La cuisine libanaise du terroir - La mémoire du goût

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La cuisine libanaise du terroir - La mémoire du goût
La cuisine libanaise du terroir - La mémoire du goût
BEYROUTH, par Élodie Morel | iloubnan.info - Le 09 octobre 2009
Les sociologues pointent sans cesse la nécessité d’un travail de mémoire pour
réfléchir à tout ce qui divise le peuple libanais. Le livre La Cuisine libanaise du
terroir - La mémoire du goût, parle au contraire de tout ce qui le rapproche. Il parle
d’une mémoire collective qui sommeille en chacun de nous, quelque soit la
communauté à laquelle on appartient. La mémoire du goût.
C’est un livre de recettes. Mais qu’il faudrait mettre dans les mains de tout un chacun,
amateur de cuisine ou pas. Illustré par les images de la photographe Randa Mirza, ce
livre-ci, signé Chérine Yazbeck parle de savoirs ancestraux, de gestes archaïques, de
connaissances encyclopédiques jamais collectées jusqu’à aujourd’hui. La Cuisine
libanaise du terroir parle d’un « terroir affectif et collectif, un bien commun », souligne
Chérine Yazbeck, en expliquant avoir voulu parler de « tout ce qui nous unit plutôt que
de tout ce qui nous divise ». Alors que les politologues évoquent sans cesse la
mosaïque des communautés qui composent le Liban, ce livre de cuisine les enracine
toutes dans une même terre, tout en soulignant ce que chacune a apporté à l’ensemble.
Il rappelle par exemple que le Hrissé est non seulement préparé pour l’Assomption, le
15 août, chez les Chrétiens, mais aussi pour célébrer la fin de la Achoura chez les
Chiites. Au fil des pages, un plat familial fait remonter les bribes de vie de divers
interlocuteurs, qui associent telle recette à telle période de leur vie et de l’histoire du
pays. Un dessert rappelle que telle communauté a bel et bien vécu dans tel secteur de
Beyrouth autrefois, même si tout le monde dans le quartier l’a oublié. Du coup, devant
mes casseroles, je réfléchis. Avec du pain, du beurre, de l'eau et du sucre j’essaie
maladroitement d’appliquer la recette du Hroo Osboo, un dessert archi simple, « le
dessert du pauvre par excellence », explique le livre. Je me dis que ces ingrédients sont
encore aujourd’hui mélangés avec dextérité dans les marmites d’une femme de la
campagne, quelque part dans la montagne. Mais ces gestes n’en ont peut-être plus pour
longtemps, si l’exode vers les villes continue à dépeupler les villages et interrompre la
transmission de la connaissance culinaire de mère en fille, m'a expliqué Chérine
Yazbeck. Ce livre est un outil de transmission. Ces gestes gardent-ils la même
signification si c’est moi qui les exécute, dans ma cuisine bien équipée ? Sans doute
pas. Mais tant pis, grâce à ce livre, ils ont gagné un témoin.
La cuisine libanaise du terroir est un ouvrage militant finalement. Un livre écoresponsable, qui invite à faire avec les produits qu’on a autour de soi sans détruire toute
la richesse animale et végétale du pays. A propos d’un condiment ou d’une plante
aromatique, il souligne toute la biodiversité végétale du Liban et répertorie, avec l’aide
d’un chercheur du CNRS, toutes les plantes comestibles qu’on peut encore y trouver (un
travail jamais réalisé auparavant). Evoquant la cuisine de la mer, l’ouvrage glisse
quelques remarques percutantes sur les techniques de pêche aussi dévastatrices
qu’illégales qui, en toute impunité, détruisent la faune aquatique des eaux libanaises.
Parfois grave mais jamais morose, ce livre rappelle finalement qu’il n’est pas trop tard
pour sauver le patrimoine naturel du pays. Pas trop tard, mais tout juste temps.