1 Le statut de l`embryon 09 /2013 Jean VILANOVA – Juriste jean

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1 Le statut de l`embryon 09 /2013 Jean VILANOVA – Juriste jean
Le statut de l’embryon
09 /2013
Jean VILANOVA – Juriste
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La loi n° 2013-715 du 6 /08 /2013 relative à la bioéthique autorise, sous certaines conditions, la recherche sur l’embryon et les cellules souches
embryonnaires. Pour autant, laudateurs et contempteurs du texte se fourvoient en lui conférant une force qu’il n’a certainement pas. L’évolution – ne
parlons pas « d’avancée » mot à connotation trop orientée – s’avère modeste en effet par rapport aux dispositions préexistantes. La recherche qui était
interdite avec néanmoins des possibilités de dérogation devient désormais autorisée moyennant un encadrement. Mais le débat est ailleurs. La recherche sur
l’embryon ? Soit. Toutefois, qu’est-ce-qu’un embryon ? Un amas cellulaire, un matériau non banal, une personne potentielle ? Question éthique complexe
actuellement sans réponse…
1. L’embryon : être ou ne pas être…
Surprise, pour une fois le droit, matière hégémonique par excellence ne se prononce pas ! Il renvoie le statut de l’embryon à la conscience de chacun. Pour
autant cette prudence semble vaine, illusoire. Le législateur et les magistrats sont en effet, par nécessité, amenés à se prononcer. Et, en la matière, les
contradictions sont nombreuses.
a. Reprenons l’exemple de la loi du 6 /08 /2013.
Elle pose, nous l’avons vu des conditions admises dans le cadre de la recherche sur l’embryon… sans définir son statut. Est-il une personne ou non ?
- S’il est une personne, la recherche doit faire l’objet d’un strict encadrement, absent du texte dans la mesure où cet embryon est sacrifié sur l’autel de la
recherche.
- A contrario, si l’embryon n’est pas une personne, pourquoi tant de mesures restrictives, tant de précautions qui n’auront pour effet que de freiner la
recherche ?
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b. La jurisprudence n’apparaît pas davantage exempte d’incohérence.
Une femme enceinte, piétonne est renversée par un automobiliste ivre. Elle perd l’enfant qu’elle portait des suites de l’accident et décide de poursuivre
l’automobiliste pour délit d’homicide involontaire. Pour la Cour de cassation, un tel délit ne saurait être attribué à l’auteur du dommage, ce qui revient à
dire que l’enfant mort-né n’avait pas qualité de personne. (Cass. Ass. Plén., pourvoi n° 99-85973, 29 /06 /2001)
La Haute juridiction réalise une sorte de volte-face quand, un peu plus tard, elle consacre l’établissement d’un acte d’enfant sans vie, avec nom, prénom
et inscription au livret de famille pour un fœtus de 400 grammes, mort-né après 21 semaines d’aménorrhée. (Cass. Ass. Plén., 6 /02 /2008)
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c. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme…
Elle ne nous éclaire pas davantage ! Selon elle, il appartient à chaque Etat membre de se doter de sa propre définition de la personne. En d’autres termes,
un embryon peut avoir ici statut de personne et non pas là.
2. Ni chose, ni personne
Le droit français garde de son lointain ancêtre le droit romain le sens de la summa divisio, la division suprême. Ce qui relevait jadis de la division entre
hommes libres et esclaves est devenu division entre droit public et droit privé, bien meubles et immeubles, personnes et choses, etc.
Or, si aujourd’hui l’embryon n’est pas une chose (objet de droit), il n’en est pas davantage une personne (sujet de droit) car pour accéder à ce statut, ladite
personne doit être « née vivante et viable ».
Dès lors, il faut chercher ailleurs. Du côté d’un « matériau non banal » ?... D’une « personne potentielle » ?
a. Un matériau non banal
On doit à un parlementaire impliqué dans les débats antérieurs au rendu de la loi cette formulation curieuse, hélas souvent reprise. Mettons là sur le
compte des ravages de la novlangue du moment. Car « matériau non banal », cela ne signifie rien. Un matériau ne peut être banal, ou l’inverse dans la
mesure où il reste en soi toujours sans valeur. C’est son usage qui lui confère une valeur plus ou moins importante. Qui plus est, sans prendre le moins du
monde part au débat sur « le commencement de la vie » on peut admettre que d’aucuns puissent être choqués tant la formulation déshumanise et,
paradoxe ultime (les ravages de la novlangue écrivions-nous !), banalise, pour le coup, l’embryon, le ramenant au rang de matériau.
b. Une personne potentielle
A l’origine, cette désignation provient d’un avis formulé en 1984 par le Conseil Consultatif National d’Ethique. Elle traduit bien la difficulté (l’impossibilité ?)
d’inscrire l’embryon dans un contour juridique clair. Elle n’en constitue pas moins une sorte de modus vivendi entre les parties impliquées dans les débats.
Mais la notion de personne potentielle n’est pas aussi neutre que d’aucuns ont pu l’espérer. Si la personne potentielle en effet ne peut prétendre au statut
de personne aboutie (née vivante et viable), la formulation incite néanmoins au respect et à la prudence. Et selon quels critères ou en quelles circonstances,
passera-t-on de potentialité à aboutissement ?
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3. Quid de la loi L’IVG ?
Même si la loi de 1975 sur l’IVG est désormais généralement admise dans la société française, la question de l’IVG effleure toujours dans les débats sur le
statut de l’embryon. Un raison de droit à cela, l’article 16 du code civil qui stipule que… « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la
dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie. »
Quand la vie commence-t-elle ?
Du point de vue de la biologie, la vie commence dès après la fécondation, lorsque l’embryon est doté d’un patrimoine génétique individuel et dispose de la
capacité à se développer. Les autorités religieuses notamment partent de ce constat pour affirmer que l’embryon est alors une personne.
Tout au contraire, le droit et les juges tendraient à considérer que c’est la naissance, à la condition de naître vivant et viable qui confère le statut de
personne.
Quoi qu’il en soit, le droit n’est pas un long fleuve tranquille. Des dispositions parfaitement admises et codifiées peuvent s’avérer transgressives par rapport
à d’autres dispositions tout aussi admises et codifiées. Et c’est le cas de la loi sur l’IVG.
Celle-ci participe d’ailleurs de l’ambigüité du débat sur le statut de l’embryon. En effet, le texte se présente comme une exception à l’article 16 du code civil.
Or, si l’on proclame que la vie doit être protégée et que, par ailleurs, l’on prévoit des exceptions à ce principe, les contours du statut de l’embryon
demeurent flous.
En conclusion
Selon nous, la recherche du consensus sur le statut de l’embryon ne mènera jamais nulle part. Car une fois ce consensus trouvé – on en est bien loin
aujourd’hui – la question demeurera posée. Le statut de « personne potentielle » était une piste intéressante mais dont on a vite perçu les limites. Plus
hardiment, il conviendrait de dire ce qu’est précisément un embryon. Mais cela est-il possible ? Cette question – cette énigme – n’échappe-t-elle pas à l’être
humain lui-même, dans le regard qu’il porte sur la vie, son commencement et sa fin ? Nous le pensons.
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Dès lors il faut tendre vers l’humilité et s’accorder sur des dispositions humanistes comme, parmi bien d’autres, l’indisponibilité de l’embryon ou le rejet de
toute commercialisation. Il y a là matière à une action de haute noblesse, action d’ailleurs à l’œuvre aujourd’hui et il faut s’en féliciter.
Ce qui doit bien entendu s’accompagner d’une veille sur le respect scrupuleux des principes de respect et de dignité négociés dans le cadre de cette
construction éthique. Car à défaut, chacun le subodore, tous les dérapages en la matière restent possibles
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