Les bretons de JURGENFELD épisode 4

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Les bretons de JURGENFELD épisode 4
4 - LES BRETONS DE JURGENFELD
Je veux témoigner du sort de 400 bretons, dont j’ai fait partie, qui furent dirigés
tout au début de leur captivité, sur le fameux kommando de JURGENFELD.
Les bretons, furent rassemblés le 20 septembre 1940. Ceci sans aucune sorte
d’explication de la part des autorités du camp et sans autre motif qu’en prévision d’un départ
éventuel.
Et alors, il y en eut des bretons !! 700 furent recensés le 20 septembre à STABLACK,
puis, parqués séparément avant de prendre le départ pour 400 d’entre eux qui quittèrent notre
camp d’immatriculation pour une destination inconnue.
Le départ eu lieu le 28 septembre, par chemin de fer jusqu’à INSTERBURG, puis
pédestrement jusqu’à JURGENFELD.
Nous avions formé depuis la France, une équipe fort bien soudée de 6 nantais, bien
décidés à ne pas se séparer et bien nous en prit, car ceci nous permit de traverser les situations
qui s’offraient à nous ( !) avec un moral au-dessus de la moyenne et un courage toujours
réconforté. C’est pourquoi nous avons pris possession de 2 rangées de châlits juxtaposés que
nous ne quitterons plus pendant ce sinistre séjour.
On nous apprend alors que nous étions là pour participer à la construction d’un terrain
d’aviation (premier écart aux règles de la Convention de Genève), en effectuant les travaux de
terrassement, de nivellement et de drainage. Nous ignorions, à l’époque, que ce camp devait
faire partie du système stratégique du futur front de l’Est, ainsi que desservir le fameux
WOLFSCHRANZ de RASTENBURG.
Et dès le lendemain 2 octobre nous eûmes une première idée du régime qui nous
attendait : réveil à 5 heures du matin, départ au travail après comptages et recomptages rituels.
Retour au camp à midi pour absorber rapidement une gamelle de soupe qui s’avéra bien claire
et s’allonger sur les paillasses, déjà fourbus et harassés. 1 heure après notre arrivée nous
repartons pour le travail jusqu’à 18 heures. De retour au camp on nous distribuera pour toute
pitance un casse-croûte frugal, partagé parcimonieusement par notre chef de groupe. On
constate déjà que les rations sont plus faibles qu’à STABLACK, bien que l’effort physique ne
soit pas le même. Et ce sera en gros ce régime qu’il nous faudra supporter pendant 9 mois, à
travers les fatigues physiques et morales, à travers les continuelles brimades, voire les sévices,
infligés par nos « posten » et aussi par ces civils boiteux ou morveux qui, pour échapper à un
autre sort, n’hésitaient pas à se transformer en gardes-chiourmes, la trique aidant.
S’ajoutant à nos autres misères, ce froid sera pour nous une nouvelle épreuve, et
l’insuffisance de nourriture entraînant la faiblesse, il nous sera plus difficile d’y résister.
D’autant plus que, jusqu’à ce que nous recevions nos premiers colis, il faudra nous contenter
de l’habillement que nous avions en quittant la France. Mais pour un temps… les chaussettes
remplaceront les gants !
A ce régime déprimant, non seulement nous connaîtrons le froid, la courbature, mais
nous connaîtrons encore la faim ! Cette faim qui nous tenaille et qui parfois nous ramène au
niveau des bêtes, provoquant parfois les plus vils comportements, même chez les plus forts.
Il fallut attendre le 15 novembre pour avoir le réconfort de nos premiers colis. Il nous arrivait
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cependant, de pouvoir récupérer des pommes de terre dans un silo, découvert tout près du
camp.
Nos sentinelles, eux, paraissaient assez bien nourris et ils en profiteront pour se
divertir en nous jetant par-dessus les barbelés quelques croûtons de pain, afin que la meute en
attente plonge dans les plus belles mêlées accompagnées parfois des plus savantes prises du
rugby américain. Et nos wachmann riaient et applaudissaient du pénible spectacle ! C’est là
qu’il faut être fort, pour essayer de rester digne ! Et tout le monde n’est pas en mesure de
conserver moral et dignité humaine !
Le spectacle était plus calme du côté de la cantine des civils. Il suffisait d’aller prendre
notre tour de garde et de passer le bras à travers la clôture pour tenter de recevoir une aumône.
Il fallait parfois y rester une heure, souvent en tapant des pieds avant de récolter le bout de
pain qui sentait parfois la chique.
Chaque équipe (2 hommes) devait fournir ses 20 wagonnets dans la journée. Chiffre
difficilement accessible en temps normal, mais impossible à obtenir par les températures
hivernales que nous connaissons si bien.
C’est ainsi que certain jour, n’ayant pas suivi la cadence de remplissage des
wagonnets, je dus subir 2 heures de garde-à-vous, sans capote, ni gants. Ce devait être le 10
janvier et la température voisinait le -30°. Ce n’est qu’un petit exemple, car nous avons connu
des sanctions plus inhumaines encore. Par exemple celle que subit, comme bien d’autres
hélas ! feu notre ami Pierre CAILLE qui, pour un motif qui m’échappe maintenant, fut
condamné au supplice du tonneau. Ce qui consistait à rester debout les bras en croix sur un
tonneau, sans capote ni coiffure et sans tenir compte de la température ou de la violence des
éléments. Il y eu aussi le mât de cocagne. Ce supplice, et ce n’est pas trop dire, consistait à
faire grimper le puni à un poteau particulièrement gelé (côté vent) et ce jusqu’à une certaine
hauteur, qui permettait à la sentinelle de s’appuyer au poteau et d’y rester baïonnette au canon
sous les fesses du « suspendu ». L’un d’eux d’ailleurs, et je crois qu’il s’agissait du jeune
CALLOCH, lâcha prise ou glissa jusqu’à ce qu’il fut freiné par la baïonnette du
« wachmann ». Heureusement pas empalé, mais la fesse sérieusement tailladée.
Mais le tonneau devint la punition type, parce que visible par tous et certains de nos
malheureux camarades tombèrent de faiblesse avant la fin du supplice.
Pour ce qui est de l’hygiène, nous avons tous connu les installations sommaires
réservées aux P.G. vivant en kommandos.
Il fallait donc que chacun s’organise avec suffisamment d’énergie pour habituer ce pauvre
corps, meurtri par la fatigue, la faim et les sévices, à un minimum de soins, dispensés avec un
minimum de confort avec un minimum de moyens. Mais chacun y pensait tout de même, à cet
hygiène, ne serait-ce que par respect pour son voisin, et si les superbes poux « à croix
gammée » trouvaient un terrain favorable sur nos chairs affaiblies, la chasse aux poux faisait
partie de notre lutte pour la survie en nous donnant à la fois l’occasion de compétitions qui
meublaient nos soirées.
En juin 1941 nous nous n’étions plus que 70 du contingent d’origine, celui qui avait
quitté STABLACK le 30 septembre précédent.
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Le retour au camp :
Il est probable que ce soient les allemands eux-mêmes qui aient fini par interrompre le
calvaire des bretons de JURGENFELD, ceci après l’arrivée d’un détachement précurseur de
la LUFTWAFFE, venu prendre possession du camp d’aviation et dont le médecin-major
effrayé de notre état physique – nous étions de vrais squelettes – déclara que c’était une honte
pour la Grande ALLEMAGNE de traiter ainsi des prisonniers français. Il est probable
également que le Commandant du Stalag 1A ait détaché un homme de confiance pour se
rendre compte de la situation. La CROIX ROUGE INTERNATIONALE en eut connaissance
et adressa des médicaments pour soigner ces pauvres bretons. On essaya toutefois de les
déplacer sur une usine située entre STABLACK et JURGENFELD, mais lorsque nous y
sommes arrivés, la Direction de l’usine refusa de nous héberger et de nous garder en cet état
cadavérique. Retour à STABLACK en régime alimentaire spécial. Ce qui fut dûment respecté
par les autorités médicales du camp, y compris la pharmacopée prescrite par la Croix Rouge
Internationale.
Après un requinquage de 3 semaines environ et une visite plus que sérieuse, effectuée
par un médecin allemand et un médecin français, on nous jugea aptes à reprendre le travail.
Entre temps nous avions signalé au secrétaire (français) du bureau du travail, de faire
l’impossible en cas de départ, pour ne pas séparer notre petit groupe nantais qui comptait 10
unités, formant un groupe bien soudé par son esprit de camaraderie et de solidarité entretenu
depuis leur capture.
Le 10 octobre, nos 10 bretons, plus un normand, furent désignés pour travailler dans
une ferme. Départ le jour même en direction de GERMAU, petit bourg situé à une
quarantaine de kilomètres au N.E de KONIGSBERG, où nous arrivâmes par camion militaire,
escortés de 2 « posten » de la WERMACHT. Présentés au propriétaire des lieux : le
RITTMAESTER Baron VON GLASOW et son épouse parlant tous deux le français. Leur
domicile, un joli petit manoir, style colonial, entouré de 8 maisons de fonction pour leurs
ouvriers agricoles et leurs familles. Elevage : bovins, chevaux et porcs – des oies pour la
basse-cour. Les cultures : pommes de terre, betteraves à sucre et betteraves fourragères,
seigle, etc.
Nous sommes logés dans une des maisons de fonction où nous retrouvons 4 polonais.
C’est la gouvernante qui s’occupera de nous, car il y a une gouvernante qui domine la
situation. Autres personnes au service des 2 maîtres : 1 cocher, 1 cuisinière et 2 aides, 2
femmes de chambre et moi-même. Je suis à la fois aide-cuisinier et homme de confiance.
Ambiance bonne, mais nos polonais sont des enragés de jeux de cartes et ils jouent pour
l’argent (ou pour une chemise ou un caleçon).
6 mois ont passé, pendant lesquels nous étions bien nourris, ce qui nous a permis de
retrouver nos forces et de vivre un peu plus normalement que dans un kommando, d’autant
plus que nous avions la liberté, le dimanche, de sortir dans les environs pour retrouver dans
une ferme voisine d’autres P.G. français. Nous pouvions aller jusqu’à la mer qui nous
apportait parfois dans ses rouleaux un morceau d’ambre. Une carrière d’ambre se trouvait
d’ailleurs à quelques kilomètres de la ferme (carrière totalement saccagée depuis l’occupation
russe). L’ambre « l’or de la Baltique »
Dans l’ensemble : séjour très supportable.
Et puis, début juin 1941, un posten en armes arriva muni d’un ordre de transfert, me
concernant, pour rejoindre la 5ième compagnie de garde de KONIGSBERG à laquelle nous
étions affectés depuis notre départ au travail. Des adieux à nos camarades et à tous les
serviteurs de nos barons avant d’embarquer à la gare de GERMAU dans le train de voyageurs,
toujours escorté de mon « posten » avec lequel je n’ai pas cessé de bavarder.
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Carte de la Prusse Orientale
Les frontières du III’ Reich en 1939 et au lendemain de la défaite nazie en 1945
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