Origine et évolution des objets du café à Marseille aux XVIIe et
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Origine et évolution des objets du café à Marseille aux XVIIe et
ORIGINE ET EVOLUTION DES OBJETS DU CAFE A MARSEILLE AUX XVIIe ET XVIW SIECLES Si le rôle de Marseille est bien connu dans l'histoire générale du commerce du café et dans d'adoption de ce produit en France, avec l'influence déterminante des habitués de la Loge et les pratiques de convivialité qu'ils diffusèrent dans la population marseillaise, il se trouve, en revanche, que l'étude précise des éléments matériels de cet emprunt fait au Levant est moins développée. Il est certain que le seul dépouillement d'archives, s'il permet une appréciation des objets utilisés pour la préparation et la consommation du café. est souvent d'une grande pauvreté lorsqu'on voudrait saisir chaque objet dans sa spécificité technique ou décorative. D'autre part, les collections muséographiques n'offrent que des specimens rares au demeurant à partir desquels il est difficile d'extrapoler en appliquant les résultats de l'analyse d'un objet à d'autres disparus, dont seule la mention subsiste dans les documents disponibles. S'il est tentant de faire concorder l'étude descriptive d'un objet qui a survécu jusqu'à aujourd'hui. avec des documents vieux de plusieurs siècles, il reste néanmoins que les critères d'identification ont pu changer car la place, la fonction et la situation générale de l'objet dans la société d'alors étaient différentes: préparer, tenir, boire une tasse de café au XVIII"siècle à Marseille, n'avai t pas la tr.ême signification qu'ailleurs, à la même époque, ou qu'à Marseille même à une époque plus tardive. Nous essaierons à travers les pages qui suivent de saisir, par la seule étude de documents d'archives, quelle était la spécifité marseillaise dans l'adoption et la diffusion de cette nouvelle boisson venue du Proche-Orient en nous attachant au matériel qui était nécessaire à son obtention. Dans cette perspective, il apparaît que le critère «fonction » est essentiel: en effet, le thème choisi concerne exclusivement les objets propres à la préparation et à la consommation du café. Mais on se heurte, très vite, à des imprécisions et à l'existence de wnes floues autour d'objets comme les tasses, gobelets ou autres récipients utilisés pour le café, certes, mais aussi Prov~nc~ H istoriqu ~ . (ascicul~ 151 . 1988 70 HELENE DESMET -GREGOIRE pour d'autres boissons (thé, chocolat ou plus couramment eau et vin). A ce niveau-là, seule une étude terminologique permet de parvenir à une certaine clarification. Par ailleurs, lorsqu'on aborde un problème d'emprunt, il est nécessaire d'évaluer la situation du 'groupe prêt à l'emprunt avant même que les premiers signes de celui -ci soient discernables afin de préciser les éléments constitutifs qui le favorisèrent, Nous mentionnerons rapidement le fonds traditionnel de l'équipement domestique marseillais sur lequel s'artictÙèrent les éléments de ce nouveau matériel, sans oublier de voir quels furent les agents qui le firent connaître et après lesquels d'autres purent interpréter et inventer. En effet. Marseille, après avoir été importatrice de café comme d'objets servant à son usage, devint, dès le début du xVlII'siècle, un grand centre de fabrication et d'exportation de faïences vers le Proche-Orient, puis le principal centre de ré-exportation de café vers ces mêmes régions (quand le café d'Amérique supplanta celui de Moka). Cette transformation des courants d'échanges ne fut pas radicale ; l'examen de la gamme des nuances est largement évocatrice de la réalité d'alors. Quelques repères chronologiques peuvent être donnés: - En 1660, 19.000 quintaux de café arrivent à Marseille en provenance d'Egypte: un tiers de cet arrivage est destiné « à la côte provençale et languedocienne et l'arrière-pays. » ' . -En 1671 , est ouvert le premier débit de café grâce à l'esprit d 'initiative d'un Arménien: situé près de la Loge. ce café attira un cercle d'initiés qui. peu à peu. ira en s'élargissant. - En 1679 s'ouvre la première faïencerie marseillaise à Saint-Jean du Désert 2 - En 1730, le café de Moka est supplanté par celui des Antilles qui est re-exporté vers l'Empire Ottoman; en 1788, Marseille importe huit foi s plus de café qu'en 1660. - Si dès 1644 on sait que des voyageurs ramenèrent quelques tasses de porcelaine et cafetières, en 1749 « vingt-sept caisses de Fayence »parvinrent à Constantinople, et en 1763, il y en eut cent quatre-vingt douze; Smyrne et les autres Echelles en recevaient également par voie directe 1. Enfin, signalons que pour les problèmes d'emprunts lexicographiques 1. Nous renvoyons aux contributions de M. Courdurié et de P. Boulanger contenu('s dans l'ouvrage : Lt CAft en Méditerranée. HiJroÎre. Anthropolcgie. Economie (XVIII· XIX t siècle). Actes de' la Table-Ronde tenue en octobre 1980. Institut de Recherches Méditerranéennes, Aix-en-Provence. 1981, 194 p. 2. M. DESNUELLE, lA faïence à Marseille au XVII' siècle. Sain/-Jea n du Désert Avignon. 1984,238 p. 3. Archives de la Chambre de Commerce de Marseille. série 1. 19. Statistiques . Etat des marchandises envoyées au Levant et en Barbarie, 1748-1769. LES OBJETS DU CAFE A MARSEILLE 71 par le provençal en particulier, nous avons consulté une dizaine de dictionnaires provençaux mentionnés pour la plupart dans le Catalogue de l'Exposition Mistral et la Langue d'Oc, Centenaire du Tresor dou FelilPige ' . La présente étude se fonde donc sur deux types de documents' : - d'une part, des inventaires après décès appartenant au fonds de la Sénéchaussée déposé aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, - d'autres part, des Procès-verbaux de vente établis par les JurésPriseurs de Marseille. Ce fonds se trouve aux Archives Communales de Marseille. Notre travail s'est organisé de la façon suivante: six cent quatre-vingt inventaires après décès ont été étudiés de 1664 à 1786: il s'agit, bien entendu, d'un échantillon pris dans la masse considérable de ce type de documents concernant l'époque qui nous intéresse. La période 1664-1692 a été étudiée systématiquement, puis des sondages ont été faits pour les années 1708, 1717,1726,1739,1744,1762, 1778 et 1786 en relation avecl'étude précise d'inventaires concernant des négociants et des personnes intéressées aux affaires du Levant 6. Quant aux procès-verbaux de vente, ils ont été examinés l'un après l'autre de 1697 à 1722 (ce qui représente un total de quatre cent vingt pièces), de 1728 à 1730 (cent vingt-cinq pièces), et de 1755 à 1758 (cent quarante-cinq pièces) ; des sondages ont complété ces recherches pour les années ultérieures. En interrogeant ces documents, on s'aperçoit rapidement qu'une approche statistique globale ne permet que des approximations: signaler qu'en moyenne 3 à 5 % des ustensiles ctÙinaires sont propres au café ne rend pas la complexité de la réalité, fluctuante au cours des années et surtout riche de nuances au niveau des choses mais aussi des mots qui les désignent. 4. Catalogue de l'Exposition Mistral et la LAngue d'(k, Aix. Arles. Mars-Septembre 197~, Aix -en- Provence. que M . le Professeur J.-C. BOUVIER a eu l'amabilité de nous co mmenter pour orienter nos recherches. ~ . Archives Départementales des Bouches-du-Rhône (A.D. B.d.R.) : Fonds de la Sénéchaussée. Série 2B802 (1664-1667) à 806 (1692); 813 (1708); 822 (1717); 834 (1726) ; 840 (1733) ; 847 (1739); 852 (1744); 8H (1749); 870 (1,762); 887 (1778) ; 891 (I786). Archives co mmunales de Marseille (A.C.M.): Procrs-verbaux de ventes établis par les Jurés- Priseurs de Marseille : S<rie FF 68 (1697) à FF 74 (1722) ; FF" 80 (1728) à FF 83 (1730); FF 98 (1711) à FF lOI (1718); FF 124 bis (1781). Archives de la Chamb« de Comme",e de Marseille : (A.C.D.C.M .): Série B 260. FO 122. Procès-verbal (... ) échantiUons des fabricants de faïence; H 9~. Rapport sur les faïenciers (1802) ; H 232, Liasse (1692-1781), Faïence. Porçelaine, Poterie et analogues; H 23~. Liasse (I672-An IV). Industrie. Ans et Manufacture. Objets généraux : l , 19. Statistiques (1748-1769) ; J Ij81 à 1181 (1681-1789), Commerce. Pacotilles : Fonds Roux LIX 1266. Liasse (1731-1766), Faïences. factures; 1102 , Connaissement des marchandises sorties de Marseille en direction des Antilles, 1748-1790. 6. Nous tenons à signaler à ce propos combien raide fournie par M . le Professeur Charles CARRIERE nous a été utile pour repérer cenains inventaires de négociants , et combien nous regrettons que cet articles n'ait pu voir le jour plus tôt. 72 HELENE DESMET-GREGOIRE l - La situation marseillaise au moment de l'emprunt et de la diffusion du café La situation de l'équipement culinaire de la région marseillaise au milieu du xvw siècle se caractérisait par la prédominance des objets propres à la préparation et surtout à la cuisson des aliments par rapport à ceux qui servaient à la consommation " Le métal était la matière première la plus répandue: les alliages à partir du cuivre sont fréquemment détaillés: eram ou aram : airain; bronze; cuivre rouge; laiton ... La distinction entre étain fin et étain commun était faite de façon systématique ainsi que le pesage et l'estimation des pièces d'argenterie chez les riches particuliers. Nombreux sont les termes régionaux qui désignent les différentes sortes de récipients: citons les indeJ ou indo, bro · cruches en cuivre rouge étamé, munies généralement d'un bec, que l'on retrouvera plus tard. Citons aussi les Jar/an ou poêles à rôtir (les châtaignes en particulier) qui furent utilisées ensuite pour le café. Enfin pour la préparation même des aliments, les mortiers en bronze ou en marbre et leur pilon (ou piston) étaient répandus en dehors des seuls apothicaires ou droguistes. Les moulins à épices, qui firent leur apparition au début du xvnc:siècle, étaient rares et ne se trouvaient que dans le mobilier des personnes fortunées qui consommaient des épices coûteuses. Leur fabrication préluda à celle des mmùins à café qui apparurent à la fin du siècle. On trouve également, de temps à autre, la mention de moulins à sel ou à farine dont les mécanismes étaient proches de ceux des futurs moulins à café. On peut constater l'absence d'objets en terre: s'agit-il d'objets véritablement absents ou d'omissions sur le papier? Il semble que ces objets considérés comme ayant peu de valeur étaient relégués au même rang que les bols ou éc uelles de bois largement répandus à l'époque mais rarement mentionnés dans les documents officiels. Parmi les pièces de « terraille commune)) ou ( terraille de ménage », il est probable que des formes traditionnelles se retrouvaient sur le modèle de la vaisselle en étain. A coté de la richesse du vocabulaire concernant les objets de cuisson. on ne peut que constater une certaine pénurie à propos des récipients propres à la consommation: écuelles, plats ou aiguières sont signalés de temps à autre; mais il faut attendre la fin du XVI/' siècle pour trouver de façon plus fréquente des cc gobelets » ou (C goubelets » et des tasses. Les quelques rares mentions de « tasses en argent)} trouvées dans des inventaires du début du xVWsiècle ne concernaient que l'argenterie de quelque riche personnage. Pour le domaine du service des aliments. on est obligé d'en rester aux 7. Voir en particulier : E.SAUZE. Il La viede château en Provence au Moyen-Age »), je journée d'Eludes Vaudoises et d'Histoire du Luberon, La Roque d'Anthéron : 1983 . pp: 21-55; et MARSILY, « Vue à travers les minutes des notaires, fin XVIC:-début XVIIf" siècles, revue Pertuis, n0 6 à JO 73 LES OBJETS DU CAFE A MARSEIlLE hypothèses: la notion de convive en tant que personne isolée, différenciée, reste vague; elle se dégagea peu à peu dans le processus d'élargissement et de raffinement du champ des perceptions. dans un contexte général de développement économique. Ce rapide aperçu sur l'état général de l'équipement domestique de la région marseillaise au début de la seconde moitié du. XVII' siècle nous permet de constater que tout est en place pour l'adoption d'un nouveau produit venu des pays orientaux dont les productions sont déjà connues depuis le MoyenAge 8. Les circuits d'achats et les routes étaient connus depuis longtemps et Maseille était un pôle récepteur aux choses de l'Orient: dans l'Antiquité, le vin avait été diffusé en Gaule à partir de Marseille; à la Renaissance, le goût des sucreries, emprunté aux villes italiennes. se répandit également par ce port. Les usages empruntés aux populations vivant sur les autres rives de la Méditerranée pouvaient se diffuser avec facilité. Pour apprécier d'une autre façon la spécificité de Marseille, il faut se pencher sur le contexte européen de l'adoption du café. En effet, deux zones distinctes de pénétration ont existé qui, par la suite, ont gardé une certaine originalité au-delà des simples frontières territoriales. C'est, d'une part, par la Hollande que le café fut introduit dans l'Europe du Nord: la première description du café en langue germanique fut donné dans l'ouvrage de Léonard Rauwolf, physicien d'Augsburg, qui, après un voyage au Levant, publia son livre en 1582 '. A la même époque, le médecin vénitien Prosper Alpini publia, en 1592, son Traité des plantes d'Egypte dans lequel il mentionne le caoua cc breuvage que les Arabes et les Egyptiens boivent au lieu de vin. » La caractéristique de la situation hollandaise consiste dans le fait que les récipients (tasses en particulier. mais aussi verseuses, soucoupes ... ) furent importés d'Extrême-Orient avant même que le café (ou le thé) ne fussent connus: ces porcelaines servaient de lest aux navires qui revenaient en Europe chargés de produits et de denrées considérés comme beaucoup plus précieux. En revanche, en ce qui concerne Marseille ou Venise , dont les situations sont comparables, il y eut simultanéité entre l'emprunt du produit et celui des objets servant à son usage: voyageurs et gens de commerce en relation avec le Levant, prolongèrent, à leur retour, une habitude prise dans les villes ottomanes où le café était consommé depuis longtemps 10. Les récits de voyages permirent que la connaissance même livresque de ce produit put se répandre: Pietro della Valle, Oléarius, mais aussi 8. ARNAUD D'AGNEL, Les Arts appliquis en Provence, Marseille, 1944. pp. 23-24. 9. L. RAUWOLF. Aigentlicbe Bescbreibung der RAin 1. ..], Laugingen, 1852, p. 10. 10. Voir les contributions des Professeurs R. MANTRAN et A. RAYMOND dans l'ouvrage cité note 1. 74 HELENE DESMET -GREGOIRE Thévenot, Grelot, Coppin et plus tard Tournefort et bien d'autres, donnèrent des détails sur les ustensiles et les récipients comme les fingians ou fingeans tasses de porcelaine qu'ils mentionnèrent en leur donnant, dans J leurs textes, une importance plus grande qu'aux cafetières. fascinés comme leurs contemporains par leur matière (la porcelaine). Enfin, un micro-événement tel que la venue de rambassadeur turc en 1670 a pu cristalliser un certain nombre d'éléments, mais son influence se fit surtout sentir à Versailles où la Cour était prompte à savourer tout exotisme (qu'il fût siamois, turc ou persan) plus inhabituel et plus officialisé qu'à Marseille. La fonction des objets importés est donc clairement définie: seuls, ils ne présentaient pas d'intérêt, il fallait qu'ils soient accompagnés de la précieuse fève. L'introduction du café à Marseille s'inscrivit de façon normale dans le contexte général de la ville, sans rupture ou rejet des éléments traditionnels selon un processus original d'assimilation que nous avons choisi de suivre en dégageant les périodes décisives mais aussi en déterminant les grandes tendances qui coexistèrent au XVIIl' siècle en matière d'objets spécifiques de cette boisson. Il - Une période de transition: choses et mots empruntés (fm XVIIe siècle - début XVIII< siècle). Sur environ six cents inventaires consultés entre 1664 et 1681 (en série continue) aucun objet propre au café n'a été décelé, ce qui permet de nuancer l'importance parfois exagérée qui est donnée à la création du premier café marseillais (l671) et de bien marquer la différence entre consommation publique et domestique: il faut attendre 1692, où sont signalés" un caffetier ct aussy dix fingeans de porcelaine, et un caffetjer petit. » -celui d'André Giraud, capitaine de vaisseau, 24 juin 1692: "deux briques ordinaires du Levant d'aram blanche devant, une couppe (de cuivre) pour faire le caffé ». - celui d'un particulier daté du 2 3 janvier et qui mentionne (( un inde du Levant, son couvert d'airain, un petit caffetier de mesme. » - celui d'un marchand assez aisé (10 octobre) qui renferme" deux briqs et quelques tasses et gobelets d'argenterie ». - enfin, celui d'un confiseur, François Nicolay, établi le 11 février 1692 : " dans une armoire fermée à clé se trouvent douze fingeans de terre avec douze petites soucoupes de mesme servant à boire le caffé); sont signalés également dix huit livres de café en graines, un mortier de marbre et son pilon, mais pas de cafetière. a} Aspects terminowgiques Le terme fingean vient de l'arabe fingân, lui-même emprunté au persan LES OBJETS DU CAFE A MARSEILLE 75 finjân - (ou pengân) du grec Pinlr,y) et désignait une petite tasse servant pour le café dont la forme était dérivée des godrts de métal qui étaient utilisés dans le mécanisme des anciennes horloges à eau JI, Il est intéressant de noter que l'élément essentiel est bien la forme de ce type de récipient et que sa diffusion jusqu'en M éditerranée occidentale et à M arseille en paniculier se fit selon ce même critère. Le provençal emprunta ce terme que l'on retrouve dans certains dictionnaires. avec parfois, une transformation du champ sémantique : ainsi, dans le Dictionnaire de la Provence et du Comtat Venaissin (178l) est donnée cette définition : cc terme arabe qui signifie une tasse à café sans anse », Mistral, un siècle plus tard, proposera cette définition : «soucoupe d'une tasse à café n alors que le terme est tombé en désuétude. Dès 1708, il semble que ce terme ait été utilisé par les faïenciers marseillais pour désigner un type de récipient copié sur le modèle des objets orientaux, fait en faïence et non en porcelaine - terme caractéristique d'une forme s'appliquant à des objets non plus importés mais fabriqués sur place. Il devint, en fait, à ce moment-là un terme de professionnels et fut utilisé jusqu'au milieu du xVIlI'siècle. Le terme briq ou brique vient du turc ibrik. (arabe ibriq) qui désignait une verseuse en métal le plus souvent utilisée pour l'eau mais aussi pour le vin ou le café. Ce terme se retrouve aussi sous celui de bricou (Mistral définit ce terme ainsi: petite cafetière de terre ou de métal »). Quant à la «( couppe de cuivre» qui est bien désignée comme servant à faire le café (et non à le boire), il est possible qu'il s'agisse d'un specimen de ct'Zve turc, récipient fermé à paroi verticale (ou peu évasée) muni d'un bec verseur et d'un long manche, fait en cuivre le plus souvent, pour aner au feu, exclusivement destiné à la préparation du café. C'est la seule mention de ce type d'objets dans tous les documents consultés. Enfin, on retrouve, s'appliquant aux objets du café, les termes inde et aram : on peut s'interroger sur la réalité de l'objet désigné comme « inde du Levant » qui est distingué d'une cafetière : il est difficile de savoir quels détails les différenciaient. Par ailleurs, si l'on trouve encore le mot « caffetier » au masculin pour désigner le récipient en métal servant à faire le café, le féminin « caffetière » est pourtant attesté dès 1688 dans le Dictionnaire Universel d'Antoine Furetière comme « un petit vaisseau fait en forme de coqueman, dans lequel on prépare le café. n 12 Il .Je tiens à remercier le Professeur Seyseddin NADJMÂBÂDI qui m'a, très chaleureusement, communiqué ces renseignements . 12 . Voir aussi W.V . WARTBURG . Fra1l1.ruiscbts Etymowgisrbts Wiir/trburh, 19. Band Orient.alia. art. Kahvt, p. 78. 76 HELENE DE>MET -GREGOIRE L'originalité de la situation marseillaise se caractérise à travers deux tendances: - d'une part . les objets qui sont mentionnés dans les inventaires dès XVII~ siècle, se présentent sous la forme d'ensembles importés : cafetières tasses proviennent d'achats faits dans les marchés des villes du Levant correspondaient à celles que les populations de ces régions utilisaient: s'agissait des mêmes objets. le et et il - d'autre part, dans le domaine du langage, il y eut deux mouvements d'assimilation différents: le provençal emprunta sans difficulté et utilisa longtemps les mots turcs et arabes {jusqu'au XIX' siècle}. En revanche, en français. il y eut rapidement création de mots pour désigner ces objets avec une antériorité pour les objets propres à la cuisson du café qui s'intégraient dans un ensemble très structuré: la cafetiére fut rangée sans difficulté dans la catégorie des coquemars (bouilloires); les récipients à boire. individuels. furent désignés plus tardivement comme ({ tasse à café n, « sans anse »... b) Les objets Les cafetières en cuivre de Constantinople ou du Levant (comme on les désignait) étaient peu chères et réputées: dès 1729, l'Etat des Marchandises venues des Echelles du Levant ( ..) signale de nombreux envois de cafetières. Plus tard, on retrouve la trace de ces objets compris dans le commerce de pacotilles: en 1786, les CayeTS de la Recelte par Louis Routier 13 mentionnent la livraison (( de quarante-huit caffetières» par le Capitaine Genest Beaumont; entre le 1" octobre 1788 et le 31 décembre 1799, est attestée la présence de cinquante-huit caffetières {auxquelles il faut ajouter deux caisses en contenant un nombre indéterminé} .. comptabilisées dans le Registre des Pacotilles. Quelques tasses sont également signalées. mais en petite quantité (il ya même« une caisse de porcelaines de retour ») ce qui laisse supposer qu'à la fin du siècle ces objets n'étaient plus acquis seulement au Levant. Par contre, le flux régulier des cafetières semble s'être perpétué tout au long du XVIII~ siècle: ce ne sera qu'au siècle suivant que les cafetières des artisans autochtones supplantèrent ces objets importés. Qu'était en fait cette cafetière du Levant? Il s'agissait d'un type de verseuse en métal (surtout en cuivre) appelée parfois en français marabout (du fait de sa forme qui rappelait celle d'un tombeau musulman) ". Elle était 13. A.CD.C.M .. CayerJ de la recelle par Louis Routier. Receve ur des Droits de vingt pour cent pour cdui du Consulat sur les Pacotilles venues des Echelles du Levant. J 1582 , Commerce du Levant, Pacotilles 14. Id . J 1585 . Registre de Pacotilles commencé le l ~r octobre 1788 et fini le 31 décembre 1789 15 . Le terme de marabout (qui vient de l'arabe murabit) apparaît pour la premi~re fois en français en 1560. mais il ne désigna « une cafetière à large ventre (Trévoux) qu'au xvm~ siècle. 1) LES OBJETS DU CAFE A MARSEIlLE 77 couramment utilisée dans les pays du Proche-Orient comme de nombreux documents en font foi ". L'étude des inventaires amène à distinguer les cafetiàes « du Levant » ou {( de Co nstantinople)) des cafetières dont seule la matière est mentionnée: de cuivre, {( lettonée n, de Ct fer blanc ») ... mais il est possible qu'il y ait eu confusion de la pan de ceux qui r'digeaient les actes dont voici un exemple: D ans le procès-verbal des effets d'Antoine Cabanis (négociant à Marseille, 4 septembre 1728) on trouve: « une petite caffetièrc fer de Constantinople de la capacité d'une tasse à caffé en tout trois livres, une petite caffetière toute lettonée sans couvercle. quinze sols, une grande caffetière fer blanc sans couvercle, dix livres, une caffetière de rame (d'airain) toute lcttonée sans couvercle. » 11 On ne peut que constater l'absence d'informations concernant la forme de ces objets. Les cafetières identÛ!'es comme étant du uvant étaient-dIes du type de celles qui ont , en paniculier, une panse ventrue? Qu'en était-il des autres? On peut se demander également si les briq ou bri,ou r'penori's étaient semblables ou non aux cafetières dites du Levant. Cc qui est certain c'cst que ces deux désignations concernaient des objets qui au début. étaient importés; quant à l'existence d'autres types de cafetières, il est difficile d 'en savoir plus; remarquons, néanmoins, qu'avec ou sans la mention de la provenance, il semble que ces cafetières devinrent assez rapidement des éléments courants de l'équipement domestique des maisons marseillaises. Il est probable que les objets importés furent copi's peu à peu, et que, dans certains cas (impossibles à repérer) la désignation de « cafetière du Levant » fut attribuée à des objets inspirés par le modi:le oriental. Pounant dans l'inventaire de la Demoiselle Montagnier (1785), à côt' d'un sopha à la turque, on trouve encore « une petite caffetière du Levant très mauvais état» 11 qui pourrait être originaire du Levant .. . Chez les personnes en relation privilégiée avec le Levant, on rencontre souvent des ensembles significatifs: Ainsi, la vente des effets de J.C . Larmet, père de Barthelémy Larmet, chancelier du Consul de France à La Canée (7 février 1755)" signale la présence de « trois briqs à caffé fer blanc, un petit briq de huit tasses, un autre de deux tasses, un petit briq m<'diocre, un autre petit briq à caffé» accompagn's d'un moulin à café, de moniers et pilons. 16. Voir, par txemple. le V endeur de café par les rues, extr. du Sérail el divers rt de la ville de Constantinople peints et personnages lurcs, 1720. a Costumes turcs de la cour coloriés par un artiste turc ... J). 17. A .C .M ., FF 80, 4 septembre 1728. 18. A .C.M .• FF 124bis, 26 septembre 178l. 19. A .C .M .• FF 98, 7 fivrier 17l! . 78 HELENE DESMEf -GREGOIRE Seul indice intéressant, le petit "briq de huit tasses» semblerait s'opposer à «une grande caffetière huit tasses ») rencontrée ailleurs et correspondrait à des tasses de petite taille (du type fingean) ce qui confIrmerait qu'il s'agit bien d'un objet importé d'une part, et d'autre part, qu'il y avait peut-être ' des variations de formes qu'il est difficile d'appréhender d'après les seuls documents considérés ici. Quoiqu'il en soit, objet importé ou objet fabriqué en France, ce coquemar de métal peu coûteux et parfaitement adapté à la préparation du café s'est donc imposé chez les Marseillais sans subir de transformations déterminantes au cours des ans. Signalons cependant, de temp'-en temps, la présence de «cafetière montée sur réchaud» ou de «cafetière en trois pièces» (de tels modèles furent mis au point dès 1691) 20. En ce qui concerne le grillage et le broyage du café, on retrouve des instruments semblables à ceux qui étaient utilisés au Levant, mais il semble qu'ils aient été fabriqués en France assez rapidement; ceci s'explique par le fait qu'ils correspondaient à des types d'objets courants au sein des ustensiles marseillais ef provençaux. Les moulins à café se répandirent dans toutes les couches de la société: on les trouve d'abord chez les personnes pour qui le café était d'un usage courant - personnes généralement d'un milieu élevé: ainsi, J. F. de Rozès, conseiller du Roi en possédait-il un (de bois blanc) en 1707. A la fin du siècle, c'était un objet usuel, fabriqué en série par des artisans polyvalents qui savaient travailler le bois et le métal: certains devaient être des armuriers qui disposaient des outils nécessaires et des techniques appropriées. Pour les récipients de terre, l'arrivée des fint,eans dans les demeures marseillaises se fit à un moment où la céramique locale de luxe en était à ses balbutiements: rien ne pouvait remplacer la porcelaine orientale; mais étant donnée sa rareté. les riches particwiers se rabattaient sur le métal (orfèvrerie ou étain) - articles traditionnels et précieux. L'originalité de cet emprunt réside dans le fait que les tasses chinoises furent adoptées selon le goût du Levant: elles étaient rangées dans des étuis de maroquin. séparées les unes des autres par un tissu protecteur. Pourtant les z.arf ou suppOrts de tasses en métal ne parvinrent pas à Marseille: aucune trace de tels objets jugés, sans doute, inutiles au mode de consommation mis peu à peu au point en France. Le terme fingean disparut dès les années 1730 des inventaires des particuliers. remplacé par celui de «( tasses à café de porcelaine» ce qui semble indiquer un changement du lieu d'arrivage de ces objets: il s'agissait encore le plus souvent de pièces de porcelaine chinoise, mais au lieu de transiter par le Levant, elles arrivaient par l'intermédiaire de la Compagnie 20. Voir H. HAVARD. DiclÎonnaÎrt dt l'amtubltmtnl tI dt la dicQTalÎon dtpuis It XIII' Jièdt jUJqu'à nOJ jourJ. Paris. 1881-1890. article cafetière, p. ~ 16. LES OBJETS DU CAFE A MARSEIllE Ta sse ri 79 Jouroupt, M()IIslitrs, Ferrat, XVIII' sjèdt (collta;on Bonni,,). des Indes à Lorient d'où elles étaient ensuite distribuées dans tout le Royaume (à Beaucaire, en particulier, pour les régions méridionales). La seule étude des documents d'archives ne livre que trts peu d'indications au sujet des formes; quant aux décors, les détails sont encore plus rares: or, ce sont eux qui permettraient de saisir les modalités de l'évolution des goûts et des usages dans le choix des objets importés. Nous savons que, peu à peu, les Européens soumirent eux-mtmes des modèles de formes aux artisans chinois afin que les objets correspondent mieux à leurs habitudes et à leurs goûts: anses, soucoupes, choix d'une contenance plus grande ... s'affirmèrent. Cependant le terme jingean se retrouve jusques vers 1750-60 dans les inventaires des faïenciers marseillais pour désigner un type de récipient copié sur le modèle des objets orientaux, fait en faïence et non en porcelaine. Ce terme ne fut utilisé que dans la région marseillaise: on peut le considérer comme l'indice le plus caractéristique du mode d'emprunt et de diffusion des objets du café proprement orientaux. Il nous manque, malheureusement. des specimens survivants de tels objets: les enquêtes que nous avons menées auprès des Musées ou de collectionneurs particuliers n'ont pas été fructueuses; des tasses sans anse parvenues jusqu'à nous portaient-elles le nom de jingean ? Il est un fait que ce modèle de tasses n'érait pas l'élément d'un service (notion plus tardive), peut-être étaient-dies considérées comme des objets de qualité moyenne qu'on ne prit pas la peine de conserver avec soin. 80 HELENE DESMET -GREGOIRE Cafetière, Rob"t, MArstill, XVIII' siMt (rol/tclion &nnin) III - Une phase de création ct d'exportation marseillaises (XVIII' siècle) Avant même que la transformation du commerce du café ne s'opère vers 1730 et que Marseille devienne le fournisseur privilégié de l'Empire Ottoman , les faïenceries marseillaises qui n'avaient que quelques années d'existence, exportaient déjà vers le Levant et les Etats Barbaresques 21 : pendant quelques années, il y eut, ainsi, deux tendances inverses et complémentaires à la fois, d'importation et d'exportation d'objets propres au café, qui s'influencèrent mutuellement. Marseille devient un grand centre faïencier dès la fin du XVII' siècle, mais les productions de Saint-Jean du 21. ARNAUD D'AGNEL, LA fa;me, ,1 la p.",lain, d, MAr"il", M.rs,iU" 1910, lj4 p. LES OBJETS DU CAFE A MARSEIlLE 81 Désert (fondée en 1679) ne nous intéressent pas directement dans la mesure où aucun récipient propre au café ne fut élaboré ". En revanche, les ateliers d'Augustin Héraud produisirent dès les années 1705-1708 de nombreux modèles de récipients dont les formes et les décors devaient être diversifiés si l'on en juge par les catégories distinctes qui se trouvent dans l'inventaire dressé en 1708 : c< Huit douzaines et cinq goubelets pour le caffé, avec ses anses, Dix huit retondes pour le caffé 23 Trois douzaines jingeans pour le caffé, Vingt-quatre de rebus, Trois douuines tasses à boire. Trois douz.aines tasses, Deux douzaines dites de rebus. » 24 L'inventaire de la manufacture d'Anne Clérissy (2 juin 1710) se situe dans la même ligne: « Sept douzaine tasses, Douze sucriers couleur de caffé, Un cabaret, (dans la boutique) deux cabarets, Huit douzaines jingeans, deux douzaines tasses, douze caffetières, Vingt-deux petites tasses pour le caffé et couleur de caffé. ,," On arrive à un total de plus de trois cents objets exclusivement réservés au café et à un total de neuf cents objets si l'on comptabilise toutes les tasses pour lesquelles aucune précision n'est donnée quant à la boisson concernée. Malheureusement. jusqu'à ce jour et à notre connaissance, aucune pièce signée d'Augustin Héraud n'a été retrouvée et aucun objet de typejingean n'a pu être identifié. On en reste donc à ce constat partiel des inventaires, sans pouvoir saisir les objets mentionnés dans leur réalité. On peut s'interroger sur leur forme: était-elle scrupuleusement imitée des exemplaires importés? S'agissait-il déjà {comme le suggère Arnaud d'Agnel" de soucoupes et non de tasses ce qui infirmerait la définition de 1785 donnée plus haut? Au vu des résultats recueillis, il nous semble qu'il s'agissait de récipients et non de soucoupes comme paraît le confirmer un compte établi par Joseph Fauchier 22. M . DESNUELLE. op. cil., p. 168: « on ne retrouve ni soupières. nÎ tasse avec soucoupe [.. .}.» 23. Le: terme retombe désignait «un vaisseau a boire» au XVlt siècle (cf. F. GODEFROY, Lexiqut dt l'ancitn franrais (1901) et La Curne de Sainte-Palaye, Diaiorrna;re historique de J'ancien Jan!fl8 e franfdis {1881\ 24. A.D. B.-du-Rh., 2 B 81 l, 26 avril 1708. 21. Voir ARNAUD D·AGNEL. op. cil., note 21, p. 242. 26. Ibid. p. 236 (not< 1). 82 HELENE DFSMET -GREGOIRE (9 mars 1750) qui mentionne « douze fingeans et ses soucoupes» 27 Il est certain qu'il y a eu, par la suite, une modification du sens de ce terme . mais elle semble s'être produite plus tardivement (au cours du XIX' siècle). En 1749, l'inventaire de la manufacture de Madeleine Héraud et Louis Leroy 28 mentionne plus de cinq cents objets pour lesquels la fonction café est signalée, et plus de deux mille tasses ou gobelets sans autre précision; quant aux récipients spécifiques au service du thé, ils sont au nombre de deux cent cinquante (sept grands gobelets sont signalés comme étant destinés au chocolat). En comparant les inventaires de l710 et de 1749, on remarque un accroissement du nombre des récipients sans désignation particulière de la boisson à laquelle ils étaient destinés; la proportion des objets spécifiques au café était plus grande au début du siècle. Si le terme fingean ne se retrouve plus dans les inventaires des faïenciers, en revanche. le nombre 'des cafetières en faïence s'accroît: alors que la manufacture de Madeleine Héraud n'en possédait que cinq (1749), celle d'Antoine Leroy (I 780) signale" cinq caffetières à dix livres chacune et quatre-vingt dix caffetières fond jaune, peintes en couleur. petites. moyennes estimées ensemble cent trois livres. quatre sous. » 29, Par ailleurs. on peut s'étonner de constater la quantité considérable de théières qui sont fabriquées dans les ateliers lI\arseillais tout au long du siècle alors que l'étude des inventaires ne révèle qu'une consommation réduite de celte boisson dans la population marseillaise 30. Ils signalent parfois quelques théières en métal ou en terre , mais nous n'avons pas trouvé la mention de " faïence» à leur sujet. On peut supposer que la plupart des théières fabriquées par les manufactures marseillaises étaient destinées à l'exportation, en particulier vers les Antilles et l'Amérique où cette boisson était plus répand ue 31. L'étude des inventaires après décès amène aussi à constater la rareté des cafetières en faïence largement supplantées par les cafetières en métal 32 . Il s'agit, bien sûr, de deux conceptions différentes d'un même objet (l'un pouvant aller au feu et l'autre servant plutôt au service de la boisson), mais apparemment on sut se contenter d'une double utilisation du premier objet. Chez Antoine Leroy (faïencier), on trouve, rangés dans sa cuisine « cinq vieilles caffetières du Levant, grosses et petites et un vieux moulin à café )) H. Ce vaste mouvement créatif dépassa largement la région marseillaise: les exportations vers le Levant continuèrent de s'accroître 34 : dès 1707, 27 . C. CURTIL-BOYER. Marseille: un relevé de comptes (1 », Contribution à l'étude de J. Fauchier, faïencier de Revue de Marseille. nO 29, mai -juillet 19~6. p. 43 28 . Vo ir ARNAUD D'AGNEL, ibid., pp. 277 - 293 29 . Ibid., p. 310. 30. L. DERMIGNY. La Chine el l'Occident: Le tommerre à Canton au XVlll' Jùd,. 1719-/833, Paris 1964. pp. ~99 et suiv 31.1bid., p. 198 32. A.C.M., FF 98, j novembre 17~~. l'inventaire des frères Olliv ier est l'un des rares où t'st mentionnée une (lcaffetière en faïence Il 33 . Voir référence note 2~ . 34. ARNAUD D'AGNEL, ibid. , p. 479. LES OBJETS DU CAFE A MARSEIllE 83 Anne Clérissy livrait à F. Ginouvès, naviguant ... des marchandises pour un capital de 260 livres". On dispose, par ailleurs, de statistiques qui, année après année de l72j à 1778, indiquent la quantité de faïences exportées dans le Levant l6 : en 172 j, deux cents livres; en 17 jO, trente deux mille six cent vingt-cinq et en 1777, quatre-vingt douze mille six cent soixante-quatre livres ". Bien que le déclin des faïenceries marseillaises commençât déjà à la fin du siècle (concurrence de Gênes mais aussi de l'Angleterre), on peut ~;~:r~~;~ ~'~!~7e~;a:~~~~~~~n d~ech:7s~~n(d~~Ï:':~~;Îe0u~d:~t!~~~ ~~~r~~~ Turcs» 38. Pour mieux saisir l'originalité des crrations marseillaises. nous avons procédé à des enquêtes dans différents autres centres régionaux et plus lointains: qu'il s'agisse de Nîmes, Montpellier, Apt ou Moustiers, le terme jing,an, par exemple, est absent de tout inventaire. A Rouen, Saint-Amand, Lille et Nevers, de même qu'à Sèvres (pour la porcelaine), ce terme n'a jamais 39. Pourtant, à Meissen, dès les années 1730, il Y eut une production importante de Türk.encopgen. petites tasses à café sans soucoupes: il s'agissait, sans doute, d'objets proches des jing,ans, mais le mot ne semble pas avoir été emprunté 40. L'étude proprement statistique des inventaires permet de mettre en évidence cenaines panicularités déjà appréhendées: entre les années 1728-30 et 17jj-57, un grand écart est marqué entre le nombre global des objets: en vingt ans , cet ensemble a plus que doublé, ce qui représente une étape déterminante de la pénétration du café à Marseille. En considérant les types d'objets répenoriés, on peut faire plusieurs remarques: 1. dès 1728- 30, les cafetières en métal commun, originaires ou non du Levant, paraissent relativement bien implantées et dépassent largement les cafetières d'argenterie réservées à l'élite. En 17jj -57, leur nombre s'est encore accru (puisqu'il a presque triplé) sans que les cafetières de faïence ne leur fassent vraiment concurrence. 2. La question des tasses à café est intéressante dans la mesure où leur mode de désignation a subi une variation: en effet, au début du XVIII' siècle le café n'était pas concurrencé par d'autres boissons et les tasses (de porcelaine ou de faïence) étaient considérées comme destinées à son seul usage. En revanche. au milieu du siècle. on assiste à une différenciation marquée entre les tasses destinées au café ou au thé ou au chocolat. été utilisé 31. Ibid., pp. 479-480. 36. A.C.D.C.M., séric l, 21 à 25. 37. A.C.D.C.M. , Fonds Roux , LIX, 1266 (lias..), 1755-1766, Fa,cne< : factu",. 38. A.C.D.C.M., B 260, fO 122, procès-vrrbal dr l'rxamrn fait par la Chambre de Commerce de Marseille des échantillons des fabricants de faïence, cité par Arnaud d'Agnel, p. 466 (ouvrage mentionné en note 21). 39. Nous remercions les conservateurs de crs diffêrents musêes qui nous ont apporté leur aide pour cette recherche. 40. J. SOUSTIEL, lA Ciramiq.e islamiq.e, Paris. 1985. p. 349. 84 HELENE DE5MET -GREGOIRE 3. En ce qui concerne les gobelets en métal commun (étain, cuivre) il est certain qu'ils étaient encore largement répandus en continuation des usages du XVII' siècle. Le café vendu dans les rues ou sur les quais du port était sans doute servi dans des gobelets de ce type (comme dans les rues des villes du Levant) ; plus tard, il en sera de même ailleurs pour le café servi au dehors et vendu quelques sous par des marchands ambulants. 4. Pour l'argenterie. on peut constater l'accroissement du nombre des petites cuillères qui pouvaiept accompagner gobelets d'argent ou porcelaines. j. L'ensemble «préparation" du café, grilloirs, mortiers, pilons, tamis". s'est développé de façon homogène en vingt ans: ils deviennent peu à peu des objets courants, très spécialisés et indispensables. Nous avons dépouillé une dizaine d'inventaires de négociants (pour compléter ce tableau) entre 1717 et 1786 ", ce qui donne des indications sur les choix d'ordre esthétique de ces personnes. L'engouement pour les objets venus des pays orientaux est manifeste avec une prédilection pour des objets non pas isolés. mais regroupés en ens~mbles (comme au Levant) dans des sortes de «( nécessaires» à café. Le grand nombre de tasses et de fingeans différenciées prouvent à la fois une consommation importante de café (et de thé) et un goût évident pour la porcelaine orientale aux dépends de l'argenterie peu représentée. La vocation cosmopolite de ce groupe se manifeste, par ailleurs, par une assez large diffusion du thé (par la Hollande avec qui c("rtai ns négociants étaient en relation 43). Les objets fabriqués en Europe semblent moins importants que ceux qui venaient de l'étranger utilisés de façon commune et non pas relégués au rang d'objets d'art Quelques lectures d'inventaires nous permettent de saisir les éléments de l'originalité marseillaise: en 1707, l'inventaire de Messire de Rozès , Conseiller du Roy, Commissaire de la Marine et des Galères contient un grand nombre d'objets d'argenterie carmi lesquels, une théière, une chocolatière, des tasses à sucre, des gobelets, réchaud , clochette, boîte à sucre ; quelques tasses et soucoupes de porcelaine (chinoises probablement), des ass iettes de Moustiers, un moulin à caf~, etc. s'y ajoutent 80. Cet ensemble correspond à ce que possédait une personne fortun~e sans qu'il soit 41 . Nous n'avo ns trou v~ que deux fois la mentio n Ct tami s pour le caff~ trente sols }) dans l'i nven tai re de Gabriel Rosser(magasinÎer), A.C .M ., FF 81. 8 avril 1729 ; et A.C.M .. FF 100. ~ d&embre 1757. Des tamis pour le tabac ou la farine étaient courants 42 . A.D. B.-du-Rh .. 2 B. [n.. nta;,,, d, B.B Lombardon (822 , 1717). P.J. R,musa, (j8l4.1726).G . A;Jlaud(847.1739),A. u"bro, (812. [744). N.G. d, Maurd««M.A. L, Roy (8H. 1749). d, J.P. Baux« d, F.« H . Bugnot{891 . [786). A.C.M .. P.V. d, v,n" d'A. Cab",';,. FF 80.4 "p"mb" 1728« d'E. S;bon. FF 99.20 f,v,;" 1716 43 . V o ir C. CARRIERE. NigoctanlJ mami/laiJ aN XVIII' site/t, Marseille, 1973. pp. 274 et suiv . 44. A.C.M .. FF 69. 23 ma; 1707. 85 LES OBJETS DU CAFE A MARSEILLE possible de déceler, parmi ses biens, un style proprement régional (exceptées les assiettes de Moustiers, mais l'aire de diffusion du Moustiers dépassait largement la seule région provençale). On retrouvera, tout au long du XVIII' siècle, ce type d'ensembles traditionnels et somptuaires dans la ligne des fastes de la Cour de Louis XIV. Pourtant, peu à peu, la tendance à acquérir des pièces de porcelaine se répandit au sein de cette catégorie de nobles qui diversifièrent ainsi leur vaisselle. En 1730, M. de Beauvais, Intendant de la Marine, possédait un ensemble d'objets qui illustre bien l'éventail des choix d'un noble établi à Marseille: « Neuf petites tasses de porcelaine à 40 sols l'une, un cabaret de bois de Chine avec six coupes, six tasses et un sucrier de porcelaine, à 15 livres, neuf tasses de porcelaine à 9 livres, quatre tasses porcelaine façon bleue, quatre tasses et six soucoupes porcelaine. une couppe du Levant rempli de graines longues, un petit cabaret façon de la Chine, douze petits seaux de fayence de Moustiers, une petite caffetière du Levant vieille, un mortier de marbre avec son pilon de bois. » 81. On constate l'abondance des pièces de porcelaine chinoises (sans doute de la Compagnie des Indes), mais aussi les objets de l'Orient muswman (coupe et cafetière) et régionaux (Moustiers). Il y a, en fait, osmose entre plusieurs tendances à choisir des objets de prix comme ceux de porcelaine ou les pièces de Moustiers et à utliser un matériel relativement simple pour la préparation du café. Dans les classes moyennes de la société marseillaise d'alors. d'autres éléments apparaissent: dans l'inventaire de Laurens Mabillye (1758)[1 , l'ensemble des ustensiles de cuisine est particulièrement riche pour les boissons; « deux théyères. deux chocolatières. deux coquemars. trois caffetières, un moulin à caffé, un mortier de bronze .et son pilon. une poêle à caffé, une caffetière à trois pièces 'l' une théyère en laiton r...l n s'accompagnent de nombreuses pièces de faïence ordinaire et de tasses de porcelaine. En 1762, Joseph Clérissy, marchand-droguiste, avait dans sa boutique, du chocolat, du thé et "dix-sept livre 3/4 de caffé noir du Levant n.; dans sa maison d'habitation on inventoria (parmi ses effets) : « trois douzaines de tasses. sans soucoupes, neuf tasses avec leurs soucoupes, deux douza.ines soucoupes de porcelaine. un petit fourneau pour le caffé. un moulin à caffé ... cinq caff«ières du Levant tant grandes que petites de nombreuses pièces de faïence r...l n et 41. 45 . A.C.M .. FF 82.22 février 1730 46. A.C.M .. FF 101 . 28 février 1758. 47. Des cafetières portatives ou à réchaud étaient connues depuis 1691 (Livre commode des adre",s. cf. H. HAVA RD. op. dt. ). 48 . A.D. B.-du-Rh .. 2 B 870. droguiste. 21 avril 1762. fO 34. Inventaire de Joseph Clérissy. marchand 86 HEl ENE DESMET -GREGOIRE Ces extraits révèlent la place importante des objets et récipients servant au café: porcelaine importée mais aussi faïence (marseillaise ?) et objets du Levant. Enfi.o, nous disposons pour 1786 de deux inventaires très intéressants. l'un concerne les effets d'une domestique parmi lesquels on trouve « un moulin à caffé, un suc rier de Fayence, dix cuillières d'étain et une cafetière du Lev.ant. ))41 On peut constater l'adaptation d'objets communs, bon marché parmi lesquels la cafetière du Levant apparaît toujours en bonne place. Il est rare de trouver comme ici le détail précis des couverts en étain généralement regroupés en lots. Le moulin à café est devenu tout à fait usuel. Le deuxième , d'une grande richesse, concerne celui de Henry et Frédéric Bugnot. négociants. originaires de Suisse et associés à Deveer en Hollande; les seuls objets propres aux boissons à la mode sont en grand nombre et particulièrement précieux: Deux boîtes de fer contenant ensemble vingt livres de caffé, deux autres (. .. ) contenant onze livres de thé, un cabaret à pieds de noyer, deux cabarets sans pieds façon de -Chine, Une caisse à la Hollandaise pour mettre le chaudron d'eau bouillante avec réchaud et chaudron, un petit cabaret à pied de noyer, une autre caisse pour mettre l'eau bouillante pour le thé, deux petites caffetières en cuivre, boîte de bois carrée refermant quatre petites boîtes de fer blanc pour thé recouvertes de cuivre jaune, un grilloir à caffé en fer noir, douze gobelets, {des douzaines de tasses de porcelaine au décors variés dont :} dix tasses bleu et blanc à bord contourné et à côté de melon avec douze soucoupes associées, une dite à anse bleu et blanc avec sa soucoupe ( .. ) argenterie: douze petites cuillères, une caffetière, une théière 1...1." Les porcelaines de la Compagnie des Indes devaient rivaliser avec les faïences de Delft ou les porcelaines européennes. Les cafetières de cuivre étaient-elles faites sur le modèle des cafetières du Levant? Il ressort en tout cas, que les pièces de céramique sont largement majoritaires: en cela, l'originalité des négociants apparaît avec, néanmoins (ce qui les différencie « 49. A.D. B.-du-Rh .. 2 B 895. Inventaire d'une domestique, 27 juin 1786 et celui de F. et H. Bugnot. 20 mai 1786. LES OBJETS DU CAFE A MARSEILLE 87 des négociants du début du siècle) une orientation moins nette pour les objets du Levant, ou qui en portaient la marque, au profit d'objets d'origine et d'inspiration extrême orientale (le thé semble prévaloir sur le café d'après la diversité et la richesse des objets mentionnés). so Le détail de ces six inventaires confirme ce qui a été vu précédemment: en particulier la banalisation de la cafetière de métal et du moulin à café, et la diversification des objets en céramique depuis les pièces les plus précieuses jusqu'au deuxième ou troisième choix des productions des faïenciers (non signées) à peine plus coûteuses que « la terraille commune »' , L'affirmation de F. Benoît SI selon laquelle (c la porcelaine de provenance extérieure était encore inconnue sous l'Empire )) doit être nuancée pour Marseille qui fut une des premières villes 'où elle commença à être appréciée et imponée. Il ressort de cette étude que Marseille a eu une place tout à fait originale dans l'adoption du café: - d'une part, la spécialisation dans les affaires du Levant d'une partie importante de la population fit que l'emprunt du café et sa diffusion s'opéra selon un processus que l'on pourrait désigner sous l'expression « d'imprégnation quotidienne ». Par opposition, le processus qui eut lieu à la Cour. caractérisé par une sorte de « filtrage» immédiat de l'emprunt donna lieu à une transformation rapide du modèle importé selon le code somptuaire en vigueur qui permit un renouvellement de l'éclat d'un mode de vie élististe (à travers un usage, des objets et leurs symboles). - d'autre part, la rencontre du produit avec une fabrication locale d'objets pouvant l'accompagner déboucha sur un foisonnement créatif qui se fit à l'écoute des usagers marseillais, certes, mais aussi de ceux qui vivaient au Levant ou en Amérique. Cette situation de carrefour imposa des usages, mais il nous semble essentiel de distinguer différents secteurs d'activité: les produits manufacturés prévus pour l'exportation n'étaient pas forcément ceux qui allaient se répandre dans la société marseillaise (ainsi le cas des théières). Tout au long du XVIII' siècle, celle-ci semble perméable aux objets venus du Levant. Le cas des jingeans illustre parfaitement ce phénomène de réceptivité intense à « une esthétique orientale » S2 qui caractérisait les objets empruntés avec l'usage de la boisson: ici, plus qu'ailleurs les traces du milieu d'origine furent respectées. Hélène DESMET-GREGOIRE. sa. L'inventaire des meubles de J.B. Ignace Roux en 1800 (A.C.D .C.M., Fonds Roux, L IX. 1310) ne prfsente pas une originalité particulière en ce qui concerne les objets du café , ceux qui SOnt propres à la consommation sont nomb~ux, accompagné d'objets courants (<< tasses blanches communes )l, «caffetières de faïence »); quant à la porcelaine aucune indication n'est donnée ni sur les décors. ni sur son origine (nombreuses tasses, cabaret avec Il tasses sans anse» et « tasses avec anses ». d'origine chinoise peut-être): six cuillères à café complètent cet ensemble assez neutre. n. F. BENOIT. La Provence tlle ÛJmtal Venaillin, Avignon, 1949. p. 101 n. Nous utilisons cette expression par commodité car il nous semble que définir une esthétique turco-ottomane ou levantine .. du café dépasserait largement le cadre de cette étude