9 revue des opinions24 octobre 2012.pub

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9 revue des opinions24 octobre 2012.pub
DDP
R E V U E S
D E S
O P I N I O N S
"Toute opinion est assez forte pour se faire épouser au prix de la vie." Montaigne
MERCREDI 24OCTOBRE 2012
MAGHREB / MOYEN ORIENT
SOMMAIRE :
Turquie
Koweït : plus rien ne sera
comme avant
Turquie
Libération, Par Hélène Flautre
En Turquie, il est loin le temps où, rivés aux chypriote et à la mise en place d’une politique
La guerre probable contre la moindres bribes de rumeurs sur le rapport an- de défense européenne, sans oublier les quesSyrie
nuel attendu et redouté de la Commission tions kurde et
arménienne. Et si la devise
européenne, les politiques et les commentateurs
faisaient assaut de spéculations pour anticiper
L’intérêt d’une visite
l’avenir ! C’était le temps où l’Union aimait
contempler sa nouvelle puissance dans la
RDC Ca va un peu
vitalité de sa politique d’élargissement.
Ses recommandations commandaient l’agenda
Plaidoyer pour Angela
des réformes, et leur mise en œuvre offrait, à
qui le voulait, la preuve par neuf de l’existence
L’audace de l’union
de l’Europe. De fait, en Turquie, jusqu’après
Le fruit défendu de l’indél’ouverture des négociations, une puissante
pendance
vague démocratique légitimée et soutenue par
l’Union européenne avait déferlé sur le pays,
Optimisme
balayant la domination militaire et la culture
Venezuela : les issues de
politique des coups d’Etats ! Aujourd’hui, les
Chavez
Élections américaines - Le penchants autoritaires ou nationalistes contrarient le cercle vertueux des réformes
rebond d’Obama
démocratiques. Et, sept ans après l’ouverture
Fièvres d’archipel
des négociations, le processus pour l’adhésion
Le candidat anti-Chine
de la Turquie à l’Europe est au point mort.
Pourtant, au voisinage de l’Europe, dans cette
zone stratégique pour la paix et la sécurité du
continent, la Turquie est en première ligne de
nos intérêts : de l’accueil des réfugiés syriens au
soutien aux révolutions arabes, des négociations
sur le nucléaire iranien à la résolution du conflit
Un axe historique
«Zéro problème avec les voisins» du ministre
Davutoglu a pris l’eau, les pays européens comprennent qu’ils pourraient bien, eux, boire
la tasse. Conscients des enjeux et du rôle éminent de la Turquie dans l’élaboration des réponses qui prendront forme sur le terrain, les dirigeants européens ne
manquent pas d’égard à
l’endroit du Premier ministre turc, M. Erdogan,
et de son ministre des Affaires étrangères, et
intensifient les conversations bilatérales sur tous
les fronts. Ainsi, c’est au moment où les enjeux
stratégiques communs ne sont jamais apparus
plus pressants que la perspective européenne de
la Turquie s’éloigne. La France dispose de quatre veto sur quatre chapitres de négociation,
veto qu’elle a posés unilatéralement pour s’opposer à l’adhésion, obstruant un processus
pourtant décidé au Conseil à l’unanimité. Ces
veto sont improductifs. En effet, il n’y a aucune
condition que la Turquie puisse remplir pour
obtenir leur levée ! Contrairement aux huit chapitres bloqués par le Conseil en vue d’obtenir
l’ouverture des ports et aéroports turcs aux
transporteurs chypriotes.
Koweït : plus rien ne sera comme avant
Al –kuwaitia Par Abdelkader Al-Jassem
Les lignes rouges du discours politique sont poussées de plus
en plus loin et, désormais, on interpelle directement Sa Majesté
l'émir [Sabah Al-Ahmed Al-Sabah]. Cela, quoi qu'on pense par
ailleurs de ce qui se passe au Koweït, constitue une évolution
politique majeure. Un nouveau chapitre est en train de s'ouvrir
dans les relations entre la famille régnante des Al-Sabah et le
peuple koweïtien. Compte tenu de cette réalité, il devient
secondaire de savoir comment se dénouera le différend actuel
[entre l'émir et l'opposition ; cette dernière, initiée par la
majorité parlementaire sortante, s'est rassemblée le lundi 15
octobre pour une manifestation qui a dégénéré en
affrontements avec la police, faisant plusieurs blessés des deux
côtés, selon la presse locale]. Quel que soit le résultat, et même
si l'émir devait finir par changer la loi électorale par décret
[l'opposition lui dénie le droit de le faire et conteste une telle
réforme sur le fond], il n'en restera pas moins que les
événements actuels constituent un acquis pour le peuple. Même
si beaucoup n'en ont pas encore conscience, cette nouvelle réalité s'imposera à terme. Les idées de "souveraineté populaire"
et de "gouvernement élu
constituent les bases pour
une refondation politique à venir. [Jusqu'à présent, même si le
Koweït dispose d'un parlement élu, c'est l'émir qui désigne le
gouvernement sans tenir compte de la majorité parlementaire,
réservant le poste de Premier ministre et les ministères clés
aux membres de la famille régnante.] De même, les mouvements des jeunes ont affirmé leur place comme acteurs indépendants sur la scène politique. Tout cela se répercutera sur les
relations futures entre les Al-Sabah et la population. Bref, une
nouvelle histoire est en train de s'écrire.
AVERTISSEMENT : LES OPINIONS EXPRIMEES N’ENGAGENT EN AUCUN C A S
LA DIRECTION. ELLES REFLETENT LA POSITION DE LEURS AUTEURS.
La guerre probable contre la Syrie
Page 2
Al Ahram , Par Hassan Abou-Taleb
le premier ministre turc, Erdogan, au Parlement turc réclamant un mandat pour effectuer
des opérations militaires à l’extérieur de la Turquie. Le gouvernement a effectivement obtenu cette autorisation après que
20 députés ont approuvé l’autorisation pendant un an alors que
29 autres appartenant au Parti
du Peuple républicain de l’opposition et le Parti de la Paix et
de la démocratie l’ont refusée. Et cela parce que la formule de
l’autorisation est trop large et permet de déclencher une guerre
mondiale, et non seulement des opérations limitées sur les
frontières. Pourtant, les responsables au gouvernement turc ont
assuré qu’il n’y avait aucune intention de déclencher une
guerre. Or, cette négation ne semble pas convaincante à la
lumière de la vérité du mandat parlementaire qui permet d’envoyer l’armée turque vers des pays étrangers et non pas un
seul, pour une mission de guerre. Autrement dit, il est devenu
possible de déclencher une guerre contre des pays conformément à l’estimation du seul gouvernement, sans revenir vers le
Parlement. La formule du mandatement peut n’être qu’une
formule trop large qui prend en considération l’éventualité de
la détérioration de la position sur les frontières avec la Syrie,
et peut-être sur les frontières d’autres pays comme l’Iran par
exemple. Et ce, peut être un genre de répression préventive
pour la Syrie ainsi que d’autres Etats qui auraient recours au
soutien de Damas au cas où la Syrie serait attaquée.Quels que
soient les messages visés par le gouvernement turc, la question
toute entière du point de vue du fond et de la forme est beau-
coup plus large que de simples procédures concernant la protection des frontières, la réponse à une attaque ou à un tir
limité. Le gouvernement turc est-il conscient des conséquences de l’intervention militaire turque en Syrie ?Il est évident
que la poursuite de la crise syrienne sous sa forme armée actuelle constitue un danger énorme pour tous les voisins de la
Syrie, y compris la Turquie elle-même. Surtout que les efforts
diplomatiques arabes ainsi que les efforts de l’Onu semblent
impuissants à faire bouger la situation, afin de mettre fin à la
violence armée. Et en même temps, toutes les réflexions qui
tournent autour d’une intervention militaire internationale
semblent être catastrophiques pour toute la région. Ceci explique l’hésitation des superpuissances à penser à recourir à la
solution militaire selon les évolutions à l’intérieur de la Syrie.
En effet, le conflit armé n’est plus entre l’armée officielle d’un
côté, et des Syriens armés qui veulent libérer leur peuple d’un
pouvoir despote de l’autre. La Syrie est devenue une scène où
la lutte légitime des Syriens s’est mélangée aux ambitions
d’éléments armés de différentes nationalités arabes et
étrangères qui croient en des idées djihadistes visant à changer
les régimes arabes par la violence armée. Il est inéluctable que
la Turquie ait le droit d’entreprendre des arrangements militaires qui protègent ses frontières et ses citoyens. La Turquie a
également le droit de répondre à toute attaque et de réclamer
des excuses si les tirs sont intentionnés ou planifiés.
Un axe historique
L’observateur,Par Ahmed Charai
Ce que l’on a appelé le «printemps arabe» a déstabilisé toute
la sphère, sauf les pays du Golfe, la Jordanie et le Maroc. Ces
deux derniers pays, non producteurs de pétrole, ont eu des
réponses politiques au désir de réforme des populations. Le
Conseil de coopération des pays du Golfe a, officiellement,
ouvert la perspective de les intégrer. C’est une vision
stratégique qui est derrière la naissance annoncée de cet axe.
Croire que le fait qu’il s’agisse de monarchies est l’unique
raison est réducteur. Pendant longtemps, des pays tels que
l’Egypte, l’Irak ou la Syrie ont joué un rôle important dans le
monde arabe. Ils ne sont plus en mesure de le faire, parce
qu’ils sont en proie à des tensions internes. Or, les périls se
sont multipliés. Le gouvernement israélien s’oppose à toutes
les initiatives basées sur le principe de deux peuples, deux
Etats. Les Palestiniens sont plus que jamais divisés, aucune
direction ne pouvant revendiquer une légitimité certaine. L’Iran est une réelle menace politique. Au delà du différend religieux, entre sunnites et chiites, c’est la volonté hégémonique
affichée de Téhéran, qui fait peur. Les pays du Golfe ont donc
intérêt à s’allier à des Etats stables, ayant une réelle présence
diplomatique sur la scène mondiale et surtout des forces armées compétitives. L’axe qui est en train de se dessiner est le
résultat des convulsions de la sphère. Il tend à créer une force
stabilisatrice, capable de porter la voix des arabes en ce qui
concerne le conflit avec Israël, de faire échec aux visées iraniennes et de proposer, ou de conforter des modèles de démo-
cratisation en douceur. Les niveaux très différents des avancées démocratiques dans ces pays ne peuvent occulter le fait,
que tous, sentent le besoin d’institutions plus ouvertes. Sur le
plan économique, le réchauffement des relations est lui aussi
un objectif. Il ne faut pas croire que les pétromonarchies vont
déverser les investissements au Maroc et en Jordanie par pure
générosité. Les fonds souverains des pays du Golfe ont,
pendant des décennies, privilégié l’Europe et les USA. Depuis
cinq ans, ces économies sont en crise, n’offrent plus d’opportunités aux capitaux et la rentabilité des investissements anciens est en panne. Le Maroc et la Jordanie ont des taux de
croissance corrects et offrent des perspectives encourageantes.
Il est donc normal que les fonds d’investissements
s’y intéressent. L’axe en gestation n’est donc pas le fruit d’une
idéologie, mais de conditions historiques objectives et c’est cet
aspect qui explique que sa mise en place prend du temps. Il a
plus de chances de s’inscrire dans la pérennité, parce qu’il
répond à des besoins réels et non pas à une phraséologie désuète?
REVUES DES OPINIONS
AFRIQUE
L’intérêt d’une visite
El Moujahid, Par Nadia Kerraz
La visite à Alger du ministre français de l’Intérieur, Manuel
Valls, au-delà du fait qu’elle a servi à préparer la visite du
président Hollande, prévue pour décembre 2012, et à évaluer
la coopération bilatérale entre
les deux pays, aura eu le mérite d’apporter plus de clarifications sur les positions d’Alger et de Paris quant à la question du Mali. Il en ressort de
cette visite, que les deux pays
sont sur la même longueur
d’ondes,
et
que
les
«divergences» que l’on avançait pour étayer certains commentaires n’étaient pas aussi
fondées que l’on a voulu le
faire croire. Hier, Mourad Medelci, ministre des Affaires
étrangères, a estimé que les divergences avec la France au
sujet du conflit malien étaient «quelquefois surfaites». Pour sa
part, Manuel Valls a déclaré qu’«il y a convergence de vue
entre les deux diplomaties et les deux pays». Et c’est tant
mieux. Car la situation au Mali est telle présentement que tout
désaccord quant à la stratégie à adopter pour la résolution du
conflit servira avant tout les groupes armés qui contrôlent le
nord de ce pays. L’Onu, dont le Conseil de sécurité a adopté
vendredi une résolution dans laquelle l’option du dialogue est
privilégiée, puisque les parties maliennes sont invitées à y
recourir, sans que pour autant soit exclue celle de l’intervention militaire, témoigne aussi du souci de
l’organisation onusienne de préserver la
chance d’un règlement pacifique du conflit
et au bout duquel le Mali retrouvera son
intégrité territoriale et son unité. Une résolution dont le contenu correspond à la démarche de l’Algérie qui a toujours fait — car
pas uniquement dans l’exemple malien —
du dialogue et du politique, un préalable non
négociable. Et si intervention militaire devait être au final décidée, elle n’interviendrait qu’au bout du processus politique et de
dialogue. Une intervention pour poursuivre
la lutte contre le terrorisme et les groupes armés, qui devrait
être, cependant, exclusivement africaine. La bande frontalière
que partage l’Algérie avec le Mali lui donne autant le droit, si
ce n’est plus, de faire valoir l’argument de l’intérêt sécuritaire,
et n’autorise aucun doute quant à la démarche proposée et
défendue auprès des pays de la région et de ses alliés dans le
cadre de la lutte antiterroriste, pour que le Mali retrouve sa
situation d’avant mars 2012.
RDC Ca va un peu
Jeune Afrique , Par François Soudan
Les élections encouragent-elles la démocratie ? Leur répétition
est-elle bénéfique pour les progrès de la bonne gouvernance et,
en définitive, pour le mieux-être des citoyens ?À ces questions
d'école, le pays hôte du sommet de Francophonie de 2012 (1314 octobre) apporte des réponses bien mitigées, à la mesure de
la complexité des enjeux. Il y a tout juste six ans, elles auraient
au contraire incité à l'optimisme. Depuis quelques mois, une
nouvelle dynamique de responsabilisation semble souffler sur
la RDC.On se souvient de ce scrutin historique de 2006, première consultation véritablement pluraliste et démocratique
depuis l’indépendance, marqué par un minimum de fraude et
un élan patriotique émouvant, remporté dans la dignité et sans
contestation valable par un Joseph Kabila alors au faîte de sa
popularité. On se souvient de notre inquiétude, presque de notre compassion, pour ce jeune président confronté à une tâche
immense : rendre réel un État virtuel. De nos espoirs aussi
quand, dans son discours d'investiture, il annonça qu'était venu
le temps de la rigueur et de la discipline, et qu'un Parlement
pugnace lui emboîta le pas, revisitant sans états d'âme une
soixantaine de grands contrats miniers dont pas un n'était
conforme à la loi. Cinq ans plus tard, hélas, la seconde élection présidentielle de l’ère Kabila a paru inverser les données.
Tensions, violences larvées, fraude, contestations… La communauté internationale, qui avait largement subventionné la
consultation de 2006, a perdu la main et le contrôle . C'est
qu'entre-temps les fragiles piliers sur lesquels reposait le mira-
cle - une Constitution équilibrée, un Parlement fort, un exécutif
compétent - se sont affaissés. Les députés se sont endormis sur
leurs Nissan Patrol neuves et leurs 6 000 dollars mensuels,
deux titulaires somnolents se sont succédé à la primature et le
scrutin à tour unique est venu sonner le glas du débat pluraliste.
Dans la rue, on finit par dire : « Après les élections = avant les
élections. » Comme on disait, au milieu des années 1960 :
« Après l'indépendance = avant l'indépendance. »Sans doute
parce qu'une nouvelle dynamique de responsabilisation, impulsée par un président qui a pris conscience des risques de l'isolement et par un nouveau chef du gouvernement, plus gestionnaire que politique, semble depuis quelques mois souffler sur la
République démocratique du Congo .Si, encouragé par le sommet de l'OIF, ce mouvement positif se poursuit, on pourra alors
penser que l'élection réussie de 2006 et celle Bancale de 2011
s'équilibrent en un seul et même balbutiement démocratique.
REVUES DES OPINIONS
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EUROPE
Plaidoyer pour Angela
Les Echos
Angela Merkel n'a pas bonne presse en Europe, du moins en
Europe du Sud. Elle n'a cessé de refuser les « facilités » monétaires ou financières réclamées par les
pays endettés ; elle a, par sa priorité à ses
exportations sur sa consommation intérieure, désavantagé deux fois ses partenaires ; enfin, vue de France, elle a fait
capoter le projet d'accord EADS-BAE de
peur d'y affaiblir la place de l'Allemagne
et par un attachement modéré aux industries de défense... Il suffit. On lui en veut
de défendre prioritairement les intérêts de
l'Allemagne. Ce pourquoi elle a été élue
par les Allemands. Elle perd d'ailleurs en
popularité dès qu'elle s'écarte des fondamentaux de la culture nationale : terreur
de l'inflation, discipline budgétaire, peur
de payer pour les autres. Au jeu de la paille et de la poutre, les
électeurs français seraient mal venus de donner des leçons.
Préoccupée de sa réélection, espérée, en automne 2013, elle a
cependant entrepris un dosage subtil entre les calculs électoraux et les infléchissements apportés, dans l'intérêt à moyen
terme de son pays, à l'égoïsme national populaire. Au premier
titre, elle a concédé aux Verts l'arrêt coûteux du nucléaire et un
effort renforcé sur les énergies renouvelables, aux contribuables des allégements d'impôts. Sur ce dernier point, elle amorce
une reprise de la consommation intérieure,
qui évite à l'Allemagne d'être asséchée par
la ruine de ses voisins. On l'a vue aussi,
récemment, marquer quelque appétence
pour une dose supplémentaire de fédéralisme européen. C'est pour assurer plus de
force contraignante à la discipline budgétaire (fédéralistes cigales, inquiétezvous...). Reste la « solidarité financière »,
par eurobonds ou autres mécanismes. On
comprend que sa démographie déclinante,
conduisant vers une société de rentiers, ne
lui inspire pas l'envie de les euthanasier,
comme on disait jadis... Mais que la
France se rassure : trop grosse pour tomber, l'Allemagne ne pourra se permettre de l'abandonner à son
sort. Il serait décent, quand même, de ne pas en abuser.
L’audace de l’union
La croix Par Jean-Christophe Ploquin
la crise de l’euro
n’a cessé depuis
trois ans d’éprouver la solidité des liens et de
la solidarité entre
les États membres, et que l’attachement à un
projet fédérateur
semble en berne
dans les opinions, le comité norvégien rappelle que cette construction imparfaite a malgré tout réalisé une performance : garantir la
paix et la réconciliation, la démocratie et le respect des droits
de l’homme, entre les États membres, depuis plus de
60 ans. « Aujourd’hui, une guerre entre l’Allemagne et la
France est impensable », affirme-t-il dans son communiqué.
« Cela montre comment, à travers des efforts bien orientés et
en construisant une confiance mutuelle, des ennemis historiques peuvent devenir de proches partenaires ». L’élargissement à dix pays d’Europe centrale et orientale après la chute
du rideau de fer est aussi souligné comme un grand succès : en
exerçant un fort pouvoir d’attraction sur tous ces pays sortant
de l’orbite soviétique et de l’idéologie communiste, et en intégrant des critères démocratiques dans les négociations d’adhésion, l’Union a évité dans les années 1990 une surenchère des
nationalismes, sauf dans les Balkans, où les pays de l’exYougoslavie rejoignent toutefois dorénavant le processus.Audelà de l’Europe, le comité Nobel a sans doute aussi voulu
envoyer un message au monde. Celui d’un encouragement à la
coopération à l’intérieur de grandes aires régionales. L’Union
africaine s’est déjà fortement inspirée de l’Union européenne.
Les pays d’Amérique latine aussi, lorsqu’ils ont créé le Mercosur (Marché commun du sud). L’Association des nations de
l’Asie du Sud-Est (Asean), qui réunit aujourd’hui dix pays de
cette région, joue un rôle dans la dissolution d’anciennes dictatures, comme en Birmanie ces derniers mois. La crise de
l’euro a certes contribué à affaiblir l’attractivité du modèle,
l’Union européenne apparaissant comme une foire d’empoigne sous les yeux ébahis des dirigeants de la planète. Mais
alors que des tensions nationalistes opposent la Chine et le
Japon, ou que l’idée d’une union du Maghreb se ranime, le
comité Nobel indique une certaine marche à suivre. Ce choix
spectaculaire, qui réjouit le cœur des proeuropéens, appelle
bien sûr à poursuivre l’œuvre entreprise. L’Union européenne
va continuer à évoluer, avec la zone euro comme force motrice
principale. Le prix Nobel de la paix devrait stimuler les dirigeants et les peuples : il rappelle que l’audace paie.
REVUES DES OPINIONS
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EUROPE
Le fruit défendu de l’indépendance
Financial Times, Par Gideon Rachman
Le Premier ministre britannique a consenti à la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014, mais l’Espagne a décidé qu’un vote similaire pour la Catalogne serait inconstitutionnel. Selon Gideon Rachman, on a affaire à une décision politique mûrement réfléchie dans le premier cas, et à un
risque d'aggravation des revendications séparatistes dans le
second. Les parallèles entre les cas écossais et catalans sont
curieux. Dans les deux régions, les nationalistes font remonter
la perte de leur souveraineté au début du XVIIIe siècle. C’est
en 1707 que les Ecossais ont signé l’Acte d’Union avec l’Angleterre, créant ainsi la Grande-Bretagne, résultat d’une aventure coloniale malheureuse – le projet Darién – qui a failli ruiner l’Ecosse. Quant aux Catalans, ils évoquent la chute de Barcelone, en 1714. Récemment, lors d’un match de foot entre le
Barça et le Real Madrid, les nationalistes catalans ont marqué
cet anniversaire par une clameur retentissante, précisément 17
minutes et 14 secondes après le début de la rencontre. Les nationalistes écossais et catalans se sont tous servis de l’UE pour
appuyer leur dossier en faveur de l’indépendance. Ils sont
convaincus qu’ils n’ont pas à craindre l’isolement, puisque les
deux nouvelles nations feraient partie du grand club européen :
elles pourraient ainsi associer leur indépendance à la sécurité
d’une adhésion à l’UE.Certains intellectuels écossais font également valoir que l’hostilité à l’égard de l’UE est un vice spécifique aux Anglais et que les Ecossais sont loin d’être aussi
chauvins. Cette idée fait son chemin à Bruxelles, où certains se
plaisent à imaginer que les Anglais pourraient être punis de
leur euroscepticisme par la sécession écossaise. En vérité, les
sondages suggèrent que les Ecossais sont à peine moins opposés à l’UE que leurs voisins Anglais. Récemment, une enquête
a révélé que 60 %
des électeurs anglais
souhaitent
quitter
l’Union européenne,
une opinion partagée
par 50 % des Ecossais. La crise économique que traverse
la zone euro a
conduit les nationalistes d’Edimbourg à minimiser l’atout Europe au cours de leur
campagne. Actuellement, ils affirment qu’une Ecosse indépendante ne viserait pas immédiatement à rejoindre la zone euro.
La livre resterait sa monnaie et le pays continuerait d’utiliser
les billets écossais. L’Espagne, en revanche, se trouve en plein
cœur de la crise de l’euro, le reste de l’UE fait donc bonne figure en comparaison. La plupart des nationalistes catalans
maintiennent que leur nouvelle nation ne chercherait pas à
abandonner la monnaie unique. l existe néanmoins une différence notable entre les Ecossais et les Catalans, qui contribue à
justifier les réactions distinctes de Madrid et Londres. L’Ecosse
représente seulement 5,2 millions de personnes sur les 62 millions que compte la population britannique et le pays a la réputation, en Angleterre, de bénéficier d’aides financières considérables déboursées par le reste du pays (ce que réfutent les nationalistes). En revanche, la Catalogne compte 7,3 millions d’habitants, pour un total de 47 millions de personnes en Espagne,
sans compter que la région est l’une des plus riches de la péninsule ibérique. La sécession de la Catalogne serait un terrible
revers pour l’Espagne.
Optimisme
Libération, Par SYLVAIN BOURMEAU
L’Europe n’est certes pas sauvée, mais il ne semble pas inconsidéré de penser qu’en ce jour de nouveau sommet elle se
porte un tout petit peu moins mal. La journée d’hier a commencé tôt par la bonne nouvelle de la non-dégradation de l’Espagne
au statut infamant de junk par une agence Moody’s décrétant
appréciables les efforts combinés du pays concerné et de la
zone euro. Elle s’est poursuivie par les déclarations au Corriere
della Serra de l’économiste en chef du FMI, le Français Olivier
Blanchard, estimant que les problèmes de dettes de l’Italie et de
l’Espagne étaient presque réglés, grâce aux mesures mises en
place par l’eurozone. Dans ce contexte, l’entretien accordé par
François Hollande à un parterre de journaux européens prenait
un relief particulier. D’abord, l’optimisme affiché du chef de
l’Etat français qui n’a pas hésité à affirmer d’emblée que nous
étions désormais «près, tout près» d’une sortie de crise de la
zone euro. Sa fermeté à l’égard de l’Allemagne ensuite, lorsqu’il prévient clairement que l’union politique ne saurait qu’être la conséquence d’une union budgétaire, bancaire et sociale.
Mais comment sera reçu cet entretien par les lecteurs d’El País
qui le publie ou ceux des journaux portugais ou grecs ? Tout
l’enjeu reste de savoir si cet optimisme et cette résolution
convaincront des populations mises à rude épreuve dans ces
pays du Sud de l’Europe, qui éprouvent dans leur vie quotidiennes depuis de longs mois déjà les conséquences très
concrètes des plans d’austérité exigés par l’Europe. Et qui,
comme le montrent nos reportages, et n’en déplaise à François
Hollande, ont parfois le sentiment d’être condamnés à
«perpétuité».
REVUES DES OPINIONS
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AMERIQUES
Venezuela : les issues de Chavez
Par Paulo A . Paranagua
Le président vénézuélien,
Hugo Chavez, a été réélu,
dimanche 7 octobre, avec
55,25 % des suffrages, soit
8,1 millions de voix, contre
44,13 % (6,5 millions de votes) à Henriques Capriles
Radonski, le candidat de l'opposition. Alors que M. Chavez avait mis la barre très
haut en visant 10 millions de
voix, un objectif plausible étant donné l'augmentation du corps
électoral et la hausse continue de son score - 56 % en 1998,
59,5 % en 2000, 62,84 % en 2006 -, le chef de l'Etat a obtenu le
plus bas pourcentage de sa carrière, tandis que M. Capriles
progressait de 2,3 millions de voix par rapport au social démocrate Manuel Rosales,candidat en 2006 (36,90 % des votes).Après quatorze ans au pouvoir , le président vénézuélien
est donc placé devant un dilemme. Soit il choisit la fuite en
avant, au risque de préparer ainsi la disparition du chavisme.
Soit il tente de structurer et de pérenniser son mouvement en y
introduisant un minimum de jeu collectif, il recadre sa politique
vers le centre gauche et normalise ses relations avec une opposition qu'il ne peut plus faire mine d’ignorer ou de disqualifier
grossièrement. Ce second choix serait judicieux à court et à
long terme, car l'insécurité, l'inflation, la corruption, l'endettement, l'effondrement des infrastructures, ne se règlent pas à
coups de pétrodollars, mais de bonne gouvernance, de respect
des institutions et de recherche du consensus.Les responsabilités du nouveau chef de l'opposition ne sont pas moindres. Henrique Capriles, 40 ans, a su incarner un discours de progrès
social, de modération et de réconciliation entre les Vénézuéliens, inspiré par les expériences de centre gauche au Chili et
au brésil . Grâce à ce recentrage, sa candidature est parvenue à
attirer les déçus du chavisme, y compris parmi les bénéficiaires des programmes sociaux. Sa pratique de gestionnaire local
et régional lui avait appris à dépasser les clivages et à s’adresser à l'ensemble du corps social, et pas seulement à la classe
moyenne. Rallier des chavistes et préparer l'alternance suppose
de maintenir l'unité et le cap de la coalition de M. Capriles,
tendre la main aux adversaires d'hier, miser sur la tolérance et
l'apaisement. D'autres élections - régionales en décembre, municipales en avril 2013 et législatives en 2015 - permettront une
redistribution des cartes, où chaque formation pourra trouver
sa place. Le dilemme des Vénézuéliens n'est pas d’avoir plus
ou moins d'Etat, mais d’obtenir ou non davantage de République.
Élections américaines - Le rebond d’Obama
Devoir, Par Serge Truffaut
Au terme du premier débat qui avait opposé Mitt Romney à
Barack Obama, ce dernier avait donné l’impression d’avoir été
le président absent, au profit, évident et énorme, du champion
des républicains. Lors du deuxième combat, le démocrate fut
le contraire de ce qu’il avait été il y a une quinzaine. Avec,
dans un recoin de son esprit, le nom de quelques États charnières. Parmi les étrangetés, voire les paradoxes, qui ont singularisé la prestation du locataire de la Maison-Blanche, on a retenu d’abord et avant tout celle-ci : il a amorcé et conclu son
combat en évoquant deux arguments massue que ses supporteurs avaient espéré entendre rappeler lors du combat antérieur. Lesquels ? Un, Romney avait manifesté sa ferme opposition au prêt financier alloué par Obama à l’industrie automobile pour lui éviter le naufrage annoncé. Deux, devant un parterre rassemblant à huis clos de gros bailleurs de fonds de sa
campagne, le champion des républicains avait rabaissé près de
la moitié des Américains au statut de club de paresseux. Ainsi,
après un duel marqué au coin de la monotonie, il y a deux semaines, Obama a multiplié avec constance des saillies verbales dans le but de mettre au jour le vrai visage de Romney.
Mais encore ? Le démocrate s’est appliqué à souligner que le
profil politique de son adversaire était bien celui observé lors
des primaires, soit celui d’un homme beaucoup plus à droite
qu’il ne le laisse transparaître. À preuve, Obama est allé jusqu’à souligner que Bush était passablement plus modéré que
l’actuel candidat républicain en s’appuyant sur ses positions
sur les fronts de la santé et de l’immigration. Fait à noter, Obama a pris un soin méticuleux à souligner que le conseiller du
républicain en matière d’immigration était l’auteur d’une loi si
scélérate que la Cour suprême l’avait jugée nulle et non avenue. Comme il fallait s’y attendre, au vu des récentes offensives républicaines, il a évidemment été question de l’attentat
commis contre le consulat américain situé en Libye. Bizarrement, Romney s’est emberlificoté dans les fleurs du tapis en
affirmant que le président avait tardé à qualifier cet acte de
terroriste alors qu’il l’avait décrit ainsi le lendemain de l’attentat en question, ainsi que l’a certifié l’animatrice de la soirée.
Mais de là à estimer que le républicain avait commis une gaffe
énorme… Est-ce qu’un électorat beaucoup plus préoccupé par
les problèmes intérieurs va changer d’opinion à cause de l’«
erreur » libyenne de Romney ? Pas sûr. Cela étant, il n’est pas
aussi évident, nous semble-t-il, que Romney a perdu autant de
points qu’on l’avance ici et là. En répétant avec fermeté que le
bilan du président sortant sur le flanc du chômage laisse entrevoir peu de changement advenant sa réélection, le républicain
a probablement préservé une portion du capital acquis à la
faveur de sa victoire d’il y a une quinzaine. Le débat achevé,
Romney s’est empressé de prendre la direction de la Virginie
pendant que le démocrate prenait celle de l’Ohio, « Étatbaromètre » ou swing state, et de l’Iowa, « État-charnière » ou
swing state d’un autre type. À cet égard, il faut préciser deux
fois plutôt qu’une que pour l’emporter, Romney doit rafler une
forte majorité de ces fameux swing states. En effet, selon les
calculs du New York Times, Obama a besoin de seulement 33
autres grands électeurs - on lui en crédite 237 - pour retourner
à la Maison-Blanche .
REVUES DES OPINIONS
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ASIE
Fièvres d’archipel
La Croix, Par Guillaume Goubert
La Chine poursuit sa folle course économique. En un an, sa
production a progressé de 7,4 %, un rythme que n'a jamais
atteint l'économie française depuis l'après-guerre et qui constitue pourtant l'un des plus faibles taux chinois de ces trente
dernières années. Les chiffres les plus récents indiquent une
accélération en cours, de la consommation aux exportations en
passant par les investissements. L'empire du Milieu reste décidément la superstar de la croissance
mondiale. Et pourtant... rien n'est plus
vraiment comme avant. Les doutes sur
les comptes nationaux chinois grandissent, car ils pointent une pente beaucoup plus favorable que des indicateurs
concrets et moins faciles à manipuler,
comme la production d'électricité et de
ciment, ou l'opinion des acheteurs industriels. Les exportations sont inévitablement freinées par la forte poussée
des salaires chinois, un yuan au plus haut historique et une
demande européenne déprimée. Les investissements ne pourront pas monter jusqu'au ciel, à commencer par les dépenses
d'équipement dans le ferroviaire, qui ont bondi de 78 % en un
an. Sous la pression des autorités chinoises, les entreprises
d'Etat et les collectivités locales ont déjà beaucoup trop investi
depuis la relance forcenée de la fin 2008, pour construire des
usines qui ne tournent pas et des ponts qui ne vont nulle part.
Et une relance de l’immobilier pousserait fatalement les prix
à la hausse alors que l'immense majorité des particuliers n'ont
plus les moyens de s'acheter un toit. En réalité, la Chine est au
bout de son cycle de croissance. Elle doit en former un autre
qui passera par la consommation, comme le savent parfaitement ses dirigeants. Ce nouveau cycle est à peine amorcé. Il
sera fatalement moins rapide - les experts évoquent un rythme
annuel de progression de 6 % à 8 %
l'an, au lieu des 10 % atteint pendant
les « Trente Glorieuses chinoises ».
Et il risque de tomber dans les trous
noirs de la finance. Les banques ont
aggloméré une quantité astronomique de créances douteuses. Les collectivités locales ont accumulé des
engagements qu'elles ne pourront
pas honorer, sevrées de l'argent venant des ventes de terrains qui constituaient le quart de leurs recettes. Et comme il se doit, ces
trous noirs absorbent toute la lumière qui pourrait les éclairer.
Après s'être développé par un mercantilisme effréné, le capitalisme chinois est menacé par une finance incontrôlée. Au fond,
il n'est pas très différent du nôtre.
Le candidat anti-Chine
Courrier Internationale, Par Eric Chol
Les élections américaines ne
suscitent
guère d’enthousiasme
dans
le
monde,
sauf
en
Chine.
C’est
ce
que révèle
une
enquête du Pew Research Center, selon laquelle deux fois plus de
Chinois qu’en 2008 suivent la course à la Maison-Blanche.
Mais cet intérêt nourrit aussi un malaise. Car les Chinois découvrent que leur pays, hissé au deuxième rang économique
mondial, fait peur et que Mitt Romney ne se prive pas de jouer
sur ces peurs. Ainsi le candidat américain a-t-il promis, une
fois élu, d’accuser officiellement Pékin de manipulation de
devise. Et, lors de ses meetings électoraux, il tape régulièrement sur la Chine, taxée de voleuse d’idées, de technologies et
d’emplois. Les propos de Mitt Romney font mouche auprès
d’une opinion fragilisée par la montée du chômage et qui voit
dans l’émergence de la Chine une menace majeure pour les
Etats-Unis. Mais, à Pékin, on sait aussi que le déficit budgétaire
américain a dépassé cette année encore les 1 000 milliards de
dollars et que, pour combler ses besoins, Washington va continuer à emprunter auprès du club des grands épargnants de la
planète, dont fait partie la Chine. Toujours à Pékin, où se prépare une autre transition politique majeure, le pouvoir est habitué aux joutes électorales américaines et attend que la poussière
du combat retombe. Sauf que, cette fois, le China bashing en
vogue aux Etats-Unis dépasse le scrutin du 6 novembre. C’est
“le duel du siècle*”, pour reprendre le titre du livre d’Alain
Frachon et de Daniel Vernet.