Quelles évolutions pour l`enseignement religieux

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Quelles évolutions pour l`enseignement religieux
Quelles évolutions pour l’enseignement religieux en droit local ? Francis MESSNER Un enseignement de la religion articulé à la méthodologie mise en œuvre dans les écoles, collèges et lycées publics s’impose comme un obstacle aux fondamentalismes religieux et, par voie de conséquence, à l’émergence de terrains favorables aux extrémismes et aux formes radicalisées des croyances. L’expression « enseignement de la religion » ou « enseignement religieux ne recouvre cependant pas les mêmes réalités dans les différents Etats européens. Les évolutions de l’enseignement religieux en Europe Si l’enseignement religieux de droit local en Alsace et en Moselle relève d’un modèle classique, celui de l’enseignement confessionnel de la religion, force est de constater que ce modèle, qui existait partout en Europe aux 18e‐19e siècles, s’est largement diversifié. En effet, les évolutions contemporaines ont bousculé l’ancienne architecture. De nouvelles demandes ont été générées par la sécularisation de la société européenne qui a entraîné une perte de connaissances religieuses, notamment chez les plus jeunes, alors que des cultes récemment implantés sur le territoire national affichent d’importants taux de pratique religieuse. Ces évolutions ont été accompagnées ou freinées par les conceptions de l’enseignement religieux propres à chaque confession. Pour les Eglises protestantes historiques, la transmission de la foi relève des paroisses et non des établissements scolaires alors que l’Eglise catholique défend, en application de son droit ecclésial (code de droit canonique), le droit à une éducation religieuse dans les établissements scolaires. Dans les Etats sociologiquement orthodoxes, les cours de religion sont organisés dans le cadre de relations supposées harmonieuses entre l’Etat et l’Eglise (symphonie des pouvoirs). Actuellement l’enseignement confessionnel de la religion dispensé séparément pour chaque religion concernée dans les écoles, collèges et lycées grâce à une collaboration entre les autorités publiques et les autorités religieuses subsiste notamment en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique, en France pour l’Alsace‐Moselle et en Allemagne. Les autorités religieuses rédigent les programmes et proposent pour nomination les enseignants de religion. Les autorités publiques agréent les programmes, nomment et rémunèrent les enseignants de religion qui sont fonctionnaires ou contractuels. En Angleterre et au Pays de Galles, l’enseignement religieux obligatoire, avec une possibilité de dispense, est interconfessionnel. Il s’agit moins de catéchiser les élèves que de leur donner des cours de connaissance de la religion, de la sienne et de celles des autres. Les programmes fixés à l’échelon local prennent en compte depuis 1988 le christianisme et les autres principales religions représentées en Grande‐Bretagne dans le cadre d’une collaboration entre l’administration scolaire, l’Eglise anglicane établie en Angleterre et désétablie au Pays de Galles et les autres religions concernées. Cette volonté de promouvoir l’interreligieux dans le système éducationnel se retrouve également dans nombre de cantons suisses ou des cours de « culture et religion » et d’ « éthique et religion » ont progressivement remplacé l’enseignement religieux confessionnel. Le gouvernement fédéral suisse a initié une réflexion sur la création d’un cours de religion « inclusif » associant l’ensemble des acteurs : parents d’élèves et élèves, représentants des religions, association d’enseignants, représentants de l’administration scolaire. Les pays nordiques, et la Suède en particulier, ont depuis le milieu du 20e siècle abandonné l’enseignement protestant confessionnel pour développer des cours obligatoires de connaissance du christianisme, des principales religions et des philosophies non religieuses, sans intervention de l’Eglise luthérienne dans la rédaction des programmes et la nomination des enseignants. Cette formule a également été retenue par l’Etat du Grand‐duché du Luxembourg où l’enseignement religieux dans les écoles publiques à destination des seuls élèves catholiques était organisé par l’administration, de concert avec l’archevêché qui fixait le contenu des cours et proposait pour nomination les enseignants du primaire et du secondaire. Il sera remplacé à la rentrée 2016 par un cours commun à tous les élèves intitulé « éducation aux valeurs » dans le respect des procédures en vigueur au ministère de l’Éducation nationale luxembourgeois. Ce cours rangé parmi les matières obligatoires sera dispensé par un enseignant ou un chargé de cours pour l’enseignement fondamental (primaire) et par les enseignants actuels pour le secondaire, en d’autres termes par les professeurs actuels de religion catholique, qui seront remplacés suite à leur départ à la retraite ou à leur reconversion par des « enseignants spécialisés ». Cet enseignement est non confessionnel, mais l’administration est tenue de recueillir un avis non conforme relatif aux programmes auprès du conseil des cultes conventionnés regroupant toutes les religions ayant signé un accord avec le gouvernement de l’Etat du Grand‐duché. Enfin, dans un certain nombre de pays, la France sous le régime de la loi de Séparation et dans une moindre mesure les Pays‐Bas, l’enseignement religieux n’est pas organisé. En France, seul un enseignement du fait religieux est dispensé dans le secondaire dans le cadre des cours d’histoire et de philosophie. Les systèmes nationaux d’enseignement de la religion ne sont pas toujours monolithiques et diverses combinaisons sont possibles dans un même pays, comme l’illustre le cas de la Lettonie où un enseignement du christianisme est organisé par les catholiques, les protestants et les orthodoxes, alors que l’Eglise catholique peut créer si elle le souhaite un enseignement religieux catholique dans les écoles publiques. De même, la ville‐Etat de Hambourg a chargé l’Eglise territoriale protestante, qui a renoncé à son enseignement confessionnel du protestantisme, de créer un cours de religion ouvert à tous les élèves, tout en maintenant pour les religions le souhaitant des cours de religion confessionnels. Islam et enseignement religieux L’institutionnalisation de l’islam en Europe a accéléré le remodelage de l’enseignement religieux. Les pouvoirs publics des pays européens comprenant un nombre significatif de musulmans souhaitent intégrer les élèves de cette confession dans les dispositifs en vigueur et cela, en dépit des difficultés existantes. Les enseignants formés et les institutions de formation des maîtres font cependant défaut. L’approche académique et distanciée de la religion, sa présentation dans le cadre de la méthodologie mise en œuvre dans les établissements scolaires n’est pas toujours acceptée et la représentation institutionnelle des communautés musulmanes ne correspond pas en règle générale aux critères fixés par les autorités publiques. Malgré ces difficultés, certains Etats ont créé un enseignement religieux musulman, citons l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique. Ces Etats ont également établi des centres pour la formation des maîtres. L’Allemagne a ainsi instauré cinq instituts de théologie musulmane dans des universités publiques, l’Autriche envisage de fonder en 2017 une faculté de théologie musulmane à l’Université de Vienne et la Belgique a développé des masters en théologie musulmane au sein des universités de Leuven et de Louvain‐la‐Neuve qui sont en réalité des masters d’islamologie (sciences humaines et sociales de l’islam). L’enseignement religieux est traditionnellement perçu comme une matière mixte (res mixta) dont la mise en œuvre suppose d’une part l’existence d’instances religieuses représentatives des religions concernées, instance représentant l’activité cultuelle et non culturelle et exerçant une fonction théologique, et l’existence de mécanismes de collaboration entre les religions et l’Etat. Il s’agit de combiner la liberté d’organisation des cultes et la liberté académique, cet équilibre étant difficile à atteindre. En Allemagne, seuls deux Etats fédérés ont instauré un enseignement religieux musulman au sens de l’article 7 de la loi fondamentale de 1949, la Rhénanie du Nord‐Westphalie en 2012 et la Basse‐Saxe en 2013. L’enseignement de la religion musulmane a été mis en place dans quelques Länder par l’administration sous la forme d’un enseignement non confessionnel (Islamische Unterweisung). Les enseignants de religion musulmane en Belgique sont nommés par l’exécutif de Belgique, nombre d’entre eux rencontrent cependant des problèmes linguistiques et n’ont pas les titres requis. Certains ont le niveau d’études exigé, mais aucune formation en islamologie et en pédagogie, alors que la religion musulmane figure dans les programmes scolaires depuis 1974. Le droit local alsacien mosellan L’enseignement religieux fait partie des programmes d’enseignement des écoles, collèges et lycées des trois départements du Rhin et de la Moselle et est obligatoirement organisé par les chefs d’établissements (loi du 12 février 1873 pour l’ensemble des établissements d’enseignement public et privé ; loi du 15 mars 1850 pour l’enseignement primaire et ordonnance du 10 juillet 1873 modifié par l’ordonnance du 16 novembre 1887 pour l’enseignement secondaire ; article L. 481‐1 du Code de l’éducation). Les parents d’élèves, et le cas échéant les élèves majeurs, font le choix de s’inscrire ou de ne pas s’inscrire à un des cours d’enseignement religieux et cela en l’absence de tout contrôle de leur affiliation religieuse. Le contenu des cours est dans tous les cas articulé au socle des connaissances dispensées dans les programmes d’enseignement et n’a pas par voie de conséquence un caractère catéchétique. L’enseignement religieux en droit local est organisé conjointement par l’administration et les institutions cultuelles (actuellement cultes statutaires catholique, protestants et juif). Les autorités de ces cultes définissent le contenu des cours qui est soumis à l’administration dans le cadre d’une « conférence annuelle » et proposent les enseignants de religion pour nomination. Les intervenants de religion des écoles sont en principe titulaires d’un diplôme d’université délivré par la faculté de théologie protestante ou par la faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg. Les enseignants de religion des collèges et des lycées sont titulaires d’un des diplômes requis pour occuper un emploi de contractuel, de maître auxiliaire ou de certifié (licence ou master de théologie). Cette organisation de l’enseignement religieux correspondait jusqu’à une période récente aux besoins de formation religieuse des enfants et des adolescents de la grande majorité de la population. Néanmoins, les trois départements de l’Est n’échappent pas aux évolutions constatées partout ailleurs en Europe (sécularisation, pluralisme religieux, recul significatif des connaissances religieuses avec le risque d’exposer des enfants à des courants religieux radicaux). L’enseignement religieux de droit local s’est progressivement adapté. Les cours de catéchèse ont été abandonnés au profit d’un enseignement intégré dans la méthodologie mise en œuvre par l’éducation nationale. Des Supprimé : le
cours de religion interconfessionnels sont organisés dans les écoles primaires. Un enseignement d’ « éveil culturel et religieux » (ECR) est depuis quelques années dispensé dans les établissements secondaires. Il s’agit d’une modalité particulière de l’enseignement religieux de droit local (circulaire du Recteur de l’Académie de Strasbourg du 13 avril 2015, DOS n. 17) qui est enseignée par les professeurs d’enseignement religieux désignés pour nomination par les autorités religieuses des cultes statutaires, dans le cadre des moyens affectés à cet enseignement par l’administration. La création d’un cours d’ECR dépend de l’initiative d’un enseignant ou d’une équipe d’enseignants porteurs d’un projet qui doit être approuvé par le chef d’établissement et par l’autorité religieuse. Dans la pratique, l’ECR fait le plus souvent partie du projet d’établissement à la demande du proviseur. L’ECR est parfois le seul « enseignement de connaissance religieuse » dispensé dans les lycées techniques. Aux fins de répondre aux nouvelles demandes sociales : pallier les déficits en matière de connaissance religieuse, intégrer les élèves musulmans, favoriser le vivre et l’agir ensemble en ne séparant pas les élèves en fonction de leur appartenance religieuse lors des cours de religion, le modèle de l’ECR pourrait être optimisé dans les lycées et introduit dans les collèges sous la forme d’un enseignement à l’éducation au dialogue interreligieux et interculturel (EDII) porté par les cultes statutaires en collaboration avec le culte non statutaire musulman et d’autres cultes non statutaires. La formation des enseignants pourrait être prise en charge par les facultés de théologie et par l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de l’Université de Strasbourg.