Zadig ou la Destinée - biblio
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Zadig ou la Destinée Voltaire Livret pédagogique correspondant au livre élève n°25 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée Sommaire – 2 SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E DES CO R P U S ........................................................................................ 4 R ÉP O NSES A U X Q U EST I O NS ................................................................................ 6 Bilan de première lecture (p. 162)...................................................................................................................................................................6 Chapitre second (pp. 16-18).............................................................................................................................................................................6 ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 19-20)................................................................................................................................6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 21-26)....................................................................................................................9 Chapitre troisième (pp. 27-31) ......................................................................................................................................................................12 ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 32-33)..............................................................................................................................12 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 34-42)..................................................................................................................16 Chapitre huitième (pp. 59-64) .......................................................................................................................................................................19 ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 65-67)..............................................................................................................................19 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 68-76)..................................................................................................................21 Chapitre seizième (pp. 104-111) ...................................................................................................................................................................25 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 112-113)...........................................................................................................................25 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 114-124)..............................................................................................................27 Chapitre dix-neuvième (pp. 139-142)...........................................................................................................................................................31 ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 143-144)..........................................................................................................................31 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 145-153)..............................................................................................................34 C O M P L ÉM ENT S A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 39 B I B L I O GRA P H I E CO M P L ÉM ENT A I RE ....................................................................... 43 Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2004. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com Zadig ou la Destinée – 3 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes ; analyse d’une ou deux questions préliminaires ; techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Zadig ou la Destinée, en l’occurrence, permet d’étudier le genre de l’apologue, de réfléchir aux procédés de l’argumentation, de s’initier à la philosophie des Lumières, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture… Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « Dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. Table des corpus – 4 TABLE DES CORPUS Corpus Images critiques de la femme (p. 21) Du policier en littérature (p. 34) Les écrivains et le pouvoir (p. 68) Formes et significations de l’exotisme (p. 114) Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau Texte A : Chapitre second de Zadig de Voltaire (pp. 16-18). Texte B : « La Jeune Veuve » de Jean de La Fontaine (pp. 22-23). Texte C : Extrait de la scène 3 de L’Île des esclaves de Marivaux (pp. 23-25). Texte D : « Le Galant Tireur » de Charles Baudelaire (p. 25). L’éloge et le blâme (Seconde) Texte A : Chapitre troisième de Zadig de Voltaire (pp. 27-31). Texte B : Extrait du Chien des Baskerville d’Arthur Conan Doyle (pp. 35-37). Texte C : Extrait de La Bête humaine d’Émile Zola (p. 38). Texte D : Extrait de la scène 8 de l’acte II d’Électre de Jean Giraudoux (pp. 38-39). Document : Affiche du film Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (p. 40). Texte A : Chapitre huitième de Zadig de Voltaire (pp. 59-64). Texte B : « Les Obsèques de la Lionne », Fables, de Jean de La Fontaine (pp. 69-70). Texte C : Extrait des Lettres persanes, lettre XXXVII, de Montesquieu (pp. 70-71). Texte D : Extrait de l’Encyclopédie, article « Autorité politique », de Denis Diderot (pp. 7273). Texte E : Extrait de Situations II de Jean-Paul Sartre (pp. 73-74). Document : Caricature de Napoléon III par Daumier (p. 74). Texte A : Extrait du chapitre seizième de Zadig de Voltaire (p. 104, l. 1, à p. 106, l. 61). Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte IV du Bourgeois gentilhomme de Molière (pp. 115117). Texte C : Extrait des Mille et Une Nuits, traduction d’Antoine Galland (pp. 117-119). Texte D : Extrait des Lettres persanes, lettre CLXI, de Montesquieu (pp. 119-120). Texte E : « L’Invitation au voyage », Les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire (pp. 120-121). Texte F : Extrait des Oiseaux de Saint-John Perse (pp. 121-122). Le roman (Seconde) Convaincre, persuader, délibérer (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Par quels procédés les différents auteurs du corpus expriment-ils leur critique de la femme ? Commentaire Après avoir examiné le rôle de Trivelin, vous montrerez que la libération d’Euphrosine exprime une critique sociale sévère. Question préliminaire De quelle manière les différents documents parviennent-ils à susciter la curiosité du lecteur ? Commentaire L’étude des tensions et de la violence qui caractérisent cette scène vous amènera à vous demander à quel genre et à quel registre appartient ce texte. Question préliminaire Quelle image du pouvoir les différents documents donnent-ils ? Commentaire Vous montrerez comment cette fable dynamique véhicule une argumentation. Étude des genres (Seconde) Question préliminaire Dégagez le genre et le registre de chacun des textes en justifiant votre réponse. Commentaire Vous étudierez le poème en montrant comment l’« invitation au voyage » est aussi une invitation à l’amour et l’expression d’un idéal. Zadig ou la Destinée – 5 Corpus Les formes de l’apologue (p. 145) Composition du corpus Texte A : Chapitre dix-neuvième de Zadig de Voltaire (pp. 139-142). Texte B : Extrait du Roman de Renart de Pierre de Saint-Cloud (pp. 145-146). Texte C : « Les Fées », Contes de ma mère l’Oye, de Charles Perrault (pp. 146-149). Texte D : « Le Fou et la Vénus », Le Spleen de Paris, de Charles Baudelaire (p. 149). Texte E : « Le Chêne et le Roseau » d’Ésope (p. 150). Texte F : « Le Peuplier et le Roseau » de Raymond Queneau (pp. 150-151). Document : L’Air et l’Eau I de M. C. Escher (p. 151). Objet(s) d’étude et niveau Convaincre, persuader, délibérer Les formes de l’apologue, du dialogue et de l’essai (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Opérez un classement des différents textes selon leur genre et justifiez votre réponse par un relevé des marques significatives. Commentaire Après avoir étudié le dynamisme de ce court récit, vous en étudierez la portée. Réponses aux questions – 6 RÉPONSES AUX QUESTIONS B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 6 2 ) Le borgne désigné par le titre du chapitre 1 est Zadig. " Zadig réside à Babylone. # Moabdar est le roi de Babylone. $ Azora est la femme de Zadig dans le chapitre 2. % L’ami et conseiller de Zadig se nomme Cador. & Zadig occupe, avant sa fuite, le poste de Premier ministre. ' Zadig fuit en Égypte. ( Le marchand se nomme Sétoc. ) La fortune d’Arbogad provient des vols qu’il a commis. *+ Le remède préconisé est un basilic cuit dans de l’eau de rose. *, Zadig soigne le seigneur Ogul en le mettant au régime et en lui faisant faire du sport. *- L’occupation d’Astarté est de tracer le nom de Zadig sur le sable. *. Astarté s’est cachée dans la statue d’un temple. */ La nouvelle épouse de Moabdar se nomme Missouf. *0 L’armure offerte par Astarté à Zadig est blanche. *1 Itobad vole l’armure de Zadig. *2 L’ermite met le feu à sa maison. *3 L’ermite est l’ange Jesrad. *4 Les réponses aux deux premières énigmes posées sont « le temps » et « la vie ». 5+ Zadig, à la fin du conte, est roi de Babylone. ! C h a p i t r e s e c o n d ( p p . 1 6 - 1 8 ) ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 19-20) On peut relever différentes marques du récit dans ce chapitre : – les indices temporels, qui jalonnent la progression du texte. Le récit s’ouvre sur « Un jour » et ce complément circonstanciel de temps montre que Voltaire va se focaliser sur un épisode particulier. La chronologie romanesque alterne les ellipses et les événements déterminants. Par la suite, on peut relever d’autres indicateurs de temps : « deux jours » (l. 21), « le troisième jour » (l. 22), « la nuit même » (l. 23), « Le soir » (l. 26), « Le lendemain » (l. 28), « Au milieu du souper » (l. 35) ; – à l’intérieur de ce récit, l’histoire de la veuve Cosrou qui s’organise également autour d’indices temporels : « deux jours » (l. 6), « tant que l’eau de ce ruisseau coulerait auprès » (l. 9) ; – le jeu des temps verbaux caractéristique du texte narratif. Le temps principal est le passé simple ; exprimant une action limitée dans le temps, il rend parfaitement compte de la chaîne narrative : « La dame pleura, se fâcha, s’adoucit » (l. 31). L’imparfait, plus rare dans le chapitre, vient, en complément, exprimer une valeur durative : « Il avait un ami […] qu’aux autres » (l. 17), « il avait des défauts dont Cador était exempt » (l. 34). " Dans le premier paragraphe, le récit du comportement de la veuve Cosrou joue le rôle de l’élément déclencheur. La situation initiale est stable : « il l’épousa et vécut un mois avec elle dans les douceurs de l’union la plus tendre » (fin du chapitre 1). Certes, ce « un mois » a une valeur restrictive qui annonce la rupture et les dernières lignes du chapitre introduisent des réserves (« un peu de légèreté ») ; mais c’est le « Un jour » liminaire, avec les « grandes exclamations » d’Azora, qui vient perturber (pour ! Zadig ou la Destinée – 7 reprendre le vocabulaire du schéma narratif) la situation initiale et déclencher les péripéties du chapitre. Le récit concernant la veuve Cosrou semble même une image concentrée de l’épisode tout entier. Une « jeune veuve », « un tombeau », une grande « douleur », une promesse et finalement une solution pour contourner le serment de fidélité : tous ces éléments se retrouvent dans l’histoire du nez. Azora apprend la « funeste nouvelle » (l. 24) : Zadig est enseveli « dans le tombeau de ses pères ». La voilà devenue « jeune veuve » (l. 6). Comme la veuve Cosrou, elle se lamente, et le champ lexical de la souffrance est développé. Dans le premier paragraphe, on relevait le mot « douleur » ; pour Azora, le récit est plus précis : « Elle pleura, s’arracha les cheveux », « ils pleurèrent tous deux ». De même, le déroulement de l’histoire est plus développé dans la seconde partie : « Le soir », « Le lendemain », « Au milieu du souper ». Pourtant, l’impression de rapidité est la même et le revirement d’Azora vaut celui de la veuve Cosrou. Dans les deux histoires, les jeunes femmes semblent rester fidèles à leur mari défunt. La veuve Cosrou fait détourner le ruisseau pour ne pas manquer à son serment et Azora se trouve de bonnes raisons : « quand mon mari passera du monde d’hier dans le monde du lendemain […] la première ? » (l. 49). Bien entendu, ce qui n’était que sous-entendu, c’est-à-dire en germe, dans le premier épisode prend toute son ampleur avec la femme de Zadig. Jouant peut-être sur le fait que Pétrone et La Fontaine ont déjà raconté cette fable à leur manière, Voltaire va, à son tour, broder quelques variations sur ce thème. # Le récit forme une boucle car la dernière ligne du chapitre reprend clairement la fin du premier paragraphe. L’épisode s’ouvre sur l’histoire de la veuve Cosrou qui détourne le ruisseau et s’achève sur une allusion à la jeune veuve : « le projet de me couper le nez vaut bien celui de détourner un ruisseau ». L’indignation finale de Zadig est un écho de celle d’Azora découvrant, au début du chapitre, le peu de constance de la veuve Cosrou. $ Que la construction du chapitre soit circulaire et que le récit se referme sur lui-même ne signifie pas pour autant que l’on se retrouve au point de départ. Au contraire, la boucle souligne la progression de l’intrigue ; la répétition fait ressortir les variations. Au départ, c’est Azora qui se montre scandalisée par l’inconstance de la veuve Cosrou ; à l’arrivée, c’est elle-même qui est infidèle, et Zadig, en écartant le rasoir, annonce qu’il va la répudier (chapitre 3). Azora affiche sa loyauté au début du chapitre ; elle est démasquée à la fin. Dans le premier paragraphe, Zadig admire non pas l’indignation d’Azora, mais la promesse de fidélité faite par la veuve Cosrou à son mari défunt (l. 10 : « voilà une femme estimable, qui aimait véritablement son mari ! »). Déjà, à la fin du chapitre 1, il reprochait à sa femme sa « légèreté ». Dans « Le nez », les « grandes exclamations » (l. 2) d’Azora l’inquiètent : « ce faste de vertu ne plut pas à Zadig » (l. 15). Très vite, Zadig comprend qu’il se trompe quant à la fidélité de la veuve Cosrou et la suite de l’histoire lui permet de confirmer ses doutes concernant la loyauté de sa propre femme. Si les deux histoires se répètent et si le récit donne l’impression d’un retour au point de départ, c’est pour mieux souligner l’inconstance féminine et annoncer la répudiation d’Azora. % Le cadre du texte est narratif mais la place accordée au dialogue est très importante. Voltaire utilise différents modes d’insertion du discours rapporté. On peut relever une forme narrativisée dans le deuxième paragraphe : « il le mit dans sa confidence » (l. 19). Ce procédé évite de rappeler les doutes de Zadig quant à la fidélité de sa femme et de dévoiler le plan qui va être mis en œuvre. Le discours indirect est employé pour évoquer la nouvelle de la mort de Zadig. Les subordonnées s’enchaînent et la « funeste nouvelle » perd ainsi toute sa charge pathétique. Le discours indirect ne garde pas l’intonation et la succession des trois subordonnées complétives (l. 23 : « que son mari était mort subitement la nuit même, qu’on n’avait pas osé lui porter cette funeste nouvelle, et qu’on venait d’ensevelir Zadig ») a un effet mécanique. Azora est au centre du récit ; son indignation et son revirement rapide sont les éléments essentiels du chapitre. Voltaire a recours au discours direct. On en relève les marques attendues : verbes de parole, guillemets et tirets. & La surprise est un principe moteur du chapitre. On le voit dès le premier paragraphe, lors de l’histoire de la veuve Cosrou. La dernière explication d’Azora (« Elle faisait détourner le ruisseau ») provoque un effet de chute d’autant plus fort que la proposition est brève. Cette sorte de « pointe » invite le lecteur à lire d’une autre manière le début du paragraphe ; en effet, le « spectacle » dont Azora Réponses aux questions – 8 a été le témoin n’est pas celui de la douleur de la veuve mais plutôt celui de son inconstance. De même, l’indignation d’Azora au début du chapitre (« de grandes exclamations », « des invectives si longues », des « reproches si violents ») contraste fortement avec son attitude à la fin (elle « s’approcha pour couper le nez à Zadig »). Ces revirements sont mis en valeur par leur rapidité ; on relève « deux jours » pour la veuve Cosrou et une durée guère plus longue pour Azora, puisque la scène du rasoir se déroule le « lendemain » de la « funeste nouvelle ». Le double retournement qui structure le récit lui confère par là même sa force comique. La rupture qu’est la surprise fait d’autant plus rire que, double, elle paraît le résultat d’un mécanisme. ' On peut relever d’autres ressorts du comique : – la répétition donne à l’histoire un côté artificiel et la prive de toute sensibilité humaine. C’est un procédé que l’on rencontre fréquemment dans le théâtre comique, qu’il s’agisse de la reprise d’une expression (« Mais que diable allait-il faire dans cette galère ») ou d’une situation (le double schéma des personnages dans Les Fourberies de Scapin ou dans Le Jeu de l’amour et du hasard) ; – les hyperboles ont également une fonction comique. La réaction d’Azora dans le premier paragraphe est fortement soulignée et la rapidité du revirement est accentuée ; – la fin du chapitre relève du comique de situation ; on trouve face à face un mort en réalité vivant et une femme tenant un rasoir ; – enfin, la situation est traitée avec légèreté. Les éléments sont pourtant dramatiques : une veuve, une femme qui veut couper le nez de son mari, un mari qui découvre que sa femme ne l’aime pas. Mais rien n’émeut le lecteur. Dans ce registre humoristique, on ne voit que le côté saugrenu de l’histoire : le remède qui est censé guérir Cador, l’idée de couper son nez à un mort et peut-être aussi la symbolique phallique du nez. On aurait envie de dire que le thème de la femme castratrice est ici traité de manière amusante : le nez d’un mort qui s’avère être vivant. ( La leçon du chapitre n’est pas explicite ; la construction circulaire invite pourtant le lecteur à tirer une morale de l’histoire. L’épisode fonctionne comme une petite fable autonome et les répétitions renforcent la cohérence de l’ensemble. À la fin, fermant la boucle, Zadig rapprochant l’attitude d’Azora de celle de la jeune veuve Cosrou invite à la généralisation. Le lecteur comprend que Voltaire critique l’inconstance féminine et les prétextes invoqués. Le chapitre peut être lu comme un apologue indépendant. De plus, les divers procédés comiques créent une distance qui incite le lecteur à poser sur la situation présentée un regard critique. Zadig lui-même ne se place pas du côté des sentiments mais de la raison. Il n’est pas question de déception, de jalousie, de tristesse. Zadig analyse et raisonne. Il émet des hypothèses (l. 15 : « ce faste de vertu ne plut pas à Zadig ») et les vérifie en opérant des rapprochements (l. 57 : « le projet de me couper le nez vaut bien celui de détourner un ruisseau »). Dans ce chapitre, il s’agit pour Zadig de donner une leçon à sa jeune épouse. Il ne se lamente pas sur l’infidélité d’Azora mais cherche à montrer à sa femme qu’elle ne vaut pas mieux que la veuve Cosrou et que ses « invectives » et « ses reproches » à l’encontre de la jeune femme étaient malvenus. La fonction de l’expérience mise en place par Zadig est moralisatrice. Le lecteur comprend par là que le chapitre a une portée didactique. ) Zadig évolue dans la mesure où il passe de l’hypothèse à la certitude. À la fin du chapitre 1, il trouve Azora un peu légère : « un peu de légèreté et beaucoup de penchant à trouver que les jeunes gens les mieux faits étaient ceux qui avaient le plus d’esprit et de vertu ». Déjà, dans cette phrase, on voit qu’Azora trouve des justifications morales à ses penchants. Le chapitre 2 est une vérification par l’expérience et le chapitre 3 tire la conclusion de ces événements : « Il fut quelque temps après obligé de répudier Azora. » Au début du chapitre 2, bien qu’ayant des doutes quant à la constance de son épouse, Zadig croit encore à l’amour des femmes ; aussi s’exclame-t-il : « voilà une femme […] qui aimait véritablement son mari ! » (l. 10). Les explications d’Azora concernant la jeune veuve, ainsi que l’expérience du nez l’amènent à renoncer à l’amour et à choisir de se retirer dans une maison de campagne (début du chapitre 3). *+ Le chapitre, au travers de deux histoires, dénonce l’inconstance des femmes. Elles apparaissent comme infidèles : si la veuve détourne le ruisseau, c’est pour s’autoriser à oublier son mari défunt ; quant à Azora, elle se montre prête à couper le nez de Zadig pour soulager les souffrances de Cador. On ne peut se fier à l’amour des femmes et le pire est que, même lorsqu’il est sincère et profond, il ne Zadig ou la Destinée – 9 dure pas. En effet, Azora, comme la veuve Cosrou en son temps, est bouleversée par l’annonce de la mort de Zadig ; les signes de leur douleur sont abondants. Pourtant, deux jours ne se sont pas écoulés qu’elles se trouvent consolées. Voltaire critique également l’écart qui sépare la manifestation de sentiments profonds des sentiments réellement éprouvés. Les larmes féminines sont trompeuses ; on le voit lors du souper pris en compagnie de Cador (l. 31: « La dame pleura, se fâcha, s’adoucit ») et lors de la scène finale (l. 53 : « elle alla au tombeau de son époux, l’arrosa de larmes, et s’approcha pour couper le nez à Zadig ») ; la conjonction de coordination « et » met en relief le peu de sens des larmes féminines. La critique va plus loin encore. Non seulement l’amour des femmes est peu fiable, non seulement elles montrent des sentiments qu’elles n’éprouvent pas nécessairement, mais elles vont jusqu’à trouver des solutions pour se ranger, en dépit de leur inconstance et de leur hypocrisie, derrière des principes moraux. En détournant le ruisseau, la veuve Cosrou fait en sorte de ne pas manquer à sa promesse. Peu importe l’esprit ; seule la lettre compte pour être en accord avec la morale. De même, lorsque Azora s’apprête à couper le nez de Zadig pour guérir Cador, elle en appelle au peu de conséquence de son acte en se référant à l’ange Asraël. Ajoutons à ces griefs le goût d’Azora pour l’argent. En effet, lorsque Cador laisse entendre « que son ami lui avait laissé la plus grande partie de son bien » (l. 29), la « dame [...] s’adoucit » et se met à lui adresser des compliments : « elle avoua qu’il avait des défauts dont Cador était exempt » (l. 33). *, Les femmes sont sévèrement critiquées dans ce chapitre, d’autant plus qu’Azora était présentée dans le premier épisode comme « la plus sage et la mieux née de la ville ». Mais cette critique est une sorte de lieu commun littéraire et mondain. Chez Voltaire, la critique devient misanthropie. En effet, l’amitié est en cause également, au travers du personnage de Cador. L’argent semble une valeur dominante susceptible de venir à bout de l’amour des femmes mais aussi capable de vous assurer la fidélité d’un ami. Lorsque Zadig s’adressa à son ami Cador, « il le mit dans sa confidence et s’assura, autant qu’il le pouvait, de sa fidélité par un présent considérable » : l’adjectif « considérable » et la restriction « autant qu’il le pouvait » soulignent la fragilité des sentiments face au pouvoir de l’argent. Dans cette société sans morale, l’homme est seul. Dans le chapitre suivant, Zadig s’écarte des amis et des femmes ; pour vivre en philosophe, il se retire du monde et se plonge dans l’étude. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 21-26) Examen des textes ! Comme une comédie, la fable « La Jeune Veuve » se découpe en scènes successives : le mari et sa veuve, le père et la jeune femme, puis un « mois de la sorte se passe » et l’on retrouve les deux personnages de la scène précédente. La Fontaine joue sur les contrastes : la dernière scène s’oppose aux deux premières ; la réplique qui achève la scène 2 contraste, par sa brièveté comme par son contenu, avec la tirade du père qui la précède. Les personnages sont stylisés selon le principe adopté au théâtre. La veuve est « une jeune beauté » et le père un « homme prudent et sage ». Le discours direct occupe une place importante dans cette fable. On peut en relever les différentes marques : guillemets et tirets, propositions introductrices et incises, indices de l’oralité tels que l’apostrophe ou l’interjection… " Bien que promue au rang de maîtresse d’Euphrosine par le représentant de l’île (Trivelin), Cléanthis conserve, dans sa manière de parler, les marques de sa condition sociale première. On pourra notamment relever : – sa façon de désigner Euphrosine : « ma chère maîtresse », le terme « Madame » répété ; – son manque de confiance en elle et le besoin d’être aidée par Trivelin : « je vous ai dit de m’interroger » ; – les adresses à Trivelin, elle-même n’osant pas régler directement ses comptes avec Euphrosine ; – son langage oral et spontané : les phrases exclamatives et les interjections occupent une place importante, les phrases sont courtes ; – son absence d’analyse : elle rapporte les scènes auxquelles elle a assisté en imitant les paroles des différents personnages, sans les insérer dans un discours explicatif. Réponses aux questions – 10 Les phrases déclaratives sont peu nombreuses dans les quelques répliques de Trivelin et il s’agit à chaque fois d’un constat concernant l’attitude d’Euphrosine. La modalité interrogative est importante, puisqu’elle lance le passage du portrait : « Cela la regarde-til ? » On remarquera la place essentielle accordée à la modalité injonctive. Trivelin se pose comme le maître du jeu et il donne des ordres à Cléanthis (« détaillons un peu cela ») et à Euphrosine (« Attendez », « profitez »). $ Le poème adopte une forme narrative que l’on peut étudier au travers des temps verbaux et de l’insertion des paroles rapportées. Ce traitement chronologique du temps, ainsi que l’existence d’un cadre spatial et de deux personnages dessinent une histoire particulière. Cependant, tout invite à la généralisation. À commencer par l’emploi du pronom personnel « il » dès la première phrase. Dans un poème en prose (le lecteur connaît la règle du jeu), il ne saurait être question d’illusion réaliste. On n’imagine pas un instant que l’histoire ait pu commencer avant le lever de rideau. Le « il » répété, comme les désignations « femme » et « époux » sont un moyen de gommer toute individualité. Les visages n’ont pas de traits et le décor se réduit à une esquisse : « la voiture », « le bois », « le voisinage d’un tir ». La « créature charmante » n’a pas plus de vie que la poupée « qui porte le nez en l’air et qui a la mine si hautaine ». La trame narrative se réduit à des coups de crayon dont la simplicité même souligne la complexité des sentiments en présence. % Autour de la femme, deux champs lexicaux se croisent et les oppositions sont d’autant plus fortes que la conjonction de coordination « et » vient lier les termes antithétiques : « délicieuse et exécrable », « inévitable et impitoyable ». La juxtaposition souligne le parallélisme, renforçant la contradiction : « tant de plaisirs, tant de douleurs ». La fin du poème achève de nous dérouter, puisque le paradoxe y atteint son degré le plus haut. La dernière réplique exprime tout ce que l’homme doit à sa femme mais la note finale (« adresse ») est une reprise lexicale de « [la] poupée [qui] fut nettement décapitée ». La femme est contradictoire ; les sentiments de l’époux également. Et il ne saurait être question de choisir. C’est la contradiction même qui définit la nature des relations entre les deux personnages et qui donne toute sa force au poème. # Travaux d’écriture Question préliminaire La femme est au cœur des différents textes du corpus et l’on est frappé par la complexité de l’image que les différents auteurs nous en donnent. Au travers de ces textes, la dominante est négative. Voltaire insiste sur l’inconstance d’Azora et, dans le chapitre, tout concourt à préparer la fin et à souligner cette légèreté de l’épouse. Azora s’indigne de l’attitude de la veuve et elle fera pire à la fin de l’épisode. Le temps s’accélère et Voltaire insiste sur la rapidité du revirement de la jeune femme en mettant en relief les indicateurs de temps : « la nuit même », « Le soir », « Le lendemain », « Au milieu du souper ». L’inconstance féminine est également au centre de la fable de La Fontaine et sans doute Voltaire a-t-il pensé à cette « jeune veuve » en imaginant le chapitre 2 de Zadig. Dans le portrait que Cléanthis dresse de sa maîtresse Euphrosine, on retrouve cette versatilité féminine puisque le passage est principalement organisé autour de l’opposition de deux portraits de la jeune femme. Si Madame a « bien dormi », « elle ira aux spectacles, aux promenades, aux assemblées » ; « au contraire », si elle a « mal reposé », elle « ne verra personne aujourd’hui ». Un événement sans grande conséquence (elle a « mal reposé ») et Euphrosine n’est littéralement plus elle-même : « figurez-vous que ce n’est point moi ». Chez Baudelaire, la contradiction ne s’inscrit pas dans le temps. Dans ce récit resserré et simplifié à l’extrême, les antithèses ressortent (voir question 4), soulignant le paradoxe qui sous-tend le sentiment amoureux. La contradiction est d’autant plus grande que les termes mélioratifs sont intenses et que le sentiment négatif, à l’opposé, s’exprime par la violence de la mort. Ces quatre textes donnent une image négative de la femme, en insistant notamment sur les contradictions qui la caractérisent. Dans les textes de Marivaux et de Baudelaire, l’image est complexe et le portrait négatif est nuancé par des traits positifs. Si Euphrosine apparaît, au travers de la peinture de Cléanthis, comme une jeune femme « vaine, minaudière et coquette », elle est, sur scène, un personnage sensible et bouleversé. Zadig ou la Destinée – 11 Trivelin le souligne à plusieurs reprises : « vous sentez, c’est bon signe », « Courage, Madame ». Dans le poème de Baudelaire, un équilibre semble s’instaurer entre le vocabulaire péjoratif et le vocabulaire mélioratif. On peut même voir que la reconnaissance du poète l’emporte, dans l’expression qui achève le premier paragraphe. Les groupes nominaux « tant de plaisirs » et « tant de douleurs » sont juxtaposés et soulignent la contradiction ; le complément qui suit (« et peut-être aussi une grande partie de son génie ») fait pencher la balance du côté positif. Commentaire On pourra proposer le plan suivant : 1. Une scène orchestrée par Trivelin A. Trivelin mène la scène • Il fait parler Cléanthis. • Il décide de la progression du dialogue et domine sa finalité. • Il ne parle pas pour lui-même et se montre chargé de faire fonctionner une règle. B. La démarche adoptée • La connaissance et la vérité sont au cœur de la démarche. • La connaissance doit permettre une guérison d’Euphrosine. 2. Une scène de libération A. Le discours d’une servante • Cléanthis ne s’adresse pas à Euphrosine et manque de confiance en elle. • Elle emploie un langage spontané et familier. B. Cléanthis se libère • Longueur des répliques. • Multiplicité des paroles rapportées et dynamisme des tirades. • Formes de l’accumulation : énumération, juxtaposition, répétition… Tout cela concourt à donner une impression de précipitation et de désorganisation. 3. La critique sociale au travers du portrait d’Euphrosine A. La présence d’Euphrosine sur scène • Euphrosine au travers des répliques de Trivelin : le malaise. • Les répliques d’Euphrosine : la négation exprime le désarroi. B. Le portrait dressé par Cléanthis • Importance accordée à l’apparence physique : présentation de deux situations contradictoires de part et d’autre de « au contraire » (vocabulaire mélioratif / vocabulaire péjoratif). L’apparence finit par définir l’identité (« Ce n’est point moi »). • La critique sociale : la mise en scène des rencontres et l’artifice des relations mondaines ; la cruauté des relations et l’absence de véritable amitié ; le mensonge du paraître. Dissertation On pourra adopter le plan suivant : 1. Les femmes occupent une place importante dans la littérature A. Dans les différents genres Exemples de romans, de pièces de théâtre… B. Dans les différents registres • Sur le mode comique… • Sur le mode tragique… 2. Ce n’est pas la femme mais le sentiment amoureux qui est un élément moteur dans les œuvres littéraires A. L’amour comme mobile de la quête • L’œuvre littéraire s’inscrit dans le temps et suppose une transformation des personnages ; à ce titre, la quête amoureuse est un moteur fréquent de la dynamique narrative. Réponses aux questions – 12 • Les romans de chevalerie. • Les romans d’amour dans toute leur diversité : La Nouvelle Héloïse, Le Lys dans la vallée, Madame Bovary (la quête impossible). B. L’amour comme phénomène social • Le mariage détermine la structure sociale, sa stabilité (divorces impensables) et sa pérennité (l’enfant né dans les liens du mariage a un statut social) : les tensions autour de la question du mariage sont sources d’inspiration. • La comédie et l’intrigue du mariage. • La tragédie et le déchirement. C. L’amour comme prétexte à l’expression de soi • En parlant de la femme aimée ou de son amour, le poète parle de lui-même. • Le sentiment amoureux alimente la poésie lyrique. 3. La complexité des images féminines dans la littérature A. La femme et l’idéal • Depuis l’amour courtois, en passant par le romantisme et jusqu’au surréalisme… • La femme et la Muse : Baudelaire. B. La femme critiquée • L’image de la femme comme incarnation d’un idéal est critiquée : Madame Bovary, Bel-Ami… • L’attachement de la femme à la beauté devient une coquetterie critiquée. • L’image de la femme comme objet de quête est critiquée : La Duchesse de Langeais et la tyrannie des femmes. C. La femme par elle-même • La littérature féminine renvoie une image complexe de la femme : le sentiment amoureux (George Sand), la place dans la société (Simone de Beauvoir)… • Entre analyse et revendications. Écriture d’invention On attend un récit cohérent qui forme un tout narratif complet. La progression devra être claire et efficace, sans passage inutile. Les élèves devront avoir perçu, dans le chapitre de Voltaire, que tout est écrit en vue de la fin. De même, la composition de leur récit devra préparer la mise en relief du dénouement. On valorisera les copies qui auront réussi à créer un véritable effet de surprise et qui auront su reprendre la gradation qui caractérise la progression du chapitre à partir de la disparition de Zadig. C h a p i t r e t r o i s i è m e ( p p . 2 7 - 3 1 ) ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 32-33) L’intrigue s’inscrit dans un cadre qui affiche clairement, dès la première page, sa tonalité exotique. Les lieux mentionnés sont l’Euphrate (l. 12) et Babylone (l. 36). Les personnages secondaires appartiennent à la société perse : un « eunuque de la reine » (l. 22), le « grand desterham » (l. 49, déformation de delterdar, le trésorier de l’État). On relève également des allusions à la richesse orientale, telle qu’elle apparaît dans les contes : « Quant à son mors, il doit être d’or à vingt-trois carats » (l. 88), « il était ferré d’argent à onze deniers de fin » (l. 92). Quelques références à la religion perse émaillent le texte : « comme il est écrit dans le livre du Zend » (l. 1), « je vous jure par Orosmade » (l. 61). Les apostrophes hyperboliques (l. 58) qui ouvrent le discours de Zadig s’inspirent également du style oriental. Cependant, l’hyperbole nous met sur la voie de la parodie et l’allusion à l’or (l. 60 : « beaucoup d’affinité avec l’or ») permet la critique de la justice. Au début du chapitre, l’allusion au livre du Zend a également un effet comique car il n’est pas question de religion mais de « lune de miel ». Voltaire s’amuse à placer une expression du langage courant (la lune de miel) dans un contexte oriental (le calendrier perse). La mesure du temps et la philosophie de Zarathoustra se trouvent détournées pour exprimer les désillusions du mariage (du miel à l’absinthe). ! Zadig ou la Destinée – 13 La parodie du conte oriental se trouve soulignée par le flou géographique qui entoure les références. L’intrigue se déroule à Babylone mais les pratiques de la justice appartiennent à la tradition russe (le knout, la Sibérie : l. 50). " Le premier paragraphe du chapitre noue solidement les liens avec l’épisode qui précède. Il y est question d’Azora et de l’échec de son mariage avec Zadig : « la lune de l’absinthe » (l. 3), « répudier Azora » (l. 4). La fin du paragraphe rappelle la mésaventure du nez. La conclusion du chapitre débouche sur une généralisation (« qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie ! ») qui englobe les expériences malheureuses des chapitres 1 à 3. Le chapitre 4 renforce la transition en employant dans la première phrase le verbe « se consoler » et le substantif pluriel « des maux » qui constituent une allusion aux divers malheurs de Zadig. Ainsi, le chapitre 3 affiche ses liens avec les épisodes voisins et s’inscrit dans la continuité de la « Destinée » de Zadig. # Les épisodes de ce chapitre s’enchaînent, montrant ainsi que les aléas d’une vie ne sont en réalité que les étapes obligées d’un parcours. Les liens de causalité ou de concomitance sont fortement marqués : « Plein de ces idées, il se retira » (l. 11), « se promenant auprès d’un petit bois, il vit accourir à lui un eunuque » (l. 21), « Précisément dans le même temps, par une bizarrerie ordinaire de la fortune » (l. 34), « et se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qu’il avait vu. Cette occasion se trouva bientôt » (l. 105). Par ailleurs, l’épisode du chien et du cheval, comme celui du prisonnier d’État (l. 107) participent à l’éducation de Zadig qui tire leçon de ses expériences : il « se promit bien » (105), « dit-il en lui-même » (l. 112). Déjà, la retraite du personnage au début du chapitre était une conclusion tirée de l’aventure du nez. La dynamique du conte repose donc sur un va-et-vient entre expérience et réflexion qui alimente la quête du bonheur. Car il s’agit toujours de trouver un moyen d’être heureux. « Zadig […] crut qu’il pouvait être heureux » : ce désir, exprimé dans le chapitre 1, oriente la vie du personnage dans le chapitre 3. En effet, la réflexion sur le bonheur ouvre et ferme l’épisode : « Rien n’est plus heureux […] » (l. 5), « qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie ». $ L’épisode fonctionne comme un récit indépendant possédant son propre schéma narratif : – Situation initiale : Zadig a trouvé la quiétude dans l’isolement (l. 11 : « se retira ») et le contact avec la nature (l. 17 : « il étudia surtout les propriétés des animaux et des plantes » ; l. 21 : « se promenant auprès d’un petit bois »). – Élément perturbateur : le bonheur paisible de Zadig est troublé par l’irruption d’un personnage politique, l’« eunuque de la reine » accompagné de « plusieurs officiers ». Tout insiste sur le désordre et le déséquilibre introduits par ces personnages : « la plus grande inquiétude », « couraient çà et là », « égarés », « cherchent », « tout essoufflé ». L’élément perturbateur est en réalité redoublé puisque, « dans le même temps » (l. 34), le « grand veneur et tous les autres officiers couraient » après le cheval du roi avec « autant d’inquiétude ». Cette double arrivée fracassante des personnages de la Cour dans le « petit bois » tranquille de Zadig ne déclenche en réalité les péripéties qui vont suivre que parce que Zadig se montre inadapté. Comme il le comprend à la fin du chapitre, il aurait dû « ne point dire ce qu’il avait vu » (l. 105). Mais ses qualités intellectuelles (étude approfondie des animaux, l. 18) et morales (l. 27 : « modestement ») le poussent naïvement à répondre précisément à la question de l’eunuque. Sa réponse est marquée par l’insistance, comme en témoignent l’emploi du verbe de parole ajouter et la répétition de « jamais ». Et cette insistance, qui relève de la rigueur intellectuelle et d’un souci de vérité, n’aura pour effet que de le rendre suspect auprès des représentants du pouvoir. – Les péripéties : Zadig doit se justifier devant « l’assemblée du grand desterham » qui le condamne au knout et à l’exil. Les deux animaux ayant été retrouvés, Zadig peut à nouveau plaider sa cause devant l’assemblée. Le roi ordonne de rendre l’amende à Zadig. Une première conclusion suit cet épisode : il « se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qu’il avait vu » (l. 105). L’épisode du prisonnier d’État échappé constitue une dernière péripétie qui débouche sur la conclusion définitive. – La situation finale : Zadig, condamné à une amende, dresse un bilan négatif de ses aventures et en déduit « qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie ». % Le chapitre est construit sur plusieurs parallélismes qui rappellent des situations de comédie (Les Fourberies de Scapin de Molière, par exemple) : 1. Le titre n’annonce pas en réalité la rencontre entre deux animaux, mais lance les deux enquêtes parallèles : le chien et le cheval, la reine et le roi, l’eunuque et le grand veneur, « plusieurs officiers » et Réponses aux questions – 14 « tous les autres officiers », les réponses de Zadig (« je ne l’ai jamais vu », « je ne l’ai point vu »), les discours explicatifs successifs. 2. L’épisode du prisonnier d’État échappé vient compliquer le jeu des parallélismes en introduisant une situation contraire. Zadig n’avait rien vu et parlait comme s’il avait vu ; cette fois-ci, Zadig a vu et dit qu’il n’a rien vu. Le résultat est toujours le même : une amende. 3. La somme des onces d’or rythme également le récit : « ils condamnèrent Zadig à payer quatre cents onces d’or » (l. 53), « le roi ordonna qu’on lui rendît l’amende des quatre cents onces d’or » (l. 112), « ils en retinrent seulement trois cent quatre-vingt-dix-huit pour les frais de justice » (l. 98), « Il fut condamné pour ce crime à cinq cents onces d’or » (l. 110). & Le dernier discours intérieur de Zadig conclut le passage. Les marques lexicales : les termes « bois », « chienne de la reine », « cheval du roi » rappellent le double épisode annoncé par le titre, tandis que « la fenêtre » fait allusion au prisonnier d’État échappé. À la fin du chapitre, les termes sont plus larges : « dangereux », repris par « difficile » et « cette vie ». Les marques grammaticales : le discours de Zadig est au présent gnomique et son expérience personnelle se trouve généralisée par l’emploi de l’indéfini « on ». Le texte s’achève sur une double tournure impersonnelle : « il est dangereux », « il est difficile ». ' Zadig est à la fois le suspect, le témoin et le détective. Le roi et la reine, parce qu’ils ont respectivement perdu une chienne et un cheval, sont à l’origine de la quête-enquête. Les juges sont ici des personnages secondaires qui peuvent également appartenir à l’univers du roman policier. ( Comme dans un récit policier, l’aventure commence par un mystère, un manque à combler ; il s’agit de la double disparition de la chienne et du cheval. Le point de départ est donc une question. Une réponse possible à la question posée est le crime. C’est ce qui se passe ici ; si les deux animaux royaux ont disparu, c’est que Zadig les a volés. Le suspect est arrêté et condamné. Il doit s’innocenter. Alors le suspect s’avère être aussi un détective. Et le discours qu’il tient aux juges s’apparente au bilan explicatif dressé par Sherlock Holmes ou Hercule Poirot à la fin de leurs enquêtes. ) Un relevé des verbes se rapportant à Zadig montre clairement la progression du raisonnement déductif. Les verbes d’observation sont suivis de verbes de jugement. Dans la première partie, on note « J’ai vu » et « j’ai jugé », puis « j’ai remarqué » et « j’ai compris ». Dans la seconde partie, l’évolution est la même : « J’ai vu » et « j’ai connu que » ; « j’ai reconnue », « j’ai fait l’essai » et « J’ai jugé ». Les procédés grammaticaux qui assurent le passage de l’observation à la conclusion sont variés. Les conjonctions de coordination « et » (l. 66) et « car » (l. 89) sont des connecteurs logiques qui jouent ce rôle dans les deux parties du discours. Zadig emploie aussi des compléments circonstanciels : une subordonnée circonstancielle de cause (l. 73 : « comme j’ai remarqué [ … ] les trois autres »), un complément circonstanciel de moyen (l. 91 : « par les marques »). Les subordonnées complétives introduites par « m’ont fait connaître que » (l. 68) et « m’ont appris que » (l. 72) ont la même fonction. *+ L’introduction du discours, après les apostrophes respectueuses, pose la ressemblance entre l’intrigue de la chienne et celle du cheval grâce à la négation double « jamais […] ni » et les groupes nominaux parallèles : « la chienne respectable de la reine », « le cheval sacré du roi des rois » (l. 62). L’objet de la démonstration est donné d’emblée ; Zadig reprend la proposition qui venait en conclusion de ces deux réponses aux questions respectives de l’eunuque et du grand veneur : « je n’ai jamais vu ». Étant donné la précision remarquable des informations données aux représentants du roi et de la reine, il doit montrer comment, par ses qualités d’observation et de réflexion, il est parvenu à ces résultats exacts sans avoir vu aucun des deux animaux. Les deux histoires sont nettement dissociées et font chacune l’objet d’un paragraphe spécifique. L’expression liminaire de la seconde partie (« À l’égard du cheval du roi des rois ») souligne fortement la distinction opérée. Cependant, la progression de la démonstration est la même dans les deux cas. Zadig commence par poser le cadre de l’observation ; on peut relever « Je me promenais vers le petit bois » dans la première partie et « me promenant dans les routes de ce bois » dans la seconde. Vient immédiatement ensuite la première observation : « J’ai vu sur le sable les traces d’un animal » (l. 65) et « j’ai aperçu les marques des fers d’un cheval » (l. 78). Ces observations vont progressivement se préciser et déboucher sur des conclusions. Dans les deux parties du discours, on remarque ainsi un vocabulaire extrêmement précis (« petites éminences de sable », « en un sens différent », « à trois pieds et demi du milieu de la route », « un berceau de cinq pieds de haut »...) et un va-et-vient entre observation et conclusion. Zadig ou la Destinée – 15 Zadig est une sorte de modèle du philosophe des Lumières. Le terme « philosophe » est d’ailleurs employé dans le premier paragraphe. Au début du chapitre, il décide de consacrer son existence à l’étude de la nature. Il tire ses connaissances de ses propres observations ; dans la tradition de Descartes, il apprend par lui-même et ne se fie qu’à sa propre expérience et à son propre jugement. Ses conclusions sont le résultat d’éléments précis et vérifiés (l. 90 : « j’ai fait l’essai ») et non d’un système établi a priori. L’expérience est à la base de la connaissance mais la connaissance ne se limite pas à l’expérience. Zadig raisonne, déduit. Ce qu’il éprouve est toujours le ressort d’une réflexion, qu’il s’agisse de l’étude des animaux ou de ce qui lui arrive. L’épisode du chien et du cheval s’achève par une résolution pratique « de ne point dire ce qu’il avait vu » (l. 105) et l’histoire du prisonnier échappé débouche sur une leçon plus philosophique : « qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie ! ». Zadig a choisi de se retirer « dans une maison de campagne » et de se distinguer des autres hommes : « il acquit bientôt une sagacité qui lui découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que d’uniforme » (l. 18). Cependant, le philosophe reste un homme social. On le voit lorsqu’il répond avec force détails aux questions de l’eunuque et du grand veneur. On le constate également lorsqu’il accumule les apostrophes laudatives au début du discours qu’il prononce devant l’assemblée des juges. *- Les événements vécus dans ce chapitre poussent d’abord Zadig à sortir de sa retraite. Après avoir répondu aux questions de l’eunuque et du grand veneur, il se trouve entraîné dans des péripéties qui l’obligent à tenir un long discours devant une assemblée. On est loin des résolutions prises de ne fréquenter que la nature, « ce grand livre que Dieu a mis sous nos yeux ». Zadig est amené à revoir la position formulée au début du chapitre. Le philosophe « vit tranquille ; il ne craint rien des hommes », affirme-t-il dans le premier paragraphe. Les événements qui suivent constituent un parfait démenti à cette théorie. Zadig qui cherchait « son bonheur dans l’étude de la nature » (l. 5) en vient à remettre en cause la possibilité même du bonheur (l. 115). La phrase déclarative du début devient une interrogative qui lance la dynamique de la quête et du conte. *. On a pu voir tout d’abord la parodie du conte oriental : les références à la Perse se mêlent, dans une confusion géographique amusante, à des allusions aux pratiques russes, et les apostrophes hyperboliques de Zadig participent de cette parodie. Mais il faut aller plus loin : l’exotisme amuse et déguise une critique de la société française. Les apostrophes laudatives critiquent les abus de pouvoir de la justice (il faut flatter pour espérer être écouté) mais surtout la vénalité des officiers de justice. En effet, la liste des métaux s’achève sur l’or et la dernière apostrophe (l. 60 : « beaucoup d’affinité avec l’or ») est une critique implicite. La complexité du système est également mise en avant, ainsi que l’importance des frais de justice (l. 100-103). Tout donne l’impression d’une justice absurde : Zadig est innocenté, admiré ; l’amende est supprimée et pourtant il doit verser « trois cent quatre-vingt-dix-huit » onces d’or « pour les frais de justice », sans compter les valets qui « demandèrent des honoraires » (l. 103). Voltaire critique également une justice qui condamne sans avoir écouté (l. 55 : « Il fallut d’abord payer cette amende ; après quoi il fut permis à Zadig de plaider sa cause au conseil du grand desterham ») et qui ne connaît pas la séparation des pouvoirs (l. 98 : « le roi ordonna qu’on lui rendît l’amende »). Sans doute lit-on également une critique des hommes qui, « égarés » (l. 24) ou pleins d’« inquiétude » (l. 38), ne comprennent pas les explications raisonnables « modestement » prononcées par Zadig. Emportés par leurs passions (ici l’angoisse), ils se montrent incapables de faire preuve de discernement. Ce qui est vrai dans le domaine des sciences semble également valable ici : « les autres hommes ne voient rien que d’uniforme » (l. 19) */ Plusieurs procédés mettent le lecteur sur la voie d’un double sens : 1. Zadig est, dès le début, présenté comme un philosophe à la recherche du bonheur, et cette question du bonheur conclut le texte. 2. Les apostrophes hyperboliques qui ouvrent le discours de Zadig sont une invite à une double lecture : la tonalité orientale cache la parodie, le discours laudatif dissimule (et révèle) une critique de la vénalité de la justice. Si ce passage est à double sens, le reste du chapitre doit également se lire à deux niveaux. 3. Le registre ironique domine. Zadig est trop parfait et trop naïf pour qu’on puisse s’identifier à lui. Voltaire crée sans cesse une distance qui nous invite à la vigilance. Si le lecteur, par exemple, souhaitait se prendre au jeu du style oriental, le « knout » et la « Sibérie » (l. 50) lui rappellent rapidement qu’il fait fausse route. *, Réponses aux questions – 16 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 34-42) Examen des textes et de l’image ! Le dynamisme du passage repose principalement sur l’insertion du dialogue dans le récit. La place accordée aux paroles rapportées est dominante ; mais la présence de passages narratifs assure une alternance qui évite la monotonie. On pourra relever les marques de l’insertion du discours : la ponctuation spécifique, les propositions incises ou introductrices. On remarquera que l’insertion est réduite à son minimum – ce qui donne plus de force et de vie au dialogue. Les marques d’oralité sont nombreuses : phrases interrogatives (jeu de question-réponse), phrases exclamatives, apostrophe (« mon cher Watson »), répétition (« non, non »). La première réplique du détective s’oppose fortement à celle de Watson qui précède et cette contradiction amusante est un facteur dynamisant : « quelque chose qui m’ait échappé » /« j’ai peur que la plupart de vos conclusions ne soient erronées ». On voit ici l’assurance légendaire que manifeste Sherlock Holmes ; elle est récurrente dans le passage et contribue à amuser le lecteur : « la conclusion évidente », « manifestement »… La fin du passage joue également sur la surprise. Alors que l’on commence à trouver que les déductions du détective sont tirées par les cheveux, on comprend que Sherlock Holmes se moque de lui-même (et Conan Doyle de son détective et peut-être du lecteur) en présentant l’« épagneul au poil frisé » comme une conclusion logique de ses analyses. " On peut relever : « conclusions », « vérité », « hypothèse », « travaillerons », « base nouvelle », « déductions », « méthodes », « conclusion évidente », « conjecture », « fait d’expérience ». Ce champ lexical abondant constitue une marque du genre naissant : il s’agit d’analyser, de raisonner. Les aventures du roman de cape et d’épée, faites d’imprévus, font place ici à la certitude. Tout est prévisible et l’arrivée du Dr Mortimer accompagné de son chien est une vérification plus qu’un événement. # La description de la scène est faite en focalisation interne. Le meurtre est évoqué au travers du regard de Jacques. Le nom du personnage figure en tête du paragraphe et on peut noter d’autres indices de ce point de vue : « Jacques vit », « Jacques […] aperçut ». L’emploi répété de l’adverbe modalisateur « peut-être » donne l’impression que cette scène fugitive n’est pas une certitude. Elle n’est perçue que par Jacques, et tout dépend de la fiabilité de son regard. La focalisation interne, dans ce texte, est un facteur important de suspense. Le personnage acquiert ici, dans le cadre du roman policier, un statut de témoin. Mais son témoignage est fragile et apportera par la suite plus de tensions que de vérités. $ Le champ lexical de la violence est fortement présent dans l’extrait, qu’il soit rapporté au train ou à la scène du meurtre. Train : « gueule », « s’embrase », « fracas », « jaillit », « éblouissement », « incendie », « troua », « flamme », « coup de foudre », « violemment », « vertige de vitesse », « flambantes », « fuyait », « se perdait ». Meurtre : « renversé », « plantait un couteau », « écroulement », « pesait », « convulsives », « assassiné ». Ainsi, dans le même passage, se rejoignent la violence du crime et celle du train. Tout est de l’ordre de la rapidité, du vertige et de la puissance. Cette forte présence du champ lexical de la violence accroît l’intensité dramatique du passage et noue solidement (dans le texte comme dans l’ensemble du roman) deux trames narratives : celle du train et celle du meurtre. % Dans cet échange rapide de répliques entre Électre et sa mère Clytemnestre, c’est le personnage éponyme qui mène le dialogue. Les questions sont nombreuses dans les répliques d’Électre et elles sont autant de demandes de vérité : « Vous l’avez assassiné, n’est-ce pas ? », « Tu étais dans la piscine, mère ? », « Avec Égisthe, sans doute ? », « Tu l’avais fait tuer, n’est-ce pas ? ». Les « n’est-ce pas ? » et le « sans doute » montrent que les questions constituent déjà une réponse et que Clytemnestre est comme prisonnière de l’interrogatoire de sa fille. Électre assure ses positions par des expressions fortes : « jamais », « sans glisser » (répété) ; au contraire, Clytemnestre se cache derrière les autres : « tout le monde sait que ton père a glissé ». Voulant se défendre, elle ne fait que resserrer l’étreinte des questions de sa fille : « J’ai manqué de glisser moi aussi. /Ah ! Tu étais dans la piscine, mère ? » Égisthe, présent dans cette scène, se tait. Zadig ou la Destinée – 17 Sans évoquer ce que suggèrent au spectateur le nom et la silhouette d’Alfred Hitchcock en haut de l’affiche, on peut relever différents éléments qui annoncent le genre policier : – Si la fenêtre du haut présente une scène ordinaire de la vie privée d’un immeuble (l’histoire d’un couple), la fenêtre centrale montre un homme seul tenant un couteau. – James Stewart est présenté avec ses jumelles et l’expression de son visage exprime une tension inquiète. La brièveté du titre et son aspect énigmatique relèvent également du genre policier. & Travaux d’écriture Question préliminaire Seul le texte de Conan Doyle appartient à la littérature policière ; les trois autres textes annoncent ou croisent le genre policier en présentant certaines de ses caractéristiques. Ainsi, on retrouve dans les différents extraits les personnages types du genre. L’intrigue se tisse autour d’un enquêteur. Sherlock Holmes est, bien entendu, l’exemple le plus parfait. Il conduit le dialogue et découvre peu à peu une vérité que la venue du visiteur inconnu va confirmer. Mais Zadig, bien qu’il s’agisse d’un conte philosophique, n’est pas bien différent. Électre conduit également le dialogue, et la vérité qu’elle soupçonne se trouve accréditée par le trouble et les faux pas de Clytemnestre, ainsi que par le silence d’Égisthe. On ne rencontre pas de détective dans le texte de Zola ; Jacques, tout comme le personnage joué par James Stewart dans le film d’Hitchcock, est une autre figure du roman policier : le témoin. Les deux silhouettes entrevues dans le wagon lancé à pleine vitesse sont le meurtrier et sa victime. Ce couple existe également dans Électre. Agamemnon et Léon sont les victimes ; Clytemnestre et Égisthe les assassins. Parfois les rôles ne sont pas nettement définis ; c’est le cas du film d’Hitchcock dans lequel le personnage principal est un témoin qui s’ignore et un enquêteur. Les documents du corpus suscitent l’intérêt du lecteur grâce à une énigme : « Qui est le visiteur inconnu de Sherlock Holmes ? Où sont passés la chienne de la reine et le cheval du roi ? Qui sont les deux personnages du wagon ? Quelles sont les circonstances de la mort d’Agamemnon ? Qu’a vu James Stewart ? » Pour résoudre ces énigmes, il faut mener une enquête, chercher des indices. On le voit bien dans les textes de Voltaire et de Conan Doyle. C’est aussi le cas dans la scène de Giraudoux : « depuis huit ans j’interroge les écuyers », « j’ai questionné ses compagnons de guerre ». Seul le texte de Zola n’envisage pas d’éléments de réponse à la question posée. Dans les trois extraits concernés, c’est le raisonnement et notamment la déduction qui permettent au détective de résoudre l’énigme. Le texte de Zola présente un autre aspect du roman policier : la tension dramatique. Le champ lexical de la violence doublement décliné (cf. question 4) donne tout son relief à la scène. La scène du meurtre est en général une étape intense du roman policier. Le moment de la révélation aussi ; Giraudoux nous le montre dans Électre. La pression exercée par le personnage éponyme, le désarroi de Clytemnestre sentant le piège se refermer sur elle et le silence d’Égisthe contribuent à créer un climat tendu dans ce passage où la vérité se dessine. Commentaire On pourra proposer le plan suivant : 1. Une scène en relief A. Le point de vue de Jacques • La place de Jacques dans le texte. • Jacques et la progression chronologique : « d’abord », « et », « à ce quart précis de seconde ». • Jacques est au premier plan : les verbes au passé simple. • Jacques est soumis au regard omniscient de l’auteur : « l’œil doutait ensuite des images entrevues ». B. Le passage du train • Passé simple et verbes d’action. • Progression de l’évocation : tunnel, machine, wagon, compartiments. C. La scène du meurtre • Détails fragmentaires : « un homme », « un autre », « banquette », « jambes ». • Identification et interprétation : un personnage qui subit (« renversé », « assassiné ») et un personnage qui agit (« plantait »). Réponses aux questions – 18 2. Une scène violente A. L’univers du train • Les formes d’expression : le bruit (« fracas ») et surtout la lumière. • L’insistance par l’expression d’une contagion : « gros œil rond » ‡ « incendie » ‡ « double ligne de flammes ». • Il s’agit d’évoquer la vitesse. B. La scène du meurtre • Champ lexical de la violence. • Rapidité et destruction – ce qui nous rappelle le monde du train (« troua »/« plantait »). 3. Genre fantastique ou policier ? A. Les ingrédients du roman policier • Le meurtre : un assassin, une victime, un témoin, un complice éventuel (« peut-être une troisième personne »). • Le doute, source de tension dramatique : la précision (« très distinctement ») s’associe à la remise en cause (« doutait ensuite des images entrevues », « peut-être »). B. Le glissement vers le fantastique • Le doute est un ingrédient du fantastique autant que du policier. • Le jeu de l’obscurité et de la lumière. • Le lieu maléfique : la Croix-de-Maufras. • La personnification du train (les comparaisons et les métaphores), la vision fragmentaire de la victime (« gorge », « jambes convulsives ») et le fait qu’il est difficile de distinguer l’animé de l’inanimé (« peut-être une troisième personne, peut-être un écroulement de bagages »). Dissertation 1. La littérature policière présente des caractéristiques propres A. La place de la littérature policière • Un genre récent : Edgar Poe, Conan Doyle, et le développement spectaculaire du genre. • Des collections à part : Série noire, Le Masque… • Une place discutée dans la littérature : idée de sous-littérature, dimension commerciale… B. Les lois du genre • La série autour d’un détective : Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Maigret… • L’énigme. • Les personnages : le détective, le policier, le criminel, le suspect, le témoin… • Le crime. 2. La littérature policière souligne les caractéristiques de toute œuvre de fiction A. Littérature policière et réalisme • Analyse psychologique. • Représentation sociale. B. Littérature policière et situation de crise • Le récit suppose que quelque chose se passe, se transforme. La littérature s’intéresse aux situations extrêmes (Crime et Châtiment de Dostoïevski) et le roman policier met en scène des situations de crise : le crime est le résultat de grandes tensions, lesquelles dynamisent le récit. • Électre, Œdipe roi, Hamlet, Britannicus… C. Littérature policière et énigme • L’œuvre littéraire forme un tout indépendant. De même, l’énigme et sa résolution. • La lecture est décodage, déchiffrage de l’implicite. • L’auteur invite le lecteur à le suivre et à participer, par sa recherche active, à la création de l’œuvre. Écriture d’invention Le travail d’écriture demandé est un exercice d’imitation qui suppose que l’on ait au préalable bien repéré les différentes caractéristiques du texte de Conan Doyle : composition du passage, caractère des deux personnages, place accordée à l’esprit de déduction, surprise finale… On valorisera la cohérence du passage rédigé, ainsi que le choix pertinent de l’objet oublié par le visiteur. Zadig ou la Destinée – 19 C h a p i t r e h u i t i è m e ( p p . 5 9 - 6 4 ) ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 65-67) La première phrase du chapitre (« Le malheur de Zadig vint de son bonheur même, et surtout de son mérite ») joue un double rôle. D’abord, elle assure la cohésion de l’enchaînement narratif des chapitres en rappelant deux éléments présents dans l’épisode précédent, de telle sorte que le lecteur comprenne que la péripétie du chapitre 8 trouve pleinement sa raison d’être en liaison avec ce qui précède. En effet, les expressions « son bonheur même » et « son mérite » sont deux échos du chapitre 7, alors que le terme « malheur » a une fonction annonciatrice. Ainsi, et c’est son second rôle, la phrase liminaire prévient le lecteur de l’imminence d’une rupture. L’antithèse qui ouvre le récit (« malheur », « bonheur ») dessine le demi-tour narratif du chapitre 8. " Pour montrer que le chapitre 8 constitue un épisode charnière dans la progression narrative du conte, il suffit de comparer les premier et dernier paragraphes du passage. Si l’on excepte les indices annonciateurs du revirement (« malheur », les hyperboles), la tonalité dominante du premier paragraphe est le bonheur dans la naissance d’un amour réciproque. On peut relever les marques de l’amour (« envie de plaire », « passion »…) et son développement (« croissait », « enfoncer »). Le sentiment amoureux se teinte d’innocence et de naïveté : « dont elle ne s’aperçut pas d’abord », « le trait qu’elle ne sentait plus », « plus de galanterie qu’elle ne pensait », « elle croyait ». L’harmonie triangulaire (qui ne saurait durer) est la note majeure : « Il avait tous les jours des entretiens avec le roi et avec Astarté », « elle ne cessait de le vanter au roi ». Dans le dernier paragraphe, les marques de la souffrance et du désespoir se multiplient (« Qu’est-ce donc que la vie humaine ? », « malédiction », « horrible précipice de l’infortune », « réflexions funestes »…). À la naissance de l’amour évoquée au début du chapitre s’oppose un champ lexical de la mort : « mourir », « funestes », « pâleur de la mort ». Alors que tout rapprochait Zadig d’Astarté dans le premier paragraphe, le chapitre s’achève sur un départ : « il continuait son voyage vers l’Égypte ». # Dans ce chapitre qui parodie les péripéties des romans sentimentaux, les sentiments jouent nécessairement un rôle moteur dans la progression du récit. On pourra distinguer, d’une part, la passion amoureuse qui se développe entre Astarté et Zadig et, d’autre part, les réactions négatives et jalouses des autres personnages. La passion amoureuse est présentée comme une force qui s’enracine dans le cœur des héros à leur insu. C’est ce qu’on a pu relever dans le premier paragraphe à propos d’Astarté (voir question 2) et c’est ce qui se passe également au départ pour Zadig : « un feu dont il s’étonna ». Mais, très vite, le sentiment amoureux s’exprime en termes de combat et Voltaire, de manière parodique, renoue ici avec la veine tragique du déchirement : « il combattit », « il appela à son secours », « il combattait »… Ainsi, qu’il s’agisse de la naïveté confiante d’Astarté ou du combat tragique de Zadig, la passion des deux personnages est présentée comme innocente bien qu’adultère. Cette passion innocente est contrariée par les sentiments de jalousie qui animent les autres personnages. Les courtisans (« Tous les esclaves des rois et des reines »), représentés par l’Envieux et l’Envieuse, attisent les sentiments du roi. Cador, dans son discours à Zadig, insiste sur la jalousie de Moabdar et Voltaire dépeint en quelques lignes la montée de ce sentiment : « le roi fut troublé », « il crut », « soupçons », « certitude », « manière de se venger », « Il résolut une nuit d’empoisonner la reine, et de faire mourir Zadig ». $ Zadig est progressivement envahi par la passion mais sa réaction est différente de celle d’Astarté. En effet, la reine fait preuve de naïveté et d’innocence et semble ignorer les sentiments qu’elle éprouve (voir question 2). Zadig, après l’étonnement initial, se montre conscient, et Cador souligne la différence d’attitude entre les deux personnages : « Vous résistez à votre passion avec plus de force que la reine ne combat la sienne, parce que vous êtes philosophe et parce que vous êtes Zadig. » Le philosophe Zadig lutte contre sa passion : d’une part, il cherche à asseoir le triomphe de la raison et de la maîtrise de soi sur les sentiments qui se développent malgré lui ; d’autre part, il vit cette passion comme un déchirement tragique entre amour et morale. On retrouve une expression quasi cornélienne de cet amour impossible : « nous brûlons tous deux d’un feu que nous condamnons ». Malgré le discours pragmatique (« un amour satisfait sait se cacher ») de Cador, Zadig affirme la force de ses principes : « jamais il ne fut plus fidèle à son prince que quand il fut coupable envers lui d’un crime involontaire ». ! Réponses aux questions – 20 On peut relever différents procédés qui génèrent le suspense et la tension dramatique : – L’importance des progressions : Voltaire insiste sur la montée du sentiment amoureux comme sur celle de la jalousie, créant ainsi une tension croissante. – Les contradictions : Moabdar et les courtisans s’opposent à la passion innocentée de Zadig et d’Astarté ; Zadig affirme ses principes moraux contre la vision pragmatique de son conseiller Cador. – Deux héros démunis qui ont besoin d’aide – ce qui accroît l’inquiétude du lecteur : Zadig sollicite les conseils de Cador et le salut des deux personnages principaux est dû à l’intervention du nain. – La place de l’action : les verbes d’action sont nombreux et le temps dominant est le passé simple. – Le traitement du temps : le temps se resserre ; en une nuit les événements se précipitent et le passage consacré au dessin du nain (« Il passa une partie de la nuit à crayonner ce qu’il voulait faire entendre à la reine ») nous donne l’impression d’une course contre la montre (« Dès qu’il eut fini cet ouvrage, il courut »). & Des procédés de style viennent accentuer le suspense et souligner l’intensité dramatique : – L’insertion du discours direct : qu’il s’agisse des paroles des personnages ou de la lettre écrite par Astarté, le discours direct vient rompre la monotonie de la narration et rendre plus vivante la scène racontée. Il contribue également à ralentir l’écoulement du temps. – Le choix du vocabulaire : les adjectifs qualificatifs épithètes viennent colorer dramatiquement les substantifs (l. 79 : « terribles indices » ; l. 90 : « impitoyable eunuque » ; l. 98 : « ordre effroyable » ; l. 109 : « horrible exécution »…). – Les types de phrases : les phrases simples et les propositions indépendantes sont nombreuses. ' La composition du chapitre en scènes successives contribue à lui donner une dimension théâtrale : on observe au départ une alternance entre une narration à l’imparfait itératif (« il combattait », « Zadig sortait », « la reine prononçait si souvent ») et une scène dont l’unicité est affichée grâce au passé simple : « il laissa pénétrer son secret à son ami Cador », « Cador lui dit ». Dans la seconde partie du chapitre, à partir de la décision du roi d’exécuter Astarté et Zadig, la narration itérative disparaît et les scènes se succèdent comme dans un véritable drame : le nain surprend l’ordre donné et entreprend de peindre ce qu’il a entendu ; Zadig est réveillé par un inconnu (le « on » répété) et prend connaissance de la lettre d’Astarté ; Zadig fait venir Cador ; Cador organise le départ de son ami. Les paroles rapportées donnent également une dimension théâtrale au chapitre. On peut relever : – le discours direct oral (Cador) ou écrit (la lettre de la reine) ; – le discours narrativisé, qui permet de resserrer davantage l’action en ne présentant que l’essentiel du discours rapporté : « il laissa pénétrer son secret à son ami Cador », « L’Envieux engagea l’Envieuse à envoyer au roi sa jarretière ». Cette dimension théâtrale du chapitre est un élément de son dynamisme ; c’est aussi une façon de dérouter le lecteur et de l’amener sur le chemin de la parodie. ( Le romanesque sentimental à la mode se teinte ici d’exotisme, notamment dans les détails (les babouches bleues) et le choix des personnages secondaires. L’adjuvant principal (le nain muet) des deux personnages centraux vient tout droit des Mille et Une Nuits, ainsi qu’un des opposants, l’« impitoyable eunuque » chargé d’exécuter les vengeances du roi. La violence et la précipitation des événements relèvent sans doute du même exotisme qui vient alimenter la tension dramatique et la portée critique. ) Plusieurs facteurs constituent pour le lecteur des indices de parodie : – Le mélange des genres : Voltaire mêle le romanesque sentimental et la fiction orientale, le récit et le théâtre, le déchirement tragique de Zadig et les conseils pragmatiques immoraux de Cador. Le lecteur, qui a du mal à trouver ses repères, comprend que Voltaire a pris ses distances par rapport à ces différents genres. – Les hyperboles : qu’il s’agisse de l’expression d’une passion que l’on ne saurait maîtriser ou de la précipitation des événements, Voltaire grossit les marques du roman d’aventures sentimental. – Des personnages archétypaux : les deux personnages issus des contes orientaux, que sont le « petit nain qui était muet » et l’« impitoyable eunuque », ne sont que des silhouettes esquissées ; les autres personnages, simplifiés à l’extrême, semblent des caricatures : la jeune femme innocente et naïve, le jeune homme pur déchiré entre son amour et son devoir (un lointain souvenir de Tristan, de Lancelot et du Cid), le mari jaloux, l’ami fidèle qui n’envisage la situation que de manière pratique (les conseils, la fuite). % Zadig ou la Destinée – 21 Dans le dernier paragraphe, les termes exprimant le désespoir et la mort sont très nombreux (voir question 2) et l’on est bien loin de la fin heureuse des contes traditionnels. Le lecteur reste sur une impression d’injustice. En effet, Zadig a fait preuve, dans ce chapitre, de toutes les qualités morales imaginables ; il n’est pas à l’origine de cet amour et l’on a vu que Voltaire commençait par évoquer la naissance de l’amour chez Astarté. Totalement innocent et même héroïque dans son combat contre sa passion et contre les solutions de Cador, Zadig est doublement condamné. Il est d’abord condamné à mort par le roi son ami, puis, finalement, chassé de Babylone par Cador qui organise sa fuite. Il perd son statut social (il était devenu Premier ministre) et la femme qu’il aime. *, La leçon qui se devine en filigrane du dénouement comporte plusieurs facettes : – la vie est injuste et les mérites ne sont pas récompensés. La leçon n’est pas nouvelle ; on pouvait la lire déjà à la fin des chapitres précédents ; – les règles de vie pratiques, telles que les présente Cador (« un amour satisfait sait se cacher »), s’avèrent plus efficaces que les principes moraux. C’est ainsi que l’on peut comprendre le discours conclusif de Zadig : « Qu’est-ce donc que la vie humaine ? Ô vertu ! à quoi m’avez-vous servi ? » Dans l’expression de ce désespoir, on lit l’antinomie de la morale et de la pratique (« vertu »/« servi »). Le cours de l’existence nous échappe. Zadig a beau mener un rude combat (cf. le champ lexical) contre sa passion, il a beau avoir toutes les qualités et être innocent, sa destinée bascule à la fin du chapitre 8 lorsqu’il se trouve obligé de quitter Astarté et de fuir Babylone. On retrouvera cette conception pessimiste de la vie dans Candide. *- La leçon pessimiste que Voltaire nous invite à tirer de la lecture du chapitre 8 n’est certes pas définitive, puisque le chapitre, plus qu’un épisode indépendant, est le maillon d’un parcours narratif qui trouve son achèvement au chapitre 29. Plusieurs indices nous invitent à saisir le fil de cette progression d’ensemble sans nous arrêter trop longtemps sur le chapitre 8. D’abord, le lecteur sait que cette séparation des deux héros n’est qu’une étape et non une fin ; nous ne sommes pas encore à la moitié du conte et, si Voltaire respecte les lois du conte comme celles du roman d’amour, nous sommes en droit d’espérer des retrouvailles. De plus, la dernière phrase du chapitre, avec les mots « continuait », « voyage » et « vers », engage le lecteur à retrouver le fil de la narration et à saisir le chapitre comme le chaînon d’une « gourmette », pour reprendre une expression de Jacques dans la première page de Jacques le Fataliste de Diderot. *+ ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 68-76) Examen des textes et de l’image ! Les fables de La Fontaine, à la différence de celles de Phèdre ou d’Ésope, sont de véritables petites pièces de théâtre au cours desquelles se noue et se dénoue une intrigue. En quelques vers, le fabuliste met en scène des personnages et dynamise le récit grâce à l’insertion du discours. C’est ce qui se passe dans « Les Obsèques de la Lionne ». On peut relever : – le discours narrativisé des vers 3-4, ainsi que des vers 6-9 : en résumant les propos du Lion dans une subordonnée dépendant d’un verbe de parole (« fit avertir »), il resserre l’introduction de la pièce ; – le discours indirect des vers 28-29 ; – le discours direct et ses marques : ponctuation et verbes introducteurs. Le discours rapporté dynamise le récit et la diversité des formes employées contribue à donner vie et relief à la fable. " Le lecteur s’attend à trouver la morale en fin de fable et c’est ce qui se produit. Les quatre derniers vers se détachent et quittent le monde des animaux. Le terme « les Rois », au pluriel, invite à la généralisation tout comme le futur du dernier vers. Les impératifs placés en tête de vers introduisent la leçon et signalent la conclusion. Mais on trouve un premier appel au lecteur au cœur de la fable (v. 17-23), lorsque La Fontaine prend directement la parole. On quitte le monde des animaux et le retour sera indiqué par un « Pour revenir à notre affaire » : on relève des marques de généralisation, telles que « la cour », le « Prince », le « peuple », « les gens ». # On peut tout d’abord relever les marques attendues de la lettre : désignation du locuteur et du destinataire, du lieu et de la date de l’écriture, à la périphérie du texte. La dimension exotique est Réponses aux questions – 22 soulignée notamment par la date qui mêle le chiffre du calendrier grégorien à la mention de la lune. Les noms des personnages et la destination de la lettre (Smyrne) soulignent également cette dimension persane. Dans le corps de la lettre, les indices de l’énonciation sont peu nombreux. Aucun mot spécifique pour désigner le destinataire : on comprend que le contenu de la lettre est entièrement tourné vers le locuteur. Ou plus exactement vers ce que voit le locuteur car les références à la 1re personne sont très réduites. Les pronoms de 1re personne sont essentiellement présents en tête de paragraphe (une exception) ; ils s’effacent par la suite pour laisser place au portrait du roi. Le lecteur est ainsi amené à porter son regard sur la critique du pouvoir ; mais cette critique est explicitement rapportée au locuteur fictif. Prudence oblige sans doute. Montesquieu rappelle d’ailleurs, au début de la lettre, l’origine étrangère du regard ; dès la première ligne, l’adjectif possessif « nos » exprime l’appartenance du locuteur à la Perse. $ Les premier et dernier paragraphes prennent l’apparence d’un éloge. Le vocabulaire est mélioratif (« génie », « magnifique »…), mais le registre ironique véhicule une critique implicite du pouvoir. Au début, il s’agit de dénoncer le vieillissement d’un système politique. « Le Roi de France est vieux » se lit : « Le Roi de France est trop vieux. » Ou plutôt : « La Monarchie française est trop vieille. » Car, si la lettre supposée écrite en 1713 s’en prend à un Louis XIV en fin de règne, Montesquieu écrit, lui, en 1721, sous la Régence. Plus que le Roi-Soleil décédé en 1715, c’est le régime politique qui est remis en cause. Dans le dernier paragraphe, toujours en jouant sur l’implicite, Montesquieu critique la mauvaise gestion d’un État réduit à un jardin. La partie centrale du texte évoque également les finances désastreuses de la France. Mais le procédé est différent : la critique est explicite. Le Persan souligne les contradictions du roi et passe ainsi en revue différentes sortes de défauts. % Le premier paragraphe pose des principes concernant l’autorité en général, indépendamment du strict domaine politique. À partir de là, Diderot envisage deux possibilités : l’anaphore du groupe nominal « la puissance », précisé par une relative déterminative (« qui s’acquiert », « qui vient »), balise la progression argumentative de l’article. La « puissance » présentée dans le deuxième paragraphe est rattachée à l’idée de violence et le champ lexical de la force domine. Celle présentée dans le dernier paragraphe s’accompagne d’un vocabulaire mélioratif. Une notion nouvelle intervient alors : Dieu vient légitimer « un ordre de subordination » dans l’intérêt du « bien commun et de la société ». Le troisième paragraphe assure la transition entre les deux sortes de puissances envisagées ; l’expression « change de nature » exprime ce glissement de l’usurpation vers la légitimité. & On peut relever : le vocabulaire abstrait ; les connecteurs logiques ; le présent de vérité générale ; les articles définis à valeur généralisante ; les phrases complexes ; l’importance de la subordination. ' Pour Jean-Paul Sartre, le rôle de l’écrivain se définit en « situation » dans son époque. « Nous voulons qu’il embrasse étroitement son époque » : critiquant l’indifférence de certains auteurs, il affirme fortement la nécessité, pour l’écrivain, de prendre parti car, de toute manière, sa « passivité même serait action ». ( D’une part, le prince Louis affiche les attributs de Napoléon Ier, alors que c’est un homme politique et non un militaire. D’autre part, sa petite taille (il faut l’élever, précise la légende) et sa stabilité précaire prêtent à sourire. « Ça n’est pas très solide ! » Par comparaison avec le premier empereur, le prince Louis semble dépourvu d’envergure. La caricature exprime également une critique du soutien apporté par Victor Hugo et Émile de Girardin. Malgré ces deux noms célèbres qui tentent de l’épauler, le prince Louis reste un personnage peu sûr. Plus tard, Victor Hugo renouera avec cette veine dans les textes qu’il écrira contre Napoléon III. Travaux d’écriture Question préliminaire Dans Situation II, Jean-Paul Sartre affirme la nécessité pour l’écrivain de s’engager. Pour lui, écrire, c’est, de toute manière, prendre parti, puisque même la passivité est une forme d’action. Avant les Zadig ou la Destinée – 23 positions politiques de Victor Hugo contre Napoléon III, l’engagement de Zola en faveur de Dreyfus, ou des poètes tels que Desnos ou Aragon dans la Résistance, les auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles du corpus ont choisi de transmettre, malgré la censure, leurs réflexions sur le régime politique en place. Le caricaturiste Daumier prend position contre le prince Louis et critique clairement son peu d’envergure malgré le soutien de deux noms prestigieux : l’écrivain Victor Hugo et le patron de La Presse Émile de Girardin. Le dessin amuse et permet de faire passer une idée critique. Les textes A à D du corpus s’en prennent, d’une manière ou d’une autre, à l’autorité politique établie et remettent en cause son absolutisme. On peut tout d’abord opposer la démarche de Diderot qui présente une réflexion organisée et théorique sur la question de l’autorité et les trois autres auteurs qui ont choisi de mettre en situation ce pouvoir abusif afin de mieux le critiquer. Le texte D est un essai ; on peut le voir à différents indices (cf. question 6). Les textes A, B et C sont des fictions de nature différente. La Fontaine écrit une fable et transpose la question politique dans une société animale gouvernée par le Lion. Voltaire déplace également la question de l’autorité en la situant dans un palais persan. Montesquieu choisit de rester à Paris mais il utilise un regard étranger, celui d’Usbek, et joue sur les dates. Écrite en 1721, sous la Régence, la lettre fictive est datée de 1713, deux années avant la fin du règne de Louis XIV. Ainsi, Diderot aborde directement et théoriquement la question de l’autorité, alors que les trois autres auteurs emploient différents procédés de transposition. Dans les différents textes, l’autorité est associée à d’autres notions. Par exemple, la violence apparaît dans les textes A, C et D. Montesquieu ne parle pas explicitement de violence mais il s’en prend à l’absolutisme royal dans le premier paragraphe. Dans les quatre textes, il est principalement question des abus de l’autorité politique ; seul Diderot, qui procède de manière théorique, introduit une distinction entre une autorité usurpée et une autorité consentie qui préfigure le contrat social de Rousseau. Dans tous les textes, l’autorité est définie et située par rapport à ceux sur lesquels elle s’exerce. Mais, dans les textes A, B et C, un accent est mis sur la Cour et les courtisans. Comme on le voit aussi dans « Les Animaux malades de la peste », la Cour est une donnée importante de l’absolutisme royal ; l’Envieux de Zadig joue un rôle similaire à celui qui dénonce le Cerf dans « Les Obsèques de la Lionne ». L’essai de Diderot, ainsi que les textes de fiction de ce corpus s’en prennent aux fondements ou aux formes de l’autorité politique. Au XVIIe siècle, et plus fréquemment encore au XVIIIe siècle, le lecteur est invité à regarder d’un œil critique le régime politique en place. Les auteurs des textes A à D sont en « situation » dans leur temps et n’hésitent pas à prendre des positions qui feront avancer l’Histoire. Commentaire On pourra adopter le plan suivant : 1. Une fable dynamique A. La progression narrative • L’emploi du passé simple. • Les indices temporels. • Un schéma narratif particulier : le double élément perturbateur (v. 25, 28). • Un effet de surprise : le vers 51. B. La dimension théâtrale • Le discours narrativisé des vers 3-4 et 6-10 (voir question 1). • Une pièce de théâtre à partir du vers 25. • Le théâtre dans le théâtre : le discours de la Lionne. C. La mise en perspective didactique du récit • La morale finale et ses marques (voir question 2). • La morale des vers 17-23. 2. La portée argumentative de la fable A. Une critique de la monarchie • La cruauté (v. 26-27, 30, 36-37). • La naïveté (v. 51, 55). • Monarchie de droit divin (v. 47 : mélange de mythologie grecque et de religion catholique). Réponses aux questions – 24 B. Une critique de la Cour • À l’image du roi (v. 15-16, 19-21). • Les courtisans perdent progressivement de leur individualité et de leur humanité : les gens (collectif pluriel) ‡ peuple (collectif singulier) ‡ caméléon, singe (animal, vision au singulier) ‡ mille corps (retour à l’individualité, mais sans intelligence propre, puisque réduite à un « corps »). • Attitude individualiste du courtisan : il agit dans son propre intérêt. • Flatterie et délation (v. 28). • Mensonge accusateur (v. 29). Dissertation On pourra adopter le plan suivant : 1. L’écrivain est un homme impliqué dans son temps A. Les écrivains s’intéressent à ce qui se passe autour d’eux • Au XVIIIe siècle, Voltaire prend parti dans différents procès. • Victor Hugo est exilé. • Les poètes s’inscrivent dans la Résistance. • Sartre affiche ses positions politiques et vient soutenir des manifestations. ‡ L’écrivain est un homme public qui a un rôle à jouer. B. Les écrivains mettent leur talent au service de leurs idées • Le Tartuffe, Dom Juan ou Le Mariage de Figaro sont interdits. • Voltaire fait passer ses idées par ses contes, alors qu’il considère que seule la tragédie est un genre noble. • Victor Hugo critique Napoléon III dans certains poèmes et défend le peuple dans d’autres œuvres. • Émile Zola écrit J’accuse. • Desnos ou Eluard invitent les lecteurs à résister. 2. La littérature n’est pas un moyen mais une finalité A. L’écrivain s’intéresse à la nature humaine en dehors de tout contexte • Les écrivains romantiques, qui se sentent mal à l’aise dans leur époque, se tournent vers l’expression des sentiments. • Les poètes affirment leur quête d’une autre réalité : de Victor Hugo aux surréalistes. B. La littérature nous emmène dans d’autres mondes • La place de l’imaginaire dans la littérature : conte, récit fantastique, science-fiction… • La place du rire : la comédie, la fable… • La place de l’émotion : le pathétique et le tragique (la fonction cathartique de la tragédie selon Aristote). C. La littérature a une finalité esthétique • Une œuvre littéraire est atemporelle : l’Odyssée, Le Roman de la rose… • On ne retient des œuvres engagées que ce qui est atemporel : leur souci de l’homme et leur forme. 3. La littérature est une invitation au lecteur ou au spectateur A. L’écrivain est toujours un témoin de son temps • Toute écriture se fait dans un certain contexte historique et idéologique. • Tout écrit est un témoignage : la tragédie de Racine témoigne de la conception janséniste du monde. B. C’est lorsqu’elle nous emmène vers d’autres mondes que la littérature exprime le mieux les engagements de l’écrivain • Les fonctions de la comédie chez Molière, Marivaux ou Beaumarchais. • Le plaisir de la fable. • Victor Hugo et Les Misérables. C. L’écrivain nous arrache à nos habitudes et nous invite à le suivre, quelle que soit la destination • Lorsqu’on lit, on entre dans l’œuvre et on se l’approprie. • La lecture et le théâtre constituent une invitation à regarder, par la suite, notre réalité autrement. Zadig ou la Destinée – 25 • La lecture est toujours un instrument de liberté (la censure des régimes totalitaires) et les écrivains, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en fassent un but ou non, nous aident à mieux comprendre le monde. Écriture d’invention Le sujet suppose une argumentation mise en situation dans une fiction épistolaire. L’évaluation prendra donc en compte ces deux perspectives. On attend, d’une part, des arguments critiques et, d’autre part, les marques de la lettre. Le jeu sur l’explicite et l’implicite pratiqué par Montesquieu, ainsi que le point de vue extérieur, voire étranger, sont des aspects attendus. C h a p i t r e s e i z i è m e ( p p . 1 0 4 - 1 1 1 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 112-113) Le temps dominant du passage narratif est le passé simple : « il y vit », « il prit », « répondit la Syrienne ». Le présent de narration vient occasionnellement se substituer au passé simple pour rendre l’action plus proche du lecteur. « La reine de Babylone le relève, et le fait asseoir auprès d’elle » (l. 48) : les deux verbes au présent sont rapprochés – ce qui souligne l’enchaînement rapide des actions et contribue à dynamiser le récit. L’imparfait est également utilisé pour évoquer des actions non limitées dans le temps ; c’est le cas des occupations d’Astarté lorsque Zadig s’approche d’elle ; on ne sait pas depuis combien de temps elle trace le nom de Zadig sur le sable fin, et l’emploi de l’imparfait donne au lecteur l’impression que la reine ne cesse de penser à Zadig. On rencontre également un imparfait de description : « Sa taille paraissait majestueuse, mais son visage était couvert d’un voile. » Les événements, grâce au passé simple, sont situés les uns par rapport aux autres. Mais on peut relever également différentes sortes d’indices temporels qui jalonnent la progression narrative : le groupe participial « Arrivé dans une belle prairie » (l. 1), les subordonnées circonstancielles « Quand il fut au bord d’un petit ruisseau » (l. 21) et « quand il vit les deux dernières lettres de son nom » (l. 30), les groupes nominaux « quelque temps » (l. 31), « À cette voix » (l. 35), « un moment » (l. 41) et « vingt fois » (l. 51), les adverbes « enfin » (l. 32, 55) et « soudain » (l. 52), un participe présent « rompant le silence d’une voix entrecoupée » (l. 32), un préfixe itératif (l. 50 : « recommençaient », l. 51 : « reprenaient »). " La quête du basilic, animal légendaire, est le principal élément merveilleux du passage. On peut également considérer les retrouvailles de Zadig et d’Astarté comme relevant du merveilleux. # Le merveilleux est la caractéristique dominante du conte mais d’autres archétypes figurent également dans Zadig : – les personnages sont ceux des contes. Leur condition sociale est élevée : le seigneur Ogul et la reine de Babylone ; – le vocabulaire mélioratif occupe une place importante : « belle prairie » (l. 1), « petit ruisseau » (l. 22), « majestueuse » (l. 23), « petite baguette » (l. 26), « sable fin » (l. 27)… – le passage s’apparente au dénouement heureux d’un conte car les personnages séparés par les péripéties finissent par se retrouver. $ Les noms des personnages (Ogul, Zadig, Astarté), ainsi que le basilic ont une coloration exotique. Une des femmes est désignée comme « la Syrienne ». La société représentée appartient au monde oriental, puisque le seigneur Ogul a des esclaves. L’arrière-plan du récit est un harem dans lequel les femmes se montrent soumises et désireuses d’être choisies : « Nous sommes ses très humbles esclaves » (l. 12), « le seigneur Ogul a promis de choisir pour sa femme bien-aimée » (l. 16). Zadig, lorsqu’il retrouve la reine Astarté, fait appel aux « puissances immortelles » qui président « aux destins des faibles humains ». Le pluriel sous-entend un polythéisme supposé être une des marques de la religion des Perses. % Astarté est, dans ce passage, l’héroïne type du roman d’amour. Elle se distingue des autres femmes par son attitude ; en effet, les « humbles esclaves » du seigneur Ogul adoptent toutes le même comportement, elles cherchent le basilic prescrit par le médecin dans l’espoir d’être choisies par leur maître. Ces esclaves ne sont pas individualisées dans le paragraphe qui leur est consacré. Celle qui répond à Zadig n’est désignée que par sa nationalité (« la Syrienne »). Astarté est désignée par son ! Réponses aux questions – 26 nom ; mais elle se distingue surtout par le fait qu’elle se tient à l’écart du groupe (l. 20 : « cette Syrienne et les autres » ; l. 22 : « une autre dame »). À la différence des autres esclaves, elle n’est pas à la recherche du basilic (l. 22 : « et qui ne cherchait rien »). Les sentiments qu’elle éprouve ne sont pas ceux des femmes du harem ; ne souhaitant pas être l’élue du seigneur Ogul, elle affiche une attitude empreinte de désespoir : elle apparaît « couchée », sans projet (« ne cherchait rien »), et « de profonds soupirs sortaient de sa bouche » (l. 25). Son apparence suscite le mystère : elle attire l’attention par sa beauté (l. 23 : « Sa taille paraissait majestueuse ») et son visage est « couvert d’un voile » (l. 24). Très absorbée par sa rêverie, elle ne s’aperçoit pas de la présence de Zadig, comme en témoigne le groupe participial « rompant le silence » (l. 32). & Dans ce passage romanesque, Zadig est rempli de qualités. Dans le premier paragraphe, il se présente comme un jeune homme curieux de comprendre ce qui se passe autour de lui. Le conseil « Gardez-vous-en bien », qui concerne le regard mortel du serpent fabuleux, suscite les questions de Zadig. Le jeune homme correspond bien au héros du roman d’amour car il possède les qualités d’un galant homme. Il se montre serviable et propose ses services aux femmes qui cherchent le basilic (l. 4). Le discours indirect « s’il pouvait avoir l’honneur de les aider dans leurs recherches » reprend une tournure respectueuse et suggère le ton déférent de Zadig. L’expression redondante « oserai-je vous prier de m’apprendre » exprime également le respect. L’attitude de Zadig est conforme au code mondain de la galanterie. L’attitude de Zadig envers Astarté manifeste le même respect galant : il respecte sa rêverie (l. 31 : « Il demeura quelque temps immobile ») et prend mille précautions pour l’interrompre (l. 33 : « pardonnez à un étranger, à un infortuné, d’oser vous demander »). Lorsqu’il reconnaît la reine de Babylone, les marques de respect sont plus fortes encore et ne se limitent pas à la parole (« Il se jeta à genoux devant Astarté, et il attacha son front à la poussière de ses pieds »). ' Dans la tradition romanesque du roman sentimental, l’amour s’exprime de manière violente. La tristesse d’Astarté séparée de Zadig fait d’elle une femme voilée qui se tient à l’écart des autres et dont toute la pensée est absorbée par l’être aimé (l. 35 : « le nom de ZADIG tracé par votre main divine »). Sa mélancolie se traduit par son attitude « couchée » et par les « profonds soupirs » qu’elle ne cesse de pousser, comme le suggère l’imparfait itératif « sortaient » (l. 25). Les retrouvailles sont également l’occasion de manifestations violentes : « elle tomba évanouie entre ses bras » (l. 39), « Il fut un moment privé de l’usage de ses sens » (l. 41), « Il se jeta à genoux devant Astarté » (l. 47). Le sentiment amoureux se révèle complexe et désordonné : « tous les mouvements divers qui assaillaient à la fois son âme » (l’adjectif indéfini, le pluriel, l’adjectif qualificatif, le complément circonstanciel de temps : l. 38), « un cri d’attendrissement, de surprise et de joie » (l. 37), « une langueur mêlée de confusion et de tendresse » (l. 43), « le tumulte de leurs âmes » (l. 55). L’amour mis en scène dans ce passage répond aux règles du code galant héritier de l’amour courtois médiéval. On retrouve même une référence à cette littérature dans l’apostrophe « généreuse dame ». La femme est idéalisée, voire divinisée ; les marques de respect de Zadig sont nombreuses dans les paroles (l. 35 : « votre main divine », l. 58 : « respectable reine ») et dans les actes : la poussière que touchent les pieds d’Astarté est digne de vénération (l. 47 : « il attacha son front à la poussière de ses pieds »). ( Les adverbes d’intensité sont nombreux : « très humbles esclaves » (l. 13), « un animal fort rare » (l. 15), « tant pleuré et tant craint » (l. 41). On trouve également des insistances temporelles (« jamais prendre que par des femmes », « à plusieurs reprises », « toujours », « vingt fois ») qui donnent plus d’intensité à l’action. Placé en tête de phrase, l’adverbe de temps prend plus de poids encore et souligne ainsi la force de l’émotion : « Jamais surprise ne fut égale à la sienne » (l. 30). L’accumulation que l’on observe dans l’expression du sentiment amoureux est un autre aspect de l’hyperbole. Les apostrophes mélioratives lancées par Zadig sont, de même, hyperboliques. L’hyperbole souligne l’intensité dramatique de la scène ainsi que la force de l’amour ; elle est une des caractéristiques de l’écriture romanesque, dès lors qu’il s’agit de faire partager au lecteur l’importance d’une scène de retrouvailles. C’est un archétype du roman sentimental. Ici, les hyperboles sont particulièrement nombreuses et l’on sent que Voltaire se moque de cette littérature héritée du roman courtois et largement diffusée dans les salons. Zadig ou la Destinée – 27 L’hyperbole constitue la principale marque de la parodie. Le mélange des genres en est une autre. Dans ce passage se mêlent le conte oriental et le roman sentimental. Zadig s’adresse à la reine de Babylone en employant une apostrophe (l. 33 : « généreuse dame ») qui rappelle la littérature médiévale. Ce syncrétisme discrédite le conte comme le romanesque. Le bilan final du passage rassemble les différents éléments racontés et opère des rapprochements inattendus : « d’autres femmes esclaves », « un basilic », « l’eau de rose », l’« ordonnance du médecin ». Ces substantifs hétéroclites se trouvent réunis et semblent être placés là pour donner sens au passage. Mais leur rencontre est si surprenante que le comique génère l’absurde. C’est un procédé que l’on retrouvera plus tard dans le chapitre 30 de Candide, lorsque Pangloss, voulant donner un sens aux multiples péripéties des héros, rapproche l’autodafé des « cédrats confits et des pistaches ». *+ Les marques temporelles nombreuses inscrivent ce passage dans le déroulement chronologique du conte. Les intensifs et les verbes d’action se multiplient pour renforcer la tension dramatique du passage. Cette page est bien une péripétie et tout concourt à souligner son importance. Mais la fonction narrative du passage est tournée vers le dénouement. Les retrouvailles du héros et de la reine de Babylone viennent achever une quête qui a commencé au chapitre 9. « C’était Astarté ellemême, c’était la reine de Babylone, c’était elle dont il avait tant pleuré et tant craint la destinée » (l. 39). Le plus-que-parfait rejette les souffrances de la séparation dans un passé révolu (la valeur aspectuelle de l’accompli), tandis que le mot « destinée » rappelle le titre et invite le lecteur à retrouver une vision plus globale du conte. La réflexion sur le destin (voir question suivante) joue le même rôle. Autant d’indices de l’approche du dénouement. *, On peut relever le champ lexical du destin : « puissances immortelles » (l. 44), « destins des faibles humains » (l. 45), « le hasard qui les rassemblait » (l. 52), « par quelle aventure » (l. 56). Le mode interrogatif est important : « me rendez-vous Astarté ? » (l. 45), « l’interrogeait sur le hasard » (l. 52), « comment vous retrouvé-je » (l. 58). Ces références ont une valeur conclusive ; elles amorcent une réflexion générale sur la destinée qui pourrait être la leçon du conte. Mais la place des interrogations nous montre que la réflexion n’est pas encore achevée ; elle ne le sera que dans le chapitre 18, grâce à l’intervention surnaturelle de Jesrad. *- Les phrases interrogatives qui introduisent dans le texte la notion de destin montrent que Voltaire ne donne pas de réponse à la question de la destinée et du sens de l’existence à ce stade du conte. Mais on remarque surtout que les retrouvailles des deux héros peuvent être envisagées de deux façons. En un sens, cet événement extraordinaire montre que tout peut s’arranger et que les malheurs vécus par Zadig et Astarté s’achèvent dans la joie des retrouvailles. « Ô Puissances immortelles [...] qui présidez aux destins des faibles humains, me rendez-vous Astarté ? » Cette conception optimiste du destin sera développée dans le chapitre 18. La leçon du chapitre 16 n’est pas si claire. La situation d’esclave d’Astarté ne plaide pas en faveur d’un destin favorable et Zadig se lamente à deux reprises sur le sort de la reine de Babylone : « En quel temps, en quels lieux, en quel état la revois-je ! » (l. 46), « comment vous retrouvé-je en ce lieu écarté, vêtue en esclave, et accompagnée […] médecin ? » (l. 58) ; le rapprochement comique qui clôt le passage donne l’impression que la vie misérable de la reine (esclave) est aussi absurde. Dans ces conditions, la conception de l’existence n’est pas aussi optimiste que ne le laissent supposer les retrouvailles miraculeuses des deux héros. ) ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 114-124) Examen des textes ! Différents procédés sont source de comique dans la scène 5 de l’acte IV : – les « turqueries » constituent un des éléments du comique, qu’il s’agisse du costume de Covielle ou de la prétendue langue turque ; – le comique de caractère est un ressort non négligeable. Se trouvent réunis dans cette scène un valet et un père dans la pure tradition de la comédie latine. Le valet est débrouillard ; il sait utiliser le langage, y compris en fabriquant des mots à consonance exotique ou en rapportant les paroles de son maître. Ses répliques sont souvent longues – ce qui témoigne de sa maîtrise de la parole. L’adverbe « oui » répété exprime son assurance. Face à Covielle, M. Jourdain affiche sa naïveté par de nombreuses interrogations ou exclamations. Son étonnement, compréhensible si l’on pense au Réponses aux questions – 28 costume de Covielle, devient comique lorsqu’il se généralise à des faits dont on n’a pas sujet d’être surpris : « je n’aurais jamais cru que ce Marababa sahem eût voulu dire “Ah ! que je suis amoureux d’elle !” », « voilà qui est merveilleux ! […] dirait-on jamais cela ? Voilà qui me confond » ; – on notera également un comique de répétition : M. Jourdain reprend régulièrement les propos de Covielle en variant le ton. Le mode informatif devient surprise et interrogation. " Le texte C est un conte dans lequel les éléments magiques occupent une place importante. Il s’agit tout d’abord de personnages magiques. Le génie est désigné comme un « monstre » : « un géant d’une hauteur prodigieuse », « sa grosse tête », « ses pieds qui s’étendaient jusqu’à la mer », « il ronfla bientôt de manière qu’il fit retentir le rivage ». Le pouvoir que ce personnage détient semble magique également : la caisse qu’il transporte renferme une créature merveilleuse « d’une taille majestueuse et d’une beauté parfaite » et cette caisse est tenue « cachée au fond de la mer ». Le sommeil profond du génie relève aussi du merveilleux, ainsi que l’aspect itératif de la scène exprimé par le nombre des bagues. # Étant donné la description du génie comme un géant « noir et hideux », on pourrait penser que c’est lui qui domine la situation. Mais, par un renversement de situation propre aux contes, c’est la créature enfermée dans la caisse de verre qui détient le véritable pouvoir. Si le génie possède quatre clés qui signent son autorité, la jeune femme possède, elle, cent bagues qui sont autant d’indices de son pouvoir. Elle tient à sa merci les deux princes qui se trouvent contraints de lui obéir en acceptant ses faveurs et en donnant leurs bagues, et dispose également du génie comme elle l’entend. En effet, il lui parle avec déférence (« vous voudrez bien ») et se soumet à ses désirs : « je vais l’éveiller et je lui demanderai moi-même votre mort », « et l’avoir posée légèrement à terre », « souleva la tête du génie, qui ne se réveilla point ». La conclusion de l’épisode nous invite à généraliser et à considérer que les femmes, malgré les apparences (le génie qui est un géant), exercent le réel pouvoir ; cette leçon rejoint ce que l’on peut dire de la narratrice Schéhérazade. $ En annonçant dès le début du texte qu’elle s’est empoisonnée, Roxane montre à Usbek que, malgré les contraintes du sérail, elle est libre. Sa vie (et donc sa mort) lui appartient et c’est elle qui en règle le cours. Elle affirme son pouvoir en montrant qu’elle a déjoué celui d’Usbek et que, malgré les apparences, c’est elle qui décidait de son propre sort et non le tyran, maître du harem : « je t’ai trompé », « je me suis joué de ta jalousie », « tu me croyais trompée et je te trompais ». Le champ lexical de la liberté est fortement présent : « j’ai toujours été libre », « indépendance »… Le jeu des antithèses vient souligner la révélation de la liberté et du pouvoir exercés en cachette : « ton affreux sérail » /« un lieu de délices et de plaisirs » ; « servitude » /« libre » ; « transports de l’amour » /« violence de la haine ». La place de la 1re personne du singulier et le peu de respect accordé au destinataire sont également des signes de ce pouvoir. Les interrogations rhétoriques donnent, de plus, l’impression que Roxane utilise le langage comme une arme. Elle exprime toute l’agressivité de sa révolte et la lettre devient un véritable instrument contre son ancien maître. % Le poème de Baudelaire est composé, à la manière d’une chanson, de l’alternance d’un refrain et de trois couplets. En tête du refrain, l’adverbe « là » souligne l’importance des lieux dans l’architecture du poème. La première strophe évoque un « là-bas » vague et lointain et les deux strophes qui suivent posent un décor plus précis : le cadre exotique d’une chambre « orientale » puis un extérieur hollandais (les canaux) baigné par la lumière du couchant. Les substantifs du refrain résonnent comme un leitmotiv que les couplets reprendraient en l’amplifiant. & Dès le début du poème, les apostrophes dessinent un portrait complexe de la femme aimée. L’amour sensuel évoqué par des expressions telles que « vivre ensemble », « aimer et mourir », « charmes » prend une dimension paternelle (« mon enfant ») et sororal (ma sœur »). La sensualité est une des données du refrain et elle constitue une ligne de force dans la deuxième strophe (« chambre », « mêlant », miroirs »). La troisième strophe évoque un désir satisfait (« pour assouvir ton moindre désir », « s’endort »). Dans la diffusion de la lumière qui clôt le poème, on peut voir l’expression d’une harmonie, d’un « ordre » qui dépasse les contradictions ou les ambiguïtés de l’amour. « L’Invitation au voyage » est une invitation à la transcendance. Avant les surréalistes, Baudelaire confie à la femme ce rôle de médiatrice ; l’amour, quelles que soient ses facettes, est un moyen de retrouver la « douce langue natale » de l’âme. Zadig ou la Destinée – 29 Le poème achève un recueil intitulé Oiseaux et commence lui-même par une apostrophe exclamative (« Oiseaux ») que l’on peut inscrire dans le champ lexical du voyage car il s’agit bien d’oiseaux voyageurs à « l’aile puissante » et venant d’« outre-mer ». L’apposition qui suit exprime le désir violent (« lances levées ») du dépassement et de l’ailleurs (« toutes frontières de l’homme »). La dimension métaphorique et spirituelle du texte s’inscrit dans le rapprochement des deux termes qui ouvrent et ferment l’alinéa liminaire. D’autres termes ou expressions peuvent être relevés : « pèlerins de longue pérégrination », « Croisés », « concert de voiles et d’ailes », « toutes choses errantes », « sa houle », « doublant plus de caps », « ils passent », « de haut vol ». Le voyage est aussi un voyage dans le temps ; la dimension historique esquissée dans le deuxième alinéa (« Comptoirs », « pèlerins », « Croisés ») s’élargit ensuite à un temps universel : « éternel An Mille », « choses au fil de l’heure », « le cours même du ciel », « cette immensité de vivre et de créer », « la création ». Dans la tradition de Baudelaire, le voyage devient une quête spirituelle et l’oiseau est une « aile » qui nous apporte, « entre bitume et givre », la promesse d’un « Éternel Levant », « quelque chose du songe de la création ». Au-delà du temps et dans un espace purifié (« l’œil lavé de sécrétions très pures », « un ondoiement très pur »), le voyage poétique de l’oiseau se situe aux confins du réel, dans un monde quasi platonicien, puisque toutes les différences viennent se fondre dans l’universalité : « Nulle mer […] jamais », « toutes choses errantes par le monde », « tous les oiseaux du monde », « le mouvement même des choses », « ils sont l’espace traversé d’une seule pensée ». Ce monde très pur n’est pas le nôtre (après « L’Albatros » de Baudelaire) car « le bitume et le givre […] sont les couleurs mêmes du fond de l’homme ». Mais l’oiseau, comme la poésie qui le porte, vient porter une « aube de fraîcheur », « un ondoiement très pur » qui nous invite à aller plus loin que nos rêves, à doubler « plus de caps que n’en lèvent nos songes ». ' Travaux d’écriture Question préliminaire Les marques L’exotisme s’exprime au travers des accessoires tels que les costumes de Covielle ou d’Astarté (le voile), les bagues de la femme prisonnière, les miroirs et les parfums de la chambre « orientale » du texte E ou les « Comptoirs » du texte F. Ces accessoires créent une impression de richesse. Et cette richesse se décline au pluriel, puisque le seigneur Ogul a plusieurs femmes et que la femme du génie collectionne cent bagues. Chez Baudelaire et chez Saint-John Perse, on retrouve également ce pluriel. La magie peut aussi se trouver associée à l’Orient : les femmes de Zadig sont à la recherche du basilic, un animal fabuleux, et le génie des Mille et Une Nuits est un géant aux proportions effrayantes. La violence peut être également une des données de l’exotisme oriental. Bien entendu, l’univers de la comédie de Molière exclut cette dimension et ce n’est pas le cas non plus chez Saint-John Perse et chez Baudelaire, à moins que l’on n’évoque la force des passions suggérée par l’expression « pour assouvir ton moindre désir ». Mais Astarté est retenue de force chez le seigneur Ogul, et l’on se souvient de l’« impitoyable eunuque » du chapitre 8. Ce sont surtout les textes C et D qui expriment cette violence : le génie est effrayant et la femme qu’il retient prisonnière l’est davantage encore ; Roxane se donne la mort et sa lettre fonctionne comme une arme. Les fonctions On ne pourra pas parler de fonction de l’exotisme à propos de l’extrait des Mille et Une Nuits, mais l’on constate que certaines des caractéristiques de ce texte sont reprises par les auteurs à la recherche de nouvelles sensations. Dans la comédie de Molière, l’exotisme a une fonction séduisante et divertissante ; le costume de Covielle ainsi que les termes prétendument turcs relèvent du spectaculaire et réjouissent le spectateur. L’exotisme permet de traiter de manière originale la scène type de la comédie au cours de laquelle le valet met en pratique un stratagème destiné à tromper son maître. Chez Montesquieu et chez Voltaire, l’exotisme est un moyen d’habiller la critique. Il s’agit de la parodie du romanesque sentimental chez Voltaire mais aussi d’une remise en cause des superstitions au travers du basilic et de ses pouvoirs. Montesquieu, quant à lui, donne au lecteur une nouvelle raison de rejeter le pouvoir absolu et ses abus. Réponses aux questions – 30 Dans les poèmes de Baudelaire et de Saint-John Perse, la connotation exotique est associée à l’idée du voyage ; partir, c’est s’arracher à un quotidien pesant (le spleen, le « bitume » et le « givre ») pour rejoindre un monde harmonieux et total (« le monde s’endort », « pareil concert de voiles et d’ailes sur l’étendue heureuse »). Dans ces poèmes, l’ailleurs de l’exotisme n’est pas géographique ; il est un au-delà de « toutes frontières de l’homme ». Commentaire On pourra adopter le plan suivant : 1. Une invitation au voyage A. Une invitation • Les marques de l’invitation : les indices du destinataire. • L’expression d’un rêve plus que d’une réalité : l’emploi du conditionnel, une destination imprécise, les indices d’un flou (« brouillés », « vagues »…). B. Un voyage • La place des indicateurs de lieu : « là-bas », « au pays », « notre chambre »… • Le refrain pose l’importance du lieu : « là ». • Décors : intérieur et extérieur. • L’exotisme et ses marques. 2. Une invitation à l’amour A. L’amour et l’expression du couple • Les amants sont dissociés (marques du locuteur et du destinataire). • Les amants sont associés : « ensemble », « notre chambre ». • Un poète à l’écoute de la femme aimée : la dernière strophe et la disparition des marques de la 1re personne. B. Une femme ambiguë • Les apostrophes du vers 1. • Les contradictions dans la strophe 1 : « aimer et mourir », « soleils mouillés », « charmes »/« traîtres », « brillant »/« larmes ». 3. Une invitation à rejoindre l’Idéal A. L’expression de l’harmonie • L’harmonie entre la femme et le paysage (strophe 1). • L’harmonie dans la chambre (différents sens). • L’harmonie finale : la diffusion de la lumière. B. Le sens de cette harmonie • Disparition des contradictions : les facettes contradictoires de l’amour coexistent sans tension. • Réconciliation du corps et de l’esprit : la sensualité de la chambre permet de retrouver un langage premier (« langue natale ») qui a une vocation spirituelle (« âme »). • Disparition du désir (« assouvir ») et réconciliation des éléments (v. 39-40). C. L’harmonie de la chanson • L’harmonie sonore du refrain et la musicalité des strophes. • Les liens entre le refrain et les strophes. Dissertation On pourra adopter le plan suivant : 1. La littérature est destinée à nous faire rêver A. Se distraire, c’est se soustraire à la réalité • L’écrivain est libre d’imaginer ce qu’il veut. • Le merveilleux occupe une place importante dans la littérature : les contes, les fables, le genre fantastique… • Le romanesque reste proche de la réalité mais propose des aventures extraordinaires : le romanesque sentimental, le roman d’aventures, la science-fiction… Zadig ou la Destinée – 31 B. La littérature nous fait rire et rêver • Le monde de la comédie est invraisemblable : des personnages types et des intrigues qui se répètent. • Tout y devient possible et les intrigues se terminent bien. C. La littérature nous fait vivre de manière plus intense L’écrivain nous invite à éprouver, le temps d’une lecture ou d’une représentation, des sentiments intenses : – l’angoisse dans le roman policier ; – le pathétique de romans tels Les Misérables ; – la tragédie et sa fonction cathartique ; – le lyrisme de la poésie. 2. La littérature n’est pas coupée de la réalité A. Les écrivains veulent nous donner une image fidèle de la réalité • Les romans réalistes et naturalistes. • Les œuvres autobiographiques : le pacte de sincérité garantit la possibilité du projet. B. Les écrivains s’engagent dans leur temps • De nombreux écrivains ont été également des personnalités engagées : Voltaire, Montesquieu, Hugo, Sartre… • Les écrivains emploient leur talent à faire passer leurs idées : Montesquieu, Voltaire, les poètes de la Résistance… 3. Le rêve et la séduction nous amènent à réfléchir A. La littérature est une entreprise de séduction • Quels que soient l’œuvre et son registre, il s’agit toujours de séduire un lecteur ou un spectateur : – par le rire (la diversité des procédés chez Molière) ; – par les larmes ; – par la musique et les images (Verlaine, Apollinaire). • La dimension esthétique est primordiale ; c’est elle qui nous permet d’adhérer à une œuvre. B. Le rêve et la réflexion ne sont pas contradictoires De nombreux auteurs utilisent le rêve et la séduction à des fins argumentatives : La Fontaine, Molière, Montesquieu, Voltaire… C. Séduits, le lecteur et le spectateur sortent de leurs habitudes Qu’elle le fasse rêver ou qu’elle l’invite à réfléchir, l’œuvre littéraire agit sur le lecteur et le tire hors de lui-même ; d’une manière ou d’une autre, elle lui propose de jeter un regard neuf sur la réalité qui l’entoure. Écriture d’invention • On attend une réflexion organisée, argumentée et illustrée sur la place du rêve de nos jours. Le fait qu’il s’agisse d’un journal destiné à des lycéens n’autorise pas que l’expression « notre société » soit réduite à la jeunesse. Le style devra être alerte mais non familier. • Les pistes suivantes pourront être explorées : – la place des mondes virtuels ; – le rêve comme fuite de la réalité : les différentes dérives ; – le rêve réservé à l’enfance et le principe de réalité ; – le rêve et l’idéal : la montée des engagements humanitaires afin que les rêves deviennent réalités. C h a p i t r e d i x - n e u v i è m e ( p p . 1 3 9 - 1 4 2 ) ◆ Lecture analytique du chapitre (pp. 143-144) Les personnages que Zadig a eu l’occasion de rencontrer au cours de son voyage se retrouvent rassemblés dans le chapitre final comme à la fin d’une comédie. En effet, après l’affrontement de Zadig et d’Itobad, Voltaire fait entrer en scène les autres personnages du conte : c’est bien ainsi qu’il faut comprendre la phrase liminaire du passage conclusif : « Sétoc fut appelé du fond de l’Arabie. » ! Réponses aux questions – 32 L’emploi de la juxtaposition dans l’avant-dernier paragraphe et des conjonctions de coordination « ni […] ni » au début du dernier souligne l’énumération de ces entrées en scène. Sur le mode mélioratif, ou péjoratif quand il s’agit de personnages malfaisants (« L’Envieux mourut de rage et de honte »), Voltaire, à la manière de Charles Perrault, évoque le sort de chacun des protagonistes de l’histoire. En arrière-plan se dessine une foule indifférenciée, désignée par le pronom indéfini « on » ou par le substantif « assemblée ». L’emploi de la construction passive « Il fut reconnu roi d’un consentement unanime » contribue également à poser en toile de fond des personnages indistincts. " On aurait envie de tracer autour de Zadig des cercles concentriques : tout d’abord son rival Itobad, puis les personnages qui sont évoqués à la fin du chapitre, et enfin le collectif indifférencié qui l’accueille et finit par le déclarer roi « d’un consentement unanime ». Dans ce schéma, Zadig occupe la place centrale, et, effectivement, tout se définit par rapport à lui. La foule n’apparaît que pour accueillir ou interroger Zadig (« On demanda ensuite ») et les « illustres seigneurs » n’ont d’existence que par rapport au discours du personnage éponyme. De même, à la fin du conte, c’est Zadig qui préside au ballet des personnages, même si les tournures passives (« fut appelé », « fut placé »…) n’explicitent pas son rôle. Le conte s’achève sur une construction qui, dans la réciprocité qu’elle installe (« On bénissait Zadig, et Zadig bénissait le Ciel »), souligne la position de Zadig. # Plusieurs éléments concourent à donner de l’importance au personnage d’Itobad : – d’abord, au début du chapitre, Itobad n’est désigné que par l’expression indéfinie « un autre » employée à deux reprises. Il est l’usurpateur qui doit être démasqué. Le lecteur connaît, certes, l’identité du personnage mais il est mis en situation d’attente ; – ensuite, lors de l’épisode des énigmes, Itobad se détache des indéfinis qui désignent l’ensemble des candidats en lice (« les uns », « d’autres », « chacun ») et il se fait remarquer également par son comportement négatif. Alors que chaque candidat tente de proposer une réponse aux énigmes, Itobad est le seul à refuser de répondre en alléguant que la force prime sur la raison : « il suffisait d’avoir vaincu à grands coups de lance » ; – enfin, Itobad, accusé par Zadig, adopte une attitude de confiance inadaptée à la situation. Voltaire accumule les expressions qui expriment cette certitude du personnage. L’évocation hyperbolique appartient à la caricature et contraste à la fois avec l’attitude raisonnable de Zadig et avec le dénouement de la scène qui met en échec l’usurpateur. $ Itobad est un personnage comique car Voltaire le peint de façon caricaturale. Il incarne, de manière schématique, la sottise et ce à tous les stades du récit. En premier lieu, il se montre incapable d’avancer une seule réponse aux énigmes ; ensuite, il est persuadé de sa force alors que son triomphe initial ne tient qu’au vol de l’armure blanche ; enfin, il ne comprend pas ce qui lui arrive lorsque Zadig le désarme « paisiblement » et est « surpris des disgrâces qui arriv[ent] à un homme comme lui ». L’incapacité d’adaptation au réel que manifeste Itobad fait de lui un personnage comique à la manière des personnages types de la comédie. Voltaire souligne cette inadaptation et cette bêtise en recourant aux procédés de l’hyperbole : les intensifs sont nombreux (« n’entendait rien », « grands coups de lance », « la plus grande confiance », « toujours surpris », « magnifique casque »...). % La résolution du chapitre 19 présente tous les éléments d’un registre dramatique. En effet, l’enjeu est de taille pour Zadig : c’est sa dernière chance de retrouver Astarté et les circonstances sont particulièrement douloureuses, étant donné qu’il se retrouve seul et sans arme devant les chevaliers du tournoi. La scène qui met face à face le personnage éponyme privé d’armure et l’usurpateur « casqué, cuirassé » et « brassardé » pourrait hériter de l’intensité dramatique et pathétique du combat biblique opposant David et Goliath. Mais il n’en est rien car le contrepoint comique incarné par Itobad désamorce toute émotion. Itobad est un personnage de comédie (voir question précédente) et le jeu des contrastes, décliné tout au long du chapitre par Voltaire, contribue à alléger cette scène finale en brossant une parodie des romans d’aventures. À côté des tentatives de réponses des candidats (« Les uns dirent que », « Chacun dit son mot »...) et des réponses fines de Zadig (« Zadig devina seul »), Itobad s’efforce de dissimuler son ignorance sous des prétextes variés : « il suffisait d’avoir vaincu à grands coups de lance », « s’il avait voulu s’en donner la peine ». De même, au moment du combat, Itobad ne parvient pas à voir en Zadig l’adversaire qui va le désarmer « paisiblement » ; il ne voit en lui qu’un « champion en bonnet de nuit et en robe de chambre » – ce qui rend son échec d’autant plus comique. Zadig ou la Destinée – 33 Le chapitre 19 est bien un chapitre de dénouement en ce qu’il présente à la fois le dénouement du nœud narratif (la résolution) et la situation finale. En effet, les qualités intellectuelles (les énigmes), physiques (le combat contre un chevalier en armure) et morales (son attitude posée dans l’ensemble du chapitre) sont mises en évidence devant l’assemblée des « illustres seigneurs ». Devant tous (la récurrence de l’indéfini « on »), Zadig se révèle être le meilleur des chevaliers. Le chapitre 19, après un parcours semé d’injustices et de malentendus, est un chapitre de reconnaissance : « Il fut reconnu roi d’un consentement unanime, et surtout de celui d’Astarté. » Cette reconnaissance vient achever le voyage du personnage éponyme et, intervenant « après tant d’adversités », elle introduit la situation finale. Les dernières lignes du chapitre installent la situation finale ; c’est un nouvel ordre stable qui succède au désordre de la quête, et Voltaire évoque successivement le sort des différents personnages du conte : un sort négatif pour ceux qui, comme Itobad ou l’Envieux, n’ont su montrer aucune qualité et un sort favorable pour les autres. ' Le chapitre 19 conclut un schéma narratif ; mais il s’apparente également au dénouement des comédies. D’abord, tout se termine bien : les personnages qui ont fait preuve de qualités (même Sétoc, le brigand) sont récompensés et ceux qui se sont avérés nuisibles sont punis sans que le châtiment mette une note tragique dans cette fin heureuse (« Itobad alla se faire appeler monseigneur dans sa maison », « L’Envieux mourut de rage et de honte »). Ensuite, comme dans une comédie, la fin du conte rassemble sur la scène tous les protagonistes de l’histoire, y compris le « petit muet » qui avait dénoncé les projets du roi dans le chapitre 8. Les ressemblances entre Zadig et le théâtre ne se limitent d’ailleurs pas à ce dernier chapitre. La place du dialogue et le découpage en scènes successives sont des éléments qui rapprochent le conte de la comédie, et l’on n’oublie pas que Voltaire était aussi un dramaturge. ( Le procédé du contrepoint comique (voir plus haut) désamorce toute tonalité dramatique malgré la gravité du contexte et de l’enjeu. De ce fait, le lecteur ne peut se laisser prendre par la tension finale et, distant, il observe les marques dénoncées du genre parodié. La scène finale du roman d’aventures, celle qui réunit tous les risques (le défi de l’intelligence dans la résolution des énigmes et de la force dans le combat contre le chevalier armé) et tous les enjeux (Astarté et le royaume de Babylone), se trouve caricaturée. Sans doute la principale marque de la parodie, en dehors des contrastes et du contrepoint comique, est-elle l’usage constant des hyperboles : « grands coups de lance », « Zadig devina seul », « la plus grande confiance »... ) Le titre du chapitre (« Les Énigmes ») renvoie à l’élément de résolution de l’intrigue. C’est en effet parce que Zadig se montre seul capable de résoudre les énigmes que le jury commence à regretter son échec apparent lors du tournoi (« C’est bien dommage, disait-on, qu’un si bon esprit soit un si mauvais cavalier ») et le laisse affronter, « en bonnet de nuit et en robe de chambre », Itobad, « casqué, cuirassé, brassardé ». Les énigmes constituent bien une étape déterminante dans le dénouement comme dans de nombreux récits. Lorsque la reconnaissance ne se fait pas par un signe (la cicatrice, l’arc et le lit d’Ulysse ; l’épée du roi Arthur ; la pantoufle de Cendrillon ; la bague de Peau-d’Âne…), elle peut s’obtenir à l’issue d’épreuves physiques, comme dans les romans de chevalerie, ou intellectuelles, comme la célèbre énigme du Sphinx. Voltaire reprend le mythe d’Œdipe et se moque de toutes ses versions abâtardies mises en récit dans les romans d’aventures. L’énigme (au singulier) fait place aux énigmes (au pluriel) et l’édition de 1748 insiste sur cette multiplication parodique (« On demanda ensuite »). Le titre est donc un élément de la caricature. Cependant, on peut s’étonner de trouver, en tête d’un chapitre de conclusion, un titre qui introduit de nouvelles questions. Pour Candide, Voltaire optera pour la solution inverse, en donnant au chapitre 30 le titre de « Conclusion ». Dans la perspective du conte philosophique, on a envie de penser qu’il n’existe pas de réponse définitive et que tout est de l’ordre de l’énigme. Énigme, notamment, la conception du destin : faut-il se situer du côté de Jesrad et donner un sens à tous les malheurs que nous pouvons subir ou faut-il retenir du conte l’impression de grande injustice ? Mais n’oublions pas que les énigmes trouvent, grâce à Zadig, une solution. Le sage, le philosophe, en faisant preuve de bon sens et de perspicacité, peuvent parvenir à donner un sens à ce qui apparaît, au départ, sans solution. Sans doute est-ce là une autre leçon que Voltaire nous invite à tirer du chapitre 19 et de Zadig. & Réponses aux questions – 34 Voltaire, sans doute en les caricaturant, reprend les archétypes du conte traditionnel. Dans la logique narrative du conte, les bons sont récompensés et les méchants punis. C’est bien ce qui se passe ici. Itobad et l’Envieux sont punis ; les autres personnages, à commencer par Zadig qui épouse Astarté et devient roi, sont récompensés. Tout le monde jusqu’au « petit muet » du chapitre 8 est remercié. Ainsi, on retrouve dans Zadig la morale récurrente chez Charles Perrault : les qualités finissent par être reconnues. Mais les véritables leçons du conte philosophique sont ailleurs. Ce chapitre illustre la position optimiste et leibnizienne de l’ange Jesrad. En lançant « du haut des airs » l’injonction qui clôt le chapitre 18 (« Prends ton chemin vers Babylone »), Jesrad montre que tout a un sens et que, si Zadig a perdu Astarté et dû subir de nombreuses épreuves, c’est pour atteindre un plus grand bonheur : il épouse la reine et devient roi. Contrairement à l’impression qu’on pouvait avoir en suivant Zadig dans ses malheurs, la « destinée » a un sens. Dans Candide, l’optimisme (déjà conditionnel dans Zadig) aura disparu ; les malheurs vécus par les personnages n’apporteront, en définitive, que des « cédrats confits et des pistaches ». Dans le conte, la dimension philosophique se double d’une réflexion sur les institutions. Le chapitre 19 apporte une conclusion à cette réflexion. Après avoir critiqué les abus du pouvoir au travers du roi Moabdar et de Missouf, Voltaire propose la solution du despote éclairé. Zadig va tenir ce rang. Ses nombreuses qualités – celles dont il fait preuve dans le chapitre 19, mais aussi celles qu’il a manifestées au cours de son voyage – font de lui un roi idéal. Mais sans doute est-il un roi idéal parce que reconnu de tous (« Il fut reconnu roi d’un consentement unanime »). Voltaire présente sur le pouvoir une réflexion qui annonce celle de Diderot dans son article « Autorité politique » de l’Encyclopédie (voir texte, p. 72). *+ ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 145-153) Examen des textes et de l’image ! Deux temps principaux se complètent dans la partie narrative du texte B : l’imparfait et le passé simple. L’épisode s’ouvre sur un imparfait qui pose le cadre spatio-temporel (« à Noël », « L’étang », « un trou »). La valeur durative de ce temps permet d’installer un arrière-plan à l’action principale et l’on note la place occupée dans ce passage liminaire par le verbe être ou la tournure présentative « il n’y avait que ». Le plus-que-parfait vient, en complément, exprimer des actions antérieures ; l’aspect accompli de ce temps nous invite à ne regarder dans les actions évoquées que la trace qu’elles ont laissée : « un trou que les paysans avaient fait », « ils y avaient laissé un trou ». Les actions de premier plan sont, elles, exprimées au passé simple : « Renart courut », « Renart se mit à rire ». Dans la partie centrale du récit, le présent de narration vient relayer le passé simple et rendre l’histoire plus vivante. " Les nombreux indices personnels, tels que les pronoms de 1re et 2e personnes, et l’usage de l’impératif, l’emploi des apostrophes, les indices spatio-temporels (« ici », « maintenant ») permettent d’ancrer le dialogue dans la situation d’énonciation et de donner ainsi plus de vie à l’épisode. # En dehors du fait que le texte C appartient au recueil des Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault, plusieurs indices permettent d’inscrire « Les Fées » dans le genre du conte : – l’expression liminaire « Il était une fois » est un indice archétypal du genre. Sans doute cette formule, devenue le sésame de l’univers des contes, allie-t-elle l’atemporalité de l’imparfait à l’anecdotique du « une fois ». Ainsi se trouvent esquissées, dès l’ouverture, les dimensions narrative (« une fois »), merveilleuse (un temps lointain) et didactique (la valeur durative de l’imparfait) ; – on retrouve le schéma narratif traditionnel ; – on peut également relever des éléments merveilleux : des personnages merveilleux tels que la fée capable de se transformer et d’accorder des dons, les phénomènes surnaturels qui se produisent suite à ces dons ; – la fin heureuse, notamment le mariage avec le fils du Roi, est un des éléments récurrents dans les contes ; – les personnages sont évoqués de manière très schématique et s’opposent nettement ; Zadig ou la Destinée – 35 – le conte s’achève par une moralité qui en dégage la leçon. La visée didactique est un des éléments des contes. On devinait déjà cette dimension en regardant la manière dont sont désignés les personnages. En effet, les deux jeunes filles ne sont que « la cadette » et « l’aînée », sans être davantage individualisées. $ On retrouve le schéma narratif traditionnel : – Situation initiale : la veuve et ses deux filles. – Élément perturbateur : « un jour […] il vint à elle une pauvre femme ». – Péripéties : 1. le dialogue de la cadette avec la « pauvre femme » qui s’avère être une fée ; 2. le retour de la cadette à la maison et la manifestation du don reçu ; 3. l’aînée et la « Dame magnifiquement vêtue » ; 4. le retour de l’aînée à la maison et la manifestation du don reçu ; 5. la double colère de la mère. – Élément de résolution : l’arrivée du « fils du Roi ». – Situation finale : la cadette épouse le prince et l’aînée meurt « au coin d’un bois ». Remarque : Comme pour le conte « Cendrillon », qui raconte une histoire similaire, on peut aussi considérer que la disparition supposée du Père est l’élément perturbateur qui vient briser une situation initiale stable car équilibrée. Les mauvais traitements infligés à la cadette dans le premier paragraphe du conte font, dans ce schéma-là, partie des péripéties. % Le poème de Baudelaire est composé de deux mouvements qui s’opposent fortement et s’articulent autour d’une phrase-pivot introduite par « Cependant ». De part et d’autre de cet alinéa central, les visions du monde sont antithétiques. Dans la première partie, on peut relever un vocabulaire mélioratif. L’exclamation liminaire donne le ton. La seconde partie présente un vocabulaire péjoratif et se distingue de la première par la présence des deux personnages que sont le narrateur et le fou. La phrase-pivot est, à l’image de l’ensemble du poème, bâtie sur une opposition : la « jouissance universelle » rappelle l’évocation du premier mouvement, tandis que l’arrivée de la 1re personne (« j’aperçus ») précède de peu celle de l’« être affligé ». & On peut relever deux occurrences du pronom de 1re personne, au début et à la fin du second mouvement du texte. Le « j’aperçus » introduit le personnage du fou annoncé par le titre ; le « je ne sais quoi » commente l’attitude de la Vénus, l’autre personnage éponyme. L’emploi du verbe apercevoir suppose une focalisation externe, de même que l’occurrence finale qui exprime une incapacité à comprendre le regard de la Vénus. Cependant, on devine une focalisation omnisciente dans l’expression « bouffons volontaires », ainsi que dans le passage au discours direct qui rapporte le langage des yeux. Ce glissement laisse deviner une identification du poète au fou. Comme le fou, le poète ne parvient pas à comprendre vraiment la Vénus et sans doute est-ce ainsi qu’il faut lire le « je ne sais quoi » final. ' On étudiera, d’une part, les éléments de reprises et, d’autre part, les modifications introduites. Les reprises : les végétaux (le roseau et un arbre), l’opposition, la patience du roseau, la mort de l’arbre, la dimension didactique. Les modifications : un peuplier (souple comme le roseau ?), la fantaisie (« le peuplier caracole »), la morale donnant la faveur à l’arbre et critiquant la patience (« le roseau, lui, attend », « immobilisé ») du roseau. Bien entendu, les modifications n’ont de sens que par rapport à l’original (fable d’Ésope mise en scène ensuite par La Fontaine) et le jeu de réécriture instaure une complicité entre l’auteur et le lecteur sur la base d’une connaissance commune du texte premier. ( et ) Le titre de l’œuvre d’Escher emploie des termes larges accompagnés de déterminants définis à valeur généralisante. Il s’agit de deux des quatre éléments et l’on y voit une invitation à réfléchir, au travers de l’œuvre, à notre monde et à la perception que nous en avons. Car la référence aux éléments antiques est bien une allusion à notre perception des choses, à notre volonté d’enfermer le réel dans des catégories, à notre penchant à tracer des frontières. L’œuvre elle-même se regarde au travers du titre : les éléments sont représentés au travers des animaux – poissons ou oiseaux – qui les caractérisent de la manière la plus évidente. Cette simplification des symboles, accompagnée de la simplicité répétitive du dessin, est une invitation à la généralisation de la réflexion. Le titre pose deux éléments distincts et l’œuvre nous montre que cette Réponses aux questions – 36 distinction est impossible. Les éléments sont complémentaires (le blanc et le noir, le vide et le plein). Les animaux avancent dans le même sens et forment – en banc ou en vol – un losange qui semble les résumer tous. Ainsi, les séparations et les frontières sont relatives (La Relativité est une autre œuvre d’Escher bien connue) à notre perception et Escher nous amène à regarder le monde autrement. Travaux d’écriture Question préliminaire Les documents du corpus nous invitent à réfléchir. Ils constituent tous, qu’il s’agisse des textes de fiction ou de l’œuvre d’Escher, des « langages sous le langage » pour reprendre la définition littérale de l’apologue. On peut distinguer les documents qui expriment explicitement le sens second et ceux qui jouent sur l’implicite. Ésope dissocie nettement la morale du récit et souligne fortement que la première découle du second (« La fable montre »). Charles Perrault, dans « Les Fées », propose, à la suite du récit, deux moralités qui se détachent nettement elles aussi : d’abord, elles sont signalées (« moralité », « autre moralité ») ; ensuite, elles sont écrites en italique et en vers ; enfin, on peut y relever toutes les marques de la généralisation (présent de vérité générale, termes larges...). L’extrait du Roman de Renart s’achève également par une morale explicite : « On perd tout à vouloir tout gagner. » Les indices de la généralisation, la brièveté de la formule et les effets de symétrie en font une tournure proverbiale. Cependant, le procédé adopté par Pierre de Saint-Cloud diffère de celui choisi par Charles Perrault. En effet, la morale est, dans le passage du Roman de Renart, insérée dans le récit. C’est Renart qui la formule. Les trois autres apologues jouent sur l’implicite en invitant le lecteur à dégager lui-même la leçon du récit. Dans le dernier chapitre de Zadig, Voltaire souligne, d’une part, les contrastes entre un Itobad ridicule et un Zadig parfait et, d’autre part, la fin heureuse. Le rassemblement des personnages à la fin et le caractère doublement positif du dénouement (Astarté et la couronne) relèvent de la parodie du conte traditionnel. Ce bonheur hyperbolique s’oppose surtout aux malheurs et aux injustices subis par Zadig au long des chapitres précédents. Comme dans les contes traditionnels (« Les Fées », par exemple), les qualités du héros finissent par être reconnues et récompensées. Mais la leçon de Zadig n’est pas là. Voltaire utilise les archétypes du genre pour inviter le lecteur à dégager le sens philosophique du conte. Le dernier chapitre est l’illustration des propos de l’ange Jesrad et de la théorie de Leibniz : « Il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien. » Cependant la leçon demeure ambiguë car la tonalité parodique de la conclusion laisse planer un doute sur l’adhésion totale de Voltaire à la vision leibnizienne. Raymond Queneau, sur un mode léger, reprend la fable bien connue « Le Chêne et le Roseau » pour imaginer une autre histoire, plus fantaisiste, qui dénigre la patience sclérosante du roseau. Pour mieux souligner cette critique de l’immobilisme, Queneau imagine, à la place du chêne, un arbre fou, le peuplier qui « caracole » et « fait des bonds de géant ». La morale implicite se lit en filigrane de la dernière strophe et le verbe « retirera » nous invite à la comprendre. Dans « Le Fou et la Vénus », Charles Baudelaire, en proposant un titre binaire à la manière des fables de La Fontaine et en esquissant des personnages symboliques, met son lecteur sur le chemin de la leçon implicite. Le jeu simple des contrastes et des hyperboles donne également l’impression que le récit n’est constitué que de quelques lignes fortes destinées à suggérer autre chose. La reprise de l’adjectif « universelle » va dans ce sens également. Le glissement d’un point de vue externe à un point de vue omniscient (voir question 6) nous conduit à ne voir dans le poète et dans le fou qu’une seule et même personne. Ainsi se trouve exprimée la quête douloureuse et vaine de la beauté qui constitue un des axes majeurs de la poésie baudelairienne. Le poème en prose se démarque des autres textes en ce que sa portée est plus poétique et esthétique qu’argumentative. Si Baudelaire reprend les archétypes de l’apologue, tels qu’on les rencontre chez La Fontaine, c’est pour mieux s’en démarquer et affirmer la modernité de son écriture. Il s’agit, dans le poème en prose, de faire entendre une seconde voix – celle du poète – derrière le phrasé musical du récit. Baudelaire fait de l’apologue traditionnel une musique plus complexe dont la finalité n’est plus moralisatrice ou philosophique mais simplement poétique, c’est-à-dire esthétique. Zadig ou la Destinée – 37 Le tableau d’Escher n’est pas à proprement parler un apologue mais il en adopte le fonctionnement dans la mesure où la forme séduisante est une invitation à la lecture d’un sens second. Le titre et la composition simple de l’œuvre nous mettent sur la voie de la fonction symbolique du dessin. Les poissons symbolisent l’eau et les oiseaux l’air. Ce n’est pas tout, bien sûr. Nous sommes le jouet de notre perception, les oiseaux et les poissons ne sont que deux faces d’une même réalité. Le monde qui nous entoure est un et le discours que nous tenons sur lui (la théorie des quatre éléments, par exemple) est, de ce fait, un discours relatif à notre vision et à notre logique. Commentaire On pourra adopter le plan suivant : 1. Un récit dynamique A. L’intensité • L’expression de l’énergie : champ lexical. • Progression : « croissante », « de plus en plus », « monter ». • Recours à la comparaison pour exprimer cette intensité. • Personnage : rôle des pluriels et accumulation (« cornes », « sonnettes »...). B. Le dynamisme du contraste • Articulation du texte autour du « cependant ». • La phrase d’articulation souligne les contrastes. • Vocabulaire mélioratif / vocabulaire péjoratif. C. L’insertion du discours direct • Le discours du fou. • Le poète s’adresse au lecteur. 2. Un apologue A. La généralisation • Dimension universelle dans la première partie du texte (le mot figure deux fois). • Portée symbolique : « Amour », « Vénus ». • Le fou : « un de ces fous ». • Le titre qui ressemble à celui d’une fable et invite, par tradition, à une généralisation. B. La morale implicite • Un récit hors du temps : le mélange de l’antique (Vénus), du médiéval (le fou) et du contemporain (l’intervention de l’auteur). • Le présent de narration peut-il être compris également comme un présent gnomique ? • La leçon : amour impossible, quête impossible de la beauté. C. L’expression d’une souffrance personnelle • Le « je » du fou ne serait-il pas aussi le « je » du poète ? • Évocation d’un poète inadapté (le costume du fou) en quête de l’Idéal. Dissertation On pourra adopter le plan suivant : 1. Une littérature didactique A. « Les dangers de la lecture » • Le texte de Voltaire (« Les dangers de la lecture »). • La censure a occupé une place importante : la littérature était donc considérée comme dangereuse. Des auteurs sont exilés (Voltaire, Hugo...), des œuvres interdites (Le Tartuffe, Le Mariage de Figaro...). B. Une littérature engagée Pour certains auteurs, la littérature est destinée à véhiculer des idées : – le Siècle des lumières ; – le XIXe siècle et les fresques sociales (réalistes ou naturalistes) ; – la Résistance ; – l’existentialisme (Jean-Paul Sartre). Réponses aux questions – 38 C. Des genres spécifiques • La comédie qui corrige les mœurs (« castigat ridendo mores »). • La tragédie et l’éloge des valeurs dominantes. • La fable. • Le conte et le conte philosophique. 2. La littérature n’a d’autre fin qu’elle-même A. La littérature nous invite à quitter notre réalité • S’évader dans le rêve : le conte, l’utopie, la science-fiction... • S’évader dans l’aventure : le roman d’aventures, le roman policier... • S’évader dans le rire : la comédie et ses personnages simplifiés à l’extrême. B. La littérature nous fait plaisir • Plaisir de s’évader (transition). • Plaisir d’éprouver des émotions intenses (sentiments, angoisse, « terreur et pitié »…). • Plaisir esthétique : texte beau à regarder (calligramme) et à entendre (poésie et chanson, théâtre et poésie). 3. La littérature nous invite à ouvrir les yeux A. Que ce soit sa finalité affichée ou non, l’œuvre littéraire nous livre une certaine vision du monde • Toute œuvre est inscrite dans une époque : par exemple, les romans de Jules Verne. • L’œuvre littéraire est un témoignage sur les manières de vivre et de penser : l’Odyssée d’Homère, Les Métamorphoses d’Ovide. • L’œuvre littéraire, indépendamment de tout contexte, traverse les siècles lorsqu’elle transmet une vision toujours vraie de l’homme : la question de la curiosité dans l’Odyssée. B. Le plaisir éprouvé nous ouvre les yeux • C’est par la fiction que les messages passent le mieux : La Fontaine, Voltaire, Le Meilleur des mondes... • En découvrant un monde imaginaire, le lecteur pose un regard neuf sur le réel. Écriture d’invention • Le sujet suppose une analyse des textes E et F et une bonne compréhension des mécanismes de la réécriture. Les élèves devront avoir nettement choisi le genre du conte ou celui de la fable et l’on attend d’eux qu’ils sachent reprendre les différentes caractéristiques de ces genres sans les confondre. • On appréciera tout particulièrement l’originalité du traitement de la fable (comme l’y invite la réécriture de Queneau) sans que soient perdues les structures d’origine. C’est le savant équilibre entre ressemblance et innovation qui fait la difficulté – et la richesse – de cet exercice. Zadig ou la Destinée – 39 COMPLÉMENTS A U X L E C T U R E S D ’IMAGES ◆ L’épisode du « Basilic » (p. 5) L’œuvre Cette gravure, datée du XVIIIe siècle, évoque les retrouvailles de Zadig et Astarté dans le chapitre 16 et exprime le romanesque sentimental du chapitre. Les stéréotypes de la gravure reprennent ceux du chapitre 16. Le jeune homme s’efface au second plan et l’aventure amoureuse, dans la tradition de l’amour courtois, s’écrit autour d’un pôle féminin (Astarté au premier plan et dans la lumière). Travaux proposés On pourra examiner dans cette perspective : – le cadre bucolique ; – la position conventionnelle des personnages, notamment l’attitude quasi théâtrale de Zadig ; – l’équilibre des courbes qui dessinent l’entente harmonieuse des deux personnages ; – la sensualité d’Astarté qui se dégage des courbes et du vêtu/dévêtu de sa tenue. ◆ Affiche du film Fenêtre sur cour (p. 40) L’auteur Alfred Hitchcock est né le 13 août 1899, à Londres, d’un père épicier en gros. Sa carrière peut se décomposer en trois périodes : la période anglaise (1925-1939), avec la réalisation de son premier film muet The Pleasure Garden ; la période américaine (1940-1957), de Rebecca à Faux Coupable ; la dernière période (1958-1976) étant marquée par une succession de chefs-d’œuvre, de Sueurs froides à Complot de famille. Avant de devenir le maître du suspense, Hitchcock a exercé nombre de métiers du cinéma (dessinateur d’intertitres pour les films muets, coscénariste, assistant, producteur, décorateur, monteur). Il est mort le 29 avril 1980, à Los Angeles. L’œuvre L’affiche du film Fenêtre sur cour (Rear Window) d’Alfred Hitchcock s’inscrit dans un groupement de documents consacrés à la littérature policière. Les textes choisis présentent un certain nombre de caractéristiques du roman policier et tendent à ouvrir le genre. Le film, lui, appartient pleinement au genre codifié du film policier et l’affiche en porte les signes. Le scénario est inspiré d’une nouvelle de William Irish. L. B. Jefferies (James Stewart), photographe qu’un plâtre à la jambe contraint à l’immobilité, tue le temps en observant les appartements donnant sur sa cour. Après plusieurs jours d’observation, il soupçonne un voisin, Lars Thorwald (Raymond Burr), d’avoir tué sa femme. Pour accréditer sa thèse, il envoie Lisa (Grace Kelly), secrètement amoureuse de lui, porter une lettre anonyme au meurtrier supposé. Travaux proposés On étudiera les marques du genre présentes sur l’affiche : personnages, enquête, crime, témoignages. On verra également les indices périphériques du genre : le visage féminin, en arrière-plan, montre que l’intrigue policière se double d’une histoire d’amour ; l’immeuble indique le cadre urbain de l’action. Il est sans doute intéressant d’étudier, dans la composition de l’affiche, la mise en page des informations : grandes et petites images, texte et images. On pourra s’intéresser également au jeu des regards : les personnages-témoins, le regard de Grace Kelly tourné vers le spectateur, le regard d’Hitchcock porté sur l’ensemble des personnages. ◆ Mise en scène de Jean-Louis Barrault (p. 60) Les auteurs Élève de Charles Dullin, Jean-Louis Barrault (1910-1994) a joué dans sa troupe de 1933 à 1935. Pensionnaire de la Comédie-Française de 1940 à 1946, il devient célèbre avec ses mises en scène du Compléments aux lectures d’images – 40 Soulier de satin et de Phèdre. En 1946, il fonde la compagnie Renaud-Barrault. Directeur du Théâtre de l’Odéon en 1959, il y crée des œuvres contemporaines (Ionesco, Beckett, Genet, Duras), avant d’en être chassé en 1968 (il avait ouvert les portes de son théâtre aux étudiants qui l’occupèrent). En 1981, sa compagnie s’installe au théâtre du Rond-Point. Né en 1923, Georges Coulonges est un romancier et un auteur de chansons à succès (pour Marcel Amont, René-Louis Lafforgue, Bourvil, les Frères Jacques, Jean Ferrat, entre autres). Il a aussi écrit pour le théâtre et la télévision (Pause-café). Son adaptation du conte de Voltaire a été publiée au Cherche-Midi, en 1979. Il est décédé le 12 juin 2003. L’œuvre Cette photographie de mise en scène a été prise au théâtre d’Orsay, théâtre mobile que Jean-Louis Barrault avait installé en 1972, gare d’Orsay. Certes, Zadig est un conte et non une pièce de théâtre. Mais Voltaire ne souhaitait-il pas être dramaturge avant d’être conteur ? Le document suggère le caractère stéréotypé des personnages de Zadig. En cela, le conte rejoint le théâtre : – le style oriental des costumes ; – les attributs attendus : couronne, trônes ; – les masques (l’hypocrisie de la Cour est représentée par un double visage sur la gauche) ; – les expressions et attitudes figées ; – la naïveté d’une reine qui porte de longues nattes comme un enfant. Travail proposé On profitera de cette photographie pour étudier la dimension théâtrale de Zadig, dans le découpage en scènes successives comme dans la simplification de l’intrigue et des personnalités. ◆ Caricature de Napoléon III par Daumier (p. 74) L’auteur Honoré-Victorien Daumier est né à Marseille, en 1808, d’un père vitrier, encadreur de tableaux et poète. Il s’installe à Paris en 1816. À douze ans, Honoré devient coursier chez un huissier, puis commis à la librairie Delaunay du Palais-Royal. Inscrit à une académie de dessin, il est remarqué par Alexandre Lenoir, fondateur du musée des Monuments français. Daumier réalise ses premières lithographies en 1828, pour le journal La Silhouette, puis ses premières caricatures en 1830, pour le journal La Caricature. En 1835, il entre au journal Le Charivari (ouvertement républicain). La caricature que nous publions en est extraite. Du fait de la censure, il passe de la satire politique à la caricature de mœurs. À partir de 1860, licencié par Le Charivari, Daumier se consacre au dessin, à la peinture et à la sculpture. En 1865, suite à des problèmes financiers, il s’installe à Valmondois, dans une maison prêtée par le peintre Corot. Il y meurt en 1879 (il sera exhumé en 1880 et transféré au Père-Lachaise), laissant une œuvre de plus de 4 000 dessins… L’œuvre Datée du 11 décembre 1848, cette caricature fait suite à l’élection, au suffrage universel, de Louis Bonaparte (fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais) à la présidence de la République (10 décembre). La légende en est : « MM. Victor Hugo et Émile Girardin cherchent à élever le prince Louis sur un pavois, ça n’est pas très solide ! » Victor Hugo, on l’a dit, a changé de position à l’égard de ce prince, suite au coup d’État. Voici, entre autres, les propos qu’il tint à son sujet : « Louis Bonaparte est un homme de moyenne taille, froid, pâle, lent, qui a l’air de n’être pas tout à fait réveillé. Il a publié, nous l’avons rappelé déjà, un Traité assez estimé sur l’artillerie, et connaît à fond la manœuvre du canon. Il monte bien à cheval. Sa parole traîne avec un léger accent allemand. Ce qu’il y a d’histrion en lui a paru au tournoi d’Eglington. Il a la moustache épaisse et couvrant le sourire comme le duc d’Albe, et l’œil éteint comme Charles X. Si on le juge en dehors de ce qu’il appelle “ses actes nécessaires” ou “ses grands actes”, c’est un personnage vulgaire, puéril, théâtral et vain. Les personnages invités chez lui, l’été, à Saint-Cloud, reçoivent en même temps que l’invitation l’ordre d’apporter une toilette du matin et une toilette du soir. Il aime la gloriole, le pompon, Zadig ou la Destinée – 41 l’aigrette, la broderie, les paillettes et les passequilles, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. En sa qualité de parent de la bataille d’Austerlitz, il s’habille en général. Peu lui importe d’être méprisé, il se contente de la figure du respect. Cet homme ternirait le second plan de l’histoire, il souille le premier. L’Europe riait de l’autre continent en regardant Haïti quand elle a vu apparaître ce Soulouque blanc. Il y a maintenant en Europe, au fond de toutes les intelligences, même à l’étranger, une stupeur profonde, et comme le sentiment d’un affront personnel ; car le continent européen, qu’il le veuille ou non, est solidaire de la France, et ce qui abaisse la France humilie l’Europe. » Travaux proposés La caricature, comme la littérature satirique, est un instrument de critique efficace largement utilisé à partir du XIXe siècle. L’étude de ce document trouve sa place dans une réflexion sur la critique du pouvoir. On étudiera notamment : – les marques de la caricature (le jeu des proportions/disproportions) ; – l’expression d’un irrespect dans l’image comme dans la légende ; – la démarche qui consiste à représenter de manière concrète une idée abstraite (la critique du prince Louis et de ceux qui, littéralement, le soutiennent). ◆ Mise en scène de Jean-Louis Barrault (p. 124) L’œuvre Comme dans l’image de la page 60, on relève dans cette image une volonté de souligner les stéréotypes du conte oriental : – les costumes ; – les musiciens ; – le harem (attitudes nonchalantes et sensuelles des femmes) ; – l’expression du plaisir. Les retrouvailles constituent un épisode heureux dans une trajectoire romanesque semée d’embûches. Jean-Louis Barrault détache Zadig et Astarté du groupe des femmes assises pour mieux mettre en relief la joie (musique, rire) de l’amour réciproque (Zadig et Astarté vont dans la même direction). Travail proposé On pourra voir comment la mise en scène de Jean-Louis Barrault telle qu’elle apparaît dans le document souligne les stéréotypes que Voltaire critique dans son œuvre. ◆ L’ange Jesrad et Zadig (p. 137) L’œuvre La gravure illustre l’épisode qui achève le cheminement de Zadig en compagnie de l’ermite. Le neveu de la veuve qui avait accueilli les deux voyageurs est précipité dans la rivière. On apprendra ensuite que le neveu était destiné à tuer sa tante. La gravure exprime clairement les différentes caractéristiques des personnages en les situant dans une perspective temporelle (opposition jeunesse/vieillesse) : – la jeunesse du neveu ; – la jeunesse de Zadig ; – la sagesse de l’ermite : sa longue barbe et son livre. La violence du geste de l’ermite est au centre de l’image : la puissance du courant de la rivière et la chute du corps au premier plan. L’expression du visage de Zadig, ainsi que son attitude suppliante soulignent l’horreur de la scène et contrastent fortement avec l’air tranquille de l’ermite. Dans ces conditions, on a du mal à voir la sagesse de l’ermite. Ce n’est qu’ensuite que l’on saura qu’il s’agit de l’ange Jesrad et que ses actions ont un sens. L’auteur de la gravure, comme Voltaire dans le passage correspondant, insiste sur l’absurdité et sur la cruauté de l’ermite. Peut-être peut-on voir dans la présence du livre et dans celle du courant une expression du destin qui est la clé du passage ? Travail proposé De quelle manière l’auteur de la gravure et Voltaire mettent-ils en avant la cruauté de l’ermite ? Compléments aux lectures d’images – 42 ◆ M. C. Escher, L’Air et l’Eau I (p. 151) L’auteur Maurits Cornelius Escher est né le 18 juin 1898, à Leeuwarden, la capitale de la Frise, province du nord des Pays-Bas. Alors que, sur les conseils de son père, il étudie l’architecture à l’École d’architecture et des arts décoratifs de Haarlem, il fait la rencontre, décisive pour sa carrière et son œuvre, de Samuel Jessurun de Mesquita. Ce dernier comprend le talent de Escher pour les arts graphiques et l’incite à abandonner l’architecture. Escher sera son élève jusqu’en 1922. Il effectuera ensuite de nombreux voyages à travers l’Europe, qui marqueront ses premières œuvres. Il décèdera le 27 mars 1972. L’œuvre Il s’agit d’une gravure sur bois sur papier Japon. Ses dimensions sont de 48,9 sur 50 cm. Georges Escher, à propos de cette œuvre, dit : « C’était l’une des gravures qui plaisaient le plus à mon père du point de vue esthétique ; il en aimait la composition, de même que la simplicité. » Travaux proposés Le tableau d’Escher vient éclairer un groupement de textes sur l’apologue, son sens et son fonctionnement. On étudiera la composition du tableau, le jeu des formes, du plein et du vide. L’étude débouchera sur l’importance du point de vue : l’illusion d’optique nous amène à considérer que notre regard est difficilement objectif. Comme l’apologue, ce tableau suppose une double lecture : le jeu formel qui aiguise la curiosité et la signification de ce jeu. Comme dans les apologues, c’est le degré premier de lecture qui nous amène à la réflexion. Zadig ou la Destinée – 43 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE – D. J. Adams, La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Nizet, 1974. – R. Barthes, « Le dernier des écrivains heureux », in Essais critiques, Le Seuil, 1964. – M. Clément, « Zadig ou la Destinée », in Histoire orientale de Voltaire, éd. de La Pensée moderne, 1972. – R. Mauzi, L’Idée du bonheur au XVIIIe siècle, Armand Colin, 1969. – R. Pomeau, Voltaire en son temps, Oxford, 1985-1994 (5 volumes). – R. Pomeau, L’Europe des Lumières : cosmopolitisme et unité européenne au XVIIIe siècle, Hachette, 1995. – J. Starobinski, Le Remède dans le mal : critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Gallimard, 1989. – J. van Den Heuvel, Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1983.