Grine, Rebrab, El Khabar : Entre le pouvoir et l`argent

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Grine, Rebrab, El Khabar : Entre le pouvoir et l`argent
Grine, Rebrab, El Khabar : Entre le
pouvoir et l’argent et en des combats
douteux !
Par Saad Ziane
Soutenir Hamid Grine ?
On aurait pu le faire, quitte à se forcer un peu, s’il avait fait preuve de zèle
dans la mise en place d’un vrai système national de l’information avec une
vraie régulation et une vision réellement nationale des enjeux. Sauf que ce
n’est pas le cas.
Hamid Grine était (est encore) en mission commandée par un clan du pouvoir
pour mettre au pas les journaux proches d’autres clans du pouvoir. Rien de
bien nouveau, (ni de passionnant) dans l’Algérie des clans du pouvoir.
Avoir été chef de la communication de Djezzy – et donc distributeur de pub –
lui a fait connaître la faiblesse des journaux et la capacité de l’argent à les
faire marcher dans le “bon sens”.
Djezzy, de Sawiris à Vimplecom, malgré une bataille opaque sur le droit de
préemption de l’Etat Algérien a eu très largement droit à une très bonne
presse.
Hamid Grine avait la preuve que la pub fait marcher droit. Devenu ministre du
gouvernement, il n’a rien fait d’autre que ce qu’il faisait à Djezzy. Il a œuvré,
non sans “réussite”, à gérer la pub. Celle du secteur public, bien évidemment,
la plus importante. Mais aussi, disent ses détracteurs, celle du privé.
Occupé à mettre “au pas”, le ministre (et avec lui le gouvernement) ont laissé
le champ libre à des médias “amis” dont les pratiques n’ont rien de
déontologiques se faire des sicaires médiatiques sur fond d’instrumentalisation
cynique d’un discours bigot d’un autre âge.
Voilà donc la «tache nationale » dont s’est chargé M.Grine sur fond de discours
creux sur la déontologie, sur des dénonciations à sens unique voire même en
se faisant, sans conviction aucune, le porte-parole des journalistes mal-payés,
non déclarés. Des constats vrais – qui ont cours dans les médias amis de
M.Grine – mais qui sont purement et simplement instrumentalisés.
Que se passe-t-il pendant que le ministre menait sa grande bataille ? Une
simple photo balancée sur twitter est venue montrer à quel point ce régime est
sensible à la moindre chiquenaude des médias internationaux.
Le Monde fait une “Une” déplacée et voilà que cela donne des vapeurs à la
République. Les community managers de Manuel Valls publient une photo
montrant le président dans un mauvais jour et voilà que dans les arcanes du
pouvoir on y décèle un message, une menace, un “printemps arabe”.
Les guerres de Grine et de ses mandants sont celles d’un clan pas celles de
l’Algérie. M.Grine et ses mandants ont fait les “malins” avec la loi en laissant
se mettre en place un paysage audiovisuel offshore et en osant le présenter
comme un signe de pluralisme des médias !
En réalité, ce n’est qu’une illustration de plus d’une perte du sens de l’Etat et
de l’intérêt public. L’Etat, on ne le redira jamais assez, c’est la LOI, ce n’est
pas son contournement par des subterfuges destinés à donner à des “amis”
une avance sur les autres.
Et quand on contourne la loi – toutes les TV privées sont de droits étrangers,
voilà un paradoxe prodigieux pour un système qui ne cesse de parler de
nationalisme et de menace extérieure ! – on ruine encore un peu plus l’Etat.
Les subterfuges orchestrés par ceux qui sont censés incarner l’Etat ont un
coût : l’informel s’étend à des médias où les ministres passent tenir causette !
Il y avait pourtant du boulot pour M.Grine: mettre à niveau la presse, réfléchir
au fait que l’Algérie ne pèse rien – absolument rien – dans les autoroutes de
l’information à l’ère du numérique et que les Algériens consomment l’essentiel
de leurs informations de l’extérieur ; se soucier sérieusement de la formation
des journalistes, sortir les médias publics de l’assujettissement totalement
contre productif au pouvoir, rétablir sérieusement un service public qui aurait
pu être un vrai contrepoids à la monte de l’argent.
A l’évidence, c’est trop demander à un chargé de pub. Ce n’est pas ce que lui
demandaient ceux qui l’ont fait ministre. Il fait son «job ». Ce n’est pas le
nôtre.
Soutenir Rebrab ?
Pourquoi diantre ? Parce que ce serait un “capitaine d’industrie” ? Une sorte
d’OVNI qui a pu devenir le premier groupe privé en Algérie sans l’aide de
personne ?
Dans la Rebrab-mania qui occupe une partie des médias (et de la classe
politique), il y a comme une grosse couleuvre que l’on veut faire passer mine
de rien. M.Rebrab qui, comme M.Jourdain pour la prose, fait de la politique
sans “en avoir l’air” n’est pas un OVNI, ce n’est pas un conte de fée même si
un illustre professeur s’est laissé aller à lui faire une biographie
hagiographique.
M.Rebrab est né en Algérie. Comme d’autres privés Algériens aux dimensions
plus petites et qui dépendent souvent de la commande publique. En Algérie, on
peut, moyennant des accommodements raisonnables avec les contraintes du
système avoir une entreprise privée qui marche.
Ce qui est exclu par contre dans le système algérien, c’est de pouvoir prendre
une dimension aussi importante que ne l’est le groupe Cevital sans être en
accord avec le pouvoir, sans être, d’une manière ou d’une autre, dans le
pouvoir. Aucun illustre professeur ne pourra faire croire qu’on peut y
échapper.
M.Issad Rebrab a des qualités mais ce n’est pas une insulte que de dire qu’il
est totalement né dans la matrice et qu’il a grandi en son sein. Est-il un
capitaliste qui, en s’internationalisant, s’émancipe du pouvoir ? Voilà une
question qui peut intéresser des politologues et des journalistes
d’investigation.
Il n’en reste pas moins qu’on peut être légitimement circonspect – même dans
le cas où cela ne souffrirait pas d’illégalité – de voir un riche entrepreneur
prendre le contrôle d’un des plus grands groupes de presse du pays.
On est même plutôt étonné de voir des gens prétendument de gauche
l’approuver sans sourciller. Il est vrai que les motivations de Grine et de ses
chefs sont douteuses, mais est-ce pour autant une raison de donner le bon Dieu
sans confessions, ni conditions, ni réflexion à M.Rebrab.
Il y a un niveau politique à ne pas occulter. Issad Rebrab fait partie d’un pôle
du régime – ou un clan pour utiliser le terme en vigueur – et quand il met un
pactole aussi important dans l’achat d’El Khabar, cela n’est pas une simple
opération commerciale. On est aussi dans une démarche, celle d’un pôle qui se
prépare, lui aussi, à la “bataille de la succession” au sein du régime ; ou pour
rester dans les “us et coutumes” du régime dans la bataille de la cooptation de
la future apparence présidentielle. Et quand Grine saisit la justice pour
s’opposer à la transaction, ce n’est pas le souci du pluralisme qui l’anime. Mais
celui de son clan.
On est donc sur un terrain “habituel”, celui des combats douteux que l’on
habille des grands mots comme la démocratie, la liberté d’expression. Et que
l’on nous somme de soutenir. On est pour Grine ou pour Rebrab ? Voilà le culde-sac dans lequel on tente d’enfermer les esprits !
Soutenir El Khabar ? Les travailleurs ou les
actionnaires ?
Oui, les travailleurs d’El Khabar qui manifestent pour leur avenir ont droit à
notre soutien. Ils s’inquiètent de manière légitime pour leurs emplois et voient
dans l’action en justice diligentée par le gouvernement une menace pour
l’existence de l’entreprise. Ces craintes ne sont pas infondées.
Mais les travailleurs d’El Khabar ne sont pas les actionnaires d’El Khabar qui
ont choisi de céder leurs parts à Rebrab. Ces actionnaires parlent peu (c’est le
clan adverse qui a publié les détails de la transaction qui fait du patron Cevital
détenteur de plus de 95% des actions du groupe El Khabar) mais on peut
deviner leurs arguments.
Grine et le gouvernement ont si “bien” joué du levier de la publicité – qui s’est
d’ailleurs fortement déplacé vers les TV “offshore” amies – que le chiffre
d’affaires du groupe a reculé. Vendre les actions à un homme d’affaires parait,
du point de vue individuel, comme une démarche rationnelle.
Face à un pouvoir qui met en œuvre sa redoutable machine, un détenteur de
capitaux comme Rebrab a les moyens de tenir et même d’entretenir “son”
groupe.
Mais l’analyse ne peut se limiter à la rationalité des “actionnaires” et à l’aspect
“purement commercial”. Les actionnaires d’El Khabar sont des journalistes qui
ont engagé et réussi une “aventure intellectuelle”. Ils ont un média influent.
Leur geste clôt symboliquement l’idée généreuse lancée dans la foulée des
réformes de journaux faits par les journalistes et propriétés des journalistes.
C’est un tournant majeur ! Dans la profession beaucoup pensent (sans l’écrire)
qu’El Khabar était le moins démuni et qu’il pouvait continuer à résister à Grine
sans tomber dans les bras de Rebrab. C’est aussi notre conviction.
Les actionnaires d’El Khabar ont fait un choix qui peut s’expliquer. Mais que
nous ne sommes pas forcés d’approuver. Car, ce qui s’est enclenché est
l’enfermement de la presse entre l’alignement servile au clan
(momentanément) dominant au sein du pouvoir ou à l’argent qui, lui aussi, est
dans le pouvoir.