RTD Civ. 2006 p. 815 - DALLOZ Etudiant

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RTD Civ. 2006 p. 815 - DALLOZ Etudiant
RTD Civ. 2006 p. 815
Régimes de communauté, passif définitif et passif provisoire : dettes alimentaires et
prestation compensatoire
(Civ. 1re, 8 nov. 2005, préc. supra n° précédent , et Civ. 1re, 28 mars 2006, AJ famille,
2006.207, obs. P. Hilt )
Bernard Vareille, Professeur à l'Université de Limoges ; Doyen honoraire, Président de
l'Université honoraire ; Membre du Centre de recherches sur l'entreprise, les organisations et
le patrimoine (CREOP Limoges)
Il résulte de la combinaison des articles 1409 et 1410 du code civil que les dettes dont chacun
des conjoints était tenu au jour de la célébration du mariage lui demeurent personnelles au
titre du passif définitif, sauf s'il s'agit de d'aliments « dus par les époux ». Le rapprochement
de deux arrêts récents contribue à préciser très clairement la portée de ces dispositions
légales au regard de calcul des récompenses. C'est une invitation à faire le point.
* Tout d'abord, s'agissant d'une dette alimentaire personnelle à un époux, l'arrêt de la
première chambre civile en date du 8 novembre 2005 (préc.) rappelle qu'elle relève par
nature du passif définitif de la communauté, à l'instar de la dette alimentaire commune aux
deux époux. En l'espèce, deux conjoints remariés avaient servi à leurs enfants respectifs, nés
de premières unions dissoutes, des pensions alimentaires substantielles ; et l'épouse avait
porté secours à son père dans le besoin. La cour d'appel avait cru pouvoir trouver dans ces
versements le fondement de récompenses à inscrire au débit des propres de l'un comme de
l'autre, et au crédit de la communauté. Il est vrai que la formulation même de l'article 1409
peut prêter à interprétation : en évoquant les débiteurs d'aliments, le pluriel « les époux »
peut paraître signifier, suivant le regard qu'on y porte, soit « les deux époux à la fois », soit «
chacun des deux époux considéré isolément ». Peut-on infliger à son conjoint, dans la famille
recomposée, le poids insistant d'un passé auquel il est par hypothèse étranger ?
La première réponse est d'ordre technique : les dettes d'aliments sont une charge des
revenus, lesquels abondent à la communauté, ce qui justifie qu'elle les assume (en ce sens, F.
Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux, préc. n° 409 ; A. Ponsard sur Aubry et Rau, t.
VIII, 1973, n° 177 et note 25). Toutefois, l'argument paraîtra peut-être insuffisant pour
expliquer de façon concluante que la dette doive être inscrite au passif définitif de la
communauté.
Mieux vaut rechercher dans la ratio legis de quoi guider l'interprétation. Or, sous cet angle,
l'entrée des aliments au passif définitif de la communauté exprime une mise en commun des
dettes à caractère familial marqué. C'est cette coloration familiale qui transcende tout ;
suivant un adage joliment inventé, « qui épouse le corps épouse la famille » (J. Flour et G.
Champenois, op. cit. n° 484, note 3). Preuve en est que cette belle solidarité familiale
disparaît à l'épreuve de la crise conjugale, sur le fondement de l'article 1417 alinéa 2, qui
permet d'exclure du passif communautaire l'obligation alimentaire contractée par l'infidèle à
l'égard d'un enfant de l'adultère. Hormis ce cas, rien n'autorise donc à opérer une
discrimination dans l'ordre des secours élémentaires dus aux proches parents, entre les
obligations personnelles de l'un, celles particulières à l'autre, et celles enfin que les conjoints
doivent assumer ensemble. Il est logique que la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel sous
le visa de l'article 1409 du code civil.
* Ensuite, pour ce qui est des arrérages d'une prestation compensatoire échus après le
remariage du débiteur, l'arrêt de la première chambre civile en date du 28 mars 2006 se
montre catégorique : « la prestation compensatoire due par M. X à sa première épouse
constituait pour lui une dette personnelle dont le seul paiement par la communauté ouvrait un
droit à récompense au profit de celle-ci ».
Cette solution résulte tout à la fois de la date de naissance de la dette, le titre étant constitué
par hypothèse avant le remariage, et de sa nature compensatoire, qui la fait échapper à la
catégorie des dettes d'aliments. L'arrêt du 28 mars 2006 ne fait que confirmer en cela une
jurisprudence classique (V. Civ. 1re, 3 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 299).
Elle met de nouveau en lumière les dangers, pour les couples divorcés qui se remarient, du
régime conventionnel de la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier
vivant. Sous ce régime, la dette de prestation compensatoire entre en communauté comme
n'importe quelle autre, de sorte que le survivant en est tenu définitivement pour le tout (V.
Civ. 1re, 15 oct. 1996, RTD civ. 1997.106, obs. J. Hauser , ibid. 1998.455 , avec nos obs. et
les réf. citées). Douloureux tête-à-tête, si l'on en croit l'impitoyable loi statistique, entre une
veuve éplorée et une ex-épouse délaissée ; ce que le régime légal sait épargner aux âmes
sensibles...
Mots clés :
COMMUNAUTE ENTRE EPOUX * Récompense * Profit subsistant * Deniers propres *
Encaissement * Pension alimentaire * Prestation compensatoire * Dissolution * Passif * Passif
provisoire * Pension alimentaire * Prestation compensatoire
RTD Civ. © Editions Dalloz 2009