recherches sociologiques - Université catholique de Louvain

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recherches sociologiques - Université catholique de Louvain
recherches sociologiques
PHENOMENOLOGIE
DES PROBLEMES
SOCIAUX
Volume XXII, numéro 1-2, 1991
Textes rassemblés et présentés par J. Delcourt
J. Delcourt, Les problèmes sociaux d'une société à risque- M.Hubert, L'approche constructiviste
appliquée à la sociologie des problèmes sociaux: éléments d'un débat - J.Marquet, Handicap
et avortement thérapeutique ou l'Impossible Intégration - M. Leleu, M.Welsch, Le loisir comme
événement. Un révélateur à propos de l'Identité. De la reconnaissance et de la représentation
sociale de la personne handicapée - J.-P. Delchambre, La construction sociale du décrochage
scolaire - J.-L. Guyot, Problèmes Institutionnels et problèmes organisationnels: le cas des
perspectives de populations universitaires - J. Verly, Travail précaire et protection soclaleE. Saussez, Une politique sociale: la retraite - A. Franssen, De la légitimité de l'Etat-providence :
crise et mutation
Notes de recherche: T. Nguyen Nam, Significations et enjeux d'un champ socio-sanitaire
émergeant : l'éducation pour la santé dans la Communauté française de Belgique - J.-M.
Foucart, La pratique de l'éducateur social spécialisé - P.-N. Denleull, Organisation du travail
et rapports sociaux dans une PME
Dossier publications : A propos de livres - Bibliographie sociologique de la Belgique
francophone - Thèses doctorales - Livres reçus
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RECHERCHES SOCIOLOGIQUES
Université Catholique de Louvain - Belgique
Unité de sociologie
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Recherches Sociologiques
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ISSN 0771-677
X
RECHERCHES SOCIOLOGIQUES
Volume XXII, numéro 1-2, 1991
SOMMAIRE
Phénoménologie des problèmes sociaux
1. DELCOURT
Les problèmes sociaux d'une société à risque...............................
M.HUBERT
L'approche constructiviste appliquée à la sociologie des
problèmes sociaux: éléments d'un débat.....................................
1.MARQUET
Handicap et avortement thérapeutique ou l'impossible intégration
M. LELEU, M.WELSCH
Le loisir comme événement Un révélateur à propos de l'identité,
de la reconnaissance et de la représentation sociale de la
persorme handicapée.
1. - P. DELCHAMBRE
La construction sociale du décrochage scolaire
1. -L.GUYOT
Problèmes institutiormels et problèmes organisationnels : le cas
des perspectives de populations universitaires.....
1.YERLY
Travail précaire et protection sociale........
E.SAUSSEZ
Une politique sociale: la retraite
A.FRANSSEN
De la légitimité de l'Etat-providence: crise et mutation................
1
. 21
33
47
65
89
105
121
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Publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique et de l'Unité de
sociologie de la Faculté des Sciences Economiques, Sociales et Politiques de l'Université Catholique de Louvain.
NOTES DE RECHERCHE
T. NGUYEN NAM, Significations et enjeux d'un champ socio-sanitaire
émergeant: l'éducation pour la santé dans la Communauté
française de Belgique........................................................................
J.-M. FOUCART, La pratique de l'éducateur social spécialisé.......................
P.-N. DENIEun., Organisation du travail et rapports sociaux dans une PME...
DOSSIER PUBLICATIONS
A propos de livres
Bibliographie sociologique de la Belgiquefrancophone........................
151
167
181
197
Thèses doctorales....................................................................................
Livres reçus.............................................................................................
225
243
245
ENGLISH SUMMARIES
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J.Delcourt
: 1-19
Les problèmes sociaux d'une société à risque
par
Jacques Delcourt *
Cet article se veut à la fois introduction à la sociologie et à la phénoménologie
des problèmes sociaux et aux articles qui composent ce numéro. Par delà
l'opposition entre les approches subjectivistes et objectivistes, il cherche à en
repérer les points forts et les points faibles afin d'en montrer les complémentarités.
Le sociologue considère que les problèmes sociaux naissent aussi bien de la reconnaissance et de la contestation d'un ordre social que de sa transformation.
Ils naissent des jugements d'égalité et d'équité, des sentiments de justice et de
convenance, des conceptions du bien et du mal qui prennent corps dans les relations sociales et qui s'incarnent pour partie dans des règles, des cadres et des
institutions de la vie coUective.
Mais les problèmes sociaux découlent aussi des risques de la vie, de leur perception et du jugement porté par les acteurs sur la menace qu'ils représentent et
sur leur possible prévention ou remédiation.
Sans nier l'importance des autres points de vue possibles dans l'analyse des
problèmes sociaux qui ont été étudiés successivement en termes de handicap,
de pathologie sociale, de déviance (délinquance et dissidence) ou encore de désorganisation sociale, cet article insistera sur l'utilité d'une analyse de
l'évolution en termes de risques sociaux, car les sociétés développées sont des
sociétés à hauts risques et donc aussi des sociétés assurancieUes consuuites sur
des formes de solidarité globale.
Ces risques évoluent, cenains croissent, d'autres s'atténuent ou même disparaissent, mais leur nature et leur forme changent. Les risques deviennent globaux. Selon les cas, ils vont menacer tout ou partie de la population d'un Etat,
voire d'un continent ou du monde.
• Département des sciences politiques et sociales, Unité de sociologie de l'U.C.L.
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
I. La double subjectivité de l'analyse des problèmes sociaux
Un des problèmes fondamentaux de la sociologie des problèmes sociaux est de savoir qui les définit: les acteurs qui les vivent ou le scientifique qui observe. D'où deux courants s'affrontent pour savoir si, à côté
de la définition d'un problème par les acteurs, il y a possibilité d'une définition scientifique autonome.
De fait, les phénomènes sociaux sont des constructions sociales parce
qu'ils sont repérés et analysés à partir de notions ou de concepts fabriqués
dans la société, tantôt par les personnes en relations, tantôt à partir d'instances particulières attentives à ces phénomènes. Ils ne sont pas seulement
objets de perception et d'analyse, mais aussi de jugements qualitatifs, normatifs et évaluatifs. Ainsi, le problème de l'inceste est-il le résultat d'une
définition de l'acte mais aussi d'un jugement social négatif; il n'est pas
seulement objet d'une réprobation sociale mais, en cas de dénonciation, il
est passible d'une condamnation légale. Telle n'est pas nécessairement la
perception de l'acte par son auteur. Par ailleurs, l'acte ne s'accompagne
pas nécessairement d'un sentiment de culpabilité chez les partenaires, même s'il existe le plus souvent en raison du jugement social qui l'affecte au
cas où il serait découvert ou dénoncé.
Les problèmes sociaux concernant des individus (comme le SIDA, par
exemple), des groupes (comme les étrangers ou des grévistes) ou encore
des communautés (les régions en déclin) naissent donc de la visibilité des
phénomènes sociaux, de leur désignation, de leur qualification sociale, de
leur différenciation et classification; en bref, de leurs étiquetage, dénonciation et répression (Spector/Kitsuse, 1977). Les phénomènes sociaux
ainsi qualifiés sont tantôt des événements ou séquences d'événements (des
processus), tantôt des comportements ou des actes ou des ensembles de
comportements ou d'actes émanant de personnes individuelles ou de groupes.
Les problèmes sociaux sont objets d'analyse de la part d'une multiplicité d'acteurs sociaux: de la part de ceux qui les créent en étant à l'origine
d'une situation ou d'un comportement dérangeant; de la part de ceux qui
les subissent ou en pâtissent, comme aussi de la part de ceux qui de l'extérieur les perçoivent, les étudient et, dans certains cas, les traitent (comme
les radiologues et les pédiatres, par exemple, qui furent les premiers à attirer l'attention sur les enfants battus ou sur les violences sexuelles vis-àvis des jeunes enfants) ou encore de la part de ceux qui jugent et répriment
la déviance ou qui luttent contre la pauvreté au titre de professionnels du
champ politique ou administratif, juridique, médical ou social, et donc au
titre de médecin, de psychologue, de psychiatre, d'assistant social, de juge
ou de sociologue. A ce sujet, Martin Bulmer (1989) montre fort bien le
caractère multidisciplinaire de l'étude des problèmes sociaux et présente
de manière perspicace les embûches qui résultent du jeu des différentes
J.Delcoun
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disciplines engagées dans l'analyse ou le traitement des problèmes sociaux. Ceux-ci ne sont pas seulement susceptibles de diagnostics différents
mais aussi de traitements concurrents. Selon la nature du diagnostic retenu, on recherchera la médicalisation ou la "juridicialisation" ou la "juridictionnalisation" et la criminalisation ou encore la psychiatrisation ou encore l'institutionnalisation
des problèmes sociaux. Selon les périodes, on
pourra assister à la "démédicalisation" d'un problème, comme dans le cas
de l'alcoolisme, par exemple, ou à la "décriminalisation" de certains actes,
comme rr.v.o. ou à la dés institutionnalisation du traitement dans le cas de
la maladie mentale (Schur, 1973).
Deux grands points de vue sont donc théoriquement possibles dans la
description et l'analyse des problèmes sociaux.
A. Le point de vue subjectiviste
De ce premier point de vue, la qualification d'un phénomène en tant
que problème social n'est pas à rechercher dans l'essence de l'acte et dans
l'intention de l'acteur ou encore dans la nature de l'événement qui se produit mais dans la qualification et la dénonciation de ce comportement,
dans le repérage de l'intention de l'acteur ou encore de l'événement, notamment par ceux et celles qui en sont affectés ou qui en ont été les témoins. Dans ces cas, l'accident, l'acte déviant ou le crime n'acquièrent
leur existence sociale que parce qu'ils sont qualifiés ou dénoncés. Ils
n'existeraient donc pas en tant que tels, séparément de l'étiquetage et de la
dénonciation de ceux qui sont dérangés par quelqu'un ou quelque chose
qu'ils qualifient de menaçant ou de dangereux.
Dans cette perspective, celle qu'en sociologie on qualifie de "constructivisme social", l'objectif est d'analyser où, quand et comment naissent et
s'affinent la définition, la qualification et la classification des actes ou des
événements ou encore la désignation/stigmatisation des personnes impliquées et finalement leur dénonciation et leur accusation. Partant de ce
point de vue, tout se passe comme si actes, intentions ou comportements
déviants n'existaient que parce qu'ils sont désignés comme tels etcomme
s'ils allaient cesser d'exister si, dans la société, on cessait de classer les
personnes, les attitudes ou les actions comme déviantes ou dangereuses. TI
faudrait alors faire comme si la déviance et le danger n'existaient pas en
soi. Telle est la position du courant subjectiviste, interactionniste ou constructiviste à la base de la théorie du labelling ou de l'étiquetage social.
Dans ce courant le rôle du sociologue des problèmes sociaux se borne à
reconnaître les problèmes tels que perçus. Il n'a pas de rôle dans la fabrication du social. Son rôle ne peut dépasser la codification déjà faite par les
acteurs. Il n'a donc pas à rechercher les causes du passage à l'acte ou encore de la genèse des caractéristiques des acteurs ou des événements ou
des accidents. C'est pour ainsi dire le regard porté sur la personne qui la
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
fait folle ou celui jeté sur l'acte qui le rend déraisonnable. Ainsi, par
exemple, la déviance appelée primaire apparaît là où le système d'interaction et d'interdépendance des acteurs conduit à une qualification, une
désignation ou à une dénonciation d'une personne, d'un acte ou d'un accident. La déviance secondaire, dans cette optique, résulte des effets de la
dénonciation qui conduit par delà l'étiquetage au marquage social des personnes en raison du jeu des instances policières, judiciaires, correctionnelles, sanitaires ou sociales. Ainsi, par exemple, en est-il de "l'asilisme" qui
se développe suite à l'institutionnalisation de la folie. De même, la récidive qui apparaît comme la déviance tertiaire ne serait que l'effet du marquage social résultant de la condamnation et des peines encourues et, par
là, du stigmate dont à travers la vie une personne qui a été incarcérée ne
peut se débarrasser. La déviance est ainsi une pure fabrication sociale; car
dans l'état de nature, il n'y a pas de dénonciation et donc pas de déviants ...
B. Le point de vue des objectivistes
A cette vision subjectiviste, essentiellement relativiste (Horowitz, 1987,
1989) s'oppose le courant objectiviste. Dans le courant subjectiviste, pour
reprendre une image courante, on dirait qu'il n'y a de pied-bot que parce
que nous le désignons tel. TIn'empêche que le chirurgien partant de l'idée
qu'il se fait d'un pied normalement constitué puisse par ses techniques le
normaliser et rendre la marche du patient plus aisée qu'auparavant. De
même, il ne penserait pas trouver la cause de l'anomalie dans son proces. sus de désignation, mais bien dans des facteurs génétiques qu'il faut expliquer de bien d'autres façons. Un objectiviste, comme Durkheim, en
choisissant d'analyser le suicide, pensait bien démontrer la possibilité de
poursuivre cette démarche sociologique objective puisqu'il ne pouvait interroger les suicidés sur leurs intentions. Ce que d'autres dénoncent
comme du positivisme scientifique.
C. La critique de l'objectivisme par les subjectivistes
Les subjectivistes s'opposent à une approche purement objective parce
qu'ils trouvent qu'elle n'est pas neutre. Selon eux, les objectivistes s'inscrivent dans une approche essentialiste ; ce qui, dans l'analyse des problèmes sociaux, implique que le comportement d'une personne ou d'un groupe soit jugé in se menaçant ou discriminant et l'événement considéré in se
comme dangereux pour autrui indépendamment de l'intention ou de la
conscience exprimée de l'acteur, ou encore indépendamment de la qualification et de la dénonciation par un ou plusieurs autres. De fait, lorsqu'on
part de ce point de vue essentialiste, normatif et juridique, il n'est pas nécessaire qu'il y ait dénonciation des atteintes aux droits de l'homme, par
exemple, pour que celles-ci soient repérables par un observateur expert
J.Delcourt
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dans le domaine. Il ne faudrait pas non plus que les inégalités soient ressenties par ceux qui les subissent pour qu'elles puissent être relevées par le
sociologue. Sinon, il n'y aurait de système esclavagiste que là où il serait
dénoncé et ce serait la révolte et le sentiment de révolte exprimés par
l'esclave qui seuls permettraient de vérifier l'existence d'une situation
d'esclavage et de la condition d'esclave. Cet objectivisme est dénoncé
parce qu'il implique une vision de l'homme, de son développement,
comme aussi de la société, voire de l'humanité; en bref, il suppose une
anthropologie sociale, un humanisme ou encore une conception du progrès (Rule, 1978). Car en fonction de quoi pourrait-on défmir les phénomènes et problèmes sans référence à ce qu'en disent ou pensent les hommes en interaction? En fonction de quels universels pourrait-on observer
ou agir? Tout se passe comme si le sociologue ne pouvait s'inspirer d'aucun universel. Comme si pour lui une vie pouvait n'être pas égale à une
autre vie, un corps à un autre corps, un homme à un autre homme, même
lorsqu'ils sont en péril de maladie ou de mort, en souffrance ou atteints
dans leur dignité ou simplement dans leurs moyens d'existence.
Cette vision objectiviste de la science à la recherche de causalités, plutôt que de la signification des actes ou de la compréhension d'une situation, est aussi dénoncée en raison de son caractère structuraliste et déterministe qui paraît enlever à l'homme tout libre-arbitre. Il en est ainsi, par
exemple, lorsque la sociologie développe une théorie de la reproduction:
celle dans laquelle les comportements des acteurs, quelles que soient leurs
intentions ou leurs positions, sont censés reproduire l'ordre social, comme
si la logique des choses, pour reprendre l'expression d'Emile Durkheim,
échappait à la logique des hommes ou encore comme si cette logique ne
pouvait être que contrainte.
Face à l'existence de ces deux courants, il faut bien reconnaître que
l'analyse des phénomènes et des problèmes sociaux se caractérise par une
double subjectivité. D'une part, il y a celle des acteurs en interaction, des
témoins et des personnes informées et, d'autre part, celle du ou des spécialiste(s) qui partant du point de vue propre à leur discipline analysent les
phénomènes, leur causalité génétique et structurale (l'ensemble des facteurs qui en interdépendance déterminent un phénomène), même si parallèlement, ils s'intéressent aux définitions et qualifications diverses et
changeantes élaborées par les acteurs ou les tierces personnes. C'est la
possibilité d'une démarche autonome de la sociologie qualifiée d'objective que les subjectivistes "déconstruisent" en en faisant un discours parmi
d'autres parce que toute description de la réalité, même celle du sociologue, n'est jamais qu'une construction mentale et sociale parmi d'autres.
Du point de vue des "constructionnistes", la sociologie ne peut être qu'un
discours sur les discours. Elle ne peut produire un discours propre séparé
de celui des acteurs sociaux, car de quel droit le sociologue pourrait-il voir
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
un phénomène ou un problème social, là où les acteurs sociaux n'en
voient pas?
Une double phénoménologie s'impose alors: l'une analyse comment
les notions et qualifications des personnes s'élaborent dans les réseaux
d'interaction; l'autre serait une phénoménologie des sciences sociales qui,
à leur tour et à leur façon, cherchent à définir et à qualifier des phénomènes sociaux séparément des acteurs sociaux. Mais en fonction de quel
droit et à partir de quel point archimédien ?
A première vue, les subjectivistes partant des déclarations des acteurs,
observateurs ou gestionnaires sociaux ont la position la plus "objective".
Face à l'hétérogénéité des valeurs, comme le pensait Max Weber, il n'y a
que l'observation des faits ou des opinions, pourrait-on ajouter, qui nous
fasse approcher de l'objectivité et donc de la réalité.
A la réflexion, le même discours "déconstructeur" s'applique à la fois
aux différents types d'acteurs ou d'observateurs parce que tous voient la
même réalité avec des yeux différents. D'où viendrait alors qu'une opinion soit supérieure à l'opinion opposée? A quel discours donner de l'importance? Ou alors faudrait-il simplement décider que la majorité l'emporte? Mais, en outre, comment prouver que le sociologue, partisan de la
thèse subjectiviste, a bien saisi la perception ou la signification exprimée
par l'acteur ou encore qu'elle ne lui a pas été cachée? Enfin, reconnaître
le problème de l'héterogénéité des valeurs, n'est-ce pas simplement valoriser l'indifférence aux valeurs? L'article d'Abraham Franssen aborde ce
problème en montrant l'importance de la "superstructure" culturelle dans
le jeu social, dans le choix des modalités de reconnaissance et de traitement des problèmes sociaux.
Ainsi, en sociologie, les courants subjectiviste et objectiviste s' opposent: le premier déniant toute valeur à des analyses s'écartant des perceptions et notions exprimées par les acteurs et observateurs sociaux quels
qu'ils soient, refusant ainsi à la sociologie de tenir un discours qui ne soit
pas celui d'un ou des personnages sociaux et interdisant ainsi à la sociologie le droit de construire un point de vue autonome: ce que revendique le
courant objectiviste. La dialectique entre ces deux positions est très bien
présentée ci-après, dans les articles de Michel Hubert et de Jean-Pierre
Delchambre.
D. Les critiques du subjectivisme par les objectivistes
Les partisans d'une analyse objective (séparée des discours courants) se
défendent en partant de la reconnaissance de la rationalité toujours limitée
des acteurs sociaux du fait qu'ils peuvent manquer d'informations pertinentes ou encore parce que leur intelligence ne peut s'étendre aux conséquences inattendues et non intentionnelles de l'action: celles qui résultent
de l'agrégation des discours ou des comportements des acteurs ou encore
J.Delcourt
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des réactions concurrentes, voire opposées de la part de personnes ou
groupes en interaction (Giddens, 1990). Les limites à la rationalité risquent d'être d'autant plus fréquentes que la société change de manière turbulente. Par ailleurs, les opinions exprimées par les personnes peuvent très
bien être le reflet des mécanismes de réduction de la dissonance cognitive,
comme, par exemple, lorsque l'esclave qui ne peut échapper à l'autorité
de son maître, se déclare fort heureux d'en servir un bon. En résumé, on
ne peut exclure la possibilité de ce que l'on appelait jadis une "fausse
conscience" et que les marxistes qualifient d'aliénation. Celle-ci se retrouve chez ceux qui dans une situation donnée n'ont ni «exit», ni «voice»
pour reprendre les expressions bien connues d'Oliver Hirschman. La
fausse conscience ou la conscience heureuse n'est pas nécessairement inconsciente, il suffit, par exemple, de se rappeler la conspiration du silence
qui entoure les sévices sexuels intrafamiliaux.
Par ailleurs, il faut bien reconnaître que l'opinion publique est toujours
travaillée par des forces sociales, celles qui s'exercent à partir d'appareils
ou, à l'opposé, de mouvements sociaux ou encore par les formes de publicité et les médias qui visibilisent certains problèmes plus et mieux que
d'autres moins sensationnels ou télévisuels. De ce point de vue, on pourrait dire que les problèmes sociaux sont en concurrence les uns avec les
autres dans la conquête de l'espace public. En effet, l'attention du public
est une ressource rare. Dans cette arène, un problème en chasse rapidement un autre : l'enfance maltraitée fait place aux violences sexuelles ou à
la délinquance des jeunes lorsqu'ils se révoltent et se constituent en bande
d'hooligans, aux femmes battues ou à la prostitution, aux malades du SIDA
ou aux personnes en phase finale d'une maladie mortelle. Inévitablement
les médias opèrent une sélection parce que tous les phénomènes sociaux
n'ont pas la même photogénie. Tous ne sont pas capables de capter également l'attention (Hilgartner, 1988). Tous les groupes concernés ne disposent pas des moyens financiers nécessaires à un bon marketing. Des sélections s'imposent: elles sont faites par les "portiers" préposés à la garde
des "entrées" des appareils et de la scène médiatique. De nombreux problèmes tombent ainsi dans, mais aussi en dehors du champ d'attention des
publics ou audiences. Ainsi la télévision et, en général, les médias interviennent-ils dans l'attention accrue que le public accorde à la lutte contre
le cancer ou le SIDA, par exemple, alors que d'autres sont banalisés et
tombent dans les oubliettes de la conscience collective, comme la solitude
ou la réintégration professionnelle des chômeurs ou des prisonniers libérés
ou encore l'endettement des familles. Tout se passe comme si, dans l'opinion publique, l'attention aux problèmes sociaux dépendait de la réussite
d'un bon coup de "pub" ou d'une belle campagne de "marketing" social
(techniques d'ailleurs en plein développement).
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Recherches
Sociologiques,
1991/1-2
Les objectivistes ne se défendent pas seulement par une critique des approches subjectivistes des problèmes sociaux, ils considèrent que l'engendrement et l'interdépendance des problèmes doit faire l'objet d'analyses
qui ne peuvent se contenter de déclarations souvent biaisées d'acteurs qui
peuvent avoir intérêt à cacher ce qu'ils pensent.
Une analyse sociologique objective des problèmes sociaux implique
une attention suffisante au changement social et donc la prise en compte
d'une dimension historique. Celle-ci peut échapper à des acteurs aisément
frappés d'amnésie. Les régulations et institutions sont, à la fois, sources et
conséquences de problèmes sociaux. Elles ont chacune une histoire qui se
construit en interaction avec des acteurs en collaboration, concurrence ou
conflit. Les articles de Jean Verly sur la protection sociale des statuts précaires, celui d'Eric Saussez sur le passage à le retraite en constituent de
bonnes illustrations.
Le sociologue doit en tout cas accorder une attention suffisante, d'une
part, à l'interdépendance entre phénomènes et problèmes sociaux et, d'autre part, à leur évolution en rapport avec les institutions qui les traitent ou
les contrôlent.
Mais les problèmes rencontrés dans la sociologie des problèmes sociaux
ne s'arrêtent pas à cette dialectique entre objectivistes et subjectivistes.
Quel que soit le courant dans lequel on se place dès l'abord, on ne peut
échapper à l'analyse et à la reconnaissance des multiples sources des problèmes sociaux.
II. Les diverses portes d'entrée dans l'analyse des problèmes
sociaux
A. L'ordre social, sa contestation et son évolution
L'émergence des problèmes sociaux est incontestablement liée à la reconnaissance et à l'imposition d'un ensemble de modèles de relations sociales en fonction desquels diverses formes de contrôle social sont instaurées. Ces modèles et contrôles composent ce que l'on a pris coutume d'appeler un ordre social. Les attitudes qui ont cours à l'intérieur d'une société
donnée par rapport à cet ordre sont diverses, voire contradictoires (dans
leur logique) ou conflictuelles (selon les intérêts ou valeurs en jeu).
Mais les problèmes sociaux résultent de bien d'autres sources et, notamment, des changements plus ou moins rapides et turbulents de l'ordre
social qui, de l'intérieur ou de l'extérieur, transforment la société. Dans
leur sillage, divers problèmes sociaux vont apparaître, d'autres s'atténuer
ou disparaître.
Cette turbulence affecte tantôt les rapports de travail, tantôt les rapports
marchands ; tantôt le système de production et la structure des activités,
professions et emplois, tantôt les formes et les structures de consommation
J.Delcourt
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de biens et services, tantôt encore les systèmes de socialisation et de normalisation. Dans ces temps de turbulence, apparaissent des zones dont les
unes se caractérisent par l'indétermination ou l'inorganisation sociale là
où le nouveau émerge, et d'autres par la désorganisation sociale là où les
changements déstructurent les conditions de l'ordre social traditionnel.
Ces deux types de zones ne se recouvrent pas nécessairement. li suffit
pour s'en convaincre de se rappeler ce qui s'est passé lors de la révolution
industrielle.
Ceci ne signifie pas que des phénomènes de désorganisation sociale ne
puissent se manifester dans une société relativement stable. On y découvre
aussi des zones d'indétermination ou d'inorganisation sociale parce que
tout, dans la vie sociale, n'est pas nécessairement régulé ou réglé ou encore parce que la socialisation des personnes est insuffisante ou parce que
des mécanismes de socialisation parallèle se sont développés ou parce
que les forces de contrôle social n'arrivent pas à une normalisation satisfaisante des comportements.
B. La déviance et la désorganisation sociales
En sociologie des problèmes sociaux, une série d'approches objectivistes se sont succédé. Il n'est pas inutile d'en faire un bref tour d'horizon,
même si certaines théories peuvent pour un moment être tombées en désuétude. Cette présentation ne cherche pas à occulter l'analyse indispensable des perceptions ou des positions prises par les acteurs.
Selon Robert King Merton, il y a deux types de problèmes sociaux objectivement repérables. D'une part, il y a ceux qui découlent de la déviance individuelle. On pourrait y ajouter ceux qui sont liés aux handicaps des
personnes, de même que ceux qui naissent des formes collectives de déviance. D'autre part, il y a les problèmes qui résultent de la désorganisation et/ou de l'inorganisation sociales, comme, par exemple, au moment
de la révolution industrielle. Celle-ci provoqua l'exode rural et la désintégration des communautés traditionnelles et, parallèlement, la concentration géographique de populations toujours plus nombreuses dans les zones
industrielles et urbaines où diverses formes de criminalité apparurent.
III. Brève présentation de la succession des théories
A. L'approche des problèmes en terme de handicaps
Les premières théories raisonnèrent les problèmes sociaux en partant
des handicaps de naissance ou des accidents de la vie dont les conséquences se manifestent sur les plans physique, mental ou social. Les handicaps
sociaux sont peut-être les seuls qui soient du ressort unique de la sociologie. lis peuvent être dus, par exemple, aux échecs ou insuffisances des
mécanismes de socialisation ou de contrôle social ou encore être dus à des
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Recherches Sociologiques, 1991/l-2
formes de socialisation parallèle dans des filières et des réseaux informels
( ceux de la prostitution ou de la drogue, par exemple) où les comportements déviants sont appris.
L'article de Jacques Marquet montre bien comment, par delà la relativité des handicaps et quelle qu'en soit la nature, la sociologie peut analyser l'évolution de leur perception et de l'attitude de la société par rapport à
ceux-ci.
Quant à l'article de Myriam Leleu et de Marie Welsch, il explique comment le sociologue peut, par delà l'étude de la genèse des handicaps, poser
le problème de la qualité de la vie, notamment, des handicapés.
B. L'approche en termes de pathologie et de pathogénie sociales
Une deuxième théorie des problèmes sociaux se braque sur les comportements pathologiques des personnes ou des groupes.
Les actes humains (séparément des accidents ou des catastrophes) peuvent être de nature pathologique : c'est le cas des actes destructifs de soi
(le suicide), des actes destructifs ou agressifs des autres (le crime, le viol),
ou encore des biens et des propriétés (le vol, le vandalisme) ou même de
la nature (les pollutions). Les actes destructifs de soi seront tantôt indivi.
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-
J .Delcourt
Il
Ces théories ont été critiquées par ceux qui y voyaient une stigmatisation de comportements et d'actes et donc d'acteurs dont l'explication
principale était plutôt à rechercher dans le jeu pur et dur de l'économie de
marché, dans la désorganisation sociale et les conflits sociaux qu'elle engendre fatalement. Pour les opposants à cette théorie de la pathologie sociale, celle-ci condamne les personnes (Kaplan, 1990), là où il aurait fallu
dénoncer leurs conditions d'existence ou encore les institutions, structures
et mécanismes de l'économie de marché et développer "une herméneutique du soupçon".
C. L'approche en termes de déviance, de délinquance et de dissidence
Les théories de la déviance restent les plus nombreuses et les plus en
vogue. La déviance a de multiples acceptions et utilisations. Le sociologue
emploie cette notion, notamment, dans la mesure des écarts par rapport à
une moyenne. Elle aide alors à représenter l'inégalité de distributions
quelconques et à établir des seuils dans l'évaluation de la précarité, de la
marginalité ou de la pauvreté, par exemple.
Mais c'est bien sûr l'écart par rapport à la normale et le degré de normalité des opinions ou des comportements qui constitue l'objet principal
des théories de la déviance. Celle-ci se définit alors par rapport à des
règles, des normes plus ou moins contraignantes et sanctionnées.
Les partisans de la théorie du labelling social, les adeptes de la théorie
de l'étiquetage et du marquage social considèrent d'ailleurs que c'est la
norme qui est la source ou l'instrument de fabrication de la déviance.
Celle-ci n'existe, selon eux, que par rapport à des prescriptions et proscriptions sociales et légales, par rapport à des critères de classement et de
jugement. Dans ces conditions, la déviance cesserait d'exister, si l'on
s'arrêtait de la désigner et de la dénoncer (Kittrie, 1977) ... De même, ce
sont les décisions contraignantes et arbitraires prises par des institutions
bureaucratiques et technocratiques qui provoquent la résistance. En résumé, c'est dans la volonté de développer le contrôle social que se trouve
la source de la déviance et donc de nombreux problèmes sociaux.
Par contre, les partisans de l'analyse objectiviste en sociologie de la déviance partent de la réalité de la règle ou de la norme et recherchent en dehors d'elle les causes pouvant expliquer la fréquence des déviances. Celles-ci dépendent soit de la (mé)connaissance de la règle, de la (non-) reconnaissance de sa légitimité, des modalités de socialisation, mais aussi
des modalités de contrôle de la conformité, ainsi que du "sanctionnement"
plus ou moins correct et efficace de la non-conformité. La déviance
s'explique encore, selon Merton, par l'insuffisance ou l'inexistence des
moyens et des ressources à la disposition des personnes et des groupes par
rapport aux fins prescrites.
12
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Toutefois, il est parfois difficile de juger la nature de la déviance ou encore d'en dégager sa signification si, par delà l'écart d'opinion, d'attitude
ou de comportement, on ne distingue pas ce que l'on peut classer comme
déviance/délinquance et, par ailleurs, la déviance/dissidence.
L'acte délinquant est celui dans lequel le déviant se soustrait à l'observabilité parce qu'il cherche à échapper à la sanction. Son objectif n'est pas
de changer la norme, il n'en conteste même pas nécessairement la légitimité. A la recherche de ressources ou de la satisfaction de ses intérêts
égoïstes ou altruistes, il poursuit son but quelles que soient les normes qui
théoriquement s'imposent à lui.
Par contre, l'individu ou le groupe dissident est celui dont la déviance
conteste la coutume, la règle ou la loi par rapport à laquelle il ne dispose
d'aucune forme d'exit et que la revendication ne parvient pas à faire changer. La dissidence veut contester la légalité, voire la légitimité de la norme. Le dissident ne cherche pas nécessairement à cacher sa transgression,
comme il ne souhaite pas échapper à la sanction qui, au contraire, va fournir une publicité à sa résistance et à sa contestation. Braver la loi représente alors une forme de résistance. La dissidence peut se manifester tantôt
par rapport à une règle morale, c'est le cas du médecin qui fournit de la
drogue au drogué ou qui pratique l'euthanasie dans certains cas désespérés; tantôt par rapport au champ politique, c'est le cas des terroristes.
Mais ceux-ci se cachent en raison de la violence de leurs actes qui visent
la société au coeur. La dissidence peut encore être libidinale, comme chez
les partisans d'une sexualité libre; ou, enfin être organisationnelle, comme chez ces jeunes dont l'union monogamique et féconde se veut en dehors de l'institution du mariage. Les chahuts, absences et décrochages scolaires peuvent ainsi signifier le désir d'une transformation de l'ordre ou de
la relation scolaire. Le dissident se dit à la recherche d'une nouvelle règle
ou d'une nouvelle légitimité. Les raisons de la dissidence peuvent être
multiples: l'inadaptation des règles et des normes, l'appartenance à une
sous-culture déviante.
A travers le temps, une double distance a été prise par rapport aux théories de la déviance sociale, d'un côté, par le courant interactionniste qui a
reformulé la théorie de la déviance en en faisant une théorie de l'étiquetage ou du marquage social (il en a déjà été question) et, d'un autre côté, par
ceux qui voyaient dans la déviance, une conséquence du développement
d'une situation ou d'une période d'anomie ou de plurinomie. L'accroissement de la déviance ne faisait alors que manifester la perte de légitimité de
l'ordre social, l'affaiblissement de la capacité de légitimation du système
social ou du pouvoir ou encore l'épuisement des modèles de négociation
et de concertation. Ce point de vue est fort bien énoncé dans l'article
d'Abraham Franssen.
J.Delcourt
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D. Les approches en termes de désorganisation et d'inorganisation sociales
Parmi les adeptes d'une démarche objectivante, on peut encore classer
les théories de la désorganisation sociale. Dans tout système social, il y a,
comme l'écrit Alain Touraine (1974), des zones qui échappent au contrôle
social de la société et qu'elle tentera de ceinturer de diverses façons. De
fait, il n'échappe à personne que certaines aires de la vie sociale se dérobent aux normes dominantes. Les politiques sociales se développent alors
pas tellement en vue de porter remède à la déviance ou à la pauvreté mais
comme instruments de contrôle social et de disciplinarisation COffe, 1984,
1985 ; Squires, 1990).
Dans la logique tourainienne, les problèmes sociaux apparaissent avant
tout dans le sillage de décisions prises ou de normes instaurées par le sommet. Ce qui provoque inévitablement diverses réactions qui vont alors se
traduire dans l'émergence d'un ou de leaderïs) charismatiqueïs) entraînant
la constitution d'un mouvement social lequel va, à son tour, entraîner une
contre-réaction. Le sens de ces réactions et contre-réactions n'est pas toujours prévisible. On n'en connaît pas nécessairement les mécanismes. Ainsi, les investissements réalisés dans une entreprise peuvent entraîner l'embauche de nouveaux travailleurs et la liquidation de quelques autres. La
dimension croissante de l'entreprise va favoriser l'anonymité des relations
mais, à terme, on assistera au renforcement de la solidarité des travailleurs. Actions et réactions induisent des conséquences non intentionnelles,
non prévues et non prévisibles qui enclenchent, à leur tour, des contreréactions.
Pour traiter des problèmes sociaux, les économistes raisonnent souvent
en termes de coûts sociaux et partent de l'analyse des écarts constatables,
mais non nécessairement reconnus, entre comptabilités privées et sociales.
Quant aux sociologues, ils s'expriment plutôt en termes d'effets émergents ou encore d'effets pervers. Cette dernière expression plus courante
n'est peut-être pas la plus adéquate dans la mesure où elle a une connotation péjorative.
Mais les problèmes sociaux naissent aussi de situation soit d'hypo soit
d'hyperdétermination. Dans le premier cas, la régulation est trop faible;
dans le second cas, au contraire, la situation se caractérise par une organisation et une régulation trop strictes créant des réactions à l'encontre de ce
phénomène de "surorganisation".
E. Les approches en termes de contradictions sociales et de conflits sociaux
D'autres théories sont encore développées, comme celle de Daniel Bell
dans Les contradictions culturelles du capitalisme (1979). Selon lui, les
secteurs politique, économique et culturel sont traversés par des logiques
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Recherches Sociologiques, 1991/l-2
différentes sinon contradictoires. Dans le champ économique, le principe
d'efficacité prédomine; le secteur politique serait plutôt travaillé par la logique de l'égalité et de l'équité; quant à l'épanouissement de la personnalité, elle constituerait sans doute le principe prévalent dans le champ
culturel. Les problèmes sociaux découleraient alors des contradictions entre les actions conçues par divers acteurs en partant de ces différentes
perspectives.
Selon d'autres auteurs, comme Jürgen Habermas, par exemple, les problèmes sociaux découleraient plutôt des rapports non nécessairement harmonieux entre les processus de production et de légitimation, entre les
exigences de fonctionnement du système (qui implique la coordination du
ramassage des inputs et leur transformation en outputs) et, par ailleurs,
celles découlant du fonctionnement du système social (qui requiert une
motivation et une collaboration entre les acteurs sociaux : individus ou
groupes).
De nos jours cependant, une nouvelle lecture de l'évolution prend forme. Elle part de la turbulence constatable dans l'environnement des sociétés, ainsi que de la multiplication des risques encourus par chacun.
IV. Essai de présentation de la "société à risques"
Ceux qui observent le changement social adoptent des opinions fort différentes sur l'évolution des risques au sein des sociétés avancées. Selon
les uns, le développement des sociétés s'accompagne d'une sécurisation
croissante de la vie; d'autres, par contre, estiment que l'insécurité se déplace avec les progrès de la civilisation. Ceux-là considèrent que dans des
sociétés de plus en plus différenciées et complexes, les risques se multiplient (comme ceux d'accident, par exemple), se globalisent et s'internationalisent (en raison de l'agressivité des techniques et de la dimension
des appareils ou des réactions provoquées). Cette société à risques se caractérise aussi par une civilisation de l'angoisse, d'autant mieux qu'elle
s'est fortement sécularisée.
A. Les risques écologiques et biologiques
Dans les sociétés développées, les sciences et les techniques ont des applications de plus en plus lourdes. Leurs impacts possibles sur l' environnement, l 'homme et la société sont considérables. De plus en plus nombreux sont d'ailleurs ceux qui dénoncent les agressions qui découlent des
applications des sciences et des techniques sur la vie de l 'homme, sur les
conditions de sa naissance et de sa mort, sur la nature et l'environnement,
voire sur les conditions de survie de l'espèce humaine. Que l'on songe,
par exemple, aux conséquences possibles des progrès de la biologie génétique ou de l'utilisation de l'énergie nucléaire ou encore des pollutions de
J.Delcourt
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tous genres auxquelles sont exposées les générations présentes mais qui
affecteront aussi les générations futures.
En conséquence, la dangerosité des sociétés ne serait pas essentiellement liée à une forme de gestion économique parce que les risques se développent tant en régime capitaliste que dans les nations socialistes, encore qu'aujourd'hui on tende à considérer ces dernières comme les plus
polluantes.
Ainsi, suite aux avancées des sciences et des techniques, les chances de
la vie ou life-chances, selon l'expression de Ralph Dahrendorf (1979),
comme les risques de la vie ou life-risks, selon Anthony Giddens (1990)
sont croissants. Assez paradoxalement, sécurité et vulnérabilité croissent
parallèlement. Nous vivons à la fois de manière plus sûre et plus dangereuse qu'autrefois, parce que notre vulnérabilité croît au fur et à mesure
que s'étendent les champs et les réseaux de relations auxquels nous sommes intégrés. Giddens, dans The Consequences of Modernity, montre bien
comment les aires de sécurité se multiplient et s'élargissent mais aussi
comment, parallèlement, de nouvelles zones de risque apparaissent et non
des moindres. Qui ne connaît, après Tchernobyl, ce que signifient les risques nucléaires et d'irradiation? Qui n'est pas sensibilisé aux désastres
écologiques qui résultent d'accidents survenus à des pétroliers, aux risques écologiques que constituent pour la nature et pour l'homme les pesticides et les fertilisants ou encore les colorants, les pollutions chimiques
multiples et les pluies acides ? Qui peut se sentir à l'abri des dangers qui
découlent de l'effet de serre ou de la destruction de la couche d'ozone ou
encore à l'abri des risques d'une guerre nucléaire, bactériologique ou chimique ? Car il ne faudrait pas sous-estimer les dangers qui découlent des
violences interhumaines.
B. Les risques liés à la violence
Ces violences ne se limitent pas à la guerre. Il ne se passe pas de jour
que nous ne soyons confrontés à l'escalade de I'horreur et du crime, à
moins que ce ne soit l'information que l'on donne à leur sujet qui soit plus
abondante. Il n'empêche, on aurait tort de sous-estimer les phénomènes de
violence qui vont des diverses formes de maltraitance au sein de la cellule
familiale aux accidents de la route dont les jeunes sont les premières victimes, aux violences sexuelles auxquelles les femmes sont les plus exposées, aux agressions criminelles dans lesquelles on recourt à des moyens
toujours plus lourds et, par delà le banditisme, aux terrorismes de tous
genres auxquels les plus innocents peuvent être exposés.
Mais paradoxalement encore, les statistiques montrent que ce sont les
accidents domestiques qui sont les plus nombreux et peut-être finalement
les plus dangereux: ce qu'attestent les statistiques des handicaps et des
mortalités. En effet, elles démontrent que les mortalités résultant des acci-
16
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
dents domestiques sont plus nombreuses que celles provoquées par les
accidents de la route et ceux-ci plus nombreux que les accidents du travail,
sans doute parce que, dans ces deux derniers cas, la prévention est mieux...•
organisée et le contrôle plus strict que dans le cadre de la vie privée.
C. Les risques de maladie chronique
A côté de ces risques, il y a tous ceux qui découlent de la maladie.
Incontestablement, les risques de maladies infectieuses d'origine microbienne ont reculé. Elles frappaient tous les âges. Mais une série d'autres
maladies sont apparues liées à la longévité. Ainsi en est-il des décès dus
aux maladies chroniques, aux maladies cardio-vasculaires, au cancer ou
encore au SIDA. Ces maladies par essence incurables ne sont pas seulement pénibles pour les malades mais aussi pour les personnes de
l'entourage et aussi très onéreuses pour la société. Les chances de survie
ont augmenté mais parallèlement les risques de survivre malade ou handicapé. Par là-même, les risques d'hospitalisation et de placement ont été
multipliés, notamment pour les personnes qui atteignent le quatrième âge.
Parmi les risques encourus, certains sont simplement le résultat de de
problèmes personnels ou familiaux, tels le vieillissement, la maladie, le
chômage, les difficultés dans les relations interpersonnelles entre époux
ou entre parents et enfants. D'autres sont plus collectifs et découlent des
conditions d'environnement, comme dans le cas des populations sises à
proximité de la faille de San Andréas en Californie (même s'ils ont construit de manière à ce que leurs bâtiments résistent aux tremblements de
terre). D'autres encore découlent des mutations sociales qui bouleversent
le fonctionnement des sociétés et, par là même, les formes de la vie collective.
D. Les risques sociaux
Parallèlement à la croissance des risques vitaux et environnementaux, il
ya aussi celle des risques sociaux. Ceux-ci ne sont pas nouveaux. Des
pans entiers de l'histoire sociale des cent dernières années sont consacrés
à la description de la progression des risques sociaux découlant du développement d'une société industrielle, ainsi que de la mise en forme des
systèmes, sinon de prévention, alors de protection et de solidarité sociales.
A ce sujet, François Ewald (1990), un des disciples de Michel Foucault,
parle du développement d'une société assurancielle et Jacques Donzelot
de l'établissement de liens fédérateurs entre les diverses classes sociales;
liens qui ont pu aller jusqu'à désarmer le conflit de classe. Parmi les
risques ainsi couverts par le jeu des assurances sociales, il y a ceux qui découlent des accidents de travail et des maladies professionnelles, les
risques d'accident et de maladie, ceux du chômage et de la vieillesse, ceux
liés à la dimension de la famille. Mais il n'est pas du tout certain que l'on
J.Delcourt
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soit au bout des risques sociaux. Les transformations continues des sociétés en font apparaître de nouveaux.
Parmi les transformations au sein des économies occidentales, il y a
celles générées par la nouvelle division internationale du travail et l'explosion des nouvelles technologies de production, d'information et de communication. Cela se traduit sans doute dans la création de nouveaux emplois et dans le développement de nouvelles professions mais aussi dans la
précarisation de nombreux postes de travail, dans un dépassement de multiples qualifications et dans un chômage toujours plus important et plus
long parmi les travailleurs les moins qualifiés. Ainsi se multiplient les
risques de déqualification et, par là, les besoins de reconversion et donc de
mise en place des mécanismes de solidarité destinés à faciliter les transitions entre les postes de travail, de même que les mises à jour des connaissances professionnelles.
L'ampleur des risques sociaux provient aussi des transformations dans
les modèles de vie et les conditions d'existence, mais aussi de la modification dans la composition des ménages et des familles résultant de la diversité des formes d'union, de mariage ou de convivance. La famille monoparentale n'est de loin plus une exception, même si après un temps de monoparentalité, les familles se recomposent de diverses manières.
Certains observateurs prétendent que cette évolution serait due aux
règles fiscales relatives au cumul des revenus des époux ou encore aux
modalités de la protection sociale et au développement dans l'individualisation des allocations sociales. Mais cette évolution a sans doute bien
d'autres explications. Parallèlement s'accroît le nombre des personnes qui
souffrent de l'abandon et de la solitude.
Une analyse sociologique pertinente de l'évolution et de la croissance
des risques devrait être poursuivie en examinant la succession et l'interdépendance des problèmes auxquels les hommes et les familles sont confrontés dans le parcours et dans la combinaison des trois grands cycles aujourd'hui dégagés: celui de la vie qui va de la naissance à la mort, celui
du cycle familial qui court de la composition d'une famille (en passant, le
cas échéant par diverses recompositions) jusqu'à sa dissolution; et enfin
le cycle de la vie professionnelle qui va de l'entrée à la sortie de la vie de
travail (Delcourt, 1989).
L'analyse en termes d'accroissement des risques vitaux et sociaux n'est
pas admise par ceux qui voient dans la prolifération des diagnostics sur les
nouveaux maux sociaux avant tout le jeu des intérêts des professionnels
que la société chargera de la remédiation. Ce diagnostic n'est non plus
admis par ceux qui voient dans la prise en charge de ces nouveaux problèmes le renforcement de l'Etat prédateur ou la consolidation d'un capitalisme dont il vaudrait mieux limiter l'expansion.
18
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Quelle que soit la valeur de ces objections, il paraît difficile d'affirmer
que les risques auxquels nous sommes exposés sont en réduction. Pour
lutter contre ces risques nouveaux et croissants, il est d'ailleurs urgent de
penser à la manière d'organiser des réseaux d'assurance et de solidarité
toujours plus larges afin de tenir compte de l'extension des systèmes et
des réseaux d'interdépendance entre les hommes et les nations.
Là se découvre le profond hiatus entre les risques auxquels l'homme se
trouvait exposé jusqu'ici et ceux auxquels il doit faire face dès ce jour ou
devra faire face dès demain.
E. La nécessaire recherche sur le traitement des risques et leur prévention
A n'en pas douter, les risques auxquels les peuples sont exposés deviennent énormes et pour ainsi dire cosmiques dans la mesure où, de plus
en plus fréquemment, ils dépassent les frontières d'une nation, voire des
continents. De même, ils menacent à la fois toutes les catégories sociales,
comme aussi une succession de générations. Ce sont des risques par rapport auxquels les personnes ne disposent pas de chance d'exit. En d'autres
mots, aucune ne peut s'y soustraire. Ces risques dépassent aussi les capacités d'intervention et de gestion des sociétés considérées une à une.
Toutefois, il s'agit de risques majeurs par rapport auxquels les citoyens
s'inquiètent de partout. A raison d'ailleurs parce que pour l'heure, face à
eux, les systèmes de protection sont inexistants, voire inefficaces. Quant
aux systèmes d'assurances tant privés que publics, ils se trouvent désarmés.
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Journal of the International Sociological
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Association Internationale de Sociologie
Edited by Martin Albrow
International
Sociology
was established
by the
International Sociological Association to publish papers
which deserve world-wide circulation and which reflect
the research and interests of the international community
of sociologists. The journal aims to represent all branches
of the discipline and all regions of the world. It draws
together work of cross-cultural
relevance from the
international community of sociologists, focusing on
fundamental issues of theory and method and on new
directions in empirical research.
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and specialisms, in practically every number.' - Times
Higher Education Supplement
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M.Hubert : 21-31
L'approche constructiviste appliquée
à la sociologie des problèmes sociaux :
éléments d'un débat
par
Michel Hubert *
Le débat entre approches objectiviste et constructiviste est au centre du problème de la connaissance el traverse régulièrement, à des degrés divers, l'ensemble des disciplines scientifiques. Il s'est tenu en particulier, au cours de ces
dernières années, dans le domaine de la sociologie des problèmes sociaux, notamment aux Etats-Unis. L'auteur rend compte ici de ce débat et montre en
quoi, au-delà de son caractère polémique, il pose le problème du statut des
"faits" ou des "conditions objectives" dans l'analyse sociologique, en particulier quand ces faits sont d'origine extrasociale.
On a longtemps considéré que le propre de la démarche scientifique
était de développer des connaissances qui tentent de correspondre au
mieux à la réalité objective qu'elles décrivent. Autrement dit, nous serions
occupés à approcher sans cesse davantage le monde objectif tel qu'il est
réellement. Celui-ci constituerait donc une donnée aux caractéristiques
propres, qui existerait indépendamment de la perception qu'en a l'observateur.
Selon ce point de vue, l'échec éventuel de l'observation découle de faiblesses soit au niveau des méthodes utilisées (erreurs de mesure ... ), soit
au niveau de la réception sensorielle, en particulier en l'absence d'un acte
"d'attention" (qui ne produit en rien l'objet mais facilite simplement sa
perception [Hazelrigg, 1986 :4 ; Kapferer, 1978]).
• Centre d'études sociologiques, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles.
22
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
On qualifie généralement d' objectiviste une telle conception de la connaissance. Une autre approche consiste à penser qu'au contraire; le sujet
"invente" la réalité qu'il croit avoir découverte. Plutôt que de correspondre au monde objectif, on dira que le savoir lui "convient" plus ou
moins bien (von Glasersfeld, 1988), ce qui signifie qu'il est bien adapté,
qu'il s'accorde bien à l'objet qu'il cherche à décrire mais qu'en aucune façon, une relation de conformité ou de similitude ne s'instaure entre les
deux éléments. Selon ce point de vue, poussé à l'extrême, tout ce que nous
pouvons connaître du monde réel, c'est ce qu'il n"'est pas". Watzlawick
(1988 :16) a illustré cette position d'une métaphore:
Par une nuit sombre et orageuse, un capitaine doit, sans balises ni
rien qui puisse l'aider dans sa navigation, traverser un détroit qui ne
figure sur aucune carte maritime. Dans cette situation, ou bien il
échoue son bateau sur les rochers, ou bien il passe le détroit et retrouve la sécurité de la pleine mer. S'il perd à la fois son bateau et sa vie,
son échec prouve que la route qu'il avait choisie n'était pas la bonne.
On peut dire qu'il a découven, en quelque sone, ce que la traversée
n'était pas. Si, par contre, il traverse le détroit, son succès prouve
simplement que, littéralement, son bateau n'est pas entré en collision
avec la forme et la nature (autrement inconnue) de la voie navigable.
Mais il ne le renseigne en rien sur le degré de sécurité ou de danger
dans lequel il se trouvait à chaque moment de la traversée. Le capitaine a traversé le détroit comme un aveugle. La route choisie a convenu à la topographie inconnue, ce qui ne signifie pas qu'elle lui ait
correspondu, autrement dit, que la route ait correspondu à la réelle
configuration géographique du détroit. On peut facilement imaginer
que la réelle configuration géographique du détroit permette des traversées plus sûres et plus counes.
Cette seconde conception de la connaissance ne se satisfait bien évidemment pas d'une stricte séparation du sujet qui observe et de l'objet observé. Pour elle, la conscience fait partie intégrante du monde dans lequel
nous vivons. Autrement dit, le statut d'objet n'est pas inhérent aux choses
elles-mêmes mais à notre expérience : l'acteur constitue un objet par un
acte intentionnel de conscience à partir du lieu où il se trouve. MerleauPonty (1945) explique:
Lorsque nous nous promenons autour d'une maison, si nous y entrons pour explorer ses différentes pièces ou si nous montons sur son
toit, nous voyons la maison différemment selon le lieu et le moment
où l'on se trouve. Parce que nous avons tendance à penser que c'est
la même maison que nous voyons des différentes perspectives, plutôt
que de croire que nous voyons différentes maisons, les objectivistes
concluent que la maison existe en elle-même, i.e. indépendamment
de toute perspective.
Mais, comme il le souligne, si la maison existe indépendamment de toute perspective, c'est une maison «vue de nulle part» (ou «de partout à la
M.Hubert
23
fois»), ce qui veut dire que ce ne peut pas être une maison humainement
vue, étant donné que le regard humain est toujours fixé quelque part.
L'existence de cette maison peut dès lors être seulement une maison dans
l'idéalité, l'idée d'une maison.
Si nous ressentons le besoin de construire des explications du monde
qui "conviennent", c'est parce nous nous trouvons face à la nécessité de
répondre aux questions les plus urgentes auxquelles la vie nous confronte.
Et nous ne pouvons accepter l'idée - en tous cas, dans la pensée occidentale - d'un monde chaotique sur lequel nous n'aurions aucune prise.
C'est la raison pour laquelle nous devons éternellement construire un
"pourquoi" viable. C'est seulement lorsque cette tentative échoue (c'est-àdire lorsque nos constructions ne conviennent plus) que le chaos - ou ce
que nous ressentons comme tel- intervient (Watzlawick, 1988 :74).
Le propre de ce qu'on appellera le point de vue "constructiviste" 1 est
précisément de rendre compte des différentes constructions de la réalité
que les acteurs développent, d'étudier leurs conditions de production, les
"réalités" qu'elles produisent (institutions, idéologies ... ), les effets, voulus
ou non, qu'elles induisent.
Après tout, comme le souligne Watzlawick (1988 :351), si nous savons
que nous ne connaissons jamais la vérité, que notre vision du monde "convient" seulement plus ou moins, on est tolérant: comment, en effet, pourrions-nous alors considérer les visions des autres comme démentes ou
mauvaises ? On est de plus responsable de la réalité que nous inventons et
libre d'en construire une autre.
L'objet de la sociologie des problèmes sociaux
Le débat, tel qu'il vient d'être esquissé, entre perspectives objectiviste
et constructiviste traverse, à des degrés divers, l'ensemble des disciplines
scientifiques. TI se tient également en sociologie, et en particulier dans
l'une de ses branches : la sociologie des problèmes sociaux.
La parution, en 1977, du livre de Malcom Spector et John I. Kitsuse,
Constructing Social Problems, a certainement joué un rôle prépondérant
dans l'application de l'approche constructiviste aux problèmes sociaux.
Ces auteurs ont eu, en tous cas, le mérite de systématiser une démarche
qui était latente ou imparfaitement mise en œuvre jusque là 2.
Pour la perspective constructiviste, l'objet de la sociologie des problèmes sociaux est l'étude des «activités d'individus ou groupes qui affirment
1 D'autres qualificatifs lui ont parfois été assignés: construcûonniste, défi~iûonnel, subjectiviste, perceptionniste. II est à noter que le constructivisme n'a rien à voir ici avec le mouvement artistique qui
fleurit dans l'architecture soviétique des années 20 ...
(Value-Conf/icI School) qui s'est développée dès les années 20 ou dans ceux de l'approche interacûonniste de la déviance (labelling theory of
2 Notamment, dans les travaux de l'école des conflits de valeur
deviance ).
24
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
des griefs ou expriment des revendications eu égard à certaines conditions
putatives» (Spector et Kitsuse, 1977 :75). Ou encore: c'est «la manière
dont s'élaborent collectivement les critères de perception de la "réalité"»
(Duclos, 1987 :25). En d'autres mots, adopter cette perspective, c'est considérer que ce sont les acteurs eux-mêmes qui font d'une condition qu'elle soit naturelle (une maladie, une pollution atmosphérique ... ) ou
sociale (une inégalité des chances de mobilité, un taux élevé de
chômage ... ) - par exemple un risque, une insatisfaction ou une injustice.
En parlant de conditions "putatives", le sociologue constructiviste souhaite adopter une attitude de neutralité par rapport à la réalité (et à l'importance) objective des conditions qui sont présentées par les acteurs comme
problème social (c'est-à-dire comme risque, injustice ... ). Autrement dit, il
considère que toute revendication est posée à propos d'une condition
"censée" exister (ce sont les acteurs qui l'affirment), plutôt qu'à propos
d'une condition dont le sociologue est chargé de vérifier ou de certifier
l'existence. Par conséquent, la manière dont les acteurs documentent une
condition pour en montrer l'importance ou, au contraire, la minimiser (travail auquel le sociologue lui-même est parfois appelé à participer) fait déjà
partie de l'analyse.
A partir de là, le problème central, pour les constructivistes, est d'élaborer une théorie des problèmes sociaux, c'est-à-dire une théorie capable de
rendre compte précisément de l'émergence, de la nature et du maintien des
activités revendicatives (claims-making activities) 3 développées par les
différents acteurs à propos de certaines conditions. En d'autres mots, la
tâche du sociologue est de comprendre «le processus par lequel des membres d'une société définissent une condition putative comme un problème
social» (Spector, Kitsuse, 1977 :76).
Pour concrétiser quelle est la nature de cette tâche, Spector et Kitsuse
font un parallèle entre la sociologie du travail et des occupations et la sociologie des problèmes sociaux. Dans un cas, l'activité étudiée, c'est le
travail (on y examine comment les gens gagnent leur vie) ; dans l'autre, ce
sont les activités revendicatives (on y examine comment les gens définissent des problèmes sociaux). Les activités liées aux problèmes sociaux
sont en quelque sorte le travail de beaucoup de personnes. Dans l'un et
l'autre domaine, peu importe le nombre de personnes engagées dans une
activité donnée, tel n'est pas le critère pour déterminer si celle-ci est digne
d'intérêt.
Le sociologue objectiviste, quant à lui, considère que la perspective
constructiviste est réductrice. En effet, si, selon lui, le sociologue ne doit
pas exclure d'étudier le processus par lequel des acteurs définissent une
3 Le terme d'activités
"revendicatives" n'est peut-être pas le plus adéquat dans la traduction que je propose ici. Il faut entendre "revendications" à la fois dans son sens fort (réclamer avec force) mais aussi
dans un sens atténué en tant que prétentions, voire même simples affirmations.
M.Hubert
25
condition particulière comme un problème social, ildoit surtout (Hazelrigg, 1986:2):
- comprendre la condition elle-même comme une situation objective qui
est logiquement antérieure à la perception qu'en ont les acteurs ;
- évaluer la validité des perceptions que se font les acteurs de la condition et rendre compte de toute faiblesse à ce niveau ;
- investiguer les conditions identifiées par le sociologue comme étant
des problèmes sociaux même si ces conditions n'ont pas été perçues comme telles pat les acteurs, ou à tout le moins n'ont pas fait l'objet "d'affirmations de griefs ou de revendications".
Les perspectives objectiviste et constructiviste se distinguent donc surtout par l'objet qu'elles étudient en priorité. Pour les constructivistes, le
sociologue des problèmes sociaux ne doit s'intéresser qu'aux activités revendicatives des acteurs, étant donné que ce n'est pas à lui à porter un jugement sur les conditions à partir desquelles ces activités revendicatives
sont construites. Pour les objectivistes, le champ d'investigation doit être
élargi à ces conditions elles-mêmes et celles-ci font l'objet de toute l'attention du sociologue.
De cette différence découle la manière dont les deux perspectives expliquent l'émergence d'activités revendicatives. C'est ainsi que les constructivistes privilégient les circonstances socio-historiques et l'interaction
entre les acteurs pour expliquer les variations dans les définitions que
ceux-ci donnent des conditions, tandis que les objectivistes mettent en
avant les caractéristiques (et l'évolution) des conditions objectives elIesmêmes comme déterminantes, en grande partie, de ces mêmes activités revendicatives (voir figure 1 p. 26).
Mais il faut bien dire que l'intérêt manifeste des objectivistes pour les
conditions les conduit bien souvent à autonomiser l'analyse de ces conditions et à ne plus considérer l'étude des activités revendicatives que comme un terrain marginal d'investigation. C'est d'ailleurs sur ce point que
porte principalement la critique des constructivistes. Pour eux en effet,
l'approche objectiviste n'est pas une théorie des problèmes sociaux (entendus au sens de construction de la réalité) mais plutôt une théorie des
conditions sociales. Car, disent-ils, ce qui intéresse surtout les objectivistes, c'est l'identification de conditions (ou de comportements) considérés
comme indésirables, c'est-à-dire de conditions qui entravent l'accomplissement des buts de la société, qui interfèrent avec son bon fonctionnement
ou qui la mettent en déséquilibre (Spector, Kitsuse, 1977 :23 ; Schneider,
1985 :210). Après avoir identifié ces conditions comme problèmes sociaux (eu égard bien sûr à leurs valeurs implicites), les objectivistes cherchent ensuite à en analyser et à en expliquer les origines et s'orientent ain-
26
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
si, selon les cas, vers une théorie de la déviance, de la désorganisation
des conflits de valeurs, ou de tout autre produit de la sociologie.
4,
Figure 1 : Représentation synthétique des points de vue objectiviste et
constructiviste sur les problèmes sociaux
Point de vue objectiviste
Activités revendicatives
(= prise de conscience de
conditions "déjà là")
(la variation des ar.
dépend principalement
des conditions)
conditions ("en soi")
It"
dont le sociologue
a connaissance et
qui troublent le bon
fonctionneOlentsociaI
causes avancées par le sociologue pour expliquer
pourquoi les conditions sont ce qu'elles sont
Point de vue constructiviste
circonstances socio-historiques
(faites
à propos
de ... )
interaction entre acteurs
!1
Conditions
4
Voir, par exemple, Merton et Nisbet (1971).
(problématiques et postulées
à titre heuristique, par l'observateur comme objet
unique)
M.Hubert
27
Cette tendance à privilégier l'analyse des conditions (plutôt que l'analyse des activités revendicatives) trouve sa source, d'après les constructivistes, dans la quête du sociologue à se voir reconnu comme détenteur
d'un discours privilégié (i.e. supérieur et objectif) sur le social, d' «un genre d'écriture qui se voudrait ne pas être un genre d'écriture» (Rorty, 1982
cité dans Hazelrigg, 1986 :236), dans un environnement compétitif où le
champ d'application des différentes disciplines fait l'objet d'enjeux.
On peut cependant se demander si, ce faisant, le sociologue objectiviste
ne court pas le risque d'entrer inutilement en concurrence avec des savoirs
plus techniques dont la légitimité est mieux assurée. La perspective constructiviste, à l'inverse, a le mérite d'accorder au discours sociologique une
plus grande spécificité (en le limitant à l'étude des activités revendicatives
sans présumer de la réalité des enjeux qu'elles sont censées recouvrir) s.
Relativisme sélectif et "trucage ontologique"
La mise en œuvre pratique du point de vue constructiviste repose cependant sur un paradoxe. Alors que le sociologue constructiviste est avant
tout préoccupé par l'étude des variations observées dans les activités revendicatives et qu'il fait porter l'explication de ces variations sur les circonstances socio-historiques et l'interaction entre les acteurs, il est amené
- et c'est même, pour lui, une nécessité s'il veut maintenir son point de
vue - à tenir pour "donné" l'objet par rapport auquel des activités revendicatives sont développées. En considérant que toutes les activités revendicatives portent sur un même objet, il prend ainsi position sur l'existence
de la condition (ne fût-ce qu'en la nommant) et accorde ainsi au regard
scientifique, tout comme le sociologue objectiviste, un statut à part, plutôt
que de le considérer comme une construction de la réalité au même titre
que les autres. En quelque sorte, perspectives constructiviste et objectiviste se rejoindraient ici dans une même conception des conditions objectives.
C'est en tous cas la thèse que Woolgar et Pawluch (1985a, 1985b) ont
défendue en analysant de près les différentes recherches empiriques qui se
sont inscrites dans la perspective constructiviste. Pour ces auteurs, les tenants de l'approche constructiviste font preuve de relativisme sélectif en
plaçant une limite entre ce qui doit être considéré comme problématique
(les activités revendicatives) et ce qui ne doit pas l'être (les conditions).
SPar exemple, le sociologue objectiviste qui voudrait étudier le problème du nucléaire ne ferait qu'ajouter sa voix - avec cependant beaucoup moins d'autorité - à celle des divers experts et techniciens, en
cherchant lui aussi à donner une mesure du risque encouru pour déterminer s'il y a lieu d'encourager ou
de renoncer à cette forme d'énergie - et done d'en faire un problème. Le sociologue constructiviste, de
son côté, sans renoncer à fonder son discours sur une connaissance approfondie des savoirs en jeu, axera
plutôt son analyse sur la description des discours en présence, les acteurs qui les émettent, la manière
dont ils interagissent, l'émergence de zones d'accord et de désaccord, etc.
28
Recherches Sociologiques, 1991/l-2
Pour réaliser une telle distinction, la sociologie constructiviste utilise,
d'après ces auteurs, une stratégie de rhétorique -le trucage ontologique
(ontological gerrymandering) - qui consiste à laisser dans l'ombre le
caractère problématique des énoncés "objectifs" sur les conditions pour
mettre uniquement en avant la relativité des réponses données par les acteurs à ces conditions (Woolgar, Pawluch, 1985a :215).
Woolgar et Pawluch ont illustré leur critique à l'aide notamment de l'étude de Pfohl (1977) sur le mauvais traitement des enfants (child abuse).
TIsmontrent que l'évidence selon laquelle des enfants ont toujours été battus n'est pas discutée par Pfohl alors que les définitions le sont. Selon
celui-ci, on a toujours battu des enfants (il s'agit là d'une condition stable)
mais, selon les circonstances historiques, cette pratique fut tantôt légitimée, tantôt considérée comme un problème faisant partie de celui, plus
large, de la pauvreté, tantôt encore comme une fonction du dérangement
psychologique des parents, ou encore (aujourd'hui) comme un child abuse
(cette dernière définition étant le résultat d'une coalition de différentes
spécialités médicales).
Il est intéressant de rapprocher les problèmes conceptuels rencontrés
par la perspective constructiviste de la sociologie des problèmes sociaux
de ceux du courant interactionniste (labelling school), en particulier dans
le domaine de la sociologie de la déviance à laquelle, d'ailleurs, la sociologie des problèmes sociaux est souvent associée 6. Dans ce domaine en
effet, la discussion tourne souvent autour du statut réel ou imputé (attribué) du comportement qui sera désigné comme déviant. Pour les uns, le
comportement peut exister indépendamment de la réaction sociétale. Pour
les autres, le processus d'étiquetage est constitutif du phénomène de déVIance.
Pour Woolgar et Pawluch (1985a :224), la tension entre les différentes
manières de conceptualiser la déviance est une expression du jeu continuel
entre les faits objectifs et les représentations de ces faits qui caractérise
toutes les explications de ce genre. Dans ce contexte, le trucage ontologique est un moyen par lequel le scientifique gère pratiquement, par un effet de pure rhétorique, cette tension.
6 D'après Woolgar et Pawluch (1985a :222), certains auteurs parlent indistinctement de déviance ou de
problèmes sociaux pour nommer le même ordre de phénomènes, tandis que d'autres soutiennent que la
sociologie des problèmes sociaux est plutôt associée aux changements économiques et technologiques
qu'aux comportements supposés déviants. Merton et Nisbet (1971) utilisent le terme "problèmes sociaux" comme rubrique générale sous laquelle sont réunis à la fois les phénomènes de déviance (crime,
maladie mentale ... ) et de désorganisation sociale (relations interraciales, pauvreté, rôles sexuels ... ).
M.Hubert
29
Conclusions et perspectives pour la recherche
Au-delà de son caractère polémique, l'approche constructiviste a le mérite de rappeler au sociologue, si besoin en est, que les faits ou les conditions qui sont censés constituer les problèmes sociaux sont inséparables
des acteurs sociaux :
- d'abord, parce que ce sont les acteurs sociaux eux-mêmes qui les
constituent en tant que "faits", c'est-à-dire qui les identifient, les nomment
et les réunissent sous une même catégorie;
- ensuite, parce que ce sont aussi les acteurs sociaux qui les rendent problématiques en exprimant à leur égard des revendications, en en donnant
éventuellement des définitions contradictoires ou en faisant valoir divers
modes de traitement à leur appliquer.
Relativiser de cette manière les faits qui sont présentés par les acteurs
ne doit cependant pas conduire à conclure à l'inconsistance de ces faits, ce
qui reviendrait d'ailleurs à prendre parti dans le débat du point de vue de
ceux qui ont intérêt à en minimiser l'importance.
Si, par exemple, le sociologue ne peut pas, de lui-même, trancher sur la
signification à attribuer au nombre de victimes du SIDA, il ne peut pas
faire comme si celles-ci n'existaient pas, ou comme si leur évolution n'influait pas sur le système d'interaction dans lequel se trouvent les acteurs
impliqués dans la construction du problème ou sur leurs logiques d'action.
Quel statut dès lors peut-on donner à ces faits qui permette à la fois
d'en relativiser le poids dans l'évolution du problème social (plutôt que de
considérer qu'ils déterminent à eux seuls la forme que prend le problème
social, comme le feraient les objectivistes) sans pour autant les réifier dans
un état immuable et définitif, comme le ferait un certain constructivisme
radical que dénoncent Woolgar et Pawluch quand ils parlent de «trucage
ontologique» ?
Une piste intéressante est certainement celle que nous ouvre M.Callon
(1986) quand il défend un principe de symétrie généralisée qui consiste à
«ne pas changer de grille d'analyse pour étudier les controverses sur la
Nature et les controverses sur la Société» 7. Autrement dit, sans tomber
dans un anthropomorphisme de mauvais aloi, toutes les catégories d'acteurs, en ce compris l'acteur extrasocial qui peut, par exemple, prendre la
forme d'un virus comme dans mon étude sur le SIDA (Hubert, 1988, 1989)
ou de larves de coquilles Saint-Jacques comme dans l'étude de CalIon
(1986), doivent être prises en compte et peuvent être étudiées avec le même outillage conceptuel. Une mutation soudaine du virus H.I.V. ou une
7 Dans cette étude, M. Calion étudie ce qu'il appelle des processus de "traduction" à travers lesquels des
réalités sociales et naturelles sont construites et par lesquels «s'établit le silence du plus grand nombre
qui assure à quelques-uns la légitimité de la représentativité et le droit à la parole». Ces processus sont
jalonnés de différentes phases: la problématisation, l'intéressement, l'enrôlement. la mobilisation et la
dissidence.
30
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
non-fixation des larves de coquilles Saint-Jacques sur les collecteurs
destinés à les protéger sont des événements majeurs qui risquent de
remettre en cause la manière dont le problème social est posé ainsi que le
fragile équilibre des forces qui permettait à certains d'avoir le monopole
légitime du droit à la parole.
La multiplication, à l'avenir, d'études mettant enjeu, dans le même modèle d'analyse, acteurs sociaux et extrasociaux serait certainement de nature à améliorer notre connaissance des processus de transformation des
problèmes sociaux.
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J.Marquet : 33-46
Handicap et avortement thérapeutique
ou l'impossible intégration
par
Jacques~arquet*
Dans son livre Corps infirmes et sociétés publié en 1982, H.-J. Stiker développe la thèse selon laquelle l'imaginaire social de notre société industrielle est,
en ce qui concerne les personnes handicapées, dominé par la volonté de les réintégrer. Un certain nombre de discours et de pratiques ayant trait à l'avortement, à la reproduction médicalement assistée, aux manipulations génétiques
semblent cependant remeure cette analyse en cause car davantage en adéquation avec une logique de l'exclusion que de l'intégration. Cet article se propose
de réfléchir sur l'articulation entre ce qui, a priori tout au moins, se présente
comme deux logiques contradictoires.
Dans son livre Corps infirmes et sociétés publié en 1982, H.-J. Stiker
développe la thèse selon laquelle l'imaginaire social de notre société industrielle est, en ce qui concerne les personnes handicapées, dominé par la
volonté de les réintégrer. Un certain nombre de discours et de pratiques
ayant trait à l'avortement, à la reproduction médicalement assistée, aux
manipulations génétiques semblent cependant remettre cette analyse en
cause car davantage en adéquation avec une logique de l' exclusion que de
l'intégration. Et si Stiker n'ignore pas l'existence de l'avortement thérapeutique (1982 :201), il n'explique nullement la compatibilité de celui-ci
avec l'interprétation qu'il nous soumet. Cet article se propose de réfléchir
sur la possibilité d'une telle articulation. Il ne s'agit nullement, on l'aura
compris, de nous prononcer pour ou contre l'avortement en général, ou
l'avortement dit thérapeutique en particulier, mais bien de poser la ques-
* Département
des sciences politiques et sociales, Unité de sociologie de l'U.C.L.
34
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
tion des conditions de coexistence des logiques d'intégration et d'exclusion, pour autant qu'on puisse les nommer ainsi.
I. La volonté d'intégration
Selon Stiker, le rapport moderne à l'infirmité peut être résumé par la
formule «réadaptation des handicapés». Les deux termes ont leur importance.
L'essor du mot handicap est contemporain du développement de la réadaptation. Tant comme adjectif que comme substantif, l'usage du mot
handicap ne date pas de plus de quarante ans. A son origine Hand-in-cap
signifie la main dans le chapeau, et fait référence à la fatalité naturelle, au
tirage au sort. Un glissement de sens va nous projeter dans un monde tout
différent: celui d'une régulation possible. Le mot handicap sera utilisé
pour désigner l'égalisation des chances dans les courses de chevaux. Une
seconde évolution situera dans le social ce qui valait pour l'hippodrome.
Le handicapé doit retrouver ses chances et participer à la vie sociale
"comme tout le monde" ; et même si au départ il a un désavantage, tout
comme les chevaux handicapés, il doit rejoindre l'ensemble du groupe.
Handicap désigne bien évidemment le désavantage, le manque, mais sans
aucun doute l'aspect prégnant est-il celui de la compétition, de la participation à l'épreuve.
Cette qualification positive au niveau du registre lexical remplace une
série de termes au préfixe négatif (in-firme, in-valide, im-potent, in-capable, im-pur ... ) qui traduisaient certes une exclusion, mais peut-être aussi
une plus grande capacité de différenciation : les personnes ainsi désignées
n'avaient pas à participer à la même course que les autres. Le terme de
handicapé par contre regroupe tous ceux qui ne correspondent pas à la
norme, dans le but de leur faire reprendre la compétition à laquelle tout le
monde doit participer. Le handicap, c'est surtout l'obligation faite à l'infirme de se réintégrer.
La réintégration implique le reclassement, qui implique la rééducation,
qui elle-même implique la réadaptation. Aujourd'hui le terme réadaptation
s'est banalisé, désignant l'ensemble des actions en faveur des handicapés :
«Permettre aux handicapés de s'intégrer dans la société, faire en sorte
qu'ils deviennent des citoyens à part entière, tel est l'objectif de la réadaptation» (Fonds National de Reclassement des handicapés, 1981).
Stiker montre le rôle fondamental joué par les mutilés de la Première
Guerre mondiale dans l'essor de cette terminologie. Ceux-ci ne pouvaient
en aucun cas être considérés comme déviants, et les dirigeants de l'époque
se sont vus dans l'obligation de les réintégrer, c'est-à-dire de faire en sorte
qu'on leur rende leur intégrité première, mais aussi la place qu'ils occupaient antérieurement. Les notions de réintégration, de réadaptation débordent donc le champ médical pour se situer cette fois dans le champ social.
J.Marquet
35
L'idée de réadaptation s'impose à un moment où la médecine marque
ses limites ; l'adaptation, par sa panoplie de techniques pour faire vivre
normalement, est proposée, voire imposée, à toute personne et peut-être
essentiellement à celles qu'on ne peut prétendre guérir.
Ce vocabulaire va petit à petit s'étendre à tous les handicapés, à toutes
les formes de handicap. Tout diminué devient, à l'image du mutilé, celui à
qui il convient de donner une place. Le changement ne se limite pas au
seul plan linguistique. Le xx- siècle marque son intention de replacer tout
handicapé dans les rouages de la vie quotidienne.
La réadaptation apparaît donc comme la tentative de faire disparaître
tout handicap. Et les meilleures intentions ne manquent pas de créer le
doute tant le vocabulaire reste ambigu: «Les efforts en faveur des handicapés seront poursuivis, notamment afm de réaliser leur intégration totale
dans la société» 1. Certes, on leur reconnaît des droits, mais ceux-ci leur
accordent ce que les "non-handicapés" obtiennent sans qu'aucune déclaration formelle ne soit nécessaire. Réadapter c'est avant tout ramener à la
norme, imiter les valides, redevenir "comme tout le monde". Notre société
"anonymise" 2 ses handicapés.
Selon Stiker la spécificité de notre époque par rapport aux précédentes,
se situe dans le fait qu'aujourd'hui le handicap prend sens autour de la catégorie de l'intégrabilité, là où il prenait sens vis-à-vis de l'intégrité.
Antérieurement, "on savait" si l'individu était, d'un point de vue biologique, intègre ou non, et un second registre tantôt religieux, tantôt éthique, venait donner sens aux catégories du premier, conférant par la même
occasion à l'individu en question une place au sein de la société. Si l'individu non intègre était placé du côté du mal, et pour autant qu'aucune autre
valorisation ne tempère cette disposition, il devenait normal et même souhaitable de le supprimer. Des formes plus subtiles d'exclusion ont existé,
mais l'ensemble de ces systèmes reposaient sur le registre biologique.
Aujourd'hui, le registre fondateur est social, il défmit ce qui est intégrable ; tout individu sera soit normal, soit déviant, et si le diagnostic de la
déviance est posé, ce sera pour le conformer. Au niveau social, l'effacement des frontières est tel qu'il n'y a quasiment plus qu'une classe de
handicapés regroupant l'ensemble des personnes à ramener à la norme.
Un second registre, médical cette fois, vient axiologiser les catégories issues du registre dominant. Il s'appuie essentiellement sur les oppositions
sain/malsain, hygiénique/nuisible. Le discours médical distingue diffé1 Accord de gouvernement,
Bruxelles, 15 mai 1980. C'est nous qui soulignons.
2 Un bon exemple de cette "anonymisation" nous est donné par G. de Villers (1981) : «L'intolérance
peut se manifester aussi par l'opposition fondée cette fois sur la volonté d'imposer la normalité à certaines formes d'adaptation ou certaines techniques mises au point par les handicapés pour pallier leur handicap. On a pu analyser en ce sens la lutte menée par les spécialistes contre le langage gestuel des malentendants an profit de techniques comme la lecture labiale plus proche de l'expression orale et donc de
la normalité». G. de Villers fait lui même référence à un article de B.Mottez (1977).
36
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
rentes formes de handicap afin de pouvoir administrer le traitement le plus
adéquat, mais il est second, et le discours social, lui, ne reconnaît que
quelques grandes catégories. Le fait d'être différent est peu valorisé sur le
plan ontologique et quasiment nié. La différence exigeait la mise à part,
aujourd'hui, elle doit disparaître. Le handicapé ne peut ni être éliminé, ni
s'exclure de la course.
Bien que l'imaginaire social soit dominé par la volonté de réintégrer le
handicapé, Stiker ne prétend pas que, dans les faits, toute différence soit
totalement et parfaitement gommée. Dans le modèle qu'il nous propose,
intégration et exclusion ne sont pas antinomiques. Ainsi certaines pratiques (de nombreuses formules d'étiquetage, le travail en atelier protégé ... ) pourraient être interprétées comme autant d'éléments d'une logique
de mise à l'écart; néanmoins pour Stiker le but reste l'intégration à la norme. Certes les places de parking, de cinéma, ou de train réservées aux
handicapés sont dûment signalées et par là stigmatisantes, mais en l'absence de celles-ci la participation des handicapés à ces activités reste problématique. Oui, l'atelier protégé isole les travailleurs handicapés, mais il
leur permet d'être travailleurs. Il ne s'agit pas de dire que les solutions
appliquées sont idéales - après tout la mise en place de cette logique
d'intégration reste relativement récente - mais de dessiner l'imaginaire
dans lequel elles s'insèrent.
Une enquête effectuée en Wallonie et à Bruxelles en 1980 auprès de
3500 personnes âgées de 18 à 74 ans 3 ne révélait-elle pas que 77.1 % des
interrogés estimaient l'action des pouvoirs publics en faveur des personnes handicapées insuffisante. Et quand on leur demandait de citer la
catégorie de la population, qui, à leur avis, devrait être aidée en premier,
37.7% répondaient les personnes handicapées. Les autres catégories enregistraient des scores nettement inférieurs: les personnes âgées, 19.1 % ;
les défavorisés économiquement, 13.9% ; les femmes au foyer, 8.2% ; et
les catégories restantes récoltaient toutes moins de 5%. Nous ne disposons
pas d'infonnation sur l'orientation souhaitée pour cette aide, de sorte que
l'on ne peut prétendre qu'elle serait destinée à une logique d'intégration.
Ces chiffres témoignent seulement d'une disposition relativement favorable de l'imaginaire social à l'égard des personnes handicapées.
La volonté de rendre la différence invisible socialement n'empêche pas
non plus que le handicap puisse être vécu comme une exclusion. La majorité des intéressés semble cependant avoir intériorisé le modèle de la réadaptation, et le développement de groupes de handicapés en position contestataire par rapport à la nonne empirique reste très marginal.
3 Les données sont issues d'une enquête intitulée "Le Citoyen et la Population:
Opinions, Attitudes et
Aspirations",
effectuée en 1980 par le Département de Démographie et le Groupe de Sociologie
Wallonne de l'U.C.L. Les calculs sont personnels et sont présentés plus en détail in Marquet (1986).
J.Marquet
37
Face à cette analyse, qui montre un consensus sur la nécessité de réintégrer le handicapé, l'avortement dit thérapeutique ainsi que de nombreuses
recherches dans le domaine de la biologie génétique semblent cependant
poser problème. L'enquête à laquelle nous venons de faire référence montre également que 88.1 % des interviewés pensent que l'avortement pourrait être légalisé si l'enfant porté par la mère risque d'être anormal ". En
quoi ces démarches s'apparentent-elles à une logique dominée par la volonté de réintégration ?
II. Les empêchements à naître
Les développements
tiples commentaires, et
dicap". Sans prétention
ques-uns de ces propos
récents en biologie génétique font l'objet de mulnombre d'entre eux traitent de la "gestion du hand'exhaustivité, nous résumons ci-dessous quel:
- L'insémination artificielle avec donneur anonyme et la pratique des
mères porteuses permettent techniquement à un couple possédant des
patrimoines génétiques incompatibles entre eux mais individuellement sains, d'avoir un enfant normal qui portera un patrimoine génétique issu à 50% du couple social et à 50% de l'extérieur. Sans cet
artifice, les parents soit renonçaient à engendrer, soit acceptaient le
risque de donner le jour à un enfant handicapé.
- Toute technique qui fait appel à des gènes extérieurs au couple social, ou simplement à une mère porteuse, présente le risque, en cas de
malformation de l'enfant à naître, d'ouvrir un débat sur la "responsabilité" des uns et des autres, avec comme conséquence qu'un refus de
la part de l'ensemble des parties en présence d'assumer cette responsabilité conduira inévitablement au placement en institution.
- La division d'un embryon aux premières heures de son développement permet de créer deux embryons parfaitement complets et identiques. Appliquée à l'homme, les spécialistes expliquent que cette
technique permettrait de suivre le développement de l'embryon implanté dans le ventre de la mère, par observation de l'embryon-jumeau cultivé, lui, in-vitro. Dès que des anomalies seraient décelées,
une intervention en vue de la guérison ou de l'atténuation du mal serait entreprise. En cas d'échec ou d'impossibilité d'intervention, un
avortement pourrait être envisagé à une époque où le diagnostic prénatal ne donne pas encore de résultats probants. Autre possibilité, la
congélation momentanée de l'embryon destiné à être transféré dans
Si l'on excepte les situations où la grossesse met la vie de la mère en danger (92.3%) elles grossesses
consécutives à un viol (90.8%), il s'agit là du pourcemage le plus élevé; le chiffre de 88.1% dépasse de
plus de 30%, et souvent beaucoup plus, les résultats se rapportant à toutes les autres situations (raisons
psychologiques, raisons financières, caractère illégitime de l'enfant, .. ). Si l'on envisage que la population qui demande que l'aide des pouvoirs publics aille en premier aux personnes handicapées, ils sont
89.7% à accepter l'avortement de l'enfan,t handicapé.
4
38
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
l'utérus de la mère, permettrait d'attendre les résultats de l'analyse
afin de savoir s'il y a lieu ou non de procéder à cette implantation.
- L'argumentation des défenseurs du diagnostic prénatal est double.
D'une part, le diagnostic permet d'accéder à des informations sur le
foetus in utero et notamment de dépister la présence d'anomalies.
Une fois celles-ci dépistées, les mesures envisagées et/ou envisageables selon les cas - traitement in utero, traitement dès la naissance,
avortement. .. - peuvent être décidées de manière précoce. D'autre
part, le diagnostic prénatal peut, techniquement, permettre à un couple présentant des patrimoines génétiques à haut risque d'engendrer,
et tout en surveillant la grossesse, de prendre connaissance de l'état
de santé de l'enfant, le couple restant maître de son choix en fonction
des informations reçues. Un diagnostic positif n'implique pas nécessairement l'avortement, il peut au contraire permettre au couple concerné de mieux préparer la venue de l'enfant handicapé.
- Les principaux arguments contre la culture d'embryons et contre les
méthodes de diagnostic prénatal émanent pour la plupart des adversaires de l'avortement. La majorité des malformations décelées étant
incurables, ces méthodes ne sont d'aucune utilité, à moins bien sûr
qu'un avortement ne sanctionne le diagnostic positif. Approuver le
diagnostic prénatal revient donc quasi automatiquement à admettre
l'avortement en cas de malformation du foetus.
Ces quelques éléments d'argumentations sélectionnés au sein d'un corpus plus large suffisent pour témoigner de la place problématique occupée
par le handicapé dans la société qui est la nôtre. Tantôt il s'agit d'éviter sa
naissance ou de diminuer son handicap, tantôt l'accent est mis sur l'inacceptable manque d'ouverture à son égard, mais les deux perspectives se
rejoignent en un point, à savoir qu'elles tiennent toutes deux compte de la
difficulté de notre société à accepter la personne handicapée et, plus particulièrement, le bébé malformé à naître.
Faisant référence aux recherches visant à dépister les anomalies génétiques, Pierre Thuillier (1984) se demande si les conditions nécessaires à
la naissance d'un nouvel eugénisme S qu'il qualifie de «médical» ne sont
pas réunies. Celui-ci viserait à éliminer tous les gènes susceptibles de causer des maladies graves bien caractérisées.
Traditionnellement
les spécialistes distinguent deux eugéniques:
l'eugénique positive qui tend à favoriser la reproduction des sujets réputés
"supérieurs", et l'eugénique négative qui a pour projet l'élimination des
prétendues "races inférieures". Si cette distinction peut paraître satisfaisante, et il n'y a pas de doute sur le fait que l'horreur nazie qui a particu-
S En français, le terme anglais eugenics sera traduit tantôt par "eugénisme" et il évoquera alors une doctrine morale ou une philosophie en attirant l'attention sur les aspects militants, et tantôt par "eugénique",
plus neutre, généralement utilisé pour désigner les recherches scientifiques correspondantes (Thuillier,
1984 :736).
J.Marquet
39
lièrement développé la seconde forme d'eugénique y soit pour quelque
chose 6, il n'en reste pas moins que dans la plupart des cas la démarche
reste la même, elle consiste à vouloir combattre les problèmes sociaux et
politiques avec ces armes que sont la biologie et la génétique. Et à un
autre niveau, l'absolue nécessité de distinguer l'élément "sain" de
l'élément "malsain", qu'il s'appelle race, individu ou gène, reste là, inhérente à toute perspective eugénique. Et de ce point de vue, l'eugénique
médicale ne se distingue en rien des eugéniques précédentes, et si rupture
il devait y avoir, elle ne sépare, en aucun cas, un eugénisme intégrateur
d'un eugénisme excluant.
III. Du registre médical...
Si nous suivons Stiker, nous sommes donc amenés à expliquer la présence de pratiques comme l'avortement thérapeutique ou les recherches
pour éliminer les gènes porteurs de maladies, au sein d'un univers social
dominé par la volonté d'intégrer les handicapés.
Avec l'avortement thérapeutique, de même qu'avec d'autres techniques
évoquées ci-dessus et rendues possibles par les récents progrès de la biologie et de la génétique, nous nous situons dans le registre médical qui,
pour Stiker, est second par rapport au registre social. Et si ce dernier est
dominé par la question de l'intégrabilité, le plan médical, articulé autour
de l'opposition
sain/malsain, s'attache d'abord à la question du
"traitable" .
Et cette question du "traitable" est bien présente au sein des propos repris ci-dessus, à tel point même que la distinction quelque peu naïve entre
handicap et maladie qui se base sur le caractère définitif du premier, alors
que la maladie serait une affection temporaire, semble ici tout à fait inopérante. Car, en plus du fait que les promoteurs des techniques de réadaptation proclament de façon récurrente leur capacité d'effacer le handicap,
les orientations récentes en matière de recherche néonatale qui visent à
traquer l'anomalie avant la naissance donnent parfois l'impression de
pouvoir éliminer totalement les malformations congénitales. Le fœtus
handicapé devient un fœtus malade, et il peut être soigné. S'il ne peut être
traité, l'avortement "thérapeutique" envisagé par certains, et bien qu'il
s'agisse d'un empêchement de naître, porte lui aussi l'accent de la
guérison. De même, mais du côté de la maladie cette fois, son caractère
passager est mis en doute: «Les maladies nouvelles s'inscrivent dans
l'identité biologique héritée de chacun pour faire de chaque malade un
handicapé le plus souvent définitif» (Funck-Brentano, 1983 :68). Les
hypertensions, rhumatismes, allergies, cancers ... quand ils apparaissent,
6 Qui oserait, en effet, cornparer les pratiques de nos chercheurs el médecins en blouses blanches avec
les actes perpétrés par les tortionnaires nazis ?
40
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ne font que révéler une "capacité à développer la maladie" inscrite dans
les gènes. Ne développe pas un cancer qui veut; la maladie est déjà là,
tapie au coeur du patrimoine génétique, elle ne demande qu'à s'exprimer.
Depuis que règne la génétique, l'homme sain n'est plus qu'un handicapé
en sursis. Handicapé et homme sain n'en finissent pas de se rapprocher.
Situer les recherches sur le génotype et l'avortement thérapeutique dans
le registre médical est une chose, expliquer en quoi ce registre serait second par rapport au registre social en est une autre. Cette question mérite
d'autant plus d'être posée que les pratiques évoquées ci-dessus ne manquent pas de susciter certains heurts ; des colloques sont organisés, des
comités d'éthique sont mis sur pied pour réfléchir aux problèmes soulevés
par les progrès réalisés par l'ingénierie génétique. Pour Stiker, le registre
social est premier dans le sens où, pour lui, c'est l'opposition normal/
déviant, opposition sociale et non biologique, qui est fondamentale. C'est
l'affaiblissement progressif des plans religieux, éthico-religieux et éthiques et le primat du plan social sur le plan médical qui ont conduit au
"grand effacement" de l'infirmité.
IV.... à l'émergence du social
Nous pensons que l'extrême sensibilité de cette question, que nous appellerons bio-éthique, peut s'expliquer par sa qualité de révélateur du caractère social du handicap, de sa définition et de sa gestion. Le terme social traduit le fait que ce sont les hommes qui construisent leur réalité. Social signifie donc, par conséquent, que les choses pourraient être autres.
Dans nos sociétés, le contrôle des naissances, la décision relative à l'avortement sont de plus en plus du ressort des individus. Ceci permet de
comprendre comment un imaginaire social dominé par la volonté de réintégrer le handicapé peut tolérer des pratiques comme l'avortement thérapeutique : les sphères de la société principalement marquées par une responsabilité collective (par exemple la politique sociale) ne sont que faiblement touchées par les pratiques survenant dans les sphères où domine
la responsabilité individuelle (par exemple, la santé) 7. Certes, il existe une
politique de la santé et la responsabilité de la société vis-à-vis de certains
risques auxquels sont exposés les travailleurs ou plus généralement les
citoyens est parfois soulignée. Cependant nous pensons que cette approche est encore secondaire, et qu'en matière de grossesse, la tendance
est de laisser la femme ou le couple de plus en plus seuls à décider.
7 La distinction individu/sociëté
relève, selon nous, du sens commun. Dans notre société, il va de soi
qu'existe l'individu et la société, l'un étant distinct de l'autre, plutôt que dans et par l'autre ou vice
versa. D'un point de vue analytique, ce couple individU/société mériterait d'être étudié en tant que tel. Si
nous pouvons parler, sans plus d'analyse, de responsabilité individuelle et de responsabilité collective,
c'est que nous nous situons ici du côté des acteurs pour qui celte distinction est tout à fait peninente.
J.Marquet
41
Sans doute les aspirations personnelles qui guident choix et pratiques
ne sont elles pas propres à un individu, mais dans la mesure où la
dimension sociale de ces aspirations est largement occultée, les
distinctions
et actes qui en découlent apparaissent
comme des
comportements strictement individuels. Car bien que, comme le montre
Fletcher (1980), les parents qui demandent l'amniocentèse se trouvent
coincés entre leur considération pour la vie de l'enfant, 1eur désir d'enfant,
et leur attachement envers «la norme de la vie "saine" telle qu'elle se
manifeste chez des enfants sans malformation génétique», ce qui
témoigne de la dimension sociale des décisions, les individus se
reconnaissant comme acteurs autonomes. «De nos jours, on peut choisir
d'avoir un enfant bien portant» dit une mère à John Fletcher (ibid.,14e).
«Bientôt comblés, nous serons de plus en plus nombreux à n'avoir que des
enfants désirés. [... ] L'enfant devient un choix, une liberté, une
préférence. L'histoire que nous voulons vivre avec lui est une histoire de
désir et d'amour» (Peemans-Poullet, 1979 :531).
Le renvoi de la décision à la responsabilité individuelle confère à l'avortement un caractère privé. Et sur ce point, l'avortement thérapeutique
et l'exposition des infirmes chez les Grecs ou le bûcher aux sorcières du
XVIe occupent des places diamétralement opposées. L'exposition, tout
comme le bûcher, faisaient partie du domaine public. Chez les Grecs, exposer un enfant infirme, c'était le rendre aux dieux. il était signe pour le
groupe, et c'est le groupe dans son ensemble qu'il remettait en question.
Et bien que ce soit le père qui s'acquitte de la tâche, il l'exposait. Le terme
employé témoigne du caractère visible de l'acte. Au XVIesiècle, le bûcher
était au centre du village et ne pouvait être ignoré. Il sanctionnait un jugement rendu par un tribunal légalement constitué. L'avortement, par
contre, se situe du côté de la non-visibilité. Tant la pratique que le
vocabulaire contribuent à rendre l'I.V.G. discrète.
Le transfert de la responsabilité au niveau individuel, a cependant le désavantage de dévoiler le caractère construit de nos catégories de pensée.
Chaque individu peut réaliser le caractère relatif de "sa" définition en la
confrontant à celle d'autrui ; deux expériences sont mises en relation.
En ce qui concerne le handicap, il semble que les pratiques liées aux récents progrès enregistrés en biologie et en génétique aient joué le rôle de
révélateur. Entre ceux pour qui «la frontière entre le taré et l 'homme de
génie est souvent très mince» et les autres pour qui les "malformés" n'ont
rien d'humain, pour qui ce sont «des êtres qui seront peut-être des monstres, qui seront des déchets, un peu comme une chose qu'on observe dans
un bocal», des êtres «qui ne donneront jamais rien», entre ceux pour qui il
n'y a quasiment pas de handicapés, et les autres qui s'insurgent contre
42
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
«l'année d'handicapés que nous avons» 8,le fossé est suffisant pour que le
doute puisse s'installer. Et ce d'autant plus que les pratiques connaissent
un même écart, allant du refus de toucher à l'intégrité physique de toute
personne, handicapée ou non, aux avortements d'enfants ne présentant que
des malformations mineures comme l'absence de l'index à la main droite.
Cette pluralité de discours et de pratiques, pour peu qu'elle soit par trop
perceptible, est à même de ruiner les effets des rites d'institution chargés
de maintenir et de sauvegarder nos ordres de réalité, ici le handicap. «Parler de rite d'institution, c'est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à
légitimer, c'est-à-dire à faire méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire; ou ce qui revient au même, à gérer solennellement, c'est-à-dire de manière licite et
extraordinaire, une transgression des limites constitutives de l'ordre social
et de l'ordre mental qu'il s'agit de sauvegarder à tout prix» (Bourdieu,
1982 :58).
Dans notre société, le handicapé est institué en tant que tel au cours
d'un processus composé de nombreuses étapes. Les actes nécessaires à la
création d'un consensus sur l'institué fonctionnent principalement par
l'exposition de preuves: les dizaines de formulaires administratifs, les
visites médicales ... constituent autant de rites d'institution. Ces actes instaurent un ensemble de séparations. Ils séparent, par exemple, les handicapés locomoteurs dont le handicap est d'origine osseuse, articulaire ou
neurologique, des handicapés locomoteurs par lésion neurologique centrale. Les handicapés médicaux sont séparés des mentaux ou des sensoriels.
En fonction de I' étiquette, la personne désignée reçoit un montant d' allocation, le droit de travailler en atelier protégé ou en centre de jour.
Et bien que cette catégorisation des handicapés soit moins présente une
fois que l'on quitte les champs administratif et médical, elle n'en est pas
moins fondamentale. Elle tend à masquer une séparation bien plus fondamentale, à savoir celle qui distingue les handicapés des non-handicapés, et
peut-être plus encore les handicapés qui passent par ces actes d'institution
de ceux qui, quelle que soit leur situation, pourront toujours éviter
l'institutionnalisation de leur handicap.
L'acte d'institution consacre la différence; la simple différence physique de départ est montrée et reconnue. Par là, la différence physique devient différence sociale. La personne n'est plus seulement différente physiquement, elle est devenue pour elle-même et pour les autres un handicapé. «L'investiture [... ] transforme la représentation que s'en [la personne consacrée] font les autres agents et surtout peut-être les comportements
qu'ils adoptent à son égard [... ] ; et ensuite [... ] elle transforme du même
coup la représentation que la personne investie se fait d'elle même et les
8
Ces différentes citations sont reprises de Fougeroux (1980).
J.Marquet
43
comportements qu'elle se croit tenue d'adopter pour se conformer à cette
représentation» tOp.cit. :59).
Plusieurs éléments déterminent le degré d'efficacité d'un acte d'institution. Les distinctions les plus efficaces socialement sont celles qui
donnent l'apparence de se fonder sur des différences objectives, et tel est
bien le cas du handicap 9. Ensuite, un acte d'institution a d'autant plus de
force qu'il n'est pas isolé, mais intégré dans un processus marqué par la
durée : la répétition des opérations et l'étalement temporel rendent la distinction moins fragile. D'autre part, la personne instituée adhérera
d'autant plus à l'institution que les actes, les rites d'institution sont
nombreux et pénibles, ou comme c'est le cas pour le handicapé, que ceuxci paraissent découler directement d'un événement douloureux.
De ce point de vue, le fœtus malformé soulève une double difficulté.
D'une part, le consentement du fœtus, et pour cause, n'est pas demandé,
et de ce fait une des parties prenantes ne participe pas au processus d'imposition de la limite arbitraire. Le handicapé adulte qui participe aux rites
d'institution fait autant pour la reconnaissance de la limite que ceux qui
organisent le rite. Pour le fœtus, rien de semblable, il n'a pas à se comporter en handicapé. D'autre part, le processus qui aboutit à la désignation
du fœtus comme handicapé est très court. Il ne bénéficie pas des
avantages que procure un processus composé de nombreux actes étalés
dans le temps. La différence sur laquelle se fonde la distinction ne peut
plus apparaître comme objective et la limite dévoile son caractère arbitraire. Le continuum qui va du monstre à l 'homme physiquement parfait,
et qui avait été artificiellement découpé réapparaît dans sa continuité. La
production du discontinu est dévoilée.
Dans cette perspective, on peut se demander si les comités d'éthique ne
sont pas amenés à pallier les carences d'un système qui, à force de déléguer des zones importantes de responsabilité à la sphère privée, risque de
voir certaines limites constitutives de l'ordre social remises en cause.
Notons toutefois que cette délégation de responsabilité permet également
d'instituer de nouvelles distinctions (privé/non privé, fœtus/enfant né ... )
autour desquelles un nouvel ordre social vient prendre sens, de sorte qu'a
priori aucune distinction n'est, en soi, indispensable. Mais les rites d'institution jouent un rôle fondamental dans l'orientation du système social et
les luttes pour le contrôle de ceux-ci traduisent la pluralité de positions et
l'absence de consensus.
D'un point de vue théorique, il serait intéressant de s'interroger sur la raison qui fait que panni des
différences toutes aussi objectives les unes que les autres, certaines seront valorisées et d'autres non,
certaines pouvant même être tout à fait ignorées.
9
44
Recherches Sociologiques,
1991/1-2
Ainsi la création de comités de bioéthique traduit-elle la tension autour
de limites instituées ou en voie d'institutionnalisation (sain/malsain, mais
aussi vie/non-vie, patient/médecin, savoir/non-savoir, santé gratuite/santé
payante ... ).
*
* *
Essayant de comprendre l'extrême sensibilité du thème du handicap par
rapport aux questions bioéthiques, nous nous sommes retrouvé à étudier
un mécanisme fondamental de la constitution et de la préservation de tout
ordre social: le voilement de l'arbitraire. Or la contrepartie de l'arbitraire
révélé, c'est "l'illimitation" du pouvoir. La biologie et la génétique apportent avec elles "l'illimitation" du bio-pouvoir 10. Elles dévoilent le caractère artificiel du vivant; non que ce soit l'homme qui crée, mais dans le
sens où il est seul à choisir ce qu'il va être.
«L'illimitation du pouvoir de la vie sur la vie, la possibilité d'un exercice de la biopolitique affranchie de toute contrainte, voilà ce qui explique
la grande angoisse qui se manifeste aujourd'hui autour des problèmes de
procréation et de filiation. On demande des lois, des garde-fous, de nouveaux interdits, que de nouvelles contraintes prennent la place de celles
que la nature n'offre plus. [... J Plus le vivant prend connaissance de luimême par la biologie, plus il sait qu'il ne pourra en tirer aucun enseignement sur la manière dont il convient qu'il mène sa vie» (Ewald, 1985 :43).
Comme le dit F. Ewald, le social c'est l'enfant le plus légitime de la biopolitique.
Dans cette perspective, la thèse d'un registre médical second par rapport au registre social, paraît difficilement soutenable; non qu'il soit premier, mais plutôt parce qu'il est intimement articulé au registre social. Un
registre médical qui ne soit aussi social n'existe pas, et ceci est d'autant
plus vrai que ce que Stiker appelle «registre médical» est chargé de gérer
des limites indispensables au maintien de l'ordre social et de l'ordre mental.
Et dans ce sens, une logique d'intégration ne peut exister que pour autant que des différences soient, à un autre niveau, reconnues. On ne peut
intégrer que du différent. Que l'on envisage la reconnaissance, la cons-
10 L'inflexion qui a donné naissance à ce que Michel Foucault a appelé le "bio-pouvoir" remonte à l'âge
classique. C'est à cette période que l'on passe d'une société où l'existence est l'affaire du souverainil a droit de vie et de mort, il fait les guerres en son nom propre ... - à une société où l'existence est la
question biologique d'une population - le pouvoir doit produire des vies, car elles sont richesses. La
biopolitique de la population a pour fonction d'investir la vie de part en part. Voir à ce sujet, Foucault
(1976).
J .Marquet
45
truction, le maintien, la restructuration ... de ces limites, le processus qui
leur donne une consistance est de part en part marqué par le social.
Enfin, mais ceci nous emmène peut-être trop loin, il nous semble que,
au même titre que chaque société possède ses rites d'institution de la différence, une société ne peut exister sans processus intégrateur rendant
certaines limites potentielles totalement insignifiantes, voire invisibles et
donc inexistantes pour les membres de cette société. Dès lors la question
n'est plus de savoir s'il faut laisser une place à une différence spécifique,
par exemple celle qui distingue l'infirme de l'homme sain, ou au contraire
la faire disparaître, mais plutôt de se demander en quoi une limite qui ne
peut apparaître ici devient indispensable ailleurs. Une telle approche éviterait de poser la question de l'intégration des personnes handicapées sans
retour sur la société qui historiquement s'est mise à appréhender le monde
dans ces termes-là.
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M.Leleu, M.Welsch: 47-63
Le loisir comme événement. Un révélateur à
propos de l'identité, de la reconnaissance et de la
représentation sociale de la personne handicapée
par
Myriam Leleu et Marie Welsch *
L'espace/temps du loisir sen de révélateur dans cet anic1e pour une compréhension en profondeur des rapports entre personnes handicapées et non handicapées. Un premier développement concernant les conditions sociales et structurelles d'existence des personnes handicapées permet de préciser les notions
de représentation sociale et d'identité. Après un bref point de vue sur le sens de
l'intégration, le loisir est approché dans son rappen aux temps sociaux, balisés
jusqu'à présent par le travail et modulés par des valeurs en transformation: affirmation de soi, épanouissement, autoréalisation, investissement hédoniste du
corps, culte narcissique de soi. Il est présenté comme un fait social, outil
d'identification faisant partie intégrante de la vie quotidienne. n est événement,
tète, à la fois source de signification commémorative et zone de divertissement
non instituée. Enfin, le sens du loisir pour la personne handicapée est précisé
par un questionnement sur la gestion des loisirs par ces personnes: comment
être acteur de ses loisirs quand on n'est pas maître ou décideur de son projet?
Introduction
L'objet de cet article émerge d'une demande sociale portant sur le sens
et l'enjeu du loisir pour les personnes souffrant d'un handicap mental et!
ou physique. Il a pour objectif l'élaboration d'un canevas de réflexion
théorique surplombant la pratique quotidienne, et ce, au départ du suivi
d'un projet du Village nOI Reine Fabiola I à Braine-I'Alleud "Tandem,
•.Département des sciences politiques et sociales, Unité de sociologie d~ l'U.C.L.
I Centre d'adaptation pédagogique et sociale pour adultes et adolescents mentalement handicapés, fondé
en 1963 (A.S.BL.).
48
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
loisirs pour tous" La finalité de ce projet est d'intégrer les loisirs des personnes handicapées aux loisirs du "Monde", des personnes extérieures au
Village n 1, des gens "normaux" 2.
Nous n'entrerons pas ici dans une longue interrogation sur le sens du
handicap pour la société. TIest néanmoins important de rappeler une connotation globalement négative ou stigmatisante qui induit des attitudes de
rejet, de dégoût, paternalistes ou infantilisantes. De manière générale,
handicap réfère à infirme, invalide, impotent, incapable, inutile, différent,
déviant, l'Autre par opposition à la normalité, l'intégration, la participation. Ces représentations sociales ne seront pas sans influer sur un projet
qui a pour but l'instauration d'une forme de partenariat entre une organisation se préoccupant du bien-être et de l'organisation de la vie des personnes handicapées et des associations dispensant des services de loisirs à
des personnes y adhérant librement, en pleine conscience de leur choix.
Voici les idées essentielles qui ont présidé à la construction de cet article. Le loisir y est abordé dans un sens global de détente, épanouissement,
créativité, création/re-création de soi et de reconnaissance identitaire 3. TI
n'est pas vu comme une fin en soi mais comme un support, un régulateur
qui permet la construction de l'identité, à côté du monde du travail. C'est
un outil qui pourrait agir dans le sens d'un travail sur les différences. Ceci
suscite des interrogations. Comment les personnes dites normales acceptent-elles les personnes handicapées? Comment ces dernières voient-elles
les premières? Quel type de collaboration peut-on instaurer entre ces deux
mondes? Quels sont les effets des représentations sociales sur les nonnes
d'intégration ... ?
0
I. Conditions sociales et structurelles d'existence des personnes
handicapées
Pour comprendre la place et les enjeux que peut ou pourrait avoir le loisir chez les personnes handicapées, il faut repartir du contexte même, soit
leurs conditions d'existence. Dans l'approche de leur vie quotidienne,
deux conditions peuvent être distinguées :
- des conditions sociales, liées à la représentation de soi, du handicap, à
la vision du monde;
- des conditions structurelles, portant sur les modes d'organisation de la
vie en institution, sur les modalités pratiques d'interaction sociale.
2 Le point de vue développé dépasse le cadre du Village nO}pour s'étendre à la situation des handicapés
vivant en home.
3 Les modalités pratiques en sont diverses: sport, télévision, théâtre, promenade ...
M.Leleu, M.Welsch
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A. Les conditions sociales
Si les représentations sociales ont pour double fonction, selon S.Moscovici (cité par Sylvana de Rosa, 1988), la mise en ordre du réel et la communication interindividuelle et intergroupale au moyen de codes servant à
nommer et classer les différents éléments de la réalité, il en est qui "collent" tellement à la peau qu'il devient malaisé de s'en dépêtrer. La représentation sociale du handicap et des personnes qui le subissent semble
bien relever de ce phénomène.
Ainsi, à l'origine, on observe qu'un processus d'assimilation s'effectue
presque naturellement entre un attribut et un préjugé: les différences physiques ou mentales sont transformées et interprétées en différences sociales (G. de Villers, 1981). La personne handicapée, de par ses caractéristiques, devient l'incapable, l'inutile, le malade, l'anormal, le déviant, l'Autre par excellence. La représentation du handicap se construit ainsi au travers de mécanismes sociaux de désignation, produits des interactions qui
cherchent à équilibrer la balance des codes d'anormalité, de déviance face
aux codes-étalons de la normalité.
Tout est mis en place pour un véritable processus d'étiquetage, de stigmatisation qui s'attache aux personnes concernées et à l'image qu'elles
renvoient. Ceci engendre des modalités particulières de perception et de
communication réciproque entre personnes handicapées et non handicapées. Plus fondamentalement, c'est tout le problème de la construction de
l'identité et de la reconnaissance par les autres qui est mis en évidence.
C'est au nom des multiples interactions entre les individus et avec lees)
système(s) dans le(s)quel(s) nous vivons que se construit et se régularise
notre identité (Soi), et corrélativement que s'effectue la reconnaissance de
l'identité des autres (Autrui). Par un double mouvement de projection et
d'identification, chaque individu se constitue et se reconnaît, mutuellement et simultanément, à la fois comme autre, différent de soi (projection)
et comme semblable à soi (identification). L'Autrui sera tantôt reconnu
comme un ego alter, un individu-sujet, un Moi (ego) étranger au Moi (alter) ; tantôt inclus comme un alter ego, un sujet étranger (alter) semblable
à Moi (ego) (Morin, 1980). Dans cette logique d'identification, la communication entre individus ne devient réellement possible qu'au moment où
les deux partenaires se reconnaissent mutuellement comme individussujets.
Sur cette base, un constat s'impose. Personnes "normales" et personnes
handicapées sont prises dans les filets de cette logique d'identification.
Cependant, cette dernière est tronquée dès le début. Comme nous l'avions
souligné, la personne handicapée devient socialement l'Autre par excellence, mais elle demeure contrainte dans cet alter (projection). Etant marquée socialement par un attribut qui la discrédite et joue négativement sur
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
les dimensions réelle et virtuelle de son identité, elle subit une mise à distance et l'instauration de rites d'évitement 4. L'identification dérange, angoisse, elle est surplombée par la peur d'être remis en question par l'autre
perçu comme trop différent: il est celui qui ne peut pas, ne sait pas ...
«Provenant d'une expérience que nous n'avons pas, ils (ses avis, compétences, observations ... ) sont d'abord perçus comme une menace pour les
conventions sur lesquelles nous vivons et sur lesquelles est construite
notre identité» (Labregère, 1989 :27). La dissonance, l'incongruité, l'imprévu engendrent des réactions de défense et d'exclusion; on se défend
par rapport à l'incertitude des comportements et des paroles. La normalisation, les "actes rituels" participent et alimentent notre perception de la
réalité. Ils nous prémunissent contre l'accidentel pour "sauver la face" et
conserver les bases de notre identité. Ces propos rappellent ceux d'E.Goffman quant au face-à-face, aux rites d'interaction, qui mettent en œuvre la
conscience du Moi (état permanent de la personnalité de l'individu) et la
présentation de Soi (effet dramatique, médiatisé par le public) (Goffman,
1974). L'acceptation des convenances et de la normalité devient une
condition de reconnaissance de l'autre comme interlocuteur valable, fiable, équilibré et constant pour la communication.
Dès lors, l'interaction entre personne "normale" et personne handicapée
s'immobilise; le processus d'identification se déforce et l'on se cantonne
dans des représentations socialement construites (infirme, impotent. .. ) qui
tranquillisent parce qu'elles mettent à l'écart de soi, du normal. Tout se
passe dans un silence complice, presque consensuel, où l'on reconnaît que
la personne handicapée ne sait pas se constituer une identité personnelle
par elle-même.
L'identité de la personne présentant un handicap est ainsi socialement
constituée; elle est assignée presque "naturellement" à un groupe de référence unique: les Handicapés. Son identité transite par ce groupe. Celui-ci
transcende le groupe de référence du travail, l'origine sociale, les caractéristiques personnelles ... et provoque par là un appauvrissement des repères de la personne handicapée.
Cette perception est encore renforcée par l'institutionnalisation du handicap qui en organise la gestion. L'individu est pris en charge totalement
par une organisation qui dispense les services les plus divers (médical,
4 E.Goffman établit une distinction entre deux dimensions de l'identité,la
dimension virtuelle, image
que les autres se font à panic de signes symboliques, transmetteurs de l'infonnation sociale et la dimension réelle, caractère que l'individu construit à partir de ses attributs. Ces deux dimensions recouvrent
sans s'y assimiler les notions suivantes: l'identité sociale, domaine des rôles autorisés socialement et
fondés sur les attributs sociaux objectifs, l'identité personnelle, combinaison unique de faits biographiques qui s'attachent à un individu et forment sa conscience subjective de l'identité (le "Je"), c'est-à-dire
l'identité pour soi (à rapprocher de "l'irréductible Je" d'Ho Janne, 1989) définie par le sentiment de l'individu vis-à-vis de lui-même, de ses stigmates éventuels (pour plus de précisions, voir Goffman, 1975 et
Zavalloni, 1984).
M.Leleu, M.Welsch
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psychologique, aide matérielle ... ). li y a en quelque sorte visualisation du
problème par une institutionnalisation de la différence, ce qui engendre de
la part du public l'adoption de comportements d'assistance, de rejet vis-àvis de la personne handicapée qui la stigmatisent d'autant plus s. En retour, la personne se comporte en assistée, marginalisée 6. Ainsi, au travers
de ce processus d'identification par les autres, elle devient pour les autres
et pour elle-même un Handicapé et non plus une personne 7.
B. Les conditions structurelles
L'institution participe à l'image et à la représentation de la personne
handicapée. Rappelons brièvement quelques éléments constitutifs des
conditions structurelles d'existence de ces personnes 8.
Certaines institutions prennent en charge quasi toutes les activités des
individus (on y mange, on y dort, on y travaille, on s'y détend ... ). li en est
ainsi d'un hôpital psychiatrique, d'un asile, d'une prison, d'un monastère,
d'un home pour handicapés ... Malgré leurs nettes différences, certaines
homologies structurales existent quant à leurs modalités de fonctionnement et aux interactions qui s'y nouent. Celles-ci peuvent être approchées
par l'idéal-type de l'institution totale 9 qui présente les caractéristiques
suivantes (Goffman, 1968) : rites d'intégration particuliers, consécration
d'une différence; autorégulation par l'intérieur; univers clos en rupture
avec le monde extérieur; promiscuité, sphère privée réduite; contrôle et
forte visibilité; rythmique propre; assignation à un même groupe de référence ; rapports de pouvoir entre «personnel» et «reclus» ; ensemble de
valeurs, codes ... regroupés dans un discours dominant. Il en découle un
problème de constitution identitaire, l'absence de multiréférence à des
groupes de pairs, une autarcie relationnelle, un manque de distance par
rapport aux rôles sociaux contraints; l'absence de soupape d'expression
de l'émotivité, de l'affectivité ainsi que le peu de mobilité et de latitude
dans le choix des activités.
E.Servais et Fr.Hambye (1971) affinent cette notion d'institution totale
et parlent plus précisément d'organisation claustrale suite à une distinction
entre système culturel ou institutionnel et système social ou organisationS Une émission suisse sur les personnes handicapées utilise un slogan qui pone à réfléchir:
«Equilibre,
un magazine sur des gens dont on dit qu'ils sont tellement spéciaux qu'ils disent que ça les handicape».
6 Le problème est d'ailleurs
bien plus complexe: à l'intérieur même du groupe étiqueté "handicapé",
certaines personnes ont un sentiment de malaise et un comportement de rejet vis-à-vis de leur groupe
d'appartenance. De ce fait, elles recherchent des façons de se démarquer par rapport à ce groupe.
7 Dans le cas de la pratique d'un sport, on ne parlera pas d'une personne qui s'adonne à un sport mais
plutôt d'un handicapé qui éventuellement pourra s'y adonner.
8 Pour un développement
plus complet, voir G.de Villers, 1981.
(Total institution) comme un lieu de résidence, de travail où
un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une
période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et
minutieusement réglées» (Goffman,l968, p.4I).
9 «On peut défmir une institution totalitaire
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
nel. J.A.Guilhon Albuquerque rencontre cette position lorsqu'il explique
que certaines institutions n'existent que par le manque qu'elles entretiennent dans un système culturel donné. En ce sens, les modes de prise en
charge des personnes handicapées et les normes d'intégration seraient fondées sur l'idée d'une carence par rapport à une normalité légitimée par un
ordre transcendant, de type métasocial. Les personnes "normales" reconnaîtraient ainsi dans les personnes handicapées la clientèle privilégiée
d'un ordre institutionnel régi par des agents reproducteurs (ministères,
éducateurs, animateurs ... ) qui auraient pour fonction de préserver les repères culturels.
Les caractéristiques énoncées ci-dessus s'appliquent de façon variable
selon le contexte de vie des handicapés (centres de jour, homes occupationnels, hébergement en homes, appartements, maisons familiales). Le
Village nOl, bien entendu, ne se confond pas avec la description qui précède. Il s'agit d'un projet-pilote, ouvert au monde extérieur, espace de liberté relative où se pratiquent de multiples activités qui tiennent compte
du degré du handicap (atelier protégé, centre de jour, artisanat, entretien
des lieux de vie, activités d'autoproduction, voyages, sport ... ). L'hébergement y est de type convivial, dans des maisons familiales, des appartements supervisés et des studios dispersés dans l'espace du Village. Ce dernier n'est cependant pas détaché de toute caractéristique "claustrale". Par
exemple, la situation géographique, certes issue d'éléments historiques et
financiers JO, est l'indice d'une coupure avec le monde extérieur. D'autre
part, des relents de paternalisme découlant du caractère privé et de
bénévolat de l'initiative peuvent influencer les relations de pouvoir. Le
loisir quant à lui n'est jamais qu'une activité parmi d'autres proposées par
l'institution.
ll. Discussion quant au loisir
Nous avons contextualisé et souligné quelques conséquences de l'environnement immédiat de la personne handicapée institutionnalisée. Interrogeons-nous maintenant plus précisément sur sa réalité du loisir.
En général, le loisir est une activité proposée par l'organisation et non
choisie par la personne parmi un éventail diversifié. TIfaudrait pouvoir assurer au loisir sa dimension de liberté, de sociabilité spontanée de sorte
que la personne handicapée soit à même de nouer des relations d'identification naturelle. Dans un groupe organisé, elle vit des modèles fermés
voire enfermants. Une question fondamentale se pose donc: celle d'une
participation active et d'un choix individuel dans un cadre institutionnel.
Le loisir pourrait devenir ce lieu de rencontre d'autres groupes de référence et offrir ainsi des possibilités de constitution de l'identité en dehors
10Le Village nO}est sis en dehors de la ville, à côté du cimetière et de l'Institut médico-psychiatrique.
M.Leleu, M.Welsch
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des conditions habituelles d'existence. De cette façon, il s' affirmerait
comme terrain de rencontre entre personnes handicapées et non handicapées. Il reste néanmoins une utopie de base dans ce genre de projet dans la
mesure où la gestion de ces nouveaux modes de loisirs est aux mains de
gestionnaires institutionnels (cf. infra).
Afin de mieux percevoir le sens du loisir pour une personne handicapée, au-delà des conditions structurelles, il paraît important de visualiser
quelque peu le surplomb idéologique. Intégration, contexte socio-professionnel et temps libre nous paraissent, à ce propos, fondamentaux.
A. Intégration
Le problème de constitution et de reconnaissance de l'identité et les représentations sociales qui s'ensuivent, ainsi que la mise en place d'une
gestion institutionnelle du handicap alimentent la "cacophonie" autour de
l'idée d'intégration. Etymologiquement, elle signifie "rendre complet",
comme un processus qui mettrait fin à une situation antérieure de non-intégration, et au-delà, de non-appartenance (Labregère, 1989). Dans cette
perspective, la société tente, non pas de s'adapter (elle-même et son environnement), mais bien d'adapter, d'intégrer des personnes que la fatalité
naturelle a touchées. A ce propos, le mot Hand-in-cap signifie littéralement "la main dans le chapeau" et fait référence à un tirage au sort (Marquet, 1991 :34), défavorable pour certains et donc "à corriger". Dès lors,
l'objectif implicite de la ré-adaptation veut que le handicapé rejoigne la
nonne, qu'il imite les valides en gommant toute différence. G.de Villers
- repris par J.Marquet - éclaircit ce point de vue par l'exemple de la
«lutte menée par les spécialistes contre le langage gestuel des mal-entendants au profit de techniques comme la lecture labiale plus proche de
l'expression orale et donc de la normalité» (G.de Villers, 1981 :264). "Ils
sont comme les autres", dit-on, pour annihiler la différence!
Certains discours, intégrationnistes mais moins normalisateurs, jouent
sur le "droit à la différence". Cependant, corrélativement, cette dernière se
trouve reléguée dans des lieux spécifiques, à l'écart et en vase clos, répondant mieux, dit-on, à leurs besoins. Cette pratique, si elle n'entend pas être
reconnue comme un processus détourné d'exclusion et de mise à l'écart, a
pour effets pervers non seulement le renforcement du processus de stigmatisation en œuvre dans les représentations sociales, mais aussi la reproduction d'une dépendanceau détriment d'une autonomie proclamée.
D'autres mettent en exergue les rôles sociaux valorisants que personnes
handicapées et personnes valides peuvent développer dans une relation
d'adaptation réciproque. En porte-à-faux par rapport aux deux premiers
types, ces discours luttent à la fois contre la négation du handicap et contre le refoulement des handicapés dans des groupes clos. Les applications
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
demeurent cependant davantage à l'état de principes que de réalisations
pratiques. Le projet "Tandem, loisirs pour tous" fera sans doute exception.
Doit-on y voir une hiérarchisation des formes d'intégration, ou s'agit-il
plutôt de choix de société? Faut-il développer l'autonomie dans une multiplicité de lieux en milieu "normal" et lesquels? Faut-il promouvoir davantage d'espaces spécifiques aux personnes handicapées ... ? Les avantages et inconvénients se bousculent au profit d'une notion floue, presque
magique, l'intégration.
B. Temps
Le loisir est un moment du vécu, un temps socialement construit en
constante transformation. Un peu d'histoire. Jadis, on vivait un temps climatique, biologique aux cycles rythmés par la succession des saisons. Progressivement, un temps chronologique, ponctué par des rythmes sociaux
s'est mis en place: l'école, le travail, la retraite en sont les points forts. Le
vécu du temps change et notre société dite du temps libre a fortement
accru la période des loisirs en libérant du travail.
De ce point de vue, il importe d'établir une distinction entre temps contraint, obligé et temps libre. Le premier comprend travail domestique
(tâches ménagères, encadrement familial, entraide avec les voisins), activités d'autoproduction, bénévolat, études et activités professionnelles. Le
temps libre quant à lui se subdivise en deux axes: le temps librement consenti, privilégié, de créativité, moment de détente, d'investissement culturel, d'engagement politique ... ; le temps libre non librement consenti, de
la retraite, du chômage, temps omniprésent, désenchanté, vide.
Considérons le cas de la personne handicapée. Celle-ci, outre le fait
qu'elle vit un temps libre illimité et donc en grande partie vide de sens
social ou porteur d'un sens autre, subit plus qu'elle n'agit son rôle et se
situe, de par le choix dirigé de ses activités, face à du temps libre -.:...et
contraint - imposé. Or, le temps de l'individu est un temps propre. n ne
peut se résumer au temps horloge "métro - boulot - dodo", temps socialement construit. C'est essentiellement le temps du projet qui importe. Bien
que certaines personnes vivent à la marge du temps horloge (handicapés,
vieillards, femmes au foyer, chômeurs ... ) cela ne les empêche pas d'avoir
un projet temporel propre.
C. Loisir
Si le loisir occupe une place de plus en plus prégnante dans la société, le
travail demeure toutefois une valeur structurante pour l'individu. Le premier s'articule souvent en fonction du second. Cependant, l'idée même de
loisir a évolué dans l'histoire au point de s'écarter progressivement de l'épicentre travail. D'abord considéré comme du non travail, de l'oisiveté de
mauvais aloi, le loisir s'est transformé en délassement, divertissement par
M.Leleu, M.Welsch
55
rapport au rythme contraignant du travail répétitif. Aujourd'hui, il est plutôt envisagé comme une possibilité d'expression plus libre de soi, d'épanouissement en dehors des contraintes du travail, des charges familiales.
Pour cerner davantage la valeur que recouvre le loisir aujourd'hui, articulons notre réflexion autour de deux axes d'épanouissement de la personne, le niveau individuel et le niveau collectif.
1. Le loisir crée les conditions d'une libération personnelle, c'est-à-dire
les conditions d'une nouvelle forme d'affirmation de soi; c'est un temps
de réalisation personnelle, de créativité individuelle, de recherche de soi
comme individualité. C'est aussi le temps du plaisir pour soi, de la satisfaction de soi-même, où vivre pour vivre est la règle dominante; nos sens,
notre corps, nos sentiments, notre imagination, notre esprit sont alors mobilisés. C'est encore l'occasion de rechercher des formes d'autonomie par
rapport aux contraintes routinières (impression de faire ce que je veux,
quand je le veux) et ainsi de développer un projet de vie.
2. Le loisir crée aussi les conditions d'une identification sociale relativement spontanée - ou perçue comme telle - à des groupes de pairs. Je
décide de participer à tel groupe associatif (ciné-club par exemple) en dehors de mon groupe de travail. .. On assiste ainsi à une modulation des appartenances et des références : en fait, il y a multiréférence, forme d' éclectisme structurant l'individu, qui lui permet de ne pas rester cantonné dans
un monde particulier (sphère du travail, sphère politique ... ) et de se constituer une identité sociale polysémique. Celle-ci offre la possibilité de rechercher par soi-même des repères pour soi, sans que les autres ne désignent des rôles bien définis. Elle dépasse les limites du loisir: en effet,
l'individu constitue son identité à la fois dans son lieu de travail, par ses
relations familiales, ses appartenances religieuses et politiques et dans ses
loisirs. Ainsi, pour M.Maffesoli, la personne joue des rôles, tant à l'intérieur de son activité professionnelle, qu'au sein des diverses «tribus» dont
elle fait partie. «Son costume de scène changeant, elle va suivant ses goûts
(sexuels, culturels, amicaux, religieux) prendre sa place, chaque jour, dans
les divers jeuxdu theatrum mundi» (Maffesoli, 1990 :7). Ceci n'est pas
sans rappeler la mise en scène de la vie quotidienne d'E.Goffman.
Cependant, les personnes handicapées ne jouissent pas de cette multiréférence, de cette théâtralité comme moyen d'éprouver, de sentir commun
et de se reconnaître (Maffesoli, 1990 :7). En effet, elles n'appartiennent
bien souvent qu'au seul groupe de référence des handicapés, généralement
localisé en un lieu marquant et marqué. Voilà pourquoi on tente de réinsérer les travailleurs des ateliers protégés dans le circuit de production tablant sur la rencontre entre personnes handicapées et non handicapées.
Mais les logiques de productivité, entre autres facteurs, rendent la réussite
aléatoire. Alors, pourquoi ne pas miser sur le loisir pour rassembler les uns
et les autres dans une activité commune?
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Recherches Sociologiques, 1991/1-2
D. Variations sur le thème du loisir et de la fête
Le loisir est un événement, un fait de la vie quotidienne qu'il structure.
li revêt différents sens, intensités et valeurs selon 1'importance qu'on lui
accorde, la place - temps et espace - qu'il occupe, la personnalité et
1'état physique et mental de la personne concernée.
A ce propos, il nous semble pertinent de reprendre, sous le mode de
1'analogie, la grille analytique établie par Chr.Lalive d'Epinay sur la perception du loisir comme événement constitutif d'une qualité de vie pour
les personnes âgées (Lalive d'Epinay, 1983) 11.
a. Un premier processus consiste en une réduction de l'événement; on
s'aménage un temps et un espace sécurisantsd'où l'inconnu est rejeté: un
coup de téléphone, une visite, un simple repas y sont vécus comme des
événements banalisés et ne transforment pas le cours de la vie.
b. Un deuxième processus se révèle par la poursuite de 1'événement
dans la vie quotidienne et ce, de trois façons. D'abord une attitude de
spectateur face à l'événement survient dans un cadre de sécurité maximale : comme forme de vie par procuration, la télévision est un exemple typique . Ensuite une attitude d'espérance s'exprime par l'attente passive :
c'est 1'espoir d'une visite, sans action pour la provoquer. Enfm une attitude de quête revêt une dimension plus active: elle peut s'exprimer par
l'inscription dans un club sportif pour celui qui désire faire des rencontres.
c. Un troisième processus se traduit par une production de l'événementiel : soit par des créations individuelles normées (artisanat) ; soit par
des actions collectives qui procèdent d'un refus du quotidien (rejet de
toute participation aux festivités institutionnelles et collectives lié à un
refus de l'assimilation au groupe des handicapés [cf. supra note 6]) ; soit
par une fusion du routinier et de l'exceptionnel dans la fête (la préparation
des vacances s'inscrit dans la quotidienneté qu'elle fonde et ravive en rappelant le sens profond du routinier).
En réalité, la vie quotidienne ne se réduit pas au routinier. Ce sont les
pratiques des hommes qui ont donné à certains événements le statut de
banalités et la fête vient rappeler à l'homme le sens de ses traditions et de
son quotidien.
La fête, bien qu'étant un fait concret, est difficile à définir car elle fait
référence à une multitude de réalités: la fête du village, la fête de Noël ou
d'anniversaire, le plaisir de revoir un ami, la fête mythique, une partie de
pêche, les vacances, une surprise-party, un festival de musique, le cinéma
ou le théâtre.
Il Cette analyse envisage les activités sociales de l'individu
au sens wébérien de pratiques
significatives, reliées aux actions sociales d'autres individus. Les faits de la vie quotidienne se déroulent
selon une dialectique de la routine et de l'événement. La perception de l'événement différera d'un
individu à l'autre: la visite d'un voisin, ou un voyage en Asie produiront, selon les cas, l'événementiel.
M.l..eleu, M.Welsch
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Aujourd'hui, les formes du loisir, de la fête changent. De nouveaux
lieux et modes d'émergence de la fête naissent, qui rappellent son caractère vivant, imprévisible, instantané et fugitif. L'expression "société du
temps libre" est révélatrice de ce changement insidieux: le caractère divertissant est valorisé.
La fête cérémonie, phénomène sacré, ritualisé, en rupture avec le quotidien s'estompe derrière la fête divertissement, désacralisée, intégrée au
présent et se mouvant en dehors des contrôles institutionnels 12. La fête,
subversion créatrice qui tente d'innover, de renverser l'ordre s'impose
face à la fête cérémonie dont l'enjeu est un retour au temps mythique ou
fondateur. Elle apparaît ainsi de plus en plus comme une fonction libératoire, récréative et se présente comme lieu d'expression mû par des règles
propres en dehors des nonnes. Elle est alors cet espace/temps où l'excès
est permis, la transgression autorisée.
"Paire la fête" devient une possibilité plus indépendante par rapport aux
fêtes institutionnalisées. Ceci favorise, selon nous, les possibilités d'autoréalisation, la reconnaissance d'une conscience de soi en dehors du cadre
professionnel, la recherche de l'épanouissement au-delà de contraintes
culturelles en voie de perdition.
Le loisir peut donc être vu aujourd'hui comme une expression plus libre
de soi en dehors des contraintes institutionnelles dans lesquelles nous
sommes insérés (famille, travail...). Ceci conforte la pertinence d'une interrogation sur le sens du loisir pour une personne handicapée, surtout
lorsqu'elle vit dans une organisation claustrale (cf. supra) et est prise dans
des jeux institutionnels.
III. La personne handicapée face aux loisirs
Si le loisir peut devenir une source supplémentaire d'identification,
c'est parce qu'il permet la rencontre avec le "différent de soi". De ce point
de vue, la fête organisée pour un groupe particulier, en l'occurrence les
handicapés, n'aura pas le même impact que celle qui déborde le cadre
d'un groupe spécifique et s'adresse à un public large et indifférencié.
Le premier type de fête peut, dans certains cas, conduire à une situation
de reconnaissance sociale, mais elle paraît plus proche de l'extase vis-àvis de l'exploit (acte) que de la reconnaissance identitaire (personne).
Avide d'êtres exceptionnels, l'opinion publique s'extasie devant ceux et
celles qui luttent et triomphent de l'adversité, sortes de "héros positifs".
Ceci est dans la ligne d'A.Labregère lorsqu'il dit qu'«il n'y a pas de
triomphe plus emblématique que le sport des handicapés» (Labre gère,
12 Passage de la «tète essence»
à la «tète existence» (Villadary, cité par Simon, 1988, P.l8).
58
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
1989 :158) 13. La visite d'expositions en groupes d'handicapés bien serrés
ne produit pas le même éblouissement aux yeux de l'opinion publique. Il
reste cependant que ni l'exploit sportif ni la visite d'expositions ne sont
sources d'identification externe au groupe des handicapés.
Dans le cas des fêtes s'adressant à un public indifférencié, on peut
s'imaginer que «la présence médiatique des handicapés dans ces espaces
sociaux particuliers [... ] est le signe le plus éloquent de leur place dans le
champ social en tant qu 'hommes, partageant sans conteste, avec les autres
le besoin de passer de l'autre côté du miroir qui nous renvoie l'image (finalement rassurante) des pesanteurs quotidiennes ... » (Labregère, 1989 :
159). Cette vision des choses nous paraît néanmoins très optimiste dans la
mesure où elle ne semble pas intégrer les différences et étiquetages sociaux développés ci-dessus.
Pour les personnes handicapées, le sens de l'événementiel ou de la fête
diffère certainement du sens qu'on lui accorde communément. Elles situent leur idée de l'événement d'un point de vue qui leur est propre et en
référence au monde - souvent non librement choisi - dans lequel elles
vivent. La commémoration dans la fête peut n'avoir aucun sens pour ces
personnes si ce n'est celui de voir leur famille, par exemple. Et voir sa
famille aurait peut-être un tout autre sens dans d'autres conditions. De la
même façon, les personnes âgées accordent un poids différent aux événements de la vie mais ce, consciemment, contrairement aux personnes handicapées mentales : ainsi, une visite imprévue peut -elle les déranger lorsqu'elles s'apprêtent à passer une bonne soirée devant leur télévision.
L'intérêt d'un projet tel que "Tandem, loisirs pour tous" est de fournir à
la personne handicapée l'occasion de sortir d'un contexte relationnel autarcique et de pouvoir nouer des relations en dehors du cadre institutionnel. L'éventail des références et repères s'étend inévitablement dès la sortie de l'institution et permet ainsi à la personne de se formuler une identité
sociale propre. Certains, en effet, découvrent leur différence mais ne peuvent l'accepter; ils refusent la stigmatisation dont ils font l'objet et le discrédit qui l'accompagne. Ils veulent se démarquer de ce groupe unique des
"Handicapés". Les moments et espaces de la fête deviendraient des événements du quotidien sélectionnés et, de ce fait, rencontreraient de façon
plus satisfaisante l'aspiration à une identité sociale particulière et autoconstruite et donc, au temps du projet de l'individu.
En outre, dans toute communauté, des soupapes, des lieux d'éclatement,
des zones interstitielles (piette, 1988) sont nécessaires; les personnes vivant en institution ne bénéficient que trop rarement de sas de décompres13 Considérons l'exemple des personnes handicapées qui tentent de maîtriser une discipline (ne fût-ce
que la danse en chaise roulante), Celle-ci, a priori, leur est impossible en vertu de leur handicap mais ils
veulent y parvenir afm de casser ou d'améliorer l'image négative qu'ils ont vis-à-vis d'eux-mêmes et
des autres.
M.Leleu, M.Welsch
59
sion. Or, la fête rend possible l'expression du refoulé, du non-dit et permet
l'équilibre du système par l'existence d'espaces/temps où s'expriment le
trop-plein, les tensions accumulées. D'où la nécessité pour les personnes
institutionnalisées de bénéficier d'espaces de loisir librement choisis.
Cependant, des réserves doivent être formulées, En réalité, l'éducateur
est en interaction avec un groupe de personnes qui ont un projet - et nous
revenons ici à l'idée du temps du projet propre à l'individu. Si celui-ci est
rempli, on peut parler d'épanouissement relatif. Cependant, «le temps
contraint, lorsqu'il est associé à une vie entière de travail, se superpose
aux structures temporelles personnelles, voire s'y substitue, au point que
les loisirs eux-mêmes se vident de tout investissement personnel» (Beauchesne, 1988 :40). Bien souvent, le travail et le loisir sont mis en concurrence. Or, la confrontation du travail et du non-travail au projet de l'individu, à sa capacité d'identification socio-culturelle est beaucoup plus riche. De cette confrontation émerge une congruence plus ou moins grande
entre projet et vie de travail/non-travail,
La personne handicapée vit dans des structures temporelles organisées
pour elle et non par elle. Une ambivalence fondamentale apparaît ici : des
loisirs sont organisés collectivement pour les personnes handicapées par
des éducateurs qui sont en situation de travail. ils se doivent de justifier
leur fonction, d'accompagner les personnes handicapées dans leurs loisirs
et il leur est difficile d'imaginer "ne rien faire". Or, qu'en est-il des desiderata des personnes handicapées? Qu'est-ce qui, pour eux, symbolise la
fête? Les meilleurs moments de leur vie sont peut-être ceux durant lesquels il est permis de ne rien faire! Comme le montre la typologie de Chr.
Lalive d'Epinay, la perception de l'événement est différente d'un individu
à l'autre, d'une situation à l'autre. Dès lors, la fête organisée par l'éducateur peut assez rapidement revêtir une connotation d'obligation et entraîner des effets de saturation et de banalisation pour les personnes handicapées. Au-delà de ces effets pervers, intervient encore un aspect d'infantilisation de la personne que l'on cantonne dans des rôles restreints : l'analogie avec l'enfant y transparaît au travers de certaines pratiques de loisir 14.
La personne handicapée possède néanmoins un projet personnel, difficilement exprimable et peu reconnu car son statut ne lui confère ni réel
pouvoir ni légitimité sociale. Ejectée du monde du travail, la personne
âgée retraitée vit une situation marginalisée semblable. Or, tous les privilèges sont encore accordés au travail productif comme lieu de nonnali14 Quelques exemples pour illustrer notre propos. La fête. est banalisée par la répétition et l'obligation
collective :«c'est Noël, tout le monde doit fêter Noël» et ce, en de multiples endroits (home, atelier
protégé, famille ... ). Le sens de l'événement est autre pour une personne handicapée pour laquelle "faire
des courses" peut être très attractif. Néanmoins, elle ne va pas faire les achats ménagers de la semaine
mais bien s'acheter quelques sucreries et d'autres gadgets inutiles pour l'organisation
de la vie
collective. Avec des adultes handicapés, l'aspect d'infantilisation apparaît de façon évidente lors des
fêtes de Saint-Nicolas.
60
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
sation et d'intégration - même si l'on observe quelques changements
avec l'émergence de ce que certains appellent le nouveau modèle culturel
(auto réalisation, épanouissement personnel, narcissisme, hédonisme, Carpe Diem ... ). Cette constatation est en contradiction avec le vécu des personnes handicapées qui ne participent pas - ou de façon indirecte dans
les ateliers protégés - au monde du travail et ne distinguent généralement
pas temps de travail et de loisir. Elles ne profitent donc pas vraiment des
structures de loisirs telles qu'organisées dans notre société où la jouissance des produits de consommation est le résultat de la participation à
leur production. En termes d'intégration, il y a une impossibilité structurelle de base pour les personnes handicapées de se référer au modèle dominant de socialisation par le travail et donc au modèle dominant des loisirs. Cette impossibilité se révèle plus nettement à l'observation du travail
en atelier protégé. Celui-ci fonctionne sur base de deux logiques disjointes: d'une part, une logique économique qui fait prévaloir la productivité et la rentabilité; d'autre part, une logique sociale d'assistance qui agit
en fonction de modèles occupationnels où la rémunération n'est pas liée à
la productivité mais à un aspect de conformité sociale (G.de Villers,
1981 :275). La personne handicapée se retrouve dès lors coincée dans les
effets pervers des perspectives intégrationnistes (cf. supra).
En conclusion
L'idéologie dominante agit actuellement dans le sens de l'adaptation
par laquelle les individus se modifient pour épouser harmonieusement les
conditions sociales de leur milieu (Lopez, 1979). L'ordre social, fondé sur
une reconnaissance collective, organise une marginalisation extérieure à la
condition de handicapé. Ce processus d'étiquetage s'étend à d'autres
groupes de personnes infériorisées socialement. L'intégration des personnes handicapées est donc un problème plus global, qui touche non seulement ce groupe mais aussi les femmes au foyer, les' retraités, les chômeurs ... Ce qui est en cause, c'est un problème de reconnaissance sociale,
de légitimité et de légitimation.
Tout discours intégrateur comporte en lui des usages sociaux et politiques qui mettent en œuvre des pratiques de gestion et d'occultation de
l'altérité. Dès lors qu'une population est perçue comme différente, elle est
étiquetée, exclue et parfois recluse. Le champ du loisir comme terrain
d'intégration relève donc de l'utopie si l'on entend par là une reconnaissance sociale complète. Par ailleurs, les projets d'ouverture institutionnelle ne peuvent qu'élargir pour le reclus le champ de ses pratiques et l'éventail de ses repères, groupes de référence et sources d'identification. Néanmoins, ces' projets sont portés par des représentants institutionnalisés des
personnes handicapées qui font valoir un besoin. Toutefois, ce dernier estil réellement ressenti par la population concernée ou n'est-il que l'émana-
M.Leleu, M.Welsch
61
tion de la structure institutionnelle qui autojustifie par là son action? En
tout état de cause, une question majeure subsiste pour la personne handicapée : comment être acteur dans ses loisirs quand on n'est pas maître
de son projet de vie, qu'on n'a pas de pouvoir sur les conditions mêmes de
son intégration et qu'on ne correspond pas aux normes et attentes de la société globale?
La personne handicapée se meut dans un monde qui la considère, audelà de la différence, comme un "autre", défini par la mort sociale et dans
l'attente d'une finitude biologique. En quelque sorte en vacances perpétuelles, elle vit des rites d'exclusion programmés qui la place en marge des
loisirs communs et en décalage temporel vis-à-vis des périodes de loisir
du reste de la société. J.-D.Urbain conforte notre point de vue et parle, à
propos des vacanciers âgés, d'une «organisation du temps orientée par un
projet séparatiste de non-rencontre entre les deux populations que sont
désormais les Vieux et le Non-Vieux» (Urbain, 1983 :143). On peut supposer que les personnes handicapées vivent le même type de processus
d'évacuation, d'autant plus fort qu'elles ne maîtrisent pas leur devenir.
Enfin, la mise en place de structures et pratiques répondant à des besoins présumés par des personnes "normales" pour des personnes "non
normales" correspond sans doute à une nécessité de normalisation qui
cache une volonté implicite de mise à l'écart, des stratégies effectives d' évitement. De ce point de vue, l'institutionnalisation de la prise en charge
des personnes handicapées comme réponse à des besoins sociaux médiatise les rapports à la matérialité et la construction de l'identité par un
ensemble de pratiques et rites visant à nier la différence, l'altérité. Cette
institutionnalisation semble refléter un paradoxe social global: elle tente
de pallier une culpabilité collective engendrée par des lieux "à part" tout
en organisant et en justifiant la nécessité de l'existence de ces lieux afm de
ménager l'équilibre du système. Cette culpabilité sera d'autant plus affaiblie que les objectifs de normalisation et d'intégration seront réussis.
Une question plus globale surgit des prémices de cette réflexion: jusqu'où
et de quelle manière la mise en œuvre de politiques sociales censées répondre à des demandes sociales et visant à gérer les problèmes sociaux ou en tout cas ce qui est désigné comme tel- ne tend-t-elle pas à occulter
un sentiment de culpabilité collective? Ce qui peut être assuré, en tout
cas, c'est que tout mode de gestion d'un problème social procède d'un
modèle culturel à l'élaboration duquel il participe. Celui-ci engendre
quant à lui une éthique de la prise en charge productrice d'une image sociale de la population-cible, image d'une ségrégation institutionnalisée
dans le cas des personnes handicapées.
62
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
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RECHERCHE SOCIALE*
N° 116, octobre-décembre 1990
SOMMAIRE
lA TERRITORIALISATION DE lA FORMATION
PROFESSIONNEllE **
par
Catherine
FROISSART
et
François
ABALLEA
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
1. La problématique du local dans les dispositifs territorialisés
d'action concertée
12
2. Dispositif déconcentré, dispositif d'action concertée.
33
3. L'adaptation de l'offre à la demande sociale
52
Conclusion . . . . . . . . . . .
70
*
* *
Notes bibliographiques
.. .. . . .. . .. .. . .. . ... . . .. . . .
*
Abstract
*
78
*
79
* La revue Recherche Sociale est publiée depuis 1965 par la FORS (Fondation pour
la Recherche Sociale), 14, rue Saint-Benoît, 75006 Paris .
•* Ce texte reproduit le rapport d'une recherche réalisée en 1989 par la FORS et
financée par le Commissariat Général du Plan.
1.- P. Delchambre : 65-87
La construction sociale
du décrochage scolaire
par
Jean-Pierre Delchambre *
Comme d'autres "problèmes" sociaux, le décrochage scolaire fait l'objet d'une
construction sociale qui oriente sa perception selon certains degrés de liberté
par rapport à ses caractéristiques objectives. Loin de nous limiter à ce constat,
nous nous proposons d'esquisser la transaction sociale qui a produit la représentation actuelle du décrochage. Après avoir relevé quelques conditions de
problématisation qui focalisent l'attention du public sur ce fait, nous distinguons entre deux niveaux de construction de ce phénomène: la transaction interne à l'école (l'image du décrochage renvoyée principalement par les agents
scolaires) et la transaction externe à l'école (le travail des "dénonciateurs" publics condamnant la loi de prolongation de la scolarité obligatoire ou les pratiques arbitraires des agents scolaires ... ). Nous terminons par la mise en rapport
de ces deux niveaux, notamment sous l'angle de la réaction des agents scolaires
face aux mises en question dont ils soot l'objet dans le débat public.
Sans doute trouvera-t-on ici une nouvelle variation sur le thème: les
idées reçues abusent le sens commun. Ainsi, il serait faux de croire que ce
qu'il est convenu d'appeler le décrochage scolaire gagne nécessairement
et effectivement en intensité à mesure que prolifèrent les discours l'impliquant dans le débat public et la transaction sociale. La règle de prudence
au départ de la démarche sociologique, qui commande de rectifier la connaissance spontanée par une mise en suspens des jugements socialement
diffusés, reste plus que jamais indiquée au moment d'aborder un point
sensible de la politique sociale de ces dernières années.
• Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles.
66
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Contrairement à ce qui serait l'avis du "bon sens", nous pouvons poser
que l'inflation des discours et l'attention mise sur le décrochage scolaire
ne recouvrent pas le problème que l'on croit cerner par là. Soyons précis.
Loin de nous l'idée de prétendre qu'il n'y a pas de problème de décrochage scolaire. Une telle opinion serait indéfendable, farfelue, ignorante
de faits avérés et incontestables. Nous entendons plutôt mettre en évidence
le décalage existant entre le fait social "brut" et l'appréhension spontanée
qu'en a la société, dans le cadre d'une réflexion sur la construction sociale
des problèmes sociaux.
Une première hypothèse nous permettra d'introduire notre propos. Nous
pouvons ainsi soutenir, sans grand risque d'être démenti - pour l'heure,
ce risque est singulièrement minime, puisque les statistiques tant attendues, qui permettraient de constater l'ampleur du phénomène, n'existent
toujours pas! - que la décennie passée n'a pas vu s'accroître sensiblement le nombre de jeunes à la dérive hors des murs de l'école. Ce serait
bien plutôt le flux inverse qu'il conviendrait de mettre en exergue. Depuis
1983, en effet, la population scolaire aurait dû augmenter, du moins en
termes relatifs (les effectifs, pour être significatifs, devant être rapportés à
l'évolution démographique, qui est, comme l'on sait, décroissante). En dépit de l'absence de statistiques fiables, on est raisonnablement conduit à
penser que la proportion des jeunes fréquentant l'école au sein de la classe
d'âge délimitée par la barre discriminante des 18 ans doit s'être accrue subitement, au lendemain de 1983. Une raison évidente à cela: la loi du 29
juin 1983, qui prolonge l'obligation scolaire en Belgique jusqu'à 18 ans.
Ce dispositif légal mis en place, il ne devrait guère faire de doute que la
proportion des jeunes fréquentant l'école (ou un établissement assimilé,
selon une liste établie par le législateur) entre 14 et 18 ans ait grimpé d'un
seul coup plusieurs échelons. De gré ou de force, la plupart de ces jeunes
ont dû se plier à la loi. De fait, on peut dire toutefois que la proportion de
la classe d'âge respectant la norme de prolongation de la scolarité obligatoire a eu tendance à plafonner à l'abord d'un seuil indiquant la marge des
jeunes rétifs à la mesure d'assignation scolaire jusqu'à 18 ans. Envisagé
sous cet angle, le décrochage scolaire apparaît comme un phénomène résiduel, qui subsisterait à l'ombre du coup de force des pouvoirs publics,
ceux-ci étant parvenus, grâce à un acte législatif contraignant, à grossir le
flux des jeunes parcourant les filières du système éducatif.
Ce renversement de perspective ne peut que déconcerter l'opinion commune qui voit dans le décrochage scolaire un phénomène contagieux (et
par conséquent en progression constante) de défiarice à l'égard de l'école
de la part de jeunes incapables ou refusant de s'intégrer dans le système
d'enseignement. Nul besoin d'aller plus avant pour illustrer la noncoïncidence que nous évoquions entre les faits et leur perception sociale.
J.- P. Delchambre
67
Loin de nous borner à cette constatation, somme toute banale en sociologie, nous voudrions également saisir les principales composantes du jeu
social complexe qui a contribué à produire le décrochage scolaire comme
"problème" ou enjeu de société. En d'autres termes, nous allons nous interroger sur les conditions de problématisation sociale du décrochage scolaire, en veillant, comme préalable, à distinguer entre, d'une part, ce que
l'on peut conserver sous le concept de "conditions de production", ou les
causes véritables, du fait social ' et, d'autre part, les conditions de problématisation du phénomène. Nous esquisserons, à partir de la situation nouvellement créée par la loi de 1983, la transaction sociale à partir de laquelle le décrochage scolaire a pu être "socialement construit". Nous rencontrerons, d'une part, la transaction externe à l'école: elle est la plus visible, puisque vérifiant le principe de publicité de l'espace public. Peu de
temps après la prolongation de la scolarité obligatoire, une série d'acteurs
sociaux se sont mis à dénoncer le nouveau contexte créé par la loi. De leur
côté, les instigateurs de l'acte législatif ont tenté de se justifier, prenant
part à leur tour à l'opération de problématisation externe. D'autre part,
nous aurons à considérer la transaction interne à l'école : contrairement à
la précédente, celle-ci tend à rester opaque pour le citoyen, tant les professionnels du champ scolaire se méfient des incursions en provenance du
dehors. L'école, en effet, contribue elle aussi à la problématisation, notamment parce qu'elle est obligée de se positionner face au problème
émergent, et donc renvoie inévitablement une image orientée de celui-ci.
Enfin, nous évoquerons le rapport qui se joue entre ces deux niveaux de
problématisation (externe/interne) : une dialectique s'instaure entre les
rapports de force externes et la gestion interne. li sera en particulier intéressant d'observer comment les écoles réagissent face aux modes de gestion imposés ou proposés de l'extérieur par les responsables de la politique sociale ou des groupes de pression: les modes de gestion prescrits administrativement sont-ils scrupuleusement appliqués, ou plutôt réappropriés, voire détournés ou escamotés par l'institution scolaire ... ?
I Le contexte théorique actuel incite à prendre ces termes avec des pincettes. Le point de vue constructiviste, de
même - autre exemple panni d'autres - que les théories du labelling, se méfient de ces postures "objectivistes" qui prétendent saisir les mécanismes réellement à l'œuvre dans la détermination des phénomènes
sociaux. Tout en approuvant cette remise en question de l'arbitraire, le point de vue explicatif holistique s'arroge une supériorité analytique en postulant l'incapacité critique des acteurs (voir, panni les contributions récentes à ce débat, les arguments nuancés et convaincants développés par L. Boltanski, 1990). Il faut bien admettre que ce n'est pas parce que les problèmes sociaux surgissent à travers le filtre "imaginaire" d'une construction sociale, que ceux-ci se réduisent à quelques conventions relatives à leur perception sociale. Le constructivisme, jusque-là fécond, devient fallacieux (et donc dangereux), s'il ne permet pas la prise en compte, en
particulier dans une optique pratique, des conditions structurelles pesant sur le phénomène socialement perçu
comme dysfonctionnel.
68
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Le décrochage et la galère
La problématique du décrochage scolaire est récente. Il y a une décennie à peine, le terme n'était pas encore en usage. Il apparaît vers le premier
tiers des années '80, apparemment comme un symptôme supplémentaire
de la crise en cours. Il est rapidement admis dans le lexique socio-politique et dans le langage ordinaire, après que des groupes de pression
(organismes de protection de la jeunesse, associations de parents, services
juridiques ... ) aient identifié et dénoncé le phénomène. Après 1985, ce
problème social devient un enjeu suffisamment important pour que le souci d'information du politique s'accompagne de l'allocation d'un budget
pour une recherche interuniversitaire sur le sujet 2.
Si l'on se place à l'intérieur du champ scolaire, on constate que le décrochage est parvenu à s'imposer comme un des pôles d'attention mobilisant tant les acteurs de terrain (professionnels et parents) que les gestionnaires politiques. Sans doute est-il raisonnable de penser que ce nouvel
enjeu est symptomatique d'une société non seulement - hypothèse devenue banale - en voie de dualisation, mais également soumise à des dispositifs de contrôle de plus en plus sophistiqués. Avant d'introduire les ingrédients de la transaction qui a contribué à orienter la perception sociale
du décrochage, il nous faut encore présenter une circonstance qui est venue grever le contexte sociétal dans lequel s'est développée cette construction sociale du décrochage: nous voulons parler des phénomènes de décomposition sociale et des comportements de crise qui n'ont pas manqué
d'affecter les segments de la jeunesse concernés ici, ceux-ci étant d'autant
plus vulnérables qu'ils échappaient davantage aux mécanismes classiques
de socialisation mis à mal par la dissolution des appartenances de classe
traditionnelles. Cette constellation sociale qui interfère avec la question du
décrochage scolaire peut être appelée, à la suite de Fr.Dubet (1987), l'expérience de la «galère» .
Un esprit tant soit peu sagace ne manquera pas de relever la coïncidence entre la prolongation de la scolarité obligatoire et la crise de l'emploi
en Belgique; dans la première partie des années '80. Justifiée à l'origine
par des motifs positifs visant à élever le niveau de formation général de la
jeunesse, la loi de prolongation de 1983 s'est pourtant vue critiquée d'entrée de jeu pour son côté "hypocrite" : «Motivée officiellement par la volonté d'aligner la Belgique sur les autres pays européens et d'assurer une
meilleure formation des jeunes, la prolongation de la scolarité obligatoire a
en fait essentiellement pour objectif de réduire le nombre de demandeurs
2 La ligne de réflexion proposée dans cet article a pour toile de fond une recherche qui nous a permis de nous
familiariser avec le sujet. Nous n'approfondissons ici qu'un aspect quelque peu décentré par rapport au schéma
général de notre étude. Celle-ci mettait l'accent sur les processus internes à l'école favorisant le décrochage
scolaire. Voir 1.-P.Delchambre, A.Franssen, M.Leleu (sous la direction de J.Delcourt), Le décrochage scolaire,
Rapport de recherche. 1989,299 p.
J.- P. De1chambre
69
d'emploi et de compenser les effets de la dénatalité sur l'effectif des classes dans l'enseignement secondaire» (Fr.Tulkens, 1984). La préoccupation des promoteurs de cette loi était-elle purement négative, ou du moins
défensive? On peut admettre que l'intention du Ministre comportait un
essai de positivité : après tout, il était établi que la sous-scolarisation conduisait au chômage. Ce n'était donc pas uniquement par opportunisme à
courte vue, mais peut-être aussi par prévoyance que l'on entendait allonger la formation des jeunes. A cela s'ajoutait l'espoir de réduire la criminalité en maintenant le jeune dans l'école plutôt que de le laisser à la rue.
Cependant, il faut bien constater que «rien n'a été fait à aucun des trois niveaux (secondaire, primaire et maternel) pour que l'institution scolaire pût
s'adapter aux nouvelles situations qu'allait engendrer la loi» (M. Leurin,
inspecteur, ex-chargé de mission auprès du ministère de l'Education nationale, 1985). C'est sur base de ce constat que l'on peut poser la question:
«Mais peut-être cette loi n'était-elle pas inspirée par des préoccupations
pédagogiques ?» (ibid.). Quoi qu'il en soit, il faut admettre le poids de la
conjoncture de crise sur la décision de prolonger la scolarité obligatoire.
Mais il y a plus. Pour ce qui intéresse notre point de vue, il faut aussi
prendre acte de l'incidence du chômage, du désœuvrement des jeunes, de
l'expérience de la "zone" ou de la "galère", dans la construction sociale du
décrochage scolaire. En quelques années, on est en effet passé d'une configuration sociétale globalement peu insécurisante, où la contrainte (légale)
à la scolarisation n'existait pas au-delà de 14 ans, et où les jeunes trouvaient de l'embauche sans trop de difficultés, quand ils n'optaient pas
pour une modalité d'apprentissage extra-scolaire (apprentissage informel,
"sur le tas", dans une entreprise familiale ou de petite dimension), à une
configuration autrement anxiogène, socialement pénible et culturellement
dépressive. Avant de connaître la figure du décrocheur, la conscience collective (autre dénomination de l'esprit du temps) a retenu celle du chômeur. Le décrocheur a d'ailleurs été conçu originellement, lui aussi, comme une victime de «l'exclusion» (voir le très significatif Cahier noir de
l'exclusion scolaire, publié dès 1984 par les A.P.A.J.I., l'Atelier Marollien
et D.E.F.I.S.). C'est dire que le décrocheur paraît appartenir, à l'origine, à
cette configuration marquée par la figure centrale du chômeur - figure
emblématique, hautement visible, de la pénibilité de la vie en temps de
crise. Sans doute une part de la luminosité blafarde du personnage du
chômeur a-t-elle déteint sur le décrocheur ... Toujours est-il que c'est dans
ce faisceau blême que ce dernier semble recevoir une première visibilité
sociale. Né dans les miasmes de l'atmosphère de crise, le décrochage
scolaire n'en est encore là qu'à son premier stade de développement. Nous
70
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
croyons plus fécond de placer ensuite la transaction sociale qui va dessiner
ses traits actuels, non plus sous le signe de la crise, mais de la mutation 3.
Un problème social aux contours imprécis
Tout problème de société fait l'objet, en dehors même de la prise en
considération de sa gravité soi-disant réelle ou objective, d'une construction sociale, qui focalise à un moment donné l'attention de l'opinion publique sur cette problématique ainsi sortie de l'insignifiance. Comme l'exprime M.Hubert (1988), «Ce n'est pas tant la nature présumée d'une condition qui fait que les acteurs en font ipso facto un problème social mais
bien plutôt les significations que ceux-ci conviennent de lui accorder à
partir du contexte dans lequel ils se trouvent et de l'interaction qui régit
leurs échanges». L'eau du robinet ou l'eau de baignade, peuvent être infestées des pires bactéries, cette forme de pollution ne devient "problématique" - et donc enjeu social- qu'à partir du moment où une série d'acteurs légitimés pour dénoncer le phénomène (les spécialistes, relayés par
des groupes de pression, puis par des agents politiques ... ) interviennent
sur la scène publique. Auparavant, c'est en toute quiétude que l'on buvait
l'eau de ville impropre ou qu'on laissait barboter les enfants dans une mer
polluée. Pour qu'un phénomène social émerge et soit perçu sous la forme
d'un problème, il faut donc des dénonciateurs. TI n'en va pas autrement
dans le champ scolaire où la loi de prolongation de la scolarité obligatoire
a joué un rôle catalyseur: la loi de 1983 a en effet permis d'officialiser, de
porter sur la scène publique, et de légitimer l'expression d'activités revendicatives autour de l'enseignement obligatoire jusqu'à 18 ans, et de sa
face sombre, les jeunes "inadaptés" qui, plutôt que de subir la contrainte
légale, décident de déserter ou de se faire mettre en marge de l'école.
La loi de prolongation de la scolarité obligatoire a donc constitué le
principal cheval de bataille des dénonciateurs du décrochage scolaire.
Nous l'avons dit, elle a été démasquée comme un subterfuge permettant,
sous couvert d'un souci pédagogique, de retarder l'entrée d'une classe d'âge sur le marché de l'emploi en pleine récession. Des acteurs à forte légitimité, ainsi des magistrats, sont intervenus pour condamner cette loi tout
à la fois «inique, inapplicable et dangereuse» 4 : 1°) inique, étant donné les
attentes paradoxales d'une société qui maintient en état de dépendance
3 Encore qu'il faille rappeler, par précaution, que les configurations
envisagées ne sont jamais pures ; éléments
de crise et éléments de mutation sont toujours mêlés, selon des dosages différents qui justifient des appellations
qu'il faut concevoir sur un mode, disons idéal-typique. A propos du débat "crise ou mutation 7", voir le texte séminal de Touraine, 1976.
Nous nous basons notamment ici sur les propos tenus par Madame G. Dom, Juge de la Jeunesse à Charleroi,
au COUIll de la journée annuelle d'étude et d'information du Comité de Contact des Organismes d'Aide à la Jeunesse (27 janv. 1989), repris in "Le décrochage scolaire. Causes et remèdes", Contact, n° 5, Bruxelles, avril
1989, pp.37-40.
4
J.- P. Delchambre
71
économique des jeunes par ailleurs submergés par des incitations à consommer des produits spécifiquement ciblés sur eux ; inique aussi parce
que cette loi n'est d'aucun poids dans la résolution de ceux qui décident
de poursuivre leur scolarité et enfin parce que, en conséquence, elle s'avère uniquement coercitive (bien que, semble-t-il, de facto peu dissuasive)
pour les jeunes "à la traîne" que l'on voudrait maintenir contre leur gré à
l'école, en dépit parfois d'un vécu scolaire et social passablement
délabré; 2°) inapplicable: dans certains cas de décrochage ou de renvoi
en cours d'année, le jeune exclu, surtout s'il est chargé d'un passé scolaire
erratique, se voit fréquemment opposer un refus d'inscription dans un
nouvel établissement; ces difficultés de réintégration rendent évidemment
encore plus pénible l'intervention du juge de la jeunesse S ; 3°) dangereuse: le magistrat qui est amené à «rappeler une loi qu'il sait inapplicable» à des jeunes «qui n'ont pas toujours la possibilité de faire la
différence entre ce qui est essentiel et ce qui est accessoire» ressent un
malaise lorsqu'il doit tenir au jeune un tel discours: «Tu ne peux pas voler, tu ne peux pas violer, tu ne peux pas tuer; si tu le fais, tu ne respectes
pas la loi. Et tu dois aller à l'école jusqu'à 18 ans, car si tu ne le fais pas,
tu ne respectes pas non plus la loi...» 6.
Mais quels autres arguments peuvent être évoqués dans la "dénonciation" du décrochage scolaire, à côté de cette mobilisation contre la loi
de prolongation de la scolarité obligatoire? Il est à noter que si cet acte législatif crée un nouveau contexte dans lequel le problème du décrochage
prend une signification sociale, il demeure sans incidence, hors d'une
perspective constructiviste, sur la question structurelle de l'inadaptation de
certaines couches de la jeunesse à l'école (ou de l'école à cette partie de la
jeunesse ?). Bien entendu, nous le verrons bientôt, les intervenants dans la
transaction sociale autour du décrochage scolaire ont trouvé d'autres
griefs ou motifs de dénonciation: l'absence de mesures pédagogiques ou
institutionnelles visant à "accrocher" le jeune à l'école, les pratiques discrétionnaires de certaines directions d'école, voire de certains agents éducatifs, l'état de délabrement dans lequel est laissé l'enseignement professionnel et l'incompétence ou l'absence de motivation de professeurs qui
ne sont pas formés dans ce sens et qui ne désirent pas affronter les segments les plus vulnérables de la jeunesse scolarisée, etc. Face à un problème aigu et polymorphe, les arguments ne manquent pas. Pourtant, si l'on
inverse la perspective, on constate que la complexité est surtout un obstacle à une perception sociale non déformée du phénomène. Encore nous
exprimons-nous ici par euphémisme! Force est en effet d'admettre, lorsS En outre, il est à peine besoin de souligner que cette attitude intransigeante de la part des directions d'école est
en contradiction flagrante avec le droit à l'éducation, garanti dans notre pays par des textes de loi fondamentaux, et repris dans le Pacte scolaire.
6Madame le Juge de la Jeunesse G. Dom, ibid.
72
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
que l'on tente de faire le point sur ce que la perception sociale retient du
phénomène du décrochage, que le "tableau de réalité" ainsi constitué est
pour le moins rudimentaire. Il en est d'ailleurs de même de la perception
médiatisée par les "dénonciateurs" à légitimité quasi-officielle, tels par
exemple les organismes de protection de la jeunesse, les associations de
parents, les centres P.M.S. 1, les magistrats, etc. Témoin du caractère imprécis de la représentation sociale du décrochage scolaire, la limitation des
indications rassemblées en cours de recherche et issues des instances parmi les plus compétentes dans la définition du problème :
-l'âge moyen des jeunes concernés par le décrochage se situerait entre
15 et 17 ans (cf. C.P.J. 8, services de police, etc.) ;
- «sur le plan de la répartition de la population, jeunes belges et immigrés se répartissent équitablement en ce qui concerne le désinvestissement
scolaire» (c.P.J., 1984) 9 ;
-Ies étapes du cursus scolaire les plus exposées au risque de décrochage
seraient les deuxième et troisième professionnelles (cf. entretiens avec directeurs d'école, responsables de centre P.M.S., etc.) ;
- l'information la plus fiable, confirmée par la plupart des intervenants,
concerne les variations saisonnières des exclusions scolaires, qui connaîtraient des pointes importantes après le r= octobre et le 5 janvier, "dates
fatidiques" auxquelles les directions d'école transmettent au ministère
leurs chiffres de population, donnant droit aux ouvertures de classes (cf.
normes d'encadrement) et aux subsides perçus par élève inscrit. Il faut
toutefois préciser que cette information ne fait pas le partage entre les délestages par décision de l'institution (renvois), et les décrochages proprement dits, résultant d'une décision du jeune (auto-exclusion) ;
- enfin, la donnée de perception sociale la plus incertaine, de façon significative, concerne l'ampleur ou simplement l'ordre de grandeur à accorder au phénomène du décrochage scolaire. Si l'on prend à nouveau
pour référent les estimations des instances les mieux placées pour "formaliser" la représentation sociale du phénomène, on constate avec un mélange d'amusement et d'effarement que la plus consistante des tentatives
de quantification réalisée à ce jour remonte à ... 1982. Il s'agit d'une louable mais modeste enquête menée à l'époque par le Comité de Protection
de la Jeunesse de Bruxelles (c.P.J., 1984, appuyé ensuite par C.P.J., 1985)
auprès d'écoles secondaires de l'agglomération bruxelloise, qui fournit
une estimation du taux de rupture de scolarité (décrochages et délestages)
dans ces écoles de l'ordre de 10 à 15 % (il est d'ailleurs piquant de relever
1Centres P.M.S. ou C.P.M.S. : centres Psycho-Médico-Sociaux.
8 Comité de Protection de la Jeunesse.
9 En l'absence de spécification, on suppose que la répartition par nationalités fournie par le C.P J. est exprimée
en grandeurs absolues et non relatives - ce qui ne permet pas de trancher la polémique à propos de la sur-représentation des étrangers parmi les décrocheurs ...
J.- P. Delchambre
73
qu'en fait cette enquête, du moins dans sa phase de collecte des données, a
été réalisée avant la loi de prolongation de la scolarité obligatoire).
Le flou qui entoure finalement la représentation sociale du décrochage
scolaire n'est pas fait pour déforcer le point de vue constructiviste. Reconnaître qu'un problème social n'a pas besoin de formes précises pour constituer un enjeu de société conduit ipso facto à admettre le postulat d'une
"élasticité" de la construction sociale d'un fait par rapport à ses propriétés
objectives. Une telle vue incite à rapprocher la transaction sociale et symbolique productrice de la représentation du "problème" davantage des
conditions de problématisation que des conditions de production réelle du
fait social.
Conditions de problématisation
du décrochage scolaire
Par "conditions de problématisation", nous entendons ces circonstances
qui ont contribué à focaliser l'attention des agents sociaux et de l'opinion
publique sur le phénomène du décrochage scolaire. Ces conditions sont à
distinguer, au moins sur le plan analytique, des facteurs qui tendent à expliquer l'abandon de scolarité par certains jeunes. Si certaines conditions
interviennent à la fois dans la problématisation et dans l'explication du
phénomène, il en est d'autres qui pèsent d'un poids plus important ici ou
là, ou même qui n'opèrent que dans un seul des deux registres. En particulier, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans est un argument communément invoqué pour rendre compte de la croissance (supposée) du décrochage scolaire depuis 1983. Pourtant, on ne peut pas dire à
proprement parler que l'allongement de la scolarité obligatoire provoque
l'abandon de scolarité de certains jeunes; en revanche, elle met en
évidence l'inadéquation de ces jeunes avec l'école qu'ils sont contraints
légalement de fréquenter jusqu'à 18 ans ... En d'autres termes, sans cette
mesure de prolongation de la scolarité obligatoire, le problème posé à travers la transaction sociale ne serait certainement pas le même ; pourtant,
cet acte législatif n'a aucune incidence sur les fondements sociaux du phénomène de l'abandon scolaire, déjà existant avant 1983. A dater de l'installation du nouveau contexte légal, le "problème" deJ'inadaptation scolaire, jusque-là bien réel encore que banalisé socialement, prend une forme
inédite, et rapidement alarmante : les jeunes qui échappent à la contrainte
légale entrent en situation d'illégalité. Le décrocheur est non seulement
pénalisable judiciairement mais, en plus, il n'est pas employable régulièrement. Le jeune qui recherche son indépendance avant 18 ans n'a donc
plus la possibilité de participer à la vie économique : il est en fait forcé,
sous peine d'être sanctionné judiciairement, de rester dépendant de ses parents et de l'institution scolaire. La loi de prolongation de la scolarité obligatoire apparaît bien comme la principale condition de problématisation
du décrochage scolaire. Mais il en est d'autres qui contribuent également à
74
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
accroître et à orienter la visibilité sociale du phénomène. En voici un bref
aperçu, modestement indicatif:
- l'allongement de la période de transition (ou de "flottement") avant
l'insertion professionnelle, qui s'accompagne d'une dépendance socioéconomique du jeune, n'est qu'un phénomène parmi d'autres qui brouille
les repères socio-culturels d'une société en phase de mutation;
- des contradictions peuvent être perçues dans le statut de l'adolescent,
à qui l'on accorde de plus en plus d'autonomie (ainsi sur le plan formel:
avancement de la responsabilité politique, juridique, etc.), mais que l'on
maintient de force dans le champ scolaire structuré en fonction de principes relativement autoritaires et passablement déresponsabilisants ;
-le discours sur le relèvement des exigences de l'école ("le niveau
monte") qui, par un effet "d'apitoiement social", accroît l'inquiétude de
l'opinion et des agents sociaux à propos des difficultés rencontrées par
certains jeunes moins favorisés;
-la perception de l'évolution technologique et de la déqualification relative qui en découle, provoque un effet de découragement (eà quoi bon
étudier dans une école dépassée par le rythme des innovations ?») dont les
répercussions sont similaires sur la construction du décrochage scolaire ;
- la perte de leurs repères socio-culturels par certaines positions sociales
déstabilisées et menacées de régression par la mutation générale en cours
modifie la perception de la jeunesse dans ces franges de la population (<<la
jeunesse n'est plus ce qu'elle était») ; le jeune semble plus imprévisible
qu'autrefois (voir également l'incidence de cette représentation anxiogène
sur les agents éducatifs les plus fragilisés, en particulier certains enseignants du professionnel qui subissent leur affectation comme une relégation sociale ... ) ;
- dans le même ordre d'idées, certains réflexes "sécuritaires" peuvent
amplifier le danger représenté par les jeunes à la rue, même si leur nombre
n'augmente pas forcément (du moins on n'en sait trop rien ... ) ;
-les réactions racistes de rejet des immigrés interviennent dans le même
sens : on sait que la:fixation sur la couleur de la peau ou sur l'attribut ethnique dispense de se préoccuper encore sérieusement de l'évolution des
flux migratoires ...
Nous ferons l'économie, dans cet article, de la prise en compte des
"conditions de production" du décrochage scolaire. Cette dimension du
problème, certainement cruciale - surtout d'un point de vue "propositionnel" - nous mènerait trop loin en dehors du cadre de notre réflexion
sur la problématisation sociale du décrochage 10. Les conditions de contexte qui entourent cette problématisation suffisent, étant donné notre objectif
10Nous renvoyons bien entendu à notre rapport de recherche (op. cit.), consacré prioritairement à fournir une
explication du décrochage scolaire, assortie, dans la mesure du possible, de propositions de remédiation.
1,- P. Delchambre
75
de départ, à camper l'environnement à l'intérieur duquel nous allons à
présent esquisser la transaction sociale qui a contribué à produire la représentation socialement diffusée du décrochage scolaire.
La transaction interne à l'école
Nous irons droit aux logiques qui informent les activités des agents les
plus efficaces dans la production sociale du problème du décrochage à
l'intérieur de l'école. La centration sur le rôle joué par les agents institutionnels nous permettra en effet de restreindre notre analyse Il. Ces agents,
qui regroupent les directions d'école, mais également les enseignants et le
personnel administratif 12, sont forcés, par responsabilité professionnelle,
de se positionner face au problème latent de l'inadaptation scolaire de
certains segments de la jeunesse, et, par-là, de rendre manifeste le
phénomène du décrochage scolaire en même temps qu'ils renvoient une
certaine représentation du problème. La perception du décrochage par les
agents institutionnels incorpore le plus souvent deux schèmes mentaux caractéristiques et complémentaires. D'une part, les agents institutionnels
ont tendance à externaliser la causalité du phénomène. Pour eux, l'école
n'est pas le lieu des déterminations premières de l'inadaptation scolaire :
le jeune viendrait avec une série de "handicaps" que l'école, malgré parfois des efforts de formation compensatoire (rattrapages, etc.), est finalement conduite à sanctionner de façon irréversible (échec, redoublement).
Le thème de la distance séparant le bagage socio-culturel du jeune de la
culture scolaire est dès lors inséparable, chez ces agents, d'un réquisitoire
contre les "influences néfastes" subies par le jeune à l'extérieur de l'école
(dans sa famille, à la rue, devant la télévision, etc., selon des modalités de
composition diversifiées: par exemple, l'influence du groupe des pairs
dans et hors de l'école est perçue comme inversement proportionnelle à
l'emprise de la famille ... ).
D'autre part, les agents institutionnels présentent habituellement un tableau dans lequel l'inadéquation des jeunes à l'école et finalement le déIl Les interactions entre partenaires de la situation scolaire (profs/élèves ...) mais aussi les rapports entre pairs,
quoique décisifs dans la production effective du problème de l'abandon scolaire, ont une incidence moins directe sur la problématisation du phénomène, sans doute parce que parveuant plus difficilement à un niveau de visibilité sociale (cf. infra: transaction externe). Pour une analyse plus fouillée du système d'interactions scolaires,
nous renvoyons à notre rapport de recherche, op cit. Signalons que J. Remy et M. Saint-Jacques (1986) fournissent les principes d'une analyse transactionnelle au sein de l'école.
12 La non-distinction entre les agents éducatifs et leurs supérieurs hiérarchiques est à bien des égards intenable
(voir p. ex. l'effet délétère des "contrôles tâtillons" et "infantilisants" de certains directeurs ou inspecteurs [cf. J.
Liesenborghs, 1990]). Nous pouvons la maintenir ici, par souci de simplification, à condition de limiter notre
objet d'analyse aux établissements scolaires "déclassés", durement frappés par les problèmes de l'inadaptation
scolaire et, de surcroît, points d'atterrissage d'agents éducatifs déçus par leur carrière professionnelle (affectation dans le professionnel vécue comme une relégation, techniciens passant dans l'enseignement après avoir
échoué dans le privé, etc.), Dans de telles conditions, la plupart des agents institutionnels ont bien le sentiment
de se trouver "dans la même galère".
76
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
crochage scolaire sont dus à des "déterminations lourdes" qui correspondent aux variables socio-démographiques classiques: position sociale, origine ethnique, niveau de vie, caractéristiques de l'habitat, mode de vie des
parents, etc. L'accent est mis de cette façon sur la précarité des conditions
matérielles d'existence, sur le degré d'inculture du milieu familial, ainsi
que sur la pauvreté du langage (dans des termes proches des théories de B.
Bernstein sur le code linguistique restreint des classes populaires) ou sur
la vulnérabilité sociale de ces jeunes attirés par la délinquance, etc. Un tel
discours peut étonner de la part d'agents encore portés, il n'y a guère, à
idéaliser le rôle, la "mission" de l'école, en minimisant le poids des contraintes extra-scolaires. Nous pourrions appeler humaniste le modèle qui
inspirait de tels discours idéalistes ; on le trouve à l' œuvre, déjà parfois à
partir de la seconde moitié du XIX" siècle, et en tout cas pendant les deux
premiers tiers du xx" siècle, aussi bien dans l'école publique, "républicaine" en France, que dans l'école confessionnelle, certes avec des nuances ...
Ce renversement de ce que l'on pourrait appeler, sans accent péjoratif,
l'idéologie des agents scolaires, traduit assurément un nouveau fatalisme
face aux difficultés d'intégrer à l'école une fraction importante de la jeunesse actuelle. Ainsi les agents scolaires insistent-ils sur la disproportion
radicale existant entre les leviers d'action et les moyens dont ils disposent
pour lutter contre le désinvestissement des jeunes à l'école, et le caractère
massif, insurmontable, des problèmes auxquels ils ont à faire face.
Nous disions que ces deux traits de la perception des agents institutionnels - la tendance à rejeter en dehors de l'école la causalité du décrochage, et à la faire correspondre à des déterminations sociales massives étaient complémentaires. En effet, ils contribuent à désimpliquer l'institution scolaire et ses agents de la responsabilité du décrochage scolaire, en
imputant sa production au niveau des réalités sociales les plus contraignantes et par conséquent aussi les plus difficilement modifiables. Cette
représentation renvoie ainsi par la même occasion une image fataliste du
décrochage scolaire, en tant que phénomène implacable et irréductible à
moins de transformerles structures sociales les plus inflexibles, ce à quoi
nos modes de pensée politiques ne nous ont plus habitués depuis la prétendue faillite des idéologies ... Cette perception du décrochage scolaire
par les agents scolaires n'est pas inéluctable. Un tableau plus nuancé devrait inclure ce fait qualitativement décisif selon lequel les agents institutionnels qui ont tendance à internaliser les causes du décrochage ainsi qu'à
identifier un niveau de causalité accessible à une action de moyenne portée (sans qu'il soit question, évidemment, de gommer le niveau bien réel,
mais difficilement "opérationalisable" parce que peu discriminant 13 des
13 I.-E. Charlier, au départ de notre recherche, nous acculait à la réflexion suivante: «Dans une même école,
une même classe, à conditions sociales et familiales comparables, comment se fait-il que d'aucuns s'évadent,
quand les autres restent dans les limites du permis ?» (note de travail interne).
1.- P. Delchambre
77
"déterminations lourdes") sont aussi ceux qui réussissent le mieux, effectivement, à réduire le phénomène du décrochage, c'est-à-dire à "accrocher" leurs élèves. Au passage, on constate que la construction sociale de
la réalité oriente l'action bien concrète que l'on peut mener dans le cadre
de cette réalité construite. Toutefois, sous l'angle de la problématisation
sociale, la représentation "extemalisante-fataliste" du décrochage scolaire
nous paraît beaucoup plus prégnante. Nous pouvons ajouter, sans que cette remarque ait valeur de représentativité statistique, que dans les établissements que nous avons visités, ce type de discours était véhiculé par les
directions ainsi que par la majorité des enseignants. Parmi ces derniers, la
plupart correspondaient, sans qu'il soit besoin de tellement grossir le trait,
à la figure du prof "démotivé", désabusé, parfois aigri, vivant son affectation sur le "front" de la lutte contre les difficultés scolaires comme une relégation, et en tout cas rarement préparé à affronter - et l'on sait que
dans pareil cas, ce mot n'est pas trop fort - une classe de jeunes "défavorisés", retardés scolairement, indifférents sinon hostiles à l'école.
Cette acceptation et cette naturalisation de l'image "extemalisante-fataliste" du décrochage scolaire par bon nombre d'agents internes à l'école,
va avoir une incidence sur la gestion des cas de décrochage, et même plus
largement encore sur l'attitude de l'institution face aux jeunes potentiellement en rupture de scolarité. Sans entrer dans les détails, nous pouvons
relever cette tendance des écoles, apparue au cours de la décennie passée,
à se délester sans beaucoup de gêne des élèves jugés menaçants ou dangereux pour l'ordre scolaire - qui est surtout, d'après notre regard, un ordre
disciplinaire! - ou simplement inadaptés par rapport au niveau d'exigences de l'établissement. Dans le premier cas, la forme la plus courante de
délestage est le "renvoi pour motifs disciplinaires" ; dans le second cas, le
renvoi est déguisé en une réorientation forcée, dans une filière au rabais ou
dans une institution d'accueil parallèle, spécialement conçue pour recevoir
les jeunes incapables de fréquenter les filières classiques (général, technique, professionnel) du système d'enseignement. Le développement récent
de ces institutions parallèles (par exemple l'enseignement spécial ou les
C.E.H.R.) répond bien entendu à un souci de cohérence de la part du législateur. On ne peut imposer la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans sans prévoir des lieux adéquats où recevoir la minorité de jeunes qui ont plus besoin d'un traitement psycho-motriciel ou d'un travail d'assistance sociale
que d'un encadrement pédagogique tel que celui fourni dans les filières
classiques d'enseignement. L'inflation des délestages opérés par les établissements scolaires peut apparaître, dans cette optique, comme un effet
pervers de l'aménagement de cette zone-tampon destinée à empêcher le
déversement des éléments "défectueux" hors du système d'enseigne-
78
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ment 14. Formellement parlant, le délestage se distingue du décrochage.
Toutefois, sous l'angle de la problématisation sociale, ces deux thèmes
sont régulièrement amalgamés, principalement dans le chef des agents sociaux qui dénoncent certaines pratiques irrégulières des institutions scolaires envers les jeunes. C'est ainsi que le décrochage scolaire, associé à la
question du délestage, a pu constituer un point de cristallisation dans la
transaction externe à l'école, mobilisant en particulier des intervenants qui
revendiquaient la reconnaissance des droits des élèves à l'intérieur de l'école.
La transaction externe à l'école
On peut répartir la multiplicité des interventions externes à l'école
ayant trait à la problématisation sociale du décrochage scolaire selon deux
constellations principales. La première, que nous avons déjà abordée, regroupe les arguments échangés par les adversaires et partisans de la loi de
prolongation de la scolarité obligatoire. Condamnations de fond ou critiques démasquant des motifs inavoués de cet acte législatif ont obligé les
promoteurs et les défenseurs de cette loi à réagir et à se justifier aux yeux
de l'opinion publique. Dans ce débat, où l'éclat des dénonciations a pourtant porté ombrage aux témoignages de bonne foi, aux explications embrouillées ... ou aux stratégies de diversion des responsables politiques,
chacun semble être resté sur sa position, dans l'attente d'une modification
du statu quo, à ce jour improbable: rien, en effet, n'annonce une remise
en question du régime de l'obligation scolaire jusqu'à 18 ans. Par ailleurs,
étant donné les contraintes budgétaires actuelles, peu pourrait être fait en
faveur tant d'un meilleur encadrement pédagogique des jeunes obligés de
fréquenter l'école jusqu'à un âge "avancé", que d'un rapprochement du
système éducatif des réalités nouvelles d'une société en phase de mutation.
Rapidement cependant, les instances dénonciatrices ont pu trouver un
autre terrain propice à une activité revendicative autour de la question du
décrochage scolaire. Ce sont principalement des organismes de service juridique ou de protection de la jeunesse, mais aussi parfois des magistrats,
voire des associations de parents, qui ont commencé à focaliser l'attention
du public sur certaines pratiques abusives ou irrégulières des établisse-
14 Il Y a un effet indésirable, d'après la vocation première de ces institutions parallèles, de croissance incontrôlée des flux dirigés vers elles. Mais si l'on fait éclater cette perspective, il est clair que la question posée est
beaucoup plus complexe et rejoint en quelque sorte la crise que DOUS évoquions précédemment du modèle "républicain-humaniste" de l'école. Comment obliger toute une classe d'âge jusqu'à 18 ans, tous milieux sociaux
confondus, à fréquenter une école encore conçue selon les orientations du modèle culturel industriel et bourgeois ? Certaines structures parallèles, faiblement institutionnalisées, parviennent ainsi à remplir une fonction
d'enseignement différencié à travers une série de compositions, d'aménagements, d'innovations rendus possibles à la base précisément grâce au faible niveau de formalisation de ces structures.
J.- P. DeIchambre
79
ments scolaires dont les jeunes seraient victimes. Ont ainsi été mis au jour
des aspects de ce que l'on pourrait appeler la violence institutionnelle qui
imprègne les rapports des agents scolaires aux élèves dans certaines situations : sanctions disproportionnées par rapport aux faits reprochés, renvois
pour motifs futiles ou pour des raisons d'ordre pédagogique, sanctions collectives, absence de garanties procédurières lors de l'accusation d'un élève
ou non-respect des procédures lorsque celles-ci existent, confusion des registres scolaire et disciplinaire (dans un sens comme dans l'autre), refus
d'inscription en cours d'année, etc. Une remarque s'impose ici sur le statut de ce type de transaction. Cette dénonciation, de la part d'agents externes à l'école, de pratiques ou de mécanismes internes au champ scolaire, met naturellement en contact les deux versants (externe/interne) du
processus de problématisation sociale du décrochage. Toutefois, pour
l'heure, nous n'envisageons que la manière dont ces instances dénonciatrices rendent publiques certaines "injustices" ou du moins certains faits
interpellant notre raison pratique (notre conscience ajustée aux standards
normatifs de notre société), jusque-là trop bien confmée dans le champ
scolaire. Ce qui justifie que nous placions ce point au centre d'une seconde constellation de transactions externes à l'école. Le rapport entre
transaction externe et transaction interne sera abordé dans le point suivant,
particulièrement à travers la prise en compte des réactions des agents scolaires face aux mises en cause de l'école par ces "dénonciateurs publics".
Nous nous proposons d'envisager quelques situations parmi les plus typiques, et pour fmir exemplaires, qui servent à asseoir la légitimité des récriminations des agents contestataires. Les principaux motifs de dénonciation des pratiques discrétionnaires de la part des institutions scolaires
peuvent être repérés dans les cas suivants :
- «Alain est inscrit depuis septembre dans une importante école de la ville de Bruxelles. TI est âgé de 13 ans. Le 21 octobre, le sous-directeur lui signifie son renvoi
pour motifs disciplinaires. Le C.P.M.S. n'est au courant de rien. Le garçon annonce
lui-même à son père son exclusion de l'école. La visite rendue par le père à
l'école ne modifiera en rien la décision. Toutes les écoles contactées, y compris
l'Athénée de sa commune, refusent l'inscription de ce garçon de 13 ans. Ce cas
est d'une banalité journalière» 15. Ce cas banal concentre, au regard des standards
normatifs mobilisables dans notre société, les "motifs d'indignation"
suivants:
non-respect de règles procédurières dans la décision de renvoi (la rapidité du renvoi, peu de temps après la date fatidique du 1er octobre, ainsi que la non-consultation des instances chargées d'intervenir en cas de difficulté d'intégration
d'un
élève, mais aussi l'absence d'avertissement des parents et le caractère irrévocable
de la mesure de renvoi, semblent indiquer pour le moins une prise de décision
sommaire, sinon arbitraire de la part de la direction ... ), non-respect du droit fon-
15 C.P J., 1984, Op.cit. Outre les "affaires" que nous avons pu observer dans le cadre de notre recherche, les
sources les plus importantes sont ici les C.P.J. et autres organismes juridiques intéressés par le droit des jeunes
(cf. Centres Infor-Jeunes ...).
80
Recherches Sociologiques, 1991/l-2
damental à l'éducation (cf. les refus d'inscription), sans compter le soupçon de
disproportion de la sanction par rapport aux faits reprochés (voir le flou qui entoure généralement l'évocation de "motifs disciplinaires" par les agents institutionnels ... ).
- Un jeune faisant l'objet d'une ordonnance du juge de la jeunesse, est sommé par
ce dernier de trouver une école en cours d'année (après avoir décroché), sous
peine d'être placé dans une institution fermée. Le jeune parvient à trouver une
école qui accepte de l'inscrire. Mais la déléguée du juge, dans un accès d'excès de
zèle, téléphone à la direction de cette école pour vérifier si le jeune est bien inscrit
comme il le prétend. La direction, apprenant que le jeune est suivi par le juge de la
jeunesse, décide sur le champ de le renvoyer sans doute pour ne pas nuire à l'image de marque de l'école. Le jeune est victime d'une décision de renvoi arbitraire,
suite à la violation du secret professionnel de la part du travailleur social! D'autres renvois pour des faits extérieurs à l'école sont avérés, ainsi cette "affaire" : la
direction d'une école apprend qu'un de ses élèves est interrogé par la police pour
une série de vols dont il est soupçonné. La décision d'exclusion est immédiate et
signifiée oralement aux parents (absence, ici aussi, de règles de procédure garantissant l'équité de la décision). Le centre P.M.S. n'est pas averti, n'est pas sollicité
et ne peut donc pas intervenir avant la décision de renvoi.
- Elève renvoyé, avec pour motif: "chahuts répétés" et devoirs non faits (sanction
disproportionnée). Le centre P.M.S. est contacté après le renvoi, en vue de fournir
au jeune une liste d'écoles où chercher pour se réinscrire. Les remarques des bulletins précédents montraient une progression constante de l'élève (<<Continue
comme cela !»... ), qui se fait donc "briser" en phase de redressement, sous prétexte d'un comportement dissipé peut-être seulement conjoncturel. .. Nous avons observé par ailleurs, au niveau cette fois des interactions entre partenaires de la situation scolaire, des attitudes inflexibles de la part d'agents éducatifs qui entraînaient les jeunes dans des modèles d'interactions en escalade (ou des stratégies
de la tension) souvent fatals pour ces jeunes. Sans doute prenons-nous part ainsi à
la dénonciation, cautionnant ce propos de B. Van Keirsbilck (Service Droit des
Jeunes) qui relevait les pratiques de certains agents institutionnels revenant à
"faire basculer un élève en bout de course". Exemple: l'attitude "hiérarchiqueautoritaire" de certains enseignants, qui n'acceptent pas l'idée d'être remis en
question par les élèves, peut engendrer des pratiques discrétionnaires, telle la
réaction de ce prof qui impose "par erreur" 4 heures de retenue à deux élèves, et
qui refuse de revenir sur sa décision, considérant que ces élèves peuvent être punis
«pour tout ce qu'ils ont fait avant» !
- Elève renvoyé pour avoir volé les questions d'examen. Pour commettre un tel acte,
le jeune devait posséder, selon la direction, un double des clés permettant d'accéder au local où ces questions étaient rangées (naturellement, l'hypothèse selon laquelle la porte de ce local aurait pu rester ouverte un instant est négligée d'office ... ). Malgré les protestations d'innocence du jeune, l'école a fait changer les
serrures des 105 portes de l'établissement (!) et a envoyé la facture au responsable
présumé du vol. On n'a jamais cherché à établir aucune preuve: la suspicion suffit
à justifier le renvoi de l'élève ! Aucune procédure n'a été appliquée, par "manque
de temps" (sen période d'examens, on a d'autres chats à fouetter» ... ).
- TIn'est pas rare d'assister à des renvois motivés par des raisons d'ordre pédagogique, tels le manque de motivation au travail, la passivité ou les résultats scolaires
insuffisants. Une affaire du mois de juin '89 illustre de façon spectaculaire la con-
J.- P. Delchambre
81
fusion entretenue à propos des registres scolaire (les performances du jeune) et
"disciplinaire" (son comportement à l'école) : une trentaine d'élèves d'un établissement bruxellois n'ont pu présenter leurs examens de fin d'année. Motif invoqué: «un comportement trop dissipé pendant l'année» ! C'est l'occasion de relever les cas, trop nombreux pour en épingler un seul, de sanctions collectives, pouvant aller jusqu'au renvoi.
- Toujours au chapitre de la "violence institutionnelle", nous pouvons indiquer les
différents rapports à la norme imposés aux divers partenaires de la situation scolaire : alors que les élèves, par delà la contrainte qui les oblige à se soumettre
strictement à la règle, sont parfois victimes d'abus de pouvoir de la part des agents
institutionnels, ces derniers s'octroient une possibilité de jeu vis-à-vis de la
norme. Autrement dit, les degrés de liberté sont uniquement du côté des agents
scolaires, ce qui justifie les récriminations des jeunes qui se plaignent que «le
règlement, on n'en réclame l'application que pour les élèves» ... Voyons quelques
exemples: un jeune reproche à son professeur (en notre présence) : «Tu arrives
toujours en retard à l'école, on devrait te donner des sanctions comme à nous».
Par ailleurs nous avons été témoin de plusieurs cas de sanctions corporelles,
pourtant prohibées légalement. Ce qui donne d'autant plus d'épaisseur au
témoignage émouvant de ce jeune, à l'adresse d'un professeur: «Hier tu as poussé
le banc sur ma poitrine, j'ai eu mal, je voulais te donner une de ces pêches, mais je
me suis calmé, si je te l'avais donnée, j'aurais été renvoyé de l'école. Vous les
profs vous avez toujours raison, si on vous insulte on est directement renvoyé ... »,
- Enfin, nous avons gardé pour la fine bouche cette affaire assez ahurissante, lancée
par le Service Droit des Jeunes de Bruxelles, reprise par le C.P J. et répercutée dans
la presse 16: une école de l'agglomération bruxelloise demande aux parents d'élèves arrivant en cours d'année de signer un document (non daté !) que nous reproduisons in extenso: «Je soussigné [... ] déclare avoir été prévenu des nombreuses
absences de mon fils Y par l'école où il est inscrit. Je reconnais avoir de nombreuses difficultés à faire obéir ce garçon et ne pas le recevoir à mon domicile
régulièrement. Je le retire de mon plein gré à dater de ce jour, Signé X.».
Chantage et hypocrisie. Cela se passe de commentaire.
Nous pourrions résumer les accusations dont est chargée l'institution
scolaire, dans cette transaction sociale, en recourant précisément à l'analogie entre l'école et le tribunal. Cette comparaison, sur base analogique,
est justifiée par le fait que c'est finalement I'horizon normatif de la justice,
à prétention universalisable, qui sert de ressource référentielle dans la mobilisation de certains acteurs contre les pratiques discrétionnaires ou arbitraires de l'institution scolaire. En particulier, il est tentant de rapprocher
la comparution d'un élève devant la direction de son école (principalement le préfet de discipline) et la traduction d'un prévenu de droit commun devant un tribunal.
Notons tout d'abord qu'au tribunal, la définition sociale de la faute est
engagée par de nombreux intervenants (interaction et confrontation entre
l'accusé, la victime, le plaignant ou la partie civile, le juge, l'avocat de la
16 Voir Le Soir du 26~189.
82
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
défense, le procureur, la police, les témoins, les experts ... ). Dans le cadre
scolaire, la plupart de ces rôles peuvent être combinés dans une seule et
unique personne: l'agent éducatif, pour les litiges réglés à l'intérieur de la
classe (réprimandes, punitions ... ), et le directeur (ou le préfet de discipline) pour les litiges dont le règlement est renvoyé auprès des plus hautes
instances de l'école. Dès lors, ces personnages au pouvoir discrétionnaire
peuvent être à la fois requérant, détective, procureur, juge, jury et exécuteur!
Plus grave encore: l'élève soupçonné ou accusé d'une infraction à la
règle ne peut généralement disposer d'une défense véritable, contrairement à la pratique régulière de toute justice digne de ce nom. On peut
constater et déplorer le fait particulièrement choquant que, dans la plupart
des cas, le jeune ne parvient pas à se faire entendre, fut-ce partiellement.
Ce qui est d'autant plus fâcheux que dans la justice de l'école, nouvelle
aberration, c'est au "prévenu" à faire la preuve de son innocence! 17Enfm, aucun crédit n'est généralement accordé aux témoignages en faveur de
la défense lorsqu'ils émanent des pairs (somme toute, seuls les témoins à
charge, voire même la seule institution scolaire pourtant juge et partie, ont
leur mot à dire).
Toute justice respectable se caractérise également par l'application sereine de procédures formalisées, ce qui implique que le jugement ne soit
pas précipité ni surtout approximatif. Au terme des délibérations, la sentence prononcée est toujours justifiée et les parties impliquées dans le procès peuvent, si elles le souhaitent, interjeter appel. Au contraire, dans le
cadre scolaire, le traitement de la déviance est trop souvent expéditif, même lorsqu'il s'agit de cas graves échappant à la déviance routinière. L'énoncé du verdict semble se suffire à lui-même, le motif de la sanction tenant lieu d'explication. Les élèves (ou les parents) ont rarement des possibilités de recours. Soit que l'on n'ose pas intervenir, à propos d'un litige
mineur, par crainte de représailles ultérieures (<<êtremal vu par le prof»),
soit que les possibilités de recours légal soient techniquement 18ou socialement 19hors de portée.
Rapport entre transactions externe et interne
La formalisation de cette analogie entre l'école et le tribunal n'est sans
doute pas poussée à bout par les agents dénonciateurs des pratiques irrégulières de l'institution scolaire. Pourtant, même partiellement verbalisée,
17H. Arendt verrait là un trait caractéristique
tinnions totales».
des «systèmes totahtaires»,
18Voir, par exemple, la question des délais à respecter
19Faut-il le préciser,les difficultés à manier l'appareil
Gotfrnan une dimension des «ins-
pour les recours en référé.
judiciaire augmentent avec la "distance" sociale. Ce qui
justifie d'ailleurs le travail des services juridiques qui voudraient compenser cette "incompétence sociale" des
positions les plus démunies. donc aussi les plus vulnérables.
J.- P. Delchambre
83
il ne fait guère de doute qu'elle informe leur action revendicative. Preuve
en est le niveau auquel se situent ces agents lorsqu'ils proposent des garanties contre les pratiques abusives de l'institution scolaire: les défenseurs du droit des élèves attendent en effet que le mouvement de juridictionalisation, dont on peut dire qu'il constitue une des tendances lourdes
de nos sociétés à rationalité croissante, pénètre à l'intérieur de l'école 20. TI
ne s'agit plus ici uniquement de dénoncer les pratiques "inadmissibles" de
l'institution scolaire. Les agents contestataires (les dénonciateurs) se font
donc offensifs, envahissent le registre propositionnel et mobilisent autour
d'un cadre normatif dont ils tirent des mesures à appliquer précisément à
l'intérieur du champ scolaire. Grâce à une pression externe, ces agents espèrent agir sur les modes de gestion internes à l'école, de préférence via la
médiation des pouvoirs publics qui rendraient contraignantes les nouvelles
garanties procédurières destinées à protéger les élèves contre l'arbitraire
toujours possible des agents institutionnels en position d'autorité très
privilégiée (par rapport aux jeunes, s'entend).
La juridictionalisation du champ scolaire ne signifie pas la banalisation
des recours aux cours et tribunaux judiciaires pour régler les litiges internes à l'école. Les agents qui revendiquent une reconnaissance du droit des
élèves admettent que l'intervention de l'autorité judiciaire pour trancher
des affaires d'exclusion scolaire représente une mesure coûteuse et extrême. Et c'est précisément pour éviter, autant que faire se peut, cette situation de "dernier recours", que ces agents insistent pour que soit reconnue
la conception de l'élève comme sujet de droit, qui, pour ne pas rester lettre
morte, doit s'accompagner d'un cadre de référence juridique, sorte de
garde-fou, comprenant prioritairement une série de garanties procédurières
internes à l'établissement scolaire. Pour illustrer cette "offensive juridique" de la part des défenseurs du droit des jeunes à l'école, nous pouvons
rappeler quelques mesures qui composeraient la procédure de renvoi minimale à respecter par les écoles, telle qu'elle se dégage du débat public, en
prenant ici appui sur les recommandations de la C.N.A.P. 21 à propos de
l'exclusion scolaire 22 :
- n s'agit
d'abord de mettre en œuvre toute mesure susceptible de prévenir l'exclusion. Lorsque des comportements déviants se manifestent, des sanctions de gravité
appropriée sont à appliquer, depuis le simple avertissement jusqu'au renvoi tem-
20 Le droit des jeunes à l'école tend, de plus en plus, à devenir une ressource non seulement symbolique, mais
aussi juridique. La Convention internationale des droits de l'enfant, adoptée par les Nations Unies en 1989, crée
ainsi un nouveau contexte juridique (de la même manière que la loi de prolongation de la scolarité obligatoire
de 1983 en Belgique) dont nous avons omis ici délibérément les implications dans le champ scolaire, faute de
place, donc à charge de développements ultérieurs.
21 Confédération
Nationale des Associations de Parents.
22 Documents de la C.N.A.P. tels que Renvois d'élèves, Bruxelles, juin 1984, ou plus récemment un document
sur l'exclusion scolaire daté du 27/02/1987. Voir aussi J.-E. Charlier, qui évoque la portée des travaux revendicatifs à propos de l'exclusion scolaire (1987, p. 184 et sv).
84
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
poraire en utilisant de préférence des sanctions positives qui permettent à l'élève
de s'amender par l'accomplissement d'une tâche utile à son progrès personnel ou
à la communauté. La sanction ne peut se suffire à elle-même. On veillera surtout à
adopter une attitude d'accueil et de compréhension via, par exemple, des entretiens préventifs avec l'élève et ses parents, un parrainage de l'élève en difficulté
par un adulte avec lequel le jeune a des affinités.
- La matérialité des faits reprochés à l'élève doit être établie. Ce n'est pas à l'élève à
faire la preuve de son innocence en cas de litige mais à l'école de prouver la faute.
- Aucune mesure d'exclusion ne peut être prise sans que l'élève n'ait été entendu.
L'exclusion requiert le respect des droits de la défense. L'élève (et ses parents s'il
est mineur) doit être entendu, disposer d'un délai pour préparer sa défense, avoir
accès aux pièces sur lesquelles porte l'accusation. Dans certains établissements, la
décision de renvoi est prise par le directeur après avis d'un comité de gestion paritaire composé de deux élèves en plus de l'élève concerné, de deux professeurs et
du directeur.
- Les exclusions collectives doivent être proscrites.
- Des problèmes pédagogiques ou d'insufflsance de résultats ne peuvent justifier le
renvoi de l'élève, même s'ils peuvent nécessiter une réorientation.
- La décision de renvoi ou d'exclusion doit être prise par les autorités responsables.
Elle ne peut être prise par le conseil de classe, lequel doit conserver son rôle de
guidance et non se transformer en conseil de discipline.
- Aucun renvoi ne pourrait être prononcé pendant les périodes de bilan et devrait
être évité dans les semaines qui les précèdent.
- Toute mesure d'exclusion doit être notifiée aux parents.
- L'établissement qui exclut un élève en garde la responsabilité jusqu'à ce qu'une
école d'accueil ait été trouvée.
L'activité revendicative autour du statut de l'élève comme sujet de
droit, et plus encore l'engagement en faveur de l'imposition de garanties
formelles contre les pratiques arbitraires des agents institutionnels, sont
perçus par les professionnels du champ scolaire comme des tentatives
d'ingérence difficilement acceptables. L'intervention de l'autorité judiciaire est déjà très mal ressentie par l'école qui se sent atteinte dans sa
souveraineté. Dans ces conditions, tout projet visant à l'élargissement du
processus de juridictionalisation à l'intérieur de l'école suscite non seulement de la mauvaise humeur mais surtout une sérieuse opposition de la
part des agents scolaires, en particulier des directions d'école qui ont admis, de fait, le délestage et le décrochage comme outils "normaux" de
gestion ou de régulation de l'institution scolaire. En somme, l'école fait de
la résistance. Elle refuse non seulement les perspectives ouvertes par le
débat public, en particulier par les groupes de pression qui défendent une
conception de l'élève comme sujet de droit, mais qui plus est elle escamote, quand elle n'enfreint pas purement et simplement, certaines dispositions ayant pourtant force de loi (voir les renvois collectifs, ou les refus
d'inscription).
Envisagé sous cet angle, le rapport entre transaction externe et transaction interne, ou encore la dialectique entre pressions externes et modes de
J.- P. Delchambre
85
gestion internes, semble donner un avantage argumentatoire aux défenseurs du droit des élèves à l'intérieur de l'école. Pourtant, même si les professionnels du champ scolaire sont parfois contraints d'adopter, sur ce terrain, un profil défensif, ils paraissent assez solidement campés sur une position finalement peu entamée par le débat public. L'analyse gagne ici en
clarté si l'on dissocie le registre de la rhétorique ou du débat public et celui de l'implantation sociale des positions en présence. Sur le plan des
principes, on conçoit aisément qu'il soit difficile, sinon risqué, de s'opposer à un mouvement de juridictionalisation figuré comme un élargissement
à l'école des conquêtes "démocratiques" en faveur d'un droit à prétention
universaliste. Les agents scolaires, dans un débat ayant pour référent
l'idéologie-éponge des droits de l'homme, semblent condamnés à adopter
un profil bas tant qu'ils refusent de reconnaître le jeune comme sujet de
droit à l'école, et d'en tirer les conséquences pratiques. Bien entendu, les
agents scolaires vont tenter d'esquiver la question centrale du statut de
l'élève à l'école. Tout en évitant l'interpellation de front (et de fond), ces
agents sont d'ailleurs parvenus à faire mieux que se défendre: ils ont lancé une contre-offensive non dénuée d'intérêt en dénonçant les effets pervers des mouvements de juridictionalisation. Accentuer la formalisation
des pratiques scolaires conduirait, d'après eux, à uniformiser la richesse
de la pratique quotidienne des agents éducatifs, à supprimer la possibilité
du traitement au cas par cas (lequel, prétendent les adversaires de la juridictionalisation, comporte plus d'avantages que d'inconvénients lorsqu'il
est appliqué dans un contexte positif et serein), et à déposséder les agents
du champ scolaire de leurs capacités d'initiative, ou du moins à émousser
leur volonté et leur motivation. Notre rôle ici n'est pas bien sûr de répondre à ces arguments. Relevons simplement le référent informant le discours des opposants au mouvement de juridictionalisation : la valeur mobilisée à travers cette réplique est l'autonomie. Elle vient ainsi subtilement
concurrencer la reconnaissance du sujet de droit, alors que ces deux ressources symboliques paraissaient aller de pair dans la configuration culturelle et philosophique qui leur a donné naissance. Par ailleurs, on remarquera, à travers le combat que se livrent partisans et adversaires de la juridictionalisation à l'intérieur de l'école, une nouvelle illustration du débat
classique entre l'intérêt particulier et l'intérêt général. En l'occurrence,
l'intérêt du jeune victime d'une violence institutionnelle, contre l'intérêt
de l'institution aux prises avec des difficultés qu'elle peut à peine juguler
en recourant à des modes de gestion expéditifs sinon irréguliers.
Ainsi donc, les professionnels du champ scolaire ne se défendent pas si
mal sur le plan argumentatoire du débat public. Leur position semble encore se renforcer si elle est envisagée à présent sous l'angle de sa résonance ou de sa représentativité sociale. Il faut rappeler au passage la fragilité
de certaines positions normatives ou idéologiques discursivement fortes à
86
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
un moment donné mais sans incidence réelle (ou profonde) sur le magma
social de cette époque. Si l'on est fondé de parler, avec Castoriadis, d'une
«institution imaginaire de la société», il faut aussi admettre conjointement,
pour rendre compte de certaines situations "instituées", la prépondérance
d'une infrastructure sociale et imaginaire lestée des nombreuses forces
d'inertie qui traversent le social. Ce petit détour permet d'éclairer cette
connivence entre l'imaginaire social constitué autour du décrochage et
l'attitude inflexible d'une bonne partie des agents internes à l'école. Le
raidissement des agents scolaires face aux tentatives externes d'imposition
d'une solution juridique aux problèmes de gestion des cas d'élèves en
rupture de scolarité ou (r)éprouvant l'ordre scolaire, est favorisé en effet
par l'image négative du décrocheur ou du fauteur de trouble. Cette image
s'est constituée socialement après que la perception "misérabiliste" des
jeunes victimes de la crise ou de l'exclusion sous toutes ses formes se soit
transmuée en perception en termes de menace ou de dangerosité (cf. supra). Difficile de traduire ce fait à l'aide d'un schéma causal; l'approximation d'une convergence ou d'un support mutuel à partir de la mesure
weberienne des homologies structurales paraît davantage indiquée. Ainsi,
dans un contexte où le décrocheur est chargé d'une connotation inquiétante, les agents scolaires peuvent mobiliser, à travers des pratiques sans
doute rarement conscientes ou a fortiori malveillantes, toute la puissance
du bon sens qui commande la prudence et le réalisme, surtout s'il est
question de reconnaître au jeune un statut plus équitable à l'école, du
moins en rapport avec les grandes orientations normatives du modèle démocratique-libéral de notre société. Où l'on rencontre, pour finir, cette
réalité sociologiquement avérée, bien qu'indisposant les bonnes consciences, qui veut qu'il soit socialement coûteux, au-delà du débat d'idées,
d'accorder des droits à ceux qui incarnent une partie de nos "classes dangereuses" ...
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dans l'enseignement professionnel", C.R.I.D.E., mai.
SOCIAL COMPASS
International Review of Sociology of Religion
Edited by F Houtart and A Bastenier
University of Louvain, Belgium
For more than thirty years, Social Compass has provided a
unique forum for all scholars in sociology, religious studies,
anthropology and theology concerned with the sociology of
religion.
Each issue is devoted to a coherent thematic debate on a key
area in current social scientific research on religion in society.
The journal is interdisciplinary, international and interdenominational in its approach.
The journal publishes articles in English or French: articles in
English are furnished with abstracts in French, and articles in
French carry an English abstract.
Published
in March. June. September
and December
Ic.,SN m7-7hH6
Sage Publications Ltd, 6 BonbiU Street, London EC 2 A 4PU, UK
Sage PubUcations Ltd, PO Box 5096, Newbury Park, CA 91359, USA
J.- L.Guyot : 89-103
Problèmes institutionnels
et problèmes organisationnels : le cas des
perspectives de populations universitaires
par
Jean-Luc Guyot •
L'objectif de cet article est de proposer, à partir de deux recherches menées
dans le domaine des perspectives de populations scolaires, un cadre d'analyse
des problèmes sociaux et des interventions que ceux-ci entraînent. Dans un
premier temps, l'auteur souligne les différences qui existent entre les deux recherches considérées, tant au niveau des préoccupations et de la rationalité des
commanditaires qu'au niveau de la position que ceux-ci occupent sur la scène
sociale. Ensuite, à partir de ces différences, une typologie des problèmes "à dimensions sociales" est proposée et les divers types d'initiatives qui peuvent en
découler sont analysés en relation avec la nature des acteurs qui sont à la base
de celles-ci. Pour conclure, l'auteur pose un certain nombre de questions à propos du rôle du sociologue face aux problèmes "à dimensions sociales" et à leur
résolution.
Il arrive parfois que les acteurs sociaux ou économiques fassent appel
au sociologue pour définir et présenter une réflexion originale et de nouveaux outils d'intervention pour faire face à certaines difficultés auxquelles ils sont confrontés. Le sociologue est alors perçu comme le spécialiste auquel on peut confier la résolution de "questions sociales".
Cette conception techniciste du travail sociologique s'accompagne souvent d'une incapacité à définir clairement les motifs pour lesquels l'acteur
s'est adressé au sociologue. Les attentes de ce dernier vis-à-vis du sociologue seront parfois imprécises: «Nous nous adressons à vous parce que
vous êtes le spécialiste du social. Nous avons en effet besoin de votre
• Institut de démographie de l'U.C.L.
90
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
point de vue et de vos méthodes parce que nous nous trouvons face à un
problème, une question à dimensions sociales, qui fait intervenir du "social" ... »,
Sous cette appellation vague et générale de "question à dimensions sociales", le sociologue découvrira des attentes et des enjeux de natures on
ne peut plus diverses. Tantôt, il s'agira de mettre sur pied un programme
d'intégration des jeunes immigrés dans une commune économiquement
défavorisée, tantôt il sera question d'assurer une meilleure mise en valeur
des ressources humaines dans une entreprise, une autre fois il faudra participer à la mise au point d'une politique de répartition plus équitable des
revenus ou bien encore cerner les caractéristiques socio-économiques des
consommateurs de margarine ...
L'objectif de cet article est de proposer certaines pistes de réflexion à
propos des "questions à dimensions sociales". A partir de l'exemple des
études perspectives de populations universitaires que nous menons actuellement, nous tenterons de créer un cadre conceptuel pour l'analyse de ces
"questions à dimensions sociales" et des interventions qui s'y rattachent.
Pour chaque type, nous essayerons de définir l'identité et la rationalité
des acteurs en présence, l'essence et les enjeux de la question posée, et la
position du sociologue face à ces éléments. n ne s'agira donc pas de présenter ici les résultats de nos travaux de perspectives mais de replacer
ceux-ci dans un contexte double: un cadre organisationnel d'abord, et un
cadre sociétal ensuite. Les premiers paragraphes de cet article viseront
donc l'analyse des acteurs et des enjeux liés à ces recherches.
I. L'objet d'analyse: deux études de cas
C'est en février 1989 que l'Institut de Démographie de l'Université Catholique de Louvain a été mandaté par le Service d'Etudes de cet établissement d'une recherche concernant ses effectifs étudiants. Celle-ci
s'inscrivait dans un processus général de rationalisation de la gestion de
l'université enclenché par les autorités académiques depuis plusieurs années. C'est dans le cadre de cette recherche que nous avons été chargé
d'une quadruple mission:
1° faire un relevé le plus complet possible des ouvrages et articles relatifs
aux prévisions et à la gestion universitaires;
2° élaborer une banque de données informatique conviviale concernant les
étudiants de l'U.C.L. (effectifs par orientation et niveau d'études, caractéristiques de ces effectifs ... ), pouvant être remise à jour chaque année
et pouvant être interrogée sur ordinateur personnel;
3° calibrer un modèle prévisionnel à court terme des effectifs étudiants de
l'U.C.L. par orientation d'études, et ce en relation avec la banque de
données citée ci-dessus et les prévisions démographiques;
J.- L.Guyot
91
4 enfm, grâce aux informations obtenues par la réalisation des trois premiers points, souligner les problèmes relatifs à la population étudiante
auxquels l'U.C.L. devra faire face à l'avenir, et, dans la mesure du possible, en proposer les solutions.
Cette recherche, d'une durée d'une année et demie, a été menée en collaboration avec le Service d'Etudes de l'Université. Un peu moins d'un an
plus tard, sous l'égide du C.LU.F. (Conseillnteruniversitaire
Francophone I), un projet d'étude interuniversitaire a été déposé auprès du F.R.F.C.
(Fonds de la Recherche Fondamentale Collective 2) par les Instituts de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles et de l'Université Catholique
de Louvain, le Service d'Etudes et l'Institut de démographie de l'U.C.L., et
le Service de programmation de l'U.L.B. Ce projet, dont le financement fut
accepté par le F.R.F.C.,a pour objet, lui aussi, des prévisions de futures populations universitaires.
Les objectifs de ce projet sont très ambitieux. De fait, il s'agit de mettre
au point différents scénarios de prévision à moyen terme (15 ans) du nombre de futurs entrants dans l'ensemble des universités francophones belges, en tenant compte de divers processus sociaux et économiques tels que
la non-démocratisation des études universitaires, les échanges croissants
entre les pays européens, l'expansion des études supérieures non universitaires, les interactions entre le choix des filières d'études, la visibilité des
exigences du marché de l'emploi et les demandes qualitatives et quantitatives de celui-ci, le développement de nouveaux publics (université du
troisième âge, formations à temps partiel, cours à horaire décalé ... ), la
politique de financement des universités ... Remarquons que le cahier des
charges de ce projet exclut une approche prévisionnelle par institution
universitaire.
Pour atteindre ces objectifs, deux chercheurs, l'un à l'U.C.L., l'autre à
l'U.L.B., ont été affectés à cette recherche d'une durée de deux ans. Celleci est actuellement en cours.
Nous allons maintenant tenter de mettre en évidence les différences
existant entre ces deux études qui, du premier abord, peuvent apparaître
très similaires, en nous efforçant de voir en quoi elles se rattachent à la
problématique de la "question à dimensions sociales" et de l'intervention
sociale.
0
, Le C.l.U.F. est un organisme de droit public créé par un décret ministériel de la Communauté
Française de Belgique. Il regroupe l'ensemble des universités francophones de ce pays et vise la
promotion de la concertation entre ces universités
2 Le F.R.F.C. est un fonds subventionné par la Communauté Française de Belgique. Il assure la promotion de la recherche fondamentale au sein des universités francophones de Belgique.
92
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
n, L'analyse
Abstraction faite de leurs objectifs avoués, les deux recherches que
nous venons de présenter brièvement se distinguent entre elles à trois autres niveaux :
A. la position des commanditaires et leur statut;
B. les logiques dans lesquelles s'enracinent les préoccupations qui ont
poussé les commanditaires à considérer la "question à dimensions sociales" et qui les ont amenés à faire appel au.praticien social ;
C. les acteurs sociaux impliqués directement ou indirectement par les
processus de questionnement, d'analyse et d'intervention.
A. La position des commanditaires et leur statut
Dans la première recherche, le commanditaire est le Service d'Etudes
de l'U.C.L., c'est à dire une entité administrative chargée, entre autres, de
la rationalisation du fonctionnement de cette université. li s'agit, en fait,
d'un travail de sous-traitance : le sociologue prend en charge une partie
des tâches imparties au commanditaire dans un cadre organisationnel précis. Le commanditaire n'est donc pas un acteur agissant au niveau de la
société globale, mais bien au sein d'une organisation (c'est-à-dire un ensemble de ressources et de moyens combinés entre eux en vue d'atteindre
certains objectifs), même si celle-ci peut aussi être considérée, dans d'autres contextes, comme un agent institutionnel ou un appareil d'Etat (suivant le paradigme auquel on se réfère).
Le commanditaire du second travail est plus difficile à définir. Deux
optiques sont envisageables. Dans la première, on considère que c'est le
C.I.U.F. qui, étant à la base du projet, est le commanditaire. Le F.R.F.C. ne
serait alors qu'un bailleur de fonds dont les choix et les critères de sélection d'attribution de budget ne répondent qu'à des contraintes d'ordre
administratif (quotas d'octrois par université, appréciation des projets suivant certaines caractéristiques prédéfinies comme étant d'intérêt fondamentaL .. ) et au jeu des influences informelles entre ses membres et le
corps professoral universitaire. Le commanditaire pourrait donc être considéré ici comme une organisation plutôt que comme un acteur politique
dans le système de décision. Cette organisation, c'est une association
d'universités qui s'interroge, dans le cadre de la gestion de celles-ci, sur
l'avenir des effectifs étudiants. Remarquons que dans d'autres situations,
cette association peut être considérée comme acteur politique, défendant
les intérêts de ses membres, tentant d'infléchir la politique de l'Etat en
matière d'éducation.
Dans la seconde optique, on estime qu'en dernière instance c'est le
F.R.F.C. qui, par l'octroi de budgets, détient le pouvoir de concrétiser le
projet et de rendre l'étude possible. En avalisant le projet, le F.R.F.e. donne son crédit à une recherche jugée intéressante pour la connaissance du
1.-L.Guyot
93
fonctionnement du système social, et plus particulièrement du système
d'enseignement. Dans ce cas, le commanditaire devrait être considéré
comme un agent institutionnel parastatal agissant ici dans le cadre plus
large d'un programme général de politique sociale. L'importance attachée
au processus de démocratisation des études, à l'évolution future des choix
de filières et aux interactions entre le système d'enseignement et le système économique tendrait à confirmer cette façon de voir les choses. Effectivement, il ne s'agirait plus simplement de s'intéresser à l'aspect quantitatif des perspectives de population universitaire, dans l'optique, par
exemple, de la politique budgétaire des pouvoirs publics en matière de financement des universités, mais aussi à leur aspect qualitatif, et ce dans
un double objectif: tout d'abord étudier les effets de la démocratisation
des études, donc évaluer les résultats d'une politique sociale, et, ensuite,
prévenir un éventuel décalage qui pourrait survenir à l'avenir entre, d'une
part, les exigences du développement technologique et économique au niveau du marché de l'emploi et, d'autre part, la nature des qualifications
des futurs universitaires, donc veiller à la bonne marche du système économique, ce qui est, selon le paradigme matérialiste, la raison d'être fondamentale de toute politique sociale.
B. Les logiques dans lesquelles s'enracinent les préoccupations qui ont
poussé les commanditaires à considérer la "question à dimensions sociales" et qui les ont incités à faire appel au.praticien social
La logique qui dirige l'action du Service d'Etude, qui a commandité les
premières perspectives, est d'ordre instrumental. Elle se rapporte en effet
au choix et à l' optimalisation des moyens à mettre en œuvre pour remplir
la fonction première de l'u.C.L., l'enseignement et la recherche de niveau
universitaire. De fait, pour atteindre cet objectif, l'U.C.L. doit rassembler
un ensemble de moyens, notamment financiers. C'est pourquoi une de ses
entités administratives a pour charge l'étude de l'environnement inteme et
externe de l'université. Dès lors, il est compréhensible que cette entité interroge le sociologue et le démographe à propos de l'évolution future du
volume des effectifs étudiants et de leur ventilation dans les différentes facultés. Ces deux éléments sont en effet cruciaux à deux niveaux puisqu'ils
déterminent à la fois une part importante des revenus de l'université (minervals et subsides des pouvoirs publics, dont les montants sont actuellement calculés en fonction du nombre d'étudiants inscrits et de leur orientation d'études, les étudiants en sciences médicales ou exactes étant "subsidiables" à un niveau plus élevé que leurs collègues en sciences humaines) et des dépenses (frais d'équipement, frais de gestion ... qui varient,
eux aussi, avec le volume des inscriptions et la nature de celles-ci).
C'est aussi cette logique qui guiderait le C.I.U.F. lorsqu'il se préoccupe
des perspectives de population universitaire: l'intérêt porté à ces perspec-
94
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
tives s'intégrerait dans le souci de s'assurer une bonne visibilité de l'environnement dans lequel les universités doivent se mouvoir.
Par contre, si 1'on considère le F.R.F.C. comme étant le commanditaire
de la seconde étude, la logique qui détermine son action est moins aisée à
défmir. Tout d'abord, il est difficile de déterminer les objectifs de cet acteur, du moins dans le cas présent. En tant qu'agent parastatal, on peut
néanmoins admettre que ses objectifs et sa logique se soumettent à ceux
de l'Etat. On reporte alors la question à un niveau supérieur: quelles sont
les logiques qui gouvernent les préoccupations de l'Etat, quelles sont ces
dernières? S'agit-il d'assurer le bien-être et la protection de la population? D'arbitrer le jeu des conflits sociaux? De veiller au respect des règles de l'économie de marché et de corriger ses éventuels effets secondaires indésirables ? De permettre aux individus de satisfaire certains besoins
qui ne peuvent l'être sur le marché? Ou bien encore de reproduire la différenciation socio-économique et d'en adapter les résultats à l'évolution
du contexte historique? Mais nous abordons là un débat épineux que les
sociologues ne sont pas prêts de clore.
Nous pouvons cependant considérer que c'est la combinaison de différentes logiques qui a poussé le F.R.F.C. à fmancer le projet.
Tout d'abord, si 1'on envisage le C.I.U.F. non plus en tant qu'organisation mais en tant qu'acteur institutionnel œuvrant au niveau du système politique global, le F.R.F.C. pourrait alors apparaître comme l'interlocuteur représentant l'Etat vis-à-vis duquel le C.I.U.F. exprimerait son appréhension face à un problème socio-démographique précis: la diminution
du volume des classes d'âge jeunes et ses conséquences au niveau des futures inscriptions universitaires. En réponse à ces inquiétudes, le F.R.F.C.
jugerait opportun de mener une recherche sur la question, afin de permettre aux pouvoirs publics compétents d'apporter une éventuelle solution au
problème. La logique qui sous-tendrait la décision du F.R.F.C. s'inscrirait
donc dans un processus de revendication-négociation-consultation
entre
une institution de la société civile et l'Etat.
La position du F.R.F.C. dans ce débat reflète aussi à propos certaines
préoccupations gouvernementales en matière d'enseignement universitaire. En effet, les autorités publiques envisagent de modifier le système
de financement des universités.
Actuellement, comme le stipule la loi du 27 juillet 1971 sur le financement et le contrôle des institutions universitaires, le système de subvention
est basé sur le nombre d'étudiants et sur la nature des programmes d'études auxquels ceux-ci sont inscrits. Chaque université reçoit annuellement
un fmancement qui dépend du nombre d'étudiants inscrits dans ses diverses facultés, le taux de fmancement variant suivant la type de programme
d'études considéré. L'augmentation soutenue et marquée qu'a connue le
nombre des inscriptions dans les universités au cours de ces dernières an-
J.- L.Guyot
95
nées pose à présent un problème financier important aux pouvoirs publics.
Pour y faire face, un système de subvention alternatif, basé non plus sur le
volume des effectifs inscrits mais sur un cadre de personnel académique et
scientifique prédéfini, est proposé. Un tel système permettrait à l'Etat de
fixer et de stabiliser ses dépenses en matière d'enseignement universitaire.
Ce système serait donc profitable à l'Etat si le nombre d'inscrits continuait à croître. Néanmoins, du point de vue des universités, ce système,
auquel elles sont opposées, ne serait pas sans entraîner certaines difficultés, surtout dans un scénario de croissance des effectifs étudiants. Elles
devraient en effet faire face à une charge d'enseignement de plus en plus
importante avec des moyens constants. En conséquence, elles pourraient
être tentées de diminuer cette charge en réduisant l'accès à leur enseignement, avec les implications que cela laisse entrevoir. En outre, le nouveau
système de financement entraînerait une modification des relations entre
les établissements universitaires. D'une part, on envisage facilement les
tensions qui pourraient émerger lors de la définition du cadre de chaque
université, avec toutes les incidences que celles-ci pourraient avoir sur la
scène politique belge, et, d'autre part, le jeu de la "concurrence" interuniversitaire verrait ses règles complètement inversées: l'accroissement du
marché ne constituerait plus un objectif à atteindre, au contraire, et, sur ce
marché, la poursuite d'une clientèle plus importante n'aurait plus d'attrait.
Ce dernier point pourrait conduire les universités à ne plus promouvoir un
enseignement accessible au plus grand nombre, mais à en développer un
réservé à une minorité privilégiée.
Dès lors, la recherche commanditée par le F.R.F.C., suite à la demande
du C.I.U.F., permettrait d'apporter certains éléments dans ce débat important.
Remarquons aussi que les diverses questions abordées par cette recherche attestent des préoccupations débordant du cadre des simples perspectives d'effectifs étudiants. On aborde en effet le problème de la démocratisation de l'enseignement, celui de l'adéquation entre les futurs choix
d'études et l'évolution du marché de l'emploi... bref des thèmes chers
aux gestionnaires de la politique sociale. Les résultats de la recherche seraient donc aussi profitables à l'Etat. De fait, ils apporteraient certains
éclaircissements non seulement sur les effets de politiques antérieures en
matière de démocratisation de l'enseignement et d'égalisation des chances
mais aussi sur les éventuelles tensions qui pourraient survenir à moyen terme sur le marché de l'emploi.
C. Les acteurs sociaux impliqués directement ou indirectement
processus de questionnement, d'analyse et d'intervention
par les
En ce qui concerne la première recherche, on ne peut pas mettre en évidence la présence d'acteurs sociaux impliqués directement lors du proces-
96
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
sus de questionnement. En effet, comme nous l'avons vu, l'instigateur de
la recherche est une entité administrative, agissant au sein d'une organisation suivant une logique instrumentale. n n'y a pas d'action au niveau institutionnel. Nous ferons cependant remarquer que cette recherche s'inscrit
dans un processus général de rationalisation de la gestion des universités
enclenché par les autorités académiques depuis plusieurs années et ce sous
la pression des pouvoirs publics. Peut-on toutefois considérer ceux-ci
comme un acteur social impliqué indirectement?
L'analyse, quant à elle, ne tient pas compte des acteurs sociaux dont les
comportements pourraient avoir des conséquences sur le système d' enseignement (associations d'enseignants, de parents ou d'étudiants, pouvoirs
publics ... ). Néanmoins ces acteurs sont impliqués au niveau des propositions d'intervention proposées.
.
Pour ce qui est de la seconde étude, et si l'on adopte le point de vue
présentant le F.R.F.C. comme commanditaire, divers acteurs sont impliqués
directement dans le questionnement, tout d'abord le C.I.U.F., qui exprime à
un interlocuteur proche de l'Etat un problème ressenti par l'institution
universitaire, et, ensuite, le F.R.F.C., cet interlocuteur.
Au niveau de l'analyse, la recherche doit considérer, dans la mesure du
possible, les manœuvres, ainsi que leurs conséquences, des divers acteurs
pouvant influencer le système d'éducation et, par là, l'évolution future des
effectifs étudiant à l'université. De fait, dans cette recherche, ce système et
ses caractéristiques seront analysés comme un produit de la société, avec
tout ce que cela sous-entend.
Enfin, les acteurs impliqués au niveau des interventions qui pourraient
résulter de cette étude sont, ici aussi, nombreux: l'université tout d'abord,
car elle devra faire face à l'évolution future de la population étudiante et
au problème du financement, l'Etat ensuite, parce qu'il est impliqué dans
le système d'enseignement de par ses fonctions (que ces fonctions soient
définies d'un point de vue matérialiste ou non) et parce qu'ilsubsidie ce
système, et, finalement, l'ensemble des acteurs prenant part à la production et au fonctionnement de celui-ci.
Comme nous le voyons, bien que présentant des similarités sur le plan
de l'objet étudié, les deux recherches considérées renvoient en fait à des
niveaux de questionnement et d'enjeux sociaux relativement différents. La
problématique dans laquelle s'intègre la première étude est de nature organisationnelle, celle concernant la seconde est de nature institutionnelle.
Ces deux types de problématiques impliquent des réponses différentes :
dans le premier cas nous parlerons de gestion organisationnelle, dans l'autre, de politique sociale. Ce sont ces concepts que nous nous proposons à
présent d'approfondir.
J.- L.Guyot
97
III. Les problèmes à caractère social et les interventions qu'ils
suscitent: essai de construction d'un cadre conceptuel
Nous n'avons pas ici la prétention de présenter au lecteur une théorie
générale, ni même restreinte, de la naissance des problèmes à caractère
social et des politiques sociales. Notre objectif est plus limité: nous ne
présenterons qu'une tentative de classification de ces problèmes et des interventions qu'ils suscitent.
L'exemple des perspectives de populations universitaires nous a montré
que les situations problématiques à caractère social peuvent prendre plusieurs formes. Nous en avons distingué deux: les problèmes institutionnels d'une part, et les problèmes organisationnels d'autre part. Remarquons que nous ne définirons pas de façon compréhensive ce que nous
entendons par «problème à caractère social» ou par «question à dimensions sociales», nous nous limiterons à une défmition extensive en définissant l'ensemble des problèmes à caractère social, ou questions à dimensions sociales, comme l'ensemble de tous les problèmes institutionnels et
organisationnels.
Le concept de problème organisationnel renvoie aux difficultés que
rencontrent les organisations dans la poursuite de leurs objectifs et qui
sont perçues par elles comme relevant du domaine social. Ces difficultés
ne concernent cependant pas les obstacles qui pourraient relever de la critique des rapports sociaux de production ou de la légitimité de l'autorité
au sein de l'organisation. Ne sont visées par ce concept que les questions
posées par la gestion des nombreux éléments combinés par l'organisation
suivant une rationalité instrumentale pour atteindre ses objectifs ou remplir les fonctions qui lui sont assignées par la société.
Le concept de problème institutionnel est relatif au système socio-politique. Il renvoie à la notion de problème social. Nous dirons qu'il y a problème institutionnel quand un acteur social exprime au niveau du système
de décision ses doléances à propos d'une situation économique, sociale ou
matérielle qu'il perçoit comme difficile ou injuste et qu'il revendique,
avec plus ou moins de force, une amélioration de cette situation. La critique des rapports sociaux de production ou de la légitimité de l'autorité,
que ce soit au sein d'organisations ou au niveau de la société globale,
relève donc de ce concept.
Ces deux définitions appellent certaines remarques.
Nous devons d'abord souligner que dans les deux cas, nous ne visons
que les situations problématiques perçues comme telles par l'organisation
ou par l'acteur. Il arrive néanmoins que l'organisation ou l'acteur ne
soient pas conscients de l'aspect critique de sa situation et ne passent pas à
la formulation de la question ou du problème qui les concerne. Mais notre
objet n'est pas de traiter ici des processus de genèse des problèmes so-
98
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ciaux et de conscientisation, et du rôle éventuel que le sociologue peut y
jouer.
TI faut aussi remarquer que, dans certaines circonstances, la limite entre
les deux types de problèmes à caractère social est relativement floue.
Ainsi, l'échec scolaire, par exemple, peut être tantôt perçu comme un problème institutionnel, produit par le système social, et suscitant des réactions vis-à-vis de l'Etat, tantôt comme une incapacité de la part des écoles,
en tant qu'organisations, à atteindre leur objectif, et donc comme problème organisationnel.
En outre, certains problèmes institutionnels, comme par exemple ceux
dénoncés par le mouvement ouvrier, peuvent s'exprimer au niveau des organisations et entraîner des problèmes organisationnels. Il y a alors interdépendance des deux types de problèmes.
Une dernière remarque concerne les rationalités impliquées dans les
problèmes institutionnels. A la différence des problèmes organisationnels,
qui se posent dans le cadre d'une rationalité instrumentale de mise au
point d'une stratégie permettant d'atteindre un objectif précis, les problèmes institutionnels, dans leur genèse, s'enracinent souvent dans une rationalité émotionnelle ou affective. La rationalité de l'entrepreneur qui commandite une étude de marché s'inscrit dans une stratégie commerciale répondant à un objectif de profit et qui est dictée par une autre rationalité
que celle qui pousse tel ou tel acteur social à descendre manifester dans la
rue. Dans le cas des problèmes institutionnels, les acteurs feront souvent
référence à certaines valeurs et aux droits fondamentaux.
Face à ces problèmes, certaines actions seront mises sur pied afin d'y
apporter des solutions. Suivant le type de problème rencontré et celui du
promoteur de ces actions, on peut élaborer une typologie des interventions
sociales.
Nous distinguerons deux types de promoteurs d'interventions:
d'une
part les promoteurs privés, d'autre part le promoteur public, l'Etat. Le
croisement des axes "type de promoteur" et "type de problème à dimensions sociales" permet de construire un espace d'attributs à quatre positions:
Tableau 1. Typologie des interventions
I
Problème
Institutionnel
Organisationnel
Promoteur
sociales
I
Public
Privé
1
3
2
4
J.- L.Guyot
99
Cet espace d'attributs nous fournit la base d'une typologie des interventions sociales. Analysons à présent les différents types ainsi obtenus.
A. Le type 1 : la politique sociale
Le concept de politique sociale désigne l'ensemble des actions menées
par l'Etat en vue de gérer les problèmes institutionnels. Ce concept vise la
totalité des réponses de l'Etat aux doléances et revendications des acteurs
sociaux. Ces réponses peuvent prendre des formes diverses: discours (report d'une réelle résolution du problème en vertu de valeurs consensuelles
ou grâce à la production de discours idéologiques), actions matérielles
(équipements collectifs), mesures financières (système de prélèvement et
de transfert), et législations (définition et adaptation des droits et obligations).
Les caractéristiques de ces réponses et des processus qui conduisent à
leur élaboration dépendront du type de rapports existant entre les acteurs
sociaux et du type de dynamique adopté par eux. Par exemple une attitude
ouverte et innovatrice de l'Etat face à des acteurs mus par une volonté réformiste aboutira à un autre type de politique sociale que celle qui résulterait d'une confrontation brutale entre un Etat immobiliste et des acteurs
engagés dans une contestation radicale.
La finalité ultime poursuivie par l'Etat lors de la gestion des problèmes
institutionnels, quant à elle, demeure une question épineuse. De fait, face,
d'une part, aux déclarations de bonnes intentions des pouvoirs publics
("Egalité, Liberté, Fraternité "" ... ) , et, d'autre part, le constat d'échec des
mesures visant à réaliser ces intentions, on serait en droit de s'interroger
sur l'efficience de ces mesures ou, plus encore, sur la véracité de ces intentions.
Ne doit-on pas voir dans l'immuabilité de certaines revendications sociales non pas l'incapacité d'y répondre avec efficacité mais une volonté
latente et inavouée (et inavouable !) de reproduire l'ordre social et économique. De fait, les mesures prises par l'Etat pour répondre aux problèmes
institutionnels ont toujours une fin intégratrice, ou plutôt centripète; il
n'est jamais envisagé de remettre en question les structures sociales et
économiques ni leurs fondements mais il s'agit d'éviter que ces problèmes
ne conduisent à l'éclatement de ces structures.
Dans ce contexte, le sociologue, comme tout chercheur, est en droit de
s'interroger sur son rôle au sein de l'appareil étatique et des institutions
politiques internationales. A-t-il encore la liberté et les moyens de produire un discours sociologique? Doit-il se plier aux objectifs de reproduction et de contrôle de son employeur? De manière plus générale, que
penser de la fiabilité et de la validité de la recherche sociologique quand
elle devient outil d'intervention aux mains des forces sociales, qu'elles
100
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
supportent le modèle dominant de société ou qu'elles s'opposent et critiquent celui-ci. Le sociologue est-il contraint de se plier à l'idéologie développée par son employeur?
Face à cette question, le sociologue peut envisager trois positions : le
refus de travailler pour cet employeur, l'acceptation de ce travail en fermant les yeux sur la finalité ultime du travail et en évitant de prendre position par rapport à celle-ci (mais l'adoption de cette attitude professionnelle est-elle réellement compatible avec la finalité du travail sociologique
et ne réduit-elle pas le sociologue à un simple technicien du social ?), ou
l'acceptation du travail en tâchant néanmoins de respecter ses conceptions
éthiques, notamment en s'assurant l'appui de ses pairs au sein de l'organisme employeur, ce qui peut lui permettre une autonomie plus grande.
B. Le type 2 : l'action autonome
L'ensemble des actions menées par des acteurs sociaux autres que
l'Etat en vue de gérer les problèmes institutionnels sera désignée par le
concept d'action autonome.
Les actions autonomes ne sont pas des mouvements sociaux. Elles tentent d'apporter des solutions aux problèmes institutionnels par des pratiques concrètes et par la création d'organisations, au sens ou nous l'entendons, ayant cet objectif, alors que les mouvements sociaux, quant à eux,
posent et traduisent ces problèmes au niveau du système politique. Cependant, il arrive parfois que certains acteurs impliqués dans un mouvement social soient aussi les promoteurs d'actions autonomes, comme c'est
le cas du mouvement pacifiste avec la création de l'Université de Paix.
Néanmoins, il est souvent malaisé de distinguer les organisations résultant
de telles initiatives de celles créées par les acteurs sociaux dans le cadre de
stratégies visant la traduction des problèmes institutionnels au niveau du
système politique et leur résolution par l'Etat, comme c'est le cas des organisations syndicales et des partis politiques.
Les actions autonomes sont, en général, gouvernées par le souci d' améliorer certaines situations matérielles et économiques. Leurs promoteurs
agissent rarement suivant des préoccupations d'ordre économique ou instrumental. Néanmoins, certaines actions autonomes peuvent avoir des objectifs latents, tels que le maintien de positions socio-économiques privilégiées en évitant la remise en question du système social dont elles sont
le produit. On pensera à ce propos au patemalisme de la bourgeoisie industrielle du XIXc siècle.
Le développement des actions autonomes durant ces dernières années
dans des domaines aussi variés que la lutte contre la pauvreté ou contre la
faim, la défense des consommateurs et l'aide aux pays du Tiers-Monde
tend à prouver un changement dans la manière de concevoir la prise en
charge des problèmes institutionnels. Du reste, il serait intéressant de dé-
J.- L.Guyot
101
terminer les raisons de cette modification. S'agit-il là du résultat de la désillusion des acteurs sociaux vis-à-vis du pouvoir d'action de l'Etat, ou du
refus de recourir à un appareil étatique jugé trop lourd et trop lent, ou bien
encore de l'essor d'une nouvelle conception du changement social plus
axée sur le quotidien? Toutefois, la promotion d'actions autonomes, notamment par l'octroi de subsides, constitue pour l'Etat un moyen économique de "sous-traiter" une partie de la gestion des problèmes institutionnels. Celui-ci veillera cependant à ce que ces actions et leurs effets demeurent inscrits dans le carcan des structures économiques et sociales en
place.
Cette opportunité de sous-traitance se conjugue d'ailleurs avec la volonté que marque l'Etat dans certains pays de privatiser les organisations
créées dans le cadre de la politique sociale, par exemple dans les secteurs
des transports en commun, des assurances en matière de santé, des télécommunications ...
C. Le type 3-4 : la gestion organisationnelle
Nous appelons "gestion organisationnelle" l'ensemble des interventions
menées par une organisation en vue de répondre à ses problèmes organisationnels. Ce concept ne vise pas un outil méthodologique particulier. Par
exemple, une étude de marché ou une étude sur la division des tâches dans
une chaîne de montage automobile relèveront de la gestion organisationnelle. Remarquons à ce sujet que certaines méthodes particulières, l'analyse institutionnelle par exemple, peuvent être appliquées aussi bien dans le
cadre de la gestion organisationnelle que dans le cadre de la politique sociale.
Les promoteurs de la gestion organisationnelle sont, par définition, des
organisations. L'Etat, qui est aussi un ensemble de ressources et de moyens qu'il s'agit de coordonner et de structurer en vue d'atteindre certains
objectifs, peut donc aussi promouvoir un tel type d'intervention. On pourrait en effet imaginer que des sociologues soient amenés à collaborer à la
réorganisation du travail de la Société Nationale des Chemins de fer
Belges.
Comme nous l'avons déjà souligné, la rationalité qui gouvernera la
gestion organisationnelle sera de type instrumental: il conviendra d'élaborer les meilleures stratégies en vue d'atteindre les objectifs visés. Néanmoins les solutions apportées aux problèmes organisationnels devront fréquemment tenir compte de certaines contraintes éthiques ou économiques.
Par exemple, dans une entreprise dont l'objectif serait la recherche d'un
profit maximum, une hausse de la productivité de la main-d'œuvre
pourrait être obtenue par une augmentation des salaires, mais cette
solution conduirait à une baisse de la rentabilité et serait, par conséquent,
en contradiction avec les impératifs économiques qui gouvernent l'entre-
102
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
prise. De même, face à une diminution éventuelle du volume des effectifs
inscrits à l'université et donc des moyens de financement, on pourrait proposer comme solution l'augmentation délibérée des taux d'échec et la
favorisation des redoublements; cette solution serait toutefois inacceptable pour des raisons éthiques.
Remarquons pour clore la définition de ce type d'intervention sociale
que la résolution des problèmes organisationnels met parfois à jour l'existence de problèmes institutionnels. La gestion organisationnelle nécessitera alors la résolution de ces derniers. A ce propos, on peut citer le cas du
fonctionnement des universités lié au problème de la politique nationale et
régionale en matière d'enseignement.
En guise de conclusion
Cette tentative d'élaboration d'un cadre conceptuel des problèmes à caractère social et des interventions qu'ils suscitent n'avait pas pour ambition de clôturer le débat à leur sujet mais bien de mettre en évidence, à
partir d'un exemple concret, les divers types de questions auxquelles le
sociologue peut être amené à apporter des solutions et les interrogations
que ce travail de résolution soulève au niveau déontologique. De fait, en
quittant son poste d'observateur désincarné socialement et en prenant part,
ne fût-ce qu'en tant que conseiller, dans la décision et le jeu politique, le
sociologue ne doit-il pas porter toute son attention vers les pressions dont
il peut faire l'objet et vers la production du changement social plutôt que
d'un discours universitaire? Ne doit-il pas alors aussi aider les acteurs sociaux impliqués dans ce changement à parler d'eux-même plutôt que de
simplement discourir à leur sujet?
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J.Verly: 105-119
Travail précaire et protection sociale
par
Jean Verly *
Depuis la fin de la décennie '70, la protection sociale et la législation du travail
ont connu des évolutions significatives, en Belgique paniculièrement, dans un
marché du travail marqué par un chômage élevé en début de période, en diminution en fm de période. Ces évolutions vont de pair avec un développement, à
tout le moins quantitatif, des systèmes de travail atypique.
Ces systèmes se développent dans une tendance à la généralisation de la protection sociale, à l'exception du travail "occasionnel", et à la flexibilité accrue pratiquée par les entreprises, adoptant des décisions marquées par J'incertitude en
période de reprise.
La précarité s'Observerait dans la mesure où se vérifie une non-proportionnalité
des prestations sociales par rapport aux contributions, ainsi que des similitudes
sociologiques, âge et sexe notamment, au sein des catégories d'individus concernés par le phénomène.
Depuis la première crise pétrolière jusqu'au milieu de la décennie '80,
les pays industrialisés européens ont connu une augmentation prononcée
de leur taux de chômage ainsi qu'une diminution de leur population occupant un emploi salarié; ces dernières années cependant une tendance inverse s'observe.
Depuis le début des années '80, dans ces pays et particulièrement en
Belgique, des formes d'emplois "atypiques" se développent. Ces évolutions s'accompagnent d'adaptations de normes juridiques pour les contrats
eux-mêmes, mais aussi de normes qui concernent la protection sociale, à
* Institut
des Sciences du travail de l'U.C.L. Ce texte constitue une synthèse de la contribution belge à
une comparaison européenne sur la "Protection sociale face au travail flexible" effectuée au Centre de
recherches économiques sociales et de gestion des Facultés Catholiques de Lille sous la direction de Fr.
Calcoen, directeur de recherches au C.N.R.S., pour la mission "Recherche Expérimentation" du ministère français des affaires sociales.
106
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
la fois sous l'angle de la contribution du travailleur et celui de l'accès aux
prestations.
Le développement des formes d'emplois atypiques, notamment dans le
cas de la Belgique, peut être analysé à partir de la conception du marché
mettant en présence une offre et une demande de travail.
Partant du principe que tout marché requiert des règles d'organisation,
on s'interrogera sur le rôle que joue les règles du droit social à la fois côté
offre et côté demande de travail.
Le droit social regroupe les règles des contrats et la protection sociale.
La protection sociale elle-même s'organise en conditions d'accès - règles
d'éligibilité et de cotisations - et importance des prestations. Chacun de
ces deux axes a subi des changements significatifs depuis la fin de la décennie '70.
On considérera a priori que le droit social a un double rôle: protection
et stimulation du marché du travail. Ce double rôle concerne les deux acteurs: l'offre émanant des travailleurs et la demande émanant des entreprises.
La dimension sociologique apparaîtra à l'examen des éléments d'informations, de type quantitatifs et qualitatifs, relatifs à la mise en œuvre des
normes. Elle sera d'autant plus pertinente qu'une convergence des faits
s'observera au sein de certaines catégories sociales. Certains facteurs ne
seront pas pris ici en considération: la dimension démographique nécessaire dans le cas d'une analyse prospective et la dimension culturelle, concrétisée par la poursuite de l'accroissement de la population active féminine malgré l'accroissement important du chômage, considérée ici comme
sous-jacente à l'évolution des formes d'emplois a-typiques. Etant des phénomènes de long terme, ces dimensions seront momentanément traitées
comme exogènes à notre propos.
I. Emploi atypique et précarité
L'emploi atypique est défini ici en regard de l'emploi typique. Ce dernier est caractérisé comme suit:
- il s'agit d'un emploi salarié (l'emploi indépendant est exclu de la
présente analyse) ;
- le contrat est à temps plein et à durée indéterminée;
-l'employeur est unique et correspond à l'entreprise où s'exerce le
travail ;
- les conditions de travail, au sens large, sont réglées par la négociation collective, aux différents niveaux où elle est susceptible de
s'exercer (national, sectoriel, entreprise) ;
-le salarié bénéficie d'un salaire régulier;
- il est assujetti au système de protection sociale en vigueur dans le
pays.
lYerly
107
Ces caractéristiques de l'emploi "typique" suggèrent que les formes
d'emplois atypiques n'en vérifient pas la totalité. Une distance s'y manifeste par rapport à l'emploi typique selon la forme d'emploi atypique prise
en considération. La forme extrême et, par défmition, la plus éloignée est
le travail "au noir" où aucune des conditions mentionnées ci-dessus n'est
vérifiée.
On considère aussi que l'emploi atypique est lié à la précarité, et que
cette dernière se caractérise notamment par un revenu faible et/ou irrégulier, un contrat à durée limitée et/ou irrégulier, une protection sociale
moins favorable.
De ce point de vue, le droit social a toujours constitué et constitue encore dans le cas présent, et notamment en Belgique où il est particulièrement développé, une manière privilégiée de limiter la précarité du travail.
Une logique économique de minimisation des coûts tendrait à la favoriser,
notamment en réduisant l'efficacité des lois et des conventions collectives
lorsqu'il s'agit de leur mise en œuvre.
La question de la précarité doit cependant être appréciée à deux niveaux: celui des normes du droit social et celui des faits, les effectifs des
individus concernés par exemple par les types de contrats et le degré d'efficacité des normes.
Pour ce qui est des normes, le droit du travail est perçu comme ayant a
priori un rôle de protection: il établit des règles qui visent à limiter des
excès. Il organise aussi une hiérarchie entre les contrats: il sauvegarde la
position du contrat à durée indéterminée, relativement plus favorable que
le contrat atypique.
De ce point de vue, l'évolution du droit du travail ferait apparaître une
volonté de favoriser des contrats atypiques dans la mesure où certains assouplissements, par exemple les interruptions de carrière, sont consentis
en faveur des contrats typiques. Le développement des premiers résulterait
du maintien des droits des seconds. La difficulté d'accéder au contrat typique serait un facteur de précarisation, favorisé par les normes.
La précarité est conditionnée aussi par les caractéristiques du système
de protection sociale. A cet égard, on distingue, au delà du principe même
de l'assujettissement, le niveau de protection sociale du salarié selon le
volume de son travail et/ou le niveau de son salaire, c'est-à-dire les règles
qui concernent l'organisation des prestations sociales, notamment financières.
Dans la mesure où le niveau de protection sociale ne sera pas nécessairement proportionnel au salaire et/ou au volume de travail de l'individu, il
y aura précarisation, caractérisée par la non-proportionnalité du degré de
protection sociale du travailleur "atypique" par rapport au statut du travail
"typique". Ceci supposerait en outre que le principe de proportionnalité
108
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
soit acquis en ce qui concerne les clauses du contrat. Cette hypothèse est
retenue a priori I.
Outre le niveau des règles qui régissent le contrat et la protection sociale, la mise en œuvre des règles doit aussi être prise en considération. Elle
apparaît notamment à l'observation des caractéristiques sociologiques des
effectifs d'individus des catégories dites a-typiques. Il y aurait précarité
dans la mesure où l'on constate que certaines constantes, notamment le sexe, peuvent être observées. On noterait ainsi une convergence entre l'évolution du droit du travail et les caractéristiques sociologiques des groupes
d'individus concernés.
La mise en œuvre concerne aussi le degré d'application des normes. En
matière de droit du travail, les contrats mini-max et d'appel-le
travailleur étant en attente d'un appel de l'employeur - constituent à la fois des
manières de contourner les normes mais aussi des incitations à renforcer
celles-ci pour limiter ces situations "à la marge".
Les formes d'emplois atypiques qui seront prises ici en considération
sont:
- le travail à temps partiel;
- le travail intérimaire ;
-le travail occasionnel ainsi que le travail saisonnier et intermittent 2.
On exclura les formes de contrats qui impliquent une intervention des
pouvoirs publics, soit de type juridique, soit de type économique, c'est-àdire les contrats qualifiés de sous-statuts y compris les stages des nouveaux diplômés. On exclura aussi le statut d'indépendant bien que celui-ci
puisse se substituer au contrat de travail salarié - dans une moindre mesure cependant en Belgique par rapport à d'autres pays européens telle la
Grande-Bretagne - et constituer ainsi une forme de précarisation.
Il, Les tendances générales du marché de l'emploi
De manière générale, rappelons les tendances de deux éléments fondamentaux du marché de l'emploi en Belgique.
D'une part, la population active civile occupée est sensible à la conjoncture économique. Trois sommets s'observent - 1974, 1980 et 1989 se
situant à un niveau de 3,8 millions d'individus - entrecoupés de deux
phases de dépression: 1977 et 1984-5.
I EUe n'est cependant pas vérifiée au départ de la période prise ici en considération en ce qui concerne
les règles de calcul de l'effectif moyen des travailleurs dans l'entreprise pour l'organisation des élections sociales.
2 L'expression
minent,
travail à temps réduit regroupe le travail à temps partiel, le travail saisonnier et inter-
lYerly
109
En regard de l'évolution de l'emploi salarié, la part de l'emploi indépendant reste sensiblement stable durant ces quinze années: quelque 13%
de la population active.
Complémentairement, le taux de chômage, partant de 3,2% de la population active totale 3 s'est accru pour culminer en 1983-4 au niveau de
14% et redescendre ensuite, sous la barre des 10% (9,9%) en 1989. On
remarquera que la part des chômeurs complets indemnisés (C.c.I.) par
rapport à l'ensemble des c.c.I., qui était de 26% en 1974, a atteint 33%
durant la période de 1980 à 82 pour diminuer ensuite vers 19% en 1989.
III. Les tendances des normes : vers une généralisation de la protection sociale ?
Lorsqu'on compare les évolutions quantitatives résumées ci-dessus en
ce qui concerne la population active et le chômage aux évolutions quantitatives des formes d'emplois a-typiques, la dimension chronologique apparaît essentielle.
Quelles relations, quantitatives à tout le moins, peuvent être dégagées
entre l'emploi atypique et le chômage? Assiste-t-on à la croissance du
premier en période de croissance du chômage?
Si les statistiques peuvent apporter une certaine réponse à cette question, il serait davantage utile d'examiner si les normes en matière de contrat et de protection sociale ont contribué soit à stimuler, soit limiter cette
évolution. Or deux périodes de modifications des normes se dégagent :
81-82 et 87.
Dans la première phase de la crise (jusqu'à la fin de la décennie '70), la
restructuration industrielle domine l'évolution du marché de l'emploi; les
politiques de l'emploi s'avèrent défensives. On citera les éléments suivants qui concernent notre propos :
-la législation concernant le travail temporaire (loi du 28 juin 1976) limite ce dernier à des conditions précises ainsi qu'à une durée de prestations correspondant à
ces conditions; la même loi réglemente le travail intérimaire 4 ; elle balise cette
forme de travail en reconnaissant notanunent au travailleur intérimaire le droit aux
mêmes conditions salariales qu'au travailleur sous contrat "normal" ;
-la loi du 3 mars 1978 sur les contrats de travail salarié précise notamment
tes, correspondant à certaines conditions, du contrat à durée déterminée;
les limi-
3 Concept européen Source: ministère de l'Emploi et du travail.
4 Pour une période de cinq ans. Elle sera relayée par la Convention collective n036 conclue au Conseil
National du Travail en 1981, elle-même relayée par la loi du 24 juillet 1987. Les principes de la loi du
28 juin 1976 sont toutefois maintenus à travers ces textes. Signalons nocamment que les secteurs du déménagement et de la construction se voient exclus, respectivement en 1977 et 1978, du recours à cette
forme d'emploi.
110
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
- en matière de sécurité sociale, on supprime progressivement les plafonds des cotisations durant la seconde partie de la décennie '70, et cette suppression a pour résultat de supprimer le coût relatif plus élevé des bas salaires, et donc des prestations plus réduites.
Les années 81-82 représentent une première période-charnière. Elles
marquent le souci de lutter contre le chômage par des formes de partage
de l'emploi, par le travail à temps partiel et les premières formes de flexibilité du temps de travail.
Les innovations suivantes apparaissent:
- le caractère "normal" du travail à temps partiel est reconnu par une convention
collective conclue en février 1981 au Conseil National du Travail. Ses caractéristiques sont d'être régulier, volontaire et d'une durée plus courte que la durée de
l'emploi à temps plein. Cette reconnaissance est confirmée par la loi du 23 juin
1981 qui précise le statut et les modalités de contrat du travailleur à temps partiel
ainsi que son assujettissement à la sécurité sociale selon les mêmes principes que
le travailleur à temps plein S • Cette loi consacre le principe de proportionnalité
pour le travail à temps partiel au prorata du volume de travail;
-la réforme de la réglementation du chômage en 1982 introduit, d'une part, dans le
calcul de l'allocation le double critère de la situation familiale et de la durée de
l'inoccupation. Cette réforme n'est pas sans rapport notamment avec la répartition
des effectifs de chômeurs selon le sexe; sur base du critère de la situation familiale, le rapport des prestations aux cotisations se détériore pour une certaine partie
des allocataires (isolés et cohabitants) ; d'autre part, elle améliore significativement l'indemnisation du chômage en cas de travail à temps partiel en introduisant
la distinction entre le temps réduit volontaire et le temps réduit involontaire, ce
dernier donnant droit à une allocation de chômage pour la partie du temps non
prestée calculée selon les critères proches du chômeur complet indemnisé (C.C.!.).
Les conditions d'accès tiennent compte de l'évolution de la durée des prestations
dans le cas du temps réduit volontaire: assouplissement de la durée des prestations
en faveur d'une durée hebdomadaire et journalière plus courte;
-les conditions d'accès générales au régime de l'assurance maladie-invalidité sont
assouplies, en 1982, pour tenir compte de l'évolution en faveur de la flexibilité du
temps de travail : passage à une durée de stage de 400 heures en six mois au lieu
des 120 jours requis précédemment. La cotisation est cependant soumise à un minimum qui sera revalorisé en 1983, minimum qui pourrait être atteint par une contribution personnelle complémentaire 6. Dans les faits, seul le travailleur isolé qui
ne satisfait pas à ces conditions d'accès risque la non-couverture en matière de
soins de santé. Le droit à l'indemnité risque de poser difficulté pour le travailleur à
S La durée du préavis est identique à celle du conttat à temps plein. Les heures supplémentaires peuvent
être prestées (cene caractéristique subissant des aménagements à partir de la loi du 23 janvier 1985)
dont il sera question ci-après. Les relations collectives de travail concernent les travailleurs à temps partiel quoique leur effectif dans l'entreprise ne soit pas proportionnel aux heures prestées pour calculer l'effectif moyen dans l'entreprise en vue des élections sociales.
6 Une cotisation minimale est exigée à partir de 1983 qui correspond annuellement à six fois le montant
du revenu minimum mensuel moyen, condition qui s'ajoute à la condition de volume de prestations.
lYerly
111
temps partiel qui ne satisfait pas au volume de prestations minimal dès qu'il se
trouve en situation d'incapacité;
- en ce qui concerne l'invalidité 7, la condition de régularité qui impose la satisfaction de conditions de volume de prestations et de niveau de salaire a été renforcée
en 1983 limitant dans les faits l'accès à ce régime pour les travailleurs ayant eu
une prestation proche d'un trois quarts temps et un salaire équivalent au moins au
revenu minimum mensuel moyen ; le calcul de la prestation - proportionnelle au
salaire perdu en cas d'incapacité primaire, tenant compte de l'existence de personnes à charge, en cas d'invalidité - n'est pas modifié à cette date;
- en matière d'allocations familiales pour les salariés, la condition d'accès relative
au volume du temps de travail est assouplie en 1981 ; un minimum de durée de
travail reste requis (80 heures par mois) qui distingue l'allocation mensuelle forfaitaire de l'allocation journalière; des améliorations interviendront à l'étape suivante;
- le principe de proportionnalité dans le calcul des pensions reste acquis et inchangé
sur la période de même que le principe du droit à une pension minimum si la
condition de prestations d'au moins deux tiers du temps plein n'est pas satisfaite.
L'année '87 est la seconde période-charnière dans l'évolution. En phase
de résorption du chômage, on assiste aussi à une accentuation de la flexibilité notamment des nonnes relatives aux contrats temporaires; des situations de mixité entre l'emploi et le chômage sont stimulées et s'étendent, outre au travail à temps partiel, aux occupations occasionnelles. Cette période est aussi celle de l'évolution quantitative la plus marquante des
formes d'emplois a-typiques.
On rappellera les éléments suivants :
-Ja loi du 24 juillet 1987 assouplit les possibilités d'usage du contrat temporaire et
notamment les conditions de son utilisation ainsi que le caractère successif desdits
contrats; son usage est, en outre, étendu au secteur public 8 ;
- en ce qui concerne les prestations très réduites (travail occasionnel), l'assujettissement devient obligatoire pour les prestations inférieures à deux heures par jour
(Arrêté Royal du 24 août 1987) 9 ; les exceptions principales à cette obligation
sont les domestiques externes dont les prestations peuvent aller jusqu'à 24 heures
par semaine, les étudiants pour une occupation maximale d'un mois durant les
mois d'été;
- la compatibilité entre travail occasionnel et chômage est encouragée par la création
des Agences Locales pour l'Emploi (A.R. du 19 juin 1987) ; cet assouplissement
7 A partir de douze mois d'incapacité.
8 Cette possibilité de recours au contrat temporaire avait été, dans les principes, assouplie par la loi du
23 janvier 1985, dite de flexibilité sociale, instaurant l'interruption de la carrière professionnelle et stimulant, en conséquence, le remplacement du travailleur par un travailleur sous contrat à durée déterminée. Il s'agit ici d'une formule réglementaire qui stimulerait explicitement le recours au travail temporaire.
date de l'A.R. du 28 novembre 1969, à l'exception notamment des artistes rémunérés, des domestiques internes, des sportifs rémunérés et des travailleurs du nettoyage.
9 La dispense de l'assujettissement
112
Recherches Sociologiques,
1991/1-2
apparaît comme une forme d'atténuation
lutte contre l'exclusion économique;
du travail au noir, en même temps que de
- on observe une tendance à la restriction dans le calcul de l'allocation de chômage
du travail à temps partiel pour échapper au chômage 10, ainsi qu'un renforcement
des contrôles dans la mise en œuvre de ce régime, notamment en cas de changement d'employeur;
à l'inverse, une tendance à l'assouplissement du droit à l'allocation de chômage dans le cas du travailleur à temps partiel volontaire qui aurait
perdu son emploi : la proportionnalité est totalement acquise dans ce cas; en outre,
le droit à une allocation
complémentaire
est reconnu,
en 1990, en cas
d'acceptation d'un travail à temps plus réduit que le précédent;
- les conditions d'accès à l'assurance maladie-invalidité en termes de cotisation minimale sont renforcées en 1989 tandis qu'elles sont assouplies en termes de durée
de prestations 11 ;
- le régime des allocations familiales pour travailleur
l'allocation journalière par l'assouplissement
de la
la trimestrialisation du paiement à partir de 1989 ;
une majoration progressive de l'allocation familiale
salarié voit la suppression de
condition d'accès au régime et
en outre, cette période apporte
pour enfants de chômeurs 12.
En résumé, les années 81-82 sont marquées par l'adaptation des réglementations des contrats et de la protection sociale en faveur du travail à
temps partiel, considéré comme moyen privilégié pour diminuer le chômage, à un moment où le taux de chômage est le plus élevé de toute la période.
Selon le droit du travail, le travail partiel devient un emploi "normal" 13.
Selon la protection sociale, pour les cotisations aussi bien que pour les
prestations, les discriminations sont supprimées. Elles subsistent cependant en assurance maladie et en invalidité, à propos des conditions d' accès. Dès lors, un travail de durée et/ou de salaire inférieur à ces conditions
d'accès est discriminé.
La reconnaissance de deux catégories de temps partiel, volontaireet involontaire, du point de vue du chômage constitue une originalité de
l'assurance-chômage en Belgique.
Durant cette période, on observe une tendance à limiter le montant des
allocations notamment de chômage à partir du critère de revenu familial
modifiant ainsi le type de correspondance entre cotisations et prestations.
10 Aboutissant progressivement à limiter le revenu global du travailleur à 137% du revenu minimum
mensuel moyen.
11 Une cotisation perçue sur l'équivalent de six fois le revenu minimum mensuel moyen et une prestation de 120 jours ou 400 heures sur 6 à 18 mois avant la demande de bénéfice du régime.
12 Progressivement
13 Certains aspects
pour le premia enfant en 1983 au troisième enfant en 1988.
tels que durée des préavis, durée des vacances, jours fériés, peuvent être considérés
comme étant plus favorables que le principe quantitatif de proportionnalité. Par contre, la réglementation des élections sociales concernant le calcul de l'effectif moyen des travailleurs maintient une discrimination en défaveur des prestations inférieures à l'équivalent d'un mi-temps.
J.Verly
113
Durant la seconde partie de la décennie '80, en période de diminution
du chômage, différents types de mesures agissent de manière apparemment contradictoire sur l'offre de travail: une extension de la protection
sociale, en faveur du travail occasionnel ou à prestation très réduite, une
incitation à des statuts combinant droit au chômage et prestations de travail, une désincitation au travail à temps réduit pour échapper au chômage
dans la mesure où des conditions de calcul de l'allocation de chômage
sont rendues moins favorables. La demande de travail serait favorisée par
un assouplissement des règles concernant les contrats à durée déterminée.
Derrière ces différentes mesures se profile la contrainte budgétaire de
l'Etat: nécessité de résorber le coût du chômage en modifiant les conditions de l'allocation; accroissement de la contribution par l'élargissement
de l'assujettissement.
Durant l'ensemble de cette période, on observe une tendance à long
terme à rendre les allocations familiales indépendantes de l'activité professionnelle et, a fortiori, des critères liés au revenu familial qui sont introduits en matière de chômage et d'invalidité.
IV. Les faits
On résume ci-dessous des faits de type quantitatif et qualitatif pour tenter de cerner le type de relation entre ceux-ci et les normes dont on vient
de rappeler l'évolution.
A. Les effectifs du travail a-typique
Sur l'ensemble de la décennie, on observe l'évolution quantitative suivante des formes d'emplois a-typiques, (voir tableaux 1 et 2 en annexe).
L'effectif du travail à temps réduit a quadruplé durant la période des
vingt dernières années en Belgique; il a doublé entre 1983 et 1988 ; sa
part, relativement à l'ensemble du travail salarié, privé et public, est passée de 10,1% à 18,7% entre 1983 et 1988.
Dans le total de l'emploi masculin, la part des travailleurs à temps réduit passe de 3,6% eil1983 à 7,3% en 1988 ; dans l'emploi féminin, cette
part passe de 21,6% à 36,5% sur la même période, si bien qu'en 1988,
chez les femmes, l'effectif du temps réduit représente 57% de l'effectif du
temps plein.
Dans l'ensemble du travail à temps réduit, la part de la catégorie des
"Chômeurs travaillant à temps réduit pour échapper au chômage", système
existant en Belgique depuis 1982, connaît une croissance particulièrement
significative pour atteindre en 1988 le tiers de l'ensemble des travailleurs
à temps réduit; la croissance se poursuit malgré des contraintes plus marquées concernant les conditions d'accès au régime et le calcul de l'allocation.
114
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Si l'on tient compte de l'âge et du sexe, les chiffres de l'I.N.A.M.I.
(Institut National d'Assurance Maladie Invalidité) permettent de constater
que le travail à temps partiel se retrouve chez les hommes aux deux extrêmes d'âges de la carrière professionnelle, tandis qu'on le retrouve chez les
femmes plutôt dans la tranche des 25 à 45 ans.
En outre, selon un sondage effectué par l'O.N.Em. (Office National de
l'Emploi) en 1987, la part des travailleurs à temps partiel bénéficiant d'allocations de chômage - de la catégorie du temps partiel involontaire était de 35% de l'ensemble des travailleurs à temps partiel tandis que cette
part était de 63% pour les travailleurs à temps partiel de moins de 25 ans.
En ce qui concerne le travail intérimaire, ses effectifs ont été multipliés
par 2,44 entre 1983 et 198814; la composition de l'effectif a cependant
significativement changé: la part des travailleurs manuels y a considérablement augmenté, passant de 35 à68% de 1977 à 1988; la part des
femmes a connu une évolution inverse, passant de 55 à 36% sur la même
période.
Le travail occasionnel ne fait pas l'objet d'évaluation régulière; pour
1988I'o.N.S.S. évalue à 62.220 le nombre d'individus dont les prestations
ne dépassaient pas deux heures par jour et qui furent assujettis à la sécurité
sociale, à l'occasion de la loi du 1987.
B. Les conditions de travail
La mise en œuvre du droit du travail concerne ici principalement le
contrat et le volume des prestations.
La tendance des normes a consisté à délimiter plus clairement les circonstances autorisant le recours au travail à durée déterminée IS. Après un
premier contrat de ce type, le travailleur est sensé passer sous contrat à
durée indéterminée; dans les faits cependant, il semble par exemple que
des interruptions de contrats justifient la succession de contrats à durée déterminée.
L'organisation des prestations semble poser problème principalement
lorsqu'il s'agit du travail à temps partiel.
Dans les faits, ont été relevés des systèmes de mini-max et des contrats
d'appel dits aussi "de vacation". Ces formules se traduisent soit par une
succession, discutée par la jurisprudence, du nombre de contrats à durée
déterminée dans le chef du même travailleur, soit par une durée de travail
variable, voire des horaires variables sans procédure d'avertissement.
14 De 16.385 individus en 1983 dont 41 % de femmes à 39.921 individus en 1988 dont 36% de femmes.
à trois circonstances le recours à ce type de
contrat La loi du 24 juillet 1987 assouplit cependant les conditions de recours aux contrats successifs.
15 La loi du 28 juin 1976 relative au travail temporaire limite
J.Verly
115
Ces situations ont donné lieu, en Belgique, à une volonté de clarification par la loi-programme de 1990 16limitant à un minimum de trois heures par jour les prestations de travail à temps partiel et introduisant une
procédure de contrôle plus stricte des horaires de travail.
La fluctuation du volume des prestations peut aussi poser problème
dans le cas du travail à temps partiel "pour échapper au chômage" : la
prestation d'heures complémentaires peut avoir une incidence sur le montant voire le droit à l'allocation de chômage.
En résumé, l'évolution de la période analysée ici, en Belgique, montre
une volonté de baliser les effets de la tendance à la flexibilité du temps de
travail, tendance induite par la législation et les conventions collectives,
particulièrement depuis 1987.
Durant la même période cependant, une loi de 1987 clarifie la notion de
prestations très réduites, officialisant ainsi un nouveau champ du marché
du travail.
Soulignons enfin que la connaissance des faits se rapportant aux conditions de travail ne fait, en Belgique, l'objet d'aucune enquête voire d'aucun relevé systématique.
v. Conclusions
Partis du principe du marché c'est-à-dire du principe d'interaction entre
offre et demande dans le domaine du travail, nous proposons les remarques suivantes :
1. Le droit social joue un double rôle par rapport au fonctionnement de
ce marché: rôle de protection et rôle d'organisation; ce double rôle vise
les deux protagonistes du marché du travail.
Du point de vue de l'offre, dans les années '80, en Belgique, le droit du
travail a stimulé le développement des emplois atypiques; le droit social
a joué un rôle comparable tout au moins à propos des conditions d'accès à
la protection sociale.
Ona pu remarquer que ce rôle, selon qu'il s'agit de l'offre ou de la demande, peut être soit protecteur, soit stimulateur selon les phases de
l'activité économique.
Si le développement quantitatif de l'emploi atypique est simultané à la
baisse du chômage complet, c'est-à-dire depuis le milieu de la décennie
'80, il peut être interprété comme répondant à la nécessité des entreprises
de s'adapter à un accroissement de la demande de produits en situation
d'incertitude et de pratiquer une gestion de la main-d'œuvre répondant à
cette contrainte.
16La loi du 22 décembre 1989 dite loi-programme pour 1990 entrant en application à ce sujet le 1er
avrill990.
116
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
2. Cette étude des contrats atypiques a permis d'apporter des éléments à
la discussion concernant la convergence entre ces contrats et la précarité
dans l'emploi.
La convergence a été significativement corrigée à l'occasion des réformes du début de la décennie concernant le travail à temps partiel. Elle persiste cependant à propos des conditions d'accès à l'invalidité, et, d'autre
pan, pour les non-assujettis isolés c'est-à-dire les personnes ne travaillant
"qu'occasionnellement". Seul le droit à l'allocation de chômage permettrait l'accès à la protection sociale, droit qui par ailleurs et dans la même
période, est stimulé dans l'évolution de la réglementation concernant l'assistance sociale (minimex).
.
Sociologiquement, au vu des effectifs, la précarité risque de toucher davantage les femmes et les personnes aux âges extrêmes de la carrière professionnelle.
Le critère du sexe ne semble pas jouer dans le cas du travail intérimaire
comme on l'observe dans le cas du travail à temps partiel. Le critère du
statut, ouvrier, employé, y semble le plus déterminant.
3. Une évolution récente montre que des statuts intermédiaires entre
l'emploi typique (à temps plein et à durée indéterminée) et le chômage
complet tendent à se développer. Ces différents statuts se situent à une
certaine "distance" par rapport à l'emploi typique. Quantitativement, l'ensemble de ces statuts intermédiaires serait devenu aussi important que le
chômage complet. Sociologiquement, ce phénomène signifie un éclatement des situations de travail, phénomène concrétisé dans les conditions
d'exercice de ce travail et le degré d'appartenance à la collectivité de travail, par exemple au niveau de l'entreprise lorsqu'il s'agit de l'exercice de
la représentation collective.
4. Si les conditions de l'emploi qui concernent l'emploi typique se déterminent en Belgique, dans une très large mesure, dans le cadre de la négociation collective au différents niveaux où elle s'exerce, il apparaît à
l'examen du développement des emplois atypiques que ceux-ci trouvent
leur origine essentiellement dans des mesures réglementaires (lois, A.R.)
et que, pour l'essentiel, la mise en œuvre de ces règles est de type contractuel (le contrat individuel liant le travailleur à l'employeur) plutôt que
conventionnel (dans le cadre de la négociation collective aux différents
niveaux où elle s'exerce). En d'autres termes, le développement des contrats atypiques signifie un rôle croissant du pouvoir législatif sur les relations de travail c'est-à-dire aussi une réduction du champ de la négociation collective.
lVerly
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117
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commission permanente des questions juridiques et institutionnelles
de
l'Association internationale de sécurité sociale, texte ronéo.
MEULDERS D., PLASMAN R.,
1989 "Pouvoirs publics et nouvelles formes d'emploi", Revue française des affaires sociales, Numéro hors série, pp.143-166.
TOLLETR., VANDEWALLEJ.,
1987 Le travail à temps partiel de 1973 à 1985, Bruxelles, Bureau du Plan,
Planning Papers.
VERLY t;
1989 Emploi et travail, Bruxelles, Ciaco.
118
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Annexes
Tableau 1. Proportion du temps partiel dans l'emploi total à diverses dates
1973
1975
1977
1979
1981
1983
1984
1985
1988
OSCE*
OSCE
OSCE
INS
OSCE
OSCE
INS
OSCE
INAM!**
OSCE
INAM!
INS (OSCE)
INAM!
INAM!
Dans l'emploi total
H
F
H+F
1.0
10.2
3.8
1.0
13.0
4.9
1.2
16.7
6.1
1.0
15.6
5.6
1.0
16.5
6.0
1.3
6.4
16.3
1.7
18.2
7.2
2.0
19.7
8.1
Dans l'emploi salarié
H
F
H+F
0.7
14.1
4.9
1.9
20.1
20.9
22.2
24.1
23.2
26.8
36.5
8.3
9.5
8.5
11.1
1.5
20.3
8.0
3.2
1.3
1.8
21.1
8.6
3.6
1.8
4.1
7.3
9.2
12.5
18.7
Sources: 1973-83 : R.Leroy, V.C.L. ; 1983-85: R.Tollet, Bureau du Plan; 1988: calculs personnels
•.O.S.C.E. (Office Statistique des Communautés Européennes) : Enquête par sondage
sur les forces de travail. Les taux portent sur la somme des personnes ayant un emploi
"principal" et "occasionnel".
**I.N.A.M.I. : Déclaration des employeurs à l'Assurance Maladie Invalidité.
Tableau 2. Emploi à temps plein et à temps réduit
H
F
H+F
H
F
H+F
Travailleurs manuels (contrat privé)
T. plein
T. réduit
T.partiel
Saisonniers
Intermittents
Total
T.réd.!I'ot (%)
808
23.2
18
0.4
4.8
831.2
2.8
229
66.4
65
0.5
1.9
295.4
22.5
1037
90.7
83
0.9
6.8
1127.7
8.0
763
67.5
46.6
0.5
20.4
187
139.3
130.3
0.6
8.4
808.6
8.3
289.2
48.2
28.8
1097.8
18.8
824
134.5
129.1
0.14
5.2
958.1
14
488
46.2
42.1
0.14
4.0
534.2
8.6
345
207.6
197.3
0.05
10.2
552.6
37.6
833
253.8
239.4
0.19
14.2
1086.8
23.4
345
12.1
170
56.2
226.2
24.8
515
68.4
583.4
11.7
703
403.4
384
19.4
1106.4
2307
529.4
485
44.4
2836.4
36.5
18.7
950
206.8
176.9
1.1
Travailleurs intellectuels (contrat privé)
T.plein
T.réduit
T.partiel
Saisonniers
Intermittents
Total
T.réd.!I'ot (%)
485
27.4
389
107.1
25.9
0.04
1.5
512.4
5.3
103.2
0.1
3.8
446.1
24
363
11.4
374.4
3.0
184
33
217
15.2
547
44.4
591.4
7.5
357.2
3.4
1656
61.8
753
207.4
201
6.4
960.4
21.6
2409
269.2
256
13.2
2678.4
10.1
1604
126
101
25
1730
7.3
Fonctionnaires
T.plein
T.partiel
Total
T'pa/Tot
(%)
Ensemble des travailleurs salariés
T.plein
T.réduit
T.partiel
Sais. + intermittents
Total
T.rédffot (%)
55
6.8
17i8
3.6
Revue scientifique internationale
Directeur, Jean Rémy
Secrétariat de rédaction, Odile Saint-Raymond
5. allées Antonio-Machado
31058 Toulouse Cedex - Tél. 6150 43 92
Sommaire
du nO 56 Partages de l'Espace
Le logement des minorités ethniques en GrandeBretagne, par Danièle Bloch-Rive.
Habitat social et politiques de territorielisetion : une
nouvelle génération d"'acteurs" urbains? par
Thierry Bloss.
La distribution de l'espace monastique, par Albert
Levy.
Les courants fondateurs de la sociologie urbaine
américaine: des origines à 1970, par Jean Rémy.
L'économie de la construction en France face aux
mutations de la tiuère. Quelques éléments pour
une approche nouvelle, par Maurice Vincent.
Des familles maghrébines dans une ville nouvelle
de la région parisienne, par Mauricio Catani.
Sommaire
du nO 57-58
Raymond Ledrut et son œuvre
Introduction
S, Autour de la "Révolution cachée":
- Allégresse tragique, Aperçus sur le nihilisme
dans "La révolution cachée" de R. Ledrut,
par Patrick Tacussel.
- Entre l'essai et le programme: "La révolution
cachée", par Alain Bourdin.
6, Autour de "La forme et le sens dans la société" :
- L'espace urbain conçu comme projection de
"formes" (au sens de R. Ledrut) sur le sol, traduites techniquement en structures "alvéolaires", par Henri Janne.
- Liens dynamiques entre la forme et le sens
ou l'épistémologie sociologique de R. Ledrut,
par Jean Rémy.
- Espace, forme sociale et forme de vie: une
exploration d'après Ledrut, Schutz et Simmel, par Claude Javeau.
- "La forme et le sens dans la société": un
nouvel esprit scientifique à l'usage des
sociologues, par Monique Hirshhorn.
7, Autour de l'œuvre de Raymond Ledrut:
- Ledrut, l'espace, la ville, par Jean Duvignaud.
- Métropoles et réseaux, par Michel Bassand,
Pierre Rossel.
- La forme d'un univers et sa valeur. Hommage
à R.' Ledrut, par Pierre Pellegrino.
1, Biographie de Raymond Ledrut, par Claude
Rivals.
2, Textes inédits de Raymond Ledrut:
- "L'Age de la Terreur" - Avant-propos.
- "Les communications sociales urbaines:
l'information du citadin".
3, Autour de "l'Espace en question":
- Le nouveau monde urbain, par Bernard Kayser.
- Le champ politique local et la "concertation"
dans "L'espace en question" de R. Ledrut,
par Maurice Blanc.
- A la recherche de l'espace pour un nouveau
monde urbain. A propos de "L'espace en
question" de R. Ledrut, par Monique Coornaert,
4, Autour des "Images de la ville" :
- "Les images de la ville" : questions au postmodemisme, par Uliane Voye.
- Images de la ville, images de la vie; par Chistian Roy.
.
- Composer la ville et ses images. Hommage à
R. Ledrut, par Michel Conan.
En vente aux Editions L'Harmattan
l'ordre et le paiement sont à adresser aux Editions L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole Polytechnique, 75005 PARIS
o n" 56 "Partages de l'espace: 80 F
0 nO 57-58 "R. Ledrut et son œuvre"
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E. Saussez: 121-132
Une politique sociale laretraite
par
Eric Saussez
*
Cet article a pour objectif de cerner l'évolution des politiques de retrait de la
vie active des travailleurs âgés et de leurs enjeux pour la société et montre que
ce retrait a progressivement pris, dans la société industrieUe, la fonne de la retraite. Avec la crise économique, il a été fréquemment anticipé par le biais de
diverses mesures du type "prépension". Cette évolution a eu et aura des conséquences tant sur le financement actuel que futur de la sécurité sociale, les rapports entre générations et l'évolution du contenu de la vieiUesse.
I. Historique
La retraite actuelle est une création de la société industrielle. Sa mise en
place se fit en plusieurs étapes et donna lieu à un débat contradictoire entre divers acteurs: les travailleurs et leurs organisations représentatives,
les entreprises et le patronat ainsi que les pouvoirs publics.
En effet, la doctrine libérale de la fin du XIX" siècle s'est longtemps opposée à ce type de protection sociale: elle ne voulait ni de l'intervention
de l'Etat, ni de l'obligation de s'assurer. Pour les libéraux, la retraite obligatoire était une "prime à l'imprévoyance" qui empêchait la constitution
d'un patrimoine par le travailleur et affaiblissait les solidarités familiales:
seule la prévoyance individuelle avait grâce à leurs yeux. Andreani voit
dans cette doctrine une façon de «préconiser pour l'ouvrier ce qui est bon
pour le bourgeois». «On accède à la bourgeoisie par le patrimoine. La retraite pérenniserait le salariat» (1986 :16). Un rapport parlementaire
français de 1849 précise qu'un ouvrier qui serait assuré contre la maladie
et la vieillesse ne chercherait plus dans la constitution d'une famille les
* Institut
des Sciences du travail de l'U.CL.
122
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
garanties que celle-ci procure aux travailleurs âgés. Le retraité serait donc
tenté par la débauche (Bois, 1989).
Le développement de l'industrialisation soulevait cependant de façon
aiguë la question de la condition sociale du vieux travailleur. En effet, le
début de l'industrialisation se caractérisait par une «accumulation extensive du capital avec un rapport salarial défavorable aux salariés» (Frossard, 1983 :11). Pour Frossard, «Ceux qui résistent aux dures conditions
de travail [... ] peuvent [... ] travailler sans âge limite défini, de même que
ceux qui sont hors de la sphère capitaliste» (Ibid.). Si ce n'est pas le cas,
l'exclusion sans protection s'impose. Plus tard, l'organisation du travail
sera d'ailleurs un des facteurs nécessitant le développement d'une politique de retraite. En effet, lorsque l'organisation scientifique du travail
(O.S.T.) de Taylor va prédominer, la situation des travailleurs âgés sera
difficile. De fait, l'O.S.T. se base sur le postulat d'un "travailleur moyen",
«correspondant à un modèle d'homme jeune, en bonne santé, stable dans
le temps et interchangeable» (Teiger, Villatte, 1983 :28). La retraite deviendra alors une "récompense" octroyée au travailleur qui ne répond plus
à la norme standard.
Si les organisations syndicales naissantes se préoccupaient de la situation de ces vieux travailleurs, elles étaient cependant mitigées quant aux
retraites qui se mettaient en place. Ainsi, la Centrale Générale des Travailleurs (C.G.T. française) parlait de "droit pour les morts", vu l'âge élevé
d'accès et critiquait les faibles montants de ces retraites. Les syndicats britanniques craignaient quant à eux de voir diminuer «les capacités de cotiser de leurs adhérents». De plus, se posait fréquemment la question de la
gestion des fonds faisant souvent l'objet de caisses d'entreprises. Les syndicats voulaient en contrôler la gestion (Babeau, 1985).
Pour sa part, l'Etat va progressivement prendre conscience de la situation des travailleurs âgés dans la société industrielle : le paupérisme les
menaçait. La retraite va permettre à ces anciens travailleurs de vivre la
dernière période de leur vie dans une relative sécurité financière. Andreani
voit dans les premières retraites, «un effort pour réduire des tensions jugées dangereuses», rapprocher de la bourgeoise «les classes populaires et
gagner leur appui électoral [... ] La fonction politique d'intégration sociale
se révèle clairement et contribue à expliquer les réticences des syndicats»
(1986 :23). A cet égard, il signale qu'en France, l'initiative vient principalement de la gauche réformatrice plutôt que de la gauche révolutionnaire.
Une des fonctions assignées à la retraite est donc celle d 'assistance aux
vieux travailleurs qui peuvent accéder au "droit au repos" ne pouvant plus
jouir de leur "droit au travail" (Harff, 1982).
L'Etat ad' ailleurs été le précurseur des retraites dans nombre de pays
(dès 1847 en Belgique), celles-ci étant octroyées à diverses catégories de
ses travailleurs (et, en particulier, les militaires). En Belgique, dans le sec-
E. Saussez
123
teur privé, au milieu du XIX- siècle, des mesures d'encouragement à l'épargne individuelle furent mises en place. En 1911, l'obligation d' assurance était imposée au secteur minier, «secteur par ailleurs stratégique pour
l'économie de l'époque» (Lewalle, Spronck, 1989 :297). En 1924, l'assurance obligatoire était étendue aux ouvriers et, en 1925, aux employés.
Ces systèmes de retraite sont basés sur le principe de la capitalisation
(les cotisations versées donnent lieu, le moment venu, à la perception d'un
capital ou d'une rente). A ce moment, le financement devient tripartite:
les cotisations des travailleurs et des employeurs sont complétées par les
subsides de l'Etat. La capitalisation va cependant vite montrer ses lacunes
face à l'érosion monétaire, ses «difficultés de garantir un revenu en rapport au capital investi» et surtout, son incapacité «à mettre en place des
instruments de politique sociale de relèvement des niveaux de prestation»
(Op.cit. :298). Ainsi, l'Etat va devoir financer au moyen de la fiscalisation
des prestations annexes (allocation annuelle de vieillesse pour employés,
majoration des rentes de veuves pour ouvriers, etc.).
L'arrêté royal du 28 décembre 1944 fondant la sécurité sociale des travailleurs salariés va être à la base du système actuel de retraite fondé sur la
répartition. Cette dernière introduit une solidarité entre les générations
d'actifs et d'inactifs âgés (les cotisations versées par les actifs à un moment donné sont la base du financement des retraites perçues par les retraités de ce même moment). On parlera à cet égard de "pension du vieux
travailleur", car le calcul du montant de la retraite est principalement fonction de sa carrière passée et des revenus moyens perçus durant celle-ci
(Laurent, 1985). Nous noterons que, peu à peu, la retraite s'est généralisée
à la quasi totalité de la population: les travailleurs indépendants et les
professions libérales ont, à présent, leur retraite légale calculée, pour les
années postérieures à 1983, selon les mêmes modalités que celle des
travailleurs salariés.
II. Répartition et solidarité entre générations
La solidarité est plus aisée à mettre en œuvre dans la répartition que
dans la capitalisation; dans le premier système, le lien entre les droits acquis et l'effort contributif est moins direct: la répartition favorise notamment les revenus faibles. En effet, si les cotisations sont prélevées sur base
des salaires réels, l'avantage octroyé est calculé sur base de ces mêmes
salaires de référence, mais plafonnés: l'existence de minima et de maxima
de pensions va aller dans le sens d'une redistribution en faveur des anciens travailleurs à faibles revenus. La retraite légale va donc avoir une
nouvelle fonction de réduction des inégalités.
Le financement d'un régime de répartition peut cependant connaître des
difficultés, principalement en période de récession économique (la masse
salariale qui donne lieu à perception de cotisations s'amenuise) et/ou de
124
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
vieillissement démographique. La période actuelle se caractérise par la
combinaison de ces deux facteurs.
Actuellement, les recettes de ce secteur de la sécurité sociale se font
plus rares alors que les dépenses sont en augmentation sous la combinaison de trois facteurs :
- le nombre des bénéficiaires est plus élevé;
-l'allongement de la longévité fait que les retraites sont versées aux retraités sur une période de vie plus longue; l'âge de la retraite n'a pas évolué alors que la longévité moyenne a augmenté, d'où une période de perception de la retraite qui augmente;
- les régimes de retraite sont arrivés à maturité et ont pour principale
conséquence une augmentation du montant des retraites (en effet, les retraites actuelles sont calculées à partir des salaires réels plafonnés perçus
durant la carrière alors qu'au départ du système, ces données faisant défaut, le calcul s'effectuait sur base de salaires forfaitaires moins élevés).
A partir de ce constat, on peut craindre un conflit de générations. En effet, les projections démographiques sont pessimistes de ce point de vue :
la tendance longue est à un vieillissement accentué de la population. Les
"65 ans et plus", représentaient 10,7 % de la population totale belge en
1947; ce chiffre est passé à 14 % en 1986 et atteindra les 16,8 % en 2001
(Carnoy, Defeyt, Saussez, Verly, 1988). D'autre part, le lien entre reprise
économique et reprise de l'emploi est parfois contesté. Nous y reviendrons
plus loin dans cet article. L'on s'orienterait donc vers une augmentation
des dépenses en une période incertaine pour les recettes. Le scénario classique consisterait donc en une augmentation des cotisations sociales sur le
revenu du travail des actifs; le problème d'un seuil-limite se posera, le
poids des inactifs âgés devenant trop lourd pour les actifs plus jeunes.
Pour Gollier, il n'est possible de garantir les pensions futures en système de répartition que par : soit une croissance économique, soit une
croissance démographique, soit l'affectation de réserves, rares dans ce
système, et, enfin, soit par une solidarité illimitée entre les générations
successives, «chacune d'entre elles acceptant de payer de ses cotisations
les pensions que se sont votées à elles-mêmes les générations précédentes
et cela, quelles que soient les circonstances» (1989 :287) Cette dernière
solution, parfois évoquée, poserait, par le biais d'une augmentation des
cotisations des travailleurs, la question de l'équité entre les générations
qui voudrait que l'on n'exige pas des générations qui nous suivent des cotisations plus élevées pour les mêmes pensions. Or un scénario possible
est plutôt une augmentation des cotisations pour des pensions moins élevées.
Des discours très pessimistes sur l'avenir des retraites légales sont donc
développés. Ils s'insèrent dans une approche classique du problème en
termes de recettes et de dépenses sans modification du système actuel. Or
E. Saussez
125
de nouvelles pistes doivent être étudiées. Ainsi, en va-t-il dès sources de
financement. A cet égard, Gollier signale que l'on met fréquemment en
évidence le rapport actifs/inactifs alors qu'il serait plus pertinent de rapprocher la masse salariale (donnant lieu à perception de cotisations) des
dépenses. En effet, même en cas de stagnation de l'emploi, une augmentation des salaires engendrerait celle de la masse salariale qui aurait, quant
à elle, pour conséquence l'augmentation des cotisations perçues et, cela,
même à taux de cotisation constant. Le rapport actifs/inactifs tant cité présente donc la faiblesse de ne pas inclure dans le raisonnement la variable
"évolution des salaires" pourtant fondamentale.
Pour sa part, Delcourt reproche à ces scénarios "catastrophes" de ne pas
tenir compte d'une possible "sortie de crise" ; «la révolution technologique en cours» permettrait à la population active d' «être autrement productive demain qu'elle ne l'est aujourd'hui» (1989 :330). A ce propos,
est-il exclu d'envisager de nouvelles sources de financement? Ainsi,
pourrait-il en être de la plus-value dégagée par l'introduction des nouvelles technologies "mangeuses d'emplois" et donc de salaires et par voie
de conséquence de cotisations sociales.
Nous rappellerons que le système légal actuel des retraites date de la fm
de la Seconde Guerre mondiale et a pour base, l'organisation de l' économie et du travail de ce moment, d'un certain type de rapport entre le capital et le travail. Or, cette situation a évolué. Ne conviendrait-il pas d'en tenir compte dans la réflexion future ?
Gollier propose, quant à lui, une réforme fondamentale du système de
retraite qui irait dans le sens d'une politique des trois piliers: à une pension légale, scindée en deux étages, s'ajouteraient des pensions extra-légales de groupe et individuelles. Ce système permettrait de combiner divers
modes de financement des retraites (répartition, capitalisation collective et
individuelle). L'avantage principal serait de combiner les avantages et
inconvénients des divers systèmes avec pour effet de garantir un certain
niveau de pension aux futurs retraités. De plus, cette approche renouvelle
le débat contradictoire entre capitalisation et répartition: à une approche
en termes d'opposition se substituerait celle en termes de complémentarité.
III. De la vieillesse
Par ailleurs, le vieillissement de la société est toujours perçu sur base
d'une image classique de la vieillesse dans notre société (celle d'un individu inactif passif qui occasionne des dépenses à une société à laquelle il
n'apporte plus rien). Ainsi, l'on met fréquemment en évidence le poids
des "vieux" dans l'évolution du régime d'assurance maladie-invalidité.
Or, la vieillesse d'aujourd'hui n'est plus nécessairement celle du début de
l'industrialisation. Le débat, en termes financiers, ne tient pas compte de
126
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
cette évolution; en particulier, le fait que les "vieux" ne constituent pas
une catégorie homogène de personnes. En effet, de multiples facteurs et,
en particulier l'âge, les différencient.
Pour rappel, lors de la mise en place de la retraite, le vieillard était un
travailleur "usé" rejeté du système productif principalement pour des raisons de santé. Une première évolution est à constater: alors que l'âge de
la retraite n'évoluait pas, la longévité augmentait. TI s'est ensuivi une période de vie à la retraite plus longue, et cela, dans de meilleures conditions
de santé. De plus, les revenus de ces retraités ont bénéficié de "l'âge d'or"
des retraites ; l'évolution positive des montants des retraites avait permis
une augmentation du pouvoir d'achat de ces ex-travailleurs (Babeau,
1985). A ce moment, a prévalu le discours relatif au "troisième âge" qui
part du postulat d'une personne âgée active, participante, insérée dans la
société. Cette notion, fruit des années d'expansion économique, est contestée en période de crise où le début du "3ème âge participant" prend la
forme d'une exclusion souvent imposée du système productif. Pitrou voit
dans cette expression une invention technocratique, la base de l'intervention sociale (1990). TI s'agit d'une «curieuse dénomination» puisqu'on «ne
connaît de premier et de deuxième âge qu'à propos des nourrissons [... J
Est-ce une référence à la marginalité sociale habituellement accolée au
chiffre trois: Tiers-Etat, Tiers-Monde ... ?» (1990 :372).
IV. Travailleurs
âgés et crise économique
La récente crise économique a mis en évidence une accentuation de cette tendance. En effet, pour des raisons économiques, les entreprises ont
géré leurs divers sureffectifs par l'exclusion de leurs travailleurs âgés.
Cette exclusion a pris la forme de mesures tant légales (prépension de
retraite) que conventionnelles (prépensions conventionnelles). Nous ne citons que ces deux types de prépensions car ils sont quantitativement les
plus importants au niveau du nombre de leurs bénéficiaires et ils sont les
rares à être toujours octroyés actuellement, la prépension de retraite disparaissant début 1991 au profit de la retraite flexible.
TI est, cependant, à noter que la baisse du taux d'activité des travailleurs
âgés a démarré avant le début de la crise économique. TI semble qu'à la
gestion des sureffectifs quantitatifs dus à la crise économique doive être
ajoutée celle des sureffectifs qualitatifs (les travailleurs âgés ne possédant
pas les nouvelles qualifications requises sont exclus du système productif).
Cette politique de retrait anticipé a rencontré l'adhésion des trois acteurs concernés - les organisations syndicales, le patronat et les pouvoirs
publics - dont nous avons résumé l'attitude face à la retraite au début de
cet article. Les entreprises y voyaient une façon de faire face "en douceur"
. à la gestion de leur personnel en période de crise et de réorganisation du
E. Saussez
127
travail (le terme "douceur" est surtout relatif aux conditions financières
proposées). De plus, les prépensions permettaient de sauvegarder un climat social relativement bon au sein des entreprises, ou en tout cas meilleur
qu'en cas de licenciement pur et simple. Les divers moyens pour y parvenir ont soulevé tant la question du choix réel laissé à ces travailleurs que
celle du rapport entre le droit au travail et le droit au repos (souvent devenu une obligation de repos) (Harff, 1982). Les syndicats voyaient, de
facto, réalisée, pour certains de leurs adhérents, leur revendication de réduction du temps de travail dans la vie des travailleurs (un départ anticipé
de la vie active laisse à ceux-ci une période de vie hors travail en meilleure santé). Nous noterons que ces mesures introduisaient une certaine
flexibilité de l'âge de retrait de la vie active pour des raisons économiques. La situation de ce point de vue pouvait varier sensiblement selon les
catégories socio-professionnelles ou les secteurs d'activité.
De leur côté, les pouvoirs publics espéraient réduire le problème du
chômage des jeunes. Ainsi, la prépension conventionnelle faisait partie du
programme de résorption du chômage dès 1974. De ce point de vue, le jeu
des vases communiquants ne s'est pas toujours produit: dans beaucoup de
cas, les départs en prépension n'ont pas donné lieu à l'engagement de demandeurs d'emploi, même s'ils ont souvent permis de sauvegarder ou de
réorganiser des activités.
Ces politiques conjoncturelles ont cependant présenté une caractéristique commune : celle de leur coût pour les finances publiques. De ce fait,
l'octroi, notamment des prépensions conventionnelles, a progressivement
été soumis à des règles de plus en plus strictes qui limitent le nombre de
nouveaux bénéficiaires futurs.
Une autre de leurs conséquences est l'allongement de la période de
vieillesse dans le cycle de vie des travailleurs concernés. De ce point de
vue, nous souhaiterions attirer l'attention du lecteur sur un fait peu présent
dans le débat relatif à la fixation de l'âge de la retraite. D'un côté, les statistiques belges nous montrent que les travailleurs les plus concernés par
la prépension conventionnelle sont les travailleurs manuels occupés dans
le secteur secondaire. D'un autre côté, les travaux de Desplanques (1984)
mettent en évidence «l'inégalité sociale devant la mort». En effet,
l'espérance de vie est constamment abordée sous l'angle de la moyenne.
Or, la mortalité varie sensiblement selon les catégories socio-professionnelles. En 1984 et en France, l'espérance de vie à 35 ans était de 43,2 ans
pour les professeurs, 42 ans pour les cadres supérieurs et les professions
libérales, mais seulement de 37,2 ans pour les ouvriers et 34,3 ans pour les
manœuvres. Avec un âge de la retraite uniforme à 65 ans, ces travailleurs
ne peuvent disposer que d'une période de retraite peu importante au niveau temps. De plus, elle se déroule dans un état de santé le plus souvent
assez dégradé. Nous y verrions un "quatrième âge physiologique préco-
128
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ce". De facto, le retrait anticipé n' a-t-il pas permis une certaine tendance
au rapprochement entre catégories favorisées et celles qui le sont moins du
point de vue de l'amplitude de la période de vieillesse et, en particulier, de
la "jeune vieillesse" qui permet une nouvelle vie hors travail pour ces travailleurs également ?
Le législateur, à partir du milieu des années '80, a proposé aux partenaires sociaux de revoir la politique de l'âge de la retraite et de l'adapter à
cette évolution récente: une mesure de type structurel était donc recherchée en remplacement de ces mesures tant conjoncturelles que différentielles du point de vue de leurs conditions d'octroi. Elles entraînaient de
très nettes différences à l'intérieur de la catégorie des travailleurs salariés.
D'autre part, les statistiques montrent que l'activité est devenue l'exception dans la classe d'âge qui précède celui de la retraite. Par exemple,
seuls 26 % des hommes de 60 à 64 ans étaient toujours actifs en 1985
alors que pour la plupart d'entre eux l'âge de la retraite restait fixé à 65
ans. Le patronat s'y opposa pour des raisons fmancières en argumentant
sur les projections démographiques pessimistes pour l'avenir. Tant le
financement des retraites que la compétitivité future des entreprises seraient en difficulté. Finalement, la décision a été prise de flexibiliser l'âge
de la retraite (entre 60 et 65 ans) et cette mesure est d'application depuis
le 1er janvier 1991.
Un autre argument patronal était qu'avec la reprise économique les travailleurs âgés seraient, de nouveau, demandés par le marché de l'emploi:
abaisser l'âge de la retraite aurait donc pu, à long terme, poser des problèmes de recrutement pour les entreprises en nouvelle période de croissance économique conjuguée avec une faible fécondité. Cette évolution
est paradoxale compte tenu des nombreux préjugés et stéréotypes formulés, ces dernières années, à propos des travailleurs âgés. D'autant plus que
les outils nécessaires à leur maintien plus tardif en activité ne semblent
pas fréquents dans nos organisations (aménagement des postes de travail
et formation aux nouveaux modes de travail). Il est à noter que
l'utilisation de préjugés à l'égard des travailleurs âgés pour justifier leur
retrait anticipé en période de récession économique n'est pas nouvelle.
Le scénario classique de la reprise (celui qui tend à voir dans la reprise
économique, la reprise de l'emploi) n'est pas évident (Gaullier, 1989).
Standing (1986 :367) doute en tout cas de la reprise de l'emploi pour les
travailleurs âgés. Pour lui, il y aurait plutôt menace pour ceux-ci qui doivent craindre «la flexibilité croissante des modes d'utilisation de la maind'œuvre». En effet, le type d'emploi développé n'est guère favorable à
cette catégorie de travailleurs. Gaullier prévoit plutôt le recours aux jeunes
et aux femmes.
E. Saussez
129
En cas de reprise de l'activité économique avec création d'emplois, les
travailleurs âgés ne seraient donc pas les premiers rappelés. Cette évolution pourrait, elle aussi, donner lieu à une guerre des générations. Cette
approche du conflit possible de générations a jusqu'à présent été peu traitée.
De plus, à l'heure de la flexibilité de la gestion de l'emploi pour des raisons économiques, il est permis de se demander s'il ne faudra pas maintenir une flexibilité de l'emploi pour des raisons sociales cette fois. En effet, même en cas de maintien des travailleurs âgés dans la vie active, celuici ne sera probablement pas possible pour toutes les catégories socio-professionnelles, vu les nouvelles exigences (tant physiques que mentales)
des diverses tâches nouvelles ou anciennes réorganisées.
Les politiques de retrait de la vie active des travailleurs âgés sont donc
diversifiées et ne correspondent plus à la seule retraite. D'une fonction
d'assistance aux travailleurs "usés", l'on est passé à une politique de l'emploi liée à la conjoncture économique, flexible de ce point de vue.
Se posera alors la question du statut et du rôle de ces personnes dans la
société. Pourra-t-on continuer à les maintenir dans un espace de vie où
seule l'inactivité leur est reconnue? Par ailleurs, pourra-t-on les maintenir
dans divers statuts financiers? En effet, si cette inactivité prend fréquemment le visage de la prépension conventionnelle, elle peut aussi se traduire
par le chômage. Dans ce cas, l'ex-travailleur ne perçoit qu'une indemnité
de chômage sans aucun complément versé par l'employeur. La situation
financière des chômeurs âgés peut être difficile, surtout lorsque l'on connaît leurs difficultés, pour ne pas dire l'impossibilité, qu'ils ont à retrouver
un nouvel emploi. A cet égard, dans l'éventualité d'une reprise de l'emploi non accessible aux travailleurs âgés, ceux-ci pourraient n'avoir, à plus
long terme, que le recours à cette solution du chômage. De fait, la prépension conventionnelle étant une mesure à caractère conjoncturel, sera-t-elle
maintenue en période de prospérité retrouvée?
Quant au coût du vieillissement démographique, il conviendrait, à cet
égard, de dresser le bilan de l'apport de ces "nouveaux retraités" à la collectivité. Ce terme récent et fréquemment utilisé nous semble peu conforme à la réalité; ces "nouveaux retraités" sont surtout des prépensionnés. Nous lui préférerions celui de "nouveaux inactifs âgés". Des travaux
ont montré leur apport en matière de solidarité familiale. Ainsi, le travail
des jeunes (et du couple dans son ensemble) est-il souvent rendu possible
grâce à l'aide ménagère des parents : la solidarité entre générations s'est
maintenue au sein des familles et a parfois pris des formes nouvelles
(Pitrou, 1990). Il conviendrait de la distinguer de la. solidarité entre générations au niveau du financement de la sécurité sociale. De plus, la vieillesse, vu son amplitude en espace temps, se scinde en deux catégories : les
"jeunes vieux" et les "vieux vieux", ces derniers bénéficiant souvent de
130
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
l'aide des premiers et étant ceux qui posent le plus de problèmes au fmancement de l'I.N.A.M.I. ou à celui des politiques d'hébergement des personnes âgées. Par ailleurs, les "jeunes vieux" sont quant à eux devenus de
grands consommateurs de loisirs sous diverses formes ainsi que de médias
(certains organes de presse leur sont d'ailleurs spécifiques). Enfin, ils ont
développé ces dernières années diverses activités de bénévolat dans divers
secteurs sociaux (alphabétisation, intégration de jeunes exclus de milieux
populaires, formation de ces jeunes, etc.) ou économiques (apport de leur
expérience à de jeunes P.M.E.ou à des entreprises de pays en voie de développement). Ces diverses activités traduisent soit un apport financier à des
secteurs d'activité en développement (et occupant souvent de jeunes travailleurs), soit un moindre coût pour les pouvoirs publics dans divers secteurs où leur intervention financière pourrait être requise en cas de retrait
de ces personnes. Le report de l'âge de la retraite parfois préconisé aurait
pour conséquence notamment l'augmentation des budgets de diverses politiques sociales ou la non-satisfaction de divers besoins sociaux. De plus,
la non-adaptation de certaines catégories de travailleurs à leurs tâches les
exclurait toujours de la vie activé de façon anticipée et accentuerait leur
éventuelle marginalité.
Dans diverses récentes publications, l'Organisation de Coopération et
de Développement Economiques se prononce pour le développement
d'une «société active». Ainsi, les ministres du Comité de la main-d'œuvre
et des affaires sociales de cette organisation se sont mis d'accord pour assigner comme «objectifs aux politiques de garantie de revenu à la fois
d'assurer un revenu et d'améliorer les qualifications professionnelles des
chômeurs et des travailleurs dont l'emploi est menacé [... ] et de fournir
une aide aux chômeurs de longue durée les plus âgés pour qu'ils puissent
trouver des activités qui leur permettent de jouer un rôle actif dans la société lorsque leurs perspectives d'emploi immédiates sont faibles ... »
(O.C.D.E., 1988 :60). Durant les années '90, «les politiques économique et
sociale devraient s'attacher à lutter» contre l'exclusion du marché du travail «en faisant de la participation à l'emploi, à des activités collectives et
de volontariat un objectif important, parallèlement aux efforts visant à garantir à tous l'accès aux soins de santé et à l'éducation, et la possibilité de
percevoir un revenu adéquat» (Ibid.). L'activité de chacun est donc encouragée. Elle passe par un «consensus politique et social en faveur d'une réforme et d'une intégration des politiques d'emploi et de protection sociale» (Ibid.). A côté de cette volonté de «société active», l'O.C.D.E. propose une réflexion sur l'âge de la retraite et, en particulier, sa flexibilité et
sa progressivité.
La vieillesse dite sociale (qui précède la vraie vieillesse physique et/ou
psychologique) a donc pris une place plus importante dans la vie des individus. Si la "retraite mort sociale subsiste", d'autres modes de vie à la re-
E. Saussez
131
traite se sont développés: mettant l'accent sur la famille ou sur la consommation de biens et de services et notamment de loisirs, A.M.Guillemard (1981) constate aussi une participation à la société par la consommation des «médias de "masse». Enfin, elle signale une autre attitude de revendication qui conteste la place laissée à la vieillesse dans la société. Ces
pratiques diffèrent selon les individus, selon leurs ressources et leurs potentialités. TIserait peut être erroné de ne pas tenir compte de cette évolution dans l'élaboration des multiples scénarios du futur.
Conclusions
La crise économique a donc eu pour conséquence le développement de
nouvelles méthodes de retrait de la vie active à caractère conjoncturel dont
la conséquence a notamment été de renforcer la tendance déjà précédemment constatée à un allongement de la période de vieillesse dans le cycle
de vie des individus, avec une scission marquée entre les "jeunes vieux" et
les "vieux vieux". Ces "nouveaux vieux" adoptent des modes de vie nouveaux par rapport à ceux de leurs prédécesseurs. Ainsi, ils manifestent un
plus grand dynamisme tant au niveau odela consommation de biens et de
services qu'à celui de leur contribution à diverses activités à caractère social ou économique. Cette évolution risque de poser des difficultés de financement de la sécurité sociale dans le futur, du moins dans son mode de
fonctionnement actuel. C'est du moins l'analyse la plus fréquente. A l'avenir, il conviendra de tenir compte de ces constats dans l'élaboration de
futures politiques, eu égard, notamment, à l'âge de la retraite et à son type
de fmancement.
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A.Franssen: 133-148
De la légitimité de l'Etat-providence:
crise et mutation
par
Abraham Franssen *
Le propos du présent article, que l'on pourait qualifier d'essai, est de discuter la
légitimité des politique sociales dans la perspective d'une mutation culturelle.
Dans l'espace de la société industrielle et de l'Etat social-démocrate, le système
de sécurité sociale correspond à un sens historique et reflète une série de figures
du social idéologiquement et culturellement légitimées.
Aujourd'hui, on peut se demander quels sont les cadres normatifs et les systèmes de légitimités qui sont opérants dans le rapport des individus à la solidarité
sociale.
L'article distingue d'une part les scénarios de crise qui se traduisent par une demande de protection sociale accrue de la part des catégories margiualisées par
le changement et, d'autre part, les incidences sur le rapport aux solidarités sociales d'une mutation culturelle centrée autour du sujet individuel. A partir de
ce second scénario, l'article envisage les conditions d'une redéfinition du contrat social qui passe par l'explicitation des enjeux culturels autour desquels se
cristallisent un certain nombre de conflits sociaux actuels.
I. Introduction : Au delà de la crise, les dimensions culturelles de
l'Etat-providence
A. Etat-providence. 1975-1990. Rien n'a changé. Tout a changé.
Rien n'a changé. Loin des scénarios catastrophes sur le démantèlement
de l'Etat-providence, sur le détricotage de la couverture sociale, sur l'implosion du système d'assurance chômage, la privatisation du système de
soin de santé ... les années 80 impressionnent, tout compte fait, par la
* Faculté
Ouverte de Politique Economique et Sociale (p.O.P.E.S.) de l'
u.eL.
134
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
résistance des mécanismes d'assurance et d'assistance forgés dans les luttes du siècle et les consensus des trente glorieuses. Au sortir des années de
désindustrialisation et de crise financière, l'outil social-démocrate est
groggy, mais toujours sur pied. La grande majorité de la population est intégrée dans ses droits et, si le maillage social a cédé par endroits, le corps
social reste largement couvert.
L'image est offensante. On n'oserait la présenter aux jeunes coincés entre prolongation de la scolarité et stages d'attente. Ni aux couples coupables d'être à la fois chômeurs et de cohabiter. Ni aux chômeurs âgés prépensionnés. Et pourtant, la dénomination même de ces catégories atteste
de la permanence d'un traitement social-démocrate de la crise au cœur des
années de plomb. Les phénomènes de marginalisation, de pauvreté, d'exclusion sociale ont suscité une extension, et non une régression, du champ
d'intervention de l'action redistributive de l'Etat.
Plus même, depuis 1987, le retour de la croissance permet d'amorcer un
"retour du cœur" qui nous suggère que la parenthèse est refermée et que,
du point de vue des politiques sociales, 1990, c'est 1970.
Tout a changé. Derrière la permanence lisse des institutions et le maintien du système, les convictions ont vacillé, les principes de légitimité ce qui fait sens - se sont modifiés en profondeur. En effet, les niveaux
d'appréhension des politiques sociales ne sont pas seulement sociaux, économiques et institutionnels. Si depuis une quinzaine d'années, la "crise de
l'Etat-providence" a une composante financière "incontournable", celle-ci
ne doit pas estomper les évolutions culturelles qui se manifestent à l'endroit d'une série de principes régulateurs du social. C'est au moment où
l'Etat-providence semble sauvé que l'on s'aperçoit que le "contrat social"
qui le fonde a perdu de son évidence. Cette question est d'importance, du
moins si l'on accepte le diagnostic formulé par Luc Carton:
[...] En définitive, où tout se joue, c'est dans la perception et l'interprétation culturelle, par les individus et les groupes, de ces réglementations et services [de l'intervention publique] : au point d'intersection des modes de vie de tout un chacun, privé ou marchand, se mesurent les pesanteurs et les libertés que propose l'espace public. C'est
là que les politiques se font ou se défont, prennent ou perdent légitimité, efficacité et crédibilité. C'est cette intersection des individus
et des groupes dans la collectivité publique qui est aujourd'hui difficile : les points de repères traditionnels ont perdu de leur vigueur
symbolique sans que les substituts ne soient disponibles: comment
repenser les systèmes de solidarité quant il y a crise de l'intégration
sociale? (Carton, 1989 :53)
Eclairer les dimensions et les incidences possibles de cette mutation est
un enjeu démocratique majeur, et une tâche sociologique urgente.
Ce qui sera discuté ci-après, ce sera bien de la légitimité des politiques
sociales dans la perspective d'une mutation culturelle.
A.Franssen
135
On doit en effet se demander comment s'opère aujourd'hui la socialisation aux principes mêmes de ce système et quels sont les cadres normatifs
qui sont opérants dans le rapport des individus à la solidarité sociale.
B. Le point de vue adopté
Nous n'envisagerons par conséquent pas la crise de l'Etat-providence
au niveau où elle se manifeste: celui des problèmes sociaux et financiers,
mais davantage au niveau des conditions culturelles de son développement.
Avant de discuter l'actualité culturelle de l'Etat-providence et d'envisager les caractéristiques d'un hypothétique nouveau rapport à celui-ci, il
importe de préciser d'une manière plus formelle ce que l'on entend par
modèle culturel. Nous envisagerons ensuite comment l'Etat-providence
participe du modèle culturel de la société industrielle et de ses acteurs
pour en discuter la crise et/ou la mutation.
II. Les concepts
A. Le modèle culturel
Rainer Zoll définit le modèle culturel comme «la structure fondamentale qui détermine la caractéristique distinctive essentielle d'une culture »
(Zoll, 1989 :7).
Dans son acception tourainienne, il s'agit des principes de sens (ou
«l'image de créativité») qui orientent l'action de la société sur elle-même.
Le modèle culturel donne sens aux pratiques sociales, il oriente l'action
historique. Comme représentation des rapports d'une société à elle-même,
le modèle culturel est un ensemble d'objectifs qui dominent la société
toute entière. Le niveau des finalités culturelles est donc celui de la constitution du sens et des orientations sociales ultimes (systèmes de représentation qui constituent le référent ultime des valeurs, la source de leur légitimité).
Les différentes réponses particulières qui sont apportées au sein d'un
ensemble social à ces questions constituent les idéologies. Alors que l'idéologie appartient à des acteurs particuliers, le modèle culturel appartient
à un type de société globale en définissant l'enjeu central.
Bien entendu, une société concrète n'est jamais l'incarnation "pure"
d'un modèle culturel unique; elle cristallise dans un agencement original
et plus ou moins stable des traits de différents modèles culturels idéal-typiquement construits.
B. Finalités culturelles, valeurs, normes
Au niveau des finalités culturelles défini plus haut, il nous faut ajouter
celui des valeurs sociales (c'est-à-dire le fondement des jugements de ce
136
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
qui est socialement bon ou mauvais: égalité, liberté ... ) et celui des normes (c'est-à-dire les modalités d'action socialement reconnues dans les
différents champs d'activité: le juridique, l'économique ... définissant le
permis et l'interdit, le normal et le déviant).
III. Les fondements culturels de l'Etat-providence
La définition de ces niveaux nous aidera à définir les fondements culturels de l'Etat-providence. Pour chacun des trois niveaux, on s'efforcera de
dégager le principe de légitimité central qui a été opérant: la libération illimitée par rapport au besoin au niveau des finalités, l'égalité et la solidarité comme valeurs motrices, le travail comme source de normativité.
A. La libération du besoin et le progrès comme finalités
Le programme que s'assigne l'Etat-providence
est inséparable des
idéaux de la modernité: progrès et raison.
L'idée d'une libération par rapport au besoin, d'une sortie de l'état de
nature et de l'aléa qui le caractérise pour accéder à une maîtrise rationnelle
du devenir social est consubtantielle à cette représentation. En cela, comme l'indique Pierre Rosanvallon, la dynamique de l'Etat-providence repose sur un programme illimité : libérer la société du besoin et du risque
(Rosanvallon, 1981 :33). C'est ce programme qui fonde sa légitimité et renouvelle sa dynamique: celle-ci ne saurait être bornée par un seuil quantitatif dans la mesure où l'état de bien-être social est relatif et son contenu
sans cesse actualisé en fonction du progrès (associé à la croissance économique). En cela, la logique du social et de l'intervention étatique n'est pas
première. Antonio Piaser montre bien que dans le cadre social-démocrate,
pour être légitime, elle doit être subordonnée au respect de la condition de
croissance économique (1986 :189)
li y a là une représentation générale du devenir des sociétés humaines
qui donne sens aux revendications des acteurs, alimente une stratégie offensive à l'égard du social: «L'avenir est pensé comme poursuite d'une
tendance, développement d'un progrès cumulatif, réalisation d'une promesse première» (Rosanvallon, 1981 :35)
B. L'égalité et la solidarité comme valeurs
L'égalité a longtemps constitué l'objectif naturel, "évident" de l'action
de la société sur elle-même à travers l'outil étatique.
L'Etat devient d'abord et avant tout protecteur à travers un système de
redistribution dont le but est de corriger les inégalités: assurance vieillesse, allocations de chômage, assurance maladie-invalidité, allocations
familiales constituent ainsi autant de revenus de substitution et de complément.
A.Franssen
137
L'intervention des politiques sociales correspond à une justification
égalisatrice et promotionnelle et assure une fonction corrective. La référence égalitaire ainsi affirmée a servi de moteur aux conquêtes sociales.
Parallèlement, ce qui a justifié la mise en place de mécanismes de redistribution, c'est l'affirmation du principe de solidarité. En tant que telle, la
solidarité s'est imposée comme valeur centrale de l'Etat-providence,
comme le ciment d'une nation (n'en trouve-t-on pas encore une manifestation dans le maintien d'une sécurité sociale nationale alors que quasi l'ensemble des compétences sont régionalisées et communautarisées ?). Comme le signale Pierre Reman (1989 :100) les mécanismes de solidarité et de
redistribution sont à la fois horizontaux (c'est-à-dire solidarisant des personnes et des groupes dont les risques sont inégalement répartis:
actifs/non-actifs, isolés/familles ... ) et verticaux (c'est-à-dire liant des personnes et des groupes dont les revenus sont inégalement répartis).
C. Le travail comme source de normativité
C'est le travail qui définit les droits et les devoirs des individus dans la
collectivité. TIest au centre de la norme juridique qui consacre les droits
sociaux. On relèvera ainsi que l'arrêté Loi de 1944 instaurant la sécurité
sociale se limitait à «soustraire à la misère les hommes et les femmes laborieux». La première phase de mise en place du système de la sécurité
sociale (1944-1961) est basée sur la relation entre travailleur et bénéficiaire de la sécurité sociale.
Par la suite, la définition de la sécurité sociale s'est progressivement
éloignée de son centre productiviste pour intégrer des populations hors travail (handicapés, catégories couvertes par le minimex). Mais il faut remarquer que cette universalisation des droits n'est acceptée qu'en tant que résiduaire (pour des sous-populations particulières) et temporaire (l'octroi
d'un minimum de moyens d'existence est limité par la restauration d'une
situation normale de travail). Sur le plan symbolique, l'assistance tend à
apparaître illégitime au regard de la norme productive (il s'agit de faire la
preuve que l'on recherche du travail). Comme le relève E. Jacques:
La liaison entre d'une part la contribution des intéressés provenant de
leur insertion dans le circuit de travail et d'autre part, les prestations
sociales auxquelles cette insertion donnait droit a constitué la philosophie de base de notre système de sécurité sociale que des aménagements ultérieurs et des modifications substantielles n'ont pas altérée radicalement (1982 :45).
Plus près de nous, on observera que si l'idée de l'allocation universelle
témoigne d'une évolution à ce niveau, le rejet quasi unanime, voire indigné qu'elle a suscité témoigne des résistances de la norme productiviste.
138
Recherches Sociologiques,
1991/1-2
D. La médiation par l'action collective
Cette entrée "culturaliste" pourrait suggérer un développement endogène et harmonieux des institutions par l'adhésion a priori des membres
de la société à un système de référence commun. Le socle des évidences
partagées qui permet leur compromis ne doit pas faire oublier les intérêts
et les idéologies antagoniques des acteurs. Surtout, on oublierait là une dimension essentielle du rapport des individus à l'Etat-providence: la médiation par des instances collectives, la constitution d'acteurs collectifs qui
ont une fonction d'interface entre l'individu et l'Etat. Progressivement, la
démocratie est devenue représentative au sens où elle s'est en partie constituée sur le conflit social central qui opposait le capital au travail. Sur ce
point, le système social-démocrate belge présente des caractéristiques remarquables. Une série d'organisations représentatives (syndicats, mutuelles, partis) sont médiatrices des droits et les devoirs des citoyens-prestataires-bénéficiaires. Ces organisations ont rempli une fonction importante
de socialisation. La négociation collective et la concertation entre des
organisations représentatives apparaît dès lors comme une des figures de
l'Etat-providence. La cohésion du lien social à l'échelle de la nation est
ainsi liée à la légitimité de ces corps intermédiaires et à leur capacité à
articuler dans un projet idéologique revendications sectorielles et intérêt
général, le court terme et le long terme.
IV. Crise et mutation : deux scénarios
Nous sommes au terme d'un mouvement long qui a vu la réalisation du
programme de l'Etat-providence dans le cadre de la société industrielle.
Subjectivement, le retournement de la courbe de pénétration de l'Etatprovidence à l'intersection des années '70 et '80 se manifeste par le sentiment largement partagé d'avoir forgé un système achevé ("le meilleur du
monde"), abouti, arrivé, certes perfectible, mais qu'il s'agit avant tout de
préserver.
A rappeler ces figures familières et pourtant déjà désuètes de l'Etatprovidence, on perçoit mieux les évolutions récentes qui se sont manifestées dans le rapport des individus au social (compris ici essentiellement
dans la dimension des solidarités collectives). Ou plutôt, même si l'on a
encore du mal à désigner positivement ce qui émerge, au moins identifiet-on ce qui n'est plus. D'où la tentation de parler en termes de reflux, de
décomposition, de crise. Tout se passe comme si un reflux culturel fragilisait un édifice qui ne se maintient que par sa force d'inertie alors même
que ses fondations culturelles sont rongées.
On pourrait certes relever les conditions objectives de cette crise: extension de la demande d'assurance et d'assistance sociale, écart entre recettes et dépenses publiques depuis le début de la crise, fragmentation du
A.Franssen
139
marché de l'emploi, ralentissement de la croissance et donc de la capacité
redistributive de l'Etat, déficit de la capacité gestionnaire de la fonction
publique, émergence de pouvoirs privés qui affirment leur capacité à se
substituer aux régulations publiques pour mieux les contourner, etc.
S'il y a là un champ de contraintes et d'acteurs en redéfinition, on posera ici l'hypothèse qu'ils ne sont opérants que si l'on prend en compte la
mutation culturelle qui leur fait fond et qui détermine les conditions de
leur recevabilité et de leur activité. L'hypothèse qui servira ici de fil conducteur établira que les problèmes de l'Etat-providence ne se cantonnent
pas à des questions de modernisation gestionnaire ou au rétablissement de
la croissance (même si celle ci permet "d'absorber" bien des questions
sociales et culturelles), mais touchent à la redéfinition même du lien social, dont le pôle individuel est l'identité et le pôle collectif le contrat social.
Nous envisagerons la redéfinition des rapports des individus aux solidarités collectives en distinguant les aspects de crise et les aspects de mutation. Ces deux mouvements renvoient en effet à des tendances et à des
réalités observables dans les sociétés industrialisées, et plus particulièrement dans l'espace belge.
A. Crise du modèle de la société industrielle et demande de protection sociale
La première expérience et dimension de la mutation, c'est la crise. Celle-ci intervient dans le cadre des finalités culturelles établies et affecte les
groupes sociaux et les institutions les plus dépendants de la société industrielle. Cette appréhension d'un "monde qui fout le camp" est bien présente en Wallonie. On retrouve, dans les régions de vieille industrialisation,
ce désarroi lié à la non-praticabilité des solutions traditionnelles. Bernard
Francq dans son étude du monde ouvrier et populaire de la région liégeoise ne dit pas autre chose lorsqu'il définit les deux climats sociaux
qu'il y observe en parlant de «forteresse assiégée» et de «monde défait»
(Francq,1990).
On a affaire à un problème typique d'anomie comprise comme décalage
entre les moyens et les [ms. Cette anomie se traduit subjectivement par
l'impression de "crise du système", lorsque les valeurs, les normes, les
moyens établis ne suffisent plus à la régulation du tout social, laissant apparaître dans des proportions pathologiques des phénomènes anormaux:
ruptures de solidarité, individualismes exacerbés, atonie et désintégration
de l'action collective, déficit de l'action publique.
Dans ce schéma, l'adhésion aux finalités culturelles de la société industrielle s'effectue douloureusement, d'une manière inversée. La confiance
en un mieux-être futur s'estompe dans une perception fataliste de l'avenir.
La conviction que "c'est mal parti" se retrouve particulièrement chez les
140
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
jeunes précaires. Dans sa recherche sur l'identité de travail des jeunes,
Michel Molitor parle d'une «conscience inversée du progrès» pour caractériser cette représentation qui consiste à localiser dans le passé de la société industrielle ses expériences positives et ses capacités d'évolution
(Molitor, 1990 :9).
Dans un contexte de précarité et de chômage, la demande sociale qui
s'exprime est essentiellement défensive. La revendication offensive motivée par l'idéal d'un progrès social continu cède la place à une demande de
sauvegarde des acquis et de gestion du déclin. La demande de protection
sociale tend à s'adresser à l'Etat vécu comme pure extériorité. Le modèle
de l'assistance prend ici le pas sur celui de l'assurance: on attend de l'Etat
la résolution de problèmes que la collectivité est trop faible pour résoudre ; dans le même temps, on associe celui-ci aux "autres", au patronat, et
plus encore aux "hommes politiques qui magouillent" identifiés comme
responsables de la crise et de la décadence.
Travaillant sur les représentations sociales des jeunes précaires, Michel
Molitor relève ainsi la figure du garantisme : l'exigence de ces jeunes
sera de bénéficier d'un minimum de ressources qui leur garantisse l'accès
à la consommation sans que cela ne s'accompagne d'une prestation de
leur part. On relève là un éclatement de l'ancienne éthique du travail qui
associe le bénéfice de la prestation à la contribution (Molitor, 1990 :13).
La dégradation des anciennes sources de normativité se manifeste aussi
dans la dissolution des appartenances et des identités collectives. La crise
s'accompagne d'une désaffection croissante par rapport aux modalités
instituées de participation. L'acteur syndical en particulier tend à être fortement déconsidéré par les jeunes. A terme, il ne reste plus que des attitudes sporadiques et expressives de défis à l'ordre social pour exprimer les
frustrations accumulées. Ou alors le repli identitaire relayé par des leaders
populistes.
Le tableau qui vient d'être brossé pourrait apparaître exagérément pessimiste. Il représente pourtant un des visages - la face sombre - de la
mutation.
B. Mutation: le sujet individuel au cœur du lien social
Ce second scénario vise à rencontrer les observations et analyses relatives à l'émergence de l'individualisme "post-moderne" dans une société
de consommation et de communication de masse.
1. Du travailleur au consommateur et au sujet individuel
a) Les contradictions de la société de consommation
Dans la société industrielle, celui qui fait le monde, c'est le travailleur,
et c'est autour de cette image qu'il y a à la fois conflit et consensus des
acteurs sociaux, Au travail sont associés le progrès, la richesse, l'avenir.
La figure du sujet-travailleur (au niveau de l'historicité de la société indus-
A.Franssen
141
trielle) informe et délimite le champ des mouvements sociaux et des institutions. L'éthique du rendement de la société industrielle est caractérisée
par sa discipline temporelle, sa dominance du futur sur le présent, la défmition du bon comme étant ce qui est raisonnable, la centralité du travail,
la définition des identités sur une base socio-professionnelle.
Avec le développement de la société de consommation, le travail qui fut
le lien social déterminant de la société industrielle est mis en cause
comme principe structurant des identités et des rapports sociaux.
Ainsi dans les années '70, Daniel Bell s'inquiète de la contradiction
entre l'individu rationnel et ascétique dans la sphère du travail et l'individu hédoniste, narcissique dans la sphère privée et les loisirs. Cette tension entre la rationalité technique et l 'hédonisme individuel est envisagée
comme une menace pour l'unité de la société (Bell, 1979).
En parlant, au début des années '80, du passage d'une socialisation de
production à une socialisation de consommation, Martin Baethge exprime
le glissement d'une structuration identitaire par le travail à une non-structuration par la scolarité prolongée et la consommation. En effet, alors que
l'activité professionnelle, par son insertion dans un processus collectif, va
provoquer une perception de soi comme acteur social, la scolarité, quant à
elle, va se caractériser par un rapport plus passif, par un "être-au-monde"
qui est en fait un "non-être au monde" dans la mesure où les jeunes bénéficient de plus de tolérance que dans la vie professionnelle. Dans le chef
de Martin Baetghe, comme dans celui de Daniel Bell, l'accent est davantage mis sur la rupture ou les contradictions par rapport au modèle traditionnel de travail que sur une définition positive d'un nouveau modèle.
La société industrielle débouche sur la société de masse et sur la société-marché. Celles-ci sont à leur tour la condition du dépassement du
modèle culturel industriel et de l'émergence d'une société dite post-industrielle à la culture dite post-moderne.
b) Le sujet individuel au cœur du nouveau modèle culturel?
L'hypothèse que l'on peut formuler notamment avec Serge Moscovici
et François Dubet (France) et appuyer sur les travaux de Rainer Zoll
(R.F.A.) et Yankelovich (U.S.A.) est qu'aujourd'hui l'image du sujet est
précisément le sujet individuel comme tel, que ce qui est en jeu, ce n'est
plus la défmition d'un personnage historique ("le saint", "le travailleur",
"l'être de raison"), mais celle de l'individu pour lui-même. «L'hypothèse
est que l'image du sujet est vécue en terme de sujet individuel. Le sujet
collectif n'existe plus sinon comme l'aspiration de tous à être une
personne» (Dubet, 1990).
2. L'individu et le social
Quelles sont les incidences de cette hypothèse sur la gestion sociale et
sur la manière dont se construit le rapport des individus au social et à
l'Etat? Qu'est-ce qu'un social qui place l'individu au cœur de son modèle
142
Recherches Sociologiques,
1991/1-2
culturel ? On peut évidemment se contenter de louer les channes badins
de l'individualisme hédoniste et narcissique. On peut aussi chercher à cerner les dimensions de cette nouvelle donne et les défis ainsi posés à une
recomposition des solidarités et des acteurs.
a) Une difficile gestion identitaire
Alors qu'auparavant, compte tenu de sa catégorie socio-professionnelle
liée à une communauté de vie, on avait une représentation du monde et à
un système idéologique donné, aujourd'hui les individus tendent à se défmir en dehors de leur appartenance sociale, ou plutôt à moduler leurs appartenances sans donner de prépondérance à l'une d'entre elles. On observe ainsi, dans des proportions variables, au niveau des jeunes générations, des attitudes de "bricolage identitaire" - être tout à la fois sans se
laisser enfermer dans une catégorie (cf. la musique, le mélange des styles
et des genres). "Je suis tout à la fois, moi, je ne suis pas du genre à me définir".
Les identités des individus tendent à être débridées ; elles ne sont plus
"assignées à résidence" et sont fluctuantes à la manière de monnaies qui
auraient perdu la parité or. «La caractéristique de la post-modernité n'estelle pas précisément d'avoir délié les différentes formes d'individualité
entre elles et de leur milieu d'origine 't» (Moscovici, 1988 :30).
b) Arbitrer ses différents rôles
Les arbitrages sociaux en deviennent plus instables et difficiles : ils se
réalisent moins entre des acteurs sociaux auxquels est reconnu le monopole de la représentation des intérêts d'une catégorie entière qu'entre les
différents rôles des individus. On le voit, par exemple, à propos du mouvement des enseignants en Communauté française de Belgique où les
questions posées renvoient in fine chacune à la gestion de ses rôles. Il est
particulièrement malaisé d'être à la fois enseignant, parent, contribuable,
électeur et syndiqué.
c) L'opacité du social
Le brouillage lié à la stratification sociale, l'affaiblissement des alternatives idéologiques, la dégradation des appartenances collectives sont autant de facteurs qui favorisent l'opacité du social. Dans l'enchevêtrement
complexe des catégories, réglementations, statuts, intérêts, appartenances,
l'individu n'est plus sûr que de lui-même et n'appréhende qu'un environnement limité et changeant. A l'exclusion des marges, les frontières entre
catégories sociales tendent à s'estomper en un continuum dont les variations dessinent une courbe de Gauss: les classes moyennes tendent à saturer le paysage social. On se trouve ainsi dans une situation où le social ne
communique plus avec lui-même et où les groupes sociaux ne sont plus
suffisamment définis pour expliciter leurs rapports mutuels. La complexité
des mécanismes de transferts et de redistribution, la méconnaissance par
les individus des sources de financements de l'Etat accentuent encore leur
A.Franssen
143
sentiment de déconnection par rapport à un système dont ils sont par ailleurs les bénéficiaires et les contribuables.
La dissolution des appartenances collectives et l'incrédulité par rapport
à toute solution idéologique s'accompagne le plus souvent d'un retrait à
l'égard de toute participation publique. Le thème de la déconnection (ou
celui de déliance) apparaît incontournable. Subjectivement, les individus
produisent moins la société qu'ils ne la consomment. Les instruments dont
la collectivité s'est dotée pour réaliser ses objectifs tendent à être perçus
comme des entités séparées, autonomes, extérieures. Cette déconnection
alimente l'ambivalence des attitudes à l'égard de l'Etat. On passe son
temps à le critiquer tout en exigeant son appui. On dénonce la gabégie publique tout en faisant de la fraude fiscale un point d'honneur. On revendique à la fois la gratuité des services et le privilège de payer moins
d'impôts ...
A ces éléments partagés par l'ensemble des sociétés industrielles, il faut
adjoindre la structuration spécifique de l'espace politique et public en Belgique. La sécurité sociale reste nationale tandis que l'aide aux personnes
est communautaire. Les impôts sont régionaux et les collectivités d'identification ne correspondent pas aux entités institutionnelles. L'instance
gérant les matières personnalisables ne possède pas le pouvoir fiscal, etc.
Cette confusion institutionnelle a pour effet de renforcer l'opacité du système et la confusion du citoyen.
d) De l'Etat-providence à l'Etat minimum
TIsuffit de tendre l'oreille pour percevoir les connotations négatives aujourd'hui attachées à des termes et des principes dont la seule évocation
avait il y a peu encore le pouvoir de dissuader toute critique.
L'objectif même d'une réduction des disparités de revenus est aujourd'hui connoté négativement. On préfère accorder la priorité à la réforme de la fiscalité plutôt qu'à là redistribution. Les attitudes à l'égard de
la fiscalité se fondent aujourd'hui largement sur la conviction que les
choses vont d'autant mieux que l'on paye moins d'impôts. Le faible taux
d'imposition devient en soi un indice de prospérité. Le thème majeur de la
réduction des inégalités est aujourd'hui tout simplement "hors jeu", exclu
du champs des préoccupations légitimes d'une société. On mesure qu'il y
a eu là un retournement fondamental.
La référence à la sauvegarde des droits acquis - qui était le socle minimum, non négociable, sur lequel se sont fondés bien des conflits sociaux
- a tendance à être lue comme la défense corporatiste de rigidités désuètes et contre-productives.
Plus fondamentalement, on observe une perte de légitimité de l'idée
d'une maîtrise rationnelle de la société sur elle-même, idée qui est au
principe de l'Etat-providence. Suite à la représentation prométhéenne du
devenir des sociétés humaines tend à s'imposer l'image du fonctionne-
144
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ment naturel des sociétés pour autant que le marché et le jeu démocratique
soient garantis. Comme le relève Marcel Gauchet :«[ ... ] il en résulte une
formidable perte de substance comprise comme pouvoir de la collectivité
sur elle-même» (Gauchet, 1990 :88).
e) Le libéralisme : réponse idéologique à un problème culturel
Si l'on prend en compte les évolutions qui viennent d'être mentionnées,
on saisit mieux ce qui alimente le succès de l'idéologie libérale. L'émergence culturelle de l'individualisme constitue, en effet, la principale
condition de recevabilité de l'idéologie néo-libérale:
[ ... J une idéologie ne parviendra à établir sa domination que si elle
parvient à assimiler certains points de références culturels où les gens
puissent se reconnaître. Le néo-libéralisme a su regrouper insatisfactions latentes, vérités partielles et phénomènes superficiels au sein
d'une cohérence nouvelle. L'anti-étatisme, l'apathie politique, l'aliénation sociale, la résistance passive contre les bureaucraties impersonnelles et "l'Etat fiscal", le sentiment de menace pesant sur la vie
privée et la dignité personnelle ont pu y trouver un sens et une explication (Raes, 1984 :247).
3. Un social sans centralité ? Le marché et les corporatismes ...
Le problème qui est ici posé est de déterminer si la gestion du social
peut s'accomplir en évacuant toute référence à un modèle culturel collectivement partagé. A partir du moment où il n'y a plus d'image d'un sujet
historique (comme l'était la figure du travailleur, être de Raison et de
Progrès), on peut être tenté de considérer qu'il n'y a plus de mouvements
sociaux fondamentaux, plus d'enjeu central et donc de contrat social véritable: il n'y a que des arrangements localisés et des conflits d'intérêts. A
défaut de références collectives sur lesquelles fonder de nouveaux compromis, ainsi que d'acteurs pour les mener à bien, il ne subsisterait d'une
part que le marché, d'autre part que les corporatismes comme instances de
régulation du social. La scène historique serait vide; ses anciens acteurs
seraient réduits au rôle "d'agences de gestion sociale" ou de groupes de
pression. Ainsi soit-il?
4. Le sujet individuel au cœur des mouvements sociaux?
La question ici posée estde déterminer si la référence au sujet individuel peut servir de système de légitimation à un projet collectif et fonder
le lien social.
La référence au sujet individuel (dont on perçoit bien la légitimité qu'en
tire le libéralisme pour sa critique des instruments de régulations étatiques
et des médiations collectives) peut-elle être au cœur de nouvelles conflictualités sociales, et partant de nouveaux acteurs collectifs et compromis
sociaux? «Le sujet individuel comme tel, tourné vers lui-même et sa
spécificité, sans référence à des principes à prétentions universelles, peut-
A.Franssen
145
il se lier à un sujet historique et devenir à la fois l'agent et l'enjeu d'un
mouvement social ?» (Dubet, 1990).
D'une part il faut reconnaître que la figure du sujet individuel pose aujourd'hui un problème majeur à ceux qui s'intéressent aux mouvements
sociaux et à l'émergence de nouveaux principes de solidarité.
D'autre part, l'hypothèse de l'importance croissante de la référence au
sujet individuel dans la construction du rapport des individus au monde et
à la société nous permet d'identifier des dynamiques culturelles et sociales
émergentes.
a) La revendication de la qualité de la vie
Ainsi le thème de la qualité de la vie n'intègre-t-il pas l'individualisme,
la dimension personnelle tout en développant un point de vue qui permet
une globalisation et une extériorisation de la revendication ? Les caractéristiques des conflits sociaux actuels où la revendication tend à être la fois
intense, expressive et sporadique ne traduisent-ils pas une aspiration fondamentale à l'auto-réalisation des individus et à une qualité de la vie qui
ne se réduit pas à un niveau de vie?
La percée culturelle de la conscience écologiste (bien au delà de sa représentation politique) ne .tient-elle pas à l'articulation qu'elle propose
entre dimension personnelle et dimension universelle? On entrevoit là un
discours sur les finalités contestant au modèle libéral-productiviste le monopole de la définition de la réussite et de la réalisation de soi.
A partir de catégories morales et personnelles, on peut en arriver ainsi à
la constitution d'un nouveau point de vue (à vrai dire déjà fortement légitime) dans le débat sur la scène publique. N'est-ce pas un des éléments de
la redéfinition d'un espace public?
De même, la référence aux Droits de l'Homme ne tend-elle pas à
s'imposer comme nouvelle source de normativité ? En Belgique, l'introduction du minime x en 1974 a constitué une première étape dans la voie
de l'universalisation des droits (dont l'allocation universelle représenterait
une des conclusions possibles). Les propositions relatives au droit à la culture, à la formation continuée ou à un environnement (urbain et naturel) de
qualité peuvent être envisagées en ce sens. L'action et le type d'argumentation développées par un mouvement comme A TD-Quart Monde en appelle également à la dignité de la personne.
Les critères de jugement et de perception de l'action publique ne tendent-ils pas à passer du registre quantitatif, productiviste, collectif et idéologique à un registre qualitatif, personnaliste et éthique?
b) Expliciter les conflits : un préalable à la recomposition de compromis
La redéfinition des fonctions et des missions de l'Etat comme instrument de la volonté politique d'une collectivité suppose une explicitation
des finalités culturelles poursuivies, de ce qui fait sens. De la même manière que l'Etat-providence correspond à un système d'action historique
146
Recherches Sociologiques. 1991/1-2
dans le cadre du modèle culturel de la société industrielle, l'Etat contemporain ne trouvera sens (et donc légitimité) que dans sa capacité à répondre aux débats des acteurs sociaux.
La priorité dès lors n'est peut être pas tant de réformer l'Etat (dans quel
sens ?) que d'expliciter les enjeux et les conflits des acteurs sociaux. A
considérer le mouvement des enseignants qui s'est déployé en Communauté française de Belgique l'année dernière, à être attentif aux revendications de nombreux secteurs sociaux (pour le moment encore négativement défmis par le label de "non-marchand"), on perçoit bien la difficulté
de ces mouvements à simplement définir leur identité (au nom de qui revendiquent- ils ?), le projet qui les anime (pour quoi ?) et l'adversaire auquel ils s'opposent (contre qui ?). Ce travail d'explication est pourtant un
préalable à la définition de nouvelles solidarités.
De la mutation culturelle à une recomposition forte des systèmes de solidarité, il y a une marge importante, un abîme et le surmonter suppose la
résolution de deux problèmes majeurs: un problème d'acteur (ce qui suppose le passage de revendications purement expressives et sectorielles à
des solidarités transversales) et un problème d'échelle dans la mesure où
le cadre national n'est plus aujourd'hui l'espace pertinent où peut se réguler le marché.
Conclusion
La coexistence - avec quelle majeure? - de ces tendances dans notre
société manifeste l'ambivalence des mutations en cours qui se traduisent à
la fois en replis défensifs et en attitudes innovatrices. Cette complexité
plaide aussi contre les schémas millénaristes de changement d'ère, de basculement soudain dans un nouveau modèle culturel. L'ambivalence des
mutations nous interpelle enfm sur les conditions d'appropriation des normes culturelles, car chaque scénario (de crise et de mutation) a ses acteurs
et ses figurants privilégiés. On pourrait retrouver ici la distinction tourainienne des catégories sociales en fonction de leur rapport à la mutation:
les "perdants de la modernité" (les exclus du changement et l'archéostructure), la classe moyenne largement majoritaire, les élites modernisatrices (des "yuppies" aux écologistes), et associer d'une manière privilégiée chaque catégorie à un scénario sans pour autant occulter les recompositions originales qui peuvent s'opérer. En associant le terme de "chômage" à celui de "créativité", l'intitulé d'un colloque consacré en 1984 aux
transformations du modèle de travail chez les jeunes indiquait peut être
une des voies (pentues) de l'innovation sociale et culturelle.
Dans tous les cas, l'hypothèse d'une mutation culturelle éclaire le
constat d'une crise de légitimité des institutions, du système, d'atonie de
l'espace public. Celle-ci ne s'explique pas seulement par l'entropie qui
conditionne le fonctionnement de tout système, elle renvoie aussi à l'évo-
A.Franssen
147
lution des représentations sociales qui conduisent à juger intolérable ce
qui auparavant était accepté, et inversement. Au delà des composantes financières et gestionnaires de la crise de l'Etat-providence et du service
public, le constat est celui d'un écart entre d'une part les catégories de la
pratique institutionnelle, celles de la vie publique et des représentations
sociales qui commandent l'ordre social (qui est au moins autant celui des
progressistes que des conservateurs) et, d'autre part, celles du monde vécu
par les individus. En cela, on pourrait parler d'une crise de la normalité.
Les conduites (des jeunes en particulier) se caractériseraient par la distance à un contexte qui ne fait pas sens, distance aux institutions qui sont ressenties comme autant de lieux de conservation sociale. La distinction proposée par Habermas entre "monde vécu" et "système" exprime la distanciation qui caractérise aujourd'hui le rapport des individus (des jeunes ?)
au social institué (Habermas, 1988). On retrouve à maints indices ce sentiment que la société n'est plus là où elle proclame institutionnellement
son existence, qu'elle n'est pas dans les luttes que les appareils se livrent
en vue d'en contrôler d'autres. Le retrait vis-à-vis des partis politiques,
des syndicats et des autres organisations lourdes qui prétendent monopoliser les affaires publiques en est le signe.
Plus positivement, il s'agit d'être attentif aux évolutions culturelles qui
peuvent être opérantes à deux niveaux: celui des conceptions qui commandent les politiques (avec l'hypothèse d'une extension du paradigme
marchand comme expression d'un brouillage des finalités propres de la
politique sociale), celui des représentations qui commandent les pratiques
individuelles (le rapport usager-service public, bénéficiaire-système de sécurité sociale, membre-organisation).
Comment demain vont se recomposer les principes et les modèles d'actions qui régulent le système? En quoi les orientations culturelles vantelles déterminer de nouveaux modes d'organisation sociale? Dans quelle
mesure le système en place, empêtré dans les contraintes financières et
gestionnaires, ne va-t-il pas être culturellement débordé par l'appel à de
nouvelles pratiques et à de nouveaux rapports qui faute d'être rencontrés
vont renforcer les stratégies purement instrumentales d'utilisation?
Si l'on s'accorde pour considérer l'Etat comme l'instrument de la réalisation du dessein d'une collectivité, ces questions sont centrales. Elles appellent l'urgence d'une explicitation des finalités culturelles que nous
poursuivons ("Quel sens donnons-nous à la vie sociale T", "Quelles sont
nos priorités ?", "A quel critère subordonne-t-on les arbitrages ?"). Pour
ce faire, il pourrait être utile et stimulant de méditer une maxime vieille de
deux siècles déjà: «Le but de la société est le bonheur commun».
(Constitution française, 1793).
148
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
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Notes de recherche
T. Nguyen Nam: 151-165
Significations et enjeux d'un champ sociosanitaire émergeant: l'éducation pour la santé
dans la Communauté française de Belgique
par Tien Nguyen Nam *
I. Le cadre théorique
A. La genèse du projet de recherche
L'idée du projet d'étude s'inscrit dans une série de recherches effectuées au Département Sciences-philosophies-sociétés des Facultés universitaires Notre-Dame de la
Paix à Namur, durant la période 1980-1985. De manière concrète, nous avons mené
deux grandes enquêtes dans les régions de la Basse-Sambre namuroise et de la HauteMeuse dinantaise, l'objectif des enquêtes étant d'analyser les relations entre la santé et
les modes de vie professionnelle, familiale et sociale des populations 1.
Dans le prolongement de l'analyse des résultats des enquêtes, nous avons amorcé en
1985 un début d'expérience de retour des informations vers les populations, de manière à promouvoir une prise en charge par les populations de leur propre. santé et de leurs
conditions de vie.
C'est en entamant cette expérience de retour des informations vers les populations
que nous avons pu évaluer l'impact déterminant des relais locaux, notamment des
"professionnels de santé travaillant dans le domaine de l'éducation pour la santé". Cependant, nous avons aussi constaté combien les activités d'éducation sanitaire accusent
le poids des contraintes institutionnelles et culturelles, et que, par ailleurs, au niveau
des "significations" et des "enjeux" de l'éducation-santé, un certain nombre de questions méritent d'être explicitées.
B. Le contexte socio-historique de l'éducation-santé dans la Communauté française de Belgique
A côté des observations tirées de notre propre expérience, nous avons aussi constaté
qu'à un niveau plus général, la période 1980-1987 était marquée par un grand développement institutionnel de l'éducation-santé dans la Communauté française de
Belgique.
* Facultés
universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur.
résultats des enquêtes sont notamment présentés dans l'ouvrage collectif: L'invention socio-épidémiologique, deux tomes, sous la direction de G. Thill, Pr. des facultés univ. de Namur, 1980, pp.II1.l.l.111.6.28.
1 Les
152
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
En effet, avant 1970, ces activités fonctionnent de manière latente en Belgique et
occupent une place nettement secondaire par rapport au développement de la pharmacopée et du réseau hospitalier. Vers le début des années 1980, l'on assiste à un regain
d'intérêt des pouvoirs publics pour le développement de cette discipline, volonté institutionnelle se traduisant par une forte augmentation des subsides accordés aux programmes d'éducation-santé
2. Ainsi, en 1970, un premier article de la loi budgétaire
belge ne prévoit qu'une modeste somme d'environ deux millions de francs belges pour
subsidier des campagnes nationales d'éducation-santé.
En quelques années, ce budget
a connu une nette progression pour se stabiliser autour de 85 millions de francs belges
dans les années 1985-1987.
En toile de fond à ces événements, il existe un triple constat relatif au domaine de la
santé: l'arrêt d'amélioration des indices de morbidité, l'augmentation des maladies dites "de civilisation" (cancer, obésité, stress, maladies d'origine sociale, etc.), et la
hausse continue du coût des soins de santé. Parallèlement aux données épidémiologiques et économiques, transparaissent de même en filigrane une série de mouvances
socio-culturelles
liées à une évolution de la définition sociale de la notion de santé,
comprise non seulement comme étant l'absence de maladie ou d'infirmité, mais un
"état de complet bien-être physique, mental et social" 3. De même, au niveau de certains groupes de populations, s'affirme de plus en plus une volonté de prise de distance
vis-à-vis de la pratique médicale classique, attitude s'inscrivant dans une recherche
d'auto-détermination
des citoyens devant leur santé, et ce, à l'intérieur d'un ensemble
plus large de revendications portant sur la qualité de la vie et la maîtrise des conditions
d'existence (logement, travail, environnement, loisirs ... ).
La conjonction de ces multiples facteurs donne lieu à l'émergence d'un nouveau
champ de la santé dans lequel de nombreuses organisations socio-sanitaires
vont se
mobiliser pour des enjeux communs et s'affronter sur des intérêts divergents. Ces organisations, de par leurs origines, leurs structures et leurs moyens de fonctionnement,
constituent un groupe d'acteurs très diversifié que nous présenterons plus loin.
Dans ce foisonnement général, il est cependant à préciser que l'efflorescence de l' éducation-santé dans la Communauté française de Belgique s'est établie dans un contexte historique et institutionnel marqué par une absence de réglementation officielle,
un manque de définition précise des rôles et compétences de chaque type d'organisation et une insuffisance de réflexion sur les aspects conceptuels et méthodologiques de
la discipline éducation-santé 4.
A cette situation quelque peu confuse, viennent s'ajouter des facteurs événementiels
liés aux divers changements de majorité gouvernementale en Belgique qui contribuent
à accentuer la complexité du terrain de l'éducation-santé.
Ainsi, il est à signaler que la
politique d'encouragement
à la multiplication des activités dont nous avons parlé a été
mise en place dans les années 1970-1985 par une coalition gouvernementale
socialistes/socio-chrétiens.
En 1986, cette politique d'extension se trouve quelque peu freinée
par l'avènement d'une majorité gouvernementale libéraux/socio-chrétiens,
prônant une
plus grande rationalisation des activités d'éducation-santé
(dans la partie consacrée à la
2 Sources : Publications du Moniteur Belge. Article 12.42 : Dépenses de toute nature en matière d'éducation-santé, années 1970 à 1987. Cf. de même Hans, 1980, pp. 62-66.
3 Organisation
Mondiale de la Santé, article la de la Constitution, 1946. Cf. de même: O.M.S., 1983 et
1985.
4 POIU une description détaillée de la situation, cf. Mintiens, 1985.
T. Nguyen Nam
153
présentation des résultats de l'étude, nous aurons l'occasion d'expliciter les conséquences de cette mesure de rationalisation).
C'est dans ce contexte doublement marqué par des données structurelles et des facteurs événementiels que s'est déroulée notre étude portant sur les significations et les
enjeux de l'éducation-santé
dans la Communauté française de Belgique.
C. Le terrain
d'étude:
présentation
des principaux
acteurs
Un premier survol du panorama global des acteurs de l'éducation-santé
révèle un
foisonnement d'activités à la fois multiformes et multidirectionnelles.
De manière concrète, nous pouvons repérer sept principaux types d'acteurs que
nous présentons brièvement ici:
a) Les pouvoirs politiques
Depuis 1980, l'éducation à la santé fait partie des compétences du ministre de la
Santé de l'exécutif de la Communauté française. Celui-ci est secondé dans sa tâche par
le Conseil communautaire consultatif de la prévention et de l'éducation pour la santé,
créé en 1982, et ayant pour mission «d'émettre à l'initiative ou à la demande de l'exécutif de la Communauté française, tout avis relatif à la prévention et à l'éducation pour
la santé» s. A côté des pouvoirs politiques, existent des administrations compétentes,
les plus importantes étant : le Service des études du ministère de l'Education nationale,
l'A.D.E.P.S. (Association pour le Développement de l'Education Physique et du Sport),
la médiathèque de la Communauté française, l' A.N.P.A.T. (Association Nationale pour
la Prévention des Accidents du travail), VIA-SECURA (accidents de la route), l'O.N.E.
(Office de la Naissance et de l'Enfance).
b) Les organisations thématiques
Comme sa dénomination l'indique, la deuxième catégorie regroupe des organisations travaillant sur un thème de santé bien précis (par exemple, diabète, cancer, etc.).
Certains organismes existent depuis le début du siècle et reposent sur une longue tradition de prestige et d'expérience (par exemple, la Croix Rouge de Belgique, la fondation contre les affections respiratoires et pour l'éducation à la santé, etc.). D'autres
sont apparues plus récemment, dans les années '70-80, suite au mouvement de "renaissance" de l'éducation-santé,
et travaillent sur des thèmes divers: alcool, drogues, alimentation, etc). Lorsque plusieurs organisations travaillent sur un thème commun,
elles se regroupent souvent en comités de concertation thématique, qui sont des lieux
de rencontre et d'échange entre personnes spécialisées.
c) Les organismes de coordination sur le terrain
Arm d'éviter des actions dispersées sur le terrain, parfois à double emploi, les pouvoirs publics ont créé en 1984 des commissions sectorielles de coordination de l'éducation pour la santé. Cette mission officielle a été confiée à la F.A.R.E.S. (Fondation
contre les Affections Respiratoires et pour l'Education à la Santé) 6, compte tenu de
son expérience acquise dans le passé concernant les coordinations sectorielles de la
lutte anti-tuberculose.
d) Les organisations d'évaluation méthodologique
Depuis quelques années, les travailleurs en éducation-santé tentent de dépasser le
stade du volontarisme et de l'amateurisme pour s'orienter vers des activités basées sur
des méthodes plus rigoureuses et plus scientifiques. En décembre 1980, a été créé
l'A.P.E.S. (Association pour la Promotion de l'Education pour la Santé), association
5 Arrêté du 9-11-82 du Moniteur Belge.
6 Arrêtés du 7-3 et du 7-10-84 du Moniteur Belge.
154
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
ayant entre autres pour mission de fournir des conseils méthodologiques et d'aider les
travailleurs à évaluer leurs programmes d'éducation-santé. A côté de l'A.P.E.S., existent
d'autres associations qui donnent aussi des conseils méthodologiques, tantôt vis-à-vis
d'un large public (par exemple, le Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs, C.R.I.O.C.), tantôt vis-à-vis d'un public d'affiliés (par exemple,les organisations mutualistes).
e) Les lieux d'enseignement, de formation et de recherche
Dans le cadre de l'enseignement destiné aux futurs professionnels de la santé, les
programmes des universités proposent traditionnellement des cours généraux de santé
publique et d'éducation-santé. En 1984, le ministre chargé de la Santé et de l'Enseignement de la Communauté française a constitué un groupe de réflexion interuniversitaire, avec pour mission la promotion de l'enseignement de l'éducation-santé à
tous les niveaux de l'enseignement normal, ainsi que la création de cycles de formation continuée pour des personnes travaillant déjà dans le circuit. Ont participé à ce
groupe interuniversitaire les représentants des principales universités de la Communauté française de Belgique (Piette/Schleiper, 1985).
f) Les organismes mutualistes
A côté de leurs missions principales dans le secteur de l'assurance-maladie-invalidité, les mutuelles participent aussi de manière active au domaine de l'éducation pour
la santé, et ce, à des degrés divers selon les organismes. Les activités des mutuelles
s'adressent en priorité à leurs affiliés, mais demeurent ouvertes à un public plus large.
g) Les travailleurs de terrain
On les désigne souvent par le terme "d'intervenants du premier échelon". Les travailleurs de terrain ont des formations professionnelles initiales assez variées (médecins, paramédicaux, psychologues, animateurs socio-culturels, assistants sociaux, etc.),
et appartiennent à des organisations diverses : grands organismes préventifs traditionnels' mutualités, groupes d'éducation permanente, centres de santé, etc. Malgré
cette hétérogénéité, ils partagent une caractéristique commune: la confrontation quotidienne avec le terrain, ce qui leur confère une place stratégique importante dans la tâche d'éducation pour la santé.
D. Deux principales pistes de recherche
A partir de ce premier tour d'horizon, l'objectif de la recherche visera à répondre à
deux questionnements :
1) Quelles sont les logiques implicites qui sous-tendent les discours des professionnels de la santé engagés dans l'action d'éducation sanitaire?
2) En lien avec les discours, comment se situent les rapports de force concrets entre
acteurs, quelles sont les stratégies qu'ils développent, et ce, pour quels enjeux?
II. Précisions méthodologiques
A. Choix de deux outils d'analyse complémentaires
Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons utilisé deux outils méthodologiques différents mais cependant complémentaires: une grille d'analyse structurale des discours, inspirée des écrits de J.P.Hiemaux et J.RemY (Hiemaux/Remy, 1975,
1978; Hiemaux, 1973, 1987), et une grille d'analyse des relations de pouvoir élaborée
par J. Pfeffer (1981, pp.35-229).
De manière intuitive, notre point de départ réside dans la volonté de repérer les décalages entre les discours et les pratiques des acteurs. Or, au fur et à mesure des inves-
T. Nguyen Nam
155
tigations, nous nous sommes aperçu qu'il n'existe pas d'un côté, des discours, et de
l'autre, des pratiques. Au contraire, les discours sont intimement liés aux pratiques, et
fonctionnent souvent comme moyens de légitimation des actions, à l'intérieur du contexte social global. La perspective de recherche se trouve ainsi déplacée. Au lieu de
marquer les cloisonnements entre discours et pratiques, il s'avère dès lors plus enrichissant de souligner leurs interactions. A cet égard, la méthode d'analyse structurale
nous fournit une grille de lecture pertinente, en explicitant les contenus implicites des
discours et en les articulant aux rapports sociaux. En complémentarité avec la méthode
d'analyse structurale, la grille d'analyse des relations de pouvoir nous permet de mettre davantage l'accent sur la dynamique des acteurs à l'intérieur d'un ensemble de rapports de force concrets, notamment en examinant la manière dont les acteurs mettent
en œuvre un certain nombre de ressources pour atteindre leurs objectifs.
De même, l'utilisation des deux grilles méthodologiques nous aide à mieux saisir le
fait qu'à côté de la logique intentionnelle des acteurs (c'est-à-dire le sens vécu autour
duquel ceux-ci se mobilisent), il existe une logique objective découlant des effets de
leurs pratiques, et ce, indépendamment de la conscience qu'ont les acteurs de leurs actions. Logique intentionnelle et logique objective sont ainsi distinctes, mais ne prennent cependant corps qu'à travers leurs rapports réciproques. Ainsi, dans la partie consacrée à l'analyse des résultats, nous aurons l'occasion de montrer comment, à partir
d'un idéal de désintéressement (par exemple la promotion de nouvelles pratiques de
santé pour le bien-être des populations), les éducateurs sanitaires vont progressivement
engendrer des conflits de légitimité et instaurer des relations de pouvoir à la fois entre
eux et avec d'autres acteurs du domaine de la santé.
B. Matériau d'analyse
Le matériau de base pour l'analyse est composé de 41 interviews menées par le
chercheur auprès des acteurs. En ce qui concerne la période d'investigations, notre recherche a porté essentiellement sur la période fin 85 - fin 87 (ce qui correspond plus ou
moins à l'époque de la politique du ministre de la Santé A. Bertouille). Les interviews
ont été menées sous forme d'entretiens semi-directifs, dans le cadre d'une recherche
qualitative 7.
7 Par ailleurs, comme le fait remarquer J.P. Hiemaux «il se peut que le recensement des discours parlés
ou écrits ne suffise pas, et différentes modalités de collecte des données doivent être combinées pour
saisir les divers plans et leur imbrication. Cette exigence peut supposer un renouvellement de pratiques
concrètes de collecte des données» (1973, pp.187-188). En ce qui nous concerne, nous avons complété
le matériau de base par une série de documents et de témoignages supplémentaires, sans toutefois mélanger les statuts des divers matériaux. Ainsi, nous avons effectué une analyse structurale à partir du
matériau de base en précisant à chaque fois les apports complémentaires provenant d'autres sources
d'information. Les sources d'information complémentaires que nous avons utilisées sont les suivantes:
I) les textes législatifs publiés au Moniteur et concernant les organisations: création, statuts, compositions des Conseils d'administration, ressources financières, etc. 2) les documents publiés par les organisations et destinés à leur public-cible ou à l'extérieur en général (dépliants d'information, brochures
didactiques, messages éducatifs, etc.) 3) des témoignages et informations recueillis lors de rencontres
informelles avec des "interlocuteurs privilégiés" : experts dans le domaine concerné, responsables institutionnels parlant en leur nom personnel et non en tant que représentants d'une institution, etc. 4) des
impressions notées par le chercheur au fur et à mesure de ses investigations quotidiennes, sorte de "carnet anthropologique" servant de points de repère à l'avancement des travaux.
156
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
III. Présentation des résultats
Nous présenterons les résultats de la recherche en 3 volets: le premier volet montre
la confrontation entre une logique institutionnelle et une logique "du terrain", ces deux
logiques se renvoyant constamment
l'une à l'autre, tout en étant distinctes. Le
deuxième volet situe l'ensemble des rapports de force concrets entre acteurs, en articulant les discours, les positions et les stratégies des acteurs. Le troisième volet explicite
les multiples enjeux sous-jacents aux luttes des acteurs.
A. Logique institutionnelle
et logique du terrain
1. Responsables d'organisations et agents de base
Une manière d'aborder la complexité du terrain d'étude a été pour nous de mener,
dans un premier temps, une analyse comparative entre le niveau des responsables d'organisations et celui des agents de base: confrontation des différents discours, et mise
en relation de ces discours avec les positions structurelles de chaque type d'acteurs.
Cette première approche comparative entre niveaux sera complexifiée et complétée par
une analyse des alliances et oppositions à l'intérieur de chaque niveau.
Une lecture des résultats de l'enquête permet tout d'abord de dégager deux types de
logique: une logique "institutionnelle",
avancée par les responsables des organisations, et une logique de terrain, soutenue par des agents de base travaillant au sein des
organisations (paramédicaux, travailleurs sociaux, psychologues, pédagogues ... ).
Du côté des responsables d'organisations, un des objectifs principaux consiste en un
partage territorial entre organisations, en vue d'occuper un "nouveau" créneau d'activité qui s'est constitué suite à une série de facteurs socio-historiques et contextuels que
nous avons présentés plus avant. Du côté des agents de terrain, on remarque que ceuxci cherchent plutôt à promouvoir l'éducation-santé
comme étant un "nouveau" vecteur
professionnel, au travers duquel ils pourront faire valoir leurs diverses compétences et
renforcer leur légitimité professionnelle.
De même, si les responsables d'organisations
ont tendance à mettre l'accent sur la
scientificité comme valeur de référence pour les activités éducatives (et ce, afin de se
conformer aux discours de rationalité et d'efficacité exprimés par les pouvoirs publics), les agents de base revendiquent, de leur côté, une position intermédiaire entre le
niveau institutionnel et les interventions quotidiennes auprès des populations, atout
qu'ils tentent de valoriser pour contrebalancer la faible position structurelle qu'ils occupent à l'intérieur de leur propre organisation.
Par ailleurs, face à une démarche d'éducation-santé
se focalisant sur des aspects individuels (que l'on retrouve souvent dans l'optique des responsables d'organisations),
les agents de base ont tendance à mettre en avant l'influence des conditions de vie sur
la santé, dans la mesure où ils se rendent compte d'une certaine impuissance de l'éducation-santé individualisée à résoudre les problèmes socio-économiques rencontrés par
les populations. De là, une forte insistance à bien départager la responsabilité de l'individu et la responsabilité du système devant les problèmes de santé, ce qui explique par
ailleurs, une prise de distance vis-à-vis de l'image du "professionnel neutre" chez certains agents de terrain, ces derniers optant dès lors pour une mobilisation d'ordre
socio-politique,
2. Interactions inter- et intra-niveaux
A côté des points de confrontation
ver un certain nombre d'interactions
et celui des agents de base.
entre les deux logiques, on peut de même obserentre le niveau des responsables d'organisations
T. Nguyen Nam
157
Ainsi par exemple, un grand nombre de travailleurs de base ressentent la nécessité
d'acquérir une formation scientifique solide, et inversement, certains responsables
d'organisation
accordent une place centrale au travail de terrain, dans la mesure où
eux-mêmes ont commencé leur trajectoire professionnelle en partant de la base.
De manière plus fondamentale, on remarque que la frontière entre les deux niveaux
s'estompe fortement lorsqu'entrent en jeu un certain nombre d'éléments transversaux
aux deux niveaux. Tout d'abord, le combat pour une valorisation de la démarche préventive face à la médecine curative, enjeu qui rassemble à la fois les responsables et
les agents de base. De même, le clivage de l'appartenance idéologico-politique
des acteurs, qui imprègne aussi bien le niveau des responsables que celui des agents de base,
démarquant par là des zones d'alliance et d'opposition entre acteurs à l'intérieur d'un
même niveau.
Ce clivage idéologique représente une donnée incontournable dans la mesure où
l'imprégnation
de la variable politique sur le secteur social a toujours été profondément inscrite dans la trajectoire historique des politiques sociales en Belgique 8 .. En effet, dès le début du siècle, le secteur social a été investi par deux fractions du mouvement ouvrier belge: la social-démocratie
et les démocrates chrétiens. A partir d'un
même objectif de base, à savoir la moralisation des classes ouvrières par la conjugaison de l'hygiénisme
et de la protection sociale des "personnes à risques", ces deux
fractions se sont progressivement partagé le terrain social, en mettant en place deux réseaux parallèles d'institutions
sociales, politiques et sanitaires: syndicats, établissements scolaires, groupes d'éducation permanente, mouvements de jeunesse, partis politiques, établissements hospitaliers, caisses de sécurité sociale et d'assurance maladieinvalidité, etc. Cette situation héritée du passé explique ainsi par exemple l'ambiguïté
des relations à la fois de concurrence et d'alliance entre les mutualités socialistes et les
mutualités chrétiennes dans le secteur de l'éducation-santé:
concurrence par rapport à
l'occupation d'un nouveau créneau socio-sanitaire (notamment, le bénéfice des subsides accordés aux projets d'éducation-santé),
mais alliance objective de par leur spécificité d'organisation sociale face aux autres types d'institutions (médicales, sanitaires ou
scientifiques). De même, malgré la différence de leur appartenance idéologique, les
mutualités socialistes et chrétiennes se présentent comme des "partenaires obligés",
dans la mesure où, de par le jeu du pluralisme politique en Belgique, ce qui est accordé
à une famille politique doit toujours trouver son équivalent (ou sa compensation) dans
d'autres familles politiques.
Outre le clivage idéologique, d'autres éléments contribuent à accentuer l'hétérogénéité dans chaque niveau d'acteurs. Ainsi, en analysant les positions des responsables des différents organismes, on peut par exemple repérer un certain nombre de lignes de démarcation entre organisations.
Tout d'abord, un premier clivage trouve son ancrage dans le contexte historique du
domaine socio-sanitaire de la Belgique francophone. Il oppose d'un côté, des organisations traditionnelles telles que la Croix Rouge de Belgique, l'D.N.E. ou la F.A.R.E.S.,
et de l'autre, des associations d'éducation-santé
plus "jeunes", créées au début des années 1980 (par exemple, les groupes de prévention des toxicomanies, de consommation des médicaments, des habitudes alimentaires, etc.).
Face à la multiplication d'acteurs, les traditionnels valorisent davantage leur "autorité traditionnelle", tout en cherchant à se donner une nouvelle image de marque, plus
"scientifique" et plus "moderne". Par ailleurs, à l'intérieur même du groupe des tradi-
8 Pour
cette problématique, cf.entre autres Francq, 1982.
158
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
tionnels, on observe un certain nombre de nuances entre organisations. Certaines,
comme par exemple la Croix Rouge de Belgique, la F.A.R.E,S.,présentent les caractéristiques suivantes: prégnance du modèle médical, longue tradition, position de bénéficiaire privilégié des subsides des pouvoirs publics, place secondaire de l'éducationsanté dans leurs activités (par rapport aux actions de secourisme dans la Croix Rouge,
ou à la lutte anti-tuberculose dans la F.A.R.E.S.).D'autres, notamment l'O.N.E., se démarquent quelque peu, dans la mesure où l'éducation-santé représente une de leurs activités principales. En ce qui concerne les jeunes associations, celles-ci se caractérisent
par plusieurs aspects communs, comme par exemple la petite dimension, la précarité
des ressources financières, le manque de moyens matériels et de personnel, ete.
A côté de la distinction anciens/jeunes, on peut dégager un deuxième clivage situant
deux conceptions différentes du travail éducatif et préventif: d'une part, l'optique
"thématique", qui consiste pour les acteurs à se spécialiser dans un domaine ou dans
un thème spécifique de l'action socio-sanitaire (par exemple, la tuberculose, le cancer,
la petite enfance, la prévention contre l'alcool et les autres drogues, etc.), et d'autre
part, la démarche "horizontale" visant à valoriser une action géographiquement localisée, par exemple, à confier aux mêmes agents locaux la prise en charge globale des
problèmes d'éducation-santé d'une population.
Il est aussi intéressant de noter que le clivage thématique/horizontal est assez lié au
clivage anciens/jeunes, sans toutefois y être totalement confondu. Ainsi, des grands organismes traditionnels comme la Croix Rouge de Belgique, la F.A.R.E.S.ou l'O.N.E.travaillent dans l'optique "thématique". Par contre, d'autres grandes institutions traditionnelles comme les organismes mutualistes favorisent plutôt les expériences de terrain,
dans la mesure où elles disposent de nombreuses sections régionales et locales qui leur
permettent d'entretenir des contacts directs avec leurs réseaux d'affiliés. Du côté des
petites associations, certaines (par exemple les comités de concertation thématique)
adoptent aussi la démarche "spécialisée". Ces groupes se trouvent dès lors partagés entre d'une part la nécessité d'avoir une compétence spécialisée, et d'autre part, le risque
d'instaurer une vision trop fragmentée de la réalité globale.
Au carrefour des multiples relations entre organisations, on peut aussi observer la
place stratégique des experts universitaires. En effet. de par leur présence dans les multiples lieux institutionnels et scientifiques, ces acteurs se situent à une zone d'interaction entre les pouvoirs politiques, les responsables d'organisation et les agents de
base. Cependant, on peut aussi remarquer qu'en dépit de leur position-clé dans le domaine de l'éducation-santé, ces acteurs scientifiques occupent une position dominée
dans leur propre lieu institutionnel, dans la mesure où la prévention et l'éducationsanté constituent des disciplines secondaires au sein des facultés de médecine des universités.
.
Au niveau des agents de base, la situation est tout aussi hétérogène, celle-ci étant
marquée par deux principaux clivages: l'appartenance idéologique des agents dont
nous avons parlé plus haut, et la diversité des formations professionnelles initiales des
agents.
En ce qui concerne le clivage de la formation professionnelle initiale, on peut relever la différence entre, d'un côté, des médecins s'occupant d'éducation-santé, et, de
l'autre, des éducateurs-santé de formation non médicale. Les premiers occupent une
position à la fois dominante dans le secteur éducation-santé et dominée dans le domaine de la médecine, tandis que les seconds revendiquent une plus grande légitimité professionnelle face aux médecins. Concernant ce dernier point, on peut aussi remarquer
qu'à l'intérieur du groupe des non-médecins, les revendications revêtent des formes
différentes selon qu'il s'agisse de paramédicaux ou de travailleurs en sciences humai-
T. Nguyen Nam
159
nes. Ainsi, du côté des paramédicaux, les lunes cherchent à remettre en question la hiérarchie des statuts professionnels (les paramédicaux étant traditionnellement
considérés comme des auxiliaires fonctionnant en subordination directe sous les directives des
médecins) et du côté des travailleurs en sciences humaines, les mobilisations visent
une remise en cause de la hiérarchie des disciplines scientifiques (les connaissances
médicales étant plus valorisées que les compétences en sciences humaines).
B. Rapports de force concrets: discours, positions et stratégies
Après avoir analysé les discours, nous nous sommes concentrés sur l'étude des rapports de force concrets entre acteurs, en articulant les stratégies, les positions structurelles et les discours des acteurs.
Comme matériau de départ pour l'analyse, nous avons étudié une prise de décision
concrète, à savoir la répartition des subsides que les pouvoirs publics accordent aux
organisations d'éducation-santé.
Comme pour l'analyse des discours, nous avons comparé le programme budgétaire des libéraux (1986) à celui des socialistes (1985), en faisant tout d'abord remarquer que la restructuration budgétaire proposée par le ministre
libéral ne reflétait pas un choix précis de politique de santé globale et cohérente, mais
plutôt des options idéologiques visant à écarter des acteurs appartenant aux familles
socialiste et socio-chrétienne 9 •
Par ailleurs, indépendamment
des événements conjoncturels, nous avons relevé la
place privilégiée qu'occupent les grands organismes traditionnels et les acteurs scientifiques dans le partage des subsides financiers, de par leur présence dans les multiples
lieux de négociation politique, leur maîtrise des informations, de l'expertise, des règles
de fonctionnement
institutionnel, etc., avec en arrière fond, la forte légitimité qu'ils
détiennent dans le secteur de l'éducation-santé,
légitimité basée sur différents types
d'autorités:
traditionnelle, légale, "charismatique", et/ou scientifique. De même, nous
avons rappelé un certain nombre de propos dans les discours des responsables d'organisations, et montré que ceux-ci fonctionnent souvent comme moyens de légitimation
des pratiques (par exemple, les pouvoirs politiques parlent de «rationalité» et «d'efficacité», les acteurs scientifiques valorisent la rigueur méthodologique, les organismes
traditionnels font valoir leur passé prestigieux, les associations thématiques mettent en
avant leur spécialité, etc.), tout en faisant jouer une série d'images symboliques (par
exemple, le secours humanitaire pour la Croix Rouge, la mère et l'enfant pour l'O.N.E.,
la lutte anti-tuberculose pour la F.A.R.E.S., etc.).
D'autre part, nous avons souligné le lien entre les stratégies des acteurs et leurs
positions structurelles intra-organisationnelles,
en montrant par exemple que certains
agents occupent à la fois une position extérieure forte et une position intérieure faible
(c'est le cas notamment des services d'éducation-santé
dans les grands organismes
traditionnels, des unités d'éducation-santé
à l'intérieur des facultés de médecine des
universités, etc.), et que dès lors, les "réussites" qu'ils obtiennent dans le secteur de
l'éducation-santé
leur permettent du même coup de renforcer leur position interne. En
ce qui concerne plus particulièrement
les agents de base fonctionnant au sein des
grands organismes traditionnels, nous avons aussi remarqué une stratégie à double
sens entre ceux-ci et leurs supérieurs hiérarchiques. D'un côté, les supérieurs hiérarchiques envoient les agents de base sur le terrain pour avoir des informations concernant
un nouveau créneau d'activités qu'ils maîtrisent peu. De l'autre côté, les agents de
base cherchent à développer l'éducation-santé
pour diversifier leurs tâches quotidien-
9 Pour les détails de l'analyse, cf. texte intégral de la thèse, Facultés univ. de Namur, pp.217-232.
160
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
nes et échapper ainsi d'une certaine manière au contrôle permanent et direct de leurs
supérieurs hiérarchiques. Dans cette optique, ils vont intensifier les contacts professionnels qu'ils entretiennent avec l'extérieur (rapports avec les enseignants, animateurs socio-culturels, groupes d'usagers, etc.), tout en développant un réseau de relations personnalisées entre agents de base appartenant à des organismes différents. Du
côté des travailleurs appartenant aux petites associations, créées dans les années 1980,
nous avons noté que ces agents se trouvent devant une situation inverse. Ainsi, agissant dans des structures mises en place expressément pour l'éducation-santé, ils peuvent concentrer tous leurs efforts sur ce terrain. Cependant, comme nous l'avons fait
remarquer, ces travailleurs sont souvent confrontés à de grandes difficultés extérieures : précarité des subsides financiers, dépendance vis-à-vis des conjonctures politiques, faible légitimité, etc.
C. Enjeux sous-jacents
Tout au long des pages précédentes, nous avons eu l'occasion d'esquisser, de façon
intermittente, certains enjeux du domaine de l'éducation-santé. Dans cette partie du
texte, nous voudrions reprendre les enjeux de manière plus systématique, en les situant
à l'intérieur d'une lecture globale qui articule les différents niveaux d'enjeux.
1. Lutte pour les ressources financières
Comme nous l'avons déjà développé ci-dessus, l'enjeu le plus visible réside dans
l'obtention des subsides financiers aux programmes d'éducation-santé. En effet, la
mobilisation des acteurs n'aurait pas été aussi intense s'il n'y avait pas eu l'extension
des possibilités financières. Extension cependant tout à fait modeste, si on la relativise
par rapport à l'ensemble des dépenses-santé de l'Etat. Il est ainsi frappant de constater
combien les luttes peuvent s'avérer ardues, même pour un enjeu financier assez limité.
Un des facteurs explicatifs de cette situation pourrait se comprendre de la façon suivante: l'enjeu financier constitue un tremplin pour la poursuite d'autres enjeux moins
apparents. C'est ce que nous tenterons d'expliciter ci-après.
2. Occupation d'un nouveau créneau, partage des compétences et professionnalisation
Avec le développement des subsides financiers, l'éducation-santé constitue dès lors
un nouveau créneau autour duquel se mobilisent de nombreux acteurs. Comme nous
l'avons souligné, un des objectifs principaux de ces acteurs est d'occuper le terrain, en
se donnant des compétences spécifiques. Ce processus revêt des formes multiples
(créations d'associations surdes terrains encore inoccupés, reconversions d'anciens
organismes par l'attribution de nouvelIes missions ... ) et trouve son aboutissement
dans l'agréation officielle par les pouvoirs publics. Les compétences s'étendent dans
des domaines divers tels que la coordination des activités, la formation des travailleurs
en éducation sanitaire, l'évaluation scientifique des projets, ou encore la spécialisation
dans des thèmes de santé spécifiques.
3. Médecine scientifique et "santé globale"
En filigrane des luttes pour les ressources financières, des conflits de compétence et
des processus de professionnalisation, transparaît un enjeu plus théorique portant sur
l'opposition entre le paradigme de la médecine scientifique et la notion de "santé globale" 10. A cet égard, rappelons que le modèle de la médecine scientifique fonctionne
essentiellement selon une vision organique de la maladie, une logique curative, une infrastructure de soins centrée sur l'hôpital et une prise en charge de la maladie par les
10 Pour une réflexion approfondie de la notion de "santé globale", cf. entre autres, Bury, 1988, Illich,
1975, Herzlich, 1984, Attali, 1979, etc.
T. Nguyen Nam
de prévention et d'éducation-santé,
et préconise une décentralisation
soins ainsi qu'une responsabilisation accrue des non-professionnels.
161
des structures de
4. Intervention des experts scientifiques dans l'éducation-santé:
légitimation et autolégitimation
En articulation avec les enjeux précités, se repère de même la position-clé des acteurs scientifiques dans le secteur de l'éducation-santé.
Ainsi, jusqu'en 1983, la plupart
des activités éducatives se sont effectuées en l'absence de critères de pertinence, de rigueur scientifique et d'évaluation. Par ailleurs, la discipline de l'éducation pour la santé s'est progressivement
révélée depuis ces dernières années comme un ensemble de
savoirs constitués, ou plus exactement selon les termes des experts, des «savoirs, des
savoir être, des savoir faire, des savoir devenir» (Piene/Schleiper,
1985), sa principale
caractéristique résidant dans l'interférence entre des disciplines traditionnelles (médecine, épidémiologie ... ) et des apports nouveaux de la pédagogie, de la psychologie
des sciences en communication sociale, etc.
Parallèlement, sur le terrain, les travailleurs en éducation sanitaire ressentent de plus
en plus la nécessité de prendre un recul réflexif par rapport à leurs premières périodes
d'activités. Nous assistons dès lors à une conjoncture favorable pour que les scientifiques interviennent de plus en plus dans les projets d'éducation. Cette intervention recouvre ainsi un enjeu de légitimation à double niveau: d'une part, la rigueur scientifique légitime les activités éducatives aux yeux des pouvoirs publics et des acteurs
concernés, et d'autre part, l'éducation pour la-santé instaure sa propre légitimation à
l'intérieur de la communauté scientifique, en s'affirmant en tant que "discipline" à part
entière, avec tous les aspects inhérents à l'acceptation de ce terme, à savoir la constitution d'un stock de connaissances, le contrôle par les pairs, la reconnaissance officielle par les autorités scientifiques et politiques, etc.
Ainsi, de manière globale, et en s'inspirant des réflexions de J. Remy (RemyNoyé/
Servais, 1978), nous pouvons comprendre le développement de l'éducation-santé
dans
la Communauté française de Belgique comme étant l'émergence d'une nouvelle légitimité dans le champ de la santé, cette situation donnant lieu à l'instauration d'un nouveau champ socio-sanitaire qui cherche à se structurer progressivement et à s'autonomiser, notamment en fondant sa pratique sur un savoir systématique, en instaurant ses
propres critères d'évaluation et en fixant ses règles de promotion interne. Par ailleurs,
il est aussi à noter que la dynamique interne de ce champ ne va pas sans engendrer des
effets de feed back sur la demande sociale en matière de santé, en visant par exemple à
promouvoir chez les populations l'image d'un "double idéalisé", cette image pouvant
se traduire par des styles très différents, voire opposés: par exemple, d'un côté, l'image du "bon" patient conforme aux attentes des professionnels de santé, et de l'autre,
celle du "citoyen capable de jugement et d'initiative face à sa propre santé".(cette dernière problématique contient à elle seule toute une réflexion approfondie que nous espérons pouvoir développer dans un prochain texte).
IV. Perspectives ..•
A. Nouvelles données du contexte institutionnel depuis novembre 1988
Tout au long de l'article, nous avons voulu montrer la trame des multiples luttes et
enjeux du domaine de l'éducation-santé,
situation complexe et multiforme engendrant
souvent des difficultés de coordination des activités dans le cadre d'une politique globale en matière d'éducation-santé
dans la Communauté française de Belgique.
A cet égard, depuis novembre 1988, la situation institutionnelle semble quelque peu
se clarifier. En effet, avec le retour au pouvoir d'une coalition socialistes/socio-chré-
162
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
A cet égard, depuis novembre 1988,la situation institutionnelle semble quelque peu
se clarifier. En effet, avec le retour au pouvoir d'une coalition socialistes/socio-chrétiens en mai 1988, une réglementation officielle du secteur éducation-santé a été instaurée le 8 novembre 1988, fixant les rôles et compétences de trois principaux niveaux
d'acteurs Il: une cellule consultative permanente (composée de représentants des organisations, des universités et des différents ministères de santé publique qui conseillent le ministre de la Santé dans la mise en œuvre d'une politique cohérente), des services d'éducation-santé
agréés disposant de ressources financières stables, et des programmes d'action et de recherche concrètement localisés et limités dans le temps. De
même, les mesures réglementaires
insistent sur la nécessité de définition des axes
prioritaires d'action, ainsi que sur la planification et l'évaluation des activités.
Malgré cette volonté positive d'harmonisation,
on peut cependant constater que
toute réglementation officielle doit tenir compte d'un certain nombre de rapports de
force existant de fait sur le terrain, avec des acteurs incontournables ayant acquis leur
territoire par la pratique (par exemple, les organisations préventives traditionnelles,les
organismes mutualistes, les experts universitaires, etc.). Ainsi, de nombreuses questions demeurent, notamment le fait de savoir si le renforcement d'experts multipositionnés dans divers lieux ne va pas engendrer un durcissement et une clôture du champ
de l'éducation-santé
en Belgique francophone. De même, plus fortes que les lois, demeurent les pratiques quotidiennes, marquées par des difficultés de communication
aussi bien entre organisations qu'entre responsables et agents de terrain à l'intérieur
d'une même organisation.
B. Pistes de réflexion et d'action:
connaissance, éthique et praxéologie
Malgré les difficultés et contraintes évoquées ci-dessus, le champ de l'éducation
pour la santé comporte cependant de riches potentialités. A cet égard, nous voudrions
esquisser ici quelques pistes de réflexion et d'action pour le futur.
Une première piste concerne tout d'abord l'utilisation éventuelle de notre travail de
recherche par et pour les acteurs eux-mêmes. Il s'agirait ainsi pour chaque responsable
d'organisation ou agent de terrain de réexaminer ses propres pratiques en fonction des
possibilités et contraintes à la fois institutionnelles et culturelles que nous avons analysées précédemment. Malgré l'imperfection de notre regard d'extérieur, nous pensons
que cette recherche peut fournir un outil conceptuel et méthodologique
pour des acteurs désireux d'entamer une réflexion plus globale sur leurs pratiques.
Ainsi, une attitude éthique exigerait des éducateurs-santé
qu'ils mettent en œuvre
une (auto-) évaluation constante de leurs actions, de manière à éviter des activités
"contre-productives".
De même, l'interrogation éthique permettrait aux travailleurs en
éducation-santé de se donner une lucidité sur certaines formes de "manipulation"
(au
sens objectif et non culpabilisant du terme) dans les actions éducatives, sur un certain
nombre d'idéologies sous-jacentes à la démarche préventive, et sur de nouvelles aliénations engendrées par le nouveau paradigme de la santé globale (ainsi, dans la partie
consacrée à l'explicitation des enjeux de l'éducation-santé,
nous avons présenté le modèle de la santé globale comme étant une alternative intéressante pour contrebalancer
le paradigme de la médecine scientifique). Pourtant, la réalité est beaucoup plus complexe et dépasse de loin cette vision schématique et manichéenne des choses. En effet,
n'assistons-nous
pas ces dernières années à la montée d'une culture nouvelle qui, en
s'appuyant sur l'idée de santé globale, donne lieu à de nouvelles aliénations:
surexIl Exécutif de la Communauté française de Belgique. Arrêté du 8-11-1988: réglementation en éducation
pour la santé ( Ministre C. Picqué),
T. Nguyen Nam
163
ploitation commerciale de l'image de "l'homme moderne parfaitement épanoui", ou
encore, développement de groupes de "thérapies alternatives" fonctionnant plus ou
moins selon le modèle des sectes mystico-religieuses, etc. Plus importante encore,
nous semble-t-il, est la liaison directe qui peut s'établir entre santé globale et traitement global, perspective à l'intérieur de laquelle, selon les termes d'Illich (repris dans
Bury, 1985 :72-73) «soins médicaux, rééducation et remise en état psychique ne seraient alors que les différentes formes d'une programmation de l'homme pour l'adaptation à un environnement programmé».
D'autre part, sur le plan des pratiques quotidiennes, la dimension éthique rejoint
aussi l'acte socio-politique lorsque les éducateurs-santé auront à établir leurs priorités
d'action, notamment en définissant les groupes de populations auxquels l'éducationsanté devra se consacrer en premier lieu.
De même, à côté des choix de solidarité sociale, les planificateurs et intervenants en
éducation-santé devraient aussi tenir compte d'une articulation entre des perspectives
d'action à court, moyen, et long termes. Ainsi; en confrontant les contradictions de la
vie quotidienne à des perspectives socio-sanitaires à plus long terme, les éducateurssanté pourraient contribuer à une recherche d'harmonisation entre ce que J. Dufresne
(1985) appelle le «sens du prochain» et le «sens du lointain», démarche globale soustendue par des choix de société et qui engage en même temps un pari sur le futur.
Pourtant, dans la multiplicité des interactions s'effectuant entre acteurs de la santé,
l'innovation socio-sanitaire se présente comme un terrain complexe dans lequel aucun
groupe social ne détient le monopole des éléments qui s'imposeront pour le futur. Il
s'avère dès lors crucial pour les éducateurs-santé de pouvoir mener des actions à
moyen et long termes, au delà de l'exaltation immédiate des moments "chauds" de la
vie sociale. A ce propos, nous pensons qu'un des atouts majeurs de l'éducation pour la
santé réside précisément dans sa capacité de travailler "à froid" et en profondeur sur
les rapports de force existant dans le champ de la santé. Ainsi, en partant de l'idée que
les pratiques innovatrices les plus significatives ne sont pas nécessairement celles qui
affrontent le plus directement le rapport social qu'elles désirent déplacer, nous estimons que l'éducation pour la santé, de par son apparence souvent anodine, possède
l'avantage de se trouver à l'abri d'oppositions violentes de la part des pouvoirs dominants (contrairement au cas des médecines parallèles par exemple), et que dès lors, ses
pratiques peuvent, à long terme et de manière indirecte, contribuer à une remise en
question de la dominance du modèle bio-médical de la santé. D'un autre côté, on ne
peut ignorer le fait qu'en cherchant à donner des contenus concrets et réalisables à des
aspirations latentes au niveau des populations, les éducateurs-santé se constituent progressivement, eux aussi, comme lieu d'expertise. De ce fait, ils représentent sur le plan
objectif, et indépendamment du degré de prise de conscience de leurs projets, la base
d'un pouvoir nouveau.
164
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J.- M. Foucart: 167-179
La pratique de l'éducateur social spécialisé
Une quête d'oralité et d'indivisibilité
par Jean-Marie Foucart *
On regroupe sous l'expression "secteur socle-éducatif" des catégories de professionnels chargés de la rééducation d'enfants et d'adolescents "présentant des déficiences physiques ou psychiques, des troubles du caractère ou du comportement, délinquants ou en danger, confiés par les autorités judiciaires ou administratives, ou par les
familles à des institutions spécialisées", c'est-à-dire ceux qu'on dénomme officiellement l'enfance inadaptée.
L'éducateur social spécialisé sur qui reposent pour l'essentielles tâches éducatives
est chargé en dehors des heures de classe ou d'atelier, de l'observation ou de l'éducation de cette population. Notre propos sera de dégager les procédures au travers desquelles l'éducateur donne sens à sa pratique pédagogique. Nous commencerons par exposer la position de cet acteur. Après avoir introduit le mode d'approche, nous étudierons la représentation qu'il donne de lui-même, de son rôle et des moyens pédagogiques mis en œuvre, ce qui nous conduira à présenter l'oralité et l'utopie comme dimensions centrales de l'habitus.
Nous interpréterons ce travail micro-sociologique en fonction d'une dynamique
plus macro-sociale exprimée en termes de fraction de classe, ce qui nous mènera à un
construit théorique Cette analyse demandera un complément. Dans celui-ci, nous nous
centrerons sur la logique du social en tant qu'il explique les caractéristiques de la transaction pédagogique.
I. L'éducateur:
un acteur en position ambiguë et incertaine
Le travail de l'éducateur est flou, peu défini. A partir des faits les plus prosaïques de
la vie quotidienne, il doit chercher à resocialiser le jeune. Son activité professionnelle
est donc constituée d'un ensemble d'actes très diversifiés: intervention au cours de
discussions, de chahuts, de bagarres, tâches accomplies en commun, réponses à des
demandes matérielles et autres, marques d'intérêt, manifestations d'autorité, etc., qui
sont entendus comme supports du projet éducatif.
La situation professionnelle de l'éducateur se caractérise par un embarras considérable. Le peu de reconnaissance des usagers et de considération de la part des experts
* Cel article synlhétise quelques aspects d'une thèse de doctorat défendue en mai 1990. L'auteur tient à
exprimer ici sa reconnaissance envers le promoteur de ce travail, le Professeur 1. Remy.
168
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
(psychologues, psychiatres, magistrats) et des autres intermédiaires (professeurs, assistants sociaux, paramédicaux) engendre chez lui un profond malaise. TI ne peut guère se
définir à partir d'un savoir objectivé, mais à partir d'un ensemble de propriétés incorporées. Il est donc dans une situation très fragile. Peu aidé par des capacités techniques
ou des compétences en matière d'inadaptation, la réussite va dépendre de sa débrouillardise et en particulier de la manière dont il résout ses problèmes au plan personnel.
Ceci constitue une de nos hyptohèses de base. Fréquemment, l'éducateur spécialisé
réussit sa tâche dans la mesure où il vient à bout des malaises liés à sa trajectoire personnelle. Par ailleurs, il est mandaté à la fois pour établir une relation et pour distribuer
des sanctions, ce qui le situe dans une position inconfortable entre le dialogue et la violence physique ou symbolique. Il est constamment amené à se rapprocher et en même
temps à s'éloigner de ceux qu'il prétend aider.
En réponse au désarroi de sa position, l'éducateur se mettra en scène dans un récit
multiple. A travers celui-ci, il transfigure la situation vécue. Il s'agit là d'une production utopique, la pensée utopique procédant d'une insatisfaction fondamentale à l'égard des conditions actuelles de l'existence sociale. Le désirable social se construit en
rupture de certains aspects du vécu et aussi par projection et idéalisation d'autres
aspects. Les prises de position déréalisées et contestataires tout à la fois sont spécifiques non seulement aux éducateurs mais aux autres fractions de la nouvelle petite
bourgeoisie. M.Voisin (1977) analyse celles-ci à partir de propriétés de position structurellement ambiguës médiatisées par une délégation de pouvoir incertaine. Toutefois
ces autres fractions (enseignants, infirmières, assistants sociaux ... ) détiennent un savoir défini, fondement d'une légitimité rationnelle. Il en résulte la constitution d'un espace d'intervention à l'intérieur duquel ces professionnels peuvent jouer et possèdent
une certaine sécurité dans le jeu.
II. Un mode d'approche varié
La compréhension de ce récit demande des approches différentes mais complémentaires. Nous avons entremêlé divers modes de recueil du discours des éducateurs avec
l'observation participante, laquelle nous donne une sensibilité plus grande.
a) Le discours des éducateurs est abordé à travers trois sources : les mémoires de fin
d'études, les entretiens non directifs, la littérature professionnelle.
Les mémoires de fin d'études: nous nous sommes basé sur quinze mémoires. L'intérêt du mémoire pour notre propos est qu'il est défendu devant d'autres acteurs pris
avec les éducateurs dans le même champ d'intervention.
Les entretiens non directifs: nous avons procédé à douze entretiens non directifs,
dont deux de groupe et dix individuels. Le thème central de ceux-ci fut axé sur la question : «Que représente pour vous l'action pédagogique que vous menez 'l»
La littérature professionnelle: sur base des bibliographies des mémoires, nous
avons recensé les ouvrages et articles professionnels parus au cours de ces quinze dernières années. Ces livres et articles nous renseignent sur le savoir-être et le savoir-faire
de l'éducateur.
b) L'observation participante a été le fait de notre pratique de formateur d'éducateurs en fonction. Une telle position nous permet d'écouter les discours et les pratiques
de ces agents. Elle nous a permis d'élaborer ce que Bertaux appelle une «description
pénétrante». Celle-ci s'est élaborée à partir:
- de la vie quotidienne d'une institution de formation pour éducateurs en fonction,
- des discussions avec les étudiants lors de la guidance de mémoires ou de travaux
de séminaires,
J.- M.Foucart
169
- de la participation régulière aux réunions des directions d'écoles de formation
d'éducateur,
- de la participation à des réunions préparatoires et/ou de réflexions sur les propositions de lois relatives au statut de l'éducateur,
- de la participation à diverses manifestations dans le champ plus élargi du travail
socio-éducatif,
- des échanges informels avec des directeurs d'institutions, des psychothérapeutes,
de magistrats.
Les informations recueillies nous donnent le discours que les éducateurs tiennent
sur leur pratique. Ces discours sont variés et nous nous sommes demandé si une cohérence soutenait cette multiplicité. En vue de dégager celle-ci, nous avons utilisé la méthode de l'analyse structurale. Le but de cette méthode est de reconstituer la logique
sous-jacente en supposant que le sens vécu part de la perception d'un manque ou d'un
problème à résoudre tout en proposant une manière de liquider ce manque.
Le récit de quête se structure autour de trois axes: l'axe du désir, l'axe du pouvoir
et l'axe de l'avoir.
L'axe du désir ou axe existentiel part d'un sujet en quête d'un objet permettant de
se réaliser et/ou d'assurer le bien social. L'axe de l'avoir indique les garants de la légitimité ou de l'efficacité de l'action. TI se compose du destinateur et du destinataire. Le
destinateur est celui qui se trouve au point de départ de la quête, celui (ce) qui "envoie" le sujet en quête, le destinataire celui (ce) à qui (quoi) l'objet ou le sujet sont
destinés.
L'axe du pouvoir définit les moteurs et les freins de l'action à savoir d'une part les
actes permis et défendus, d'autre part, les moyens favorables ou les adjuvants et les
moyens défavorables ou opposants.
III. La représentation
de la pratique
L'analyse structurale, et en particulier le récit de quête, va nous permettre d'organiser les mises en scène à partir desquelles l'éducateur se représente son rôle et transfigure les situations vécues.
A. La réalisation de soi par la valorisation d'une ouverture personnalisée
Le résultat de l'analyse structurale sur l'axe existentiel nous montre que le pôle positif de l'alternative est marqué par la valorisation de l'ouverture, de l'indétermination,
de la secondarité et de l'individu. Pour bien saisir cette manière de valoriser l'image
positive de soi, nous allons reprendre l'analyse pas à pas.
L'ouverture, c'est-à-dire la rencontre et la confrontation des différences, est la condition de la confirmation de soi et de la reconnaissance de l'autre. Elle est associée à
l'incertitude relationnelle, à la mise en cause de soi. Elle apparaît donc liée au mouvement. L'éducateur valorise l'existant et se détermine dans l'indétermination.
La réalisation de soi s'appréhende aussi au travers de la secondarité, tandis que la
sécurité se trouve placée du côté de la primarité. Selon J.RemylL.Voyé (1981), la primarité correspond aux exigences de l'ordre formel tandis que la secondarité laisse
s'exprimer davantage la "fantaisie". Cette distinction n'est pas sans rejoindre la théorie
des conflits de rôle, notamment lorsqu'elle montre comment le rôle clef, c'est-à-dire
celui autour duquel se structure l'identité sociale, pourrait ne pas être celui sur lequel
repose l'investissement
affectif principal de la personne. La secondarité ne prend sens
que par rapport à la primarité, vis-à-vis de laquelle «elle est une possibilité d'écart, de
170
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
mise à distance, une possibilité de faire et d'être autre chose et de multiples choses»
(Op.cit. :71).
Il existe une vision sociale qui s'exprime selon un schéma de sommation. Celui-ci
suppose que l'individu et ses réactions soient la base de la vie sociale aussi bien dans
la famille, le groupe que dans l'institution qui sont perçus comme autant d'éléments.
Ce schéma va se compléter par un schéma d'agression selon lequel la somme des individus devient une masse qui, de façon perverse, va faire pression sur chacun. Pour
sortir de cette pression, ils cherchent un modèle "d'équilibre", à base affective autour
du communautaire. Comme le dit l'un de nos interviewés:
Dans le modèle d'ordre, les fonctions sont assignées par voie réglementaire. Les statuts sont attribués à partir de critères rationnels. Les
rôles et les fonctions sont réglés et définis une fois pour toutes et les
communications suivent une voie hiérarchique. Tout est ordonné en
fonction d'une organisation sociale qui se préoccupe d'une stratégie
fonctionnelle qui veut ignorer les conflits et la dimension affective
des échanges. Le terme même de modèle d'équilibre implique qu'il
peut exister dans le monde des déséquilibres, du désordre, des évolutions, qu'il ne s'agit pas de nier ces perturbations ni a contrario la nécessité d'instaurer un ordre, mais que la prise en considération de ces
phénomènes doit amener à rechercher activement des paliers
d'équilibre. Alors que le modèle d'ordre est (ou se veut être) un modèle pour l'éternité, le modèle d'équilibre admet l'histoire, les conflits, les débats, et mieux encore se nourrit des contradictions.Un tel
modèle, ai-je dit, admet des conflits. D'où des conséquences importantes: les rapports avec autrui ne vont pas être totalement formalisés, des communications véritables vont avoir lieu, des confrontations vont devenir impossibles.Le modèle d'ordre sera source de
problèmes d'adaptation, d'intégration sociale, sera générateur d'inadaptation, de formes de déviance, plus spécifiquement durant cette
période critique qu'est l'adolescence.
L'éducateur valorise aussi la communauté. C'est ce que Nisbet (1984 :100) précise
en ces termes: «La notion de Gesellschaft prend toute son importance typologique si
nous l'envisageons comme une forme individuelle, impersonnelle, contractuelle et qui
résulte plus de la volonté ou simplement de l'intérêt que de l'ensemble complexe d'états affectifs, d'habitudes et de traditions qu'implique la Gemeinschaft». En clair, il y
aurait des relations de type sociétal soumises à une relative impersonnalité; ce n'est
pas tant le sujet individuel qui prime que le rôle et le statut social qu'il incarne. De la
même manière, il y aurait des relations de type communautaire, telles celles qui se manifestent au niveau de la famille simple ou élargie et du voisinage par exemple, c'est-àdire des relations dans lesquelles l'affectif et le désintérêt ont droit de cité.
B. La mission de l'éducateur: un leadership personnalisé
Vu cette lecture en termes de somme d'individus, de valorisation du communautaire, l'éducateur envisage sa mission comme une communication de sens. Cette valorisation du sens se fait par opposition au technicien qui se contenterait de la transmission d'un savoir. Le personnage est magnifié car il ne peut y arriver que grâce à un
charisme fait de vocation, de sacrifice, d'exemplarité et de compréhension. Il pourrait
de la sorte contribuer à sauver les personnes placées dans les institutions, mais les effets pervers de cette société agressive contrarient l'émergence de relations d'équilibre
et de relations communautaires.
1.- M.Foucart
171
Reprenons cette présentation du rôle point par point. Weber (1970) définit ainsi le
"charisme" : «Qualité extraordinaire d'un homme soit réelle, soit supposée, soit prétendue [... ] L'autorité charismatique est une autorité sur les hommes, à laquelle les
sujets se soumettent en vertu de leur croyance en cette qualité extraordinaire de la personne considérée [... ] La légitimité du pouvoir repose sur la croyance et l'attachement
à l'égard de ce qui est extraordinaire: pouvoir magique, révélation, héroïsme».
L'éducateur est aussi cet excès, ce surplus de sens, il est le mana, il est celui qui
donne la vie. «Le mana est proprement ce qui fait la valeur des choses et des gens, valeur magique et même la valeur sociale» (Isembert, 1982 :227). Selon Hubert et Mauss
(cité par Isembert :228), «Le mana est la force par excellence, l'efficacité véritable des
choses, qui corrobore leur action mécanique sans l'annihiler. C'est lui qui fait que le
filet prend, que la maison est solide, que le canot tient bien la mer. Dans le champ, il
est la fertilité; dans les médecines, il est la vertu salutaire ou mortelle». Ainsi que le
relève l'extrait suivant, l'éducateur est la vie :
[... ] «animateur: celui qui anime, qui insuffle la vie». Son rôle implique une grande discrétion: ne jamais imposer une discipline.
Imposer, c'est pour nous manquer à son devoir. Il doit être là et ne
pas.y être. n doit être présent, être une force. Une vitalité doit émaner
de sa personne, il doit faire en sorte de communiquer sa vitalité aux
autres par son dynamisme. n doit créer la vie autour de lui et, quand
cette vie apparaît chez les autres, il doit se retirer. Quand les autres
explosent, il disparaît et reçoit, par son observation permanente, la
richesse des autres, ces autres qui étalent leur personnalité au grand
jour, au travers d'activités créées par l'animateur. Toute animation
est un accouchement: l'animateur estle gynécologue qui pratique
l'accouchement du groupe, il doit faire sortir le meilleur de chacun et
le don devient réalité. Le groupe donne alors quelque chose de neuf
et c'est toujours la joie.
On pourrait croire que ce texte ne représente que l'opinion subjective d'un individu
isolé. Il suffit pourtant de tendre attentivement l'oreille lors de colloques ou d'échanges entre travailleurs sociaux pour comprendre qu'il n'en est rien. Le besoin idéaliste
d'aider les autres et plus particulièrement les adolescents "à problème" reste la raison
essentielle du désir de devenir éducateur :
Je pense qu'il est de mon devoir de donner à ces enfants défavorisés
au départ, le moyen de réussir aussi bien que les autres dans la vie.
D'être pour eux l'intermédiaire entre eux-mêmes et ce monde des
adultes qui leur paraît si effrayant. Un intermédiaire qui les aide, les
conseille, de façon qu'à leur tour, ils puissent prendre une part active
dans le monde de demain.
Dans la perspective des éducateurs, l'idée du bénévolat est la garantie d'un don total de soi, d'une totale disponibilité: «Le véritable éducateur est celui qui ferait son
travail avec autant de cœur et de sérieux s'il n'était pas rémunéré», Etre éducateur
implique un don total de soi, une totale disponibilité: «Le permanent est celui qui est
toujours là, vigilant, qui est toujours en état de réceptivité, en état de donner». Sous la
mouvance d'une lecture de soi personnalisée, les éducateurs mettent en avant combien
ils doivent avoir un équilibre psychologique et nerveux parfaits. Celui-ci leur permet,
dans des situations inattendues et difficiles, d'allier la bonté à la patience, la vigueur à
l'enthousiasme. Ils s'attribuent donc un ensemble de qualités humaines idéalisées qui
les situent en un lieu accessible à toute interrogation du regard humain, mais inacces-
172
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
sible à une critique qui se fonderait sur cette société agressive. Par un tel discours, ils
se présentent comme les dépositaires d'une foi sacerdotale.
L'éducateur se propose comme pôle d'identification pour les usagers. La problématique du "transfert" ou de "l'accrochage
affectif' est fréquemment invoquée dans les
analyses ou réflexions sur l'action pédagogique.
L'éducateur, par la relation positive qu'il réussira à instaurer entre
son élève et lui-même permettra à cet élève de découvrir dans son
univers psychique le plus proche une figure bénéfique. Si cette figure
devient privilégiée, elle induira une nouvelle image.
n ne
peut y avoir de transfert entre l'usager et une "faible personnalité"
:
L'éducateur a encore tendance à appeler "accrochage affectif' quelque chose qui, non seulement n'a plus rien à voir avec le transfert
mais qui, phénomène regrettable, au lieu de constituer le puissant levier d'une rééducation réussie, ne représente qu'une tactique à des
fins égocentriques
fournissant à l'élève l'occasion
de pressentir
l'existence chez l'adulte d'une faiblesse exploitante.
L'éducateur privilégie la compréhension. Il se meut principalement dans les sphères
du concret, de l'analogique, de l'intuition, du subjectif ce qui permet de comprendre le
rapport qu'il entretient avec le savoir scientifique. La science est vue comme objectivante réduisant les sujets à des "éprouvettes". Sa pertinence et sa dimension objectivante sont envisagées comme plus adéquates dans le cabinet du psychologue ou du
psychiatre qui n'entretiennent
qu'une relation discontinue et relativement artificielle
avec le client. S'inscrivant dans le flux de la quotidienneté, la démarche de l'éducateur
vise la compréhension,
la saisie du sens. La compréhension s'oppose à l'explication
comme le continu au discontinu, le cadre naturel à l'artificiel, l'imprévisible au prévisible, le global au parcellaire. Considérées comme secondaires, les connaissances ne
sont néanmoins pas méprisées ; elles sont perçues comme un adjuvant pouvant aider la
pratique.
C. Les modalités de l'intervention pédagogique
Dans le prolongement de l'image de soi et de la définition de sa mission, les textes
laissent percevoir une présentation des moyens qui semblent opérants. Aussi les trois
dichotomies proximité/distance,
transparence/opacité,
analogique/digital,
vont nous
permettre d'analyser de façon systématique la relation pédagogique.
Loin de valoriser une composition entre les deux pôles, les éducateurs vont valoriser un des pôles à l'exclusion de l'autre. La proximité désigne une relation plutôt égalitaire et symétrique tandis que la distance est une relation asymétrique. L'éducateur valorise la proximité et le dialogue est une composante essentielle de celle-ci.
Q. : «Vous croyez que le dialogue est important ?»
R. :«Pour moi, il est primordial, parce que cela permet aux jeunes de
s'exprimer, même inconsciemment, ce qu'ils vivent, ce qu'ils ressentent et de le faire passer ... Tu peux me parler, je peux te parler ...
mais tu dois aussi me comprendre»
Pour que la communication personnelle puisse avoir lieu, il faut que les deux protagonistes se rencontrent en toute liberté et en tant que personnes. Lorsqu'il essaie de
s'imposer, donc d'agir en fonction de ses caractéristiques d'adulte, l'éducateur risque
de couper la communication.
J.- M.Foucart
173
Quand c'est le jeune qui le demande, l'entretien est beaucoup plus
positif, beaucoup plus enrichissant.
D'un côté, pour moi, c'est le plus important; je suis arrivé à un stade
où un jeune peut m'envoyer sur les roses et je trouve que c'est important qu'il puisse [... J et que ce ne soit pas rien-que moi qui puisse
le faire, car alors, c'est de nouveau l'adulte qui fait passer ses idées
et le jeune doit accepter ça comme un cours et tout cela.
Ce mode de stratégie s'accompagne de la non-utilisation de contraintes directes et
personnelles, et d'une remise en cause de soi dans et par la relation. Le recours aux
contraintes réglementaires pose parfois problème aux éducateurs. Quelquefois, les
éducateurs qui sont, face aux usagers, les représentants des exigences de l'institution,
se plaignent des contraintes de discipline qu'ils sont censés faire respecter mais qu'ils
jugent excessives, et dont ils pensent qu'elles sont la source du conflit que l'on éviterait avec un esprit plus ouvert. L'éducateur vit et agit au vu et au su de tout le monde.
n est vu par son groupe, vu par ses collègues, vu et noté par la direction de l'établissement. Face à ces regards, il doit être transparent
Frans Veldman parle de transparence. Je crois que l'intervenant éducateur doit posséder cette qualité essentielle dans le contact. Il ne doit
laisser subsister aucun doute, aucune interprétation à propos de ses
interventions gestuelles et verbales. Lorsqu'il dit oui, il ne dit pas
non! Combien d'éducateurs crient de plus en plus fort pour exprimer
leur volonté, leur idée, alors qu'intérieurement, ils ne sont pas "en
accord" avec ce qu'ils disent Les résultats sont désastreux, voire catastrophiques au niveau du groupe.
Le registre de l'analogique s'avère particulièrement important dans la pratique pédagogique. Globalement, précisent Watzlawick, Helmick-Beavin, Jackson (1972 :5760), on peut dire que la communication analogique recouvre l'ensemble des aspects
non verbaux de la communication, mais il faut inclure dans cette catégorie non seulement la kinésthésie mais «toute posture gestuelle, mimique, inflexion de la voix, succession, rythme et intonation des mots, et toute autre manifestation non verbale dont
est susceptible l'organisme, ainsi que les indices ayant valeur de communication qui ne
manquentjarnais dans tout contexte qui est le théâtre d'une interaction». L'analogique
s'oppose au digital, le terme "digital" se référant directement à binary digit (ou unité
d'information au sens de Shannon et Weaver), c'est-à-dire une unité d'information
mesurable et exprimable sous une forme qualifiée d'arbitraire: des mots, des chiffres,
etc. Elle est "arbitraire" parce qu'il n'y a aucun lien autre que conventionnel entre le
signifiant et le signifié, entre le mot par exemple et ce à quoi il renvoie.
La tonalité de sa voix, l'amplitude de ses mouvements, l'intensité de
sa respiration, la tension de ses muscles, ont un impact réel sur tous
les membres du groupe. [... J Dans cette situation, je suis relativement peu en contact avec le corps des jeunes, peu conscient de mes
messages non verbaux et peu à même de recevoir ceux des jeunes.
Dans d'autres circonstances, il arrive que l'éducateur soit plus proche
des jeunes, d'un jeune. Je pense notamment à des moments où
l'affection, la tendresse, la sexualité risquent de se confondre.
174
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
IV. Difficultés du poste et mode de résolution
Ayant ainsi présenté la manière dont les éducateurs parlent d'eux-mêmes et valorisent leur mission dans un contexte chargé d'ambiguïté, nous pouvons reprendre l'une
ou l'autre de leurs affirmations pour tâcher d'interpréter la manière dont leur profil se
constitue.
Les difficultés inhérentes à la position trouvent leur mode de résolution dans une
survalorisation de ce qu'Y.Barel désigne par la métaphore de l'oralité d'une part et
d'autre part par le concept d'invisibilité (1982a :201-214). Au travers de cette double
procédure, l'éducateur donne sens et transfigure ce qui fait problème.
L'invisible social est une manière de désigner le fait qu'une partie de la "réalité"
sociale se laisse mal percevoir, décrire, analyser, interpréter, alors que, par ailleurs,
s'impose l'impression qu'il est impossible de tenir cette partie pour négligeable
(Op.cit. :7).
Une différence importante entre l'oralité sociale et l'organisation "écrite" tient au
fait que cette dernière est rendue visible par l'écrit proprement dit, par des règlements,
par des monuments ou des édifices fonctionnels, par toutes sortes de dispositifs qui ont
pour charge d'incarner pour ainsi dire physiquement, la mémoire sociale et de poser
l'applicabilité générale (la vocation universalisante) de ses dispositifs (Op.cit. :202203). Au contraire, l'oralité sociale est plus ou moins invisible parce que son domaine
d'élection est souvent le micro-social, parce qu'elle n'a pas de support physique durable (ce peut être une parole, un geste, une expression faciale, un silence). Elle a une
vocation de spécificité : elle est censée être affaire de circonstances, répondre au besoin du moment, ne pas avoir de sens et de portée au-delà de ce moment. L'oralité est
étroitement liée à la distinction entre deux modes fondamentaux régissant l'action et la
pensée humaines, le savoir-faire d'une part, l'algorithme d'autre part (Op.cit. :207). Il
y a algorithme quand on peut effectuer la décomposition et l'analyse totales de tous les
gestes et de tous les actes nécessaires à l'obtention d'un résultat désiré, de telle sorte
que rien ne soit laissé au hasard ou à l'improvisation. Il y a savoir-faire, par contre,
quand l'analyse et la décomposition ne peuvent être menées jusqu'à leur terme ou pour
tous les moments de l'action, et que l'on obtient néanmoins le résultat désiré parce
qu'on sait le faire mais sans complètement savoir comment l'on fait, ni comment le
faire savoir aux autres par les procédures analytiques habituelles.
L'éducation, c'est un art, c'est un savoir-faire, c'est un ensemble de
gestes, c'est un ensemble de tours de mains, qui s'apprend plutôt à la
longue et non pas dans les livres ou dans les écoles. Il y a quelque
chose qui se transmet d'homme à homme en quelque sorte, comme
dans la relation continue, continuée entre l' artisan et son apprenti.
L'algorithme a à faire avec le digital et, par conséquent, objective facilement et sans
inconvénient. Le savoir-faire, lui, affronte l'analogique, et nous savons que l'analogique se laisse mal enfermer dans des objets visibles.
La distinction entre l'algorithme et le savoir-faire met en branle le jeu du visible et
de l'invisible. On peut dire en simplifiant que l'algorithme est plutôt de l'ordre du visible et le savoir-faire de l'ordre de l'invisible. L'algorithme a aussi la visibilité de la
prévisibilité parfaite, le savoir-faire l'invisibilité de l'imprévisibilité partielle, la ruse
de 1'invisibité et l'invisibilité de la ruse.
En valorisant l'oralité, l'éducateur se visibilise tout en s'invisibilisant. Par cette invisibilisation, il cherche à exprimer l'essence de la relation professionnelle sans devoir
la codifier, La référence à l'analogique, à l'être, au don, à la transparence, etc., expri-
J.- M. Foucart
175
me l'impossibilité
d'être enfermé par des concepts. Mettant en parallèle l'investissement du métier par les instituteurs et les éducateurs spécialisés, F. Muel-Dreyfus
(1983) souligne la manière différente dont cet acte s'opère. Dans un cas, cet acte repose sur une codification nette, précise, rigide du métier, dans l'autre, il fait place à un
flou continuel et volontairement entretenu afin de laisser libre cours à un travail de novation et d'innovation permanentes, mais aussi de ménager les marges de manœuvre et
les zones d'incertitudes les plus larges possibles. Une telle problématique révèle pour
les éducateurs spécialisés le jeu continuel qui est à l' œuvre au plan de l'identité professionnelle. Cette problématique exprime le refus d'une position précise et dénie une
inscription dans une représentation définie et définitive, fermée et enfermante du métier. La codification formelle de l'activité professionnelle renvoie en ce sens à quelque
chose de l'ordre de la perte d'autonomie, comme le montre le cas des instituteurs.
Mais l'indicible est toujours à nommer. Ce qui entraîne une imperfection constante
et un appauvrissement
de la signification, une objectivation en quelque sorte. Serge
Moscovici exprime bien cette idée quand il écrit :«Objectiver, c'est résorber un excès
de significations en les matérialisant (et prendre ainsi distance à leur égard). C'est
aussi transplanter au niveau de l'observation ce qui n'était qu'inférence ou symbole»
(l96l :108).
On se trouve devant le paradoxe de devoir dire sans enfermer. L'acte de nomination, c'est-à-dire la désignation, est un acte d'objectivation et de visibilisation des choses. On ne peut donc pas parler de l'invisible sans le nommer et le désigner, c'est-àdire sans lui dénier sa qualité d'invisibilité;
d'où il semble que la parole comporte ici
une inévitable et grave trahison de la "réalité". L'accent est donc mis sur l'inexprimable, sur ce qui ne peut se formuler. Le problème s'apparente donc à ce que nomme un
«indécidable» (1982), qui peut être caractérisé comme un phénomène social dont le
sens est défini par l'absence de sens. «Le plus important est invisible» écrit une éducatrice. N'est-ce pas valoriser l'indétermination
que de valoriser l'être pour l'être, travailler la transparence pour être? N'y a-t-il pas une prétention proprement utopique à
nier toutes les déterminations ?
Le discours de l'éducateur est un discours d'où sont bannis tous les marqueurs sociaux. «C'est un discours qui, excluant tout objet, ne peut avoir d'autre objet que le
discours lui-même: prétendre à parler en refusant de dire quelque chose, c'est se
vouer à parler pour ne rien dire, à parler pour dire rien, à parler pour parler, bref au
culte pur de la forme» (Bourdieu cité par Voisin, 1977 :288). C'est un discours socialement utopique. Louis Marin écrit avec raison: «La séparation d'avec "la société", la
constitution d'un autre monde n'est-elle pas la marque primitive de l'utopie? Entrer en
état d'indépendance par.rapport à la culture ambiante, se mettre dans une position désimpliquée des institutions et des lois existantes, circonscrire un lieu séparé bénéficiant
d'une sorte d'exterritorialité,
se déterminer par ses exigences propres dans une autonomie radicale, se reproduire soi-même dans une autosuffisance totale, autant de traits
qui conviennent à l'universalité et à l'utopie et que le terme de neutralité devrait parfaitement couvrir» (Marin, 1973 :9).
On peut reconnaître deux formes d'utopie: le rationalisme social et l'utopie poétique. Dans la première forme, «l'espérance s'investit dans un rationalisme social inspirant la conception d'une société idéale. L'égalité y est assurée à travers une programmation "institutionnelle"»
(Remy, 1987 :10-11). Pour ce faire, il s'agit de prévoir une
fois pour toutes les détails organisant la vie quotidienne en vue d'instaurer un éternel
présent. Une division rationnelle du temps et de l'espace est une des clefs de cet univers. Le discours de l'éducateur relève de ce que Jean Ladrière appelle l'utopisme poétique. Selon lui, l'utopisme poétique «veut tout, immédiatement. L'au-delà, il prétend
176
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
le faire apparaître dans l'instant, sans médiation, sans appareil, sans l'interposition de
structure, donc par la seule vertu de la parole, et c'est ce en quoi il est poétique. Seule
la parole, en effet, peut faire exister dans le présent ce qui excède tous les contenus
assignables. Car elle est la puissance évocatrice par excellence, elle conjure l'absence,
le possible et même l'impossible, elle suscite l'impensable, elle franchit les abîmes,
elle est cette fluidité absolue qui est capable de mettre en question l'ordre entier des
choses et de produire un univers transparent qui n'est plus fait de marchandises et de
produits, mais de significations pures. Ce que vise l'utopie poétique, c'est un état de
choses où la liberté pourrait d'affirmer sans restriction, où la vie sociale ne serait plus
cette immense somme de contraintes qu'elle est mais un champ de rencontres dans
lequel toute les individualités pourraient s'exposer les unes au regard des autres, s'exprimer sans réserve» (1973)
Certes, une telle société suppose un même accès, pour tous, aux biens matériels et
culturels disponibles. Mais elle ne se définit nullement par rapport aux choses, à leur
production et leur usage; elle se situe au niveau des relations interhumaines, elle se
définit comme une société pure. On ne peut toutefois comprendre pleinement cette
production utopique qu'en situant le métier d'éducateur par rapport aux autres intermédiaires tels les enseignants, les assistants sociaux et les infmniers.
v. Utopie
et position dans la nouvelle petite bourgeoisie
Les éducateurs sont ainsi le lieu d'une production utopique à caractère communautaire. C'est elle qui donne sens à leur pratique et soutient leur action.
Analysant le utopies communautaires, divers auteurs notent qu'une proportion considérable de la population pratiquant ces utopies est composée de jeunes issus des professions médico-sociales, à qui le système social prescrit un rôle de plus en plus important dans la sélection, l'orientation, le repérage ou le fichage des. déviants. Nombre
d'entre eux sont aussi de jeunes enseignants. La contradiction entre le projet personnel
(la volonté d'établir une relation d'aide, d'établir un rapport thérapeutique personnalisé, de s'impliquer dans les relations avec les élèves ... ) et les conditions de la réalisation dans l'exercice de la profession hante toutes les professions adonnées à la distribution de biens et de services symboliques (Léger, 1979). On y accède après une formation qui magnifie de façon illusoire l'initiative, la créativité, la polyvalence, la responsabilité cependant que la liberté relative d'organisation dans ce travail implique
l'imposition de l'objet de travail.
Dans la vie professionnelle, ces agents sont confrontés immédiatement non pas tant
à la logique quantitative de la productivité qu'à la loi moins brutale mais plus insidieuse de la programmation et du contrôle. La particularité de leur situation sociale et
professionnelle réside dans le fait que toute parcelle de pouvoir et d'initiative qui leur
est conférée est immédiatement reprise dans les procédures de contrôle auxquelles ils
sont, directement ou indirectement, soumis. Cette dépendance est ambiguë car elle
n'exclut pas toute fiction d'autonomie: fiction qui reste très vivace et coexiste avec
une représentation non moins aiguë des contrôles bureaucratiques limitant nécessairement toute initiative individuelle.
La déception que cette contradiction fait surgir et la révolte qu'elle engendre, sont
d'autant plus aiguës que les intéressés sont très souvent soit des individus qui compensent par une forte insistance sur la "vocation" éducative ou soignante leur perte de statut par rapport à leur milieu d'origine, soit, majoritairement, des individus en ascension
pour qui l'accès à ces professions a représenté de gros investissements scolaires et est
un élément essentiel d'autovalorisation.
1.- M.Foucart
177
Etudiant les luttes urbaines, les mouvement écologiques, les utopies communautaires, M.Voisin et R.Doutrelepont (1979) notent qu'il s'agit dans l'ensemble d'une population composée d'enseignants, de travailleurs sociaux, de paramédicaux, véhiculant
un habitus chrétien et ayant réussi en l'espace de deux générations, à quitter les classes
inférieures, les postes de petits commerçants, indépendants, ouvriers, agriculteurs,
pour trouver refuge au sein des classes moyennes, moyennant de gros investissements
scolaires et l'acquisition de diplômes. n sont accompagnés aussi, mais dans une moindre proportion, de jeunes bourgeois déclassés, empêchés par les circonstances scolaires
de réaliser leur avenir de classe.
Les conditions de la pratique professionnelle ont remis profondément en question
les représentations de soi attachées au statut économique et social attendu. Cette situation détermine une conscience possible de la logique institutionnelle dans laquelle ils
sont pris. Conscience possible qui tend à devenir de plus en plus une conscience effective, du fait de l'aggravation de cette dépendance et du renforcement de la précarité de
leur situation. Mais cette conscience demeure étroitement dépendante du vécu des intéressés et se résout fréquemment en un "mal d'être", généralisé qui s'exprime sous la
double forme d'un malaise indéfinissable à l'égard de toute forme d'engagement
social, et d'une représentation manichéenne opposant une "société globale", mauvaise,
hostile et dangereuse, à la richesse, la transparence des relations personnalisées,
à
échelle humaine. Cette oscillation entre l'impression purement subjective des "difficultés personnelles" «<Je suis mal dans ma peau») et l'évocation des rapports sociaux
en termes d'affrontement
global du bien et du mal est une des constantes du discours
que tiennent ces agents.
Ces représentations
sont l'expression transfigurée d'une expérience de structures
bureaucratisées qui n'offrent pas une figure personnalisée de "l'agression institutionnelle". Le fait qu'il n'y ait pas de "patron" localisable, pas de niveau de décision sur
lequel on puisse peser, sauf à s'en remettre à des "actions d'ensemble" décidées et
mises en œuvre par les appareils syndicaux, est un élément important dans la forme
que prend la radicalisation anti-institutionnelle
de la petite bourgeoisie nouvelle. Au
centre de la disposition utopique de cette population (au moins chez certains intellectuels salariés), il y a une invocation de la cohérence, expression renversée de la situation en porte-à-faux de intéressés. Cette capacité de totalisation et de rationalisation
idéologique des représentations de la société n'est pas sans lien avec leur formation
intellectuelle et leur position marginale à l'égard de rapports directs de production et
donc, des luttes sociales. Toutefois, au travers de son discours, l'éducateur s'oppose
aux autres fractions de la nouvelle petite bourgeoisie. Quelles que soient le difficultés
liées à leur position, ces fractions sont détentrices d'un capital culturel institutionnalisé, enrichi et complété par les exigences de la profession. Ce capital technique est au
fondement d'une légitimité rationnelle, en d'autres termes, d'un espace d'intervention
à l'intérieur duquel ces professionnels peuvent "jouer" tout en disposant d'une certaine
sécurité dans le jeu.
L'éducateur se définit à partir de qualités telles que le don, la vocation, le savoirêtre, la spontanéité ... Il se définit exclusivement à partir de propriétés qui échappent à
la légitimité culturelle en ce qu'elles ne sont pas organisées par des règles ayant prétention à être universellement reconnues et enseignées par des institutions chargées de
les inculquer méthodiquement et systématiquement comme c'est le cas de l'école dans
le domaine de la légitimité culturelle scolaire.
L'éducateur et les autres fractions de la nouvelle petite bourgeoisie apparaissent
dotés de traits structurels qui les opposent point par point et qu'ils revendiquent dans la
définition sociale qu'ils donnent d'eux-mêmes.
Ainsi, au métier d'instituteur
"sans
178
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
surprise" qui ne permet pas à l'individu de remettre en question la définition institutionnelle d'un poste "rigide", les éducateurs opposent volontiers leur "métier" riche
d'inventions permanentes et d'ouvertures. De même, au savoir "desséchant", l'éducateur oppose la richesse du "vécu", à l'explication, la compréhension ...
En bref, face à un corps de spécialistes, défini par la possession d'un capital culturel
instituionnalisé et agissant selon certaines règles légitimes, relativement précises, s'oppose une légitimité charismatique dont l'idéologie repose sur l'absence de codification,
la valorisation de l'invisible, la détermination de soi dans l'oralité.
Conclusion
Parti de l'ambiguïté et de l'incertitude de la position, nous avons dégagé comment,
à travers de multiples discours, l'éducateur constuit le sens de ses pratiques. Cette autoconstruction d'un sens suppose une valorisation de l'image de soi, d'une définition
de la mission en termes de leadership personnel et d'un ensemble de moyens pédagogiques d'intervention.
Au travers du discours sur la pratique se construit ce qu'Yves Barel (1982b :23-40)
nomme un «indécidable» qui peut être caractérisé comme un phénomène social dont le
sens est défini par l'absence de sens. Pour remédier à l'incertitude de sa position, l'éducateur va mettre en scène et exalter cet «indécidable» : il espère en obtenir sécurité,
identité, légitimité et pouvoir, aussi précaire soit-il. Une classe ou une fraction de
classe peut faire face à une position difficile d'une double manière: «soit la démoralisation qui conduit à la débandade comme sommation de fuites individuelles, soit la
mobilisation qui conduit à la recherche collective d'une solution collective de la crise»
(Bourdieu/Boltanski/Saint-Martin,
1973 :102) «Ce qui sépare la débandade de la mobilisation, c'est fondamentalement
la possession des instruments symboliques permettant au groupe de se donner la maîtrise de la crise et de s'organiser pour lui opposer
une riposte collective au lieu de fuir la dégradation réelle ou redoutée du statut social
dans le ressentiment réactionnaire et la représentation de l'histoire comme complot»
(Ibid.).
La parole des éducateurs tient à la fois de la débandade et de la mobilisation. Elle
est à la fois évasion et révolte, évasion d'une situation difficile, révolte contre un ordre
dans lequel ils occupent une position subordonnée. La lutte politique qu'ils mènent en
vue de l'obtention d'un statut professionnel constitue un exemple efficace de mobilisation. Des propositions de loi ont été élaborées et discutées au cours des quinze dernières années; ces propositions ont un commun dénominateur:
une reconnaissance du
titre et d'une formation scolaire pour obtenir ce titre.
Le cas des éducateurs éclaire largement l'analyse des réactions possibles d'une position ambiguë, dotée de faible légitimité, position où les problèmes personnels et la
signification que l'on donne à la tâche s'entremêlent de façon intime.
J.- M. Foucart
179
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Volume XXII, no 1, Mars 1991
Directeur: Gérard HERVOUET.
Directeur adjoint: Thierry HENTSCH.
xx•...•
ANNIVERSAIRE
Pierre BEAUDET
Diane ÉTHIER
Yvon GRENIER
Jorge NIOSI,
Maryse BERGERON et
Michèle SA WCHUCK
Gerald J.
SCHMITZ-LE GRAND
Secrétaire de rédaction:
Claude BASSET
D'ÉTUDES INTERNATIONALES
Le grand débat sur l'avenir économique
de l'Afrique du Sud (Note)
Les impacts de l'adhésion à la Communauté
européenne sur la balance commerciale
de l'Espagne et du Portugal
De l'inflation révolutionnaire - Guerre interne,
coup d'État et changements radicaux
en Amérique latine (Note)
Les alliances technologiques stratégiques:
de la théorie à la situation canadienne
Le destin n'est pas inéluctable: évaluation des
effets probables du libre-échange nord-américain
sur la politique étrangère du Canada
ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE:
Philippe LE PRESTRE
Facteurs de progrès en coopération internationale
pour l'environnement: essai en marge d'études
récentes
CHRONIQUE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DU CANADA ET DU QUÉBEC
DIRECTION
ET RÉDACTION:
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sciences sociales, Université Laval, Québec, Qué., Canada GIK 7P4, tél: (418)
656-2462, télécopieur: (418)656-3634.
_ SERVICEDESABONNEMENTS:
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internationales, Faculté des sciences sociales, Université Laval, Québec, Qué.,
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Régulier :$40.00 (Can.)
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le numéro: $16.00 (Can.)
P.- N.Denieuil : 181-193
Organisation du travail et rapports sociaux
dans une PME
Le chercheur et son terrain: histoire d'une enquête
par Pierre-Noël Denieuil *
Nous évoquerons ici une recherche menée dans une entreprise de prestation de service en archivage située en région parisienne. Il s'agissait d'y analyser les formes
d'organisation du travail et la dynamique des rapports sociaux. Cette PME emploie plus
de cent personnes réparties sur quatre entrepôts dispersés géographiquement sur la
banlieue Est. Les enquêtes furent conduites sur la base de soixante entretiens non directifs auprès de soixante personnes durant quatre mois, à raison de trente minutes à
deux heures par individu. La thématique du questionnement portait sur l'organisation
d'une journée de travail, les représentations et les motivations au travail, l'insertion
dans les équipes et les attitudes hiérarchiques, les relations entre le personnel et l'origine présupposée des éventuels conflits, ainsi que sur les diverses expressions de l'appartenance à l'entreprise.
Ayant eu accès à l'entreprise par relations auprès de l'équipe de direction, nous devions justifier au personnel notre présence non interventionniste et non commanditée,
ainsi que la légitimité de notre recherche. Cette mise au point, effectuée par la distribution d'une lettre ouverte, nous paraissait d'autant plus nécessaire qu'un psychologue
venait de séjourner deux ans dans l'entreprise et était accusé par beaucoup d'avoir
rendu compte à la direction de ses entretiens individuels menés avec les employés. La
méfiance à notre égard se trouvait renforcée par le fait que nous n'avions pas d'implication participante et que notre enquête s'effectuait uniquement par interviews.
Toutes ces raisons, ainsi que le souci de compléter nos informations que notre méthode d'approche rendait difficiles à collecter et pas toujours fiables, nous ont conduit à
effectuer, en cours de travail, un "retour" aux interviewés. Nous avons alors décidé de
restituer à chacun le texte de son entretien confidentiel, ainsi qu'une première synthèse
sur l'ensemble des enquêtes. Là se situe le point focal, le pivot autour duquel nous
avons articulé notre rapport final. Face à la richesse des réactions et à la nouveauté des
informations glanées en réponse à notre première synthèse, nous avions compris que
notre intervention nous permettrait d'en savoir "plus", voire de mettre à jour des blo-
* Laboratoire
de sociologie du changement
IRESCO-C.N.R.S.
institutionnel,
équipe "socio-anthropologie
du travail",
182
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
cages ou des contradictions dans les réponses de nos interlocuteurs avant et après le
"retour".
Les seconds entretiens s'édifièrent sur le fond des représentations de l'enquête que
notre interlocuteur s'était lui-même forgées. Nous avons donc choisi d'intégrer dans
notre monographie de l'entreprise l'histoire même de notre tentative pour recueillir
notre information tout en nous focalisant sur la distance et sur la situation d'interaction
produite par notre démarche. Notre objet devenait ainsi tout autant l'analyse des mécanismes de la connaissance sur l'entreprise que celle de la restitution même de cette
connaissance. En effet, le fait d'avoir opéré un "retour" nous permettait de prendre notre recherche comme objet, de comparer les évolutions ou les suppositions entre le premier et le deuxième questionnement, de mettre à jour les enjeux institutionnels constitués autour de notre présence, ainsi que les représentations et les attentes que suscitait
notre étude. Un tel travail nous renseignait alors tout à la fois sur l'aspect relatif et
ponctuel d'une recherche, puis sur les fonctions interprétatives et perturbatrices de sa
construction.
I. Portrait d'une P.M.E. La culture d'entreprise et la "figure" du
patron
Deux entrepôts, localement proches, regroupent plus de la moitié du personnel et
sont spécialisés en commercialisation
et gestion de données d'archives disposées en
rayonnages ou dans des cartons répertoriés. Le travail quotidien y est consacré aux
rentrées et aux sorties de ces données. La manutention y est donc importante et s'y
ajoute à un travail d'entretien des chemises et "hamacs", puis à une activité de classement et de "réintégration" dans le dossier principal, des feuilles ou des sous-dossiers
manipulés par le client.
Si dans le deuxième entrepôt les tâches toument autour du responsable de l'entrepôt
(avec à ses côtés une administrative, un manutentionnaire et un chauffeur), les activités
sont plus organisées dans le premier qui constitue le siège. La partie direction et administration se situe au deuxième étage de cet entrepôt. Le premier étage et le sous-sol,
plus le fond du deuxième étage sont les lieux d'archivage. Le travail est réparti en
équipes (sous-sol, premier étage, deuxième étage) et plusieurs vérificatrices s'occupent
à surveiller que les réintégrations soient correctement faites.
Le troisième entrepôt comprend trois services dont les responsables
sont autonomes, puis un étage administratif. Il est consacré à l'archivage de revues, matériel cinématographiqueet
conserves. Le quatrième entrepôt stocke et dispatche du matériel
de fourniture automobile. Quatre agents de maîtrise y ont le statut de cadre.
A. Typologie des appartenances
Nous sommes parti de l'hypothèse que la culture produite ou reproduite dans une
communauté s'élabore à partir du degré d'enracinement de chacun de ses membres et
de son sentiment d'appartenance
à la collectivité. Nous avons donc analysé dans un
premier temps les motivations du personnel et ses modes d'adhésion à la vie et à l'esprit de l'entreprise. Cette grille de lecture s'est avérée dans notre cas d'autant plus pertinente que les différenciations professionnelles et hiérarchiques ne sont pas affirmées
(dominante du personnel manutentionnaire
avec peu de cadres) et ne peuvent donner
lieu à une typologie des motivations par catégorie d'activité. De multiples formes
d'appartenances ont émergé lors de cette analyse:
- Les "impliqués" sont le plus souvent des cadres ou des employés qui ont une responsabilité hiérarchique et se présentent comme les courroies de transmission de la di-
P.- N. Denieuil
183
rection. Il peut s'agir aussi des délégués du personnel ou du Comité d'entreprise (C.E.)
qui voudraient faire "bouger" les choses et se constituent en "médiateurs" entre les
employés et le patron.
- Les "indépendants"
préfèrent travailler seuls et n'aiment pas recevoir de ordres.
Certains y sont prédisposés par leur fonction: les chauffeurs-livreurs,
les standardistes,
les secrétaires. Ce personnel recueille les confidences des uns et des autres et a un regard souvent distancié sur la vie de l'entreprise.
- Les "en retrait" soulignent l'inintérêt de leur travail ou tout au plus son intérêt relatif (<<moins dur que le travail en usine») et l'absence de communication avec les collègues. Des femmes surtout déplorent une ambiance agressive et peu stimulante.
- Les personnes "de passage" sont parfois en instance de départ et considèrent leur
emploi à X comme un appoint. Ces individus sont souvent à mi-temps et ont une autre
activité (danseur, musicien, étudiant, chauffeur ... ). Ils s'estiment moins impliqués
dans la vie sociale et les conflits que les autres, ils voient "de haut" l'ambiance et lajugent mauvaise.
- Les "étrangers" paraissent favorables à la direction qui affirme une sympathie
"culturelle" à leur égard. Certains, notamment les exilés ou ceux qui ont un passé politique, voient leur vie actuelle comme un tremplin pour autre chose et se tiennent à l'écart des conflits relationnels quotidiens. Les Antillais toutefois ne se revendiquent pas
tous comme étrangers, mais des conflits se créent entre eux et des Français qui leur reprochent parfois des complaisances de la part du supérieur hiérarchique. Ils sont souvent constitués en boucs émissaires du racisme, ce qui a pour fonction cathartique
d'écarter les autres "étrangers" de cette xénophobie.
D'une manière générale, la plupart des témoignages du personnel manutentionnaire
s'accordent sur le fait qu'il n'y a pas de sentiment de groupe et d'esprit "maison". Une
culture du "retrait" basée sur une non-implication et sur un désengagement semble se
développer dans le groupe ouvrier. Elle se concrétise par un grand nombre d'attitudes
souvent non participatives, face au C.E. Pour beaucoup, celui-ci n'apparaît que comme
"œuvre sociale" plutôt pour l'employeur que pour les employés. La direction a été favorable à sa constitution car elle y voyait un trait d'union possible entre les lieux dispersés et les spécificités des quatre entrepôts. Mis à part ses membres et quelques
sympathisants, la majorité des employés semble ignorer ou tout au moins contester son
action. Son refus nous paraît moins lié à ses activités qu'à l'expression des individualismes qui n'arrivent pas à se constituer en identité collective.
Enfin, cette absence d'unité qui modélise l'appartenance à l'entreprise se manifeste
dans un jeu d'oppositions et d'exclusions entre groupes internes: tensions hommes!
femmes, clivages et absence de communication entre l'étage "ouvrier" et l'étage "cadres-direction", rivalités "interentrepôts".
B. La ''figure»''du patron et sa gestion des rôles
Si la culture d'entreprise que nous recherchions apparaît difficile à cerner, les entretiens nous révélèrent toutefois un positionnement constant face à la "figure" du patron. L'identification
à la "boîte", au groupe de production ou à la catégorie professionnelle, caractéristique de la grande entreprise, se trouve dans le cadre de la PME focalisée sur l'image du patron. Beaucoup évoquent alors les contacts directs avec celuici. Les uns louent son accessibilité et sa disponibilité et d'autres s'affirment réticents à
l'égard de sa parole, remettant en question les fluctuations de son humeur et les effets
«démagogiques» de l'esprit d'ouverture affiché par la direction.
Nous ne statuerons pas ici sur le bien-fondé de l'un ou l'autre de ces points de vue
et admettrons plutôt leur coexistence nécessaire. Qu'elles vantent «sa finesse psycho-
184
Recherches Sociologiques, 1991/l-2
logique» ou qu'elles constatent «qu'il ne tient pas compte des gens», ces représentations ont pour fonction de constituer le patron en bouc émissaire et figure explicative.
Qu'il apprécie ou déteste ses interventions, le personnel évoque constamment le patron
comme faisant intervenir sa subjectivité et jouant entre le pouvoir et la relation, c'està-dire conune «séduisant» (<<lIne vise pas tellement l'argent, mais le pouvoir de relation, de gestion des individus»).
Lors de notre entretien avec lui, le patron d'X évoque un souci de liberté entre les
gens dans le travail, d'ouverture culturelle, de compréhension psychologique et sociale
des problèmes de chacun. Il pose la nécessité pour ses cadres d'une attention et d'une
«écoute sociale» portée aux problèmes des employés. Il affirme toutefois vouloir conserver son «image de patron». Cette nécessité de se préserver un domaine «privé» qui
puisse échapper aux conséquences contradictoires du libéralisme et de «l'ouverture»
sociale, débouche pour lui sur l'évocation d'une «norme», sorte de frontière relationnelle qu'il ne serait pas souhaitable de dépasser.
Il nous a semblé d'autre part que ce conflit entre la gestion humaine et les représentations du pouvoir était à l'origine d'une double ambiguïté constitutive de la culture du
travail àX.
a) En matière de mobilité interne:
De nombreux employés se plaignent de fortes rivalités et de «petites souverainetés»
entre vérificateurs (ou vérificatrices).
Leur querelle est l'occasion d'une remise en
question de la politique de promotion. Pour beaucoup, elle baigne dans le flou et l'incertitude, une formation «sauvage» pouvant entraîner une «déqualification» tout aussi
sauvage d'où une dé motivation de certains qui pensent que «tout ça n'en vaut pas la
peine» et que les nominations sont surtout données pour «faire plaisir» ou encourager.
D'autres estiment toutefois être face à une nécessité de structure qui condamne la promotion dans une PME de services à n'être «que le remplacement
d'un gars par un
autre».
b) En matière de distribution hiérarchique :
Beaucoup évoquèrent une hiérarchie un peu factice et diluée. Ils discernent les
cadres de la direction des cadres qualifiés de «temporaires» relevant beaucoup plus de
la catégorie des agents de maîtrise dont la dénomination de «cadre» est plutôt honorifique et prête aux confusions et ambiguïtés évoquées précédenunent. La fonction cadre
"hors direction" est représentée d'autant plus négativement que la direction elle-même
valorise le contact direct et le court-circuitage hiérarchique. Il semblerait donc que la
hiérarchie soit extrêmement limitée, ce qui favoriserait la constitution de petites cellules contrôlées par des "cadres" au pouvoir fragile se sentant mal soutenus par la direction et pris en tampon entre deux forces.
Ces fluidités hiérarchiques débouchent sur une perception "éclatée" de la maison X
et suscitent des demandes régulières d'explication 1.
On comprendra dès lors qu'un tel flou de perception des réalités entre personnel et
direction puisse être à l'origine d'une demande «d'éclaircissements»
dont nous avons
été, parfois malgré nous, le porte-parole.
1 «Ce qui est embêtant ici c'est que c'est un ttavail dans le flou, on sait pas tellement au point où l'entreprise est».
P.- N. Denieuil
185
II. L'entreprise interpellée - questionnements et dialogues
A. Les attitudes face au chercheur. La peur de dire
Dès le début de notre recherche était posée l'hypothèse que notre seule présence
dans l'entreprise constituait d'ores et déjà une «intervention» et que les représentations
de l'enquête devaient s'appréhender elles-mêmes comme l'un des fragments de son
contenu.
Les premiers enregistrements eurent lieu dans un bureau du premier étage dont nous
réclamions à chaque fois la clef au chef de service. Ce dernier prit souvent l'initiative,
que dans les premiers temps nous n'osions décliner, d'appeler les gens et de les convier à venir «nous parler». En effet, les nécessités horaires de bon fonctionnement du
service justifiaient selon la direction une telle intervention. Une des conditions de l'accord à notre enquête était que notre présence ne perturbe pas le travail et la planification quotidienne. Le chef de service et la direction n'acceptèrent l'entretien qu'après
s'être expliqués avec nous. Le choix du bureau dérouta certains 2. Il en rassura d'autres
car, situé à l'étage "archivage" du service des ouvriers, quelques employés virent avec
satisfaction que tout le monde «était à la même enseigne» puisque plusieurs personnes
de l'étage administration-direction
descendaient ainsi sur le «territoire» pour s'entretenir avec nous.
Notre présence dans l'entreprise revêtait un sens qui nous échappa lors des prises de
contacts préliminaires
aux enquêtes, et qui référait à l'histoire
de l'entreprise.
L'attitude la plus fréquente à notre égard fut en effet l'assimilation du sociologue ou
de l'ethnologue (on nous appelait «le géologue») au psychologue qui avait travaillé à
X avant nos enquêtes et ne bénéficiait pas d'un grand crédit auprès du personnel. Nous
étions ainsi pris dans un réseau de réticences et de confiance selon la personnalité ou la
position hiérarchique de nos interlocuteurs. Cet accord ou cette crainte investis sur
notre parole amorcèrent chez certains une réflexion sur le «dire» et sur les conséquences d'une parole trop exposée 3. D'autres n'avaient pas une parfaite maîtrise de ce "dire" et s'inquiétaient parfois des paroles lâchées et impossibles à reprendre 4. Beaucoup
de personnes furent en ce sens (sur)prises par le discours et le flux langagier et doutaient parfois de la confiance qu'elles faisaient aux mots s. Elles s'affirmaient à cet
égard sceptiques sur la portée de cette recherche où nous avions plus à gagner qu'elles
«<ça vous rapportera à vous mais à nous rien»). Certains enfin, ont retenu de ces enquêtes la libération d'une parole qui s'était peu exprimée jusqu'à présent: «Les gens
ont eu l'occasion de parler à quelqu'un, ça leur a fait du bien mais dans six mois ils y
penseront plus; tout le monde a un peu vidé son sac mais ça va pas changer grandchose». L'enquête aurait à cet égard aidé à dire ce qui ne ressortait pas des réunions et
ce qui n'était jamais abordé en public.
L'intérêt de notre rapport résidait alors dans sa restitution d'une parole mal entendue sur le lieu de travail. Une petite majorité des interviewés le saisissait comme
l'opportunité de pouvoir signifier à la direction ce qu'on n'avait jamais osé exprimer.
2 «ÛIl n'est pas au confessionnal
ici».
3 «Sur la question de l'encadrement
et de la direction, je préfère me réserver parce qu'on voit tout ça, on
sait bien en tirer des petites conclusions mais je ne veux pas le dire».
4 "y a des passages confidentiels. J'ai osé parler, j'ai osé le dire ; après on regrette mais c'est dit, c'est
dit, quand on fait quelque chose on ne se rend pas compte la première fois du faux pas, c' est après qu'on
s'en rend compte».
S «On peut parfois le doigt sur des choses qu'on ne veut pas laisser dire».
186
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
n donnait
l'occasion de "faire passer" et de faire aboutir une parole. Plusieurs personnes violemment opposées à l'enquête lors de notre premier passage, se sont à cet égard
décidées à nous rencontrer par la suite lorsqu'elles eurent pris connaissance de notre
compte rendu. Un tel renversement de situation donne ici à réfléchir sur le rôle du
chercheur et l'utilisation de son action par la population enquêtée. Refusée, poliment
tolérée ou plébiscitée, sa présence n'est jamais neutre. Elle peut à tous moments être
utilisée et finalisée sur des objectifs qui très souvent lui échappent 6. Les enquêtes apparaissaient ici comme une structure de communication possible, où les choses pouvaient être dites sans qu'il en coûte, sans que le sujet soit directement atteint lorsqu'il
s'exprime. Le chercheur y jouait le rôle d'un intermédiaire, d'un médiateur par qui la
parole s'exprimerait en toute impunité et hors de toute crainte, une possibilité de dire
dans une structure où d'ordinaire on ne doit pas dire 7.
Pour quelque-uns encore notre recherche fut considérée comme une sommation par
laquelle on «attend» le patron pour lui demander des comptes lorsque le moment sera
venu, en espérant «qu'il ne fermera pas les yeux». Enfin, pour le patron lui-même ce
rapport tint lieu de sonnette d'alarme, une sorte de balise survenant sur son parcours de
chef d'entreprise (<<Lesclignotants qui se sont allumés, des informations qui sont arrivées à mes oreilles»).
B. Justifications et réactions internes. La chasse aux citations.
Une majorité des seconds entretiens, après restitution d'un premier compte rendu,
fut marquée par un questionnement sur «qui a bien pu dire cela». Une personne nous a
d'ailleurs confié: «Ils l'ont épluché comme des commères, votre rapport». Certains
ont insisté sur l'anonymat indispensable et la nécessité que les gens ne soient pas directement impliqués, c'est-à-dire soumis aux critiques et à la réprobation de leurs collègues. D'autres au contraire se sont fait un point d'honneur à identifier d'où provenaient certaines assertions.
Les réactions à notre rapport reflétaient ainsi des tensions internes à l'entreprise.
Dans les prises de position de quelques-uns sur l'ensemble de notre compte rendu, se
profilaient de nombreuses mise à l'écart. Il s'agissait d'attitudes fréquentes par lesquelles on précise que l'on ne pense pas la même chose que l'ensemble des individus
interrogés. C'était ici l'occasion de se situer face à ses collègues. Tel employé s'étonna
par exemple que le compte rendu insiste beaucoup sur les relations des gens avec leurs
chefs, accusant ses collègues de s'être dérobés individuellement en reportant les conflits sur la hiérarchie. Bien au contraire, selon lui, l'éventuelle «mauvaise ambiance»
évoquée à X provenait des individus eux-mêmes et de leur refus de communiquer entre
eux.
Les réactions au compte rendu ont d'autre part mis à jour des tensions mal soupçonnées à l'intérieur du groupe des cadres. Certain cadre de la direction, par exemple,
nous expliqua que la responsabilité du malaise des agents de maîtrise pourrait tenir à la
personnalité de ceux qui les commandent. Plusieurs cadres ont d'ailleurs estimé que le
6 «Au début j'avais
pas envie de vous parler, ça me disait rien, mais j'ai su que le patron lisait après le
compte rendu et c'est ce qui m'a incité à venir. J'ai vu ce que les autres ont dit et comme j'étais d'accord avec eux je vais dire le même truc pour qu'il y ait le même avis".
7 «Il faut déballer son sac si on veut que ça serve à quelque chose parce que si M.Y nous prend indi-
viduellement. vous savez ce que ça peut donner, alors là il Y a une échappatoire pour dire ce qu'on a sur
le cœur, qu'Hie dise, qu'il en profite, il verra bien, c'est anonyme! S'il peut pas le dire seul, en groupe,
là qu'il en profite, c'est anonyme. Celui qui peut pas s'exprimer avec les formes que j'ai indiquées ça
peut servir à ça votre rapport».
P.- N. Denieuil
187
rapport était très dur pour l'entreprise et que ceux panni eux qui avaient tenu des propos hostiles à l'entreprise n'avaient plus leur place dans l'établissement. Toutefois une
autre manière de réagir à notre rapport se manifesta par des attitudes de solidarité du
personnel se reconnaissant dans ce qui est écrit et l'identifiant comme sa propre parole.
Plusieurs s'estimaient ainsi en harmonie avec notre texte et le considéraient comme un
stimulant de leur action ou de leur réflexion, une caution à leur pensée et un encouragement à émettre leur opinion. Le patron d'X nous expliqua pour sa part que la lecture
de notre texte avait suscité chez lui une colère moins dirigée contre nous que contre
l'entreprise. Il nous précisa ensuite que nous pouvions rapporter en son nom aux employés sa réaction et sa volonté de dialogue individuel face à la «souffrance« et à la
«douleur» qu'il avait pu cerner entre les lignes des témoignages.
Dans tous les cas énoncés ici, le chercheur se trouvait mis en situation, acteur au
cœur d'un dialogue patron/employés.
ill. La recherche comme construction
La constitution et la diffusion d'un rapport intermédiaire nous a permis d'obtenir
des compléments d'information sur nos premières enquêtes. Elle a de plus favorisé
l'élaboration d'une image de marque positive à notre égard. Ainsi après cette première
restitution de notre travail, les témoignages se sont progressivement transformés, ont
évolué, se sont nuancés voire contredits parfois. Il nous a donc fallu reconstruire l'information recueillie. La réalité transcrite rendue publique n'est jamais strictement conforme à la réalité donnée à voir par les acteurs ni même à la réalité perçue par l' enquêteur lors de son séjour sur le terrain. Il existe donc une autre intervention du chercheur, par delà l'écoute et la disponibilité à la parole de l'autre, un travail de connaissance approfondie et de reconstitution progressive de la réalité questionnée, que nous
décrirons ici.
A. La situation de recherche. L'effort de proximité
Toute recherche peut être présentée comme la tentative d'établir une transparence
minimum, de réduire l'insaisissable écart entre observateur et observé 8. Dans cette
perspective, nous avons tenté de pratiquer, au cours de nos enquêtes, cette politique de
dévoilement du chercheur basée sur le «contrat de confiance» (Ferrarotti, 1983) entre
enquêteur et enquêté. Ce contrat fut centré sur l'observation de quelques points : rassurer tout d'abord chacun de nos interlocuteurs et lui donner la garantie de l'anonymat,
lui certifier qu'il ne serait pas trahi ou récupéré, que ce qu'il disait ne se retournerait
pas contre lui 9. Insister d'autre part sur le fait que cela servirait, que la participation
qui était demandée aux acteurs aurait urie utilité qu'ils percevraient. Enfin, justifier de
notre position dans l'entreprise, ce que nous y faisions, notre intérêt pour cette recherche et la finalité que nous lui assignions. Nous nous étions expliqué en partie sur
ce point dans le papier préliminaire distribué et affiché. Nous avons dû au début de
chaque entretien repréciser que la direction ne nous avait pas commandité cette recherche pour laquelle nous ne recevions pas d'argent. Nous attachions une grande importance à l'image que nous donnions de notre indépendance, de notre différence visà-vis des enquêtés, de notre travail de chercheur expérimentant une méthode pour
aborder la vie sociale et les formes d'organisation de l'entreprise.
8 Sur l'implication
de l'observateur dans le champ de l'observé, voir Devereux, 1980.
9 Beaucoup, comme nous l'avons montré, nous ideruifiaient au psychologue
une parole».
qui avait selon eux «trahi
188
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Dans cette perspective, les restitutions du compte rendu intermédiaire de synthèse et
du compte rendu individuel confidentiel ont favorisé cette reconnaissance
implicite
que nous cherchions à établir à la faveur d'une durée. Seule cette durée en effet a pu
produire une familiarisation minimum avec le lieu et les personnes. Elle a de plus favorisé la confrontation et la comparaison des données toujours inscrites dans l'espacetemps de l'enquête.
B. L'enquête de longue durée. L'information à l'épreuve du temps
Nous insisterons tout d'abord sur l'influence qu'a eue le temps de l'enquête sur les
attitudes à notre égard. Tout d'abord l'étalement de l'enquête sur dix mois nous a permis de saisir l'évolution des situations 10. Nous voyons ici combien le temps, voire le
moment de l'enquête, peut en déterminer le contenu. Ainsi la présence sur un temps
long et le "retour" de l'enquête en cours de recherche renforce la possibilité d'une
connaissance plus approfondie de son objet. On pourra en ce sens mettre à jour des
évolutions ou d'éventuelles réticences, voire des contradictions, dans l'information recueillie. Donnons ici un exemple. Telle personne nous a parlé lors du premier entretien
de ses difficultés relationnelles avec ses collègues. Elle nous a fait état d'une mauvaise
entente, de la difficulté de se faire accepter, des attitudes de racisme à son égard et de
l'intolérance de son entourage, puis de ses difficultés personnelles et de l'impossibilité
de les communiquer à ses collègues de travail. Cette thématique fut beaucoup plus discrète lors du deuxième entretien au cours duquel elle évoqua surtout son rapport avec
la direction, le manque de confiance que lui témoignaient ses supérieurs hiérarchiques,
le fait que d'autres avaient été nommés à un poste qu'elle aurait voulu avoir,les ennuis
rencontrés lorsqu'elle
sollicitait des arrangements autour de l'organisation
de son
temps de travail. Elle nous apporta ainsi des informations sur les rapports des employés et de la hiérarchie puis sur la politique de promotion à X. Les raisons pour lesquelles nous n'avions pas eu ces informations lors de notre premier passage sont nombreuses: des absences d'une vérificatrice, un remaniement hiérarchique, la mise en
place du C.E. qui avait décidé de soutenir cette personne, des renversements qui nous
échappaient dans les rapports de force entre celle-ci et d'autres employés. D'autre part,
cette personne se serait probablement sentie trop exposée si elle avait évoqué ses conflits avec la direction dès notre première entrevue.
Nous avons pu constater de multiples contradictions
au cours des dix mois
d'enquêtes. Ainsi tel employé qui nous avait confié qu'il ne se présenterait pas au C.E.
en faisait partie dans un rôle clef lorsque nous l'avons revu quelques mois plus tard.
De même plusieurs individus qui nous avaient parlé d'un départ imminent étaient encore là. D'autres au contraire que nous estimions plus enracinés dans l'entreprise
étaient partis. Une autre personne s'est totalement rétractée lors du second entretien et
s'est attachée à démonter les propos de ceux avec lesquels elle s'était montrée solidaire
au cours de notre première rencontre. D'autre part un employé qui nous avait avoué
lors d'un premier contact ne rien savoir sur «l'état d'esprit» de l'entreprise, en arguant
d'une absence de plusieurs mois, nous rapporta par la suite après lecture de notre rapport que «Tout le monde se tire dans les pattes. Ce que vous dites est vrai. Ça n'a pas
changé depuis que je suis parti et ça restera toujours comme ça». D'autres encore ont
10 «Maintenant ça va mieux mais vous seriez venu il y a deux semaines c'était catastrophique. C'est difficile de parler d'X. C'est une situation qui évolue ou pas. Ça dépend des moments, vous seriez venu à
ce moment vous auriez eu de la nouveauté parce qu'on était tous remontés, on ne vous aurait pas dit les
mêmes choses, à un moment déterminé, Ici, c'est important, on vit dans le moment présent et l'émotion».
P.- N. Denieuil
189
évolué et, ayant changé de service, déclarent désormais «s'entendre très bien avec les
gens» ou au contraire «Depuis quelques mois ça se dégrade, ce que vous dites dans
votre rapport se confmne pour moi».
Ainsi la présence de longue durée nous permit, sans toujours pouvoir les déjouer ou
les expliciter, de pointer des évolutions ou des contradictions, voire des différences
dans les formulations et le dire des personnes interrogées. De tels décalages montrent
suffisamment la précarité de la confiance que l'on peut placer dans des résultats d'enquête, la nécessité de ne pas toujours prendre les individus au mot et les paroles à la
lettre 11.
C. Entre représentations
et réalités. Traduire et interpréter.
Le chercheur comme
décodeur
L'enquête de long terme nous a montré qu'on ne pouvait bâtir une connaissance sur
la simple analyse du propos des interviewés sans le passer au crible du doute et de la
contradiction. Nous poserons ici une question méthodologique. Nous dirons qu'utiliser
ou prendre pour "argent comptant" toute information émanant de l'enquête consiste à
prendre à la lettre ce qui n'est au départ qu'une "représentation".
Chaque individu est
en ce sens sociologue de sa propre réalité et détient des éléments de description et
d'interprétation de l'ensemble qui constituent son propre point de vue, son angle de vision de la réalité dans laquelle il évolue. Nous émettons ici l'hypothèse que cette expérience personnelle est pour lui une réalité, sa réalité. Nous dirons alors que cette
réalité se transforme en réalité représentée dès lors qu'elle est formulée et traduite à un
tiers pour lequel elle est alors représentation.
Au cours des interviews nous fûmes parfois confronté à des témoignages que nous
considérions comme des analyses à part entière. Alors que la plupart des personnes interrogées abordaient par exemple les réalités ponctuelles de tel service ou de tel entrePÔt, certains nous renvoyaient une vision globale de l'entreprise et du fonctionnement
des quatre entrepôts. Leur prise de distance face à ce qu'ils mentionnaient rapprochait
leurs propos du contenu de notre compte rendu. Quelques personnes nous livrèrent en
ce sens des analyses qui venaient alimenter et stimuler notre propre réflexion (parmi
d'autres sur la fragilité de la fonction cadre face à la direction ou sur l'utilisation ambiguë de l'idée de promotion dans les PME). Nous avions donc affaire dans ces cas, plus
qu'à des informations, à des analyses, à une conceptualisation de la réalité immédiate.
D'autre part certains personnages nous apparaissaient comme des informateurs clefs
dont les interventions faisaient considérablement avancer notre enquête. Des secrétaires, cadres "stratégiques" ou chauffeurs, nous apportaient des renseignements
sur ce
qu'ils pouvaient voir ou entendre dans les entrepôts. Ainsi des individus occupant dans
l'entreprise une position centrale ou stratégique ou ayant une réflexion personnelle sur
leur entourage, livrent au chercheur une information précieuse qui lui permettra de se
guider dans un labyrinthe de pensées et de comportements et de reconstituer ainsi progressivement une trame sur son lieu d'enquête.
Le recours à de telles informations traduit précisément le glissement d'une réalité à
une représentation. La question est de savoir comment une réalité énoncée par d'autres
sera traduite et interprétée par le chercheur en tant que reconstruction de la réalité. Il
existe à cet égard un inévitable décalage entre ce qu'on lui dit et ce qu'il en rapporte
11 Les réflexions développées ici et dans la partie suivante doivent beaucoup à des discussions que nous
avons eues, à l'époque des enquêtes, avec G.Althabe sur la problématique de la construction et de la
"vérité" de l'enquête entre représentations et réalités. Nous l'en remercions.
190
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
dans une compte rendu de recherche 12. Transcrire aboutit souvent à déformer. Le témoignage de l'informateur
consiste à cet égard en ce que les ethnométhodologues
(CEMS, 1985 :25) nomment une «expression réelle». Ils définissent en effet l'expression réelle comme la description que l'individu acteur peut donner d'une activité ordinaire dans laquelle il est engagé et telle qu'il la perçoit lorsqu'il se trouve confronté à
elle. Ils nomment «expression idéale» la description suscitée par l'enquêteur de cette
activité ordinaire et obtenue en sa présence. Or si l'on admet que les mots sont des "index" qui n'ont de sens que dans la situation où ils sont prononcés, situation définie par
un contexte d'interaction enquêteur/enquêté,
nous dirons que ces expressions idéales
sont indexicalisées (Ibid.) et qu'elles n'ont elles-mêmes de sens que dans leur contexte
d'énonciation (on ne dira pas la même chose à telle ou telle personne). Ainsi ces expressions idéales seront directement liées au contexte pragmatique de l'interaction
avec le chercheur (espace, temps, sujets présents, objets présents, enjeux supposés de
l'autre par les partenaires en présence, etc.).
Il semble alors que le chercheur opère trop souvent un glissement méthodologique
qui consiste à dégager des thèmes dans les expressions idéales dont les résultats sont
assignés avec une valeur de vérité comme les propriétés des expressions réelles. Ainsi
le chercheur en sciences humaines a le plus souvent tendance à présenter les représentations, les analyses ou jugements que l'enquêté effectue en sa présence comme des
réalités, en donnant à croire que ce qu'il écrit reflète ce qui se passe réellement et apporte une quelconque connaissance de contenu sur le lieu de travail. Les informations
recueillies dans le cadre et dans les circonstances d'une interaction avec l'enquêteur ne
peuvent en aucun cas être considérées comme existant objectivement en tant que propriétés inhérentes à l'objet étudié. Nous dirons que tout ce que nous pourrions énoncer
sur la réalité quotidienne d'X ne pourra être lu et entendu que par référence au contexte dans lequel nous avons produit cet énoncé. En ce sens, nous aurions énoncé de
tout autres réalités si nous avions procédé par observation participante avec immersion
sur le terrain ou encore si nous avions effectué des enquêtes courtes, d'un mois par
exemple, et directives. Nous n'aurions alors pu saisir certains retournements de situation par rapport au C.E., certaines attitudes de méfiance. Disons toutefois que nous
avons provoqué dans certains cas une information qui ne nous serait pas parvenue la
seconde fois si nous n'avions pas élaboré dans un premier temps un compte rendu critique sur l'entreprise.
D. De l'écrit à l'oral. Le chercheur comme transformateur
Nous sommes ici au cœur d'une question méthodologique:
l'interprétation
en
sciences humaines. Nous reprendrons les thèses de l'ethnométhodologie
en disant que
le passage de l'entretien à son compte rendu est toujours problématique. En effet, on
ne peut jamais précisément décrire ce qui vient d'être dit par son interlocuteur car l'on
enrichit à chaque fois les paroles que l'on rapporte par une reformulation, un commentaire implicite accompagnant la description des propos 13. Dans un tel contexte la tâche
12 Cf. à ce propos les intéressantes analyses de Paul Rabinov sur la relation de l'ethnologue à ses informateurs et la médiatisation de l'information: «L'anthropologie est une science de l'intégration. L'ethnologue et ses informateurs vivent tous deux dans un univers culturellement médiatisé, pris tous deux dans
des "réseaux de signification" qu'ils ont eux-mêmes tissés ... Il s'ensuit que les matériaux que nous recueillons sont doublement médiatisés: d'abord par notre propre présence, puis par le travail de constitution d'une image de soi que nous exigeons de nos informateurs» (1988).
13 «Chaque fois que l'on cherche un contenu qui accompagnerait la manière dont on parle, on ajoute une
nouvelle façon de parler à la première car ce dont on parle n'est pas séparable de la façon dont on en
P.- N. Denieuil
191
du chercheur est de ne pas dissocier ce dont parient les interlocuteurs de la manière
dont ils en parlent, de situer les finalités de leurs propos avec leurs méthodes d'énonciation. Il se trouve alors engagé dans un processus de compréhension interprétative et
de clarification du discours de la personne interrogée. Dans cette perspective, nous
nous sommes attaché à globaliser et à expliciter le plus possible par les logiques internes les éléments des discours de chaque sujet, en tentant d'éclaircir certaines de
leurs réflexions par le sens global de leur témoignage, l'état d'esprit dans lequel ils
avaient abordé l'entretien. Nous avons, pour cette raison même, tenu à restituer à chaque personne le texte de son entretien. Notre intention était ainsi de montrer que Ies citations composant notre rapport de synthèse n'étaient pas déracinées et s'inscrivaient
bien dans une logique explicative de ces citations, une rationalité qui les enveloppait.
La pratique de citer fonctionne bien souvent comme une légitimation du propre discours de celui qui parle. Par ce biais il fait silence sur lui-même et exorcise son absence par l'impact du témoignage citation qui s'impose avec l'alibi de la précision, de
l'évidence, de la vérité. La pratique de la citation déracinée apparaît ici comme une
transmutation de l'observateur dans sa capacité de compréhension globale et démultipliée de l'expérience de l'autre. Elle traduit d'autre part une utilisation parfois abusive
du discours de l'autre qui bien souvent n'a pas voulu «dire ça». Elle recontextualise
souvent arbitrairement
et avec une finalité dont l'émetteur originaire n'est plus le
maître les fragments d'un discours ainsi lui-même dépouillé de ses référents sémantiques. Ce point méthodologique pose la question fondamentale en sciences humaines
du passage de l'information à la connaissance, de l'oralité véhiculée par les informateurs à l'écriture objectivante pratiquée par le chercheur pour communiquer et faire
connaître. Cette dernière concrétise alors l'opération de synthèse où l'expérience évoquée par l'enquêté va devenir une réalité objective traduite en discours. Cette alchimie
des sciences humaines est en général gommée par le chercheur qui, par transformation
et tel un magicien, produit sa connaissance et s'efface sans dire "comment il a fait".
Ainsi le passage de l'oral à l'écrit s'effectue le plus souvent dans le trouble et l'inexactitude pour la personne interrogée. En ce sens, les travailleurs d'X ne s'y sont pas
trompés dans leur étonnement de lire leur compte rendu individuel, leur crainte de se
relire et de voir leur parole ainsi figée, dactylographiée et de ce fait accessible à une
multiplicité de lecteurs potentiels. L'écrit apparaît en effet comme fait pour durer alors
que la parole est vécue comme contingente et éphémère. La parole perd de son innocence et se charge de dangerosité lorsqu'elle est transcrite. On comprend ici que la parole "orale" a une destination directe, elle est pour quelqu'un, alors que la parole écrite
s'adresse à tout le monde et que son destinataire est inconnu et potentiel, livré au hasard et à l'éventuel !". Alors transcrite par le chercheur, la paroIe change de destinataire, et même de propriétaire, celui qui l'a recueillie s'en désolidarise ou au contraire
se la ré approprie pour la reproduire où bon lui semble.
*
* *
parle [... ) La conversation à décrire étant déjà un langage, un commentaire sur une conversation substitue une notation symbolique à une autre» (CEMS, 1985).
14 Cf. sur ces questions les analyses de R.Barthes (1981).
192
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Nous conclurons sur le type de connaissance apportée par de telles enquêtes. Tout
en permettant de dresser le portrait type d'une "culture" de PME, centrée sur la figure
du patron comme pôle de références positives et négatives, elles nous renseignent sur
les logiques de l'intervention et de la construction d'une recherche sociologique. De
fait les données sur les formes d'organisation du travail et de la vie sociale se superposent à celles relatives à l'image produite par le chercheur, les attentes face à lui, les
modes de constitution de son information.
Nous nous sommes toutefois uniquement intéressé à la parole, à la formulation par
le langage des expériences des personnes interrogées. Nous avons progressivement bâti une image de l'entreprise à partir de ce que nous en dirent ses acteurs. Nous n'avons
pas observé et décrit des faits et des comportements,
mais des mots et des formulations. Notre recherche ne fut pas en effet une observation participante mais plutôt une
"écoute comme participation" (Ferrarotti, 1983). C'est donc à partir de réprésentations,
d'interprétations de la réalité que nous avons construit notre connaissance sur X.
Nous demeurons ici conscient que les propos recueillis font écran à des attitudes,
des comportements,
des réappropriations
quotidiennes et des stratégies du faire que
nous n'avons pu atteindre que dans la stricte mesure où nos interlocuteurs ont bien
voulu les formuler, dans les limites de ce qu'ils ont consenti à nous accorder. Nous
avons tout au moins voulu poser ici la question d'une sociologie de la relation
d'enquête, du dire et de l'atteignable dans un contexte où l'enquêteur, délibérément inséré sur le lieu d'enquête se présente à ses interlocuteurs en tentant d'imposer son altérité et son identité de chercheur.
P.- N. Denieuil
193
RÉFÉRENCES BmLIOGRAPHIQUES
ALTHABEG.,
1990 "l'ethnologue et sa discipline", L' homme et la société (Paris, L'Harmattan),
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XXX,
1985
Décrire: un impératif. Description, explication, interprétation en sciences
sociales, T.I., Paris, Ed. de l'E.H.E.S.S.
reflets
perspGé:tives
de la vie êconomique
Tome XXIX
Nov. 1990
SOMMAIRE
ENVIRONNEMENT,
ÉCOLOGIE
ET ÉCONOMIE
PH. DE FEYT
M.GERMAIN
Introduction
PNB et comptes nationaux - Limites et tentatives
d'élargissement, en particulier à l'environnement
L.LEBRUN
Un bilan comptable du transport routier
J.J.GOUGUET
L'analyse économique et la gestion de la ressource en
eau
PH. DEFEYT ET N.GOUZEE
La fiscalité indirecte au service d'un développement
économique soutenable
PH. DEFEYT ET P.LANNOYE
Au cœur de la relation environnement-économie:
une
énergie à bon marché
M.CAPRON
Le S.P.D. et le "renouveau écologique" de la société
industrielle
TH.G.VERHELST
Quel "développement" pour les années 90 ? Réflexions
sur la nature culturelle du développement
Recherche et diffusion économique
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B 1970 Wezembeek
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diffusion économiques.
Dossier publications
A Propos de livres: 197-223
A propos de livres
BAUMANZ.,
Thinking Sociologically,
Oxford, Basil Blackwell, 1990,241 p.
Avec quelques lignes maladroites un enfant dessinera naïvement un oiseau rudimentaire. Le même enfant, novice à l'académie des beaux arts, apprendra à rendre
aussi "réellement" que possible les becs, les griffes, les plumes de toutes sortes d'oiseaux. Artiste consommé, il campera en quelques traits magistraux, à la Picasso, la
quintessence d'une colombe. Le sociologue ne suit-il pas une évolution similaire?
Etudiant, ses premiers essais seront d'une candeur extrême; devenu expert, il aura
l'art non seulement de rendre des choses simples excessivement compliquées, mais de
ne plus voir la forêt à cause des arbres; émérite, enfin, tout redeviendra limpide et
quelques mots lui suffiront désormais pour évoquer à la fois l'ensemble et l'essentiel
de son savoir sociologique. Le sociologue vieillissant comprendra que le mystique
puisse avoir l'impression d'avoir tout dit en affirmant que "Tout est Amour" et sympathisera avec le poète qui conclut que The rest et même the Best is Silence.
Ce modèle à trois étapes successives pose tout le problème de la communication
pédagogique dans sa complexité dia- et synchronique. L'enfant pourrait être tenté de
croire qu'il dessine déjà aussi bien que Picasso et celui-ci risque de voir sa simplicité
prise pour du simplisme par les spécialistes. J'ai encore parfois l'impression que les
évidences qui ont fini par éclore dans mon esprit après des années de terrain et de travail théorique font figure de lieux communs aux oreilles des sociologues en herbe.
Pour entrer dans le Royaume, disait le Prophète, il faut revenir à son enfance ... mais,
pour reprendre un autre de ses dits, le sociologue avancé éprouve plus de mal à reculer
à son point de départ qu'un chameau de passer à travers le chas d'une aiguille. J'ai
beau pratiquer l'anamnèse, je ne me rappelle plus très bien ce que j'ignorais au début
de ma carrière d'anthropologue et ce n'est pas ce que mes étudiants me demandent qui
m'aide vraiment à savoir ce qu'ils savent déjà.
Ceci dit pour souligner que chercher à expliquer l'abc de la démarche sociologique
comme a voulu le faire, après tant d'autres, Zygmunt Bauman, relève du véritable défi.
Vulgariser est une chose, rejoindre le vulgus plebs là où il se trouve n'en est même pas
une autre, puisque tout simplement impossible ... du point de vue de la sociologie même! Celui qui a quitté un lieu ne peut jamais y revenir comme s'il n'en était jamais
parti. C'est dire aussi donc notre admiration pour les collègues qui s'efforcent néanmoins de se mettre à la place de ceux qui ignorent tout ou à peu près de la discipline
afin d'imaginer comment ils penseraient à leur place.
Le conditionnement est un travail de longue haleine, ce n'est pas au premier son de
la cloche que les chiens de Pavlov ont commencé à saliver. Il faut néanmoins commencer quelque part avec quelque chose. Que celui qui n'a jamais tenté d'expliquer
198
Recherches sociologiques, 1991/1-2
son choix d'une carrière sociologique jette la première pierre. C'est pourquoi les tentatives de l'auteur de préprogrammer ceux qui sont tentés par la sociologie ou de renforcer les penchants de ceux qui sympathisent du dehors avec le projet sociologique
sont convaincantes.
Bien qu'il réussisse à glisser quelques barbarismes gargarisants du genre destructive Gemeinschaft ou schismogenesis dans son ouvrage, les mots clés choisis par l'auteur pour caractériser l'intentionalité de la sociologie ne paraîtront pas trop idiosyncrasiques à la plupart de ses pairs. Ses chapitres sont organisés autour des contrastes entre
l'autonomie et la dépendance, entre Nous et Eux, entre le pouvoir et le choix, entre
Nature et Culture, Ordre et Chaos, signes des temps révolus - il n'est plus beaucoup
question de structures et de fonctions, mais plutôt d'une sociologie de la connaissance
et des rôles. Ouvrage engageant et même engagé, ses origines anglo-saxonnes l' empêchent de verser dans le structuralisme et/ou le marxisme caractéristique d'une certaine
sociologie "continentale".
Bauman n'a pas voulu écrire une introduction académique à la sociologie et encore
moins rédiger un manuel en bonne et due forme. Si on lit son livre comme un plaidoyer pour la pensée sociologique, comme un manifeste pour la sociologie comme
projet social, même le professionnel y trouverait de quoi nourrir ses utopies pour un
avenir positivement pluriel.
Dans le genre, il y a mieux, mais il y a pire. Personnellement je m'y serais pris tout
autrement en partant des études de cas - dont il est fait très peu de cas ici - pour ancrer les grilles théoriques de la sociologie dans le vécu et la pratique des lecteurs potentiels. J'aurais annexé plus d'indications bibliographiques et surtout je les aurais faites moins sommairement que l'auteur a jugé utile de le faire - ni lieu ni date d'édition - pour qu'aspirant ou apprenti sociologue puisse se retrouver. C'est peut-être
justement à un sociologue en herbe plutôt qu'à un sociologue qui monte en graine
qu'on aurait dû confier le compte rendu de ce livre pour mettre ses intentions séminales à l'épreuve d'un terrain plus fertile!
Michael Singleton
BOLLE DE BAL Marcel, Préf.R. Sainsaulieu,
Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture,
Maestricht/Bruxelles,
1990, XXI+ 328 p.
Pr. Univers. Européennes,
Coll."Travail
et société", nOlO,
Ce livre se présente comme la synthèse de nombreux travaux réalisés par l'auteur
depuis la fm des années cinquante, pour l'Office Belge d'Accroissement
de la Productivité, au départ, pour des institutions internationales par la suite. Il a donc une portée
géographique internationale, englobant aussi bien les économies de marché que les
économies planifiées, proposant une réflexion sur les tendances en matière de rémunération dans ces différentes sphères. La choix du titre se justifie, selon l'auteur, par le
lien très ancien existant entre les deux termes: «La liaison de la rémunération aux
résultats du travail pour stimuler l'activité économique» des citoyens (p.5).
Le développement se fait en trois parties: la première situant le contexte est intitulée "les enjeux de la participation" ; l'auteur y propose, d'une part, sept points de vue à
partir desquels peuvent être envisagés les problèmes de la rémunération, points de vue
correspondant
à sept disciplines,
dont six relèvent des sciences humaines, une
septième étant le point de vue technique; d'autre part, six enjeux liés à la mise en
A propos de livres
199
œuvre de formules de rémunération aux résultats (l'équité, la productivité, la
flexibilité, la solidarité, la liberté, la société) et, enfin six doubles jeux, tels équité égalité, quantité - qualité ... révélant la nature souvent ambivalente des systèmes de
participation dans leurs objectifs.
La seconde partie s'attache aux différentes modalités de la participation. Elle propose un premier chapitre théorique consacré à l'examen des structures et des fonctions
des différents systèmes de rémunération, un deuxième chapitre consacré à la mise en
œuvre de la partie théorique, un troisième chapitre soulignant une complexité très accentuée (diversité des motivations, des fonctions et des dysfonctions du salaire) et,
d'autre part, les enjeux pratiques de la négociation elle-même. Le deuxième chapitre
de cette partie nous semble particulièrement intéressant: constatant certaines évolutions dans les modes de rémunération (aplatissement des courbes de primes, allongement des délais de paiement traduisant une tendance à passer de la rémunération à la
quantité vers la rémunération au mérite, évaluation des fonctions comme critère de
calcul, apparition desfringe benefit), l'auteur décèle une évolution allant de la stimulation, au départ quantitative, du travailleur, vers l'intéressement aux résultats globaux
de l'entreprise. Cette évolution est constatée par l'auteur dans les différents systèmes
économiques (de marché ou planifié) ; elle montrerait donc une certaine neutralité des
modes de rémunération par rapport au contexte économique global.
Si cette évolution est constatée dans les faits, nous partagerons avec l'auteur (Ch.I
et annexe) la constatation selon laquelle la connaissance factuelle des salaires et principalement de ses modalités et de sa structure, est connue de manière très insatisfaisante (enquête partielle et relativement ancienne, aucune régularité dans la collecte des
données nationales ou internationales). En économie de marché, tout au moins, l'hypothèse de transparence devrait donner la possibilité aux acteurs - entreprises et travailleurs - de faire les choix optimaux permettant la meilleure régulation du système.
Cette remarque est reprise par l'auteur dans sa troisième partie en tant qu'une des sept
ambivalences d'ordre sociologique "idéologies et réalités": les modes de rémunération semblent évoluer parallèlement mais «le type de relation micro-macro
existant dans chacun d'eux, entre les unités décentralisées de production et les institutions centrales ... constitue un des critères principaux de divergence entre les systèmes» (p.239).
Cette troisième partie est consacrée au "théâtre" de la participation proposant d'une
part une sociologie de la participation - sept points de vue sociologiques - et d'autre
part les stratégies de la participation (trois). On soulignera, dans cette troisième partie,
une autre ambivalence de la participation "déterminants et indéterminants" (section 7)
où l'auteur remarque que, si le déterminisme technologique n'était pas négligeable
comme critère de calcul de la rémunération dans les années '50, «les nouvelles technologies n'exercent [plus récemment] aucune influence déterminante sur le système de
rémunération» (p.245). La pensée économique semble, quant à elle, toujours marquée
par le fait que le salaire serait la conséquence de la productivité économique (individuelle).
L'intérêt de cet ouvrage réside dans son caractère de type encyclopédique: somme
des éléments factuels soulignant aussi les carences de la statistique dans le domaine,
somme des points de vue d'analyse, champ d'investigation couvrant les différents systèmes d'organisation économique. Une dimension ambivalente de la rémunération
doit, nous semble-t-il être souligné: en économie de marché, elle répond à la fois à la
logique économique de l'entreprise par rapport à ses concurrents et vis-à-vis de l'offre
de travail (équité externe) et à une logique sociale induite par la hiérarchie des salaires
aussi bien à l'intérieur de l'entreprise qu'à l'extérieur de celle-ci (entre secteurs). Le
200
Recherches sociologiques, 1991/l-2
défi consiste à garder un équilibre satisfaisant entre ces deux dimensions mais il montre aussi les limites de déterminismes qui interviennent dans la formation de la rémunération.
Jean Verly
BOUSTANI Rafic, FARGUES Philippe,
Atlas du Monde Arabe,
Paris, Bordas, 1990, 144 p., ill.
Le monde arabe - fondé sur un territoire, une histoire, une langue, une religion, un
inconscient commun, tous éléments auxquels il n'est pas entièrement réductible - a
toujours fasciné l'Occident. En même temps, les réactions de rejet à son égard s'y manifestent régulièrement. L'intérêt de sa position stratégique et les liens tissés par l'histoire contribuent à en expliquer l'attrait. Les différends, les incompréhensions mutuelles, engendrés par le hasard des circonstances, ont provoqué maints signes de répulsion.
Divers facteurs interviennent dans la formation de la politique étrangère : la puissance, la diplomatie, les individus ... L'image que l'on se fait de l'autre, l'étranger,
l'ennemi ou l'ami, y occupe une place importante. Si elle constitue l'élément principal
du prisme à travers lequel la perception s'opère, elle ne peut toutefois pas prétendre, à
elle seule, figer une fois pour toutes la vision qui alimente l'attitude adoptée. Fréquemment fondée sur des éléments irrationnels, elle peut conduire à des positions rigides,
peu propices à la négociation, ou au contraire souples et changeantes en fonction de
l'air du temps, laissant le partenaire dans l'incertitude. L'attitude occidentale vis-à-vis
du monde arabe relève trop souvent de ce type de comportement.
Il est vrai que le monde arabe n'est pas facile à appréhender. Trop d'images déformées, trop de rancœurs et de passions, trop de de clichés nous en fournissent encore
une vision tronquée. Les Etats arabes eux-mêmes, divisés ou engagés dans des pratiques et des comportements
peu conformes aux exigences de la démocratie ou des
droits de l'homme, ne contribuent pas à rétablir l'équilibre de cette perception. Omniprésent dans l'actualité politique, économique, sociale ou culturelle, le monde arabe
demeure largement inconnu ou mal connu. La première démarche qui s'impose, si l'on
veut sortir de l'erreur, emprunte le chemin de la connaissance, de l'examen, de l'écoute. L'ouvrage de R.Boustani et Ph.Fargues contribue largement à l'éclaircissement
nécessaire en fournissant les bases solides et sûres pour une approche globale de ce monde arabe.
C'est d'une large introduction qu'il s'agit. Cartes et statistiques, encadrées par un
texte sobre mais dense, dressent un vaste tableau de cet ensemble arabe. Elles le saisissent dans son identité et son unité potentielle mais aussi dans sa diversité. Héritiers de
l'histoire, les Etats arabes sont le produit du XXe siècle, à tout le moins quant à leurs
limites. Jointe à la richesse pétrolière, dont tous les Etats arabes profitent directement
ou indirectement, la valeur géostratégique du Maghreb, du Croissant fertile ou de la
Péninsule n'a jamais échappé à l'attention des puissances. Laissant faire ou y encourageant la création d'Etats forts, peu soucieux des libertés fondamentales, mais appuyés
sur un surarmement dont ils ont su se servir dans les conflits auxquels ils ont tous eu à
faire face.
La prise en compte d'une série d'autres données complète utilement l'aperçu politique. La géopolitique du nombre fait l'objet de diverses approches: répartition, com-
A propos de livres
201
position, avenir de la population arabe; à côté de celle-ci, les minorités religieuses
(musulmanes, chrétiennes, juives) et ethniques (Berbères, Kurdes ... ) alimentent une
série de tensions dont la majorité arabe sunnite doit tenir compte. Les principaux aspects de la vie sociale et culturelle retiennent également l'attention: la situation réservée à la femme, les problèmes de l'éducation, le phénomène urbain, le développement
des médias. Avec les grandes orientations économiques, l'importance du facteur pétrolier, le développement
industriel, les difficultés des politiques agraires, apparaissent
ainsi la plupart des traits et des couleurs du tableau général.
Reste au monde arabe à construire l'avenir. Sans renoncer à son identité mais en
sachant réaliser l'intégration, à partir de bases régionales comme au Maghreb, en vue
de participer davantage à la vie internationale.
Les récents événements qui ont affecté le Moyen-Orient soulignent, si besoin en
était, l'intérêt de la publication. On en appréciera l'importance et la diversité des informations, la richesse de la cartographie et l'étendue du domaine couvert. A côté de ces
qualités, l'absence d'index et le manque de cartes consacrées aux aspects physiques du
territoire sont des lacunes auxquelles une édition ultérieure apportera aisément une
réponse adéquate.
Claude Roosens
Connexions,
"Malaise dans l'identification",
n055,
Toulouse, Ed.Erès, 1990/1, 189 p.
Comme nous pourrions le faire dire à Baudrillard, le monde répond de plus en plus
à une logique du simulacre. Ce numéro de Connexions voudrait mettre l'homme au
centre de ce monde inconsistant, articuler l'individu et le groupe dans cet univers.
La société perdrait les prises qu'elle offrait habituellement à l'individu; la famille,
le travail, les organisations et les institutions ne fourniraient plus les repères culturels
nécessaires. Devant cette faillite des mécanismes traditionnels, il est nécessaire de développer de nouveaux ancrages, de réenchanter le monde. Pour analyser cette situation, la psychanalyse, le psychosocial, l'analyse socio-économique et l'analyse culturelle sont concomitamment invoqués dans cet ouvrage pour présenter une recherche du
sens. Certains auteurs (comme Castoriadis ou Palmade, nous y reviendrons) vont chercher des facteurs de désidentification, d'autres (tels que André Nicolai's, qui y voit une
possibilité d'innovations
sociales, ou que François Plassard, qui modélise la dynamique économique pour permettre l'émergence d'un nouveau projet de société) chercheront des issues à cette crise, qu'elles soient originales ou le fruit de l'observation.
Toutefois, l'ensemble reste relativement peu descriptif, relevant plus de l'analyse théorique que de l'observation empirique.
Nouvel avatar traitant de la postmodernité, ce numéro de Connexions est le résultat
d'un colloque tenu en novembre 1989 à l'université Dauphine par l'Association pour
la Recherche et l'Intervention Psychosociologique
(A.R.I.P.) à l'occasion de son trentième anniversaire. Il avait comme projet l'étude de la désidentification constatée dans
nos sociétés. Quoiqu'étant une suite de contributions principalement organisées par le
thème général, la revue nous permet de nous faire une idée de la dynamique que chaque intervention a pu faire naître en nous donnant à chaque fois une ébauche de discussion critique et une réponse de l'auteur à ce premier dialogue. Toutefois, malgré les
mérites de cette publication, il nous faut constater qu'elle est avant tout psychanaly-
202
Recherches sociologiques, 1991/1-2
tique, et que parfois ces analyses manquent de la profondeur sociologique que le sujet
permettait d'attendre.
Telle que définie dans l'introduction, l'identification estun processus intrapsychique, invariant et central. Les identités, qui sont sujettes à variations et modifications
autant individuelles que culturelles, sont sa résultante psychosociale.
Les sources
d'identification comme les 'images identificatoires dont l'affaiblissement
ou les carences peuvent perturber la construction des identités seraient à la source du malaise que
nos sociétés vivraient. Et il y a malaise. D'une part, les repères sont en transformation
et ces transformations ont des effets sur tous les secteurs sociaux et individuels (personnes, groupes, institutions, sociétés). D'autre part, il y a dans notre monde contemporain un bouleversement des certitudes. Ainsi; s'il existe un affaiblissement de l'institution, il faut s'interroger sur les nouvelles valeurs instituantes. Il nous semble cependant qu'il y a à la base un vice de forme dans la façon dont la question est posée. Une
situation problématique mais normale est présentée comme quelque chose d'exceptionnel. Cette situation est problématique car il s'agit d'un enjeu social, mais elle est
normale car toute société doit peu ou prou répondre à cet enjeu. TI n 'y a pas dans notre
monde "postmoderne" une acuité plus particulière à ce problème. Conserver l'institué
et les repères malgré les changements du contexte et les changements d'interprétation
est toujours un problème pour toute société. La seule différence est que la nôtre ressent
peut-être plus de changements de contextes, de confrontations avec d'autres contextes,
et de transformations de nos propres lectures des situations. La réponse fournie ne fait
problème, n'occasionne une "crise" que si l'on tente de la lire dans les termes anciens.
Mais revenons à l'ouvrage proprement dit.
Le lecteur l'aura compris, la postmodernité est centrale dans cette problématique.
L'éclatement de notre société doit se retrouver dans ce terme dont la philosophie contemporaine et les médias ont fait une mode. La contribution de Jacqueline Palmade,
après avoir défini la postmodernité comme un temps de crise, mais un temps pleinement humain, montre qu'en son sein il y a surtout un effacement du symbolique et
donc des repères d'identification.
La postmodernité, étant à la fois une perte générale
de sens (des fondements et de la transcendance) et un affaiblissement tant du lien social que des bases identitaires, ne permet plus "l'étayage"
qui est cet essentiel
transfert de sens que nécessite l'identification.
Il ne le permet plus puisque le sens
s'est délité. Cette impossibilité de toute socialisation, on la retrouvera dans d'autres
textes, sous d'autres formes, entre autres chez Rouchy lorsqu'il nous parlera du groupe
comme centre d'un rapport d'ajustement
individuel/collectif.
Pour Jean-Claude
Rouchy, le groupe serait le chaînon manquant permettant de faire le lien entre le
singulier et le collectif. Toute identification doit passer par le groupe d'appartenance.
L'homme qui vit toujours en groupe développe son identité au sein de celui-ci et donc
doit continuer à pouvoir s'inscrire dans des groupes qui structurent son quotidien et
son identité.
L'article faisant de facto le meilleur résumé de la question est celui que Cornelius
Castoriadis consacre à la crise du processus identificatoire. Cette intéressante contribution se présente d'abord sous la forme d'un constat. La crise de la société contemporaine produit mais aussi, dans une rétroaction positive et complexe, est reproduite et
aggravée par la crise des processus identificatoires. Pour Castoriadis, la crise est globale, profonde et bien réelle, puisqu'elle atteint l'élément central de la société qu'est
l'hominisation
sociale. Cette crise est, le terme a beau être galvaudé il n'en reste pas
moins vrai, une crise de valeur, ou, plus précisément selon Castoriadis, une «crise des
significations imaginaires sociales». Ces significations donnent cohésion à la société
par leur intervention dans trois dimensions qu'elles structurent ou organisent: les re-
A propos de livres
203
presentations du monde, les finalités des actions et enfin les affects paniculiers à une
société qu'elles induisent. Ce délitement des significations imaginaires entraîne une
inversion des logiques et un émiettement de l'identité qui ne peut plus être qu'un collage conformiste.
Mais il est encore d'autres inversions. Un très bel exemple empirique nous est donné par le texte de Pierre Jarniou et Félix Torres sur la culture d'entreprise, concept lui
aussi à la mode. Ils montrent avec brio qu'il est l'essence d'une totale absence d'identité et aussi la concrétisation d'une nouvelle inversion, inversion où l'identification est
devenue un préalable à l'intégration et, de facto, s'est ainsi vidée de toute substance.
Jean Maisonneuve, quant à lui, nous montre que le rituel qui est un nœud symbolique
et une présence visible dans le quotidien du procès d'identification serait en perte de
vitesse et de prégnance. Cette crise de valeurs, sans que celles-ci soient précisées,
réduit les références collectives, les ancrages possibles. Elle offre ainsi un facteur
supplémentaire au solipsisme, à un éclatement toujours plus grand des identités.
Maisonneuve montre alors la vitalité qui renaît dans certaines parties de la société et
propose comme enjeu pour l'avenir cette reappropriation des rituels.
Ont encore participé à ce numéro de Connexions, Alain Aymard, Jean-Léon
Beauvois, Engène Enriquez, Véronique Guienne, André Lévy, Franca Manoukian,
Jean-François Revah, Guy Roustang, Bernard Sigg, André Sirota, Victor Smirnoff,
Monique Soula-Desroche.
Frédéric Moens
Contradictions,
"Logiques marchandes et action publique", n064,
Bruxelles, Contradictions, Paris, L'Harmattan, 1991, 176 p.
Ce numéro de la Revue Contradictions' présente le resultat d'une année de réflexion et de discussion sur le thème de "l'extension de la sphère marchande". Cette recherche a été organisée par la FOPES , sous la forme d'un séminaire mensuel, d'octobre 1989 à juin 1990.
Au départ de cette réflexion collective, une intuition partagée par les auteurs de
vivre, intellectuellement et politiquement, un moment de transformation de la société
puissamment marqué par l'emprise des logiques marchandes.
A la faveur de la crise profonde des années septante et quatre-vingts, la pensée néolibérale a acquis une position hégémonique: elle imprègne profondément les analyses
sociales et les représentations culturelles. Au-delà, elle pèse d'un poids déterminant sur
les discours politiques et sur les pratiques sociales et économiques. Face à cette emprise, l'impuissance des acteurs, et en particulier des Etats, revêt des formes diverses.
On assiste soit à une attitude d'alignement résultant de la naturalisation des postulats
libéraux, soit à l'émiettement des resistances, soit encore à l'incapacité d'articuler une
pensée sociale renouvelée avec une pratique opératoire.
Les douze contributions réunies dans ce numéro de Contradictions s'attachent à
donner corps à cette intuition d'une «extension de la sphère marchande», à étayer et à
vérifier l'une ou l'autre hypothèse sur sa genèse et ses conséquences, à comprendre un
peu mieux les leviers, facteurs et acteurs du changement, à repérer des points de résis• Avenue des Grenadiers 2/1,1050 Bruxelles. Ce numéro est aussi en vente à la FOPES, 32 rue de la
Lanterne Magique, 1348 Louvain-La-Neuve au prix de 350 F.B.
204
Recherches sociologiques, J 991/1-2
tance et d'éventuelles perspectives d'inflexion ou de transformation des processus en
cours.
Dans le chef des auteurs, l'effort d'analyse pour saisir la logique de cette décomposition-restructuration
est en effet clairement motivé par la volonté de contribuer à
structurer de nouvelles régulations et de nouvelles articulations positives entre l' économique, le social, le culturel, le politique.
Qu'elles consistent en l'analyse de secteurs paniculiers ou qu'elles soient plus
"transversales", les différentes contributions peuvent être resituées par rapport à quatre
questions fondamentales:
1. Les changements que connaissent actuellement nos sociétés sont-ils précisément et complètement définis par les concepts de "l'extension de la
sphère marchande" ? Est-ce bien de cela, et seulement de cela qu'il s'agit? Que recouvrent au juste ces mots qui prétendent désigner la mutation en cours? 2. Peut-on
affirmer que, dans les divers secteurs de la politique économique et sociale analysés,
un phénomène d'extension de la sphère marchande est effectivement
observé? 3. Si
oui, dans quelles conditions et par quels processus ce fait s'est-il produit, autrement
dit, quelles en sont les causes? Si non, comment peut-on qualifier et expliquer les
changements qui se sont passés dans ce secteur? 4. Si oui, quels en sont les effets, et,
dans la mesure où ceux-ci sont indésirables, quelles sont les solutions envisageables?
Chacun des auteurs s'est efforcé d'apporter, sur des terrains toujours techniquement
très complexes, des réponses nuancées à l'une ou l'autre de (ou à toutes) ces questions.
Ils tentent d'y répondre pour des secteurs importants de la politique économique et sociale : pour l'enseignement et la formation (Luc Canon), pour la recherche et la technologie (Ricardo Petrella), pour les soins de santé (Pierre Reman), pour les industries
culturelles (Jacques Delcourt), pour l'aménagement
du territoire et la politique foncière (Paul Venneylen), et pour les transports (Vincent Canon).
Sur la base de ces apports concrets, d'autres ont essayé de formuler quelques hypothèses plus générales, procédant à une analyse dite "transversale",
dont le but est de
faire apparaître des régularités et de dégager des processus généralisables. A cette entreprise risquée, et d'ailleurs inachevée, contribuent les textes de Robert Leroy, d'Eugène Mommen, d'Abraham Franssen, de Georges Liénard et de Guy Bajoit.
A l'arrivée, plutôt que de parler de manière univoque du «Marché» ou de «la sphère
marchande», les différentes textes mettent en évidence une pluralité de logiques marchandes, qui sont autant de «fils rouges» qui constituent la trame de la mutation en
cours. (Logique marchande comme privatisation, logiques marchandes comme rationalité limitée, de type instrumental et économiciste, logiques marchandes comme mise
en cause des procédures et cultures démocratiques ... ).
Surtout, l'hypothèse
forte qui se dégage de l'ensemble du numéro et que Luc
Canon formule en conclusion a trait à l'imbrication massive de l'économie et de la
culture, du mode de production et des représentations culturelles. Il y a là une piste de
recherche qui se profile, associant l'évolution des modèles culturels des acteurs et
l'extension des logiques marchandes.
Procédant d'une démarche de réflexion collective, d'un travail interdisciplinaire
et
intersectoriel, l'intérêt de ce numéro de Contradictions est d'ouvrir les interrogations
plutôt que de renforcer les certitudes, d'aiguiser les appétits plutôt que d'apaiser l'esprit. A suivre donc ...
Abraham Franssen
A propos de livres
205
DE BlE Pierre,
Naissance et premiers développements de la sociologie en Belgique,
Bruxelles, Ciaco, 1988, 138 p.
Développant et faisant la synthèse d'études antérieures, l'auteur décrit l'apparition
de la sociologie en Belgique.
L'apport le plus important de l'ouvrage est la mise en relief d'initiatives, peu connues, lancées en Belgique à la fin du XIXe siècle et au début du nôtre. En effet, l'analyse privilégie plus l'étude des groupes d'intellectuels, des centres de recherches et de
documentation et des centres d'enseignement
que la contribution de quelques figures
de proue de l 'histoire intellectuelle de la période.
Mais son intérêt ne s'arrête pas à une documentation solide et rigoureuse des projets et des activités de toutes ces sociétés, mais provient surtout de la référence que
l'auteur opère - en filigrane et sobrement - au contexte social et intellectuel.
En Belgique aussi la naissance de la sociologie est intimement liée à l'acuité de
problèmes sociaux dérivant de la révolution industrielle, aux querelles idéologiques et
aux débats scientifiques: l'éphémère et le durable sont deux facettes de la même réalité.
Cet ouvrage passionnera sûrement tous ceux qui cherchent à comprendre le sens du
présent à travers les traces du chemin parcouru. Les préoccupations, les rêves ou les
scrupules des sociologues belges d'aujourd'hui
sont-ils autres que ceux de leurs
"prédécesseurs" : Pierre de Bie ne formule pas la question mais suggère une réponse:
c'est l'éphémère qui rend signifiant le durable, ou, si l'on préfère, le mot est souvent
plus (im)portant que la chose.
G. Pietro Torrisi
DE SELYS Gérard,
Médiamensonges,
Bruxelles, EPO, "Dossier",
1990, 140 p.
La couverture des événements par la presse est telle que parfois on a l'impression
que ces événements disparaissent dans la relation que l'on fait d'eux. Les événements
du monde semblent échapper à toute logique factuelle pour verser dans une nouvelle
métalogique où tout se réduit à la narration, où l'être d'un fait n'est plus que son paraître. Ainsi, la réalité se borne à ce qui est dit et non plus à ce qui se passe. Ce constat
que nous posons d'une réalité extérieure se réduisant de plus en plus à un spectre
communicationnel
offre une place importante à la presse en général. Cette médiatisation du monde implique des conséquences irréversibles sur notre perception du quotidien. Le livre de Gérard de Sélys tente d'examiner ce phénomène qui transforme tout
phénomène en événement et tout événement en information. Toujours donnée comme
une dimension importante, voire fondamentale,
de nos sociétés démocratiques,
la
presse mérite cette analyse.
Médiamensonges ne se présente pas comme un ouvrage collectif ou concerté, mais
comme un rassemblement de textes, de réflexions et de documents orchestrés par un
journaliste pour une maison d'édition "progressiste". Volonté de journalistes, ce livre
veut faire le point sur les questions de la crédibilité de l'information et sur les mécanismes d'industrie de la presse. Il s'agit bien d'une réflexion, au sens propre, puisque
des journalistes se retournent sur leurs pratiques et cherchent à en distinguer toutes les
206
Recherches sociologiques, 1991/l-2
conséquences. Cette origine journalistique est importante à prendre en compte car elle
marque les qualités et les limites de ce petit opuscule.
Colette Braekman conclut un article de presse reproduit dans l'ouvrage par ces
mots: «La télévision avait tout montré, tout expliqué. Et si c'était passé à télévision,
c'était vrai. Cela devenait vrai». Ces trois phrases donnent toute la dimension d'un
événement qui se construit plus qu'il ne se déroule et dont la preuve réside dans la narration, L'homme de médias, en nous faisant partager sa perception, nous fait intégrer
une nouvelle réalité, qui se subsume en partie au quotidien, repose sur une capacité
technique de voir le monde. Elle fonde sa reconstruction sur la conviction
d'objectivité, dont Eliséo Veron (dans son livre Construire l'événement. La médias et
l'accident de Three Miles Island, Paris, Minuit, 1981) montre tout le caractère convenu. D'autre part, à foree d'être "informé", on en oublie le lien naturel entre information et manipulation. En effet, notre perception, nos conceptions, notre action sont toutes formées par les informations qui nous arrivent du milieu.
Dans une première partie, G.de Selys passe en revue les pressions que subit la
presse. Ces pressions, plus ou moins latentes, entraînent un musellement plus ou
moins doux des mass-media. Dans un rapport de 1975, la commission Trilatérale,
groupe informel d'influence regroupant une série de décideurs économiques et
politiques, soutient que la défense de la démocratie nécessite qu'elle se développe
dans une certaine apathie. Le même rapport définissait la presse en général comme
sapant dangereusement toute base de contrôle social et proposait à mots à peine
couverts de la manipuler aux fins de ne point gêner l'action des gouvernements.
Parallèlement, il y a des pressions technico-économiques, qui d'ailleurs peuvent se
cumuler avec les précédentes. L'économie agit dans la presse comme dans toute
industrie de masse par la concentration. La diminution numérique des médias induit,
avec l'exigence de rentabilité, une réduction des équipes rédactionnelles et une
soumission de l'information à la censure des annonceurs.
Par delà cette option, et par delà les radios de propagande (un article d'Anne
Maesschalk:analyse le cas de Radio Free Europe et de ses sœurs), il existe des manipulations plus insidieuses. En effet, la désinformation organisée et l'intoxication ne cachent pas leur objectif et leurs moyens. Il en va tout autrement de la presse "sérieuse"
qui, malgré sa réputation d'objectivité, n'échappe pas au travestissement et à la trahison des faits. La contribution de Thomas Cutsem présente les recherches lucides et
systématiques de Noam Chomsky et d'Edward Herman. Leur réflexion critique donne
à voir les différences de traitement médiatique qu'une information, pourtant similaire,
subit dans la presse nord-américaine si elle est originaire de contextes socio-culturels
différents. Cette partialité quantitative et qualitative est superbement illustrée au tmvers d'exemples précis. Entre autres, la différence de traitement entre le meurtre en
1984 du pere Popieluszko en Pologne et les meurtres, entre 1980 et 1985, d'une centaine de religieux en Amérique latine. La place réservée proportionnellement à l'événement polonais est de loin plus importante. Et cet exemple dans ce qu'il a de sordide
n'est pas unique. A propos de ce mécanisme qui distingue entre bons et mauvais
morts, Cutsem parle avec Chomsky d'informations utiles, utiles aux objectifs des gens
de pouvoir aux Etats-Unis. Il n'y aurait pas d'information vraie mais des informations
utiles, utiles à quelqu'un pour réaliser quelque chose.
Au-delà de la manipulation simple, il yale mensonge pur. L'exemple parfait en est
la Roumanie, dont la révolution "spontanée" n'a pas fini de faire couler de l'encre
(renvoyons entre autres au livre d'un autre journaliste, Michel Castex, Un mensonge
gros comme le siècle. Roumanie, histoire d'une manipulation, Paris, A.Michel, 1990).
L'article d'Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, est d'un intérêt encore
A propos de livres
207
plus grand que les autres car, au lieu de dénoncer un complot dont les journalistes seraient les premières victimes, il impute nombre de "dérapages" à la logique même de
la communication médiatique. Ramonet dénonce l'inertie de journalistes qui réagissent
souvent comme si l'information qui leur arrive était par essence vraie. D'autre part, il
remarque que la manipulation et le mensonge sont en eux-mêmes des informations
trop rarement exploitées. TI y a une complaisance des mass-media à l'égard des manipulations. L'information médiatique la plus sérieuse fonctionne comme un récit mythique et non comme une narration informative, alors qu'elle se présente comme telle.
La visibilité d'un événement joue aussi. L'invisible ne forme pas d'opinion publique, ne mobilise personne, ne fait pas d'audience et donc n'intéresse que peu les
médias. L'événement est l'image ou le récit rapporté de là-bas, pas les faits euxmêmes (et tout le discours des journalistes, particulièrement en télévision le montre à
loisir). Michel Mommerency, journaliste à l'hebdomadaire de gauche Solidaire montre
en parallèle le stratagème qui a vu dans les médias l'invention de cadavres en Roumanie et leur subtilisation au Panama. Dans une autre contribution, Frenk van der Linden
démonte le mécanisme qui a fait parler de massacre sur la place Tienanmen, alors que
la répression en Chine était beaucoup plus sourde et donc beaucoup moins médiatique.
Toutefois, ces deux articles n'échappent pas eux-mêmes à certains dérapages par l'amalgame qu'ils posent et parce qu'ils ne critiquent pas le principe de l'information
mais le fait qu'il soit, toujours, mal appliqué.
Une dernière partie, regroupant des témoignages de journalistes sur le terrain
(Braekman en Afrique, Roger Job au Mozambique et Karim Lievens au Salvador),
prend la narration et l'engagement comme cadre. Le journaliste agit sur le monde en le
racontant, en décrivant ce qu'il voit. Une place existe encore pour un autre journalisme. En conclusion, G.de Selys nous met devant nos responsabilités, les partageant
équitablement entre journalistes honnêtes et public critique.
Médiamensonges est un livre intéressant qui détruit partiellement l'image d'un
monde dévoilé par la presse. Le monde se dissimule sous ou par l'information. Nous
pourrions reprocher à l'ouvrage de ne pas être assez critique envers les journalistes, de
manquer de perspective. Le travail de relais, objectif et neutre, que les journalistes
veulent assumer n'est pas œuvre facile. Pour eux, l'apostolat est de chercher la Vérité,
ou à tout le moins l'exactitude de l'événement. En fait, ils devraient surtout montrer la
labilité de la vérité et de la réalité qui ne sont que questions de définition. Ce qui importe est ce qu'on rapporte des faits, pas ce qui s'est passé. Entre récits et faits, une
distorsion est toujours présente: celle du monde recréé. Il faudrait prendre le temps de
rendre compte et de prendre conscience de ce glissement de l'information, une information qui n'est pas le monde mais le discours sur le monde.
Frédéric Moens
DRAGADZETamara,
Rural Families in Soviet Georgia: a case Study in Ratcha Province,
London, Routledge, 1988,226 p.
Le travail de terrain sur lequel repose ce livre est bien antérieur à sa publication
puisque c'est en 1970 que Tamara Dragadze s'est rendue sur la terre de ses ancêtres
pour y poursuivre des études à l'université de Tbilissi et y mener une enquête anthropologique selon les canons de l'observation participante. Il s'agit donc d'une expérience unique car peu d'ethnologues occidentaux ont pu ainsi résider dans des zones
208
Recherches sociologiques, 1991/1-2
rurales de l'Union Soviétique. Cela ne se fit pas sans mal car Dragadze ne put sortir
ses données d'U.R.S.S. et elle éprouva donc de nombreuses difficultés pour mener à
bien sa thèse de doctorat à l'université d'Oxford. En publiant ce travail en 1988,
Dragadze n'aurait guère pu choisir de pire moment. Nous étions alors à l'aube des terribles bouleversements qui allaient frapper les pays de l'Est et la montée des nationalismes n'avait pas encore fait tressaillir l'Union Soviétique. On attendait donc
Dragadze au tournant. Son ouvrage nous permit-il de comprendre ce qui se passe actuellement dans les républiques soviétiques ? Les événements actuels soumettent ce
travail à une terrible épreuve et il nous faut d'emblée affirmer que Dragadze a réussi le
test avec brio. Son ouvrage est aujourd'hui un véritable document sur la vie dans l'Union Soviétique d'avant Gorbatchev et comme tel je crois pouvoir dire qu'il fait honneur à l'anthropologie sociale en général car il rend compte d'une manière unique et
originale de la vie des gens. Le nationalisme géorgien n'est pas un phénomène récent
et il n'a sans doute jamais quitté l'âme de ce petit peuple.
Les spécialistes de l'Union Soviétique ont rarement pénétré ce pays de l'intérieur.
Lorsqu'ils l'ont fait, ils se sont, la plupart du temps, cantonnés à la société moscovite,
de sorte que nous ne disposons que de peu de témoignages vivants et bien informés sur
la vie rurale des républiques. Peu d'ethnologues occidentaux s'étaient vu accorder les
autorisations nécessaires pour pénétrer dans ce monde inconnu et notre image de la société soviétique était celle d'une société homogène, quasi indifférenciée. C'est dire si
le travail de Dragadze est particulièrement bienvenu, d'autant plus qu'il risque fort
d'acquérir la valeur d'un document historique si les événements continuent de se précipiter à la même vitesse.
L'enquête de terrain fut menée dans la province de Ratcha, au nord-ouest de la
Géorgie. Le village d'Abari où résidait l'auteur est particulièrement éloigné du reste
du monde puisqu'en hiver il est pratiquement coupé du reste de la Géorgie. Le village
ne fut électrifié qu'en 1962 et l'eau courante ne fut installée qu'en 1964. Au moment
de l'étude, il n'y avait pas de téléphones. Abari comprend 85 familles soit à peu près
263 habitants. L'essentiel du livre traite de la parenté. Il est dès lors intéressant de
constater, et ce n'est pas là la seule surprise, combien les relations familiales sont
restées importantes dans une société qui a pourtant prôné de tout autres valeurs.
Le régime soviétique a largement, et paradoxalement, contribué à renforcer certaines valeurs traditionnelles. Ainsi la structure familiale a conservé ici une vivacité
qu'elle a souvent perdue ailleurs: les jeunes adultes se soumettent aux décisions familiales prises collectivement et la profession d'un jeune homme est souvent choisie selon les besoins collectifs de la famille. Chaque famille se trouve confrontée à un dilemme: d'une part, elle a besoin de produits agricoles que seuls les cultivateurs produisent et d'autre part elle a besoin de cash qui s'obtient grâce aux emplois rémunérés,
souvent It la ville. Chaque famille planifie et tente de satisfaire au mieux ces deux besoins en répartissant ses membres dans les divers secteurs de l'économie (p.56 et
p.86). Il en résulte une famille unie dont le caractère sacré est sans cesse souligné.
Lorsqu'un jeune homme passe des examens à l'université de Tbilissi, toute sa famille
l'y accompagne. Dans le même registre, mourir en dehors de sa famille est considéré
comme une terrible calamité.
Les sentiments religieux sont tout aussi vifs. Ici non plus des décennies de propagande antireligieuse n'ont pas réussi à faire disparaître les convictions d'une population très chrétienne. Le mariage est ainsi une institution sacrée et le plus souvent indissoluble (p.108). De même, la sexualité extraconjugale est très peu fréquente. Un docteur local n'a par exemple rencontré que 2 ou 3 cas d'enfants illégitimes en 36 ans de
pratique! En lisant cet ouvrage, on a d'ailleurs souvent l'impression que les Géorgiens
A propos de livres
209
sont plus proches des populations traditionnelles qu'étudie généralement l'ethnologue
que des citoyens d'une superpuissance socialiste de la fin du xx· siècle. On n'a cependant à aucun moment l'impression que Dragadze exagère ce traditionalisme. Elle
nous dresse au contraire le portrait d'une société très attachante qui a su préserver sa
culture et ses valeurs.
Le nationalisme géorgien semble enfin omniprésent. Les relations entre les villageois et les non-Géorgiens sont toujours problématiques (p.133) et les gens se considèrent avant tout comme Géorgiens. On s'attend d'ailleurs à ce que les politiciens locaux
fassent passer les intérêts de la Géorgie avant tout autre (p.3l). Ces données sur le
sentiment d'identité nationale ne manqueront donc pas d'intéresser un public large.
L'ouvrage est du reste écrit dans un style agréable, accessible à tout "honnête
homme".
L'anthropologie sociale n'est pas une science et comme telle n'a pas la capacité de
prédire l'avenir. Cette limitation ne signifie cependant pas qu'elle ne fournit que des
représentations arbitraires de la réalité. Bien au contraire, le livre de Dragadze nous
appone ici la preuve que l'anthropologie sociale permet de saisir d'une manière irremplaçable la vie sociale d'une population. A ce titre, ce livre, par son originalité
mais aussi par ses qualités intrinsèques, mérite d'être lu par tous ceux qui veulent
comprendre l'évolution récente de l'Union Soviétique.
Roben Deliège
DUPONTAlain, Dir.,
L'évaluation dans le travail social (Actes des journées de l'Institut d'Etudes Sociales),
Genève, Ed. I.E.S., 1989,245 p.
Les économistes néolibéraux prétendent que l'efficacité dans la production des
biens et services marchands est liée à la propriété des biens capitaux, à la responsabilité gestionnaire qu'elle détermine, aux contrôles des entrées et sorties, aux rapports
établis entre les prix et les coûts, à l'existence d'un marché ainsi que d'une concurrence suffisante. D'où la tentation de soumettre les personnes et les institutions sociales
aux lois du marché à l'instar de celles qui font partie du secteur marchand.
Depuis quelques années, l'ensemble des professions sociales se voit interpellé, parfois vivement, sur sa production, son efficacité, sa rentabilité. L'évaluation est
devenue un thème à la mode, comme d'ailleurs le recours aux audits pour juger de
l'action d'une série d'instances des secteurs non marchands.
Une foule de techniques sont aujourd'hui utilisées en vue de l'évaluation d'actions,
de pratiques sociales, ou encore d'institutions sociales ainsi que de professionnels du
social, comme aussi des formations de base et continues de la gamme des professionnels actifs dans les secteurs sociaux.
Ce boom de l'évaluation est sans doute lié aux problèmes croissants rencontrés sur
le plan du financement de ces secteurs, de même qu'aux critiques développées par rapport à une gestion bureaucratique et technocratique de trop nombreuses institutions.
Mais il s'explique peut-être aussi par la multiplication du nombre de problèmes et de
cas sociaux auxquels nos sociétés en mutation rapide sont confrontées, de même que
par le développement de la volonté et des capacités de contrôle de la pan des divers
acteurs intéressés à une évaluation, qu'il s'agisse de la puissance subsidiante, du
pouvoir organisateur, des usagers ou des patients, ou encore des personnels ou institutions d'aide ou de soins.
210
Recherches sociologiques,
1991/1-2
Quelle que soit l'origine de cette volonté d'évaluation, on ne peut sous-estimer la
difficulté à transférer simplement les techniques de contrôle et d'évaluation des secteurs marchands vers les secteurs non marchands en raison des problèmes que posent
la quantification du social comme aussi la mesure des effets découlant des formes
d'aide et de soins. Il n'empêche que de diverses manières on cherche à passer
d'évaluations implicites à des évaluations explicites du social.
Le livre sous revue présente quelques-unes des techniques utilisées présentement
dans une diversité de secteurs sociaux. On y traite de nombreuses questions
pertinentes relatives aux problèmes et techniques d'évaluation, y compris des attitudes
des professionnels face aux pratiques par lesquelles 'on cherche à mesurer ce qu'ils
font.
Jacques De1court
KAHNRené, Dir.,
Migrants et travail en Europe (Colloque organisé par le Centre européen "Travail et
Société, 3-5 déc.1987),
Maestricht, Pr. Univers. Européennes, 1989, 129 p.
Cet ouvrage commence par l'histoire récente des migrations européennes en distinguant la période avant et après 1974, année du coup d'arrêt à l'immigration. Si, au départ, la légitimité des migrations découla de l'insuffisance de main-d'œuvre locale, le
chômage structurel qui suivit la crise économique et les restructurations allait conduire
à la recherche d'une nouvelle légitimité à la présence étrangère.
Malgré des différences importantes dans les traditions et les pratiques des pays européens en matière de politique des migrations internationales, on enregistre à travers
le temps une convergence des grands axes de la politique. Par ailleurs, sur le plan des
faits, on peut constater que plus de 80% des migrants ont plus de dix ans de résidence.
Outre l'accélération du regroupement familial, il se produit un alignement progressif
des aspirations des migrants et de leurs enfants sur celles des nationaux.
L'intérêt de cette première partie de l'ouvrage est indéniable. On peut toutefois regretter que le remplacement d'une migration d'origine économique par une autre
d'origine politique ne soit pas mieux étudié. De plus, quelques tableaux eussent donné,
en peu de pages, une idée claire de la croissance de l'immigration à partir des pays
tiers et plus seulement à partir des régions défavorisées de l'Europe communautaire .
.La deuxième partie de l'étude démontre le caractère paradoxal de la situation présente. En effet, préoccupée de la libre circulation des travailleurs communautaires, les
principales mesures prises par la Communauté ont avant tout concerné les migrations
intra-européennes, alors que le problème le plus important résultait de la difficulté de
contrôle des entrées aux frontières extérieures. Le nombre de migrants extracommunautaires croît d'ailleurs plus vite que celui des migrations internes et pose donc crûment le problème du contrôle des entrées, de même que celui de l'harmonisation des
législations nationales sur les étrangers en provenance des pays extracommunautaires.
Dans cette deuxième partie sont également examinés les problèmes découlant de
l'évolution des secteurs dans lesquels les migrants ont été introduits au départ. Ces
secteurs ont été les plus affectés par les restructurations, l'automatisation, la tertiarisation des économies, COmmeencore par la segmentation du marché du travail et la
réapparition du travail déqualifié non salarié. Parmi ces problèmes, il y a notamment
A propos de livres
211
ceux relatifs à l'insertion professionnelle et sociale, mais aussi aux relations interculturelles.
La troisième partie analyse la place réservée aux migrants dans le texte de l'Acte
unique et constate qu'il reproduit les mêmes imperfections que le Traité instituant la
Communauté européenne. Celui-ci avait privilégié les questions économiques par rapport aux questions sociales et l'Acte unique fait de même. Loin de contribuer à la résolution des problèmes, il faut bien constater qu'en ce qui concerne la libre circulation,
la règle de l'unanimité est maintenue dans l'Acte unique, ce qui ralentit considérablement les mesures à prendre visant, par exemple, à l'imposition d'un visa à l'entrée
dans la communauté ou encore à l'élaboration d'un statut unique des migrants. Ceci
éviterait d'opérer des discriminations entre les migrants en fonction de leur appartenance communautaire ou de leur origine extracommunautaire. Jusqu'à ce jour, pour le
visa, les Etats membres conservent des politiques très différentes: les uns l'exigent et
d'autres non. Par ailleurs, la suppression des frontières intérieures appellerait, sinon
une interprétation commune du droit des demandeurs d'asile et des réfugiés, du moins
la formation d'un consensus en ce domaine.
.
Le Traité et l'Acte unique sont susceptibles de deux interprétations. L'une est minimaliste et se limite aux dispositions nécessaires pour assurer la libre circulation des
personnes d'ici la fin de 1992. L'autre interprétation plus audacieuse présente l'Acte
unique, ou plus exactement son corollaire, le marché intérieur, comme une première
étape vers la définition d'un nouveau statut des migrants en Europe. C'est évidemment
la première interprétation qui triomphe aujourd'hui.
Ce livre est à lire par tous ceux qui s'intéressent au problème majeur que constitue
la migration à une époque de libre circulation, mais aussi par tous ceux qui
s'inquiètent de son développement.
Jacques Delcourt
MOLITORMichel, REMYJean, VANCAMPENHOUDT
Luc, Dir.,
Le mouvement et la/orme. Essais sur le changement social en hommage à Maurice
Chaumont,
Bruxelles, Fac.univ. Saint-Louis, 1989,308 p., Publication n046.
Le Professeur Maurice Chaumont (1932-1987) enseigna la sociologie simultanément à l'Université Catholique de Louvain où il créa le Centre pour l'analyse du changement social ( 1969) et aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, dont il fut
un membre éminent. Lui rendant hommage, les collaborateurs à cet ouvrage ont voulu
celui-ci comme un reflet de sa manière critique et distanciée mais toujours soucieuse
de l'acteur concret, en butte aux contradictions de son statut et faisant évoluer la structure sociale par sa recherche tâtonnante de solutions politiques.
Nous avons effectivement de beaux exemples avec la reprise d'articles anciens, rédigés dans le roulement des événements. Le premier d'entre eux concerne les grèves
belges de la fin 1960, début 1961 (pp.27-46). Les deux suivants sont de réaction aux
soubresauts politiques et militaires de la décolonisation au Congo-Zaïre, l'un rédigé
immédiatement avant l'indépendance (pp.79-93), l'autre dans les mois qui la suivirent
(pp.95-103). Si les grèves montrent combien les mobiles peuvent différer d'une catégorie d'acteurs à l'autre, et donc aussi évoluer autrement au fil des événements, les décolonisations révèlent toutes les spécificités latentes ou manifestes des rapports entre
212
Recherches sociologiques, 1991/1-2
"partenaires coloniaux", les confusions entre décolonisation interne et indépendance
externe, les inadéquations des politiques suivies.
Ainsi, dans les différents champs sociaux qu'il étudie, Maurice Chaumont fait des
motivations et des statuts des acteurs sociaux, individuels ou collectifs, les clés pour
comprendre les situations, y suivre les changements significatifs. Dans cette approche
des phénomènes sociologiques, il se sentait proche, comme le rappelle Jacques Dabin,
Recteur des Facultés, de Michel Crozier, de Serge Mallet ou d'Alain Touraine, tout
comme cela l'entraînait dans de nombreuses missions à l'étranger, en particulier en
Amérique latine ou en Afrique du nord, ou le rendait disponible aux étudiants (pp. 1118). Benoît Verhaegen (Universités du Zaïre), introduisant et chronologisant les articles sur la décolonisation, les commente dans le même sens (pp.67-77), tandis que
Jean Ladrière
(U.C.L.)
accompagne
celui sur les grèves
de réflexions
épistémologiques
et théoriques particulièrement importantes et éclairantes (pp.47-61)
qu'il faudra garder à portée de main pour être davantage méditées :«La sociologie telle
que l'a comprise et pratiquée Maurice Chaumont [... ] opère consciemment à partir de
ce que lui prescrit son a priori constitutif et en fonction des indications qu'il comporte.
Le principe régulateur sur lequel elle repose consiste en la prescription d'un certain
type d'intelligibilité:
l'étude de la réalité sociale est une entreprise de compréhension,
et la compréhension
est la mise à jour des significations immanentes des conduites
collectives» (p.48).
Dans les parties ultérieures du livre, divers spécialistes poursuivent l'hommage sur
des modes ou plus théoriques ou plus descriptifs, mais à propos de phénomènes sociologiques analogues. Parmi les premiers, nous trouvons les distinctions multiples et
nuancées qu'introduit Jean Remy (U.C.L.) dans la problématisation
du changement
social en fonction des engrenages entre dynamiques actorielles et séquentialisations
des événements (pp.119-147) et celles, plus dichotomisées, que Guy Bajoit (U.C.L.)
énumère en entrecroisant objectifs et moyens dans l'étude des relations et échanges
sociaux, aboutissant à une typologie quadrangulaire des formes de solidarité (pp. 149169). Egalement les réflexions d'Alain Touraine (E.H.E.S.S., Paris) sur la crise contemporaine de l'idée de. rationalité, si essentielle pourtant à la modernité, alors même
qu'elle est redessinée par la réémergence du sujet au travers des mouvement sociaux
(pp.l09-117),
ou celles de José A.Guilhon Albuquerque (Université de Sao Paulo,
Brésil) sur les asymétries sociales entre sujets et ces pendants des mouvements sociaux
que sont les institutions, asymétries obligeant à distinguer entre changements véritables, portant sur les normes institutionnelles
elles-mêmes, et ces pseudo-changements qui ne concernent que les pratiques internes (pp.171-179). Ajoutons à ce plan
théorique les remarques de Luc Van Campenhoudt (Facultés univ. Saint-Louis) qui,
partant des textes d'Oscar Wilde théoricien de l'art, présente l'œuvre artistique comme
le lieu d'un changement formel, à la fois au sein des contraintes d'une époque et indépendant de son état technique (pp.271-300), cette même forme nous "parlant" éventuellement bien plus que les choses de la vie matérielle:
«Planté vers l'arrière de
l'église Santa-Croce à Florence, à mi-chemin entre les tombeaux de Galilée et de
Michel-Ange, le visiteur réalise soudain qu'il s'y trouve infiniment plus près de ses
racines que dans la commune quelconque où il a passé sa jeunesse» (p.295).
Parmi les autres textes de l'ouvrage, d'allure plus descriptive, plus proche d'une
sociologie événementielle sinon historique, citons celui d'Annick Germain (Université
de Montréal) retraçant les étapes de la sociologie urbaine au Québec en partant des
manières de poser les questions en termes de différences sociales d'abord, d'inégalités
sociales ensuite, pour évoluer plus tard vers ceux de stratification sociale ou, enfin, de
classes sociales (pp.241-250). A ces transformations du construit d'une définition so-
A propos de livres
213
ciologique, nous trouvons un écho chez Michel Hubert (Facultés univ. Saint-Louis)
montrant comment, en Belgique, le problème du SIDAfut peu à peu défini et abordé en
fonction des informations dont disposaient les organismes qui le prenaient officiellement en charge et des conceptions qu'ils en avaient (pp.225-239). Il y a encore la très
belle étude d'Anne Devillé (Facultés univ. Saint-Louis) sur l'émergence depuis une
bonne vingtaine d'années, en France, du syndicat de la magistrature et son évolution
selon les redéfinitions internes ou externes de son action (pp.205-223). Ou enfin, en
reprise directe des thèmes abordés par Maurice Chaumont au moment de leur surgissement, l'article de Gauthier de Villers (Centre d'étude et de documentation africaines,
Bruxelles) sur le type de rationalité limitée qui prévaut actuellement au Zaïre eu égard
à l'extension aux cercles dirigeants des anciennes relations de dons et de contre-dons,
les réciprocités se muant en clientèles politiques hiérarchisées, fondées sur la prédation, que la société reconnaît et récuse dans le même mouvement (pp.251-270), ainsi
que l'article de Michel Molitor (U.C.L.) sur les transformations institutionnelles de la
Belgique sous la poussée d'une nouvelle classe dirigeante flamande, s'imposant chez
elle ou à l'Etat national, face à une Wallonie frustrée, en mal de définition ou d'identité, cherchant à maîtriser son propre destin mais qui doit, pour cela, «refaire l'initiative» (pp.183-204).
Malgré le caractère relativement sommaire de la bibliographie de Maurice Chaumont telle que reproduite aux pages 63 et 105, le livre doit donc être signalé pour la
diversité et la qualité des analyses théoriques ou socio-historiques qu'il comporte, bien
dans la ligne de ce qu'avait été sa propre approche du sociologique.
André Delobelle
NAVLAKHASuren,
Elite and social change. A study of elite formation in India,
New Delhi/London, Sage Publications, 1989, 190 p.
Cet ouvrage - une des premières études de la structure sociale indienne réalisée
par un sociologue indien - me semble particulièrement intéressant, non seulement au
niveau de ses résultats, présentant toutes les garanties de rigueur sociologique et méthodologique, mais surtout en ce qui concerne les présupposés de son auteur, appartenant manifestement à "l'élite sociale", qui constituent son objet. ..
L'auteur commence en effet par resituer l'enquête dans son contexte, celui d'une
société postcoloniale. Les sociétés de ce type, pose-t-il, se trouvent dans une situation
extrêmement complexe et plurielle, tant au niveau économique qu'en ce qui concerne
leur structure sociale. La condition immédiate de leur survie passerait par une transition réussie vers un système politiquement plus égalitaire et autonome, ainsi que par
un progrès industriel conséquent. Et le succès de cette opération reposerait sur la transformation profonde de la structure sociale, permettant l'émergence d'une nouvelle
élite capable de prendre en charge de tels bouleversements. Seule entrave à ce
processus idéal: il ne peut manifestement être porté ni par l'élite sociale traditionnelle,
ni par les résidus de l'expérience coloniale.
La problématique générale ainsi posée, Suren Navlakha se centre sur l'Inde pour y
examiner les problèmes de transformation structurale rencontrés par ce pays au cours
de ce qu'il appelle son «processus de modernisation». Il se penche ainsi sur les traits
principaux de la structure sociale traditionnelle indienne pouvant avoir une incidence
sur la problématique.
214
Recherches sociologiques, 1991/1-2
Viennent ensuite les résultats de son enquête proprement dite. Celle-ci est basée sur
un échantillon de 1432 membres de trois groupes sociaux situés en haut de l'échelle
socio-professionnelle et présentant un haut niveau d'éducation (fonctionnaires publics,
directeurs d'entreprises et professeurs d'université). L'auteur entame alors une analyse
approfondie de ces groupes, cherchant à définir, à l'aide de divers facteurs (religion,
langue, caste, revenu, niveau d'éducation et trajectoire sociale sur quatre générations),
ce qui leur confère un statut d'élite sociale.
Ses investigations le conduisent à mettre en évidence l'existence d'une strate sociale supérieure extrêmement restreinte, constituée uniquement de membres de ces
trois groupes éminents étudiés auparavant (à l'exclusion de la strate inférieure constituant la majorité de la société) et davantage tournée vers la reproduction de son propre
pouvoir que préoccupée par la démocratisation et le progrès économique du pays.
L'auteur adopte alors une perspective historique plus large, pour poser que cette situation n'est ni récente ni éphémère mais constitue un trait stable de la civilisation indienne. L'inertie d'un tel système d'exclusion serait, en dépit de la diffusion des idées
d'égalité, un solide obstacle à la modernisation de l'Inde.
L'auteur conclut que tout changement substantiel de la situation dépendra essentiellement de la capacité des strates inférieures de se libérer de la société traditionnelle.
Nonobstant son intérêt factuel, tout le livre me semble reposer sur le paradigme
marxiste et sur le postulat corrélatif d'un changement social mené tant par une élite
sociale "éclairée" que par une base "conscientisée" et libérée du joug des dominations
traditionnelles. On ne manquera pas non plus d'y déceler, de manière transversale, une
vision évolutionniste et quasi européo-centriste du développement. D'aucuns
s'étonneront de voir de telles positions soutenues par l'intelligentsia indienne ellemême ... Au delà des implications de ces postulats, l'ouvrage analyse remarquablement les problèmes de la transition entre deux systèmes économiques et entre deux
systèmes sociaux, et le jeu entre une archéo- et une néo-structure développant deux
rapports au pouvoir totalement différents.
Marie Verhoeven
PATURETJean-Bernard,
Introduction philosophique à l' œuvre de Freud,
Toulouse, Erès, 1990, 122p.
L'auteur nous présente Freud à la croisée des chemins. Paturet situe en effet le génie de Freud au carrefour des cultures juive, germanique et gréco-latine. «Le jeu d'imbrication des trois cultures, leurs paradoxes intrinsèques et leurs contradictions conflictuelles ont trouvé dans l'esprit, dans l'âme et dans le cœur de Freud la scène de leur
rencontre et dans toute son œuvre une tentative de synthèse jamais aboutie» (p.13).
Paturet se propose de nous montrer la richesse de cette rencontre pluri-culturelle,
Et tout d'abord il tente de mettre en évidence la façon dont «l'esprit juif a marqué
Freud dans une sorte de prédisposition intuitive à dévoiler et à interpréter» (p.23). Sur
les traces de Joseph et de Daniel, Freud apprendra à interpréter les rêves. Les interprétations rabbiniques des histoires de Saül et de David l'amèneront tout à la fois à considérer la folie comme forme d'expression et moyen de défense, et à saisir le rôle libérateur de la parole.
La culture germanique laisse son empreinte chez Freud au travers de la philosophie
des lumières d'une part, du romantisme allemand d'autre part. Il exprimera tout à la
A propos de livres
215
fois son admiration pour le modèle physico-chimique,
son espoir de voir la raison
dominer la vie psychique et son désir de connaître l'âme humaine dans ce qu'elle a de
plus profond, de plus mystérieux. On retrouve d'ailleurs une même fascination pour le
rationalisme des Lumières et l'attitude introspective des romantiques chez Kant, Schopenhauer ou Nietzsche, trois philosophes qui ont contribué à l'évolution de la pensée
freudienne.
Quand Freud tente d'opérer la révolution copernicienne de la psychologie par l'introduction de la psychanalyse, c'est la révolution instaurée par Kant en philosophie qui
lui sen de modèle. L'influence kantienne se retrouve également au niveau des concepts d'inconscient et d'impératif catégorique, ainsi que de la conception freudienne
de la conscience, même si cette référence n'exclut pas certaines critiques et prises de
distances manifestes.
L'étude des notions de rêve, de refoulement, de vie, d'amour, de mon et de sexualité témoigne quant à elles d'une parenté certaine entre les pensées freudienne et schopenhauerienne.
Quant à Nietzsche, suivant en cela les travaux d'Otto Rank, Paturet souligne le rapport entre la trilogie mise en œuvre dans Ainsi parlait Zarathoustra -le
lion, le chameau et l'enfant - et les trois instances freudiennes - le ça, le surmoi et le moi. La
notion de ça est d'ailleurs commune aux deux auteurs, même si le "ça" freudien s'apparente plutôt au "soi" nietzschéen. Au delà de ce parallélisme conceptuel, Freud et
Nietzsche partagent aussi une même «herméneutique du soupçon» (p.89), une même
mise en cause de la conception qui veut que la conscience guide l'agir humain.
La marque de la culture grecque dans la pensée freudienne est étudiée au travers
des références à Empédocle d'Agrigente et à Platon. Le premier a contribué au développement de la pensée freudienne sur trois points essentiels: l'idée de «bouillie originaire» (p.lO?), le modèle de psychologie sans âme, le concept-clé de forces contraires
(Eros versus instinct de mon). Chez le second, Freud semble avoir cherché «un fondement moniste de la sexualité» (p.121). La méthode psychanalytique doit également
beaucoup à l' anamnèsis platonicienne.
S'agissant d'une introduction, il serait sans doute maladroit de réclamer de plus
larges développements, même si indéniablement certains chapitres laissent un goût de
trop peu. On regrettera ainsi le décalage entre des hypothèses très stimulantes et des
démonstrations quelquefois un peu trop concises. Cependant la lacune principale nous
semble résider dans le faible degré d'intégration
des trois regards philosophiques.
Paturet nous annonce Freud à la croisée des chemins, il nous montre trois chemins.
Sans doute nous prévient-il que la synthèse freudienne reste insatisfaisante, mais on
aurait, à tout le moins, souhaité suivre Freud dans ses tours et détours. Cela étant, les
sociologues trouveront dans ce livre bien construit et à la portée de tous, un ensemble
de pistes de réflexion qui ne manquent pas de pertinence.
Jacques Marquet
PERRENOUD Philippe, MONTANDON Cléopâtre, Dir.,
Qui maîtrise l' école? Politiques d'institutions et pratiques des acteurs, Lausanne,
Bd.Réalités
sociales, 1988,351
p.
Cet ouvrage réunit des contributions de chercheurs de l'équipe de sociologie de
l'éducation de l'Université de Paris V et du Service de la recherche sociologique de
Genève, Il explore les rapports complexes entre les politiques d'institutions et les pra-
216
Recherches sociologiques, 1991/1-2
tiques des acteurs, en présentant la synthèse de travaux empiriques portant sur trois
axes principaux, à savoir la division du travail éducatif entre l'école, la famille et le
milieu naturel, l'évolution du curriculum et des technologies éducatives et, enfin, les
rapports entre le système scolaire et le marché du travail.
La cohérence de 'la vingtaine de contributions réside dans leur volonté partagée de
concilier l'observation des actions et interactions quotidiennes avec l'approche des
systèmes, plus classiques, en sociologie de l'éducation. L'étude des stratégies des acteurs individuels au sein des collectivités et des organisations est dès lors privilégiée
parce qu'elle semble porteuse de possibilités originales d'articulation du micro- et du
macro-structurel. Les mises au jour des logiques organisationnelles vont de pair dans
ce livre foisonnant, avec l'analyse des interventions de groupes externes, fédérant ou
opposant leurs influences sur un système qu'ils contribuent à faire évoluer.
Le livre ne propose pas d'élaboration théorique organisant les apports de tous les
auteurs. n ne fait que constater la complexité de jeux qui se jouent dans les systèmes
scolaires, sans toujours parvenir à en préciser les règles ou les enjeux. Les pratiques
collectives fixent des cadres en exprimant des déterminismes autant que des calculs
stratégiques. Les ensembles dont l'analyse nous est présentée n'ont pas une structure
ni une genèse identiques et montrent la diversité des situations possibles.
Les textes apportent finalement une réponse sans équivoque à la question qui sert
de titre à l'ouvrage: personne ne maîtrise l'école. les politiques, quelles que soient
leur cohérence et leurs intentions, sont dénaturées ou orientées par les acteurs
individuels ou collectifs qu'elles concernent ou qui doivent les mettre en œuvre. Les
décideurs les plus avisés ne parviennent jamais à contrôler l'orientation ou les effets
des systèmes scolaires mis au cœur d'interactions innombrables.
Jean-Emile Charlier
PICHAUL T François,
Le conflit informatique,
Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1990,259 p.
A côté d'une prolifération de discours relatifs aux nouvelles technologies de
l'information, dominés par l'empreinte techniciste, le point de vue adopté ici se veut
résolument sociologique.
Il s'agit avant tout de rappeler que toute technologie s'inscrit dans des contextes où
les rapports de pouvoir, les stratégies personnelles et collectives, les compromis sont
souvent plus déterminants que les potentialités intrinsèques et que ce sont donc des
mécanismes proprement sociaux qui sont à l'œuvre dans tout processus d'informatisation.
S'adressant avant tout à ceux qui se montrent intéressés par la regard des sciences
sociales sur le développement de l'informatisation, l'ouvrage entend aussi concerner
les spécialistes de l'informatique. Le sous-titre du livre, gérer les ressources humaines
dans le changement technologique, indique cette volonté de s'adresser également aux
praticiens de l'informatique, impliqués dans des processus concrets, en leur permettant
de prendre du recul et d'atteindre une meilleure maîtrise des mécanismes complexes
auxquels ils ont à faire face dans le cadre de leurs projets.
Le conflit informatique se structure en cinq chapitres. Le premier cherche à établir
la spécificité du regard que les sciences sociales peuvent jeter sur le développement
technologique, en précisant la manière dont les modèles explicatifs y sont générale-
A propos de livres
217
ment constitués et les investigations menées. Deux traditions théoriques fondamentales
balisent la réflexion sur le changement technologique - plus précisément sur les relations entre bases techniques et modes d'organisation du travail- à savoir le matérialisme historique et la sociologie des organisations. Au delà de leurs divergences idéologiques et de la différence de point de vue est mise en évidence la même attention que
ces deux paradigmes accordent aux phénomènes de pouvoir en leur apportant chacun
un éclairage spécifique et complémentaire. Notons toutefois que la référence au matérialisme historique est également l'occasion de montrer l'intérêt qu'il y a à prendre en
compte, dans la conduite d'un changement technico-organisationnel, les mises en
garde, voire les dénonciations auxquelles aboutissent nombre d'analyses matérialistes,
confirmant ainsi la perspective "managériale" de l'ouvrage.
Le deuxième chapitre précise le champ d'investigation en examinant les principales
caractéristiques du travail administratif et la manière dont peut s'y engager un processus de formalisation. Ensuite est entamée la construction d'une grille d'analyse du
changement technico-organisationnellié à l'informatisation. Cette grille est construite
autour de deux concepts : celui de moment et celui de productivité du travail administratif. Trois grandes étapes ou moments sont dégagés en fonction de cohérences logiques repérées entre bases techniques et modes d'organisation du travail
administratif. Ces étapes s'articulent elles-mêmes autour de la question centrale et
conflictuelle de l'augmentation de la productivité du travail administratif, question qui
sous-tend l'ensemble du processus d'informatisation. Le but de cette grille est d'aider
à systématiser la description de cas concrets d'informatisation et à mieux appréhender
les phénomènes conflictuels inévitablement présents lors de tout processus
d'informatisation.
A partir d'un examen critique de la littérature consacrée à ce thème, le troisième
chapitre cherche à apprécier le rôle des pratiques d'appropriation, des phénomènes
conflictuels et des rapports de pouvoir dans le passage d'une étape, d'un moment, à
l'autre au sein du processus d'informatisation. Tout processus d'innovation technicoorganisationnelle est en effet fondamentalement marqué par la confrontation entre une
logique de rationalisation émanant du groupe managérial et une logique d'appropriation exprimée par les agents d'exécution. Si la tendance à la rationalisation est sans
doute largement dominante, étant donné les contraintes de l'accumulation qui conduisent le groupe managérial à modifier sans cesse la composition organique du capital,
celle-ci ne peut toutefois pas, à elle seule, rendre compte de la réalité du processus
d'informatisation. Au contraire, à chaque stade, des comportements imprévus et non
maîtrisés apparaissent. Le conflit permanent entre ces diverses rationalités limitées
soumet toute innovation technico-organisationnelle à un processus de socialisation
dont les résultats sont davantage le fruit d'ajustements réciproques et d'apprentissages
croisés que de l'imposition mécanique des seuls intérêts managériaux.
Le quatrième chapitre aborde la question, très controversée, de la mesure des effets
de productivité liés à l'informatisation. Diverses positions sont passées en revue et,
après un rappel des principales limites conceptuelles et méthodologiques liées à une
telle mesure, l'accent est mis sur l'imprévisibilité de ces effets de productivité. Enfin
l'auteur s'interroge sur la spécificité du travail administratif par rapport à l'automation
des activités industrielles, posant la question de la différenciation entre ces deux sphères d'activité dans leur rapport à la technologie.
Au cours du cinquième et dernier chapitre, F. Pichault insiste sur la nécessité de
définir et de promouvoir un management "politique" de la technologie, qui parvienne
à mettre en place un jeu plus explicitement ouvert à l'affrontement de diverses
rationalités. TI envisage ensuite les défis lancés par un tel renouvellement de la gestion
218
Recherches sociologiques, 1991/1-2
des ressources humaines, le rôle et les fonctions traditionnelles de l'encadrement et
des instances syndicales étant soumis à forte révision. Il débouche enfin sur une
évaluation critique des principales méthodes d'implantation "participative" qui se
basent sur une implication plus ou moins large des utilisateurs lors de la mise en place
et de la conduite des projets d'informatisation.
Pour que les lecteurs non initiés puissent entrer pleinement dans la démarche proposée, une série d'analyses de cas concrets illustre le corps de l'exposé. Un glossaire
des principaux termes techniques utilisés est présenté en fin d'ouvrage.
Mario Deffrenne
ROBINSONFrancis, Ed.,
The Cambridge Encyclopedia of India, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Nepal,
Bhutan and the Maldives,
Cambridge, Cambridge Univ.Press, 1989,520 p.
On ne peut commenter un tel ouvrage sans commencer par parler de sa présentation. Une encyclopédie est en effet plus qu'un simple livre; la beauté des illustrations,
le format et la clarté de l'exposition sont sans doute presqu'aussi importants que le
texte lui-même. Sur ce point, nous avons tout lieu d'être ravis. Cet ouvrage est un instrument de travail merveilleux que l'on ne se lasse pas de parcourir et de feuilleter. Les
photos sont belles et bien choisies, les cartes et diagrammes clairs et nombreux, la présentation cossue. On pourrait évidemment craindre que de telles qualités n'entraînent
un prix particulièrement élevé, or tel n'est pas le cas puisque l'on peut se procurer
cette encyclopédie pour un prix qui dépasse à peine celui d'un ouvrage scientifique
moyen.
Le contenu est certes à la hauteur de la présentation. L'éditeur, Francis Robinson,
s'est entouré d'une large équipe scientifique des plus compétentes et la qualité des textes ne saurait être mise en doute même s'ils s'adressent davantage aux novices qu'aux
véritables experts. L'ensemble est divisé en neuf parties: la terre, la population, l'histoire de l'indépendance, la politique, les relations extérieures, l'économie, les religions, la société et la culture. La multiplicité des sujets ainsi abordés empêche qu'ils
soient traités de manière exhaustive, mais l'exhaustivité n'est pas le but de cet ouvrage
qui est, en tous cas, loin d'être superficiel. Chaque sujet est en effet traité par un expert
d'une manière érudite mais accessible. Il ne s'agit pas d'un véritable ouvrage de vulgarisation, du moins si l'on entend par là un certaine appauvrissement de l'analyse.
Dans l'ensemble, il s'agit donc d'une initiative heureuse qui devrait intéresser tous
ceux qui se sentent concernés par l'Asie du sud.
Robert Deliège
SIROTARégine,
L'école primaire au ,:/uotidien,
Paris, P.U.F., Coll. Pédagogie d'aujourd'hui, 1988, 196 p.
Depuis ses origines, la sociologie française de l'éducation a été attentive à analyser
les relations entre les systèmes d'enseignement et les sociétés qui les suscitent et leur
permettent de se développer. L'intérêt pour cette question remonte à Durkheim et s'est
A propos de livres
219
encore manifesté de manière éclatante pendant les années '60 et 70, où nombre
d'écrits théoriques et de travaux empiriques tentèrent sans succès de lui apporter une
réponse définitive.
La décennie '80 aura indubitablement été celle de la recomposition des préoccupations intellectuelles des sociologues français de l'éducation. Les investigations menées
à l'échelle d'écoles ou même de classes les ont amenés à énoncer de nouvelles hypothèses et à déplacer leur angle d'analyse. Les travaux érudits de Derouet, Forquin ou
Perrenoud ont grandement contribué à faire connaître les recherches anglaises et américaines, distantes d'une sociologie française qu'elles contribuent aujourd'hui à régénérer.
L'ouvrage de Régine Sirota s'appuie sur les analyses anglo-saxonnes des phénomènes repérables dans la classe dont le premier chapitre propose une synthèse serrée
et précise. L'auteur y rappelle utilement que les Britanniques ont cherché à l'intérieur
de la classe non les effets importés de la structure sociale mais les constructions
collectives qui montrent l'autonomie de la situation scolaire.
Pour Régine Sirota, la vie de la classe ne s'organise pas seulement autour de la
transmission des savoirs mais se structure comme un processus de négociations constantes et implicites. Les motivations individuelles et les contraintes extérieures s'y rencontrent et génèrent des stratégies complexes.
L'auteur avance l'hypothèse de l'existence d'un double réseau de communication,
suscité par la norme produite par le comportement du maître. Dans le réseau principal,
les élèves sont sujets de la communication, qui les valorise et les intéresse. Un réseau
parallèle n'accueille que les individus externes au réseau principal, incapables d'y participer et de s'y révéler efficaces.
Des données multiples permettent de tester l'hypothèse et d'en mesurer la justesse.
L'auteur montre entre autres choses que l'adaptation aux règles scolaires en donne la
maîtrise, en permet un dépassement valorisé, socialement distribué. La proximité culturelle entre les classes moyennes et l'école crée une complicité particulière entre
maîtres et élèves, alors que les enfants des groupes sociaux supérieurs ou inférieurs,
par les distances qu'ils prennent ou qu'ils vivent par rapport à la norme, sont moins
spontanément valorisés par l'école.
Jean-Emile Charlier
SMARTNinian,
The World' s Religions: old Traditions and modern Transformations,
Cambridge, Cambridge Univ.Press, 576 p.
Avant d'accéder à l'éméritat à l'université de Lancaster où il enseignait les religions comparées, Ninian Smart a publié cet ouvrage imposant qui témoigne d'une assez formidable érudition. De par sa dimension, sa présentation richement illustrée et le
nombre de sujets traités, ce livre ressemble à une encyclopédie. n faut une fois encore
souligner le remarquable travail d'édition des Presses universitaires de Cambridge: la
présentation et les illustrations contribuent en effet largement à rendre le texte moins
aride et permettent souvent de mieux comprendre certains de ses aspects les plus essentiels.
Cet ouvrage est cependant loin d'être un dictionnaire ou un catalogue et l'auteur
nous propose un cadre d'analyse en sept dimensions qui permettent de mieux aborder
la religion: il s'agit de la dimension rituelle, émotionnelle, mythique, philosophique,
220
Recherches sociologiques, 1991/1-2
éthique, sociale et matérielle. Chaque religion peut alors être analysée comme une
combinaison de ces sept dimensions. Une telle grille permet aussi, selon Smart, d'assimiler des phénomènes aussi divers que le marxisme, l'humanisme scientifique ou le
nationalisme aux phénomènes religieux. Il est clair que ces phénomènes ont bien quelque chose en commun avec la religion, mais il leur manque pourtant la dimension
transcendantale et la référence surnaturelle qui caractérisent de fait la plupart des religions du monde.
L'ouvrage se divise en deux parties: la première qui comprend treize chapitres
dresse un portrait des grandes religions du monde. Smart couvre en 310 pages
l'ensemble de la planète; il s'attarde en particulier à l'Asie du Sud,la Chine, le Japon,
l'Asie du Sud-Est, l'Amérique, l'Afrique et l'Europe ... Les exposés sont clairs et
complets, particulièrement en ce qui conceme les grandes religions comme l'hindouisme, le bouddhisme ou l'islam. Par contre, les lignes consacrées aux religions
d'Amérique du Nord ou à celles d'Afrique sont nettement moins bien inspirées. Cette
première partie vaut surtout par la synthèse qu'elle opère des grandes religions, mais
elle n'apporte pas vraiment quelque chose de neuf à notre connaissance.
La seconde partie se centre sur les transformations qui ont marqué les grands courants religieux et est sans nul doute plus originale. C'est dans cette partie que l'on
trouvera une analyse de phénomènes aussi divers que la montée du fondamentalisme
en Amérique, la multiplication des cultes "cargos" en Mélanésie, la religion dans la
Chine de Mao et tous les mouvements religieux qui se sont développés dans le monde
contemporain.
L'ampleur de l'objet d'étude interdit bien entendu un traitement exhaustif en un
seul ouvrage. Ce livre n'aspire d'ailleurs pas à l'exhaustivité. Il se contente de dresser
un tableau général des religions du monde et de leurs transformations contemporaines.
Il y réussit d'ailleurs fort bien.
Robert Deliège
URRYJohn,
The Tourist Gaze. Leisure and Travel in Contemporary Societies,
London, Sage Publication, 1990, 176 p.
Ce livre paru dans la très intéressante collection "Theory, Culture and Society",
analyse le développement du tourisme d'un point de vue principalement sociologique.
Le tourisme, sous forme de voyage ou de loisir, n'est sans doute pas un phénomène
nouveau mais il devient caractéristique de la vie et de la société modernes, de même
qu'il devient une activité florissante et en pleine expansion. Ce phénomène et "cette
industrie nouvelle" restent largement méconnus dans le monde académique (encore
qu'un diplôme en tourisme vienne d'être créé à l'U.C.L.).
La réflexion que mérite le tourisme ne découle pas simplement de son développement rapide suite à la multiplication des temps libres et des populations intéressées ou
encore en raison de l'élargissement de l'éventail des sites et des activités accessibles à
des consommateurs sans cesse plus nombreux et mieux informés qu'autrefois ou dû
enfin à l'extension géographique prise par le phénomène grâce à des moyens de transport à distance toujours plus rapides et favorables à son intemationalisation.
L'attention portée au phénomène touristique découle aussi, d'une part, de l'ensemble des activités qu'il suscite notamment par la création de circuits historiques, récréatifs ou sportifs conçus partiellement ou totalement à l'écart des populations autochto-
A propos de livres
221
nes, par l'aménagement et la rénovation de sites et de monuments historiques ou simplement de leur accessibilité et, d'autre part, par l'éventail des activités qu'il induit et
qui se déploient en amont, en parallèle ou en aval des activités proprement touristiques. Parmi ces activités de support, il y a, par exemple, celles qui visent à l'anticipation des plaisirs du voyage ou des séjours et à la "spectacularisation" du monde, des
modèles différents de vie, de civilisation et de culture et donc à la présentation de tout
ce qui peut valoir un détour, un coup d'œil, voire la contemplation du touriste. Parmi
ces activités dérivées, il y a aussi celles qui assurent la diversité des conditions de confort correspondant à la stratification financière, démographique et sociale des populations de touristes dont certaines aspirent d'ailleurs autant à être vus qu'à voir et à découvrir.
C'est à une analyse sociologique d'inspiration foucaultienne que l'auteur nous convie en nous faisant découvrir cette importante industrie culturelle que constituent le
tourisme, ses conditions de production et de travail, comme aussi d'innovation qui
contribuent à la fabrication et à l'affinement du coup d'œil ou du regard touristique.
Jacques Delcourt
VAN HAECHT Anne,
L'école à /'épreuve de la sociologie. Questions de sociologie de /' éducation,
Bruxelles, De Boeck Université, Coll.Ouvertures sociologiques, 1990,264 p.
Ce livre présente une synthèse des travaux et apports de la sociologie à l'examen
des problèmes d'éducation au cours des vingt-cinq dernières années.
On y montre la transformation du mode de penser sociologique à partir des principales théories de la reproduction : celle de Pierre Bourdieu basée sur l'origine sociale
et celle de Raymond Boudon plutôt axée sur la stratification des destinations. Deux
types de critiques sont alors présentées: les critiques ontologiques qui dénoncent la
surdétermination et donc la déresponsabilisation des choix et donc des acteurs, et par
ailleurs, les critiques épistémologiques des paradigmes holistes et déterministes préférés aux paradigmes actionnalistes et interactionnistes.
Là se trouve l'explication du passage du paradigme du conditionnement à celui de
l'interaction et donc de l'émergence du constructivisme anglo-saxon dans lequel le jeu
des acteurs, leurs représentations et leurs interactions passent au centre des préoccupations de la recherche.
Entre les deux explications opposées, celle du subjectivisme et celle de l'objectivisme,l'issue apparaît être le constructivisme. Entre l'explication par le contexte et celle
par la conscience, le moyen terme est l'explication par la représentation.
Le basculement d'un paradigme vers un autre est présenté à travers la démarche
théorique d'Anthony Giddens et par le biais des analyses ethnométhodologiques et interactionnistes de Paul Willis, par exemple, ainsi que de travaux dans lesquels les mécanismes de socialisation prennent le pas sur ceux de contrôle social.
Quelques remarques s'imposent cependant Les théories et les explications de la reproduction sont multiples. Les unes croient à la convergence entre les quantités et
qualités produites par les écoles et les besoins des sociétés capitalistes; d'autres analysent la reproduction de manière plus subtile en montrant que l'autonomisation de
l'école par rapport à la société n'est qu'apparente; d'autres encore voient l'explication
de la reproduction dans la résistance des jeunes issus des milieux populaires à l'inculcation d'une culture bourgeoise. De plus, par delà une possible innéité et héritabilité
222
Recherches sociologiques,
1991/1-2
des talents, la reproduction s'explique tantôt par le jeu des familles, tantôt par celui de
l'école ou encore par le surplomb du marché de l'emploi ou par la combinaison de ces
divers facteurs. Sans nier le basculement qui s'est opéré dans les préoccupations des
sociologues, il reste nécessaire de chercher à repérer tout ce qui produit l'émancipation
et la mobilité sociales ou ce qui, au contraire, tend à reproduire les positions des familles ou des classes.
Malgré la connaissance des travaux de Jean-Claude Forquin, l'auteur laisse dans
l'ombre une séries d'analyses fines de l'évolution et de la diversification des contenus,
ainsi que du jeu des acteurs intervenant dans leur sélection, leur imposition ou leur exclusion. De même, il ne faudrait pas sous-estimer le jeu des acteurs sociaux et des forces politiques et sociales qui interviennent dans la gestion des écoles et du système
éducationnel, ainsi que dans la définition de leurs orientations. Le paradigme interactionniste ne devrait pas confiner la recherche à la relation pédagogique ou encore à
l'étude de la dynamique de la classe scolaire ou encore de l'école.
Le chapitre sur la socialisation oppose bien les processus selon qu'ils visent l'autonomisation ou la détermination de la personne mais on peut se demander s'il n'eût pas
été intéressant d'expliquer pourquoi l'on est passé d'une socialisation de production
(par des apprentissages sur le tas) à une socialisation de consommation (par des apprentissages à blanc et sans responsabilités).
On peut enfin regretter que l'auteur n'ait pas accordé plus d'importance au problème des débouchés, à la pénurie d'emploi et aux effets de contrôle qui en découlent
pour le système d'enseignement
Ces critiques ne visent pas à minimiser les performances de l'auteur. Tout sociologue de l'éducation en acte ou en puissance trouvera intérêt à la lecture de cet ouvrage, mais aussi tout sociologue intéressé à reconnaître la nature du basculement remarquable dans le développement de la sociologie au cours de la période sous revue.
Jacques Delcourt
WII.LIŒ
HELMUT,
Systemtheorie. Eine Einfûhrung in die Grundprobleme, 2, Erweiterte Auflage,
Stuttgart/New York:,G.Fischer Verlag, 1987, 194 p.
La sociologie systémique connaît depuis quelques années une évolution significative caractérisée par l'importation dans son propre champ théorique du modèle biologique du système autopoiétique (Maturana Varela). Cela justifiait qu'à l'occasion de
sa seconde édition H.Willke ajoutât trois chapitres à cet ouvrage d'introduction à la
théorie sociale des systèmes. Le paradigme de l'autopoièse permet en effet de mieux
comprendre comment des sous-systèmes sociaux fonctionnellement spécifiés
procèdent à une réduction de la complexité sociale de leur environnement par la
production d'une complexité interne. Un système autopoiétique ne crée pas seulement
sa propre structure mais aussi ses propres éléments constituants et son unité dans un
"processus opérateur fermé". Nos sociétés modernes sont caractérisées par un haut
degré de différenciation fonctionnelle entre des sous-systèmes sociaux autopoiétiques :
systèmes clos composés d'actes de communications et se reproduisant dans un
processus autoréférentiel à partir de ces seuls actes. Ainsi par exemple, le système
juridique, devenu entièrement positif définit lui-même ce qu'est un acte ou un fait
juridique et ce qui et légal ou illégal. Le système juridique crée le droit.
A propos de livres
223
H.Willke souligne deux types d'implication liés à l'introduction de ce nouveau paradigme. 10 Une épistémologie radicalement constructiviste. Toute "observation" réalisée par un système autopoiétique - psychique ou social- est d'abord auto-observation. L'observation dirigée vers l'extérieur (les autres systèmes ou la totalité sociale)
est produite à l'intérieur même du mode d'opération spécifique du système. 20 Les
questions des rapports entre sous-systèmes sociaux et d'une action possible de la société sur elle-même (Steuerungsprobleme) sont posées en des termes qui invalident à
la fois la solution libérale classique (autorégulation interne de la complexité intrasystémique) et la solution apportée par l'Etat-providence (régulation centrale de la société
par le système politique). "L'institutionnalisation de l'hétérogénéité" dans les procédures internes aux différents systèmes permettrait de prendre en compte le haut degré de
complexité à la fois intra et intersystémique. Cette voie constitue pour Willke une
alternative conciliant l'autonomie des différents sous-systèmes sociaux et leur nécessaire autolimitation réciproque.
Ecrit dans un style clair (fait assez rare dans le domaine que pour être souligné), illustré par des exemples et utilement agrémenté d'un glossaire et d'une bibliographie,
cet ouvrage n'intéressera pas seulement le sociologue néophyte en recherche d'un
bonne introduction. Il offrira également aux spécialistes (tenants ou adversaires de
l'approche systémique) une remarquable tentative de reconstruction et de clarification
conceptuelle à l'intérieur d'un champ théorique en pleine effervescence.
Hervé Pourtois
Inst. Sup. de Philos., U.C.L.
SONDAGES
Basé sur une période de recherche et
développement
en milieu universitaire
SONECOM se particularise par
A. La gestion d'un réseau d'enquêteurs
de niveau professionnel élevé et en
particulier des procédures de contrôle particulièrement strictes.
B. La possibilité, par une formule de
partenariat, d'intervenir à toutes
les phases des recherches empiriques (questionnaires, saisies, traitements ...)
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C. Le recours fréquent aux diverses
formes de l'analyse qualitative:
entretiens individuels, panels,
entretiens de groupes, récits de
vie.
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D. L'expérience originale permettant
de passer de l'observotton empirique à l'analyse et à la communication y compris audiovisuelle des
résultats d'étude.
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SONECOM - Sprl.
5 rue des merciers - 1300 Wavre
010/24.13.74 - 24.14.32.
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-I
Bibliographie sociologique de Belgique: 225-242
Bibliographie sociologique de la Belgique francophone 1987 - 1990 *
La rubrique bibliographique annuelle que nous publions, à la demande
de nombreux lecteurs, se veut un relevé aussi exhaustif que possible de ce
qui paraît en sociologie - au sens large de ce terme - à propos de la partie francophone du pays ou en provenance de celle-ci.
Pour établir ce relevé, nous ne disposons actuellement que de la liste
publiée par le Dépôt légal, dans laquelle nous opérons une sélection. C'est
dire que ce relevé ne concerne encore que les livres publiés. Nous demandons aux auteurs et aux chercheurs qu'ils nous communiquent les titres
des ouvrages ou des rapports auxquels ils ont travaillé ou collaboré au
sein des diverses institutions de recherche, aussi bien dans le monde universitaire qu'en dehors de celui-ci. Le relevé bibliographique pourrait, à
l'avenir, être beaucoup plus complet.
Le classement que nous avons adopté s'inspire des rubriques qui apparaissent dans l'International Bibliography of social Sciences, UNESCO,
London/New York, Routledge, et dans le Bulletin signalétique. Sociologie
(Paris, CNRS, 4 numéros/an).
Pierre de Bie
Luc Albarello
André Delobelle
Cécile Wéry
•Nous ne reprenons
et 199011.
pas dans notre catalogue les ouvrages cités dans Recherches Sociologiques 1989/1
226
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
Principales abréviations :
C.R.I.S.P.
G.R.I.P.
I.R.E.S.
K.U.L.
L.L.N.
U.L.B.
U.C.L.
U.L.G.
V.U.B.
Centre de Recherche et d'Information Socio-Politiques
Groupe de recherches et d'infonnation sur la paix
Institut de Recherches Economiques
Katholieke Universiteit Leuven
Louvain-la-Neuve
Université Libre de Bruxelles
Université Catholique de Louvain
Université de Liège
Vrije Universiteit Brussel
o
SCIENCESSOCIALES: THEORIE. DOCUMENTATION·RECHERCHE
0.0
Sociologie générale
HUYSEL., Sociologie, 4" éd., néerl., Leuven, Acco, 1987,92 p.
Auteurs et écoles en sociologie
DELRUELLEE., Claude Lévi-Strauss et la philosophie: essai, Paris, Ed.univ./
Brux., De Boeck univ., 1989, 143 p.
GARRlGONR., Pourquoi pas les sciences humaines révolutionnaires, Waterloo,
A.I.D.E., 1987,314 p.
Organisation et enseignement de la sociologie
COLL., Syllabi-boek van de licenties in de politieke en sociale wetenschappen,
communicatiewetenschap, sociologie, Leuven, K.U.L., Fac. der Sociale Wetenschappen, 1988, 222 p.
DE KETELE J.M., Méthodologie de /' observation, Brux., De Boeck, 1988,
IV+302p.
QUIVYR., VANCAMPENHOUDT
L., Manuel de recherche en sciences sociales,
Paris, Dunod, 1988,272 p.
Epistémologie, méthodologie
BRAIVEG., CAUCHIESJ.M., Dir., La critique historique à l'épreuve. Liber discipulorum Jacques Paquet, Brux., Fac. Univ. St-Louis, 1989,321 p.
COLL.,Spatial processes and spatial time series analysis. Proceedings of the 6"'
Franco-Belgian Meetings of Statisticians (Nov.1985), Brux., Fac. Univ. StLouis, 1987, 232 p.
MARQUES-PEREIRA
B., Méthodologie des sciences politiques, Brux., Pr Univ.de
Bruxelles, 1989,51 p.
PARKERM., Le charme discret de la mathématique du côté des sciences humaines, Brux., Pr. Univ.de Bruxelles, 1987-1988,2 vol (89 et 62 p.), ill.
Associations, colloques, congrès
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
Documentation, bibliographies
D'HERTEFELDM., BOU1TIAUXA.M., Bibliographie de l'Afrique sud-saharienne: sciences humaines et sociales 1981-1983, Tervueren, Musée royal de l'Afrique centrale, 1986, IV, 543 p.
FRAIPONTCHR.,Bibliographie des ans du spectacle: ouvrages en langue française publiés en 1987... ,L.L.N., Cahiers théâtre Louvain, 1989, 124 p.
GROSBOISTH., Inventaire des archives du secrétariat général du Benelux,
Brux., Ciaco/L.L.N., Hist.contemporaine, 1988,218 p.
Bibliographie
sociologique
de Belgique
227
HAINAUX R., Les arts du spectacle. Ouvrages en langue française concernant le
théâtre, la musique, la danse, le mime, les marionnettes, les variétés, le cirque, la radio, la télévision, le cinéma. publiés dans le monde de 1960 à 1985.
Bibliographie, Brux., Labor, 1989,268 p.
PUISSANT J., STELANDRE A., Méthodes bibliographiques et documentaires, 2e
éd., Brux., Pr. Univ.de Bruxelles,
1989, 107 p.
X, Codification numérique des établissements financiers en Belgique, Brux.,
Ass. belge des banques, 1989,20 p.
0.6
Rassemblement des données
COLL., Statistiques économiques belges: séries mensuel/es et trimestriel/es,
L.L.N., V.C.L., I.R.E.S., 1989, 137 p.
PASLEAU S., Les bases de données en sciences humaines: conception et gestion,
Liège, V.L.G., Centre d'informatique documentaire et d'histoire quantitative,
1988,199 p.
X, Belgique: un survol statistique, Brux., Inst.belge d'inform.et de document.,
1988,81 p.
0.7
Traitement des données
DROESBEKE J.-J. (préf.G.LE CALVE), Eléments de statistique, Brux., Ed.de
l'V.L.B., Coll. Statistique et mathématiques appliquées, 1988,448 p.
HERMAN J., Analyse de données qualitatives. 2. Traitement d'enquêtes, modèles
multivariés, Paris, Masson, 1990,238 p.
KESTEMONT M.-P., PoULAIN M., SIMAR L., Statistique descriptive, 3e éd.,
Brux., De Boeck, 1988, 93 p.
PONTIER J., DUFOUR B., NORMAND M., Le modèle euclidien en analyse des
données, Brux., Ed. de l'V.L.B., 1990,444 p.
1
INDIVIDU: COMMUNICATION.
1.1
L'individu
ROLES SOCIAUX· GROUPES D'AGE
McADAMS S., DELIEGE I., Dir., La musique et les sciences cognitives: actes du
symposium Paris, 14-18 mars 1988, Brux./Liège, Mardaga, 1989,649 p.
MELON J., LEKEUCHE PH., 2e éd.revue et corr., Dialectique des pulsions, L.L.N.,
Academia, 1989,271 p.
MEYENS J.-PH., LEMPEREUR A., L'observation en psychologie: compte rendu
d'une journée facultaire scientifique, Brux., Ciaco, 1987, 95 p.
VAN MEERBEECK PH., Dir., Le mal d'être moi: abords pluriels de l' adolescence, Brux. De Boeck univ., 1989,80 p.
1.2
Communications verbales et non verbales
ECO V. (adapt.fr.de Klinkenberg J.M.), Le signe: histoire et analyse d'un concept, Brux., Labor, 1988,220 p.
HELBO A., Sémiologie générale, Brux., Pr. Univ.de Bruxelles, 1989,52 p.
JULIEN N., Le dictionnaire Marabout des symboles, Brux., Marabout, 1989,
448p.
MEYER M., Logique et argumentation rhétorique des passions, Brux., Pr. Univ,
de Bruxelles, 1989, 132 p.
X, Tradition orale et nouveaux médias, HF festival panafricain de cinéma de
Ouagadougou, Brux., Organ.catholique intern. du cinéma, 1989,272 p.
228
Recherches Sociologiques, 1991/l-2
1.3 Psychologie sociale
LEYENS J.-P., Psychologie sociale, 6< éd., Liège/Brux.,
Mardaga, 1988, 194 p.,
ill.
SERON X., LAMBERT J.-L., V AN DER LINDEN M., 2< éd., La modification du
comportement: théorie, pratique, éthique, Liège/Brux., Mardaga, 1988,
384p.
SKINNER B.F., L'analyse expérimentale du comportement: un essai théorique,
tr.de l'américain par M.Richelle, 3< éd., Liège/Brux., Mardaga, 1988,408 p.
VAN RlLLAER J., L'agressivité humaine: approche analytique et existentielle, 2<
éd., Liège/Brux., Mardaga, 1988,272 p.
1.4
Sociologie des médias, l'écrit, l'audiovisuel
BERLEUR M., LOBET-MARIS C., PoULLETY., Evaluation sociale des nouvelles
technologies de l'information et de la communication, Namur, Pr. Univ.de
Namur, 1990,267 p.
BOlTON-MALHERBE S., La protection des journalistes en mission périlleuse
dans les zones de conflit armé, Brux., Bruylant, 1989, XXV+404 p.
BOYENS PH., Le marché du disque compact en Belgique. Les membres de la médiathèque et le disque compact. Enquête, Brux., Méd.de la Comm.fr.de Belgique, 1987, 23 p.
COLL., Les médias dans la Communauté française, Brux., C.R.I.S.P., 1988, 20 p.
FELLER A.M., Dir., Les films d'Europe dans le monde: éléments d'analyse des
problèmes de distribution et de réception, Brux., Org. cathol.intern. du cinéma, 1989, 138 p.
FIASSE TH., Accueil du cinéma néo-réaliste italien en Belgique (1947-1951),
L.L.N., Sybidi/Academia,
1990, 112 p.
HANNICK P., Journaux (1829-1978):
inventaire, Brux., Archives gén. du
Royaume, 1988, 33 p.
JONGEN FR., S1EPHANY P., Audiovisuel. Les révolutions de 89, Brux., C.R.I.S.P.,
1990,173 p.
LAFFINEUR J., GoYENS M., La télématique grand public en Belgique: étude des
questions juridiques, Brux., Story-Scientia, 1989, XI+272 p.
LECLERCQ N., Les arts du spectacle: Belgique, bibliographie des ouvrages en
français publiés en Belgique entre 1960 et 1985 concernant le théâsre.la mu-
sique, le mime, les marionnettes, les spectacles de variétés, le cirque, la radio
et la télévision, le cinéma, Liège, Rech. et formation théâtrales en Wallonie,
1988,115 p.
RINGLET G., Dir., Guide des médias. Les médias passés au scanner: une vision
exhaustive, actuelle et scientifique de l'univers des médias en Belgique,
Deurne, Kluwer, 1989-1990,4 vol., env.2000 p., 4 suppl.annuels.
SARQUES J. J., L'écran magique: les émissions pour enfants et leur impact culturel (Brésil), Brux., Ciaco, 1988,285 p.
X, Liste des principaux journaux à diffusion gratuite, Brux., Cogitum, 1989,
20p.
1.5
Sociologie de l'éducation
BONNET F., DUPONT P., HUGET G., L'école et le management: gestion stratégique d'un établissement scolaire, z=ëd., Brux., De Boeck univ., 1989, 168 p.
DELCOURT J., DELCHAMBRE J.-P., FRANSSEN A., LELEU M., Le décrochage
scolaire, L.L.N., U.C.L., Rapport de recherche, 1989,310 p.
DELCOURT J., PlRDAS J. et al., De l'école à l'entreprise. Nouvelle donne pour la
formation, L.L.N., U.C.L., Inst. des sc. du travail, Dossier 11, 1988,217 p.
FOUREZ G., Eduquer, Brux., De Boeck, 1990, 176 p.
Bibliographie
sociologique
de Belgique
229
QUIVY R., RUQUOY D., V AN CAMPENHOUDTL., Malaise à l'école. Les difficultés de l'action collective, Brux., Fac. Univ. St-Louis, 1989, 166 p.
SPIRLET L., L'étude: échec à l'échec, Brux., L.Spirlet, 1988, 27 p.
X, Une expérience d'enseignement aux adultes, Brux., Info-türk, Ateliers du soleil, 1987, 19 p.
1.6
Sociologie de la famille
COLL., Mediagnostic : medias et famille, Pepinster, Ed. du CAPA V, 1988,50 p.
DUCHENE J., Les familles monoparentales et reconstituées: quelles données
pour une mesure de leur incidence ?, L.L.N., U.C.L., Inst. de démographie,
Brux., Ciaco, 1988,22 p.
LAMESCH A., L'enfant dans la société d' aujourd' hui, Brux., Ed. de l'U.L.B.,
1990,144 p.
MARTIN P. (préf.I. Zwick, postface C. Javeau), Des familles et des enfants: analyse bibliographique et approche méthodologique, Brux., De Boeck, 1988,
175 p.
MEUREEPH., Les rentes alimentaires: cadeau du fisc ?, Brux., De Boeck, 1989,
48p.
DE WILDE D'ESTMAEL E., Séparation: de fait, de corps: divorce, Brux.,
Créadif, 1989,240 p.
1.7
Groupes d'âge
BARTIAUX F., With whom do the elderly live and migrate? A comparison between the United States, Australia and Italy, L.L.N., U.C.L., Inst. de démographie, Brux., Ciaco, 1988, 18 p.
GARCIA A. (Dir.), LELEU M., MOURAUX D., Sécurité et sëcurisation des personnes âgées, L.L.N., U.C.L., Rapport de recherche, 1987, 180 p.
SAUSSEZ E., Vieillissement, vieillesse et retraite, L.L.N., Inst. des sc. du travail,
Cahier n028, 20 p.
X, Les pensionnés en Europe occidentale: développements et positions syndicales, Brux., Inst. syndical européen, 1988, 135 p.
2.
2.0
Ethnologie générale
2.1
Culture
CULTURES
- RELIGIONS
- ARTS - SCIENCE
MACCOLLOUGH F. AND J., Cross-cultural communications: a study guide, SintGenesius-Rode, International Correspondence Institute, 1987,208 p., ill.
·X, Oppression ofKurds and Christian in Turkey, Brux., Info-Türk, 1987,31 p.
2.2
Communautés et groupes culturels
BLOEM D., L' humour juif, rééd., Brux., Marabout, 1989, 128 p.
CHERPION L., Le Pays noir... région en mutation, Gilly, Inter-Gral Wallonie,
1989,136p.
COLONNA F., Timimoun, une civilisation citadine, Liège/Brux., Mardaga, 1989,
123 p.
Dupuy B., DAHAN G., CAZEAUXJ. et al., Juifs et chrétiens: un vis-à-vis permanent, Brux., Fac. Univ. St-Louis, 1988, 190 p.
GAZIAUX J.J., Parler wallon et vie rurale au pays de Jodoigne à partir de
Jauchelette, Louvain, Peeters, 1987,348 p.
GoMES DA SILVA, J.C., L'identité volée: essais d'anthropologie sociale, Brux.,
Ed. de l'U.L.B., 1989, 182 p.
HAVENITH A., Les arabes chrétiens nomades au temps de Mohammed, L.L.N.,
U.c.L., Centre d'histoire des religions, 1988, 154 p.
230
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
KILPA1RICK J.W., Church business: a study guide, Sint-Genesius-Rode,
International Correspondence Institute, 1988,312 p., ill.
LEMAlREJ., Le français et les Belges, Brux., Ed.de l'U.L.B., 1989, 120 p.
LmER M., Les Juifs et la convocation des Etats généraux (1789)1, Paris/Louvain,
Peeters, 1988, XIX+201 p.
PAREE B., BURSSENS P., Charleroi: une ville aux carrefours de l' histoire, Charleroi, Dupuis, 1987, 64 p.
SCHROEDER R., Comment reconnaître les sectes et leurs prophètes, nouv. éd.,
Braine-l'Alleud, Ed. de littérature biblique, 1987, 31 p.
VERDOODT A., Les langues régionales minoritaires des pays membres du Conseil de l'Europe, Québec, Les presses de l'univ. Laval (cliff.en Europe: ESKA,
30 rue de Dornrémy, F 75013 Paris), 1989,647 p.
WITTE E., BAETENS BEARDSMORE H., The interdisciplinary study of urban bilingualism in Brussels, Clevendon, Philadelphia, 1987, 241 p.
2.3
Milieux sociaux, styles de vie
JACOPS M., La vie des bateliers = Schippersleven = Das Leben der Schiffer,
Liège, Marie Jacops, 1988,38 p.
.
VAN DER BlEST J. (Dir.) et al., Les Marolles, 800 ans de lutte: vie d'un quartier
bruxellois, Liège, Ed.du Perron, 1988,206 p.
X, La vie culturelle dans nos provinces à l'époque française, Brux., Crédit communal de Belgique, 1989, 149 p.
2.4
Magie folklore, usages, traditions
ELIE-LEFEBVRE M.N., Ah ! C'est la fête au village: ducasses et kermesses,
Brux., Fond. A.Marinus, 1987,82 p.
ROUCH J., La religion et la magie Songhay, 2e éd., Brux., Ed. de l'U.L.B.,
380 p., ill.
2.5
1989,
Sociologie de la religion
KALISKY R., L'Islam: origine et essor du monde arable, 2e éd., Brux., Marabout, 1989,320 p.
MARX 1., Aspects de l'anticléricalisme du moyen âge à nos jours: hommage à
R. Joly, Coll. Brux.2-3 juin 1988, Brux., Ed. de l'U.L.B., 1988, 197 p.
VIDAL J., Symboles et religions: cours de l'année académique 1986-1987, Ed.
par J.Ries, L.L.N., Centre d'histoire des religions/paris, Inst. de science et de
théologie de religions, 1989, XVII+417 p.
2.6
Mythologie, récits sacrés
GRIGORIEFF V., Les mythologies du monde entier, Brux., Marabout, 1989,384 p.
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24° éd., 1989,414 p.
2.7
Sociologie de la littérature
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Comm. française de la culture de l' Aggl. de Bruxelles, 1989, 22 p.
2.8
Sociologie de l'art
DUCRET A., HEINICH N., VANDER GUCHT D., La mise en scène de l'art contemporain, Brux., Les Eperonniers, 1990, 126 p.
LOZE P., L'art en Belgique: 1920-1940, Brux., Eiffel, 1989, 144 p.
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Brux., Les Eperonniers, 1989, 162 p.
monograpme SOCIOlOgIqueue Bergique
3.
STRUCTURES SOCIALES
3.0
Théorie générale
3.1
:'B l
Stratifications sociales
GERARD 1., Interview historique de l'Abbé Froidure, Brux., Direct social communications, 1987, 160 p.
HOUTART F., De industrialisering van de Derde Wereld en de invloed daarvan
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KERNAGHAN K., Dir., Le changement social, source de conflits de valeurs dans
l'administration publique (confér. de l'A.LE.I.A., Brisbane, 1988), Brux.,
Inst. intern.des sciences administratives, 1988, 135 p.
3.2. Hommes - Femmes
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MENDES DA COSTA Y., MORELLI A. (dir.), Femmes, libertés, laïcité, Brux., Ed.
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et à l'émancipation
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236p.
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144p.
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publique de la Communauté française, 1988, 144 p.
X, Les actions positives enfaveur desfemmes en Europe occidentale, Brux., Inst.
syndical européen, 1989, 109 p.
3.3
Changement social
CAB.DU SECRET. D'ETAT A L'ENVIRONN. ET A L'EMANCIPATION SOCIALE,
3.4
Egalité des chances pour les garçons et les filles lors du choix des études et
de la profession, Min. de la santé publique, 1987, 37 p.
LM.L, European Foundation for Management development,
Technological
change. The management challenge. Summary report on the European conference (June 1987), Brux. Fond. europ.pour le management, 1987,40 p.
Sociologie du développement
VERHELST TH., Des racines pour vivre. Sud-Nord, identités culturelles et développement, Gembloux, Duculot, 1987,216 p.
X, L'Administration générale de la coopération au développement et le développement rural, Brux., Admin. gén. de la coopération au développement, 1988,
64p.
4.
4.0
POPULATION· SANTE· MIGRATIONS· ENVIRONNEMENT
Théorie et recherches démographiques
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232
Recherches Sociotogiques,
1~
1/1-,L.
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tiers monde, Brux., Ciaco, 1988, 125 p.
T ABUTIND., AKOTO ELIWO MANDJALE,Inégalités socio-ëconomiques en matière de mortalité en Afrique au sud du Sahara, L.L.N., V.C.L., Inst. de démographie, Brux; Ciaco, 1987, 45 p.
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problèmes et perspectives, L.L.N., V.C.L., Inst. de démographie/Brux., Ciaco,
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4.1 Sociologie de la santé
FRASELLE N., Dir., La consommation médicale en Belgique. Evaluation des
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MASSART-PIERRARDF., L'Europe de la santé: hasard ou nécessité ... , L.L.N.,
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MASSART-PIERRARD F., L'Europe du médicament en 1992 et après ?, L.L.N.,
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VNIVERSITE DE FEMMES,Femmes et santé: recueil d'analyses et de données
chiffrées, Brux., Vniv.des femmes, 1988, 170 p.
VAN CASTERENV., DELEU Y., LION J., La morbidité en Belgique en 1985-86 :
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4.2 Sociologie des migrations
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Bibliographie
sociologique
de Belgique
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ZEGUENDI K., Bruxelles autrement: gros plan sur la communauté marocaine de
la capitale de ['Europe, Brux., Ligue des familles, 1989, 116 p.
4.3
Géographie humaine, écologie, habitat
CHAPAUX A., L' homme de la rue : ses notes pour ['histoire, Bouffioulx, A. Chapaux, 1987,64 p.
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4.4
Sociologie urbaine, sociologie rurale
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4.5
Sociologie des transports et des communications
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1987,95 p.
5
CADRE NORMATIF
5.0
Valeurs et normes
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SCHOOYANS M., L'avortement: enjeux politiques, Québec, Ed. du Préambule,
5.1
Anthropologie sociale
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5.2
1988,24 p.
Sociologie du droit
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VAN DE KERCHOVE M., Le droit sans peines. Aspects de la dépénalisation en
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5.3
Négociations, contrats
VERHEYDEN T., Les contrats de travail en rapport avec le notariat " commentaire des dispositions de la loi du 3 juillet 1978, Mise à jour I" sept.1988,
Brux., Larcier, 1989,463 p.
X, Négociations collectives en Europe occidentale en 1988 et perspectives pour
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5.4
Cadres institutionnels
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MASSART-PIERRARD F., ROOSENS CL., Dir., Francophonie, C.E.E. et droits
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1990,225 p.
5.5
Anomies et déviances
DIGNEFFE F., Ethique et délinquance: la délinquance comme gestion de sa vie,
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FAUVll.LE A., Homme impuissant, puissant violeur, Brux., Story-Scientia, 1987,
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Brux., Bruylant,
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5.6
Sociologie criminelle
6
FONCTIONNEMENTS POLmQUES
6.0
Sociologie politique
COLL., Complexe Belgique, Cahier n0130, Namur, CACEF, 1987,60 p.
6.1 Etats
ANDERSEN R., BROUHNS G., DELPEREE et al., La région de Bruxelles-capitale,
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6.2 Administration, bureaucratie
BARBEAUX M., BEUMIER M., Administration, parastataux et réforme de l'Etat,
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de la Paix, Centre de droit régional, 1989,
131 p.
CEREXHE E., COOLS A., Les intercommunales, Actes du colloque du 18 nov.
1988, Namur, Fac.de droit/Brux, La Charte, 1989, 179 p.
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6.3 Sociologie militaire
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OHLSON TH., BRZOSKA M., La production d'armes dans le Tiers-Monde, Brux.,
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6.4 Relations internationales
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Bibliographie
7.
FONCTIONNEMENTS ECONOMiQUES
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7.1
Entreprises:
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DEBERGH R., Evolution des résuliats d'exploitation dans l'agriculture belge de
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DE STAERCKE, CARBONELLECL., Un combat pour l'entreprise, Gembloux, Duculot, 1987, 128 p.
DUM()ULIN M., Hommes d'affaires et financiers italiens en Belgique au XIX' et
XX' siècles, L.L.N., SybidilAcademia, 1989,24 p.
EVERAERT H., La différenciation des exploitations agricoles,' une analyse structurelle des types d'exploitation en agriculture, Brux., Min. de l'agriculture,
Inst. éconon.agricole, 1988, 70 p.
GILLES D., La production domestique des ménages belges, Brux., Centre de
rech.et d'information des organisations de consommateurs, 1987, 100 p.
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LEYSEN A., Le rêve et /'action, Gembloux, Duculot, 1987, 200 p.
SAVAGE R., Structures productives et performances économiques,' une relecture
"dualiste" de la crise belge, L.L.N., U.C.L., I.R.E.S., 1988,69 p.
V AN DEN HOVE D., FAYNSZTEIN D., Elaboration d'un modèle d'analyse des
conditions organisationnelles et culturelles des innovations technologiques
dans les P.M.E., Brux., Programm. de la politique scientifique, 1988, 109 p.
VINCENT A., Les groupes d'entreprises en Belgique. Le domaine des principaux
groupes privés, Brux., C.R.I.S.P., 1990,407 p.
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X, La rentabilité de l' exploitation agricole en 1987-1988, Brux., Min.de l'agriculture, Inst. éconon.agricole, 1989,61 p.
X, Les entreprises belges,' ce qu'elles font, leur organisation professionnelle,
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7.3
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économiques,
sociologique
de Belgique
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8.1
Population
active, population
non active
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240
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Sociologie des loisirs
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9.2
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243
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de Bruxelles, Liège et Louvain
Année 1989-1990 1
UNIVERSITELIBRE DE BRUXELLES
Genard J.-L, Essai de réexamen de la sociologie morale.
Lubana Ngiyene Amena, L'organisation de la société paysanne et la situation du
mouvement associatif coopératif dans le tiers monde. L'interface entre les associations rurales à fonctions multiples et les associations urbaines de consommation comme moyen de lutte contre la misère rurale et urbaine. Le cas du BasZaïre.
Romero M.- C., La structure agraire costaricienne dans le contexte de la politique
néo-libérale: actualité et perspectives.
Bibl. des Sciences humaines de l'U.L.B.
avenue F.Roosevelt 50, 1050 Bruxelles
TéI.02/642 .40 .92
UNIVERSITEDE LIEGE: néant
UNIVERSITECATIIOLIQUEDE LoUVAIN
Hodson D." Les villageois ou «rien n'est jamais 'égal ailleurs' ».
Foucart J.-M., La pratique de l'éducateur social spécialisé - D'une transaction crisique à sa transfiguration symbolique.
Nguyen-Nam Tien, Significations et enjeux d'un champ socio-sanitaire émergeant.
L'éducation pour la santé dans la Communauté française de Belgique.
Vega Centeno I., La mistica en la politica : el caso del aprismo popular en el Peru .
. Bibliothèque ESPO
Place Montesquieu 1
1348 Louvain-La-Neuve
Tél. 010/47.42 .34
I Ces thèses, publiées, sont déposées dans les bibliothèques des universités respectives. Les adresses où
peuvent être consultés les ouvrages figurent à la suite des publications.
Réseau - LLN
Hssociotion
des sociologues
de l'U.LL.
est d'abord un lien entre des sociologues ancrés dans des
univers professionnels différents
est encore un lieu où peuvent converger des idées, naître
des discussions, se concrétiser des projets
est enfin un milieu,
l'extérieur
un point de contact ouvert sur
Réseau-LLN se présente comme une structure formelle,
mais aussi comme un espace dynamique. A son actif,
entre autres, un périodique trimestriel, l'organisation de
débats, une banque d'adresses ...
Pour tout
renseignement
Réseou - LLN
Morie Welsch
PI. Montesquieu
1/10
B 1348 Lnuualn-Ia-Neuue
Tél. 32 1047.42.23
245
Livres reçus
*
Compte rendu dans le présent recueil
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Bourdieu P., Passeron J.C., Reproduction in Education, Society and Culture,
2" éd., tr.fr.R.Nice, London, Sage, 1990,254 p.
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247
English Summaries
J.Delcourt, The social problems in a risk-society
This first contribution sees itself as an introduction to the sociology and phenomenology of social problems as well as to the articles of this number. While dwelling
on the complementary strengths and weaknesses of objectivist and subjectivist
approaches, it seeks to go beyond them. Social problems can arise as much from the
recognition of the social order as from its contestation and transformation. But they
depend as well on risks and their perception, on the judgments actors make relative to
the threat they represent, to their prevention or remedies. Without questioning the
importance of other analytical viewpoints on social problems in terms of handicaps,
social pathology, deviance (delinquency or dissidence) or social disorganization, this
article underlines the usefulness of a dynamic undestanding of the issues involved
from the angle of social risk - for developped societies being full of risks are also
insuring societies built around forms of global solidarity.
M.Hubert, The constructivist approach applied to the sociology
of social problems: contributions to the debate
The debate between objectivist and constructivist approaches is at the heart of the
problem of knowing and in one way or another affects all scientific disciplines. This
issue has surfaced of late, especially in America, in the sociologicial field concerned
with social problems. The author resumes this debate and shows how, polemics apart,
it touches upon the status of "facts" and "objective conditions" in the sociological
analysis - especially there where these facts of extrasocial origin.
J.Marquet, Handicap and therapeutic abortion. An impossible
integration
In his book Societies and Infirm Bodies published in 1982, H.-J. Stiker has it that the
"social imaginary" of industrial society leans in particular towards the integration of
the handicapped. However some theories and practice of abortion, of medically
assisted reproduction and of genetic manipulation would seem "toquestion his thesis in
that they appear to answer more to a logic of exclusion than of integration. This article
reflects upon the articulation between theses seemingly contradictory logics.
248
Recherches Sociologiques, 1991/1-2
M.Leleu, M.Welsch, Leisure as an event, as a revealing factor
relative to the identity, the recognition and the social
representation of the handicapped
The time/space of leisure is treated here as a revealing factor towards a deeper understanding of the relationships between the handicapped and the normal, An examination
of the social and structural conditions of the handicappeds' existence leads to a clearer
notion of what is to be understood by identity and social representation. After
proposing a point of view on the meaning of integration, leisure is related to social
time which till now has been preeminently linked with work and articulated around
such evolving values as : self-affirmation, fulfillment, self-realization, hedonistic
investment in the body, narcistic cult of the self. Leisure is a social fact, a means of
identification, an integral part of daily life. It is an event, a happening, at once a source
of commemorative meaning and an informal area of pleasure. In a concluding section,
the meaning of leisure for the handicapped is outlined thanks to a questioning of how
they manage their leisure pursuits and activities: how in fact can be an actor if one is
not effectively in charge of the project?
J.- P. Delchambre, The social construction of school drop outs
As with other social problems, school drop outs are the object of social construction
which influences the freedom to perceive the objective features of the issue. The social
transaction responsable for the present undestanding of this matter is here outlined.
Having examined some of the reasons why the public's attention is drawn to the
phenomenon, two levels in the processus of construction can be distinguished: the
transaction within the schoool (the image of drop outs articulated by actors within the
school system) and without (public criticism of lengthening stay at school or of
arbitrary practices on the part of actors within school system). These two levels are
related in a concluding section especially from the angle of the reaction of actors
within the school system to broader public criticism.
J.- L. Guyot, Institutional and organizational problems: a case
study of perspectives amongst university populations
This paper based on two enquiries into enrollment forecasts proposes a typology of
problems with social dimensions and the interventions they lead to. This typology is
built taking into account the nature and rationality of the social actors involved in these
problems.
J.Verly, Work precarity and social protection
This paper aims at explaining the links between on the one hand the spreading of
social welfare and labour contracts and on the other the development of atypical
contracts. This study is part relevant to Belgium of a comparative european
undertaking. During the eighties especially this kind of contract increased at the same
time as employment decreased. The relation between atypical contracts and job
precarity is underlined together with their association with discrimination in social
allowances.
249
E.Saussez, A social policy : retirement
This article addresses itself to the evolution in the withdrawal from active life on the
part of elderly workers and its impact on society. In industrial societies this withdrawal
has increasingly taken the form of retirement. With the oncoming of economic crisis,
retirement has often been anticipated by pre-retirement measures. This evolution has
and will have consequences both on the actual and future financing of social security,
relationships between the generations and changing content of ageing.
A.Franssen, On the legitimacy of the Welfare State: crisis and
change
This essay seeks to discuss the legitimacy of social policies from the angle of cultural
change. In industrial society and the social-democratic state, social securityemerged
with historical meaning and reflects a series of social images which enjoy cultural and
ideologicallegitimacy. At present one can ask what are the normative frameworks and
the legitimated systems operative in the relationships between individuals and social
solidarity. This paper distinguishes on the one hand crisis scenarios caracterized by an
increasing demand for social protection on the part of groups marginalised by change
and on the other the impact on social solidarity of cultural change centred on the
ascendancy of the individual. This second scenario leads the author to speak of a
redefinition of the social contract involving the discussion of cultural issues around
which a nomber of presently prevailing social conflicts have crystallized.
RECHERCHE SOCIALE*
N° 115, juillet-septembre
1990
SOMMAIRE
DEVENIR DE L'ESPACE RURAL FRANÇAIS
Conséquences de l'achèvement du marché intérieur et de l'évolution
prévisible de la politique agricole commune sur les déséquilibres régionaux
en France
par Jacqueline MENGIN, Elizabeth AUCLAIR
et Roger BENJAMIN
Introduction
.
1. Eléments de problématique
.
2. Typologie des petites régions rurales
.
3. Etudes de cas
.
4. Conséquences de l'ouverture du grand marché intérieur européen sur le devenir des espaces ruraux . . . . . .
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . .
. .. . .. .
3
5
15
23
28
51
***
Philippe ROSE : La longue marche vers l'Europe sociale
Jocelyne SIMBILLE : Le R.M.I. : question périphérique ou question centrale pour la décentralisation
*
* *
55
Notes bibliographiques
.
Serge MILANO: Le revenu minimum garanti dans
(Ph. ROSE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jean-Pierre DURAND, Robert WEIL: Sociologie
raine (F. ABALLEA)
Abstracts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
64
la C.E.E.
. .. .. . .
contempo. .. . .. .
58
64
67
72
• La revue Recherche Sociale est publiée depuis 1965 par la FORS (Fondation pour
la Recherche Sociale), 14, rue Saint-Benoît, 75006 Paris.
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Volume XXI, no 4, Décembre
Directeur: Gérard HERVOUET.
Directeur adjoint: Thierry HENTSCH.
1990
Secrétaire de rédaction:
Claude BASSET
NUMÉRO SPÉCIAL DU XX·moANNIVERSAIRE D'ÉTUDES INTERNATIONALES
sous
LA DIRECTION
DE GÉRARD
MONDE:
Thierry HENTSCH et
Gérard HERVOUET
Robert W. COX
Kal J. HOLSTI
Bernard WOOD
B. G. RAMCHARAN
Serge LA TOUCHE
Louis BAL THAZAR
Marie LA VIGNE
François-Georges
DREYFUS
Miklos MOLNAR
HERVOUET
ET THIERRY
HENTSCH
PROCHAIN ÉPISODE
Fin de siècle:
cadrage
Dialectique
Points de repère et premier
de l'économie-monde
en fin de siècle
L'État et l'état de guerre
Réflexions sur les orientations
du développement
futures
Stratégies pour la protection des droits de l'Homme
au niveau international dans les années 90
L'irruption des identités et le retour des aspirations
communautaires
Leadership
américaine
ou partnership?
La nouvelle politique
L'URSS dans le nouveau système international
L'Europe et la question Allemande
Vieux démons et jeunes démocraties - l'horizon
de l'an 2000 en Europe de l'Est: le cas Hongrois
ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE:
Lawrence T. WOODS
CHRONIQUE
Le Canada: un partenaire
désintéressé ou réticent?
DES RELATIONS
EXTÉRIEURES
pour le Pacifique
DU CANADA ET DU QUÉBEC
DIRECTION
ET RÉDACTION:
Centre québécois de relations internationales, Faculté des
sciences sociales, Université Laval, Québec, Qué., Canada G 1K 7P4, tél: (418)
656-2462, télécopieur: (418)656-3634.
SERVICEDESABONNEMENTS:
Les demandes d'abonnement, le paiement et toute correspondance relative à ce service doivent être adressés au Centre québécois de relations
internationales, Faculté des sciences sociales, Université Laval, Québec, Qué.,
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Quatre numéros par an
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46e année
Numéro 12, Tome XCII
Décembre 1990
Enseignement
La crise reste ouverte
R.N.
Paul Géradin
Le véritable déficit
«Dans l'enseignement,
c'est le réveil de la parole»
Témoignage
Les revendications des enseignants
et l'intérêt général
Christian MaroL
L'école et l'interculturalisme
Albert Bastenier
Politiques
La soviétologie en crise
Nicaragua. La nonnalisation tragique
Social. Le travail est de retour
International
Rwanda, miroir brisé
La panne rwandaise
Anne Peeters et
Jean-Claude Willame
Jean-Claude Willame
La rose des vents Société. Savoir se vendre
Liban. Des femmes, dans leur pays
Ethnologie. Aborigène
Pour Maurice Chaumont
Idées-culture
Le sujet de la psychanalyse
Jean Florence
Nina Berberova
Joëlle Kwaschin et
un siècle dans une vie
Philippe Brou
Bibliographie
Artel s.c. Chaussée de Gand 14, 1080 Bruxelles
Tél. 32-2-425.43.62 - CCP 000-1297008-21 - BBL 310-0758300-40
Abonnements 1990 (12 numéros) :
Belgique 1850 FB - Canada CS 90 - U.S.A. US S 75
Notice à l'intention des auteurs
En vue de facilitez l'impression et d'assurer l'uniformité de la présentation,
nous demandons instamment aux auteurs de se conformer aux usages
suivants :
• Les manuscrits seront dactylographiés en double interligne, sans rature.
Ils seront fomnis en trois exemplaires, accompagnés d'un résumé français
de 15lignes et d'un résumé anglais de 5lignes ;
• les notes seront dactylographiées sur des feuilles distinctes du corpsdu
texte ;
• les renvois bibliographiques se feront dans le corps du texte, et non dans
les notes. Ils se feront par indication du nom de l'auteur, suivie de l'année
de publication et de la page de référence, le tout inclus dans des
parenthèses comme suit: ... (Dumon, 1977 :10). Les écrits d'un même
auteur parus la même année seront distingués par des lettres minuscules (1977a, 1977b ...) ;
• une bibliographie, par ordre alphabétique d'auteurs, accompagnera l'article. Les titres d'ouvrages et de revues seront soulignés, l'année de parution, la ville et l'éditeur seront mentionnés selon le modèle suivant:
BATESONG.,
1977 Vers une écoloiÏe de l'esprit Paris, Seuil.
FERGUSON C.,
1959 "Diglossia",~
15, pp.325-340.
GRALLX.,
1977 Le cheval couché, Paris, Hachette.
• Le texte, rédigé dans un français correct et clair, devra être structuré
comme suit :
Titre, suivi du nom de l'auteur
- I (romains) pour les grands points
- A. pour les subdivisions des grands points
- l.pour les nouvelles subdivisions
- a pour les sous-subdivisions
N.B. Les auteurs peuvent nous/aire parvenir en même temps que leur texte
la disquette sur laquelle il est enregistri. Macintosh ou PC. logiciel word 3.
Nous pré/irons un texte brut ou du moins sans/euille de style.
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Les ankles doivent ftre InHlts
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1988/2-3
1988/1
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1987/2
1987/1
1986/3
1986/1
1985/3
1985/2
1984/2-3
1984/1
1982/3
Phénoménologie des problèmes sociaux
Vers un nouveau modèle de communication ?
Acteurs et stratégies dans le champ de la formaDe l'utopie
Sociologie rurale, sociologie du rural ?
Sociologie de l'expérience esthétique
Sociologie de l'art
Sociologie politique: des pouvoirs au pouvoir
La méthodologie en sociologie
Les religions populaires
De la recherche locale à la décision politique
Les formes de la socialisation scolaire
Sociologie de la vie quotidienne
La Belgique et ses dieux
Les méthodes en sociologie
Identité ethnique et culturelle
Sociologie de l'éducation
Vers une nouvelle définition du travail social
Le numéro 400 Irs b., double 600 frs b. +port
L'abonnement (3 numéros/an) 1.100 Irs b. + port
Collections complètes
Editeur: Recherches Sociologiques
Collège Jacques Leclercq
Place Montesquieu 1/10
1348 Louvain-La-Neuve