de devenir maître de soi-même, participer activement à sa propre évolution, sur les différents plans de
l’être, en ouvrant son cœur et sa conscience. En cela, estime Gilles Wurtz, le chamanisme est bien une
pratique spirituelle, un retour vers la « Source ».
V
ous êtes, depuis plusieurs années déjà, praticien chamanique. Qu’est-ce qui vous a
amené à le devenir ?
Il y a une vingtaine d’années, à un moment où cela
n’allait pas trop bien dans ma vie, j’ai rencontré dans
mon village natal, en Alsace, une dame assez âgée.
J’étais l’entraîneur de basket-ball de son petit-fils,
qui, entre les matchs, me parlait de choses étranges
qu’il ne pouvait ni expliquer ni évoquer avec les
autres. Comme il me sentait intéressé, il m’a conseillé
de rencontrer sa grand-mère, selon lui « géniale, incroyable ». La rencontre s’est passée un dimanche.
Arrivé chez elle à quatorze heures, je n’en suis sorti
qu’à plus de vingt heures, sans avoir pu placer plus de
dix phrases. Elle m’a raconté toute sa vie du point de
vue spirituel, puisque c’était ce qui nous intéressait.
Quand je suis parti, elle m’a juste dit : « À la semaine
prochaine, tu reviens et nous allons approfondir tout
cela. » Et c’est ainsi que l’enseignement a commencé. Après mon travail, à dix-sept heures et jusque
tard dans la nuit, souvent même jusqu’au matin, tous
les jours et tous les week-ends, tous les congés, les
jours fériés, pendant plus de six ans, je me suis rendu
auprès d’elle pour pratiquer. Elle m’a appris toutes
sortes de choses auxquelles je n’avais jamais cru ou
que je n’avais jamais vues ou même imaginées.
Nous allions beaucoup pratiquer dans la forêt, la journée mais aussi de nuit, pour affiner mon ressenti. Son
exercice préféré en forêt se passait pendant les nuits
les plus noires, sans lune, de préférence par mauvais
temps, quand il n’y a vraiment aucune lumière. Elle
me demandait de traverser la forêt et me donnait rendez-vous sur un chemin ou un parking à quelques kilomètres de là. Au départ elle était à mes côtés, mais
très vite, je ne la sentais plus, elle n’était plus là. Il
me fallait trouver le chemin seul, sans lampe, avancer en évitant les arbres, les troncs par terre, les rochers, les ronces, les fossés. Les premières fois, je me
cognais aux arbres, je trébuchais, je m’énervais. Puis,
un jour, j’ai commencé à ressentir les arbres à
l’avance, à les éviter. En chamanisme, cette technique
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L’HÉRITAGE
« CHAMANIQUE » DE NOS ANCÊTRES CELTES
s’appelle la métamorphose. Mais ce n’est qu’au bout
de quelques mois que cette femme a employé ce mot.
Elle me demandait aussi de ne surtout en parler à personne. Elle avait très peur que, dans le village, on la
traite de sorcière, car dans le Sundgau, ma région, ces
pratiques sont cataloguées de cette manière. Elle m’a
également demandé de ne pas la nommer, même
après qu’elle soit partie.
Vous avez évoqué votre intérêt pour la spiritualité. C’est un aspect essentiel du chamanisme ?
lustre pouvait commencer à tanguer fortement dans la
salle à manger. Je percevais des bruits de pas descendant l’escalier en bois du grenier et entrant dans
le salon, j’entendais le bruit que fait un fauteuil quand
une personne s’assoit, je voyais la poignée de la porte
du salon se baisser et la porte s’ouvrir pour laisser entrer l’esprit.
Pourquoi un esprit aurait-il besoin d’ouvrir une
porte pour pénétrer quelque part ?
C’est le tout premier point. Il consiste à apprendre
à mieux nous connaître nous-même, au plus profond
et sur tous les plans. En effet, nous ne nous connaissons pas vraiment, ou alors, dans les mêmes proportions que l’iceberg : quatre-vingts pour cent restent
cachés. Les pratiques chamaniques, les voyages, la
connexion avec la nature, tous ces outils servent à
aller explorer cette partie que nous ne connaissons
pas ou pas assez bien. Les découvrir aide à comprendre, à délier, libérer, guérir des choses. Le but est
d’avancer sur notre chemin, d’ouvrir notre cœur,
notre conscience. La pratique chamanique est donc
en cela une pratique spirituelle. Son but ultime est
d’atteindre, comme le disent les bouddhistes, l’éveil.
C’est se fondre dans la source, dans cette lumière
pure dont nous sommes tous issus.
Le deuxième point consiste à apprendre à vivre en
harmonie avec les êtres vivants qui nous entourent,
non seulement les êtres humains, nos proches dans
notre maison, notre voisinage, ceux que nous côtoyons au quotidien, mais aussi avec le reste du vivant – avec les règnes animal, végétal et minéral.
Le troisième point consiste à apprendre à vivre en
harmonie là où nous vivons, dans notre propre maison ou appartement, dans notre village, notre région,
notre pays, enfin sur notre planète, qui est notre
grande maison à tous.
Ce n’était pas lui qui en avait besoin, ni elle, mais
moi ! Je faisais mon apprentissage, je pouvais être
sceptique. Quand les esprits se manifestent avec des
preuves physiques, c’est toujours pour marquer la
personne qui a besoin d’y croire. Cela déclenche intérieurement toutes sortes de processus qui ne seraient sans doute pas complètement mis en route sans
cela.
C’est aussi pour cette raison que, dans le chamanisme, nous faisons beaucoup de rituels. Le rituel est
une chose à laquelle on participe physiquement, par
exemple faire fumer de la sauge pour purifier un lieu
énergétiquement. La sauge brûle, on la sent, on voit
la fumée, il y a une trace physique. Si je prends la
sauge et que je ne la fais pas brûler mais que je lui
demande de purifier l’espace, elle le fera aussi, car
c’est l’esprit de la plante qui purifie, ce n’est ni la
fumée ni l’odeur. Le rituel rend visible ce que nous
faisons dans l’invisible. Cela favorise le déclic sans
lequel le mental opposerait une résistance.
À ce propos, j’ai constaté, depuis quelques années,
que lors des huttes de sudation des esprits se manifestent de plus en plus souvent. Cela marque les personnes. De plus, ces manifestations d’esprits dans la
hutte s’accompagnent de guérisons spontanées : des
traumatismes, des blessures psychologiques, énergétiques ou spirituelles se libèrent parce que la manifestation de l’esprit a déclenché chez la personne une
libération du blocage posé par son mental.
Vous avez parlé en début d’entretien de votre
étonnement face à des choses que cette femme
vous montrait et que vous n’auriez jamais cru
possibles. Vous pouvez nous donner un exemple ?
Six années de pratiques journalières, ce n’est
pas rien. Comment avez-vous vécu tout cela ?
Elle communiquait avec toutes sortes d’esprits,
dont beaucoup d’esprits d’ancêtres qui ont donc vécu
mais ne sont plus là depuis fort longtemps parfois.
Elle en appelait certains, de préférence le soir lorsque
tout est calme et que l’énergie s’y prête mieux, pour
qu’ils viennent donner un enseignement, et ils se manifestaient alors concrètement, physiquement. Le
L’apprentissage était tout sauf facile. À plusieurs
reprises, j’ai failli abandonner. Communiquer avec
des esprits, faire des soins, est un très long travail sur
soi-même. En ce qui me concerne, au début, je ne ressentais rien, je ne voyais rien, je n’entendais rien. Elle
me faisait travailler avec elle mais je devais aussi travailler seul, avec mes propres esprits et animaux de
pouvoir. Elle m’encourageait à le faire, me disant que
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c’était important, que j’allais apprendre beaucoup
d’eux, sans doute même plus que d’elle. Elle me demandait d’ailleurs de ne pas lui dire ce que les esprits
me disaient, précisant que c’était mon jardin secret.
Mais elle savait très bien ce qui se passait, les esprits
lui en rendaient compte dans ses propres voyages,
j’en ai eu la preuve. Vers la fin de son enseignement,
par exemple, elle m’a annoncé qu’il fallait que je
pense sérieusement à la façon de redonner ce que
j’avais reçu sous forme de stages : donner les bases,
des pratiques et des outils simples que les gens puissent réutiliser eux-mêmes sur eux, pour leur propre
bénéfice. J’ai répondu que c’était hors de question,
que je n’avais pas appris cela pour ça. Mais en fait, la
veille, chez moi, l’esprit d’un ancêtre d’origine celtique qui m’enseigne m’avait déjà suggéré de le faire.
J’en avais ressenti de la colère : si j’avais su dès le
départ que c’était cela que l’on allait attendre de moi,
j’aurais refusé tout de suite. Ce n’était pas dans mes
cordes d’animer un groupe. J’ai donc rejeté cette idée,
mais le lendemain, lorsqu’elle m’en a parlé, je lui ai
demandé un délai de réflexion. Peu après, j’ai accepté
de faire un premier essai. En fait, je devais l’apprendre plus tard, c’est ainsi que cela se passe le plus
souvent dans la tradition chamanique : ce n’est jamais un individu qui décide de lui-même de devenir
chaman guérisseur, c’est la communauté qui le désigne ainsi. Cela fait partie d’un de nos préceptes :
rester simple et humble.
J’ai donc fait mon premier stage ici, dans la région.
Je me suis présenté comme praticien chamanique, le
mot était posé. Ensuite, j’ai mis peu à peu sur pied
des stages avec tous les éléments que j’avais reçus de
cette femme et des esprits.
Ces pratiques chamaniques vous ont-elles personnellement transformé ?
Bien sûr ! Elles m’ont d’abord permis de sortir
d’une étape de ma vie où j’allais très mal, d’un point
de vue social et personnel. Le chamanisme m’a fait
ouvrir les yeux et redresser la barre. Il m’a aidé à me
débarrasser de beaucoup de choses inutiles, à m’ouvrir, à voir d’une autre manière, à accepter les événements pour les traverser. Cela m’a fait réfléchir à
tout ce qui m’avait affecté et même déboussolé. J’ai
beaucoup appris sur la façon d’aborder et de gérer les
événements de ma vie pour que tout se passe pour le
mieux. Les choses m’affectent aujourd’hui beaucoup
moins et c’est tellement mieux ainsi, pour moi mais
aussi pour mon entourage ! Je me suis également
guéri de maladies physiques, réputées incurables. Par
la pratique, les quêtes de visions, tous les rites de passage que j’ai faits et que je fais encore, je continue à
m’ouvrir, à aller de l’avant.
Au niveau spirituel, il y a un gouffre entre ce que
j’étais lorsque j’ai commencé et aujourd’hui. Mes
conceptions du monde, de la vie, ont complètement
explosé. Et cet approfondissement ne s’arrête pas et
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L’HÉRITAGE
« CHAMANIQUE » DE NOS ANCÊTRES CELTES
même s’accélère. Les vérités d’aujourd’hui n’auront
peut-être plus cours dans quelques mois ou quelques
années. Cela me donne une faculté de m’adapter à ce
qui arrive et qui change de plus en plus vite. Cela me
donne également de la sérénité, une tranquillité qui
désamorce et apaise beaucoup des choses qui m’auraient auparavant immédiatement inquiété ou énervé.
Cela me donne surtout de la lucidité. Tout cela a été
– est encore – très bénéfique.
De quelle manière cette femme avait-elle, ellemême, reçu cet enseignement ?
La transmission se fait de génération en génération. Elle-même l’avait eu d’un doyen de sa famille,
un homme, qui l’avait eu de sa grand-mère, qui
l’avait eu d’un autre doyen de la même famille. Nous
avons pu remonter à six ou sept générations dans son
arbre généalogique et nous avons constaté que la
transmission s’était toujours faite dans sa famille. Je
n’en fais pas partie, mais nous avons cependant
trouvé une branche lointaine commune. La source remonte sans rupture à l’époque celtique, qui est datée
entre neuf cents à huit cents ans avant Jésus-Christ,
juste après le néolithique, et se termine vers le milieu
du Ve siècle après Jésus-Christ.
Nous avons parlé jusqu’ici, pour qualifier l’ensemble de ces pratiques, de « chamanisme ». Peuton à présent évoquer ce que le chamanisme
celtique a d’universel et de spécifique ?
J’évoquerai d’abord les aspects universels du chamanisme. Les fondements sont les mêmes partout sur
la planète. Quelle que soit la forme prise, on trouve à
la racine la croyance que tout vient d’une source
unique dont toute la création, nous y compris, est
issue : tout ne fait qu’un et vient de cette seule source.
Cette source est sans forme mais pourrait être décrite
en trois termes : pure lumière, pur amour et pure
conscience. L’essence de la source qui nous anime aujourd’hui est un fragment de lumière de cette source,
que nous nommons « âme-esprit ». Pour simplifier,
on pourrait dire que l’âme est la lumière pure de la
source, et l’esprit la conscience pure de la source.
Mais les deux ne forment qu’un, sont la source, qui
ne peut jamais être atteinte ni affectée ni troublée ni
malade et qui reste pure. Je donne toujours cette comparaison avec l’eau, solide, liquide ou gazeuse, selon
la température, et qui pourtant est une. L’eau gelée
correspondrait à la « lumière gelée », ce que l’on appelle scientifiquement la matière, qui est la lumière à
sa vibration la plus basse, tellement dense et compactée qu’elle en devient quelque chose de solide. L’eau
liquide serait par exemple le passage du concret au
subtil, comme l’instant de notre mort, et la vapeur, le
monde des esprits. Mais au bout du compte, tout est
lumière, à des degrés différents de vibration. C’est une
des bases universelles du chamanisme. La lumière de
la source crée le tout, tout est donc lié, chaque acte,
chaque parole, chaque pensée est agissante et provoque une réaction. C’est pourquoi les peuples chamaniques se savent devoir vivre en harmonie avec la
nature. Puisqu’ils sont une partie de celle-ci, ils ont
conscience que créer un déséquilibre quelque part revient forcément à en pâtir soi-même. Les trois mondes
dans lesquels nous voyageons se retrouvent également
plus ou moins dans les autres traditions : le monde
d’en-bas, le monde du milieu et le monde d’en-haut,
éventuellement sous d’autres appellations – les ciels,
les plans, les passages. Enfin, un autre point commun
est le fait que le chamanisme peut être pratiqué par
chacun, indépendamment de sa religion, car le chamanisme n’en est pas une.
Ce qui pourrait être spécifique au chamanisme celtique se trouve dans la manière de faire les voyages,
les rituels, les cérémonies – éléments que l’on retrouve dans toutes les traditions chamaniques, mais
développés selon le ressenti du peuple qui les pratique. Nous faisons des voyages chamaniques au son
du tambour, d’autres le font avec des plantes, des
chants, des didjiridous, des bols tibétains… Une des
choses qui nous est spécifique est le fait de ne jamais
laisser de traces après nos rituels dehors, comme les
huttes de sudation. Il s’agit pour nous de respect visà-vis de la nature. De la même façon, nous n’arrachons jamais rien de vivant, si ce n’est pas nécessaire.
Si nous confectionnons des mandalas, par exemple,
nous le faisons avec des choses inertes. Certains rites
de passage sont spécifiquement celtes et ne se retrouvent nulle part ailleurs. Je citerai en exemple le
rite de la mue, qui dure sept jours pleins, avec une
succession de neuf huttes de sudation, le jour, la nuit
– symbole des neuf mois d’une grossesse –, chaque
hutte comportant un travail spécifique qui prépare
également à la suivante, jusqu’à « l’accouchement »
qui doit transformer la personne en profondeur. Il y a
de nombreuses pratiques avancées. Pour ma part, j’en
enseigne une vingtaine. Beaucoup se font dans la nature, lorsque le temps est clément, ce sont les rites sacrés de la terre, les pratiques de communication avec
les esprits de la nature, les arbres, les plantes, qui ont
pour but d’apprendre leurs vertus, la manière de re-
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L’HÉRITAGE
cevoir des soins ou, à l’inverse, d’apporter des choses
bénéfiques à la nature. Il y a encore les pratiques de
divination par des promenades visionnaires.
Le chamanisme, quel que soit son lieu d’origine,
est une très belle discipline spirituelle, très saine
pour chacun. Elle peut être pratiquée – et c’est bien
et important de le faire ainsi – individuellement,
chacun à son rythme et à sa mesure. Mais c’est aussi
très important de le faire en groupe. En effet, il se
crée alors un esprit de groupe, qui pousse les individus et leur fait passer des caps qui seraient plus
difficiles à passer seul.
Comment peut-on expliquer cette universalité
et cette survivance du chamanisme au cours des
siècles et dans chaque continent ?
Le chamanisme n’est pas né par le biais d’un
homme seul qui aurait été à l’origine du mouvement
sous cette forme. Il est apparu partout là où l’homme
est apparu, né dans la conscience collective à laquelle
chacun est relié. C’est pourquoi, l’une des caractéristiques de tout chamanisme authentique est l’absence
de hiérarchie, et son symbole, le cercle. Le cercle n’a
ni début ni fin, où que nous nous asseyions, nous nous
trouvons à la meilleure place, à la même hauteur, et
quel que soit notre rang dans la société, nous sommes,
dans le cercle, tous pareils. Pour moi, cette absence
de hiérarchie est le garant de l’universalité et de la survivance d’un chamanisme authentique.
Peut-on évoquer maintenant une des pratiques
les plus courantes, le voyage chamanique ?
Dans notre tradition, et dans beaucoup d’autres
également, le voyage chamanique se fait au son du
tambour, qui permet de communiquer avec les esprits. Il s’agit de voyages dans les trois mondes dont
nous venons de parler et de la rencontre avec les esprits de ces différents plans. Pour tout voyage chamanique, une intention définie et claire est posée au
départ : on choisit dans quel monde on va voyager,
quel esprit on souhaite rencontrer et pour faire ou demander quoi. En revanche, on ne dirige pas le
voyage, on ne peut garantir le résultat, une ligne est
donnée, et après, on accepte de voir ce qui se passe.
Est-ce que l’intention peut être « mauvaise »,
c’est-à-dire peut-on détourner cette pratique pour
obtenir des informations nuisibles à d’autres ?
C’est impossible. Les esprits, les animaux de pouvoir ne vont jamais accepter. Le voyage ne va tout
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simplement pas marcher. Le chamanisme n’est pas
un outil pour manipuler qui que ce soit. Les esprits
sont tous des êtres de lumière, y compris les animaux
de pouvoir, ils ne sont là que pour aider et ils ne participeront en aucun cas à un acte incorrect.
À l’inverse, peut-on faire des « mauvaises
rencontres » ?
La création est bien faite ! Lors d’un voyage, nous
n’allons chercher auprès des esprits que les choses
qui vont nous aider à grandir, à avancer, à ouvrir plus
notre cœur, notre conscience. Même par hasard, une
« mauvaise rencontre » ne peut pas se passer,
puisque, dans notre tradition, il y a toujours une préparation au voyage : un enracinement, une prière à
soi-même où l’on répète les préceptes de la tradition,
une mise en place d’une protection énergétique, un
appel aux esprits bienfaisants avec lesquels on veut
travailler. Les esprits sombres ou mauvais existent, il
ne faut pas se mentir, ombre et lumière ont toujours
coexisté, mais cet enracinement met en place un
cadre qui permet de ne pas être atteint ou touché pendant un voyage chamanique par le côté ombre.
Qui rencontre-t-on dans chacun des trois
mondes ?
Dans le monde d’en-bas, nous rencontrons nos animaux de pouvoir – qui nous sont affiliés notre vie durant – ou encore l’esprit de nos ancêtres, depuis les
nôtres, personnels, jusqu’à ceux de l’humanité dans
son ensemble. Il faut peut-être préciser que l’esprit
d’un ancêtre n’a rien à voir avec une âme en peine.
Quand un individu décède, son essence repart vers la
source mais elle laisse une trace, comme une « sauvegarde » de cette vie restant pour l’éternité quelque
part dans l’univers, accessible à chacun. Il est donc
possible de rencontrer sa trace, tel qu’il était, homme
ou femme, sous les traits de caractère qu’il avait – et
qui peuvent parfois être très rustres ! Ce qui est intéressant est de pouvoir accéder aux savoirs et connaissances qu’il avait à cette époque-là, de demander
conseils et enseignements, c’est une vraie richesse à
disposition. C’est ce qui, dans un autre domaine, est
appelé « mémoires akashiques », la grande bibliothèque universelle. Dans le monde du milieu, il est
possible de rencontrer les esprits qui nous entourent et
qui font partie de notre quotidien : par exemple, l’esprit de la maison dans laquelle nous vivons, l’esprit
d’un arbre, d’une plante, d’une pierre… avec lesquels
nous pouvons communiquer et beaucoup apprendre.
Et, dans le monde d’en-haut, il s’agit de rencontrer les
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L’HÉRITAGE
« CHAMANIQUE » DE NOS ANCÊTRES CELTES
esprits qui sont des guides ou des maîtres spirituels,
des êtres de lumière qui viennent aussi nous enseigner
et nous guider. Il n’y a bien sûr aucun danger à voyager de la sorte, c’est comme une méditation. Chacun
peut pratiquer à son rythme, mais, bien sûr, plus souvent on le fait, plus vite on progresse. Tout le monde
peut pratiquer. Ce n’est pas réservé à des personnes
qui seraient plus sensibles ou plus subtiles que
d’autres, et pour chacun l’expérience sera différente,
personne ne voyagera de la même manière, mais chacun va y arriver. Le grand piège serait de croire qu’en
faisant un voyage chamanique nous allons forcément
voir des images ou entendre des sons. Plus de la moitié des personnes n’auront ni l’un ni l’autre, cela se
passera différemment : le noir complet peut-être, mais
avec des ressentis, des sons non audibles – de la télépathie –, un enseignement arrivant sous forme de
connaissance immédiate, ou encore une certaine perception de la réalité, impossible à avoir dans le monde
ordinaire. C’est très frustrant parce que les mots sont
inaptes à rendre compte de cela. Dans mon expérience
personnelle, je parle de « ressentis imagés ».
Quels sont les préceptes qui sont évoqués lors
de la préparation au voyage chamanique ?
Il y en a trois principaux. Le premier – rester
simple et humble, le deuxième – ne rien attendre, se
détacher des résultats, et le troisième – voir quelle
place occupe son ego. Cette femme me disait : « Le
jour où tu arrives à observer les trois préceptes de
façon parfaite est le jour de ta réalisation ! »
Comment poser une intention – préalable à tout
voyage – et être sans attente ?
Nous donnons effectivement un objectif à chaque
voyage. Le travail consiste à ne pas s’y accrocher, il
faut juste l’énoncer. Vouloir à tout prix obtenir un résultat revient à laisser le mental diriger le voyage et il
ne se passera rien. C’est une constante sur le chemin
spirituel, il faut lâcher prise. Une fois l’intention donnée, celle d’aller de l’avant pour progresser, travailler
sur nous-même, il faut laisser les choses ouvertes :
progresser, avancer, évoluer, c’est aller vers l’inconnu
et on ne peut aller vers l’inconnu qu’en lâchant prise,
tout peut être possible, il ne faut pas avoir d’idées préconçues. C’est cela se détacher du résultat. C’est à
cette condition que la surprise peut venir et qu’un vrai
beau dialogue peut se mettre en place, très pur, très
sain, qui, souvent d’ailleurs, nous remet tout à fait en
question et nous fait avancer.
Cette « surprise » est l’un des critères pour savoir si ce que nous voyons ou percevons vient, ou
non, de notre mental ?
C’est ainsi lors de toute pratique spirituelle. Dans
les minutes, les heures qui la suivent, nous allons
penser que notre mental a tout fabriqué. Comment
savoir ? La surprise est un bon critère : si quelque
chose d’inattendu, de surprenant, s’est passé à ma
plus grande surprise – arriver à cet endroit-là, faire
cette rencontre-là –, alors je sais que ce n’est pas ma
tête qui l’a créé. Bien sûr, mon mental peut se greffer sur un élément inattendu, mais il y a quelque
chose de vrai, souvent au tout début, à l’amorce.
Avec la pratique, on apprend à reconnaître ce qui
vient de notre mental et ce qui n’en vient pas. Mais
une chose est sûre : que ce soit fabriqué par nous ou
pas, cela passe par notre tête, dans les deux cas, et
nous nous disons alors : « C’est moi qui ai créé
cela. » C’est faux ! Et c’est tellement dommage,
parce que nous pouvons rester longtemps sur cette
idée alors que nous avons fait un très beau voyage et
que des portes se sont ouvertes.
Vous avez évoqué plus tôt la possibilité d’autoguérison.
Dans notre tradition, pour bien guérir, nous considérons qu’il est nécessaire de traiter le côté physique
mais aussi psychologique, énergétique, spirituel. Cela
revient à agir sur les différents corps qui nous composent au-delà du corps physique et où peuvent se
trouver des problèmes tels que fuite ou nœud énergétiques créant une maladie, une infection ou un
trouble psychologique. C’est à ce niveau que l’on travaille en chamanisme, lequel offre d’excellents outils qui complètent les traitements du médecin, du
spécialiste, kinésithérapeute, ostéopathe, psychologue, psychiatre...
Une pratique très connue est celle de la hutte
de sudation. C’est une pratique constante, particulière ?
L’ancêtre de la hutte est le sauna des pays nordiques, qui sont d’origine celtique. Une de ses particularités est qu’elle ne peut être faite qu’en groupe :
il y a une intention collective. Mais en même temps
peut y être mené un travail personnel, ignoré des
autres, dont l’impact sera individuel mais bénéficiera
de la force du groupe et de l’intensité vibratoire dégagée dans la hutte. Participer à une hutte de sudation, c’est donc vivre un soin, de façon collective et
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individuelle. Il y a toutes sortes de huttes selon les
problèmes, physiques, psychologiques, énergétiques,
émotionnels… que l’on veut traiter. On peut faire des
centaines de huttes, il y aura toujours un bénéfice
nouveau. La guérison peut se faire sur différents
plans : sur le plan physique, pour la circulation du
sang, l’élimination des toxines, et sur les plans énergétique et spirituel chacun peut venir avec une intention personnelle et cibler une cause, une maladie, un
problème psychologique, une peur, une colère, une
tristesse, un traumatisme. Je peux également être
« pollué » énergétiquement, par exemple, en étant
passé dans un endroit chargé en colère, en stress. On
parle alors de purification, il s’agit de nettoyer, d’évacuer ces énergies polluantes – comme des poussières
accrochées à mes différents corps énergétiques. Ce
travail peut aussi être approfondi lors de certains rites,
comme le rite de la mue dont j’ai déjà parlé, en participant à des huttes de sudation dont la visée est la
guérison des mémoires.
cent à s’épuiser, ont conscience qu’il faut aller vers
des choses plus saines. D’autre part, de nombreuses
personnes adhèrent moins aux religions dominantes
mais s’ouvrent de plus en plus à une forme de spiritualité sans dogme, sans chef. La spiritualité, dans le
chamanisme, peut être très personnelle, c’est une pratique que chacun applique pour soi-même, qui assoit
et approfondit l’expérience et qui, en même temps,
rassemble dans ce cadre de la nature, des ressources
naturelles, de l’alimentation saine, d’une moindre
pollution, de tout ce qu’il est nécessaire de mettre en
place aujourd’hui. Le chamanisme, avec l’absence de
hiérarchie dont j’ai déjà parlé et son ancrage dans la
nature, rassemble ces deux pôles et c’est pour cela
qu’il est particulièrement adapté à notre époque.
Depuis que j’enseigne, je voudrais ajouter que,
pour moi, c’est très beau de voir au fil des années les
gens évoluer, s’ouvrir ou se guérir de différents problèmes ou maladies, de les voir grandir en
conscience, psychologiquement et spirituellement.
En quoi les pratiques chamaniques sont-elles
particulièrement adaptées à notre époque ?
Propos recueillis par Anne de Grossouvre
Aujourd’hui, les gens sont plus sensibles aux
conséquences des pollutions, beaucoup constatent
que les ressources naturelles de la planète commen-
Pour aller plus loin :
Gilles Wurtz, Chamanisme celtique. Une transmission de nos
terres, éditions Véga, 2013
www.stage-chamanisme.com
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