L`humain virtuel en neurosciences cliniques

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L`humain virtuel en neurosciences cliniques
L’humain virtuel en neurosciences cliniques
Evelyne Klinger1 et Isabelle Viaud-Delmon2
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Arts et Métiers ParisTech Angers-Laval
CNRS UMR 7593, Paris & IRCAM CNRS UMR 9912
1. Introduction
Les neurosciences cliniques constituent une discipline de pointe pour comprendre, évaluer et
traiter les dysfonctionnements cognitifs, comportementaux et moteurs, qui peuvent survenir
au cours de l’existence de l’être humain. Avec l’allongement de la durée de la vie (INSEE,
2003), l’incidence des maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer, Sclérose en
Plaques), des lésions cérébrales (accidents vasculaires cérébraux, traumatismes crâniens) ou
encore des pathologies comportementales, le risque d’apparition de ces troubles et leur prise
en charge constituent un problème de santé majeur.
La recherche en neurosciences cliniques s’intéresse à l’intégration des technologies
innovantes, dont la réalité virtuelle, pour la conception d’outils d’évaluation et de rééducation.
Une revue des applications de la réalité virtuelle en psychothérapie, en neuropsychologie, et
en rééducation cognitive et motrice peut être consultée dans le volume 4 du Traité de la
Réalité Virtuelle (Klinger et al, 2006b). Lors de la création des environnements virtuels
impliquant les participants dans des tâches cognitives et/ou sensorimotrices, la question de la
représentation du participant et celle du peuplement de l’environnement se posent.
L’humain virtuel prend en effet progressivement place dans les paradigmes de recherche qui
sont élaborés en neurosciences cliniques. Sa présence est parfois fortuite et liée à l’utilisation
de technologies existantes. Elle est le plus souvent raisonnée et caractérisée par la
représentation de l’utilisateur (son avatar) ou d’autres intervenants (des humanoïdes).
Le corps du participant immergé en réalité virtuelle représente le lien entre le monde physique
et le monde virtuel (Viaud-Delmon, 2007). Dans certaines conditions, choisir d’ignorer ce lien
en ne le faisant pas figurer visuellement dans le monde virtuel représente un conflit. Prenons
l’exemple d’un patient que l’on expose à un paysage vertigineux dans un visiocasque. Il se
peut qu’il éprouve le besoin, pour regarder le fond du précipice, de trouver un appui. On peut
alors avoir prévu à cet effet une balustrade dans l’environnement physique du sujet, sur
laquelle le patient pourra prendre appui. Si la balustrade est représentée dans le monde virtuel,
ce choix implique de représenter également les mains du sujet s’appuyant sur la balustrade.
Sans cela, un conflit s’en suivrait : le patient verrait et sentirait ses mains posées sur une
balustrade dans le monde virtuel, sans que celles-ci ne soient figurées dans l’environnement
virtuel. En imaginant que l’on puisse représenter avec précision le corps humain dans le
monde virtuel, une des limites sera toujours que ce qui y est figuré n’est qu’un modèle du
corps. Ainsi, choisir de représenter le corps du sujet dans le monde virtuel peut présenter
beaucoup de difficultés afin d’éviter les écueils des conflits sensoriels et cognitifs.
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Le travail sur les avatars et les humanoïdes favorise la mise en œuvre d’études en psychologie
sociale (Loomis et al, 1999). De nombreux avatars peuplent les mondes virtuels online qui
sont déjà devenus des plates formes expérimentales à taille massive. Avec les humanoïdes, la
réalité virtuelle permet de mettre en place des paradigmes nouveaux pour l’étude de la
cognition sociale en neurosciences. Elle rend possible des expériences en imagerie cérébrale
ou comportementales, afin, entre autres, de tester les processus engagés dans notre habilité à
comprendre les autres, à expliquer et anticiper le comportement des autres. Les humanoïdes
élicitent une facilitation sociale et un comportement de proximité (Bailenson et al, 2001). Ils
permettent de mettre en place des situations expérimentales dans lesquelles il est possible de
contrôler l’apparence et l’action d’autrui, en isolant les facteurs que l’on veut manipuler (par
exemple, si on veut regarder uniquement l’impact du poids sur la présence sociale, il suffit de
garder le même humanoïde et d’en faire varier le poids). On peut modifier, contrôler et
manipuler certains traits comportementaux de l’humanoïde, pouvant avoir une influence
particulière sur l’interaction (Bailenson and Yee, 2005; Freeman et al, 2005).
Nous allons présenter dans ce chapitre une revue des travaux et applications mettant en jeu
des avatars et humanoïdes. Cette liste ne se prétend pas exhaustive, les travaux évoluant très
vite dans ce domaine en pleine extension, mais propose un guide afin d’ouvrir une réflexion
sur les avantages, inconvénients et limites de l’utilisation d’humains virtuels pour les
neurosciences cliniques.
2. Représentation des avatars et de humanoïdes
Un avatar est la représentation de l’utilisateur dans l’environnement virtuel. Au niveau
graphique, cette représentation peut être choisie très proche ou plus éloignée de l’utilisateur :
par exemple, une photo plaquée sur un objet 3D, ou un agent 3D avec un visage proche de
celui de l’utilisateur, ou un humain virtuel quelconque, ou même seulement une portion du
corps de l’utilisateur. Au niveau comportemental, mouvements et comportements de l’avatar
peuvent être couplés à ceux de l’utilisateur. Un humanoïde est un humain virtuel peuplant le
monde virtuel et ne représentant pas l’utilisateur.
En neurosciences cliniques, la représentation des avatars et des humanoïdes varie en fonction
des techniques utilisées qui vont des images simples aux humains 3D animés et dotés de
comportements en passant par des vidéos. Ces représentations peuvent être caractérisées en
fonction de leur réalisme visuel, de la présence ou non d’expressions faciales ou corporelles,
de comportements, et enfin des possibilités d’animation temps réel. Selon la technologie
utilisée, la création de ces humains virtuels est plus ou moins longue, difficile et coûteuse. Le
choix de la représentation dépendra de la tâche dans laquelle sera impliqué le patient. Par
exemple plus l’attention du patient sera concentrée sur l’humain virtuel, plus le réalisme
visuel de l’humain virtuel devra être élevé.
Par analogie avec la question de la fidélité visuelle, se pose la question du réalisme
comportemental. Le choix des comportements dépendra de l’interaction clinique souhaitée
avec l’humain virtuel. Plus l’interaction clinique avec l’humain virtuel sera complexe, plus le
patient se concentrera sur les aspects cognitifs de l’humain virtuel ; ce dernier devra donc être
doté de capacités d’interaction sociale de haut niveau (parole, apprentissage, prise de
décision). Moins l’interaction clinique avec l’humain virtuel est élevée et plus le patient va se
concentrer sur le comportement physique de l’humain virtuel (mouvements, langage corporel
expressions faciales).
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3. Utilisation des avatars
Lorsqu’un avatar est utilisé, le sujet doit se projeter dans l’avatar et l’accepter comme une
partie de son corps identifié. Dans le cas où les mouvements du corps de l’utilisateur sont
couplés à ceux de l’avatar, le schéma corporel de l’utilisateur pourra être malmené : les
propriétés du corps de l’avatar peuvent difficilement reproduire en temps réel les propriétés
biomécaniques du corps de l’utilisateur (dans le cas où le sujet serait complètement couplé à
l’avatar via des capteurs sur chacun de ses segments corporels). Même si l’utilisateur est
partiellement représenté dans l’environnement virtuel (son bras ou sa main), les mouvements
de son avatar devront respecter certaines primitives de bases ne violant pas les seuils
perceptifs au-delà desquels le sujet ne serait que spectateur des mouvements du corps de
l’avatar censé le représenter. Dans le cas où le sujet commande son avatar avec une interface
(clavier, souris, …) certaines de ses perceptions ne correspondent pas aux mouvements de son
avatar (Grumbach, 2003). Si par exemple la commande est faite avec un levier, il perçoit des
stimuli proprioceptifs associés à la main, alors qu’il voit bouger les jambes de son avatar.
Cette conjonction inhabituelle de perceptions peut être difficile à gérer.
La présence d’un avatar dans l’environnement 3D permet de réaliser que les conflits générés
par la réalité virtuelle ne sont pas seulement de l’ordre du sensoriel. Ils proviennent également
d’une incohérence entre l’intention et les conséquences sensorielles de l’action. Les
conséquences sensorielles d’une action sont en effet comparées en permanence avec les
prédictions sensorielles faites par rapport à cette même action. La "sensation" provient de la
comparaison entre les conséquences sensorielles de l’acte et les prédictions sensorielles. C’est
l’absence de copie efférente qui distingue le mouvement propre du mouvement de quelqu’un
d’autre. Au niveau neuronal, cela s’accompagne d’une atténuation de la stimulation
sensorielle dans la région cérébrale traitant la modalité sensorielle concernée. Par ailleurs,
nous savons, depuis les travaux pionniers de Johansson, que nous sommes sensibles au
mouvement biologique (Johansson, 1973). Nous sommes en effet capables de reconnaître les
mouvements naturels du corps en les identifiant d’après des patrons ambulatoires. Johansson a
démontré que visualiser des points lumineux attachés aux articulations d’un corps en
déplacement est suffisant pour reconnaître la nature biologique d’un mouvement. Si un avatar
ne respecte pas le mouvement biologique, il est possible que le participant ait plus de
difficultés à s’identifier à celui-ci.
Le couplage cognitif de l’avatar au sujet propre requiert une acceptation basée non seulement
sur la précision du rendu des mouvements, mais également sur une acceptation de l’image du
participant, devant coller à son image propre. On veut en effet que le sujet s’identifie à
l’avatar plutôt qu’il le perçoive comme un humanoïde ou l’avatar d’un autre participant.
Les applications utilisées en psychopathologie clinique font en général appel à un visiocasque
et isolent le corps du patient dans le monde physique : le patient ne peut plus se percevoir
visuellement. En conséquence, si le visiocasque est couplé à un capteur des mouvements de la
tête, l’utilisateur voit le sol virtuel en baissant la tête mais ne voit pas ses pieds sur le sol
virtuel. Il peut mettre la main devant son visiocasque mais ne la voit pas. Son corps est
temporairement négligé en ce qu’il n’est plus accessible au système visuel. Si l’application
prend le parti de représenter le corps du sujet dans l’environnement virtuel pour qu’il puisse
voir ses pieds s’il regarde par terre, il faudra se demander comment on représentera celui-ci :
doit-on scanner le sujet pour que son image fidèle soit incluse dans l’environnement virtuel,
respectant ainsi son image du corps ? Doit-on au contraire le représenter de la façon la plus
générique possible afin qu’il puisse s’y projeter facilement ? Pour toutes ces raisons, la
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plupart des applications du domaine de la psychiatrie choisissent de ne pas représenter le
corps, alors que le point de vue est à la première personne.
Une solution contournant le problème de la modélisation de l’avatar est celle des applications
dans lesquelles l’image miroir du patient sert d’avatar. Si cette technique ne pose aucun
problème au niveau de l’acceptation de l’image, elle peut néanmoins présenter certaines
difficultés au patient, comme des sensations d’ubiquité, cognitivement inhabituelles
(Grumbach, 2003).
3.1
Applications utilisant un avatar complet du participant
Perception de l’image corporelle
Les troubles alimentaires sont des troubles cliniques caractérisés par une conduite altérée visà-vis de la nourriture qui est marquée par les efforts nécessaires que les personnes doivent
prodiguer pour maintenir leur poids et leur silhouette. Ils sont accompagnés de troubles de
l’image corporelle, autrement dit les patients concernés ont, imprimée dans leur esprit, une
image déformée de leur corps. Afin d’aider les patients à corriger ces troubles de l’image
corporelle des démarches fondées sur la réalité virtuelle et utilisant des humains virtuels ont
été menées depuis une dizaine d’années. Le système VEBIM – Virtual Environment for Body
Image Modification propose un traitement fondé sur la réalité virtuelle pour la thérapie de
l’image du corps chez des personnes souffrant notamment d’obésité (Riva, 1997a). Grâce à
l’échelle BIVRS – Body Image Virtual Reality Scale, le système propose initialement aux
patients d’une part de reconnaître leur avatar dans des silhouettes 3D différentes en taille et en
poids, et d’autre part d’identifier la silhouette qu’ils jugent idéale (Riva, 1997b). La
divergence entre les deux choix est une indication de leur niveau d’insatisfaction. L’utilisation
d’humains virtuels 3D permet au sujet de mieux percevoir les différences entre les silhouettes,
principalement pour certaines zones du corps (estomac, hanches, fesses). Un certain niveau de
réalisme visuel est nécessaire pour permettre la discrimination entre les silhouettes, pour
percevoir leur évolution au cours du traitement.
Rééducation avec utilisation de l’image miroir
Les technologies de la réalité virtuelle présentent de nombreux atouts pour la rééducation
(Rizzo and Kim, 2005), en particulier celles fondées sur la capture vidéo. Elle permet au
participant de se voir à l’écran, dans l’environnement virtuel, et c’est avec le « reflet » de ses
mouvements dans l’environnement que le participant effectue la tâche. L’image vidéo temps
réel, sur l’écran, du participant répond exactement aux mouvements, conduisant à un degré
accru du réalisme de l’expérience virtuelle et de la sensation de présence. Le système
GestureTek’sGX (http://www.gesturetekhealth.com) a été développé à partir de ces principes.
Il prend une image vidéo du participant, utilise un logiciel de soustraction de couleur pour
éliminer le fond monochrome et insère le participant dans un environnement virtuel dans
lequel il a la possibilité d’interagir avec des objets. Par exemple, le participant va toucher des
ballons qui vont se transformer en oiseaux ou exploser selon la brutalité de l’action, avec un
feedback sonore approprié pour chaque action.
Ce système est utilisé en rééducation motrice et cognitive ; il permet de développer des
activités fonctionnelles et de proposer des possibilités de loisir (Weiss et al, 2004). La
présence de l’avatar du participant intervient dans l’efficacité du système :
- L’image en miroir du participant augmente le réalisme de la situation virtuelle et la
sensation de présence. Le feedback temps réel sur la posture et la qualité des
mouvements est comparable à l’usage d’un feedback vidéo en thérapie traditionnelle.
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L’interaction intuitive avec la tête, le tronc, ou les membres permet de mettre en place
des interventions globales (avec tout le corps) ou spécifiques (avec certaines parties du
corps comme les mains). Dans ce dernier cas, la main du participant est gantée de
rouge afin d’être identifiée par le système.
- Plusieurs utilisateurs peuvent participer à l’expérimentation, leurs avatars pouvant être
rivaux dans l’interaction. Mais l’aspect le plus important est que le thérapeute peut
aider le patient dans ses gestes ou ses interactions, et au besoin faire apparaître son
avatar dans l’environnement virtuel.
Des exercices interactifs basés sur l’image miroir peuvent également être pratiqués facilement
à l’aide de jeux commerciaux, comme EyeToyTM sur PlayStation® Sony (Jannink et al,
2008). Le feedback visuel du corps du patient, qui est incorporé dans le jeu, renforce le
contrôle dynamique de l’action. Ces exercices facilitent la mise à jour des informations
sensorielles et résultent en une adaptation appropriée de la posture. Ce type d’exercices évite
la situation décorporalisée de la réalité virtuelle. Ils permettent de diriger l’attention du patient
sur les effets de leurs mouvements sur l’environnement, et ainsi, de les détacher de
l’exécution elle-même du mouvement. De plus, la capture vidéo du corps et le retour visuel de
celui-ci renforcent l’expérience consciente d’être un agent, à l’origine de ses actions, et
fournissent à ce titre un outil intéressant pour travailler avec des patients ayant des
pathologies relevant du spectre schizophrénique (voir chapitre Schizophrénie et autisme de ce
même livre et (Viaud-Delmon, 2007)).
Interventions fonctionnelles avec utilisation de l’image miroir
Dans l’objectif de mettre en place des activités de rééducation fonctionnelle, le VMall a été
développé à partir du système GestureTek’sGX précédemment décrit (Rand, 2007). Le VMall
est un supermarché virtuel 2D dans lequel les participants se voient en miroir, et réalisent une
tâche fondée sur l’acquisition de quatre items. Ils interagissent avec leur main gantée de rouge
dont les mouvements sont identifiés par le système. Ils sélectionnent les items et se déplacent
dans l’environnement en pointant vers des icônes spécifiques. Ce système, qui ne nécessite
que des gestes grossiers, encourage par ailleurs les mouvements d’épaule et de coude
correspondants à la main atteinte. Il mêle ainsi les objectifs cognitifs liés à la tâche à des
objectifs moteurs.
Dans une autre étude (Weiss et al, 2003), cette équipe de l’Université de Haïfa a exploré
l’intérêt de cette technologie dans le divertissement des enfants retardés mentaux et moteurs,
afin notamment de les faire bouger, de limiter leur prise de poids due à l’inactivité. Les
enfants sont impliqués dans divers jeux comme le football où ils jouent le rôle du gardien de
but. L’intégration de leur avatar en miroir étend les potentiels du feedback par image miroir
puisque le participant prend non seulement plaisir à jouer, mais il s’observe également
prenant ce plaisir.
Mais certaines limites de l’usage de l’image miroir peuvent être évoquées, notamment
l’absence de feedback haptique lors du toucher des entités 3D, la nécessité d’interagir dans un
plan 2D (la profondeur n’étant pas mesurée) ou encore la difficulté pour certains patients de
se repérer avec leur avatar en miroir.
3.2
Applications utilisant un avatar partiel du participant
Mise en relation du participant avec une entité virtuelle
Nous l’avons déjà dit, très peu d’applications thérapeutiques en psychiatrie utilisent des
représentations du corps du patient. L’une d’entre elles concerne l’arachnophobie. Un
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cyberglove1 est utilisé permettant de coupler les mouvements de la main du sujet à une
représentation visuelle de cette dernière dans l’environnement virtuel (Carlin et al, 1997). Ici,
la représentation visuelle de la main permet de mettre en relation l’araignée virtuelle visuelle
et une fausse araignée équipée d’un capteur lorsque la patiente tente d’attraper l’araignée
virtuelle. Cette méthode de réalité mixte permet de fournir des indices tactiles à moindre coût,
et ainsi d’augmenter le nombre de modalités sensorielles stimulées pendant l’immersion. Les
risques non discutés de cette immersion sont ceux de la représentation partielle de la patiente,
aussi bien en terme de distorsion de l’image du corps au cas où le rendu visuel n’est pas précis
(sensation d’allongement du bras par exemple), qu’en terme de présence (mais peut-être est il
moins coûteux émotionnellement pour la patiente de ne visualiser qu’une main qui se
promène en l’air plutôt que tout un membre qui serait en effet rattaché à son corps).
Travail en imagerie mentale
Observer une action dans le but de l’imiter est un processus naturel de l’apprentissage moteur
chez l’enfant et chez l’adulte. Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale chez
l’homme et d’électrophysiologie chez le singe ont montré un large recouvrement des
activations du cerveau produites lors de l’observation ou de l’exécution d’un même geste
(activation des neurones miroir). Les afférences visuomotrices représentent donc un des
feedbacks principaux pour la mise en œuvre des commandes motrices. Différents groupes de
chercheurs travaillent sur le développement de techniques de rééducation reposant sur une
modification des afférences visuelles (Giraux and Sirigu, 2003; Gaggioli et al, 2006; Eng et
al, 2007). Pour la rééducation d’une hémipléglie complète du membre supérieur, le patient
s’entraîne à effectuer mentalement des mouvements avec son bras déficitaire tout en
observant à l’écran les mouvements d’un avatar de ce même bras. L’avatar peut être constitué
grâce à un film inversé du bras sain du patient (Giraux and Sirigu, 2003), ou bien grâce à un
bras modélisé en 3D et réagissant en temps réel (Gaggioli et al, 2006; Eng et al, 2007). Les
résultats de ces premières études montrent que la visualisation de mouvements illusoires du
membre paralysé induit une activation des zones endommagées du cortex moteur.
Feedback visuel augmenté
Des chercheurs de l’Université Rutgers aux USA ont développé des dispositifs de
réalité virtuelle dédiés à la rééducation orthopédique des doigts (Merians et al, 2002). Les
exercices proposés avec le Cyberglove visent à améliorer l’amplitude, la rapidité et le
fractionnement des mouvements. Des feedbacks tactiles, visuels et auditifs sont fournis en
temps réel au participant alors qu’il est impliqué dans des tâches virtuelles, et parmi les
feedbacks visuels l’avatar de sa main. La main virtuelle reproduit, dans une tâche, les
mouvements des doigts de la main réelle. L’intérêt de la procédure en rééducation réside dans
la possibilité d’apporter au participant un retour augmenté sur sa performance : même si les
gestes du patient sont limités, le feedback va être adapté à ses capacités initiales et aux efforts
qu’il a développés dans la tâche. A la fin de la séance, un résultat globalisé est proposé sous
forme d’échelle visuelle. Ces dispositifs sont notamment testés avec des patients ayant subi un
accident vasculaire cérébral afin de leur permettre de recouvrer leur dextérité perdue et par la
suite leur autonomie.
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Le CyberGlove est un gant qui permet, à l'aide de capteurs flexibles de mesurer de manière précise la position
et le mouvement des doigts et du poignet. Immersion Technologies Inc, 801 Fox Ln, San Jose, CA 95131.
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4. Des humanoïdes, dans quel but ?
Un des défis que doivent relever les chercheurs et développeurs intéressés par les thérapies
fondées sur la réalité virtuelle est d’améliorer l’efficacité thérapeutique des systèmes de
réalité virtuelle proposés. L’objectif va notamment être d’augmenter la pertinence de la
situation simulée et le niveau de présence du participant. L’être humain est un être social,
impliqué dans ses activités de vie quotidienne dans des rapports avec d’autres êtres humains
dont il analyse les dispositions et intentions. Les traitements des informations sensorielles
nécessaires à cette analyse vont définir la perception sociale de l’individu. Le peuplement des
mondes virtuels avec des humanoïdes et/ou la création d’interactions sociales avec ces
humanoïdes vont permettre d’ajouter cette composante humaine dans les expériences en
réalité virtuelle dans des perspectives de compréhension du comportement humain ou de
traitement de troubles.
L’objectif en neuropsychologie est d’étudier ou de réentraîner le participant dans des activités
de la vie quotidienne. Dans le monde réel, nos comportements, nos actions et nos
performances sont influencés par la présence ou non de personnes dans notre entourage
proche ou lointain. Par exemple si nous réalisons une tâche aisée et que quelqu’un est à nos
côtés, nous aurons tendance à mieux réaliser cette tâche que si nous étions seul. Par contre,
dans le cas d’une tâche difficile, l’effet sera inverse ; nous la réaliserons moins bien. Ce
phénomène qui s’appelle la facilitation sociale, est également décrit lorsque nous réalisons
une tâche en présence d’un humain virtuel (Park and Catrambone, 2007).
Plusieurs études menées avec des humanoïdes ont également permis de démontrer
expérimentalement le rôle de l’imitation dans la communication (voir chapitre sur l’autisme et
la schizophrénie de ce volume). Il y a synchronisation des indices non-verbaux dans
l’interaction. L’imitation facilite l’affiliation et le comportement pro-social, et inversement,
l’imitation augmente avec les objectifs d’affiliation. Ces comportements sont aussi bien
intentionnels qu’automatiques. L’imitation est très importante pour la communication, et
permet la synchronie interactionnelle. La fonction sociale de l’imitation est décrite par
« l’effet caméléon ». Par exemple, une étude chez des sujets normaux a démontré qu’un
humanoïde est jugé plus positivement s’il reproduit les mouvements de la tête du participant
(avec un délai de 4 sec) quand il parle, plutôt que ceux d’un autre interlocuteur (Bailenson and
Yee, 2005).
L’introduction d’humanoïdes dans des tâches thérapeutiques virtuelles est donc pertinente,
d’autant qu’une scène virtuelle, aussi belle soit-elle, ne semble pas complète si elle n’est pas
peuplée d’humains virtuels, ces humains virtuels pouvant jouer différents rôles (collègues,
professeurs, interlocuteurs, simples figurants, …).
4.1
L’humanoïde pour peupler
De nombreux travaux relatent l’intégration d’humanoïdes pour évoquer la perception sociale
dans les environnements virtuels. Leur présence ajoute du réalisme à la situation de vie
quotidienne simulée, mais la tâche dans laquelle est impliqué le participant ne nécessite pas
d’interaction avec eux. Nous avons retenu deux exemples évocateurs des technologies
utilisées.
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Dans leur travail sur l’évaluation des déficits de l’attention chez les enfants hyperactifs, Rizzo
et al. ont développé une classe virtuelle et l’ont peuplée d’humanoïdes (Rizzo et al, 2004).
Comme dans toute classe, une maîtresse intervient pour donner les consignes, évoluer entre
les élèves, accueillir d’éventuels visiteurs. Des élèves sont assis à leur table, travaillent ou
bavardent et chahutent avec leurs voisins. Tous ces humanoïdes 3D sont ainsi dotés de
comportements très réalistes, et vont participer à détourner l’attention de l’enfant évalué.
Le VAP-S (Virtual Action Planning Supermarket) est un supermarché virtuel dédié à
l’exploration des fonctions exécutives (Klinger et al, 2006a), dans lequel le participant est
invité à faire des courses. Des humanoïdes, représentés par des 3D Sprites, jouent le rôle de
vendeurs, de caissières, ou encore d’acheteurs. Les interactions avec ces personnages sont
limitées, leur rôle étant principalement de peupler les lieux.
4.2
L’humanoïde pour jouer le rôle du thérapeute
- Troubles du langage
L’apprentissage du langage est un domaine privilégié pour investiguer l’intérêt des
humanoïdes virtuels (Cole et al, 2003). Un thérapeute virtuel 3D, dont on ne voit que la tête
dotée d’animations, réapprend aux personnes à prononcer, articuler, ou encore placer sa
langue. Ce thérapeute-professeur personnalise les thèmes abordés, engage les participants
dans des conversations et les encourage dans leurs efforts. Alors qu’il est capable d’exprimer
des émotions, ses expressions et mouvements imitent ceux des experts dans ce type de
thérapies. Ces techniques de travail sur le langage sont notamment mises en œuvre avec les
patients aphasiques ou les patients parkinsoniens. Elles permettent des traitements
individualisés, fréquents et peu onéreux.
- Rééducation motrice
Certaines applications cherchent à mêler les deux types d’humains virtuels (avatars et
humanoïdes) et à fusionner diverses de ses caractéristiques sociales. Ainsi ce travail qui vise à
induire chez le patient une sensation d’immersion émotionnelle et sociale alors qu’il interagit
avec un thérapeute virtuel qui conduit les exercices thérapeutiques (Morales-Rodriguez and
Pavard, 2007). Le contexte est celui de la rééducation motrice après accident vasculaire
cérébral. La séance virtuelle est une situation triadique dans laquelle le patient voit en même
temps les avatars de ses mains et un thérapeute virtuel. Les mains réelles handicapées du
patient sont cachées. Le thérapeute virtuel donne au patient des instructions sur la tâche à
effectuer et le patient voit les avatars de ses mains exécuter des gestes dans le monde virtuel.
Le rôle du thérapeute virtuel est de guider le patient dans ses exercices, de l’encourager et de
le motiver. L’animation du thérapeute virtuel prend en considération un modèle émotionnel et
intentionnel de la relation patient-thérapeute. Ainsi, en fonction du cours de la séance, le
thérapeute virtuel peut être neutre ou empathique, directif ou suggestif, attentif ou détaché, …
L’objectif est une amélioration de la rééducation via l’imagerie motrice mais également par
l’immersion sociale et émotionnelle produite par l’interaction avec le thérapeute virtuel.
4.3
Tester l’interaction avec l’humanoïde
- Paradigme de Milgram
Cette étude s’intéresse au comportement social du participant dans une situation virtuelle
(Slater et al, 2006a), même si elle reprend le paradigme de Milgram dont l’objet d’étude est
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l’obédience. Dans ce protocole, le participant est prévenu qu’il participe à une expérience
testant une procédure d’apprentissage. Un humanoïde a appris une liste de mots. Quand il se
trompe, le participant doit le lui dire et lui administrer un choc électrique. A chaque nouvelle
erreur, le voltage du choc doit être augmenté. L’humanoïde, représentant une femme, réagit à
chaque choc et proteste de plus en plus, en finissant par demander d’arrêter l’expérience.
Alors que les participants sont immergés dans la situation expérimentale virtuelle en se situant
dans un CAVE, deux conditions sont testées : le participant a un retour visuel et auditif de
l’humanoïde, ou bien un rideau est placé devant ce dernier, et l’interaction entre les deux ne
se fait que par une interface graphique.
La plupart des études sur l’interaction sociale se concentrent sur des situations où les
participants réagissent à des comportements des humanoïdes plutôt que d’initier des
interactions avec les humanoïdes. A ce titre, cette étude semble assez unique. On demande au
participant d’effectuer des actions qui vont causer de la douleur à un humanoïde. Le
comportement du participant a des conséquences pour la condition de l’humanoïde, qui
pourraient être dangereuses s’il s’agissait d’une vraie personne. Le background de l’étude est
finalement la présence. Est-ce que les participants ont suffisamment de présence pour
s’impliquer totalement dans l’expérience et la trouver insupportable ? Le comportement des
participants indique qu’ils tentent d’interagir avec l’humanoïde pour l’aider. Ils répètent la
question, donnent des indices de réponse… Tout se passe comme s’il s’agissait d’une
interaction réelle pour eux, surtout dans la situation où ils ont un contact visuel et auditif avec
l’humanoïde.
- Etudes des comportements en jeu dans l’idéation paranoïaque
Le groupe de Daniel Freeman, au King’s College London, mène depuis quelques années des
études impliquant des humanoïdes, afin d’étudier les réactions des participants immergés.
Dans une première étude, le sujet rencontre cinq humanoïdes ayant des caractéristiques
émotionnelles neutres dans un environnement virtuel représentant une bibliothèque. Les
humanoïdes peuvent se parler entre eux et éventuellement sourire si on les regarde.
L’important ici, c’est que les participants attribuent des états mentaux à des personnages
virtuels, donc aussi des intentions. Cette première étude a permis de conclure qu’il existe une
vulnérabilité à percevoir des intentions persécutrices chez les humanoïdes, qui est liée à
l’anxiété et la sensibilité interpersonnelle (les deux étant associées au trait de paranoïa).
(Freeman et al, 2003)
Dans un nouveau paradigme, l’équipe a cette fois-ci utilisé un CAVE et un environnement
virtuel représentant le métro de Londres. Les sujets sont immergés pendant quatre minutes
dans un métro peuplé de vingt humanoïdes. L’immersion couvre un voyage entre deux
stations, avec un arrêt entre les deux. Les humanoïdes regardent autour d’eux et changent
leurs expressions, mais en n’étant jamais ouvertement amicaux ou hostiles. L’environnement
virtuel est conçu dans un objectif de neutralité.
Une échelle visuelle analogique mesure l’anxiété avant et après l’immersion, ainsi que le côté
plaisant de l’immersion. Un questionnaire est mené pour évaluer la persécution, la neutralité
et la positivité ressentie par rapport aux humanoïdes, en plus d’un questionnaire d’immersion.
La persécution ressentie par rapport à l’environnement virtuel est prédite par la paranoïa,
l’anxiété, le stress et l’immersion entre autres (Valmaggia et al, 2007).
Lors d’une étude plus récente encore, les auteurs ont inclus 200 sujets afin de pouvoir
travailler sur les prédicteurs de la paranoïa dans la population générale. Le mouvement des
humanoïdes est créé par motion tracking, afin que celui-ci soit très réaliste. Il y a même une
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approximation de la respiration et une randomisation de la direction du regard. Les
comportements sont répétés pendant les quatre minutes de la séance. Cette fois-ci, le
participant est immergé via un visiocasque. Les mesures liées à la réalité virtuelle et les
mesures liées à la personnalité permettent de suggérer que jouer à des jeux vidéo est un fort
prédicteur de la pensée paranoïde. Il est possible que dans le cas de participants ayant une
activité de jeu régulière, ceux ci traitent plus facilement les humains virtuels comme étant
réels et non comme étant de simples humanoïdes, comme si les humains virtuels étaient des
avatars représentant d’autres joueurs (Freeman et al, 2008).
- Déviance sexuelle (Renaud et al, 2008)
Dans le contexte de l’observation des déviances sexuelles, il a été montré qu’il existe une
corrélation positive entre l’intérêt sexuel et le temps d’observation passé à regarder une
personne. Les protocoles classiques, qui utilisent l’observation de photos de sujets réels, sont
critiqués du fait qu’ils entraînent une victimisation des enfants. C’est ainsi que les humains
virtuels ont fait leur apparition dans ce domaine (Renaud et al, 2008), et ont permis d’exclure
ces problèmes éthiques. Des humanoïdes (hommes, femmes, ou enfants) animés d’une
gestuelle neutre sont présentés au participant en situation totalement immersive dans un
CAVE. Réponse sexuelle et tracking des yeux sont mesurés dans l’objectif de comprendre les
processus moteurs et perceptifs impliqués dans le contrôle de la réponse sexuelle.
4.4
L’humanoïde pour provoquer une réaction émotionnelle à visée thérapeutique
- Phobie sociale
La phobie sociale, ou peur du jugement et de l’évaluation de la part d’autrui, est soignée par
les Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC) grâce à l’exposition à des situations
anxiogènes. Dans le cadre du projet européen Vepsy- Telemedicine and Portable Virtual
Environments in Clinical Psychology (Klinger et al, 2005), les mondes ont été peuplés de
personnages virtuels représentés par des 3D Sprites, c’est-à-dire de simples photos prises dans
des situations de vie quotidienne, plaquées sur des objets 3D et contraintes à toujours regarder
la caméra. Le patient est représenté dans le monde virtuel par une caméra subjective, de sorte
que tous les humanoïdes du monde regardent la caméra, donc le patient. Ces humanoïdes au
réalisme comportemental très médiocre, géré par le thérapeute, se retrouvent dotés de
réalisme fonctionnel puisque les phobiques sociaux ont tendance à croire que tout le monde
les regarde à tout moment. Ils sont efficaces au niveau thérapeutique puisqu’ils sont capables
de susciter des émotions négatives chez les patients phobiques sociaux (Klinger, 2006).
Une composante de la phobie sociale est la peur de parler en public. Dans les situations
d’exposition, le patient est placé devant une audience pour se présenter ou faire un exposé.
Ces audiences sont parfois représentées par des séquences vidéo pré-enregistrées, gérées par
le thérapeute qui permet ainsi une graduation de leur attitude (sympathique, neutre, agressive)
(Harris et al, 2002). Cette solution permet d’améliorer le réalisme comportemental des
humanoïdes, mais n’est pas sans présenter des difficultés techniques au niveau de
l’harmonisation du séquençage des séquences vidéo. Elle est efficace au niveau de l’excitation
physiologique et émotionnelle des patients.
Les audiences ont également été représentées par des humanoïdes 3D dotés d’expressions
faciales et gestuelles (Slater et al, 2006b). Les premiers travaux (Pertaub et al, 2002) ont
montré que les réponses des participants à des audiences statiques ou positives sont
10
positivement et significativement corrélées à leur peur de parler en public. Les participants
doivent donner une présentation de cinq minutes à des audiences virtuelles de huit
humanoïdes masculins. Plusieurs conditions sont opposées : une audience neutre (statique),
positive (amicale et appréciative), et négative (hostile et expressions d’ennui). Les avatars
sont animés et ont des comportements autonomes. Ils acquiescent de la tête et clignent des
yeux, en plus d’avoir des expressions faciales et posturales. Pour l’audience négative par
exemple, les humanoïdes baillent, détournent la tête du participant, dorment et peuvent même
quitter la pièce. Ils font également des commentaires verbaux, positifs ou négatifs. Alors que
les participants savent et ont conscience qu’ils sont devant un auditoire virtuel, celui-ci
provoque une forte anxiété lorsqu’il est animé de comportements négatifs.
Tous ces travaux cités montrent donc que les personnes réagissent à des humains virtuels
conformément à leurs modes de réaction dans la vie réelle. Dans le cas des patients phobiques
sociaux, les réactions sont fortes malgré la faiblesse du réalisme visuel et du réalisme
comportemental de ces humanoïdes.
- Addictions
La réalité virtuelle est également utilisée comme outil de conditionnement dans l’étude des
mécanismes comme celui de la peur ou dans le domaine de l’addiction aux substances
(cocaïne, alcool, tabac) (Saladin et al, 2006). L’exposition à des situations virtuelles
appropriées permet de générer la sensation de manque chez les personnes dépendantes et de
mesurer leur réactivité à des signaux évocateurs. Le conditionnement est obtenu en
confrontant le participant à des scènes dans lesquelles des humanoïdes sont engagés dans des
comportements en rapport avec la prise de substances : comportements en rapport avec une
prise excessive de cocaïne (vomissements, agitation), interpellation du participant pour lui
vendre de la cocaïne ou lui proposer de fumer, échanges de drogue entre humanoïdes, … Des
échelles visuelles analogiques sont proposées au participant pour mesurer son état de manque
tandis que des capteurs permettent de mesurer la variation de son état physiologique.
L’objectif final de ces travaux est d’introduire les technologies de la réalité virtuelle dans la
thérapie par exposition à des signaux évocateurs, comme des humains virtuels.
5. Discussion et conclusion
Les travaux et applications que nous avons introduits dans ce chapitre permettent de
comprendre la variété et l’intérêt de l’utilisation des humains virtuels en neurosciences
cliniques. Si cet usage apparaît encore limité et n’exploite pas encore tous les potentiels des
humains virtuels, il est amené à s’amplifier, étant donnée l’implication grandissante des
humains virtuels dans nos activités liées à l’Internet (jeux comme Second Life, formation
avec l’apprentissage des langues ou de métiers, …). Avatars et humanoïdes jouent un rôle
particulièrement important dans ce qu’Alain Grumbach appelle la « cognition virtuelle ». En
situation virtuelle le sujet est amené à utiliser pleinement ses facultés cognitives qui « doivent
être reconsidérées, conjuguées au mode virtuel, de façon à bénéficier des possibilités
originales des mondes virtuels telles que l'immersion, la téléprésence, etc. Ces possibilités
peuvent être la source de défis cognitifs dans la mesure où elles placent l'humain dans des
conditions cognitives inhabituelles pour lui. » (Grumbach, 2003).
La mise en présence d’un sujet avec son avatar est un exemple de condition inhabituelle. Pour
le patient, l’intérêt de cette mise en situation se situe tout d’abord dans la création de
nouveaux paradigmes d’exploration de son image corporelle et de son schéma corporel,
comme le travail sur l’image du corps pour les troubles alimentaires ou l’observation de soi
11
agissant en miroir. Il se situe également pour l’entraînement au niveau cérébral dans le
traitement des afférences visuomotrices à des fins de rééducation motrice, et sa manipulation
peut être faite dans des objectifs thérapeutiques.
Nous l’avons vu, l’identification de l’utilisateur avec son avatar résulte de la comparaison
entre l’intention de l’utilisateur et les conséquences de son action sur l’action de son avatar.
Un décalage dans la comparaison atténuera-t-il la sensation d’identification ? Ces décalages
peuvent se situer à différents niveaux : graphique, gestuel, comportemental, … Ils peuvent
également se situer à un niveau cognitif plus élevé, impliquant la non acceptation de la
représentation de soi à un niveau social : le corps de l’avatar ne ressemblant pas à celui du
participant, n’étant pas habillé de la même façon, étant trop générique, etc…. Toutes ces
difficultés font que les avatars ne sont pas encore communément répandus dans les
applications thérapeutiques pour les troubles comportementaux. Plus d’études devraient se
concentrer sur les facteurs facilitant l’identification du participant à l’avatar, surtout lorsque
celui-ci n’est pas qu’une représentation segmentaire du corps.
Concernant les humanoïdes, leur présence permet d’augmenter le réalisme des situations
virtuelles créées. En effet, les applications de réalité virtuelle menées à ce jour en
neurosciences cliniques ont pour objectif d’être écologiques, c’est-à-dire de simuler des
activités de vie quotidienne. Il est donc naturel de les peupler d’humains virtuels. Quel est par
exemple le réalisme d’une gare sans voyageurs ? Les questions récurrentes lors de
l’introduction d’humains virtuels dans des scénarios de neurosciences cliniques sont celle de
leur représentation visuelle et comportementale, et celle de leur communication et interaction
avec l’utilisateur. Les humanoïdes permettent la mise en œuvre d’interactions sociales et
contribuent à l’induction d’émotions, soit par leur présence, soit par les situations stressantes
qu’ils peuvent induire (mouvements de foule, blocage de passages, …). Les premières études
ont montré que des humains virtuels d’un réalisme limité pouvaient être efficaces (Klinger et
al, 2005). Des études plus récentes ont montré l’intérêt des humains virtuels perceptifs et
réactifs (Slater et al, 2006a). Nous pouvons sans nul doute penser que nous nous dirigeons, en
neurosciences cliniques, vers l’usage d’humains virtuels intelligents qui pourront être dotés de
diverses caractéristiques.
Des humanoïdes dotés de comportements autonomes, comme ceux simulant les mouvements
de foule, permettraient sans doute d’accroître encore le réalisme des situations dans lesquelles
sont immergés les participants. Cependant, à l’extrême, un humanoïde représentant une entité
complètement autonome pourrait être une limitation pour les paradigmes expérimentaux et les
situations d’immersion de patients, lors desquelles l’avantage majeur de la réalité virtuelle est
la maîtrise des paramètres composant la scène. Néanmoins, avoir la possibilité de paramétrer
les actions et réactions d’un humanoïde en fonction de l’attitude du participant ouvre la voie à
de nouvelles applications, comme dans le cas de l’imitation, en psychologie sociale, et dans
l’étude de toutes les pathologies comportementales présentant des troubles de l’intégration
sociale.
Ces humanoïdes pourront faire preuve d’autonomie (par des missions, des interactions avec
l’environnement virtuel et avec les autres humains virtuels), comme pour représenter une
foule dans une gare, intégrant toute la diversité des buts des passants. Ils devront donner le
sentiment qu’ils sont dotés de perception (voir l’humanoïde de l’expérience reprenant le
paradigme de Milgram), et ainsi augmenter l’impression du participant de se trouver en face
d’une personne qui agit et réagit de manière compréhensible. Il paraît également intéressant
que l’humain virtuel puisse « mémoriser » et surtout utiliser à bon escient ce qu’il a
12
mémorisé, par exemple qu’il connaisse la progression du patient dans la thérapie ou les
réponses du patient dans certains types de situations pour lui donner des feedbacks adaptés.
L’implémentation d’émotions dans les humains virtuels est un véritable champ de recherche
et de développement qui prend tout son sens en neurosciences cliniques du fait de
l’importance des émotions dans nos comportements et nos prises de décision, et du fait de
l’altération de la perception des émotions dans certaines pathologies. Enfin l’exploitation de la
communication du patient avec les humains virtuels peut être enrichissante ; elle est fondée
sur l’observation des expressions faciales et corporelles. Nous pouvons ainsi imaginer
communiquer aux humains virtuels un état émotionnel en rapport avec des variables
physiologiques mesurées en temps réel sur le patient. Envisager un pas de plus en permettant
une interaction tactile entre le patient et l’humain virtuel (par exemple celle de serrer la main
du thérapeute virtuel), est une étape présentant des difficultés majeures au niveau
technologique : pour l’instant les humanoïdes n’ont qu’une existence visuelle et tout au plus
auditive. Cependant, si ce pas en avant présente un intérêt, il présente également un risque
supplémentaire de déréalisation et de confusion entre le monde physique et le monde virtuel
pour des patients dont les frontières du réel sont déjà floues.
La représentation de l’homme dans les mondes virtuels, que ce soit par un avatar ou un
humanoïde, devrait sans doute constituer un domaine de recherche en soit dans les
neurosciences. Elle recouvre en effet des questions relevant de l’image du corps, du schéma
corporel, de l’agentivité et de la psychologie sociale. Ce domaine ne peut se faire en dehors
d’un cadre multidisciplinaire, impliquant des spécialistes de la réalité virtuelle au niveau
technologique, des chercheurs relevant des sciences de l’homme et de la société, et des
neurosciences.
13
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