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AU LYCÉE
Lycéens et apprentis au cinéma
Auteur
Jean-Carl Feldis
Date
2011
Descriptif
MUSIQUE ET CINÉMA
Synthèse de la formation thématique : « le rapport musique et cinéma » par Jean-Carl Feldis, compositeur pour l'image, le
13 janvier 2011 au lycée Jean Racine à Montdidier.
Cette formation a eu lieu le 13 janvier 2011 au lycée Jean Racine à Montdidier. Le formateur, Jean-Carl Feldis,
musicien, compositeur et bruiteur, propose ici, au travers divers exemples tirés des films au programme et de
l’histoire du cinéma, sa vision sur les liens entre l’image et les sons.
Suite à l'invitation de l'Acap à rencontrer des enseignants qui font partie du dispositif « Lycéens et apprentis au cinéma »,
nous avons abordé le rapport musique/image. J'ai commencé par rappeler que la musique existe depuis bien plus
longtemps que le cinéma et qu'elle n'a jamais eu besoin d'images pour nous raconter des histoires.
Celle-ci a le pouvoir, comme celui du « parfum », de nous évoquer un souvenir, une situation précise dans notre vie. Dès
que l'on entend telle mélodie ou tel son, ceux-ci nous projettent immédiatement dans le passé lié à une image plus ou
moins forte et très personnelle à chacun.
La musique nous évoque donc des images.
Les images nous évoquent-elles une musique ?
Rappel des définitions des principaux termes employés pour expliciter le rapport image/univers sonore.
Le soutien correspond au niveau le plus « direct » du rapport entre musique et image : la musique renforce ce qui est
apparent.
L'approfondissement permet de faire apparaître des éléments qui n'auraient pas été visibles autrement : pensées,
sentiments, etc.
Le recul correspond aux moments où la musique a tendance à « mettre à distance » le spectateur par rapport aux images
qu'il regarde.
Le contrepoint correspond aux situations où la musique semble, à différents degrés, incongrue par rapport aux images.
La composition d'une musique de film devrait commencer idéalement par une histoire entre le réalisateur et le
compositeur. Il faut diriger son musicien, c'est-à-dire à la fois le connaître parfaitement et savoir ce que l'on attend de lui.
C'est pour cela que l'on parle souvent de « couple » entre le réalisateur et le compositeur.
Quelques exemples célèbres :
Sergio Leone / Ennio Morricone
Jaques Demy / Michel Legrand
Claude Sautet / Philippe Sarde
1/4
Claude Lelouch / Francis Lai
Jean-Luc Godard / Georges Delerue
Steven Spielberg / John Williams
Alfred Hitchkock / Bernard Hermann
Luc Besson / Eric Serra
Tim Burton / Danny Elfman
La musique est mathématique. Le compositeur sait à l'avance que telle note avec telle autre sonnera parfaitement juste et
que tel ensemble de notes peut évoquer la joie, la tristesse, le suspens… Bien sûr et heureusement, le talent n'est pas
écrit dans les livres de musique, cela reste au bon goût du compositeur.
D'après moi, il faut être vigilant et ne pas tomber dans le « systématique ». Un compositeur doit tenter de ne pas avoir trop
d'habitudes. Tout doit être comme une première fois pour chaque nouveau film, pour chaque nouvelle composition.
La musique contemporaine a beaucoup influencé la musique de film sur la dissonance, le bruit, l'ambiance. Le compositeur
a moins de codes dits « classiques » et doit chercher différemment sa musique.
J'ai pris pour exemple le film 2001 Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick : composition déjà existante de Strauss,
György Ligeti etc. Après avoir coupé le son d'une séquence, (celle du cosmonaute qui essaie de stopper l'ordinateur de
bord à la fin), j'ai fait une démonstration de musique dite « préparée ». J'ai donc pris une guitare électrique avec laquelle
j'ai associé différents accessoires : baguette chinoise, une télécommande, une petite radio. Tous ces éléments interféraient
dans les micros de la guitare et nous donnaient une ambiance musicale très particulière et surtout très personnelle qui
fonctionnait plutôt bien avec le film. Tout ceci à été interprété en direct par des enseignants non musiciens.
Je vous invite à voir et à écouter les travaux du célèbre compositeur, poète et plasticien américain John Cage né le 5
septembre 1912 à Los Angeles et décédé le 12 août 1992 à New York.
J'ai ensuite sélectionné une scène du film Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy : la scène du magasin de
musique avec Solange et Simon (time code : 00:34:00).
Il n'y a pas de musique dans cette scène, seulement à la fin où Solange fait écouter son concerto de piano à Simon, une
très belle mélodie de Michel Legrand. J'ai fait ce choix car ce passage me paraissait intéressant musicalement (et surtout
sans chanson). Dans le magasin, les clientes sont des religieuses. J'ai alors laissé les dialogues de la séquence du film,
puis j'ai composé une musique en direct avec un son d'orgue d'église. Cela en devenait burlesque et donnait une
importance aux religieuses qui n'a certainement pas lieu d'être (sauf un choix du réalisateur à donner une identité sonore à
un personnage).
Toujours dans cette séquence, Solange entre dans le magasin alors que les religieuses en sortent. Un dialogue très
« théâtral » entre Solange et Simon s'installe. J'ai alors composé une mélodie très lyrique au piano pendant les dialogues,
ce qui apportait un ton de nostalgie entre les comédiens. La scène aurait pu finir avec cette même mélodie jouée en direct
par Solange au piano.
Durant toute la scène, une musique d'ambiance aurait pu fonctionner également. Une musique de fond que l'on peut
entendre dans un magasin. J'ai alors enregistré une radio que j'ai diffusée durant toute la séquence en faisant bien
attention de ne pas prendre une radio trop moderne pour une histoire de cohérence avec l'époque.
Les trois essais démontrent l'importance du dialogue entre le compositeur et le réalisateur. Ces trois propositions sonores
nous donnaient une séquence « image/son » très différente pour le spectateur.
J'ai sélectionné un extrait dans La Famille Tenenbaum de Wes Anderson : la scène du suicide (time code: 01:08:00).
J'ai enlevé la bande son de la séquence pour pouvoir raconter autre chose car il y a déjà de la musique (pop rock). La
première proposition a été de mettre des percussions classiques durant toute la scène. Une caisse claire et des tambours.
Ce genre de son nous emmène de suite dans notre mémoire auditive. Entendre des roulements de tambour, cela évoque
une mise à mort : la guillotine sur les places de village que l'on a pu entendre dans certains films. Des roulements militaires
2/4
entrecoupés de silences. Cela donnait une tension peut-être trop funèbre et trop classique pour la scène de ce film.
J'ai ensuite proposé une composition beaucoup plus mélodique avec des violons. Une mélodie répétitive dans les sons
aigus et des sons graves qui se déplaçaient harmoniquement. Cela nous a apporté une composition plus cohérente avec
l'image comme si le personnage nous racontait son geste. La musique, pour le coup, adoucissait énormément la violence
de la scène.
Le rythme est un élément très important dans la musique : il permet d'évoquer la rapidité, la lenteur. Mais il existe
beaucoup de musiques sans rythme. Il n'est pas indispensable.
Je pouvais également proposer un son très simple : le battement d'un cœur. C'est un son qui revient très souvent dans des
films car celui-ci nous renvoie dans l'organisme humain. Le sentiment du silence, de la fragilité et de l'isolement ou le
ressenti du personnage (la peur, le calme). Il peut également rassurer le spectateur par rapport à la violence de l'image
qu'il regarde.
J'ai sélectionné deux scènes du film Freaks de Tod Browning :
Scène du repas (time code: 00:37:00).
Cette scène n'a pas de musique rajoutée comme dans presque tout le film. La seule musique que l'on entend est celle des
convives au repas (fête, alcools, musiciens). Le choix du réalisateur est très judicieux car il y a déjà un visuel très fort avec
une bande son présente (bruitage, voix, ambiance) et la présence de Cléopatra qui montre son vraie visage. Rajouter une
musique aurait été certainement de trop.
Scène de la vengeance sur Cléopatra (time code: 00:56:00).
Cette scène redoutable n'a toujours pas de musique car la bande son est toujours très présente et très musicale (la pluie,
les cris). J'ai volontairement coupé le son du film et joué de piano, comme à l'époque du muet avec le ciné-concert.
L'association piano/film muet noir et blanc comme Chaplin, Keaton, fonctionne toujours très bien. Le piano comme choix
d'instrument est intemporel.
Après avoir recommencé cette fois ci avec le son du film, cela paraissait très chargé pour l'auditeur. Cela n'apportait pas
grand chose finalement à la séquence. La musique n'est donc pas toujours indispensable pour ressentir une émotion forte
au cinéma. Les sons d'ambiance, les bruitages et les dialogues peuvent être déjà très riches et très mélodiques dans un
film.
Pour moi, le cinéma est tout d'abord une lumière. Cette lumière évoque une couleur sonore : un film de 1933 n'a pas le
même son qu'un film de 1970 / 1990 / 2000. Si les instruments et l'orchestration de musique classique sont si souvent
utilisés dans la musique de film, c'est qu'ils ont une couleur sonore « intemporelle ». Ce qui peut rassurer le compositeur,
le réalisateur et le producteur.
Contrairement aux instruments plus électriques (synthétiseur, guitare, basse) qui aussitôt vont nous plonger dans une
époque plus définie. Prenons l'exemple du film culte Blade Runner d e Ridley Scott sorti en 1982, composition de
Vangelis. Les sons de synthétiseur utilisés pour la musique ont légèrement vieillis pour l'auditeur d'aujourd'hui. Alors que
la musique est très belle. Pourtant en 1980 ces sons de synthétiseur étaient considérés comme modernes et très
novateurs pour l'époque.
Quelques fois, un son ou une musique peut vieillir plus vite qu'une image.
Le rapport Musique/Image est toujours très délicat au cinéma. Il doit être justifié à tout point de vue afin d'éviter un
«remplissage » de peur que le spectateur s'ennuie (ou ne comprenne pas ???). C'est là, je pense, que la musique peut
rassurer également les réalisateurs. Celle-ci les aide beaucoup au montage des films, pour amener une séquence, une
émotion, une situation différente ou faire passer un scène dite « plate ».
Finissons avec l'exemple du film L'enfant (2005) des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne. Le film n'a pas de musique.
Ce qui ne manque pas au spectateur comme dans Freaks et beaucoup d'autres films. Si la musique nous raconte la
même histoire que l'image, celle ci n'est peut être pas si indispensable que ça.
Mais quand on entend la musique de George Delerue dans le Mépris de Godard…
3/4
Quel bonheur de ne pas être sourd...
La musique et l'image ont encore de belles histoires à nous raconter.
Jean-Carl Feldis
Musicien, compositeur, bruiteur
4/4