Édition Musée de Valence Isbn 978-2-9539322-0

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Édition Musée de Valence Isbn 978-2-9539322-0
9782953932201
Édition Musée de Valence
Isbn 978-2-9539322-0-1
Prix public 18€
mmersion
anz Ackermann
sabeth Ballet /
mes Turrell]
Immersion
[Franz Ackermann
Elisabeth Ballet
James Turrell]
Exposition du 1er avril au 25 septembre 2011
Musée de Valence hors les murs
Imprimerie Céas
Sous la direction de
Directed by
Dorothée Deyries-Henry
commissaire de l’exposition
curator
Immersion
Dorothée Deyries‑Henry
Dorothée Deyries-Henry est conservateur au Musée de Valence, chargée du développement de la collection d’art
contemporain et de la programmation du musée hors les murs. En tant que commissaire, elle a notamment réalisé les
expositions Permutations 40 artistes / 01 musée vide (2008), Voyage sentimental, en collaboration avec les FRAC
(2009), Scénographies, de Dan Graham à Hubert Robert avec l’Institut d’art contemporain Villeurbanne (2009) et
3 Variations, œuvres des collections et deux pièces dansées (2010). Auteur d’une thèse sur Vija Celmins et
les avant-gardes américaines, elle est intervenue avec
Philippe-Alain Michaud sur la programmation cinéma
de l’exposition Los Angeles 1955-1985, naissance d’une
capitale artistique présentée au Centre Georges Pompi‑
dou en 2006.
Immersion
Dorothée
Deyries‑Henry
Dorothée Deyries-Henry is a curator at
the Valence Museum, in charge of the Contemporary Art collection and off-site programming. The
exhibitions she has curated include Permutations
40 Artists / 01 Empty Museum (2008), Sentimental
Journey, in association with France’s Regional
Contemporary Art Collections (2009), Scenographies: from Dan Graham to Hubert Rober t, with
the Institute of Contemporary Art in Villeurbanne
(2009) and 3 Variations: Works from the Collection
and Two Danced Pieces (2010). Her PhD thesis was
titled Vija Celmins and the American Avant-gardes
and she worked with Philippe-Alain Michaud on
the film programming for the exhibition Los Angeles 1955-1985: Birth of an Art Capital, at the
Centre Pompidou in 2006.
Lorsque l’architecte de la rénovation du musée 1 parle de « dialogue avec l’existant », il imagine les
rapports possibles des collections d’art et d’archéologie avec l’environnement extérieur. Tout son projet
réside dans cette mise en relation entre l’extérieur et l’intérieur, dans laquelle l’architecture joue tantôt
de l’effacement tantôt du recadrage pour orchestrer la relation physique du visiteur avec le site urbain et
paysager et avec les œuvres. De l’obsession de cette transparence résulte l’utopie d’une relation simul‑
tanée : baies et autres échappées sur l’extérieur ménagées dans les cimaises entre deux tableaux, entre
deux vitrines, jeu de superposition des collections et du site d’où elles proviennent, reproduction d’un
objet à l’échelle de l’architecture, etc. Ces cadrages et imbrications laissent bientôt la place à une nou‑
velle mise en scène où un spectaculaire belvédère invite à l’immersion dans le paysage, puis disparaît,
laissant le visiteur à l’air libre d’une terrasse où il peut – enfin – admirer le spectacle de la nature et de la
ville sans autre artifice que celui du paysage même.
C’est à partir de cet instant que commence le parcours art contemporain des collections, après,
si l’on peut dire, l’immersion dans le réel. Les œuvres que l’on rencontrera alors vont interroger cette
dimension. Car de quelle immersion parle‑t‑on
exactement ? De manière transhistorique, l’art
When the architect 1 in charge of renovating the museum talks about “dialogue with the
nous raconte son impossible fusion avec le réel,
pre-existing”, he’s thinking about the art and artout en repoussant sans cesse les limites de cette
chaeology collections’ possible relationships with
fiction. Sur les cimaises du futur musée, les re‑
the external environment. His project is wholly
présentations d’Hubert Robert et des peintres
devoted to making the connection between oute
d’architecture et de ruines du 18 siècle sont des
side and inside, in which the architecture mingles
2
scénographies dans lesquelles l’immersion est
self‑effacement and shift of focus in its orchestra-
Jean-Paul Philippon.
Cf. Scénographies, de Dan Graham à Hubert Robert,
exposition du musée hors les murs en 2009.
1
2
tion of the visitor’s physical association with this
urban site, the landscape and the works. Out of
this obsession with transparency springs the utopia of a simultaneous relationship: pictures and
vitrines interspaced with big windows and other
openings onto the outside, overlaying of exhibits
on their site, reproductions of items on the scale
of the building, etc. These framings and overlappings are followed by a fresh mise en scène,
a spectacular lookout calling for immersion in the
landscape, after which the visitor finds himself
outdoors on a terrace where he can – at last –
enjoy the view of nature and the city via no other
artifice than the landscape itself.
This is when the tour of the Contemporary
Art collection begins: after, you might say, immersion in reality. The works that are waiting call
the notion into question: what immersion are we
talking about, actually? In transhistorical terms
ar t recounts its impossible fusion with reality
while endlessly pushing back the boundaries of
this fiction. Scheduled for the walls of the future
museum, the works of Huber t Rober t and the
eighteenth-century painters of architecture and
ruins are scenographies 2 in which immersion is an
1
Jean-Paul Philippon.
Cf. Scénographies, de Dan Graham à Huber t Rober t,
off‑site exhibition presented in 2009.
2
une illusion dévoilée et affirmée, mais aussi une tentation permanente de la peinture : recherche de
monumentalité, déploiement, géographies, topologies. C’est précisément cette combinaison des arti‑
fices de la peinture (de l’art), inspirés du réel mais sans pouvoir l’imiter, qui provoque l’immersion et c’est
cette question que pose l’exposition éponyme du musée hors les murs : Immersion [Franz Ackermann /
Elisabeth Ballet / James Turrell].
Aujourd’hui, pour certains artistes, il ne s’agit plus de confondre l’art avec le réel (utopie de l’art
total, des avant-gardes) mais d’explorer la rencontre « inframince » entre les constructions humaines,
celles de l’art comme celles du dehors. Dans les années 1960 notamment, les installations d’Arte povera,
les environnements du Land art ont explosé les frontières qui séparaient encore l’espace artistique du
monde extérieur. Aux États-Unis, les artistes du Light and Space et notamment James Turrell ont inter‑
rogé les limites de l’espace dans lequel le visiteur
overt, frankly stated illusion – but also an endurévoluait. Mais, ce faisant, ils ont affirmé la tension,
ing temptation for painters in its quest for monuvoire la différence, entre espace réel et espace fic‑
mentality, reach, geographies and topologies. It is
tif, indifférents à la représentation et lui préférant
precisely this combination of painterly artifices
« une pensée sans mot ».
(art, we call it), inspired by reality but unable to
Lorsqu’en 1967, à Los Angeles, James
imitate it, that triggers immersion; and this is the
Turrell, Doug Wheeler et Robert Irwin, lancent le
question raised by the new off-site exhibition
here: Immersion [Franz Ackerman / Elisabeth Ballet /
programme de recherche Art-and-Technology
James Turrell].
au Pasadena Art Museum, une nouvelle expé‑
rience de la perception est à l’œuvre. Nourris des
For some of today’s ar tists the goal is
lectures de Maurice Merleau-Ponty, de James
no longer this merging of art with the real – the
Jerome Gibson et des travaux scientifiques du
avant-garde utopia of Total Art – but the exploradocteur Edward Wortz, leur objectif est de donner
tion of the “infra-thin” encounter between humanity’s constructions, in art as well as outdoors. In
à l’œuvre d’art une dimension plus enveloppante,
the 1960s in particular Arte Povera installations
plus environnementale, certes plus immersive.
and Land Art environments destroyed the borders
Or, tout comme Marcel Duchamp, Paul Cézanne
separating ar t space from the outside. In the
ou Jackson Pollock ont permis à nombre d’artistes
United States the Light and Space artists, notably
James Turrell, challenged the spatial boundaries
the viewer was contained by, but in so doing they
brought to light the tension, not to say the difference, between real and fictive space. Indifferent to representation, they preferred “wordless
thought ”.
When James Turrell, Doug Wheeler and
Robert Ir win launched the Art and Technology
programme at the Pasadena Art Museum in Los
Angeles in 1967, a new experience of perception was taking place. Fuelled by their reading
of Maurice Merleau-Ponty and James Jerome
Gibson, and by the work of Dr Edouard Wortz, they
were out to give the work of art a more enveloping, more environmental and certainly more immersive dimension. And just as Marcel Duchamp,
Paul Cézanne and Jackson Pollock enabled many
américains de reconsidérer leur propre travail, quel que fût le medium adopté (peinture, sculpture, ins‑
tallation…), les expériences sensorielles du Light and Space, la phénoménologie de Merleau-Ponty, la
dislocation radicale de l’art mise en place avec le Land art, ont incité de nombreux artistes, des années
1960/70 jusqu’à aujourd’hui, à penser leur travail autrement (Vija Celmins, Toba Kheedori, Tim
Hawkinson, etc.). L’œuvre n’est pas un extrait de la réalité (dont elle s’inspire forcément) ni une illusion
de réalité, c’est-à-dire un lieu qui rejouerait l’immersion dans l’environnement extérieur. La peinture,
la sculpture sont immersives lorsqu’elles empruntent les principes de l’installation ; l’installation est im‑
mersive sans être banalement interactive lorsqu’elle se nourrit des apports de la peinture, de l’architecture,
voire de la sculpture.
L’exemple de Franz Ackermann, Elisabeth
Ballet et James Turrell est intéressant du point de
vue de ce déplacement.
Ces trois artistes ont dépassé les limites
du cadre, de leur cadre, et pensé l’œuvre comme
un phénomène en expansion, d’une formidable
densité et ce, quelles que soient ses dimensions –
monumentales ou plus intimistes.
On observe en effet que la peinture de
Franz Ackermann s’est nourrie de l’installation,
que la monumentalité des espaces est entrée
dans les petits formats puis les grands, que le ta‑
bleau a ainsi pu favoriser l’immersion. On observe
que l’installation selon James Turrell – environne‑
ments ou Skyspaces – a pu s’imprégner des quali‑
American artists to reassess their own work in
whatever medium – painting, sculpture, installation, etc. – the Light and Space sensory experiments, Merleau-Ponty’s phenomenology, and the
radical dislocation brought about by Land Ar t
led 60s and 70s artists like Vija Celmins, Toba
Kheedori and Tim Hawkinson to do the same. The
work of art was neither something extracted from
reality (even if necessarily inspired by it), nor an illusion of reality, a locus for replaying immersion in
the external environment. Painting and sculpture
are immersive when they borrow the principles of
the installation; and the installation is immersive,
without being tritely interactive, when nourished
by input from painting, architecture and even
sculpture.
Of interest in regard to this shift are the
works of Franz Ackermann, Elisabeth Ballet and
James Turrell.
These three artists have transcended the
boundaries of the setting, and of their setting, and
considered the work of art as a phenomenon of
expansion and remarkable density, whether its
scale be monumental or more intimist.
We note, for example, that Franz Ackermann’s painting draws on the installation, that
spatial monumentality found its way into his small
formats, then into the big ones, and that painting
has thus worked in favour of immersion. We note,
too, that the James Turrell form of installation
– environments or “skyspaces” – has taken on
tés de la peinture, que les sculptures récentes d’Elisabeth Ballet, qui, préalablement, avaient assimilé les
effets propres aux installations et aux œuvres environnementales (celles de Dan Graham par exemple),
acquièrent la liberté du dessin, de par leur fluidité et leur occupation de l’espace. On observe, enfin,
qu’être dedans, est avant tout l’expérience d’« un sujet qui s’ouvre au lieu », comme le rappelle Georges
Didi-Huberman, sans nécessairement et littéralement le traverser physiquement.
Franz Ackermann, dont les tableaux s’inspirent du monde extérieur, de ses voyages, des villes
parcourues, n’est pourtant pas entré véritablement dans la politique de la représentation. Ses œuvres
– mises en scène, fictions, à l’instar des tableaux de paysage et de ruines d’Hubert Robert qu’admire
l’artiste – sont des lieux non identifiables, troués d’ouvertures, de perspectives impossibles, d’extraits
d’architectures. Elles expérimentent la relation phénoménologique entre le spectateur, le paysage
urbain, le voyage, à travers un vocabulaire de formes presque abstraites. La réflexion qu’il porte sur le
tourisme, l’urbanisation, le rapport à l’autre vient enrichir son art, basé sur l’expérience sensorielle plus
que la conceptualisation.
Treibholz (en français, bois flottant), mural conçu pour l’exposition et Terminal Tropical, peinture
monumentale évoquant par ses dimensions les
panneaux d’affichage d’un terminal d’aéroport,
some of the characteristics of painting; and that
the recent sculptures of Elisabeth Ballet, whose
campent un dispositif frontal autant qu’enve‑
work had already been marked by effects specific
loppant. De même, les couleurs explosives, les
to installations and environments (those of Dan
formes vertigineuses de Terminal Tropical contri‑
Graham, for example) are taking on the freedom
buent à une immersion visuelle et physique du
of drawing in terms of their fluidity and occupavisiteur, invité aussi à contourner la peinture, à lui
tion of space. And lastly we note that being inside
faire face ou à chercher au revers une ligne d’ho‑
is above all, as Georges Didi-Huberman puts it,
the experience of “a subject opening up to place”
rizon composée de petites photographies, tirages
without necessarily traversing it.
numériques dignes des magazines de tourisme
Even so, Ackermann, whose pictures are
et des sites internet ; ligne à laquelle l’on se rac‑
inspired by the outside world, his travels and the
croche, tout comme ces rondins de bois peints
cities he has seen, has not really got involved with
the politics of representation. His works – mises en
scène and fictions, like the landscapes and images
of ruins of Hubert Robert, whom he admires – are
unidentifiable places spattered with holes, impossible views and bits of buildings. They test out a
phenomenological relationship – between the
viewer, the urban landscape and travel – using a
vocabulary of near-abstract forms. Based more
on sensory experience than conceptualisation,
his art is enriched by his consideration of tourism,
urbanisation and interpersonal relationships.
Treibholz (“Driftwood”), a mural created
especially for the exhibition, and Terminal Tropical,
a painting whose monumental size suggests the
flight information boards in airpor ts, combine
frontalit y with envelopment. In the same way
Terminal Tropical’s explosive colours and giddying
shapes contribute to visual and physical immersion of a viewer also urged to address both sides
of the picture, either facing it directly or scrutinising on the back a horizon line made up of little
photographs: digital prints worthy of tourist magazines and Internet sites. A line we cling to, as we
qui donnent une dimension structurée, moins organique qu’architecturale à l’ensemble. Nos repères
vacillent, entre mise à distance et immersion, et les œuvres, aussi monumentales soient-elles, semblent
entrainées par Road movie, vers une nouvelle géographie, circulaire, dont la prolifération possible mais
maîtrisée éclate soudain avec Smoking & Brillantine, déployée dans l’espace, fragmentée, accidentée.
Ces deux sculptures d’Elisabeth Ballet jouent en effet avec l’espace pour mieux se répandre, dans
une tension incessante entre le centre et la périphérie, procédé propre à l’abstraction et qui ici constitue
aussi, en écho aux itinéraires géographiques et aux lignes ondulantes d’Ackermann, une évocation
de la route ou de la marche, voire de la danse.
Le rythme répétitif, syncopé, en boucle de Road
do to the painted pieces of wood which give the
work as a whole a structured aspect that is less
movie devient saccadé avec Smoking & Brillantine
organic than architectural. As our bearings waver
dont les lignes parfois s’affaissent, dessinant des
between distancing and immersion the works,
creux, des glissements, comme sous l’effet d’une
however monumental, seem drawn by Road Movie
petite dépression, d’un mouvement du sol qui se
towards some new, circular geography whose condérobe. Au contact de la sculpture, l’espace nous
trolled potential for proliferation suddenly breaks
échappe ou échappe à l’œuvre, il se met comme
free in the jagged, fragmented spread of Smoking
& Brillantine. à distance malgré l’enchevêtrement des lignes
These two sculptures by Elisabeth Balet des vides, de la sculpture et de l’architecture,
let make play with space in an endless tension
de nos corps embarqués dans ce mouvement.
between centre and periphery, a procedure charL’échappée est aussi un terme pictural et de fait,
acteristic of abstraction which here – echoing
les fenêtres ponctuent l’exposition : Petite dépresAckermann’s geographical itineraries and unsion, un rideau en pongé de soie blanc opalescent
dulating lines – of fers an evocation of roads,
placé derrière les fenêtres de la façade de l’impri‑
walking and even dance. Road Movie’s repetitive,
syncopated rhythm loop goes staccato in Smoking
merie, filtre la lumière extérieure, et ondule dou‑
& Brillantine, whose lines sometimes sag, forming
cement sous l’effet d’un souffle d’air invisible ; Eye
hollows and shifts that give the impression of a
shadow (ombre à paupière) projette les ombres
small subsidence, of the ground slipping away.
de feuillages animés par le vent. Imprégnées de
Contact with sculpture sets space fleeing from
références au réel (paysage, lumière, atmosphère,
us, or fleeing the work, as if taking its distance
vent), ces deux œuvres d’Elisabeth Ballet ont aussi
despite the tangle of lines and voids, of sculpture
and architecture, of our bodies caught up in the
une dimension atmosphérique propre à la pein‑
movement. Then there are the windows to be
ture, renforcée par le dispositif des fenêtres et
found here and there through the exhibition: Petite
portes vitrées derrière lesquelles on observe ces
dépression, a white, opalescent pongee silk curtain
mouvements. Plus qu’un simple cadrage, ces der‑
on the windows of the printery’s facade, filters the
nières règlent notre rapport aux œuvres en nous
light coming from outside as it undulates gently in
tenant à distance, tandis que le rideau et la vidéo
some undetectable draught; Eye Shadow projects
images of foliage moving in the wind. Imbued
plongent la salle dans une ambiance diffuse.
with references to reality – landscape, light, atmosphere, wind – these two works by Ballet also
have an atmospheric dimension characteristic
of painting, one enhanced by the arrangement
of windows and glass doors behind which these
movements are observed. Functioning as more
than just frames, these doors and windows govern
our relationship with the works by keeping us at
a distance, while the curtain and the video fill the
room with a diffuse ambience.
Plutôt qu’elles ne provoquent une immersion totale pour le visiteur, les œuvres exposées semblent
absorber, contenir et modifier l’espace par leur présence.
Pink Mist de James Turrell repose sur la tension entre la sensation d’enveloppement créée par ce
brouillard rose et le rapport à la frontalité provoqué
Rather than generating total immersion
par la présence de l’aperture . Le principe de cette
for the visitor, these works seem, by their presfenêtre renforce l’illusion. L’espace se fond dans
ence, to absorb, contain and modify the space.
la lumière qui, par sa densité, devient matière.
James Turrell’s Pink Mist hinges on the
Commentant les premiers travaux de James Turrell,
tension between the sensation of envelopment
le critique d’Artforum, Philip Leider, observait déjà
engendered by the mist and the relationship with
cette dissolution, propre d’ailleurs selon lui au
frontality generated by the aperture. The underlying principle of the window enhances the illusion.
minimalisme californien. Mais si « le cube s’est dis‑
The space blends into a light transformed into
sout dans le phénomène », l’expérience de ce phé‑
matter by its density. Discussing Turrell’s early
nomène repose sur une architecture bien tangible
work at the time, Artforum critic Philip Leider noted
(ici, 100 m2), aux réglages invisibles et précis. C’est
this dissolving, which he saw as characteristic of
cette géométrie imparable qui permet l’oscillation
Californian Minimalism. But if “the cube dissolves
entre la sensation d’un espace infini, d’être dedans,
into the phenomenon”, our experience of the
phenomenon depends on a very tangible physimais aussi d’être face à un obstacle quasi minéral,
cal structure – 100 square metres in this case
une épaisseur, celle de l’art, promesse d’une expé‑
– defined by precise, invisible settings. It is this
rience inimitable.
flawless geometry that enables an oscillation between the sensation of infinite space, of being enveloped, but at the same time of being confronted
with a near-mineral obstacle, a solidity – that of
art – which promises an inimitable experience.
L’absent le plus en vue
Le spectre de la peinture chez James Turrell Matthieu Poirier
Matthieu Poirier est historien de l’art contemporain et a enseigné à l’Université de Paris-Sorbonne
(Paris IV), à l’École régionale des Beaux-arts de Rouen ainsi qu’à l’École européenne supérieure de
l’image d’Angoulême. Critique d’art et commissaire, il est notamment consultant pour Der Spiegel et
a organisé les expositions Landscope. Le paysage et le dessin contemporain (2007) pour la galerie
Thaddaeus Ropac à Paris et Salzbourg, Le monochrome sous tension (2011) à la galerie Torna‑
buoni Art à Paris. Avec Arnauld Pierre, il dirige
actuellement le recueil Perspectives perceptives.
L’art optique et cinétique sous observation aux
Presses universitaires de Paris-Sorbonne et a ré‑
cemment contribué au catalogue de l’exposi‑
tion François Morellet. Réinstallations (2011) au
Centre Georges Pompidou.
The Most Notable
Absentee
James Turrell and the
Spectre of Painting
Matthieu Poirier
Contemporary art historian Matthieu Poirier has
taught at Paris IV University (Paris-Sorbonne),
the School of Fine Arts in Rouen and the European School of the Image in Angoulême. Also
an art critic and curator, he is a consultant for
Der Spiegel, and organised the exhibitions Landscope: Landscape and Contemporary Drawing at the
Galerie Thaddaeus Ropac in Paris and Salzburg
(2007), and Le Monochrome sous Tension at Tornabuoni Art in Paris (2011). With Arnauld Pierre he is
currently editing the collection Perspectives perceptives. L’art optique et cinétique sous observation,
and recently contributed to the catalogue for the
exhibition François Morellet: Reinstallations at the
Pompidou Centre (2011).
Un individu peut se trouver qualifié d’« absent le plus en vue » quand sa présence est assurée non
plus physiquement mais par le biais de signes, échos ou autres évocations, a fortiori élogieuses, de son
existence. Cette figure, rhétorique, de l’oxymore – qui consiste à associer deux notions incompatibles
afin d’en amplifier l’effet –, s’applique à de nombreux égards aux apparitions géométriques qui peuplent
les Space Division Pieces amorcées par James Turrell en 1976 1. Sur un plan strictement matériel, la
plupart des œuvres de cette série se présentent comme des enclaves dans l’espace d’exposition, des
environnements autonomes. En règle générale, après avoir emprunté un sas ou un couloir qui le plonge
dans la pénombre, le spectateur découvre un rectangle lumineux qui semble flotter sur le mur opposé
de la salle. Cette forme colorée, de taille variable, est en fait une ouverture ménagée dans une cloison
verticale qui divise l’espace en deux sections. Si la première de ces sections, celle de l’observateur, de‑
meure dans l’obscurité, la seconde, inaccessible physiquement, est baignée d’une lumière uniforme dont
la source (des tubes fluorescents colorés) nous est dissimulée par la cloison. Sur cette jonction qu’est
l’aperture repose en fait un dialogue spécifique entre ces deux espaces ; d’une part celui dans lequel
évolue le corps percevant du spectateur et, d’autre part, celui propre au champ coloré – ou champ de
vision. En effet, appelée en renfort perceptif, la main, que l’on pense un instant pouvoir poser sur un
écran, passe à travers l’ouverture : l’apparition, si
Someone can be described as “the most
elle persiste visuellement, se dérobe au toucher.
notable absentee” when his presence is estabDénuée de matière tangible, elle se constitue en
lished no longer in physical terms, but via signs,
pure présence.
Je relie le présent article à la formule de « néant à la
présence insistante » énoncée par l’historienne de l’art Rosalind
Krauss à propos de l’artiste et du mouvement Light and Space
(Voir « Overcoming the Limits of Matter : On Revising Minima‑
lism », dans James Leggio et Susan Weily (dir.), Studies of Modern
Art, n° 1, New York, Museum of Modern Art, 1991, p. 123-141.)
1
echoes and other evocations – a fortiori eulogistic
– of his existence. This use of the oxymoron – a
rhetorical device consisting in intensifying an effect through the association of two contradictory
concepts – is pertinent in many respects to the
geometrical apparitions which inhabit the Space
Division Pieces James Turrell began in 1976.1
In strictly material terms most of the works in this
series are presented as enclaves – autonomous
environments – in the exhibition space. Most
often the viewer enters an airlock or a corridor
that plunges him into a half-light, then comes
upon a luminous rectangle apparently floating
on the opposite wall. Of variable dimensions, this
coloured shape is in actuality an opening cut into
a vertical partition that divides the space into two
sections. While the first of these – the one the
viewer is in – remains in darkness, the second,
which is physically inaccessible, is bathed in a
uniform light coming from coloured fluorescent
tubes hidden behind the partition. At the junction
point – the aperture – a specific dialogue is going
on between the two spaces: between the one containing the viewer’s perceiving body and the other
one, belonging to the coloured field – or field of vision. And when called upon for perceptual backup,
the hand the viewer momentarily thinks he can
place on a screen passes through the opening: the
apparition persists visually, but eludes the sense
of touch. Devoid of material tangibility, it exists as
pure presence.
1
This article ties in with Rosalind Krauss’s allusion to “the
nothing that is insistently there” in her discussion of Turrell and
the Light and Space movement. Cf. Rosalind Kraus, “Overcoming
the Limits of Matter: On Revising Minimalism”, in James Leggio and
Susan Weily (eds.), Studies in Modern Art: American Art of the 1960s,
New York, Museum of Modern Art, 1991, pp. 123–41.
Ces figures fantomatiques, dont l’existence dépend de cette précise scénographie pensée par
Turrell, font glisser l’oxymore évoqué précédemment du plan rhétorique au plan phénoménologique.
La présence spectrale, immatérielle et désincarnée, que la psychanalyse envisage comme fantasme du
corps d’un défunt par un esprit endeuillé, s’avère ici minimale en terme d’image et de forme, mais maximale en terme d’effet – selon la logique perceptuelle du plus by minus ou encore celle d’une tension,
souvent évoquée par Josef Albers, entre le fait physique et l’effet psychique. Dès lors, l’observateur n’a
plus conscience du dispositif matériel – architectural – pourtant conséquent sur lequel repose la mise en
scène de cet élément impalpable, spectral, qu’est la lumière. Dans l’Œil et l’esprit, Maurice Merleau-Ponty
a souligné la nature fantomatique d’un tel médium : « La lumière, l’illumination, l’ombre, les réflexions et
la couleur […] ne sont pas des entités réelles dans le véritable sens du terme : comme les fantômes,
elles existent seulement visuellement. Oui, elles se situent au seuil de la vision quotidienne, et ne sont
en général pas vues. » 2 Cependant, nul ne saurait aborder plus avant les modalités perceptuelles et les
intentions d’un tel fantôme sans rechercher l’identité du défunt dont il est la manifestation.
Les nombreux commentateurs de l’œuvre de Turrell ont souvent souligné l’importance de sa
Californie natale, mis l’accent sur son climat, ses
These spectral forms, whose existence
horizons ouverts et la texture de sa lumière. Ils
hinges on the precision of Turrell’s scenography,
ont aussi noté la passion très ancienne de l’artiste
displace our oxymoron from the rhetorical to the
phenomenological plane. Considered by psychoanalysis as a fantasising of the body of a dead person by a grieving mind, this spectral, immaterial,
disembodied presence stands revealed here as
minimal in terms of image and form, but maximal
in terms of effect – in line with the perceptual
logic of “plus by minus” or the tension often mentioned by Josef Albers between physical fact and
psychic effect. From here on in the viewer is no
longer conscious of the – nonetheless substantial
– material and architectural structure which the
presentation of the impalpable, spectral element
that is light depends on. In Eye and Mind Maurice
Merleau-Ponty stresses the ghostly nature of this
kind of medium: “Light, lighting, shadows, reflections, colour…are not altogether real objects; like
ghosts, they have only visual existence. In fact
they exist only at the threshold of profane vision;
they are not seen by everyone.” 2 Nonetheless,
one cannot go deeper into the perceptual modalities and the intentions of a ghost like this one
without seeking the identity of the dead person of
which it is a manifestation.
Turrell’s many commentators often stress
the importance of his native California, with its
climate, its vast horizons and the texture of its
light. They have also noted the artist’s longstanding passion for flying and his relationship with
Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, Paris, Gallimard/
Folio, 1985.
2
2
Maurice Merleau-Ponty, Eye and Mind, trans. Carleton
Dallery, in James M. Edie, The Primacy of Perception, Chicago, Northwestern University Press, 1964, p. 166.
Yves Klein, Monochrome IKB 3, 1960
Pigment pur sur résine synthétique et toile marouflée sur bois
Pure pigment on synthetic resin, with canvas mounted on wood
H. 199 x L. 153 cm
© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN / Adam Rzepka
© ADAGP, Paris 2011
Fig.1
pour l’aviation, son rapport à la religion 3 et aux sciences cognitives 4, mais peut-être trop souvent éludé le
lien direct qu’entretiennent certaines œuvres de l’artiste à l’histoire de la peinture, comme par exemple
le tableau monochrome ou le tableau de paysage, aussi bien en tant que notions historiques qu’en tant
qu’objets. En effet, à quelques rares exceptions près, les apertures envisagées ici correspondent, par leur
contour orthogonal et horizontal et par leurs proportions, au format pictural classique dit de « paysage ».
De même, leur champ visuel n’offre au regard qu’une nuée de couleur pure – un « monochrome » – dont
la qualité atmosphérique inscrit Turrell dans la continuité de paysagistes comme William Turner, Claude
Monet ou encore Georges Seurat qui ont, chacun à leur manière, contribué à rendre compte de la disso‑
lution vibrante des espaces aériens ou encore maritimes. Mais pour Turrell, marqué par l’exemple d’Yves
Klein 5/Fig.1, le pigment n’est plus fixé sur un objet. La couleur n’est plus pigmentaire, elle est pleinement
Nombre d’artistes minimalistes californiens du courant
Light and Space comme Turrell tournent le dos au matérialisme
athée que l’on associe volontiers au minimalisme de la côte Est
ou encore aux courants perceptuels européens (ar t optique
et cinét ique). Trè s proche s géographiquement de l’Orient ,
c’est le bouddhisme zen ou d’autres philosophies méditatives
orientales qui emportent alors leur adhésion. À contre-pied de
l’entertainment hollywoodien, Turrell dit ainsi vouloir inscrire ses
œuvres dans la lignée des vitraux des cathédrales médiévales.
De confession Quaker, il est par ailleurs l’artiste du Light and
Space qui associe le plus nettement la lumière, le vide et l’abs‑
traction en art à une plénitude spirituelle, mystique et religieuse,
rejoignant ainsi les semblables préoccupations théosophiques
de Piet Mondrian, rosicruciennes d’Yves Klein ou encore boudd‑
histes de Tania Mouraud ou Wolfgang Laib.
4
Craig Adcock, James Turrell. The Art of Light and Space,
University of California Press, Berkeley ; Oxford, 1990. Avec son
aîné l’artiste Robert Irwin, grâce au programme « Art and Tech‑
nology » (1967-71) du Los Angeles County Museum of Art, Turrell
a collaboré avec le psychophysiologue Edward Wortz, pionnier
du biofeedback, afin d’étudier les interactions entre l’activité
mentale et les fonctions physiologiques.
5
L’exposition de nombreuses toiles monochromes YKB
de Klein, à l’influente Dwann Gallery de Los Angeles en 1961, n’a
pu que marquer le milieu artistique dans lequel évolue le jeune
Turrell les cinq années qui précèdent ses premières expérimen‑
tations sur la dématérialisation monochrome au Mendota Hotel
à Ocean Park. Notons que si Klein développait essentiellement
des formats verticaux, le basculement opéré par Turrell, précisé‑
ment, fait sens en ce qu’il substitue, à la verticalité de la figure,
l’horizontalité paysagère du champ.
3
religion 3 and the cognitive sciences, 4 but have
perhaps too often skipped the direct link between
some of his works and the history of painting: the
monochrome and the landscape, for example,
both as historical concepts and as objects. A very
few exceptions aside, Turrell’s apertures match,
in their right-angle horizontality and their proportions, the classical landscape format. Similarly
their visual field offers the eye no more than a mist
of pure colour – a “monochrome” – whose atmospheric quality situates Turrell in the tradition of
landscape painters like Turner, Monet and Seurat,
each of whom made his personal contribution to
the description of the vibrant dissolving of aerial
and marine spaces. But for Turrell, influenced
as he was by Yves Klein, 5/Fig.1 the pigment is no
3
Like Turrell, a number of Californian Minimalists of the
Light and Space persuasion have turned their backs on the atheistic
materialism readily associated with East Coast Minimalism and such
European perceptual currents as Optical and Kinetic art. Very close
geographically to the Orient, they subscribe to Zen Buddhism and
other meditative Eastern philosophies. Hostile to Hollywood-style
entertainment, Turrell has said he sees his work as part of the medieval cathedral stained-glass tradition. Himself a Quaker, he is the
Light and Space artist who most overtly associates light, emptiness
and abstraction in art with a spiritual, mystical and religious plenitude; in this he echoes the theosophical concerns of Piet Mondrian,
the Rosicrucianism of Yves Klein and the Buddhist leanings of Tania
Mouraud and Wolfgang Laib.
4
Cf. Craig Adcock, James Turrell: The Ar t of Light and
Space, Berkeley/Oxford, University of California Press, 1990. With
older artist Robert Irwin, Turrell joined the “Art and Technology” programme at the Los Angeles County Museum of Art in 1967–71, and
collaborated with biofeedback pioneer Edward Wortz on a study of
the interaction between mental activity and physiological functions.
5
Klein’s extensive YKB monochromes exhibition at the
influential Dwan Gallery in Los Angeles in 1961 could not have failed
to leave its mark on the art circles the young Turrell moved in for five
years prior to his early experiments with monochrome dematerialisation at the Mendota Hotel in Ocean Park. It should be noted that
where Klein worked mostly with vertical formats, the shift effected
by Turrell is highly meaningful in that it replaces the verticality of the
figure with the landscape-inflected horizontality of the ground.
impalpable et flotte dans l’espace indistinctement, c’est à dire sans relation définie aux objets : « L’air
dans l’espace semble physiquement chargé de lumière colorée et semble venir tout contre vos yeux» 6 ,
précise l’artiste.
Ce phénomène, même s’il s’y rapporte en de nombreux points, outrepasse la notion d’afterimage
ou persistance rétinienne. « Image survivante », mais dans un sens davantage phénoménologique que
celui, mnésique, pensé par l’historien de l’art Georges Didi-Huberman 7. En effet, le tableau persiste chez
Turrell, mais sous la forme en creux d’une silhouette, tout autant expurgée de sa composition interne
qu’elle est intensifiée sur un plan sensoriel. Dans le contexte de l’art des années 1960, cette entité survit
aussi grâce au périmètre qu’elle définit. Cette donnée, tout aussi essentielle que paradoxale, est éga‑
lement assimilée par l’artiste Fred Sandback Fig.2 .
longer attached to an object. No longer pigmenGrâce à quelques fils colorés, simplement tendus
tary, colour has been rendered totally impalpable
entre différentes parois (sol, mur ou plafond) d’un
and floats nebulously – i.e. without any definite
lieu d’exposition donné, cet autre minimaliste
relationship to objects – in space: “The air in the
contrarié avait défini les frontières d’un champ iné‑
space,” Turrell says, “seems physically charged
dit de vision – une aperture, à nouveau. Chez lui,
with coloured light and to come right up against
ce champ s’avère non seulement libéré de la figure
your eyes.” 6
Despite the many correlations, this pheou de tout objet fixant par trop l’attention, mais
nomenon goes well beyond the notion of afteril se montre également dénué de plan, de contenu
image or retinal persistence. This is a “surviving
qui lui appartiendrait en propre. Au delà de cette
image”, but in a sense more phenomenological
similarité, chez Turrell, il est toutefois question
than the mnesic one proposed by Georges DidiHuberman.7 The picture lives on in Turrell’s work,
but in the indirect form of a silhouette as compositionally void as it is sensorially saturated. In the
context of the art of the 1960s this entity also survived thanks to the perimeter it defined – a given
as crucial as it was paradoxical, and which was
also grasped by artist Fred Sandback Fig.2: with just
a few coloured threads stretched between different surfaces – floor, wall, ceiling – of an exhibition
venue, this other thwarted Minimalist had defined
the boundaries of a new field of vision: once again,
an aperture. Here the field was not only liberated
from the figure or any other over-assertive object,
it also lacked any plane, any content that might be
specifically its own. Looking beyond this similarity,
in Turrell’s case we are also faced with optical im-
d’une immersion optique au sein d’un champ de couleur vibrant et illimité, qui génère chez le sujet per‑
cevant une sensation physique et temporelle du sublime. Incidemment, une telle propriété correspond
au souhait de Mark Rothko Fig.3 préconisant, par exemple, une distance réduite entre ses toiles et les
spectateurs afin d’accroître le sentiment d’immersion, et prouvant par là même son souhait de dissocier
ses travaux du monde des objets.
Ainsi, chez Turrell, l’œuvre ne se contente pas de l’immatérialité ; elle se fait gouffre vertical,
précisément en ce qu’elle abîme non seulement l’œil mais aussi tout le corps de l’observateur. En effet,
le champ de couleur, dépourvu du moindre élément fixe qui permettrait au regard de s’ancrer dans l’es‑
pace, rayonne vers l’œil au moins autant qu’il l’aspire et le conduit à s’égarer en son sein. D’autres artistes
contemporains ont fondé nombre de leurs œuvres sur ce principe de l’oxymore perceptuel, autrement
dit d’une tension entre présence et absence. C’est par exemple le cas de l’Italien Francesco Lo Savio,
avec la série des Spazio-Luce entamée en 1959.
mersion in a vibrant, limitless field of colour which
Toujours à la limite de la monochromie, ces toiles,
generates a physical and temporal sensation of
peintes à l’huile ou à la résine synthétique, si elles
the sublime in the perceiving subject. In passdiffèrent bien sûr de Turrell en termes de tech‑
ing, this fits with Mark Rothko’s Fig.3 demand for a
nique et de support, mettent elles aussi à mal les
reduction in the distance between his canvases
conditions habituelles de la discrimination visuelle
and the viewer, so as to intensify the feeling of imentre fond et forme, laissant l’observateur en ape‑
mersion – proof of his urge to dissociate his works
from the realm of objects.
In the Turrell oeuvre, then, the work does
not simply settle for immateriality: it turns into a
vertical chasm, engulfing not just the observer’s
eye but his entire body. Stripped of the least
fixed element which might give the eye a point of
anchorage, the radiant colour ground attracts the
gaze at least as much as it sucks it in and causes
it to lose itself. Numerous other Contemporary
artists have based works on this principle of the
perceptual oxymoron, of what could be called
a tension between presence and absence. One
example is the Italian Francesco Lo Savio and the
Spazio-Luce series he began in 1959. Perpetually verging on the monochrome, these canvases
painted in oils or synthetic resin obviously differ
from Turrell’s work in terms of medium and suppor t, but at the same time they sabotage the
usual conditions for a visual distinction between
form and content, and leave the viewer weight-
James Turrell, James Turrell : The Other Horizon, cat. expo.,
MAK, Vienne, p. 123.
7
Georges Didi-Huberman, L’image sur vivante : histoire
de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Les Éditions
de Minuit, Paris, 2002.
6
6
Quoted in Peter Noever (ed.), James Turrell: The Other
Horizon, exh. cat., MAK Vienna / Hatje Cantz, 2001, p. 123.
7
Georges Didi-Huberman, L’image survivante: histoire de
l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Les Éditions de Minuit,
Paris, 2002.
Fred Sandback, Sans titre (Polygon), 1975
Fil acrylique rouge / Red acrylic thread
H. 112 cm, dimensions variables / Variable dimensions
Édition de 3. Courtesy Galerie Nelson-Freeman, Paris
Photographie Florian Kleinefenn
Fig.2
Fig.3 Mark Rothko, Untitled (Black, Red over Black on Red), 1964
Huile sur toile / Oil on canvas. H. 205 x L. 193 cm,
© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN / Philippe Migeat
© 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko - ADAGP, Paris 2011
santeur. Pour l’artiste belge Ann Veronica Janssens Fig.4, il est aussi question de générer une tension entre
fini et non-fini, de produire un battement perceptuel entre les formes simples de la Gestalt, immédiate‑
ment accessibles à la perception, et leur paradoxal évanouissement. Son œuvre intitulée Espace infini
propose une autre lecture du monochrome comme champ de vision ramené à sa pureté originelle, ceci
sur le principe du cyclo, initié dans les studios photographiques 8 : le spectateur, placé au seuil de l’œuvre,
sorte de boîte de grande dimension qui nous présente son ouverture, fait l’expérience de l’effet Ganzfeld
(de l’allemand « champ plein »), que Turrell fut par ailleurs un des premiers artistes à explorer, ceci dès la
fin des années 1960, pour être approfondi et adapté plus tard par d’autres personnalités telles qu’Anish
Kapoor. Ainsi, dans tous les cas précédemment évoqués, et quelles que soient les modalités et finalités
de chacun, l’essentiel du propos esthétique repose sur la radiation spatiale de la lumière, sa palpitation
moléculaire et son instabilité d’état ; de telles qualités faisant de cette forme fantomatique un objet
hautement phénoménologique et sensible. En définitive, pour ces artistes, il s’agit autant de faire dispa‑
raître l’objet que de le constituer, structurellement
less. For Belgian artist Ann Veronica Janssens Fig.4
et conceptuellement, à partir de ses modalités
the aim is also to generate a tension between the
mêmes d’appréhension.
finite and the non-finite, to produce a perceptual
flutter between the simple, immediately perceptually available forms of the Gestalt and their
paradoxical vanishing. Using the principle of the
photography studio cyclo wall, 8 her Espace infini
(“Infinite Space”) offers a different reading of the
monochrome as a field of vision brought back to
its original purity: at the threshold of the work, a
kind of large box with its opening facing outwards,
the spectator experiences the Ganzfeld (German:
“complete field”) effect which, as it happens, Turrell was one of the first to use in the late 1960s,
and of which more sophisticated versions were
later developed by artists including Anish Kapoor.
So in all the cases mentioned above, whatever their modalities and purposes, the aesthetic
crux is light: its spatial radiation, its molecular
agitation and its instability, factors which render
this ghostly shape highly phenomenological and
sensitive. In the final analysis, these artists are
out not so much to make the object disappear, as
to shape it, structurally and conceptually, on the
basis of its actual modes of apprehension.
8
Le « cyclo » est un dispositif dans lequel tous les angles sont
arrondis afin de supprimer les ombres qui, en modelant l’espace
définissent ses limites spatiales.
Le fameux Projet de cénotaphe à Newton Fig.5 , pensé par l’architecte Étienne-Louis Boullée,
pourrait enfin venir à l’esprit de l’observateur. Hormis son échelle gigantesque et son caractère cos‑
mogonique, qui l’apparentent d’emblée au Gesamtkunstwerk de Turrell qu’est le fameux Roden Crater
Project, l’utopie de l’architecture néoclassique permet de penser chacune des Space Division Pieces
comme l’émouvante sépulture non plus celle d’un être humain – voire d’une divinité – mais d’une certaine
peinture. En effet, véritables memento mori, les
Here French architect Étienne-Louis Bouldispositifs de l’artiste posent les conditions de la
lée’s legendary Project for a Cenotaph for Newton
survivance spectrale de cet objet, autant qu’ils
Fig.5
might spring to mind for the viewer. Apart from
permettent de penser l’aura de façon autonome,
the gigantic scale and cosmogonic character that
c’est-à-dire comme un halo libéré de son objet.
immediately relate it to the Gesamtkunstwerk
Pas plus tableau qu’environnement, une Space
that is Turrell’s famed Roden Crater Project, this
Division Piece dispose d’une dimension architec‑
Neoclassical utopia can evoke each of the Space
Division Pieces as the poignant tomb not of a huturale, voire environnementale, et se fait dispositif
man being – or even of a deity – but of a certain
de vision, bien sûr en tant que sens physiologique,
kind of painting. These veritable memento mori lay
mais aussi dans le sens d’« avoir une vision », une
down the conditions for the spectral survival of
capacité mystique d’ouverture sur l’irréel. Chez
their object, just as they enable us to see the aura
Turrell, ce feuilletage de l’espace et du temps s’im‑
as something autonomous, which is to say as a
pose, paradoxalement, comme la condition même
halo freed of its object. No more a picture than an
environment, a Space Division Piece nonetheless
de la vitalité sensorielle et mémorielle de l’œuvre :
possesses an architectural, even environmental
jamais fantôme n’a paru plus vivace et plus évo‑
dimension and becomes a system for vision: in
cateur. Charles Baudelaire n’envisageait d’ailleurs
the physiological sense of “seeing”, of course,
pas différemment le rôle du spectre quand il abor‑
but also in the sense of “having a vision” – of a
dait « les phénomènes surnaturels, tels que les ap‑
mystical capacity for receptiveness to the unreal.
paritions de fantômes, les revenants, etc., comme
In the Turrell oeuvre this foliation of space and
time paradoxically compels recognition as the
des manifestations de la volonté divine, attentive
necessary precondition for the work’s sensory and
à réveiller dans l’esprit de l’homme le souvenir
recollective vitality. Never has a ghost seemed
des réalités invisibles » 9.
Charles Baudelaire, « Poème du haschisch. Le goût de
l’infini », Les Paradis artificiels, Paris, Poulet-Malassis et de Broise,
1860, p. 6.
9
more alive and evocative. And this is exactly how
Charles Baudelaire saw the role of the spectre
when he wrote of “supernatural phenomena such
as ghosts and spectres, etc., as the manifestation
of a divine will vigilantly endeavouring to awaken
in man’s mind the memory of invisible realities.” 9
9
Charles Baudelaire, “The Poem of Hashish, I”, in Artificial
Paradises, trans. Stacy Diamond, New York, Citadel Press, 1996, p. 32.
8
The cyclo wall is a device that allows for elimination of all
the shadows that shape space and thus define its boundaries.
Ann Veronica Janssens, Espace infini, 1999
Plâtre et bois / Plaster and wood. H. 110 x L. 126 x P. 70 cm
Courtesy Galerie Marie-Puck Broodthaers
© ADAGP, Paris 2011
Fig.4
Fig.5 Étienne-Louis Boullée, Projet de cénotaphe à Newton, 1784
© Bibliothèque nationale de France
Court-circuit
Philippe-Alain Michaud
Philippe-Alain Michaud est conservateur chargé de la collection des films au Centre Pompidou. Il est
l’auteur de Aby Warburg et l’image en mouvement
(1998), Le peuple des images (2002), Sketches.
Histoire de l’ar t, cinéma (2006) et de nombre
d’articles consacrés à la place et à la fonction
du film dans le système des arts contemporains.
Il a été commissaire des expositions Comme le
rêve le dessin (2004), Le mouvement des images
(2006), Images sans fin. Photographies et films de
Constantin Brancusi (2011), au Centre Pompidou ;
mais également de Nuits électriques à la maison
de la photographie à Moscou (2010) et de Tapis
Philippe-Alain Michaud is Chief Film Curator at the
volants à la Villa Médicis à Rome (2011).
Centre Pompidou. He is the author of Aby Warburg
Short Circuit
Philippe-Alain
Michaud
and the Image in Motion (2004), Le peuple des
images (2002), Sketches. Histoire de l’art, cinéma
(2006) and numerous articles on the place and
func tion of f ilm in the contemporar y ar ts. He
curated the exhibitions Dreaming and Drawing
(2004), The Movement of Images (2006) and Images without End: Photographs and Films by Constantin Brancusi (2011) at the Centre Pompidou,
as well as Electric Nights at the Moscow House of
Photography (2010) and Flying Carpets at the Villa
Medici in Rome (2011).
Smoking & Brillantine, 2011
Dimensions variables
Acier
La sculpture se compose de lignes sinueuses réalisées d’après un dessin aléatoire reporté sur
un fer plat de quarante millimètres de large par quinze d’épaisseur, monté sur des pieds en fer carré de
trente par trente millimètres. Les lignes sont divisées en vingt sept segments indépendants et permu‑
tables, différant les uns des autres par la couleur (quatorze couleurs franches ont été utilisées), la hauteur,
la longueur et le tracé.
« Au début j’ai dessiné un ensemble de lignes divergentes qui devaient s’assembler toujours de la
même façon en une sculpture dont la forme finale ne varierait jamais. Puis j’ai réalisé une maquette pour
en fixer la hauteur, la largeur, l’épaisseur et la couleur. L’idée de la sculpture naît chez moi avec la fabrica‑
tion méthodique d’un ensemble de maquettes en carton : le découpage, le collage et la colorisation me
permettent de voir la pièce en trois dimensions. Je voulais que cette sculpture garde un caractère aléatoire
et non-fixé, qu’elle ne se fige pas en une forme prescrite par un plan de montage déterminé. J’ai com‑
mencé à dissocier les lignes jusqu’à démanteler
entièrement l’ensemble : chacune des lignes du
The sculpture is made up of the sinuous
lines of a random drawing, transferred onto flat
dessin, dont parfois je ne retenais qu’un fragment,
pieces of metal 40 mm wide and 15 mm thick, and
est devenue un élément distinct auquel j’ai ajouté,
standing on metal legs 30 mm square. The lines
en passant à l’échelle réelle, un support d’une hau‑
are divided into 27 independent, interchangeable
teur spécifique et une couleur tranchée. Je voulais
segments, all different in terms of their 14 bold
construire une pièce libérée des contraintes
colours and their height, length and contours.
formelles usuelles de la sculpture et qui s’oppose
“I started out by drawing a group of diverging lines that were supposed to always come
aux sculptures précédentes Road Movie et Flying
together in the same way, as a sculpture whose
Colors Fig.1 qui s’assemblent « au millimètre » et dont
final shape would be invariable. Then I made a
le dessin impose une orientation précise dans l’es‑
model to get the height, width, thickness and
pace. J’avais envie d’une sculpture en mouvement,
colour right. The idea for a sculpture comes to
un peu à la manière des morceaux de fils coupés
me with the methodical putting-together of a
qu’une couturière aurait laissés éparpillés sur une
group of cardboard models: the cutting-up, gluing and colouring let me see the piece in three
table après un démontage. »
dimensions. I wanted this one to have a random,
non-f ixed shape, and not a preordained form
dictated by the assembly process. I began by dissociating the lines and ended up dismantling the
whole thing: each line from the drawing – in some
cases I only kept a fragment – became a separate
component; then I moved on to the full-size work,
adding a stand of a specific height and a powerful colour. I wanted to make a piece free of the
standard sculptural constraints and different from
the earlier Road Movie and Flying Colors Fig.1, which
fit together with absolute precision and call for a
specific spatial orientation. I wanted a sculpture
that moved, a little like the scraps of thread a
seamstress leaves scattered on a table after unpicking a garment.”
Smoking & Brillantine, 2011
Dimensions variable
Steel
Fig.1 Elisabeth Ballet, Flying Colors, 2010
Aluminium laqué / Painted aluminium. H. variable x L. 346 x P. 1460 cm
Installation Musée Bourdelle. © Elisabeth Ballet
Pour dénouer cet écheveau de fils dont se constitue littéralement Smoking & Brillantine, il faut
revenir loin en arrière, à une pièce de 1988, Emmanuelle Fig.2, dans laquelle une ligne aléatoire montée
sur des barreaux de bois enduit se trouvait transformée en barrière ondulante et fluide : d’un côté, l’idée
de la limite et du no man’s land où s’annonçait le thème récurrent dans la sculpture d’Elisabeth Ballet de
la spatialité close dont la cage circulaire de Trait pour trait Fig.3 reste l’archétype ; de l’autre, le défilement
d’une ligne interminable et sinueuse, une image de route, dont Eyeliner Fig.4, Road Movie puis Flying Colors
déclineront le motif jusque dans ses connotations filmiques, avant que Smoking & Brillantine… ne vienne
le nouer sur lui-même, l’enchevêtrer et le bousculer.
La première des « Road Pieces », Eyeliner, est un long ruban constitué de cinq bandes de caout‑
chouc représentant une route, avec les marquages
au sol blanc sur noir, qui se déploie souplement
To untangle the threads Smoking & Brillantine (“Tuxedo and Brilliantine”) is quite literally
dans l’espace, comme pourrait le faire une pièce
made up of, we have to go back a long way: to the
de tissu à moitié déroulée. « Chaque fois que je
1998 piece Emmanuelle Fig.2, whose random line on
déroule les bandes de caoutchouc, la sculpture
wooden uprights turns into a fluid, snaking barrier.
prend un nouvel aspect. Dans mes préconisations
On the one hand there was the idea of a boundary
j’indique l’espace nécessaire minimum à son
and a no man’s land, signalling a recurring theme
installation, je note qu’elle ne doit pas être posée
in Elisabeth Ballet’s sculpture: the spatial enclosing of which the circular cage of Trait pour trait
contre un mur, on doit pouvoir tourner autour. »
(“Line for Line”) Fig.3 remains the archetype. On the
Road Movie, ‘film de route’ ou ‘se dérou‑
other was the unfolding of an interminable, meanlant
sur
la route’, épouse la structure circulaire des
dering line – a road image – that Eyeliner Fig.4, Road
échangeurs routiers : « Neuf lignes de couleurs dif‑
Movie and Flying Colors detailed right down to its
férentes ondulent irrégulièrement puis s’étirent en
filmic connotations; until Smoking & Brillantine
formant un large tourbillon, et ressortent de l’autre
came along to knot and tangle and shake it up.
côté à peine modifiées. Des lignes, des routes, des
Eyeliner, the first of her “Road Pieces”, is
a long ribbon, five strips of rubber – a black road
niveaux topographiques, on pense à tout cela en
with white markings – unfolding a bit like a bolt
même temps. [On pense aussi à de la peinture qui
of cloth: “Every time I unroll the rubber strips the
coule, à une bobine de fil qui se dévide]. La sculp‑
sculpture looks different. In my instructions I inditure est supportée par une multitude de montants
cate the minimum space the installation requires
en aluminium peints en blanc ; on peut se glisser
and mention that it should not be placed against a
dessous, et avoir l’impression d’être emporté dans
wall: you have to be able to move around it.”
Road Movie adopts the circular structure
le mouvement. »
Enfin, Flying Colors évoque la persistance du tracé que laissent les feux arrière des automobiles
roulant côte à côte sur une voie rapide la nuit sur de la pellicule ultra-sensible : « Seize lignes rouges de
douze mètres de long et quinze autres de couleur jaune de six et douze mètres se suivent et se poursui‑
vent. Les barres parallèles jaunes sont placées en dessous, ou à côté des barres rouges, puis toutes sont
cintrées provoquant un virage élargi à gauche de l’axe central bien marqué par un alignement strictement
régulier. Cette disposition des lignes est brouillée
Lastly comes Flying Colors, with its sugpar le déplacement du spectateur selon qu’il se
gestion of the parallel tracks left on film by the
trouve à un point ou à un autre de la sculpture ou
tail-lights of cars on a freeway at night: “Sixteen
sur le côté : les barres sont étroites et épaisses
red lines 12 metres long and fifteen yellow ones
(vingt cinq millimètres d’épaisseur par cinquante
6 and 12 metres long, following and pursuing
de hauteur), aussi, dès qu’il se décale de l’axe
each other. The parallel yellow bars are placed
central de la sculpture, il voit s’épaissir les cou‑
underneath, or beside the red ones, then the
whole thing is bent to form a wide, regular, strictly
leurs rouges et jaunes plus ou moins visibles. » À la
aligned curve around the main axis. The arrangesortie du virage qu’épousent les lignes de couleur
ment of the lines is shuffled by the viewer’s moveparallèles, la sculpture s’interrompt brusquement,
ment, depending on the point he is at along the
comme un tronçon découpé dans l’anneau d’un
length of the work and whether he is looking at it
circuit.
from above, below or the side. The bars are narrow
and deep – 25 mm x 50 mm – and as the viewer
moves away from the main axis the red and the
yellow become thicker and more or less visible.”
Emerging from the bend followed by the parallel
lines of colour, the sculpture comes to an abrupt
halt, like a section cut out of an electrical circuit.
of freeway interchanges: “Nine different-coloured
wiggly lines stretch into the distance, form a broad
vor tex, and then emerge beyond it all but unchanged. Lines, roads, new topographies – you
think of all these things at the same time – but
also of runny paint, or a spool of thread unreeling.
The sculpture sits on a host of aluminium uprights
painted white: you can slip underneath and have
the impression of being swept along by the movement.”
Fig.2 Elisabeth Ballet, Emmanuelle, 1988
Bois enduit / Coated wood. H. 100 x L. 156 x P. 220 cm
Série « JEJ ». © Elisabeth Ballet
Fig.3 Elisabeth Ballet, Trait pour trait, 1993
Acier inoxydable / Stainless steel. H. 500 x L. 1150 cm
Domaine de Kerguéhennec, Locminé, France. © Elisabeth Ballet
Fig.4 Elisabeth Ballet, Eyeliner, 2007
Caoutchouc / Rubber, Dimensions variables / Variable dimensions
© Elisabeth Ballet
Ruban plissé, effiloché, tronçonné : autant d’opérations qui mettent en question l’évidence ré‑
férentielle des sculptures pour en faire ressortir le caractère fabriqué. Dans un entretien publié dans
Artforum en 1966, Tony Smith évoquait le sentiment simultané de dénaturalisation de la nature et de
déréalisation de l’art qui l’avait frappé une nuit qu’il conduisait seul sur une route déserte : « C’était une
nuit sombre, il n’y avait pas d’éclairage ni de signalisation sur les côtés de la chaussée, ni de lignes
blanches, ni de glissières de sécurité, ni quoi que ce soit, rien que l’asphalte qui traversait un paysage de
plaines entouré de collines au loin, mais ponctué par des cheminées d’usine, des pylônes, des fumées et
des lumières colorées. Ce parcours fut une expérience révélatrice. La route et la plus grande partie du
paysage étaient artificiels, et pourtant on ne pouvait pas appeler ça une œuvre d’art. D’autre part, je res‑
sentais quelque chose que l’art ne m’avait jamais fait ressentir. Tout d’abord je ne sus pas ce que c’était,
mais cela me libéra de la plupart des opinions que j’avais sur l’art. Il y avait là, semblait-il, une réalité qui
n’avait aucune expression en art. L’expérience de la route constituait bien quelque chose de défini, mais
qui n’était pas totalement reconnu. Je pensais en
moi-même : il est clair que c’est la fin de l’art. » 1
A ribbon that ’s been creased, frayed,
chopped up, in a series of operations that chalFormons l’hypothèse que si la route est
lenge the referential obviousness of the sculpdevenue pour Elisabeth Ballet une occasion de
tures so as to reveal them as made objects. In
sculpture, c’est parce qu’elle est l’image, comme
an interview published in Artforum in 1966, Tony
l’indiquait Tony Smith, du protocole de la re‑
Smith talks about the simultaneous feeling – of
cherche. C’est ainsi que par un retournement de
the denaturing of nature and the dematerialisl’œuvre achevée sur son processus d’élaboration,
ing of art – that struck him one night as he drove
down an empty road: “It was a dark night and there
la maquette n’apparaît plus comme une étape pré‑
were no lights or shoulder markers, lines, railings
paratoire ou un passage obligé de la sculpture :
or anything at all except the dark pavement moving through the landscape of the flats, rimmed by
hills in the distance, but punctuated by stacks,
towers, fumes, and colored lights. This drive was
a revealing experience. The road and much of
the landscape [were] artificial, and yet it couldn’t
be called a work of art. On the other hand, it did
something for me that art had never done. At first I
didn’t know what it was, but its effect was to liberate me from many of the views I had had about art.
It seemed that there had been a reality there that
had not had any expression in art. The experience
on the road was something mapped out but not
socially recognised. I thought to myself, it ought to
be clear that’s the end of art.” 1 If the road has become a sculpture opportunity for Elisabeth Ballet, it’s because it’s the very
image, as Smith pointed out, of the methodology
of research. And so, in a folding-back of the finished work on the process of its making, the model
no longer appears as a preliminary or a necessary
stage: the sculpture itself becomes the realisation
c’est la sculpture elle-même qui devient la réalisation de sa propre maquette. Plissés, circonvolutions,
découpure : dans Smoking & Brillantine les trois procédés compositionnels déclinés dans les pièces
précédentes se combinent et s’entremêlent, tandis que le ruban asphalté de la route se délite et de‑
vient un écheveau de rubans colorés, par une sorte de dérivation métonymique – et sous l’influence
d’une pièce plus ancienne, Olympia Fig.5, pour la réalisation de laquelle, en 2000, l’artiste agrandissait
démesurément trois douzaines d’épingles – les épingles qu’elle utilise dans le bâti de ses maquettes –
et les disposait librement dans l’espace, comme un mikado géant. Formons l’hypothèse que la force
d’aimantation d’Olympia peut faire se déliter les routes et les changer en un monceau de fils multicolores.
Ainsi s’élabore le travail d’Elisabeth Ballet, selon une logique obéissant aux lois du déplacement et de
la contradiction et strictement limitée au champ
of its own model. Creases, convolutions, cuttingd’interaction des œuvres, une logique rêveuse et
off: in Smoking & Brillantine the three composiludique dont sa dernière pièce en date, dans son
tional processes worked through in the preceding
enchevêtrement non-fixé, donne à ce jour l’image
pieces combine and intermingle, while the asphalt
la plus fidèle.
ribbon of the road breaks up and becomes a tangle of coloured ribbons: either through a kind of
metonymic shift or under the influence of an older
work, Olympia Fig.5, for which the artist enlarged
enormously three dozen of the sewing pins she
uses to assemble her scale models and spread
them about in the exhibition space like a giant
game of pick-up-sticks. Let’s suppose that the
magnetic force of Olympia can make roads break
up into a pile of multicoloured threads. This is the
way Elisabeth Ballet’s work takes shape, following
a logic governed by the laws of displacement and
contradiction and strictly limited to the field of
interaction: a dreamy, playful logic of which her
most recent work, with its unstable entanglement,
remains the truest image.
1
Texte cité par Jean-Pierre Criqui, « Tric Trac pour Tony Smith »,
Un trou dans la vie. Essais sur l’art depuis 1960, Paris, Desclée de
Brouwer, 2002, p. 41. Jean-Pierre Criqui au demeurant a consa‑
cré un texte à la sculpture d’Elisabeth Ballet, « Un moment dans
la cage », catalogue Trait pour trait, Domaine de Kerguéhennec,
Locminé.
“Talking with Tony Smith”, in Ar tforum, New
York, vol. 1, no. 4, December 1966, pp. 18–19. Reprinted
in Charles Harrison & Paul Wood, Art in Theory: 1900–
2000, Oxford, Blackwell, 2003, p. 760. Quoted by JeanPierre Criqui in “Tric Trac pour Tony Smith”, in Un trou
dans la vie. Essais sur l’art depuis 1960, Paris, Desclée de
Brouwer, 2002, p. 41. Criqui also contributed “Un moment
dans la cage” to the catalogue for Elisabeth Ballet’s exhibition Trait pour trait at the Domaine de Kerguéhennec,
Locminé, France.
1
Fig.5 Elisabeth Ballet, Olympia, 2000/02
Acier inoxydable / Stainless steel
Dimensions variables / Variable dimensions
© Elisabeth Ballet
Fictions d’espaces
Corinne Rondeau
Corinne Rondeau est maître de conférences en esthétique et sciences de l’art à l’Université de Nîmes.
Elle collabore régulièrement aux émissions de France Culture. Son travail a donné lieu à de nombreuses
publications (revues, collectifs, catalogues) sur le cinéma, notamment dans Trafic, sur l’art contemporain,
dans Offshore, ZéroQuatre, Frog, sur la littérature et la poésie. Elle a co‑dirigé Dommage(s). À propos de
l’histoire d’un baiser, avec Éric Mézil aux éditions
Actes Sud en 2009.
Fictions
of spaces
Corinne Rondeau
Corinne Rondeau is a senior lecturer in Aesthetics
and the Sciences of Art at the University of Nîmes,
and is heard regularly on Radio France Culture.
She has published widely on the cinema in books,
catalogues and magazines, notably Trafic; on Contemporary art in Offshore, ZéroQuatre and Frog;
and on literature and poetry. With Eric Mézil she
co-edited Dommage(s). À propos de l’histoire d’un
baiser (Actes Sud, 2009).
Pour cette nouvelle exposition hors les murs, le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence
n’a pas dérogé à l’héritage de sa plus importante collection, celle des Hubert Robert.
Si la ruine colle à la réputation du grand peintre paysagiste, au point d’identifier trop souvent son
œuvre à ce maître mot, il laisse ses fictions topographiques errer dans notre mémoire, nous léguant le
goût d’un paysage de caprices plus que de rigueur documentaire : l’architecture représentée se mêle à
une nature qui a l’artifice de son apparence, anticipant le principe romantique de la mimésis (la nature
selon l’art). Ses paysages sont l’annonce contrariée des temps, et Diderot ne s’y est pas trompé dans son
Salon de 1767 : « Les idées que les ruines éveillent en moi sont grandes, tout périt, tout passe. Il n’y a que
le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. Il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. »
Marcher entre deux éternités, sans doute parce que ce qui reste de l’art – qui d’être une indé‑
cidable fin n’est pas moins son évidente relance – ne s’ordonne jamais de l’exactitude de la raison, de
l’évidence de nos corps voués à la disparition.
Reste à parcourir l’espace des fictions de l’art, là
For this new off-site exhibition, the Musée
des Beaux-Arts et d’Archéologie in Valence has
où les centres se sont perdus dans la multiplicité
remained faithful to the heritage of its largest sindes temps d’un monde où il est toujours midi à
gle holding: the work of Hubert Robert.
sa porte, là où ce qu’on voit nous conduit à nous
Even if the reputation of this great landdissoudre à force de trajectoires multiples et infi‑
scape painter is so marked by ruins as to be too
nies, là où les points de rencontres sont autant de
often exclusively identified with them, Robert’s
chemins inachevés, où ce qui compte n’est plus
topographical fictions continue to haunt our memories, leaving a taste more of whimsy than of
la description du carrefour mais le lieu où l’on se
documentary exactness: their buildings blend into
tient sans qu’aucune direction ne soit ordonnée.
a natural setting as artificial as it looks, in anticiL’héritage de cette annonce contrariée
pation of the Romantic principle of mimesis – of
faite au temps et à l’espace trouve son déploie‑
nature as seen through art. Robert’s landscapes
ment avec cette cinquième exposition dans le
are a thwar ted expectancy, as Diderot did not
cadre de la rénovation du musée, et pour la pre‑
fail to note in his “Salon of 1767”: “The ideas that
ruins awake in me are grandiose…all perishes,
mière fois à l’imprimerie Céas, vouée à une démo‑
all passes. Only the world remains. Only time relition prochaine, Immersion [Franz Ackermann /
mains. How old this world is! I move between two
Elisabeth Ballet / James Turrell]. Que dire de la
eternities.”
réunion de ces trois artistes que tout sépare, tant
Moving between two eternities: doubtdans les procédures que dans les effets ? Que
less because what remains of art – that undecidadire de ces œuvres dont la qualité première est
ble end that is nonetheless its own new beginning
d’être outrageusement dissemblables les unes
– never submits to the exact ordering of reason,
as proven by these ultimately doomed bodies of
des autres ? Ici le terme d’immersion renvoie à une
ours. We are left to traverse the space of art’s
plongée contrariée, il interroge l’espace moins
fictions, out where the centres are lost amid the
comme spectacle visuel que comme moment
multiple temporalities of a world in which everyone sees things his own way; where what we
see leads us to self-dissolution along countless
infinite trajectories; where the meeting points are
so many roads that peter out; where what counts
is not the description of the crossroads but the
place where one happens to be with no specific
direction laid down.
The heritage of this thwarted anticipation
of time and space finds its full unfolding in Immersion [Franz Ackermann / Elisabeth Ballet / James
Turrell], the fifth exhibition for the renovation period and the first at the soon to be demolished Céas
printery. What to say about this bringing-together
of three artists who could not be more different
in their ways of working and the effects they produce? What to say about these works whose primary quality is to be outrageously different from
each other? Here the term “immersion” conjures
up a thwarted plunge into the depths: it addresses
space less as visual spectacle than as fictional
fictionnel. Autrement dit, l’espace de l’exposition relève du désir de montrer l’art comme déplacement
des frontières : limites éclatées, resserrées, dilatées. Les œuvres soulignent la diversité des regards sur
l’environnement – les aéroports et les stades de football de Franz Ackermann, le formalisme et les routes
d’Elisabeth Ballet, la lumière et les « chambres » colorées de James Turrell – et sollicitent la multiplicité
des corps dans l’espace et les manières de voir. Immersion est un espace de l’expérience plus qu’une
expérience de l’espace.
event. To put it another way, the exhibition space
reflects an urge to show art as a displacement of
borders: boundaries shattered, shrunken, dilated.
The works underscore a diversity of views of the
environment – Franz Ackermann’s airports and
football stadiums, Elisabeth Ballet’s formalism
and roads, James Turrell’s light and coloured
“chambers” – as they summon up the multiplicity
of bodies in space and the ways of seeing them.
Immersion, the exhibition, is an experience space
rather than an experience of space.
But the thwarting would still not be radical
if it did not make play with a real, visual plunge.
Never shown before, Turrell’s Pink Mist is first of all
a white parallelepiped twelve metres long which
you walk around, then enter. As if, here in the printery, a white cube had no other possibilities than
to be a white cube turned inside out, facing the
exterior. Putting the exhibition space outside itself
is a way of deconditioning it, so that light becomes
the material and the actual experience of artifice.
You have to enter. This is not an exhibition space,
it’s a space for sensorial experience where optical
adjustment plays the main role in the illusion. The
point is to make vision enter so deeply into the
body that the sensation is one of engulfment: the
body is absorbed by vision. A coloured rectangle
plunged into darkness generates a silent attraction with its strange intensity. The body cannot
be restrained in its gradual move towards the
rectangle, such is its need to communicate its
amazement to the experience. The rectangle is a
cut-out of coloured light magnetically drawing the
Mais la contrariété ne serait pas encore
radicale si elle ne jouait pas d’une plongée visuelle
et réelle. Jamais montré au public, Pink Mist, de
James Turrell, est d’abord un parallélépipède
blanc de douze mètres de long autour duquel on
tourne avant d’entrer. Un peu comme si un white
cube n’avait plus d’autres possibilités que d’être un
cube blanc retourné à l’extérieur, le dedans mis
dehors, ici dans l’espace de l’imprimerie. Mettre
le lieu de l’exposition hors de lui-même est une
manière de le déconditionner afin que la lumière
devienne le matériau et l’expérience même de
l’artifice. Il faut y entrer. Ce n’est pas un espace
d’exposition, c’est un espace d’expérience senso‑
rielle où l’adaptation optique joue le rôle principal
de l’illusion. Il s’agit de faire pénétrer la vision à tel
point dans le corps que la sensation relève d’un
engloutissement : le corps est absorbé par sa
vision. Un rectangle coloré plongé dans l’obscu‑
rité attire sourdement par son étrange intensité.
Puis le rapprochement du corps vers le rectangle
est impossible à réprimer tant il faut rendre à
l’expérience sa stupéfaction. Le rectangle est une
découpe de lumière colorée qui aimante le corps
désormais titubant. Cette chambre n’est d’aucun recueil, d’aucun sommeil, et sa découpe colorée de
surface est en fait un creux de plus de deux mètres de profondeur. Lumière colorée qui externalise l’œil
du réel, tout entier logé désormais dans ce qui reste de nous – un fond d’œil. L’expérience touche la limite
du rapport au dehors : la découpe du rectangle rougeoyant plongé dans l’obscurité lève toute capacité
à connaître la distance entre notre corps et la lumière – nous sommes plus loin de la lumière que nous
ne le sommes réellement. L’expérience de cette
now reeling body. No meditation in this chamber,
distance revient à perdre pied dans l’espace :
no sleep, and the coloured surface of the cut-out
devenir soi-même une surface. C’est le vertige.
is in reality a hollowness more than two metres
La vision échappe aux distances (ni près, ni loin),
deep. Coloured light which exteriorises the eye
abandonnant nos corps sur le seuil de nos yeux
of reality, now totally lodged within what remains
absorbés/rejetés par la lumière colorée. Vider le
of us – a fundus. This experience takes us to the
corps de ses vertus coordonatrices de l’espace,
brink of the relationship with the outside: the
cut-out shape of the glowing rectangle plunged
laisser flotter la raison dans l’espace sans dehors
into darkness removes all capacity to grasp the
ni dedans d’être le cœur de la chambre, odyssée
distance between our body and the light – we are
sans limite de la vision.
further from the light than we actually are. The
Sortir du parallélépipède revient à s’éton‑
experience of this distance is like losing your spaner, côté lumière naturelle, de retrouver une épais‑
tial footing: like becoming a surface yourself. The
seur, une masse au corps et des yeux. Retour à la
effect is vertiginous. Vision is beyond questions
of distance – neither near nor far – as it abandons
vision de l’espace commun où le divorce entre ce
our bodies on the threshold of our eyes absorbed/
qui est livré ici et là a été prononcé.
repulsed by the coloured light. The body emptying itself of its capacities for spatial coordination,
reason left floating in the insideless outsideless
being-space of the heart of the chamber, vision in
all the limitlessness of its odyssey.
Exiting the cube brings a kind of astonishment at recovering, in natural light, the depth and
mass of the body and the eyes. A return to vision
in the shared space where the divorce between
what you get here and what you get there has
been decreed.
Dehors, dans l’espace ouvert de l’imprimerie, les corps reprennent le sens de la marche et
tournent autour de deux pièces d’Elisabeth Ballet,
dans un jeu de mise en vol de lignes colorées
Outside, in the open space of the prin(Smoking & Brillantine) et celui de leur attirance
ter y, the bodies get back on track around two
pieces by Elisabeth Ballet: an interplay of flying
mutuelle (Road Movie). Parce qu’elles ont une
coloured lines (Smoking & Brillantine) and the
limite à la fois parfaitement contraignante – ici on
outcome of their mutual attraction (Road Movie).
n’entre pas ! ­– et étrangement flottante – il doit
Because both have a boundar y that is at once
bien y avoir une issue ? –, les œuvres renvoient
totally restrictive (no entry here!) and strangely
à l’espace qu’elles imposent : « toujours autour et
indefinite (there must a way out, no?), the works
dedans », selon les mots de l’artiste. Autrement dit,
reference the space they impose: “always around
il faut entrer dans l’œuvre sans la pénétrer phy‑
and within”, as the artist puts it. In other words,
you have to get inside the work without physically
siquement. Il faut tourner entre mouvements et
entering it. You follow it in fits and starts. An epic
arrêts. Epopée du rythme et formule kérouacienne
in rhythm and a Kerouac turn of phrase – “Where
(« Là où commence la route ») s’emmêlent dans une
the road starts” – intermingle in a dual suspension
double suspension comme le corps à la pensée :
like body and thought: where do the line and the
où commencent une ligne et le dehors ? Nulle part
outside start? Nowhere and everywhere, because
et partout parce qu’il y a des œuvres comme des
there are works like places, and places which are
like the aventurings of a single soul endlessly taklieux, et des lieux qui sont comme l’aventure d’une
ing to the road without knowing where it’s going.
seule âme qui reprend incessamment la route
Which is a way of understanding Ballet’s marvelsans connaître le chemin. C’est ainsi que l’on peut
lous “You can’t make the road!”
comprendre cette belle phrase d’Elisabeth Ballet :
Smoking & Brillantine is a group of metal
« On ne peut pas faire la route ! »
structures. Lines of different colours take over the
Smoking & Brillantine est un ensemble
flat edges of curved, undulating metal welded to
tubes of different heights considering each other
de structures en acier. Des lignes de couleurs
from above. The flattening effect of our gaze turns
envahissent le plat du métal courbé, ondulé et
this into an open drawing in space, in which the
soudé à des tubulaires de hauteurs différentes se
first line is always the one you see first and buds
regardant en plongée. L’effet d’écrasement de la
off in a fresh departure at the intersection of a
vision forme un dessin ouvert dans l’espace, où la
line passing under it and one passing over it. Like
première ligne est toujours celle qu’on voit en pre‑
the lines of colour running through the space, the
mier, et bourgeonne d’un nouveau départ à l’inter‑
gaze is orchestrated and the emptiness – “around
and within” – generates a powerful disorientation.
section d’une ligne passant dessous et d’une ligne
We are the road!
passant dessus. Comme les lignes de couleurs
courantes dans l’espace, le regard est rythmé et le
vide – « autour et dedans » – fabrique la puissance
d’une désorientation.
Nous sommes la route !
Road Movie joue du resserrage, réduit le vide, l’élève. Plus haute que Smoking, on la regarde tou‑
jours vers le bas, mais cette fois comme une surface. Les lignes attirent, s’intensifient dessinant l’œil de la
route, et l’on voudrait être plus grand, plus grand encore, pour la voir de plus haut, peut-être plonger de‑
dans. Les effets métaphoriques sont des transports que les lignes opèrent sans début ni fin, comme Walt
Whitman écrit que l’herbe pousse par le milieu, comme les road-movies sont le milieu des existences.
Désir de la route qu’on ne peut voir qu’en se plantant au centre de sa propre histoire, choix de sa liberté.
Choisir une fiction des couleurs de Road Movie à celles de Terminal Tropical, de Franz Ackermann.
Monumentale structure hétérogène courbe et plane à voir recto verso. Elle prend son élan, se tient en
équilibre dans l’espace avec un faux air de concur‑
Road Movie tightens things up, reduces
rence joyeuse : un plan voudrait jouer du mural.
the emptiness and raises it. Higher than Smoking,
Derrière Terminal, un wall painting, Treibholz,
it always has you looking at the lower part, but this
coupé par une ligne horizontale de photographies,
time as if it were a surface. The lines exert their
traces de voyages qui se divisent en gros plan
attraction, are intensified as they draw the eye of
the road, and you’d like to be taller, taller still, so
et plan d’ensemble. C’est la distance qu’on s’au‑
as to see it from higher up and maybe even dive
torise toujours en amateur : irruption de l’image
in. The metaphorical effects are the transports
dans le réel, pas question de changer de point
the lines effectuate without beginning or end, like
de vue ! Treibholz et Terminal aux couleurs sans
Walt Whitman writing that grass grows from the
complexes, livrés au jeu des trouées en forme
middle, like road movies being the middle of existde cercle où passe indifféremment le mur dans
ences. That desire for the road that you can only
see by standing in the centre of your own history,
le plan. Comment ça tient tout ça ? Ça tient dans
choosing your freedom.
la constellation et la syncope. Si Treibholz est le
mural empêché, Tropical lui impose la syncope.
Choosing a fiction with colours running
Si Terminal est le plan rêvé où le voyage s’annonce
from Road Movie to Franz Ackermann’s Terminal
comme le désir de la destination, où le souvenir
Tropical. A monumentally jumbled cur ved flat
réel ou imaginaire s’étoile afin de relier la situation
structure to be looked at from both sides. It takes
off, then stays hanging in space with a fake comgéographique sans carte et l’état psychologique
petitive air: a plane surface playing at being a
sans identité, alors il est le rêve de la constellation.
mural. Behind Terminal is Treibholz, a wall painting
cut through by a horizontal line of photographs,
bits of trips divided into close-ups and wide shots.
The distances amateurs always opt for: the image
breaking into reality, no question of changing the
point of view! Treibholz and Terminal: uninhibited
colours, play with circles of see-throughs that let
the wall through into the picture plane. How does
it all hold together? Answer: by constellation and
syncope. If Treibholz is the blocked mural, Tropical
is the imposed syncope. If Terminal is the dream
plan in which the trip is foreshadowed as the urge
towards the destination, in which the real or imaginary memory radiates cracks so as to pull together
a mapless geographical situation and an identityfree psychological state, then it’s the dream of the
constellation.
C’est que le monumental dessin joue avec la photographie banale, entre la circulation et l’instan‑
tané, rupture et renvoi, syncope et allégresse utopique. Le travail de Franz Ackermann est l’éclatement
des connexions, l’absence de gradations, l’ultime jouissance de la couleur saturée et anti-naturaliste. Saut
dans l’espace d’une vision désabusée qui n’attend que son topos pour se libérer. Troué Terminal, poreux
peut-être au monde, à l’abandon du monde sans aucun doute : entre l’artifice d’un palmier et des revues
de tourisme occidental, des vêtements en tas ou jetés négligemment s’invitent à l’avant d’une étroite
passerelle. Sous l’éclat de la constellation, l’absence des corps insiste comme une décharge où l’artifice
de l’art se conjugue avec sa pauvreté nécessaire. Si l’artiste est un voyageur, il n’en a plus les illusions.
Il est devenu le point d’observation qui n’arrête pas de dériver entre les excès et les saturations du glo‑
bal et du local. Dans un monde qui change d’espace à force de déployer des trajectoires, les limites se
fragmentent, se croisent, se recouvrent, se multiplient. Face à Terminal, aucun point de vue n’est possible
sinon de conduire la syncope à son terme narratif : « Voilà un moment de très forte surdétermination,
de condensation et de déplacement qui m’est exhibé comme si la fresque me disait : « Regarde bien et
essaie de comprendre » ; c’est une syncope à la fois dans le récit et dans la figure, qui affecte l’énonciation
autant que le contenu. » (Louis Marin)
Franz Ackermann force le regard, fait lever la tête, demande qu’on se tienne en un lieu indéci‑
dable à force de se déplacer. Autrement dit, l’usage de la syncope et de la constellation est aussi celui
d’une effraction de l’espace. Mais l’effraction est encore et toujours le désir de voir comme on troue
le plan, on cherche l’image dans l’exubérance d’un
espace qui n’a plus de logiques articulatoires :
Here monumental drawing plays with
everyday photography, between movement and
« Regarde bien et essaie de comprendre ».
snapshot, severance and return, syncope and utopian glee. Ackermann’s work is the shattering of
connections, the absence of shading, the ultimate
pleasure of saturated, anti-naturalistic colour.
A leaping into the space of a disillusioned vision
only waiting for its topos so it can cut free. Holey
Terminal, maybe porous to the world, abandoned
by the world for sure: fake palm tree, Western tourist mags, and heaped or carelessly tossed clothes
getting together at a narrow footbridge. Under the
brilliance of the constellation the flagrant absence
of bodies, like a garbage dump where art’s artifice
combines with its own necessary poverty. The artist might be a traveller, but he’s dropped all the
illusions that go with it. He’s become the observation point drifting endlessly between the excesses
and the saturations of the global and the local.
In a world where space changes in unfoldings of
trajectories, the boundaries fragment, intersect,
overlap, multiply. Faced with Terminal, there’s no
possible point of view except syncope taken to its
narrative conclusion: as Louis Marin puts it, “Here
is a moment of very strong overdetermination, of
condensation and displacement, that is exhibited
to me as if the fresco were saying: ‘Look hard and
try to understand’; it is a syncope both in the narrative and in the figure, one that affects the utterance as much as the content.”
Franz Ackermann forces your gaze, makes
you look up, exacts that through constant movement you occupy some undecidable place. In other words the use of syncope and constellation is
also spatial breaking and entering. But a breaking
and entering that is an urge to see as you puncture
the plane surface. You search for the image in
the exuberance of space devoid of all structuring
logic: “Look hard and try to understand.”
Plongée fictive : c’est de ce Terminal qu’on voudrait voir Road Movie comme la retombée de cou‑
leurs après qu’elles ont atteint leur saturation maximale, et que refroidies par la chute elles s’accordent
une nouvelle dérive. C’est le goût de la vue non focalisée qui œuvre en une dynamique flottante où le
point de vue n’est plus le majordome de l’art mais la condition de possibilité pour voir le monde hors de
ses frontières, petites et grandes, de ses fabriques de pauvreté et de richesse.
C’est alors qu’en sortant de l’imprimerie Céas, aiguisé par le remue-ménage du grand dehors
du monde qui s’appelle l’art, un espace clos et vitré livre son ultime sensation. Devant des fenêtres,
Elisabeth Ballet anime d’un souffle un voile translucide à la lumière laiteuse (Petite dépression), tandis que
tremblent les ombres de branches et de feuilles d’arbres (Eye Shadow). Tout semble ailleurs comme le
souvenir d’une pensée : on est toujours au lieu où
l’on n’est pas !
Fictive dive: from this Terminal you’d like
to see Road Movie as colours coming to rest once
C’est de ce souvenir qu’un certain Hubert
they’ve achieved maximum saturation and, cooled
Robert a fait ses caprices, ouvert les fenêtres
by their fall, let themselves drift again. The taste
du temps et de l’espace, fermé le paysage à sa
for an unfocused life is at work in a shifting dyfatalité naturelle pour rendre au monde sa vertu
namic in which the point of view is no longer art’s
indécidable, qu’on se tienne en son cœur, sur
butler but the precondition for seeing the world
sa bordure, dans son obscurité ou ses couleurs
beyond its borders big and small, beyond its poverty and wealth factories.
étranges, dans ses villes ou ses déserts.
And it’s as you’re exiting the Céas printery, mind sharpened by the commotion of that
great outside of the world that is called art, that
an enclosed, glassed-in space yields its ultimate
sensation: Elisabeth Ballet breathes life into a
translucent milky-lit veil covering the windows
(Petite dépression), in time with the trembling of
the shadows of tree branches and leaves (Eye
Shadow). Everything seems elsewhere, like the
memory of a thought: you’re always in the place
where you’re not.
It was with this memor y that a cer tain
Hubert Robert indulged his fancy, opened the windows of time and space, closed landscape off from
its natural fate, and restored the world’s undecidable quality so that we might live on in its heart or
on its fringe, in its darkness or its strange colours,
in its cities or its deserts.
Franz Ackermann
(Neumarkt, Allemagne > 1963),
vit et travaille à Berlin et à Karlsruhe.
Franz Ackermann est aujourd’hui considéré comme l’un des principaux représentants du renouveau de la
peinture allemande. Il est connu pour ses exubérantes peintures et ses installations ayant principalement
pour thèmes le voyage, le tourisme, la prolifération
urbaine. Il travaille longuement in situ, afin de créer
un rapport privilégié entre son œuvre et l’endroit
visité.
Fr a n z Ac ke r m a nn dé f ini t ain s i l ’ex pé r ie nc e
du voyage comme le cent re de son t ravail,
(b. Neumarkt, Germany 1963),
créant dans ses œuvres une cartographie sub‑
lives and works in Berlin and Karlsruhe
jective où se croisent des images complexes
d ’e n v i r o n n e m e n t , d e p a y s a g e e t d e v i l l e .
Considered one of the leading lights of the current
L’ar tiste prend également soin de choisir des
painting revival in Germany, Franz Ackermann is
titres parlants pour nommer ses œuvres : titres
known for exuberant pictures and installations foévocateurs de véritables voyages, de promenades
cusing mainly on travel, tourism and urban sprawl.
intérieures dans des lieux inconnus ou entrevus.
He spends a great deal of time working on-site, so
Il ouvre ainsi de nouvelles barrières à franchir afin
as to set up a real relationship between the work
and the place in question.
d’appréhender le monde dans lequel nous vivons.
Describing the experience of travelling as the
Cet « observateur-voyageur » soulève les questions
core of his work, Ackermann uses his pieces to
de la présence et de l’absence, du voyage et de
create subjective maps out of complex overlapla sédentarité, de l’occupation et de la libération.
ping images of the environment, landscapes and
Franz
Ackermann
cityscapes.
He makes a point, too, of finding eloquent titles
that suggest real trips, inner wanderings through
unknown or half-glimpsed places. In this way he
breaks down barriers to our understanding of the
world we live in.
This “traveller-observer” raises issues of presence
and absence, of moving about and staying put, of
occupation and liberation.
Expositions personnelles
Sélection
Solo exhibitions
Selection
2010
2010
Wait
White Cube, Londres, Royaume-Uni
Wait
White Cube, London, England
2009
2009
Franz Ackermann
Kunstmuseum, Bonn, Allemagne
Franz Ackermann
Kunstmuseum, Bonn, Germany
2005
2005
Franz Ackermann
FRAC Champagne-Ardenne, Reims, France
Franz Ackermann
FRAC Champagne-Ardenne, Reims, France
2002
2002
Seasons in the Sun
Stedelijk Museum, Amsterdam, Pays-Bas
Seasons in the Sun
Stedelijk Museum, Amsterdam, Holland
Expositions collectives
Sélection
Group exhibitions
Selection
2009
2009
Altermodern : Tate Triennial
Tate Britain, Londres, Royaume-Uni
Altermodern: Tate Triennial
Tate Britain, London, England
Private Universes
Dallas Museum of Art, Dallas, États-Unis
Private Universes
Dallas Museum of Art, Dallas, United States
Les œuvres de Franz Ackermann sont conservées
dans de nombreuses collections privées et publiques
en France (Fonds national d’art contemporain,
FRAC Champagne-Ardenne) et à l’étranger
(Kunstmuseum de Wolfsburg en Allemagne,
MoMA – Museum of Modern Art de New York).
Franz Ackermann’s works have been acquired
by numerous private and public collections
in France (National Contemporary Art Collection,
Champagne-Ardenne Regional Contemporary
Art Collection) and elsewhere (the Kunstmuseum
in Wolfsburg, Germany, MoMA in New York).
Elisabeth Ballet
(Cherbourg, France > 1957),
vit et travaille à Paris.
Apparue sur la scène artistique à la fin des années 1980 avec des travaux interrogeant la notion
d’espace clos, Elisabeth Ballet s’est ensuite engagée dans une réflexion sur les éléments fondamentaux
de la sculpture, renouant avec une approche plus
expérimentale et physique. Dès lors, ses installa‑
tions réagissent au contexte architectural, tenant
compte de sa spécificité et de ses contraintes.
Il s’agit moins pour l’artiste d’en dégager les poten‑
tialités que d’élaborer l’espace d’une sculpture, au‑
(b. Cherbourg, France, 1957),
tonome, espace privé au sein d’un espace public.
lives and works in Paris.
Les sculptures d’Elisabeth Ballet ont comme ori‑
gine une idée, qui se prolonge aussi dans les
Emerging onto the art scene in the late 1980s
t it re s évoc ateurs et glamour de se s œuvre s
with works addressing the concept of enclosed
(Eye Shadow, Eye Liner, Swing, Olympia, Smoking
space, Elisabeth Ballet later returned to a more
& Brillantine).
physical, experimental approach focusing on the
Parce qu’elle refuse le principe d’une sculpture
fundamentals of sculpture. Her installations are
site-specific reactions to the architecture of the
en trois dimensions refermée sur elle-même, l’ar‑
venue and the constraints it imposes. The issue for
tiste investit l’espace avec du plexiglas, du sable,
the artist is not so much highlighting the venue’s
des structures posées au sol, ou encore comme
potential as the introduction of an autonomous
dans Immersion, des lignes colorées, de l’air, des
sculpture, the creation of a private space within
images.
a public one.
Ainsi se mettent en place des effets de transpa‑
Ballet’s sculptures begin with an idea which also
rence, des superpositions d’espaces différents.
finds expression in such glamour-inflected titles
Elisabeth
Ballet
as Eye Shadow, Eye Liner, Swing, Olympia and
Smoking & Brillantine.
Rejecting the principle of self-enclosed threedimensional sculpture, she takes over the space
with plexiglas, sand, floor structures and, as in Immersion, coloured lines, air and images.
The outcome is a play on transparency and overlays of different spaces.
Expositions personnelles
Sélection
Solo exhibitions
Selection
2007
Sept pièces faciles
Le Grand Café - Centre d’art contemporain,
Saint-Nazaire, France
2007
Sept Pièces Faciles (Seven Easy Pieces)
Le Grand Café, Centre for Contemporary Art,
Saint-Nazaire, France
2002
Vie privée
Carré d’Art - Musée d’art contemporain,
Nîmes, France
2002
Vie Privée (Private Life)
Carré d’Art Museum of Contemporary Art,
Nîmes, France
1997
BCHN
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris,
France
Expositions collectives
Sélection
1997
BCHN
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,
France
Group exhibitions
Selection
2011
Nevermore
MAC/VAL - Musée d’art contemporain
du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine, France
2011
Nevermore
MAC/VAL - Val-de-Marne Museum
of Contemporary Art, Vitry-sur-Seine, France
2010
En mai, fais ce qu’il te plaît !
Musée Bourdelle, Paris, France
2010
En Mai, Fais ce qu’il te Plaît!
Musée Bourdelle, Paris, France
2009
elles@centrepompidou
Musée national d’art moderne - Centre Pompidou,
Paris, France
elles@centrepompidou
Centre Pompidou, Paris, France
Les œuvres d’Elisabeth Ballet sont présentes
dans de nombreuses collections privées et publiques
en France (Fonds national d’art contemporain,
Fonds régionaux d’art contemporain, Musée d’Art
moderne de la Ville de Paris) et à l’étranger
(Wilhelm‑Hack Museum de Ludwigshafen en Allemagne,
Sonje Museum de Kyongjiu en Corée).
Elisabeth Ballet’s work is to be found
in many private and public collections in France
(National Contemporary Art Collections,
various Regional Contemporary Art Collections,
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris) and abroad
(Wilhelm‑Hack Museum, Ludwigshafen, Germany and
the Sonje Museum in Kyongjiu Korea).
2009
James Turrell
(Los Angeles, États-Unis > 1943),
vit et travaille à Flagstaff, Arizona, et à New York.
Diplômé en mathématiques et en psychologie expérimentale, James Turrell revendique pour sa dé‑
marche la double appartenance à la culture scientifique et technique.
Depuis la fin des années 1960, ses installations
– appelées également « environnements percep‑
tuels » – sont réalisées à partir d’un seul matériau :
la lumière, naturelle ou artificielle.
(b. Los Angeles, USA, 1943),
En 1973, son premier « Skyspace », composé d’une
lives and works in Flagstaff, Arizona,
and in New York.
ouverture (« aperture ») dans le toit d’un bâtiment,
laisse apparaître le ciel dans l’interstice comme
une surface complètement plane. Mis à part les
Holder of degrees in mathematics and experidessins et les plans qui accompagnent ses œuvres
mental psychology, James Turrell considers his
de plus grande envergure, la production de l’ar‑
work as allying the artistic with the scientific and
tiste ne comporte ainsi aucun objet en tant que tel.
technological.
Ses interventions et installations « en chambre » ou
Since the late 1960s his installations – which he
also calls “perceptual environments” – have comà ciel ouvert procèdent toutes d’une quête artis‑
prised one single material: light, whether natural
tique qui déstabilise notre relation au réel.
or artificial.
En manipulant la lumière, James Turrell sollicite les
In 1973 his first Skyspace, made up of an aperture
sens, bouscule la perception du spectateur. Dans
in the roof of a building, allowed the sky to show
ses œuvres, la lumière prend une extraordinaire
through as a completely flat surface. Apart from
matérialité à travers la création d’espaces fictifs,
the drawings and plans that accompany his largest
works, Turrell’s output includes no objects as such.
troublants et fascinants.
James Turrell
His indoor and outdoor pieces and installations all
have their source in an artistic quest whose effect
is to destabilise our relationship with reality.
Turrell’s handling of light speaks to the senses in a
way that upsets the viewer’s perceptions. In these
works light takes on an extraordinary material
quality via his creation of disturbing, fascinating
fictive spaces.
Expositions personnelles
Sélection
Solo exhibitions
Selection
2009-2010
2009-2010
The Wolfsburg Project
Kunstmuseum Wolfsburg, Allemagne
The Wolfsburg Project
Kunstmuseum Wolfsburg, Germany
2006
2006
James Turrell – A Life in Light
Louise T Blouin Foundation, Londres, Royaume-Uni
James Turrell – A Life in Light
Louise T Blouin Foundation, London, England
Expositions collectives
Sélection
Group exhibitions
Selection
2009
2009
Par delà la matière
Musée des beaux-arts, Dunkerque, France
Par delà la matière
Musée des beaux-arts, Dunkerque, France
2008
2008
Time & Place: Los Angeles, 1958-1968
Moderna Museet, Stockholm, Suède
Time & Place: Los Angeles, 1958-1968
Moderna Museet, Stockholm, Sweden
Principaux skyspaces
Principal skyspaces
2009
2009
Fundación NMAC Vejer de la Frontera,
Cadiz, Espagne
Fundación NMAC, Vejer de la Frontera,
Cadiz, Spain
2006
2006
Roden Crater
Flagstaff, Arizona, États-Unis
Roden Crater
Flagstaff, Arizona, United States
1986
1986
Meeting
P.S.1 Contemporary Art Center,
New York, États-Unis
Meeting
P.S. 1 Contemporary Art Center,
New York, United States
Les œuvres de James Turrell font partie de nombreuses
collections publiques et privées en France (Fonds national
d’art contemporain, Musée national d’art moderne –
Centre Pompidou) et à l’étranger (Tate de Londres,
LACMA Los Angeles County Museum of Art,
Israel Museum de Jérusalem). Un musée James Turrell,
consacré à son œuvre, a ouvert ses portes en 2009
à Colomé (Argentine) à l’initiative du collectionneur
suisse Donald Hess.
James Turrell’s work is to be found in many
private and public collections in France (National
Contemporary Art Collections, Centre Pompidou)
and elsewhere (Tate Gallery in London,
LACMA – Los Angeles County Museum of Art, the Israel
Museum in Jerusalem). In 2009 a James Turrell museum
devoted to the artist’s work opened in Colomé,
Argentina, at the instigation of Swiss
collector Donald Hess.
Bibliographie
Bibliography
Sélection
Elisabeth Ballet
Vie privée, Elisabeth Ballet
[Exposition]
Franz Ackermann
Carré d’art, Musée d’art contemporain,
Nîmes, 2002
Franz Ackermann
BCHN, Elisabeth Ballet
[Exposition]
[Exposition]
FRAC Champagne-Ardenne, Reims
Dijon : Presses du Réel, 2005
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
Paris : Paris-Musées, 1997
Franz Ackermann, Naherholungsgebiet
Elisabeth Ballet
[Exposition]
[Exposition]
Kunstmuseum, Wolfsburg
Bielefeld : Kerber Verlag, 2003
Centre d’Art Contemporain
du Domaine de Kerguéhennec, Bignan
Bignan : Éditions du Centre d’Art, 1990
Franz Ackermann,
[Exposition]
Kunsthalle, Bâle, 2002
Bâle : Schwabe & Co. AG, Verlag, 2001
Franz Ackermann, OFF
[Exposition]
Kasseler Kunstverein, Kassel
Cologne : Verlag der Buchhandlung
Walther König, 1999
James Turrell
James Turrell l’iconoclaste
par Jean-Luc A. d’Asciano
In Ligeia, juillet-décembre 2005
James Turrell
[Exposition]
Institut Valencià d’Art Modern (IVAM),
Valencià, Espagne, 2004-2005
L’homme qui marchait dans la couleur :
fable du lieu
par Georges Didi-Huberman
Paris : Éditions de Minuit, 2001
James Turrell : la perception est le médium
par Jacques Meuris
Bruxelles : Éditions de la Lettre volée, 1995
James Turrell: Alien Exam,
St Elmo’s breath, behind my eyes, the wait
[Exposition]
Musée d’Art Contemporain, Lyon, 1992
Dans le contexte de la rénovation-extension
du musée et jusqu’à sa réouverture en 2013,
le musée de Valence hors les murs propose
le principe des Combinaisons, expositions
réalisées à partir des collections du musée
auxquelles sont associées des pièces
produites par des artistes ou issues d’autres
institutions, galeries ou collections privées.
Privilégiant le contact direct à l’œuvre,
à travers des choix ciblés, ces expositions
sont chaque fois une expérience
de la présentation de l’œuvre,
comme de la place qu’occupe le visiteur
dans les propositions.
Immersion [Franz Ackermann /
Elisabeth Ballet / James Turrell] bénéficie
du soutien du Ministère de la Culture
et de la Communication, de la Direction
régionale des affaires culturelles RhôneAlpes, de l’Inspection académique
de la Drôme, de la Fundación Almine y
Bernard Ruiz-Picasso para el Arte
et de la galerie Almine Rech.
Que toutes les personnalités et institutions
qui ont permis, par leur généreux concours, la
réalisation de cette exposition et la
publication de ce catalogue trouvent ici
l’expression de notre gratitude :
Alain Maurice
Maire de Valence,
Président de Valence Agglo Sud Rhône-Alpes
Jean-Michel Pétrissans
Adjoint au Maire
chargé des grands équipements culturels,
développement et accessibilité à la culture
Christophe Desmaroux, Geneviève Verdier
Chaulieu, Audrey Marlhens, Claudie Breul,
Elisabeth Vandevoorde, Anne Brunel, Hervé
Gallois, Corinne Clauzel, Jacques Norigeon,
Coraline Andrée, Nadia Caramana, Mélanie
Colicci, Raphaël Cognioul, Guillaume
Legrand, Valérie Cudel, Amélie Lavin,
Corinne Guerci, Aude Thierry.
La Galerie Neugerriemschneider (Berlin),
la Galerie Almine Rech (Bruxelles/Paris),
le musée de Dunkerque
André Solnais
In the context of the ongoing renovation
and extension of the Valence Museum,
until its reopening in 2013, the off-site
programme is proposing Combinations,
exhibitions drawing on the collection but
also including other works provided by artists,
institutions, galleries and private collections.
Emphasising direct contact with specially chosen
pieces, each exhibition will offer an experience
of the works, their presentation and the role
of the viewer.
Adjoint au Maire
chargé de l’urbanisme et des grands travaux
Pierre Jouvencel
Directeur Général des Services
Boualem Kirèche
Directeur Général Adjoint, en charge
du Pôle services à la population
Les artistes
Franz Ackermann
Elisabeth Ballet
James Turrell
Les auteurs
Philippe-Alain Michaud
Matthieu Poirier
Corinne Rondeau
Partenaire media
Souvenirs from earth
Avec l’aimable participation
de la banque Chaix pour le vernissage
et des Amis du musée de Valence
pour le jeu-concours.
Avec l’aimable collaboration de l’Observatoire
de l’Espace du CNES
Et tout particulièrement :
Almine et Bernard Ruiz-Picasso, Frédéric
Fournier, Stephan Ackermann, Ralph Lücke,
Maria-Elisa Marchini, Valérie Chartrain,
Franz Meyer, Eric Thivolle et ses équipes,
Stéphane Mariton et ses équipes, Richard
Schotte, Patrick Frédérick et son équipe,
Jacques Gruet, Jean-Guillaume Henry,
Pierre Trontin, Pascal Béjean, Nicolas
Ledoux, Philippe Fouchard-Filippi, John
Tittensor, Marc Domage, Marcus Kreiss,
Marc Delhomme, Roland Pelletier, Lionel
Bergatto, Laurence Brangier, Christian
Deloye, Dominique Hansberger, Laurence
Salce, Gaetano Battezzato, Sophie
Costamagna, Anne-Marie Maure Chaze,
Le Ministère de la Culture et
de la Communication, la Direction régionale
des affaires culturelles Rhône-Alpes,
l’Inspection académique de la Drôme,
la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso
para el Arte et la galerie Almine Rech.
La Direction Générale des Services
La Direction de la Communication
La Direction de la Logistique
(service transports et fêtes,
ateliers municipaux)
La Direction des Achats
et des Marchés Publics
L’École régionale des beaux-arts
de Valence
Les archives municipales
Le service Ville d’art et d’histoire
L’équipe du musée
Et celles et ceux qui ont contribué
à la réalisation de cet événement.
Catalogue
Ce catalogue a été publié dans le cadre
de l’exposition du musée de Valence
hors les murs, qui s’est déroulée
dans l’ancienne Imprimerie Céas,
du 1er avril au 25 septembre 2011.
Conception et design graphique
Graphic design
Équipe de l’exposition
Musée des beaux-arts et d’archéologie
Pascal Béjean & Nicolas Ledoux
Commissariat
Hélène Moulin-Stanislas
Dorothée Deyries- Henry
Dorothée Deyries-Henry
Les textes sont composés en Cosmos,
dessinée par Gustav Jaeger en 1982
pour la fonderie Berthold.
The text is set in Cosmos, designed by Gustav
Jaeger for the Berthold foundry in 1982.
Coordination éditoriale
Coordinating editor
Photographies de l’exposition
Photographs of the exhibition
Claire Biedron Virginie Eck
Marc Domage
Médiation
Textes
Texts
Photographies de l’impression des affiches
Photographs of the posters being printed
Documentation et coordination éditoriale
Pascal Béjean
Virginie Eck Imprimé en Belgique par Snel
Printed in Belgium by Snel
Secrétariat
Distribué par
Distributed by
Montage de l’exposition sous la direction de
R-Diffusion
16, rue Eugène Delacroix, 67200 Strasbourg
www.r-diffusion.org
[email protected]
Montage
Direction de publication
Editor
Dorothée Deyries-Henry, Philippe-Alain
Michaud, Matthieu Poirier, Corinne
Rondeau
Rédaction des biographies d’artistes
Artists’ biographies
Roseline Patry
Traduction anglaise
Translation
John Tittensor
Relecture
Proofreading
Claire Biedron, Dorothée Deyries-Henry,
Virginie Eck, Hélène Moulin-Stanislas,
Roseline Patry, Pascale Soleil
Ce catalogue est édité par
This catalog is published by
Musée de Valence
Administration
Pierre Tauleigne
Communication
Roseline Patry Isbn
978-2-9539322-0-1
Dépôt légal
Mai 2011
Copyright
Tous les artistes, tous les auteurs
All rights reserved
Marie-France Seignobosc
Hervé Duboc et Béatrice Roussel
Mohamed Djerboua, Rose Giannini,
Ani Ipdjian, Sylvie Mercier, Michel Satutto,
Kader Zahri, Adil Akkari, les agents
des ateliers de la Ville, Jacques Gruet,
Jean‑Guillaume Henry, Pierre Trontin,
les étudiants de l’École régionale
des beaux‑arts de Valence,
Stephan Ackermann, Ralph Lücke
pour Franz Ackermann
Relations pour la presse et les media
Philippe Fouchard-Filippi Conception graphique et signalétique
Pascal Béjean & Nicolas Ledoux
Les affiches sont composées en Replica,
dessinée par Norm en 2008 pour la fonderie Lineto.
Posters are set in Replica, designed by Norm
for the Lineto foundry in 2008.
Médiation
Mireille Filiatre Conservateur en chef, directrice du musée
Dorothée Deyries-Henry
Conservateur-adjoint
Pascale Soleil
Attachée de conservation pour l’archéologie
Pierre Tauleigne
Responsable administratif
Virginie Eck
Documentaliste
Béatrice Roussel
Régisseur des collections
Hervé Duboc
Régisseur technique
Roseline Patry
Coordinatrice des actions de médiation
Claire Biedron
Chargée de la communication
Marie-France Seignobosc
Secrétariat
Thierry Brunel, Mohamed Djerboua,
Rose Giannini, Ani Ipdjian, Sylvie Mercier,
Michel Satutto
Agents d’accueil, technique et surveillance
James Turrell
Pink Mist, 2001
Installation de lumière / Light installation
H. 360 x L. 750 x P. 1200 cm
Collection privée / Private Collection
Courtesy Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte
Elisabeth Ballet
Eye Shadow, 2007
Installation vidéo (boucle) / Video installation (loop)
1 h 3 min 53 sec
Collection de l’artiste / Collection of the Artist
Elisabeth Ballet
Petite dépression, 2007
Rideau de soie blanc, séchoirs à mains / White silk curtain, hand dryer
Installation aux dimensions variables / Installation, variable dimensions
Collection de l’artiste / Collection of the Artist
Franz Ackermann
Treibholz (Bois flottant), 2011
Peinture murale et photographies / Wall painting and photographs
Création in situ / Site-specific work
Franz Ackermann
Terminal Tropical, 2008
Techniques mixtes sur aludibond, crayon sur papier, huile sur toile / Mixed media on aludibond, pencil on paper, oil on canvas
H. 508 x L. 280 cm
Installation aux dimensions et matériaux variables / Installation, variable dimensions
Collection de l’artiste / Collection of the Artist
Elisabeth Ballet
Smoking & Brillantine, 2011
Acier / Steel
Dimensions variables / Variable dimensions
Collection de l’artiste / Collection of the Artist
Production musée de Valence
Elisabeth Ballet
Road movie, 2008
MDF peint et métal peint / Painted MDF and painted metal
H. 105 x L. 346 x P. 458 cm
Collection musée de Valence