MAGNOL BAT bon - Revue de Médecine Vétérinaire
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MAGNOL BAT bon - Revue de Médecine Vétérinaire
SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE Oeufs, pontes et comportement parental des Dinosaures ° J.P. MAGNOL et F. ° ESCUILLIÉ ° Professeur d’Anatomie Pathologique, École Vétérinaire de Lyon, B.P. 83, F-69280 Marcy l’Étoile °° Paléontologue, Rhinopolis, 6, rue Hettier de Boislambert, F-03800 Gannat RÉSUMÉ SUMMARY Il existe, au sein de dépôts continentaux datés le plus souvent du Crétacé Supérieur, en particulier dans le Sud de la France, le Nord de l’Espagne, mais aussi en Chine, en Mongolie (désert de Gobi), en Inde, en Amérique du Nord (Montana) et du Sud (Argentine), de riches gisements d’œufs de Dinosaures, «Reptiles» terrestres ovipares aux membres parasagittaux. L’étude des coquilles fossiles (microstructure en particulier) permet de définir plusieurs ootaxons (parataxonomie) et d’affiner le découpage stratigraphique des épaisses couches d’argiles rutilantes et de grès qui marquent, en particulier en France et en Espagne, le Mésozoïque finissant. Couplée à celle des caractéristiques des pontes (structurées ou non), des nids, des rares mais précieux embryons morts in ovo, elle suggère des hypothèses plausibles sur le comportement parental de ces animaux emblématiques et éclaire les causes, encore âprement débattues, de leur disparition. Dinosaur eggs, clutches and parental care. By J.P. MAGNOL and F. ESCUILLIÉ. Dinosaurs were Mesozoic land oviparous «Reptiles» with parasagittal members. Rich dinosaur egg deposits can be found within continental rocks from usually upper cretaceous, especially in the South of France, North of Spain, but also in China, Mongolia (Gobi desert), India, and in North (Montana) and South America (Argentina). The study of fossil egg shells (especially microstructure) allows to define several ootaxons (parataxonomy) and to refine the stratigraphical chronology of the thick and red clay and sandstone strata which characterize, especially in France and Spain, the end of Mesozoic. Associated to the study of the layings (structered or not), of the nests, and of the rare but precious in ovo embryos, it suggests possible hypotheses on the parental behaviour of these fascinating animals. In addition, it enlightens the causes of their disappearance which are still fiercely discussed. MOTS-CLÉS : œuf amniotique - coquille - comportement parental - Dinosaures. KEY-WORDS : amniotic egg - eggshell - parental care Dinosaurs. Les Dinosaures, «Reptiles» terrestres aux membres érigés, réussirent une formidable radiation, occupant toutes les terres émergées de l’Antarctique à l’Alaska et de l’Australie à l’Amérique du Nord et régnèrent pendant toute la durée du Mésozoïque (180 millions d’années). Ce succès, qui suivit la sortie des eaux originelles, les Vertébrés terrestres et parmi eux les Reptiles le durent, en particulier, à l’invention de l’œuf cléidoïque et amniotique, œuf perfectionné, capable de résister aux dures conditions imposées par l’atmosphère (dessiccation en particulier...). Dès le XIXe siècle en France [1], Naturalistes et Paléontologistes attribuent des coquilles fossiles à des Dinosaures provenant des mêmes couches de terrain mais la preuve irréfutable de leur oviparité ne sera apportée que bien plus tard, sous la forme d’embryons identifiables à l’intérieur d’œufs non éclos [3, 15, 18, 20]. L’étude des coquilles d’œufs de Dinosaures s’est ensuite développée grâce à la découverte des riches gisements Asiatiques, IndoEuropéens et Américains. Leurs caractéristiques macro et microscopiques ont permis l’identification de morphotypes et de parataxons, indispensables au découpage stratigraphique des épaisses couches d’argiles rutilantes qui constituent, entre 70 et 65 Ma, le crétacé sommital [28]. L’intérêt géologique et stratigraphique des coquilles d’œufs de Dinosaures s’est doublé d’un intérêt paléontologique (attribution de parataxons à des taxons, étude des embryons et de leur croissance...) et biologique général. Ces œufs, en effet, sont parfois regroupés en pontes, voire en nids, lorsque des fouilles bien conduites révèlent, creusée dans le sédiment, une cuvette régulière aux bords surélevés. L’examen minutieux de ces aménagements et des vestiges qu’ils contiennent, prudemment éclairé par l’étude comportementale des proches parents actuels des Dinosaures (Crocodiles, Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 916 MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) Oiseaux), a conduit à formuler des hypothèses plausibles sur leur comportement parental. L’énigmatique disparition des Dinosaures enfin a suscité, parmi les très nombreux travaux consacrés à cette question toujours vivement débattue, des recherches ciblées sur les anomalies de la structure et de la composition des coquilles d’œufs fossiles [29]. 1. L’adieu aux eaux originelles et l’invention de l’œuf cléidoïque et amniotique Les Reptiles ont, les premiers, totalement échappé au milieu aquatique, en perfectionnant ou inventant des solutions adaptatives efficaces aux dures conditions imposées par la vie terrestre [22]. L’examen du tableau I révèle que, comparé au milieu marin, le milieu terrestre est hostile (variations thermiques importantes, risques de dessiccation, rôle de la pesanteur, mauvaise diffusion des ions...) et c’est la raison pour laquelle il est resté pendant très longtemps abiotique1. Pour s’adapter à la vie sur terre les Reptiles de la fin du Paléozoïque ont perfectionné la respiration aérienne (ébauchée par les poissons Crossoptérygiens2), et la locomo- tion terrestre adoptant, pour certains d’entre eux, une posture érigée (membre parasagittal) autorisant une plus grande vitesse de déplacement. Les Reptiles ont inventé, par ailleurs, des moyens de lutte contre la dessiccation, tant pour les adultes dont l’épiderme est pour la première fois kératinisé, que pour les œufs, cléidoïques c’est-à-dire clos, et amniotiques (oviparité protégée). Les vertébrés inférieurs (Poissons, Amphibiens) pondent des «œufs» entourés de mucus, faits pour être confiés à l’eau. La simplicité a cependant une rançon : ce mode de reproduction les condamne à ne pas s’éloigner du milieu aquatique. Les premiers Reptiles ont inventé un œuf sophistiqué (réserves, coquille molle ou minéralisée), adapté aux rudes contraintes physico-chimiques du milieu terrestre et cette innovation pourrait remonter au Permien inférieur (-270 millions d’années) où, dans la formation Admiral (Rattle Snake Canyon, Texas), fut découvert ce que certains considèrent comme le premier œuf à coquille connu3 [2]. Les annexes impliquées lors du développement embryonnaire de ces anciens Reptiles ne sont évidemment pas conservées, mais il est hautement probable qu’elles ne différaient guère de ce qui est connu pour les Sauropsidés (Reptiles et Oiseaux actuels). (Encadré 1). TABLEAU I. — Caractéristiques comparées du milieu terrestre et marin. 1. L’apparition de la vie est fort ancienne et son histoire se confond presque avec celle de notre planète. Les Coccoïdes, à l’origine des Procaryotes, bactéries et algues bleues (Cyanophycées) apparaissent à -3800 Ma. Les Sphéroïdes, attestés dès -3000 Ma, auraient donné naissance aux Eucaryotes (-1500 MA)... mais la barrière de l’interface eau-atmosphère n’est franchie, avec les premiers Amphibiens, qu’au Dévonien (vers -400 Ma). 2. C’est au Dévonien qu’apparaissent la tétrapodie vraie et l’appareil pulmonaire, affanchissant les Amphibiens stégocéphales d’une vie aquatique exclusive. 3. Ces considérations permettent-elles de clore un vieux débat concernant l’antériorité de l’œuf ou de la poule ? D’un point de vue paléontologique, c’est incontestablement l’œuf qui fait la poule puisque l’œuf amniotique est une très vieille invention reptilienne et que les oiseaux évolués — dont la poule — ne sont que les lointains descendants de certains Dinosaures carnivores bipèdes (Théropodes). Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES On sait que les annexes, c’est-à-dire vésicule vitelline, amnios et allantoïde se mettent en place en moins de trois jours au sein de l’ovule fécondé, riche en réserves et protégé par une coquille. On assiste en premier lieu au drainage des réserves ovulaires par formation de la vésicule vitelline. Dès la 24ème heure en effet, les feuillets endoblastiques et splanchnopleuraux issus de l’archentéron englobent le vitellus, digéré par les enzymes endoblastiques et absorbé par les vaisseaux splanchnopleuraux. L’embryon se soulève au-dessus du jaune et, sans l’amnios qui le protège mécaniquement, viendrait buter contre la coquille. La formation de l’amnios débute à la 30ème heure et s’achève à la 100ème heure, au stade des fentes branchiales qui ne seront jamais fonctionnelles. Ectoblaste et somatopleure forment des replis en coupole autour puis audessus de l’embryon, replis qui enferment le liquide amniotique, dérivé de l’albumen. L’amnios et la cavité amniotique constituent un rappel ontogénique de la phylogénèse de l’embranchement. La cloche amniotique est limitée par l’amnios (ectoblaste et somatopleure), doublée par le chorion ou séreuse de Von Baer (somatopleure et ectoblaste), qui sera peu à peu repoussé contre la coquille par le développement de l’allantoïde. Née de l’endoblaste dès la 60ème heure du développement embryonnaire, son feuillet externe se plaque contre le chorion pour former l’allanto-chorion, très vascularisé, et apte à assurer les échanges gazeux au travers de la coquille poreuse. ENCADRÉ 1. — Chronologie du développement embryonnaire chez les Sauropsidés actuels d’après PATTIER [22]. A) L’AMNIOS DES REPTILES Il s’agit d’une poche au contenu aqueux et au rôle protecteur. C’est en fait la portion close, privative, de la mare originelle permettant l’émancipation, l’affranchissement total par rapport à l’eau. Dans cette bulle, l’embryon entame son développement qui nécessite des nutriments, de l’oxygène et, problème difficile à résoudre en vase clos, l’élimination des déchets métaboliques. B) LE VITELLUS ET L’ALLANTOÏDE Le vitellus est une réserve de nutriments. L’allantoïde ou allanto-chorion, émanation très vascularisée de l’embryon, joue d’une part le rôle de poumon et, d’autre part, celui de réservoir étanche pour les déchets. Résultant du catabolisme des acides aminés, l’ammoniaque (NH4+) est un ion d’une grande toxicité, qui ne peut être éliminé que dissous. Les Mammifères l’éliminent dans les urines, sous forme d’urée. Dans l’œuf clos des Reptiles, le foie de l’embryon le transforment en acide urique, qui cristallise en urates dans l’allantoïde, poumon mais aussi «container» pour déchets. L’uricotélie constitue une adaptation au développement embryonnaire en vase clos. C) LA COQUILLE La fragile construction que nous venons de décrire très brièvement, ne peut fonctionner qu’à l’abri d’une coquille qui constitue le chef d’œuvre de l’œuf amniotique. Cette coquille, qui est la partie préservée de l’œuf fossile est, en effet, à la fois solide et poreuse. Elle est solide car constituée de prismes de calcite ou d’aragonite, juxtaposés ou fusionnés. Ces variations de structure ont d’ailleurs permis d’établir Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 917 une classification (parataxonomie) des coquilles d’œufs de Dinosaures, sur laquelle nous reviendrons. Elle est poreuse grâce à la présence d’un réseau plus ou moins dense et compliqué de canalicules, s’ouvrant à la surface de l’œuf par des pores. Grâce à eux, l’œuf peut respirer : il consomme de l’oxygène et rejette du gaz carbonique et de la vapeur d’eau. L’œuf de poule par exemple, qui pèse 60 g et compte 10 000 pores répartis sur toute sa surface, consomme, en 21 jours d’incubation, 6 l d’oxygène et rejette 4,5 l de gaz carbonique et 11 l de vapeur d’eau. Les œufs de Dinosaures ont, selon les types, une résistance à l’écrasement corrélée à leur épaisseur et une conductance très variable pour la vapeur d’eau, essentiellement fonction de la surface totale des pores et de la longueur des canalicules. 2. Les Dinosaures, «Reptiles» ovipares La plupart des Reptiles actuels étant ovipares il n’était donc pas farfelu d’estimer, a priori, que les Dinosaures l’étaient aussi, position prise par les paléontologistes Français, dès le XIXe siècle : l’abbé POUECH en Ariège, MATHERON à Marseille et GERVAIS à Paris [1]. Cependant, certains Reptiles actuels (par exemple pour s’adapter à des températures froides, peu compatibles avec l’oviparité), sont vivipares4. Si certains Dinosaures l’ont été, ce qui n’est pas à exclure5, nous ne le saurons peut-être jamais, les seuls restes disponibles étant d’innombrables fragments de coquilles, beaucoup plus rarement des œufs entiers groupés en pontes ou en nids, très exceptionnellement enfin, des embryons in ovo. A) LES GISEMENTS D’ŒUFS DE DINOSAURES Les trouvailles de cette nature se font le long des rivages maritimes (par exemple Bastús [24] dans le synclinal de Tremp, en Espagne), ainsi que le long des berges des lacs et des rives des fleuves, en particulier dans les estuaires marécageux formant un fouillis d’îlots sablonneux et de bras morts enchevêtrés. Ces biotopes particuliers ont été à ce jour retrouvés, d’Est en Ouest, en Chine, en Mongolie (désert de Gobi), en Inde, dans le sud de la France, en Espagne, aux USA (Montana en particulier, Utah, et, dans le Colorado, la formation Morrison), en Amérique du Sud (Patagonie)... Dans le sud de la France [4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 16, 27], les sites s’échelonnent le long du littoral méditerranéen, du HautVar à l’Est (Fox-Amphoux), aux Corbières orientales et à la haute vallée de l’Aude à l’Ouest (Espéraza, Rennes le 4. Certains Reptiles ont inventé le placenta (son origine polyphylétique est aujourd’hui évidente), pour s’adapter soit à un retour définitif et exclusif au milieu liquide (Serpents marins du Pacifique), soit à des températures froides, peu compatibles avec l’oviparité, c’est-à-dire l’abandon des œufs aux bons soins de la nature (c’est l’exemple de la Vipère Berus qui fréquente des terres de haute latitude, comme la Scandinavie). Le passage de l’œuf cléidoïque et amniotique au placenta est théoriquement assez simple : coquille et vitellus disparaissent, l’allantoïde, très vascularisé, devient le placenta en plongeant dans l’épaisseur de la paroi utérine maternelle. 5. Nous n’aborderons pas ici la question délicate des Dinosaures «polaires». 918 Château...), sans oublier la Montagne Sainte-Victoire à Aix (le site de Roquehautes en particulier, appelé «Eggs en Provence» par les paléontologues étrangers (figure 1)), la région de Mèze (près de Montpellier) et celle de Cruzy et St-Chinian (près de Béziers)... Cette zone fossilifère se poursuit en Catalogne Espagnole (Bassin de Tremp [24, 28]), sous la forme d’une bande de terres rouges (argiles rutilantes) riches en fer (dépôts continentaux alluvionnaires) qui correspondait, au Crétacé sommital, à un semis de terres émergées, formant un archipel entre l’Eurasie et le continent Africain (Gondwana) probablement séparés depuis le Crétacé inférieur. B) TYPOLOGIE DES ŒUFS DE DINOSAURES Nous aborderons successivement la question du nombre des œufs, de leur forme, de leur volume et de leur couleur, pour terminer par les caractéristiques de la coquille, paramètre incontournable de la classification en types [2, 12, 19, 27, 28, 29]. 1) Nombre On entend ici par nombre, le nombre maximum d’œufs constituant la ponte d’un Dinosaure donné. La ponte la plus généreuse a été publiée en 1997 par I. MATEUS [18]. Comptant 34 œufs, elle provient du Jurassique supérieur (Kimméridgien/Tithonien) de Lourinhà, près de Lisbonne, et est attribuée à un Théropode6. On est bien loin, cependant, des quelques 50 ou 150 œufs pondus7, respectivement, par les Crocodiles et Tortues actuels. Le nombre d’œufs pondus par les Oiseaux est très variable en fonction de l’espèce et de l’état physiologique de la femelle : un œuf unique pour le Kiwi, le Manchot empereur, les grands rapaces diurnes... 18 à 22 œufs pour la Perdrix, oiseau comptant parmi les plus prolifiques. 2) Forme Elle est extrêmement diverse, parfaitement ronde, ovoïde ou oblongue (Figures 2, 3, 4). À noter que la forme est évidemment très influencée par la diagenèse, ce qui justifie l’utilisation de méthodes géométriques (basées sur le calcul de la courbure à partir des fragments de coquille) pour la reconstitution précise de la forme [17]. 3) Volume Compte tenu de la diversité des Dinosaures et des différences de taille considérables, on peut s’attendre à une grande variabilité du volume des œufs et à des volumes très importants. Cet «a priori» est conforté par la situation existante chez les Oiseaux actuels, où la gamme des poids est extrêmement large : de 0,25 g pour l’Oiseau-mouche à 9 000 ou 10 000 g pour l’Oiseau-éléphant, l’Aepyornis de Madagascar (récemment exterminé par l’homme) en passant par la poule (60 g) et l’autruche (1 500 g). 6. Troodon formosus, un petit Théropode Nord-Américain, détenait jusque-là le record du nombre avec 24 œufs. Lors de travaux récents menés à Aix [13] une ponte de 24 œufs également, a été découverte et acheminée au Muséum d’Histoire Naturelle de la ville. Toujours dans le bassin de l’Arc, près d’Aix (Trets) une ponte de 32 œufs vient d’être exhumée. 7. Plus précidément, 100 à 150 œufs pour certains Chéloniens, 30 à 70 pour Alligator, 30 à 40 pour le Crocodile du Nil. MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) Considérons maintenant le cas de Brachiosaurus, Sauropode accusant 80 tonnes (soit 12 fois le poids d’un très grand éléphant Africain...) et qui, compte tenu de son gabarit exceptionnel, aurait pu pondre des œufs de taille toute aussi exceptionnelle... Or, proportionnellement à la taille de certains adultes, les œufs de Dinosaures (tout au moins ceux retrouvés à ce jour...) sont plutôt petits. Diverses hypothèses ont été avancées pour éclairer ce paradoxe. En premier lieu, il semble bien qu’on ne puisse augmenter indéfiniment la taille d’un œuf. En effet, il est possible d’augmenter la taille tout en conservant la solidité, à la condition d’augmenter l’épaisseur de la coquille. Ce faisant, on s’expose à une diminution de la porosité, (incompatible avec des échanges gazeux satisfaisants), excepté si la taille des pores augmente mais, dès lors, on majore le risque de contamination bactérienne et de bris. En second lieu, chez les Reptiles fossiles et actuels, les deux ovaires et les deux oviductes sont fonctionnels, à la différence des Oiseaux chez lesquels seuls l’ovaire et l’oviducte droits sont actifs. C’est ainsi que les Oiseaux livrent un œuf unique et gros, alors que les Reptiles pondent leurs œufs par paires8, chacun d’entre eux étant, par conséquent, plus petit. WILLIAMS cité par CARPENTER [2] propose, pour le calcul du volume, la formule V = 0,51Ll2 ou V est le volume en cm3, L la longueur de l’œuf en cm et l sa largeur (diamètre) en cm. Le poids s’obtient en multipliant le volume par 1,09 (en g/cm3). Si l’on choisit l’oofamille des Elongatoolithidae (Théropodes de Mongolie et de Chine), l’amplitude des variations est large (de 80 g à 9,5 kg). E. excellens, la plus petite oospèce, mesure 9 x 4 cm, soit un volume de 73,5 cm3 et un poids de 80 g. E. magnus (Oviraptorosauridé) mesure 17 x 8 cm, soit un volume de 555 cm3, pour un poids de 605 g. Macroelongatoolithus xixiaensis (Tyrannosauridé) dominerait la série avec 53,6 x 17,9 cm, pour un volume de 8759 cm3 et un poids de 9,5 kg, comparable à celui de l’œuf d’Aepyornis. Ces dernières dimensions, fournies par CARPENTER [2] sont cependant les plus grandes notées à ce jour pour ce type d’œuf qui oscille plus communément autour de 45 x 15 cm (5 164 cm3/5 629 g). (Figure 4). 4) Couleur La couleur initiale des coquilles, probablement souillées de mucus, n’étant pas conservée en raison de leur imprégnation par des pigments endogènes et surtout exogènes, il faudra donc se contenter d’établir un parallèle avec les Crocodiles et les Oiseaux. Leurs œufs sont mimétiques, homochromes, pour les pontes non dissimulées, de coloration blanche en revanche pour les pontes cachées. Si le nid contient des végétaux en décomposition les œufs, originellement blancs, virent au brun. Il est permis d’extrapoler et d’imaginer qu’il en était de même pour les Dinosaures : œufs mimétiques pour les pontes non structurées, visibles, laissées au hasard, œufs blancs tâchés de brun pour les nids protégés par des végétaux fermentescibles. Apportés par les parents, ces derniers auraient été prélevés aux alentours des aires de nidification ou bien déposés sous forme d’excréments (Sauropodes herbivores). 8. Sur les pontes, souvent très écrasées, il est malaisé de constater la disposition par paires mais un Dinosaure Chinois [23], miraculeusement préservé, Sinosauropteryx, montre cette particularité in utero. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES FIGURE 1. — Le gisement de Roquehautes, dans le bassin de l’Arc, à Aix-enProvence. On remarque, au premier plan, des dépôts continentaux du Crétacé sommital sous forme d’argiles rutilantes et, en arrière plan, la Montagne Sainte-Victoire. 5) Coquille La coquille, généralement très bien conservée, même sous forme fragmentaire, doit être considérée comme un fossile et traitée comme tel. Les éléments les plus importants à décrire ont trait à sa morphologie macroscopique (ornementation externe, épaisseur...) et microscopique (microstructure). a) Ornementation extérieure Les coquilles d’œufs de Dinosaures sont lisses ou ornées (Figures 3 et 4), soit par des tubercules hémisphériques (type compactituberculé), soit par des côtes grossièrement parallèles, séparées par des sillons (type linearituberculé), ces côtes pouvant se ramifier et s’anastomoser (types ramo et anastomotuberculés). Il est possible que l’ornementation ait joué un rôle physiologique important pour les œufs volontairement enfouis dans les sédiments, en permettant aux gaz de la respiration de cheminer (dans les sillons entre les tubercules et les vallons entre les côtes)... et à l’embryon d’éviter l’asphyxie. b) Épaisseur et résistance à l’écrasement Elle est variable d’un taxon à l’autre et, à l’intérieur d’un même taxon, entre la coquille la plus mince et la coquille la plus épaisse trouvées à ce jour. Pour l’ensemble des oogenres, l’épaisseur des coquilles les plus minces est inférieure au quart de cm (entre 0,025 et 0,25 cm) mais les coquilles les plus épaisses peuvent atteindre 0,50 (Megaloolithus) voire 0,58 cm (Spheroolithus). Elles dépassent alors largement les coquilles d’œufs d’Oiseaux les plus fortes, qu’il s’agisse de taxons actuels (Struthio : 0,22) ou fossiles (Aepyornis : 0,38). Si l’on admet que la résistance à l’écrasement est voisine pour l’œuf des Oiseaux et des Dinosaures, il devient pour ces derniers possible d’estimer le point de rupture (PR en kg), à partir de l’épaisseur de la coquille (Ep en cm), en utilisant la formule : PR : Ep2 (1718) où 1718 est une constante. (Tableau II). Les genres Megaloolithus et Spheroolithus bénéficient d’une résistance à l’écrasement très élevée, 429 et 578 kg, respectivement. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 919 FIGURE 2. — Ponte désordonnée d’œufs globuleux (diamètre 20 cm environ). Provenance : sud de la France. Oofamille : Megaloolithidae. Attribution probable à un Sauropode Titanosaure (Hypselosaurus). (Photo Rhinopolis). c) Microstructure La coquille des œufs de Dinosaures est formée d’unités prismatiques de calcite, juxtaposées (Figure 5) ou fusionnées, définissant, respectivement, les types Dinosauroïde et Ornithoïde [27]. Le type Ornithoïde est surtout représenté par le morphotype Ratite et l’oofamille des Elongatoolithidae. Si l’on s’intéresse maintenant au type Dinosauroïde, deux sous-types peuvent y être individualisés, en fonction de la disposition des lignes d’accroissement : planes (la surface de l’œuf est alors lisse) pour le sous-type prismatique, ou bombées (la surface de l’œuf est alors granuleuse (Figure 6)) pour le sous-type sphérulithique. Le sous-type sphérulithique enfin, est lui-même subdivisé en morphotypes selon le tracé des canalicules qui perforent la coquille (filisphérulithique, dendrosphérulithique, tubo (discreti) sphérulithique, prolatosphérulithique, angustisphérulithique. (Figure 7). Les pores jouent, en morphotypologie, un rôle moins important que celui tenu par les prismes, les stries d’accroissement et le trajet des canalicules. Leur rôle physiologique est, en revanche, majeur. Le calcul de la conductance pour la vapeur d’eau (voir Encadré 2) permet, en schématisant beaucoup, de distinguer deux types d’œufs : ceux à conductance très élevée (Megaloolithus : 2893 à 4564 mg/jour/torr) peutêtre pondus dans un environnement humide (enfouis dans le sol ou au sein d’un tumulus de végétaux), et ceux à conductance faible (Elongatoolithus : 91 mg/jour/torr), peut-être livrés à un milieu aride et amenés à économiser l’eau. Ces suggestions devront, bien entendu, être impérativement corrélées à l’étude minutieuse des particularités du nid et à l’évaluation du contexte climatique. A partir de ces éléments structuraux (enrichis des caractéristiques macroscopiques de l’œuf et du nid que nous venons d’esquisser), divers paléontologistes comme HIRSCH aux États-Unis, MIKHAÏLOV en Russie, ZHAO en Chine, VIANEY-LIAUD en France... ont créé des oofamilles (parataxonomie) (Figure 7). Citons, à titre d’exemple, le parataxon Elongatoolithidae (ornithoïde) et le parataxon Megaloolithidae (Dinosauroïde, discretisphérulithique). Megaloo- 920 MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) FIGURE 3. — Secteur d’une ponte ordonnée circulaire, comprenant deux étages d’œufs allongés (19 x 9 cm) et ornementés. Provenance : Chine. Oofamille : Elongatoolithidae. Attribution certaine à un Théropode (Oviraptor). (Photo Rhinopolis). FIGURE 4. — Paire d’œufs allongés, volumineux (45 x 16 cm) et ornementés. La ponte entière compte généralement une trentaine d’œufs disposés en un cercle de 2 m de diamètre. Provenance : Chine. Oofamille : Macroelongatoolithidae (Xixia). Attribution très probable à un Théropode de grande gaille (Tyrannosauridé). (Photo Rhinopolis). lithus9 est l’œuf d’un Sauropode (Titanosaure), tandis qu’Elongatoolithus est celui d’Oviraptor, un Théropode [3, 20, 21]. La question de l’attribution d’un ootaxon à un taxon et du degré de confiance de cette filiation ne peut être éludée. d’Hominidés, que l’on pensait devoir trouver en Asie11. Cette expédition échoua dans sa recherche d’Hommes fossiles12 mais découvrit, enfoui dans des falaises de grès rouges du Crétacé final, un merveilleux bestiaire enseveli lors de tempêtes de sable. Il y avait là, en particulier, des nids contenant une dizaine d’œufs oblongs de 20 cm de long et, dans les environs immédiats, les restes osseux de plusieurs Protocératops (petits cératopsiens). Par ailleurs, au milieu d’un nid, on exhuma le crâne écrasé d’un Théropode édenté à bec corné. Ces faits furent, à l’époque, interprétés de la manière suivante : l’auteur des pontes était Protocératops, comme le «prouvaient» les nombreux vestiges alentour, et le Théropode édenté à bec corné, un voleur d’œufs, un Oviraptor, Oviraptor philoceratops comme le baptisa OSBORN. L’erreur perdurera jusqu’en 1994, année où NORELL [20] découvre sur le site d’Ukhaa Tolgod, lové dans un œuf de ce type non éclos, un embryon d’Oviraptor. Le prétendu voleur d’œufs était en réalité l’auteur des pontes ! L’année suivante [21], c’est un squelette quasi complet d’Oviraptor que l’on découvre sur son nid, en position de couvaison. Des pièges comparables ont brouillé l’interpréta- C) DE L’OOTAXON AU TAXON OU L’HISTOIRE D’UNE RECHERCHE... EN MATERNITÉ L’attribution indiscutable d’un type d’œuf à un Dinosaure donné implique de disposer d’un œuf non éclos contenant à l’intérieur un embryon identifiable... éventualité qui constitue un cas de figure extrêmement rare10 et fort apprécié. Les œufs non éclos sont, dans un premier temps, scannérisés. Dans l’hypothèse où des restes osseux sont repérés à l’intérieur de l’œuf, celui-ci est disséqué mécaniquement ou attaqué patiemment à l’acide. L’embryon dégagé est alors étudié et attribué à un taxon. En dehors de cette méthode les risques d’erreur sont très grands, comme le démontrent les lignes qui suivent, relatant la genèse d’une double erreur. Campons tout d’abord le cadre : les années 20, le désert de Gobi, une équipe du Muséum d’Histoire Naturelle de New York à la recherche 9. L’oogenre Megaloolithus regroupe de nombreuses espèces qui se succèdent dans le temps, ce qui a permis à VIANEY-LIAUD [28] de découper le Crétacé sommital Franco-Espagnol en Rognacien (Maastrichtien) inférieur, moyen et supérieur. (Figure 8). 10. Il s’agit la plupart du temps de nouveaux-nés, d’ailleurs très fragmentaires, pour lesquels on peut supposer une plus grande représentation des espèces nidifuges par rapport aux nidicoles encore immatures à leur naissance. La mort in ovo et la putréfaction au stade cartilagineux du squelette ne laissent en revanche aucune trace de l’embryon. 11. Le berceau de l’humanité a pendant longtemps été un «berceau à roulettes» selon le mot d’H. BREUIL, avant de se fixer, semble-t-il, en Afrique de l’Est. 12. Pour la petite histoire, à cette même époque et à quelque distance de là (à Chou-kou-Tien, près de Pékin), le Père TEILHARD DE CHARDIN ramenait au jour les restes du Sinanthrope. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES La conductance est calculée en utilisant la formule de Ar, adaptée par SEYMOUR et rapportée par CARPENTER [2] : CH20 = 23,42 x Sp/L où : • CH20 est la conductance pour la vapeur d’eau en mg/jour/torr, • Sp est la surface de l’ensemble des pores, • L est la longueur moyenne des canalicules (égale à l’épaisseur de la coquille si les canaux sont perpendiculaires à sa surface) Exemple : pour un œuf de Dinosaure de 1900 cm3 où Sp = 9,47 cm2 et L = 0,189 cm, CH20 = 23,42 x 9,47/0,189 = 1173 mg/jour/torr. Comparaison avec un œuf d’Oiseau de volume théorique égal (1900 cm3) : L’épaisseur de la coquille serait sensiblement égale (0,17 cm) mais la surface des pores serait seulement 12 % de celle mesurée pour l’œuf de Dinosaure (soit 1,14). CH20 = 23,42 x 1,14/0,17 = 157 mg/jour/torr. ENCADRÉ 2. — Calcul de la conductance d’une coquille d’œuf de Dinosaure. Comparaison avec un œuf d’Oiseau de volume égal. tion du matériel recueilli par HORNER dans la formation «Two Medicine» du Montana (Egg Mountain). Ses premières publications [14] attribuent des pontes à Orodromeus makelai, un Hypsilophodonte, jusqu’à la découverte d’œufs embryonnés appartenant en réalité à Troodon formosus, un petit Théropode [15]. La leçon est simple : la seule méthode sûre pour attribuer un type d’œuf à un Dinosaure donné est de découvrir un embryon mort in ovo peu avant l’éclosion, donc suffisamment développé pour être identifiable. Une récente publication de CHIAPPE [3] fait ainsi état de la découverte d’embryons in ovo autorisant, avec certitude, une FIGURE 5. — Cassure fraîche d’une coquille normale de type Dinosauroïde sphérulithique. La structure en prismes individualisés apparaît nettement. Microscopie à balayage x30. 921 nouvelle attribution. Le site de Auca Mahuevo, près de Neuquén (Crétacé supérieur de Patagonie), qui renferme des milliers d’œufs sur une surface d’un km2, a livré une douzaine d’œufs embryonnés avec empreintes de peau, pièces osseuses et dents. Bien que ces dernières soient très petites (2 mm), elles sont typiques des Sauropodes et, plus précisément, des Titanosaures (BONAPARTE a par ailleurs décrit, pour cette période, un Titanosaure, Saltasaurus loricatus). Les œufs, sphériques, d’un diamètre de 15 cm environ, d’un volume de 800 cm3, de type Megaloolithidae sont donc bien des œufs de Sauropodes, et c’est là une confirmation indirecte de l’attribution supposée aux Titanosaures de Provence (Hypselosaurus priscus), des nombreux œufs de morphologie équivalente, dont les coquilles fragmentaires jonchent le sol des sites échelonnés de Fox-Amphoux à la haute vallée de l’Aude. Les attributions solides que nous venons d’évoquer sont étendues par HORNER [15] à d’autres taxons (un Thérizinosaure, un Théropode non identifié, deux Hadrosauridés : Maïasaura peeblesorum et Hypacrosaurus stebingeri). L’ensemble des pontes que nous venons de lister sont datées du Crétacé. Des niveaux du Jurassique (GrandeBretagne, États-Unis, Afrique du Sud...) ont livré, très exceptionnellement, des œufs attribués à des Dinosaures. La trouvaille récente d’I. MATEUS [18], qui signale pour le Jurassique supérieur du Portugal des œufs de structure obliqui-prismatique attribués à un Théropode13, n’en revêt que plus d’intérêt. 13. Les pièces osseuses, nombreuses mais très fragmentaires, ont été majoritairement récoltées au voisinage des œufs, à l’exception d’une vertèbre soudée à la face interne d’un fragment de coquille. FIGURE 6. — Même matériel que pour la figure 5. Tubercules hémisphériques en surface (type compactituberculé). Microscopie à balayage x15. NB : Les figures 5 et 6 sont dues à M. S. MOLON-NOBLOT, Laboratoires Merck Sharp et Dohme-Chibret que nous remercions vivement pour son obligeance. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 922 MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) TABLEAU II. — Relation entre l’épaisseur de la coquille (maximale pour chaque oogenre de Dinosaure) et le point de rupture chez les Oiseaux et les Dinosaures (à partir des données chiffrées de CARPENTER [2]). 3. Comportement parental des Dinosaures Il faut bien entendu un couple pour produire des œufs féconds. Nous envisagerons successivement la reconnaissance des sexes (possible ou non chez les Dinosaures ?), les préludes et l’acte d’accouplement, la ponte, les nids, l’incubation, l’éclosion et le comportement post-natal des juvéniles. A) LA RECONNAISSANCE DES SEXES Pour les Reptiles actuels le sexe est un cloaque c’est-à-dire une poche carrefour plus ou moins cloisonnée pour les voies digestives, urinaires et génitales. Dans le cloaque du mâle, cependant, existe une excroissance, l’équivalent d’un pénis, qui s’évagine, s’extériorise à la faveur d’un afflux de sang. Bien entendu, en l’absence de baculum, c’est-à-dire d’os pénien chez les Reptiles en général il n’y a pratiquement aucune chance que de telles structures se conservent. Est-on, pour autant, toujours perplexe devant un squelette de Dinosaure ? La réponse est non car il existe des éléments d’orientation. Pour certains paléontologues, en effet, les mâles seraient dotés d’appendices voyants et qui nous semblent burlesques, ainsi Pachycephalosaurus et son casque épais, les Hadrosaures à cimier comme Lambeosaurus, ou Parasaurolophus et son organe musical ou encore les Cératopsiens aux ornements céphaliques (collerette, cornes) très variés. Un autre caractère ostéologique envisageable est la position des premiers os en chevron de la partie ventrale de l’appendice caudal. Chez le Crocodile femelle, il manque un de ces petits os en arrière du bassin, ce qui contribue à dégager la filière pelvienne pour la ponte. Pour certains paléontologues, cette caractéristique serait retrouvée chez les femelles de Tyrannosaurus rex. Le mâle, en revanche, serait pourvu d’un os en chevron supplémentaire (plus proche du bassin). Enfin, un argument décisif mais rare est la présence dans la Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES 923 FIGURE 7. — Morphotypes et parataxonomie d’après HIRSCH 1994, simplifié et mis à jour d’après les données de MATEUS [18], CHIAPPE [3] et GARCIA [12]. cavité abdominale d’œufs, par paires symétriques. Un fossile Chinois récemment découvert, Sinosauropteryx montre ainsi deux œufs parfaitement conservés [23]. B) PRÉLUDES La parade prénuptiale de certains oiseaux est connue de tous. Si l’on fait référence aux Crocodiles, proches parents des Dinosaures, le mâle nage en surface, donne des coups de tête, claque des dents et vocalise (toussotements, ronronnements...). C’est pourtant la femelle qui a l’initiative des préludes et de l’acte. Elle fait des bulles d’air sous l’eau et, pour Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 amadouer le mâle, elle nage à sa rencontre museau dressé, gorge offerte et s’immobilise dans cette position vulnérable. On peut imaginer que, chez les Dinosaures, la parade prénuptiale consistait en un déploiement de tout l’appareil de séduction : couleurs, ornements érectiles, cris (Hadrosaures à crête), simulacres de combats... C) L’ACTE Un scénario probable peut être déduit de l’observation des événements chez les Oiseaux et les Reptiles actuels. L’acte sexuel étant fréquemment observé chez les Oiseaux, ses 924 MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) FIGURE 8. — Oeufs de Dinosaures du Crétacé supérieur du sud de la France et de l’Espagne. Applications stratigraphiques, simplifié d’après VIANEY-LIAUD [28]. caractéristiques sont connues de tous. Chez les Reptiles il se résume à l’accolement des deux cloaques et à l’émission de semence, après évagination du «pénis» érectile du mâle. Il est clair que, comme chez les lézards actuels, l’accolement des cloaques chez les Dinosaures nécessitait pour le mâle un certain nombre de contorsions, un appui sur un seul postérieur, avec pour conséquence un équilibre précaire maintenu grâce à un ancrage antérieur (bras) et postérieur (queues entremêlées). D) LA PONTE ET LES NIDS La durée de la ponte chez les Dinosaures peut être estimée, de façon fort différente d’ailleurs, selon que l’on fasse référence au modèle Crocodile ou au modèle Oiseaux actuels. Chez les premiers la femelle dépose la totalité de ses œufs dans le nid (cavité ou monticule végétal) en une heure environ. L’adaptation au vol, en revanche, a conduit les Oiseaux à ne porter qu’un seul œuf achevé à la fois, la durée totale de la ponte étant proportionnelle à son importance numérique. Il est possible, de ce point de vue, que les Dinosaures aient constitué un groupe hétérogène, certains fonctionnant à la manière des Crocodiles, d’autres, par nécessité légers et agiles (Théropodes carnivores), évitant le handicap d’une lourde cavité abdominale bourrée d’œufs. C’est ainsi que sur la base d’une paire d’œufs pondue à intervalles réguliers, 24 heures au minimum, une ponte de 22 ou 24 œufs Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES 925 FIGURE 9. — Les nids. (par exemple celle d’Oviraptor ou de Troodon) demanderait ainsi 11 à 12 jours. Les nids sont des concentrations d’œufs disposés sans ordre apparent (Sauropodes) ou présentant un arrangement particulier (bout pointu fiché dans le sédiment, disposition par paires, en cercles concentriques pour certains Théropodes). Au sein d’une même ponte la taille des œufs est assez variable et il n’est pas rare d’en observer un ou plusieurs de taille nettement inférieure. On les découvre parfois au sein d’une cuvette, aux bords surélevés de 10 cm, suggérant fortement un aménagement parental (Troodon formosus). Les nids de Maïasaura peeblesorum, un Hadrosaure d’Amérique du Nord, ont 2 m de diamètre et 0,75 m de profondeur. HORNER affirme qu’ils sont assez régulièrement espacés, de 7 m environ, ce qui correspondrait à la taille d’un adulte (Figure 9). Il se dégagerait ainsi la notion d’aires de ponte et de nidification, pour des colonies d’Hadrosaures qui seraient protégées d’éventuels prédateurs par un effet de masse14. Si maintenant la fouille est conduite en tran- 14. L’interprétation d’HORNER est loin d’être admise pour tous, le caractère très accidenté du terrain ne permettant pas d’affirmer la contemporanéité des nids [2]. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 chées verticales, on constate que la plupart des paléosols bioturbés qui se succèdent dans le temps contiennent des nids, d’où la notion de fidélité au lieu de ponte, les femelles, une fois parvenues à maturité sexuelle, revenant pondre au lieu de leur naissance. (Figure 9). Ce constat est, à la différence du premier, très solidement établi. E) INCUBATION ET COUVAISON Le développement normal de l’œuf nécessite un apport calorique qui ne peut varier que dans des limites assez étroites. Chez les Reptiles actuels, ectothermes, la chaleur est apportée soit par le soleil, soit par la décomposition des végétaux fermentescibles présents dans le nid, soit enfin par la proximité de termitières calorifiques (incubation dite incontrôlée)15. 15. Certains gros Serpents sont capables d’augmenter leur température et de maintenir celle de leurs œufs dans des limites assez étroites. Ainsi P. molurus (Inde) maintient une température constante (32°) pendant un mois grâce à des frissons musculaires dont le rythme est de 5 par minute pour une différence de 9° entre le corps et le substrat et de 30 par minute pour une différence de 18°. A l’opposé la lutte contre l’échauffement met en jeu une polypnée. 926 En revanche, la plupart des Oiseaux actuels, endothermes, assurent à leurs œufs, par la couvaison, une température constante (incubation contrôlée). Certains Oiseaux nichant au sol, comme les Mégapodidés, ne couvent pas mais contrôlent indirectement la température d’incubation et l’oxygénation des œufs. Le mâle de Leipoa ocellata construit, autour et au-dessus de la ponte, un tumulus de terre et de végétaux dont la fermentation est calorifique. Chaque jour, en fonction de la température à l’intérieur du nid (appréciée à l’aide du bec) et du degré d’ensoleillement, le mâle dégarnit ou non le sommet du tumulus de façon à le refroidir ou le réchauffer. Qu’en était-il chez les Dinosaures ? L’incubation était probablement le plus souvent incontrôlée, la chaleur étant apportée par les végétaux en décomposition présents dans le nid. En revanche, dans des conditions climatiques plus extrêmes (régions subdésertiques par exemple, caractérisées par de grands écarts thermiques entre le jour et la nuit) l’incubation était, peut-être, contrôlée. Ainsi le nid d’Oviraptor découvert par NORELL [21], où la mère serait en position de couvaison. Comme il ne semble pas s’agir d’une femelle morte pendant la ponte, aucun œuf n’ayant été trouvé dans l’abdomen, deux hypothèses demeurent : • ou bien Oviraptor était ectotherme et les parents jouaient le rôle d’écran, d’isolant, pendant les journées brûlantes et les nuits froides, • ou bien Oviraptor était endotherme et assurait une couvaison véritable, grâce à une température corporelle constante et des plaques incubatrices, comme le font les Oiseaux actuels (la majorité des auteurs acceptent cette interprétation). La durée de l’incubation/couvaison chez les Dinosaures est, bien entendu, très difficile à estimer d’autant plus qu’elle s’avère extrêmement variable pour les Reptiles actuels (de 21 jours pour certains Ophidiens à 13 mois pour Sphenodon punctatus, 2 à 3 mois pour le Crocodile du Nil...) où, en l’absence de couvaison, elle est influencée, dans un cadre générique donné, par les variations de la température (une chute ralentit le développement de l’embryon) et du degré hygrométrique. Chez les Oiseaux, la durée de l’incubation est proportionnelle à la taille de l’œuf, s’inscrivant entre 10 jours pour certains Passereaux (Zosterops) et autour de deux mois pour les Mégapodidés, 2 à 3 mois pour l’Albatros vagabond16. Celle de l’œuf d’Aepyornis est estimée à 90 jours et il est possible que l’œuf de Tarbosaurus, un Tyrannosauridé, ait eu une durée d’incubation comparable, les œufs d’Aepyornis et les plus gros de la série pour Tarbosaurus ayant un poids très voisin (entre 9 et 10 kg). F) ÉCLOSION, SEX-RATIO ET DÉVELOPPEMENT POST-NATAL L’éclosion avait lieu, excepté lors de mortalité embryonnaire dont les causes étaient nombreuses : excès de chaleur, de froid, de pluies qui noient, insuffisance des échanges 16. 42 jours seulement pour l’œuf d’autruche, dont l’incubation est accélérée par une température élevée (> 41°C). MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) gazeux qui asphyxie, sans oublier les prédateurs friands d’œufs, que nous connaissons mal pour les Dinosaures, mais que nous pouvons supposer être aussi nombreux et inventifs que pour le Crocodile du Nil, qu’il s’agisse, en particulier, du Varan, très dévastateur, ou des Marabouts qui sondent méthodiquement les berges à l’aide de leurs becs... Crocodiles (terrestres), Serpents oophages, Varans, sujets de la même espèce ou Dinosaures prédateurs spécialisés ou opportunistes... constituaient probablement, beaucoup plus que les Mammifères et les Oiseaux, une menace permanente pour les pontes. L’éclosion, phénomène actif par forage d’une ouverture au pôle supérieur de l’œuf, la fenêtre d’éclosion, était peut-être facilitée d’une part par l’amincissement progressif de la coquille, source de calcium pour le squelette de l’embryon et, d’autre part, par la mère qui pouvait briser la coquille de façon contrôlée. Ainsi opèrent les crocodiles actuels à la mâchoire pourtant redoutable, assez comparable, dans sa puissance, à celle de Tyrannosaurus rex, mais qui sait être assez délicate pour aider à la naissance en brisant les coquilles et cueillir les nouveaux-nés fragiles et les transporter à l’eau. On peut maintenant se poser la question du sex-ratio à la naissance ? Le sexe de nombreux Reptiles actuels (Crocodiles, Tortues, Sphenodon, quelques lézards) n’est pas déterminé par les chromosomes mais thermo-induit, donc dépendant de la température au moment de l’incubation (système TSD «Temperature-Dependent Sex Determination)17. Prenons l’exemple simple des Alligators et des Caïmans18. Les femelles, plus nombreuses que les mâles, nécessitent des températures d’incubation comprises entre 28 et 31°C, les mâles des températures plus élevées situées entre 32 et 34°C. En fonction des aléas climatiques, certains nids donneront exclusivement des mâles, d’autres uniquement des femelles, d’autres enfin un mélange de mâles et de femelles en rapport avec la position des œufs au centre (plus chaud) ou en périphérie du nid, mais, à l’échelon d’une population, les femelles sont les plus nombreuses. On ne sait rien, bien entendu, du sex-ratio chez les Dinosaures mais il est permis de penser que, pour les pontes à incubation non contrôlée, la température jouait un rôle décisif dans le déterminisme du sexe. Concernant le comportement post-natal des nouveaux-nés, deux cas de figure diamétralement opposés sont théoriquement possibles. Les petits qualifiés de nidifuges sont à la naissance très matures, et comme les petits Crocodiles très dégourdis, ils quittent immédiatement le nid, en quête de nourriture. En conséquence, ces nids, vite abandonnés, conservent leurs œufs intacts à l’exception de la fenêtre d’éclosion. (Troodon formosus) (figure 10). À l’opposé, les 17. On insiste actuellement sur le rôle de l’aromatase, enzyme de conversion des androgènes en œstrogènes, l’imprégnation œstrogénique précoce féminisant les gonades jusque-là ambivalentes. Il est ainsi hautement probable que, dans la régulation transcriptionnelle du gène codant pour l’aromatase, chez les Reptiles au déterminisme sexuel thermo-dépendant, intervienne un facteur thermosensible. 18. La situation chez les Crocodiles est plus complexe, les femelles étant produites pour des températures inférieures à 31°C ou supérieures à 33°C, les mâles pour des températures intermédiaires comprises entre 31°C et 33°C. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES FIGURE 10. — Extraction, dégagement et présentation d’une ponte. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 927 928 FIGURE 11. — Cassure fraîche d’une coquille pathologique. La seconde coquille superposée est moins épaisse et moins structurée que la première. Microscopie à balayage x15. MAGNOL (J.P.) ET ESCUILLIÉ (F.) FIGURE 12. — Même matériel que pour la figure 11. Type compactituberculé mais anarchique (comparer avec la figure 6). Microscopie à balayage x30. NB : Les figures 11 et 12 sont dues à M. S. MOLON-NOBLOT, Laboratoires Merck Sharp et Dohme-Chibret que nous remercions vivement pour son obligeance. nouveaux-nés qualifiés de nidicoles sont immatures, prématurés. Ils restent au nid, en attendant que les parents apportent leur nourriture. En conséquence, les nids occupés pendant des semaines (4 semaines peut-être pour Maïasaura) ont leur fond piétiné et les coquilles sont brisées en menus morceaux et tassées. C’est HORNER [14], principalement, qui a proposé pour les petits Maïasaura le statut de nidicoles, sur la foi d’un certain nombre d’observations portant sur leur nid et sur les restes osseux des nouveaux-nés, par exemple, pour le fémur, l’absence de trochanters et de couche articulaire fibrocartilagineuse coiffant l’os spongieux enchondral de l’épiphyse. Ces affirmations ne font cependant pas l’unanimité. GEIST [13], par exemple, fait très justement remarquer que la coiffe fibro-cartilagineuse, plus fragile que l’os, disparaît lors de la putréfaction, que les trochanters n’apparaissent que lors des remodelages osseux imposés par l’action des contraintes mécaniques et que le bassin des nouveaux-nés Maïasaura (comme celui d’ailleurs de la plupart des petits Dinosaures) est bien ossifié, fournissant dès l’éclosion un support stable et solide pour les muscles du membre postérieur. Nidifuges ou bien, mais cela reste à prouver, nidicoles, les petits Dinosaures (minuscules par rapport à la taille de l’individu adulte) amorcent une très rapide croissance qui les conduira de l’état de juvéniles à celui de sub-adultes et d’adultes reproducteurs. Il apparaît de plus en plus clairement que la croissance des Dinosaures, en particulier des Dinosaures gigantesques comme les Sauropodes, était beaucoup plus rapide que celle des Reptiles actuels. K. CURRY, au congrès de la Société de Paléontologie des Vertébrés d’octobre 1998, a fait état de ses travaux sur la structure osseuse et les stries d’accroissement de la scapula d’Apatosaurus (=Brontosaurus). La moitié de la taille adulte serait atteinte dès l’âge de 4 à 5 ans et la taille définitive entre 8 et 11. Ces estimations, recoupant celles plus anciennes d’un chercheur de Paris VII, A. de RICQLÈS, impliquent une apposition osseuse quotidienne de 10,1 micromètres, taux comparable à celui des canards actuels... qui achèvent leur croissance en 22 semaines environ. De tels résultats, sous réserve de confirmation, prennent tout leur sens si l’on songe à l’avantage donné par une croissance extrêmement rapide, à des animaux (grands Sauropodes) dont la seule défense résidait dans l’acquisition d’une taille dissuasive. 4. Coquilles pathologiques. Incidents et accidents d’incubation La pathologie de la reproduction chez les Dinosaures est pour l’heure restreinte aux malformations de la coquille et aux incidents ou accidents susceptibles d’affecter la ponte pendant la période d’incubation-couvaison. A) LES ANOMALIES DE LA COQUILLE On connaît, pour les œufs des Oiseaux, plusieurs types d’anomalies. A l’intérieur d’un taxon donné les coquilles peuvent montrer des variations d’épaisseur, amincissement19, source de fragilisation ou, à l’opposé, coquilles doubles ou triples asphyxiant précocement l’embryon, les canaux assurant les échanges gazeux n’étant plus en regard les uns des autres. Une autre anomalie classique est l’ovum in ovo. Cette éventualité survient chez la femelle stressée lorsque, à la faveur d’un antipéristaltisme, un œuf achevé chemine par voie rétrograde et entre en contact, dans le segment génital à l’origine de la coquille, avec un autre œuf progressant normalement. Les deux œufs sont alors englobés 19. Certains pesticides (DDT) ont été incriminés dans la genèse de cette anomalie. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 OEUFS, PONTES ET COMPORTEMENT PARENTAL DES DINOSAURES 929 dans une seconde coquille20. Leur volume est tel qu’il peut empêcher la ponte, entraînant la mort de la femelle. À notre connaissance, l’ovum in ovo n’est décrit que chez les Oiseaux. Chez les Reptiles, compte tenu du nombre important d’œufs, ces derniers se succèdent comme sur une «chaîne de montage» et, dès lors, une simple «stase» dans le segment à l’origine de la coquille, conduit à l’apparition de coquilles multiples. tion non contrôlée était thermo-dépendant, à l’instar de celui des Crocodiles... qui eux, pourtant, ont survécu. Enfin, l’hypothèse d’une prédation accrue de la part des Mammifères, discrets contemporains des Dinosaures, a été avancée en dépit de son caractère peu plausible, la très grande majorité de leurs représentants au Crétacé final étant de la taille d’une souris25 et munis d’une denture d’insectivore. B) COQUILLES PATHOLOGIQUES ET HYPOTHÈSES CONCERNANT LA DISPARITION DES DINOSAURES Bibliographie Il y a 65 Ma, à la fin du Mésozoïque, survint la crise de la limite CR/T (pour Crétacé/Tertiaire)21, une des cinq extinctions massives qui marquèrent l’histoire de la Biosphère. Sans entrer dans le débat qui oppose toujours âprement les Gradualistes et les Catastrophistes ou Impactistes22, force est de constater que les Dinosaures disparurent... à l’exception toutefois des Oiseaux qui constituent leurs descendants actuels23. Un chercheur du Museum d’Histoire Naturelle de Londres, A. CHARIG, a dénombré près d’une centaine d’hypothèses sérieuses ou extravagantes, visant à expliquer cette hécatombe. L’extinction d’une espèce ne pouvant s’expliquer que par un déséquilibre entre les taux de natalité et de mortalité, il était fatal qu’un certain nombre de suppositions concernent les œufs qui, dans leur structure et leur composition, sont le reflet des conditions du milieu et de ses variations. Des coquilles pathologiques sont d’ailleurs signalées depuis longtemps pour Megaloolithus, dans les couches du Maastrichtien supérieur du bassin d’Aix (figures 11 et 12). Certains auteurs ont même constaté une augmentation du pourcentage des coquilles anormales dans les niveaux proches de la limite CR/T, mais ces observations ont été, à juste titre, contestées. Plus troublante est la thèse de ZHAO [29]. Cet auteur montre que les coquilles recueillies en Chine dans le bassin de Nansiong, vers la limite CR/T, souffrent d’anomalies structurales associées à un enrichissement en éléments-trace (strontium, vanadium, manganèse, zinc, cobalt, nickel...) et à une augmentation du rapport isotopique 18O/16O, «marqueur» de la température ambiante [24]. L’interprétation donnée est une désertification du milieu de vie allant de pair avec une extinction graduelle des Dinosaures, sur une période d’au moins 200 000 à 300 000 années. On rétorquera, bien entendu, que ce qui est recevable localement pour la Chine du Sud, ne l’est pas forcément à l’échelon planétaire. Pour d’autres chercheurs, le refroidissement climatique attesté à la fin du Crétacé aurait perturbé le sex-ratio, dans la mesure où le sexe des Dinosaures à incuba- 1. — BUFFETAUT E. et LE LŒUFF J. : The discovery of Dinosaur egg shells in nineteenth century France. In : CARPENTER K., HIRSCH K.F. et HORNER J.R. : Dinosaur Eggs and Babies, Cambridge University Press, 1994, 31-34. 2. — CARPENTER K. : Eggs, Nests, and Baby Dinosaurs : a look at Dinosaur Reproduction. Indiana University Press, 1999, 336 p. 3. — CHIAPPE L.M., CORIA R.A., DINGUS L., JACKSON F., CHINSAMY A. et FOX M. : Sauropod dinosaur embryos from the late cretaceous of Patagonia. Nature, 1998, 396, 19 nov., 258-261. 4. — COUSIN R. et BRETON G. : Dinosaur egg laying and nesting in France. In CARPENTER K., HIRSCH K.F. et HORNER J.R. : Dinosaur Eggs and Babies, Cambridge University Press, 1994, 56-74. 5. — DUGHI R. et SIRUGUE F. : Les œufs de Dinosauriens fossiles de Rousset (Bouches-du-Rhône). C.R., Acad. SC., Paris, 1957, Séance du 29 juillet, 546-549. 6. — DUGHI R. et SIRUGUE F. : Les œufs de Dinosauriens du bassin d’Aix-en-Provence. C.R. Acad. 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K/T pour les auteurs Anglo-saxons. 22. Les premiers invoquent l’action de causes terrestres (régressions marines, changements climatiques...), tandis que les seconds privilégient la thèse météoritique depuis la découverte du pic d’Iridium et de l’astroblème de Chicxulub au Mexique. 23. Outre la découverte fréquente de plumes, en particulier pour les Dinosaures Chinois, un article récent paru dans Science [11] vient de montrer que le cœur de certains Dinosaures reconnaissait deux ventricules, comme celui des Oiseaux et des Mammifères. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 10, 915-930 24. L’eau «lourde» dont l’atome d’oxygène compte 18 neutrons constitue les couches profondes des points d’eau et n’est donc consommée (et stockée dans CaCo3) que lors d’assèchement des réserves. 25. A l’exception d’un Marsupial, Didelphodon, de la taille d’un chat domestique. 930 18. — MATEUS I., MATEUS H., TELLES ANTUNES M., MATEUS O., TAQUET Ph., RIBEIRO V. et MANUPPELLA G. : Couvée, œufs et embryons d’un Dinosaure Théropode du Jurassique supérieur de Lourinhà (Portugal). C.R. Acad. Sci., Paris, Sciences de la terre et des planètes, 1997, 325, 71,78. 19. — MIKHAÏLOV K., SABATH K. et KURZANOV S. : Eggs and nests from the cretaceous of Mongolia. In : CARPENTER K., HIRSCH K.F. et HORNER J.R. : Dinosaur Eggs and Babies, Cambridge University Press, 1994, 88-115. 20. — NORELL M.A., CLARK J.M., DASHZEVEG DEMBERELYIN, BARSBOLD RHINCHEN, CHIAPPE L.M., DAVIDSON A.R., McKENNA M.C., PERLE ALTANGEREL et NOVACEK M.J. : A Theropod dinosaur embryo and the affinities of the Flaming Cliffs dinosaur eggs. Science, 1994, 266, 4 November, 779-782. 21. — NORELL M.A., CLARK J.M., CHIAPPE L.M. et DEMBERELYIN DASHZEVEG : A nesting Dinosaur. 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